Mme Christine Kelly, Membre du Conseil Supérieur de l'Audiovisuel (CSA)
Tout d'abord, merci à ceux qui ont eu l'idée de penser à ces archives, c'est-à-dire de penser à l'histoire de l'outre-mer, car je trouve assez scandaleux l'oubli constant, permanent et général dont il fait preuve. Je le constate quotidiennement avec les dossiers que je traite : par exemple, une importante étude a été récemment menée qui montrait que l'obésité stagnait en France, mais cette étude a totalement oublié l'explosion de cette « épidémie » en outre-mer. Dans tous les domaines, on oublie toujours l'outre-mer, qui fait pourtant aussi partie de la France. Lors de la campagne électorale, le premier générique proposé pour les émissions des discours des partis candidats n'évoquait pas l'outre-mer ; j'ai dû le faire refaire afin qu'il y paraisse. Tout cela montre qu'il s'agit d'un combat permanent, et il est scandaleux qu'il faille encore se battre pour dire qu'une partie de l'outre-mer français a été français avant Nice, avant la Savoie. L'outre-mer fait partie de la France et les « oubliés » en ont parfois un peu marre. Il est donc très important de parler de l'outre-mer.
Second point : deux images me viennent en tête après vous avoir écouté. Les images d'archives de l'Holocauste. C'est capital et c'est indispensable, cela offre un éclairage sur aujourd'hui et sur le passé. Archives, images, histoire, mémoire, tout cela va ensemble. Deuxième image : j'ai reçu un email il y a trois jours d'un téléspectateur qui n'était pas ultramarin et qui me demandait pourquoi il n'y avait pas, dans les grands journaux télévisés, une partie qui soit dédiée à l'outre-mer. Cela m'a beaucoup fait réfléchir. Je me suis en effet dit qu'il y avait une époque où certains présentateurs faisaient des efforts pour parler de l'outre-mer dans leurs journaux télévisés (Patrick Poivre d'Arvor par exemple). Durant la quarantaine de minutes des grands journaux télévisés, on ne parle pas de l'outre-mer sauf si un événement grave s'y déroule. J'ai répondu à ce téléspectateur qu'il s'agissait d'une piste à creuser. Et cette numérisation des archives de l'outre-mer va peut-être servir à avancer ensemble, à faire savoir que nous sommes main dans la main et à prouver, malgré les milliers de kilomètres qui nous séparent, que nous pouvons construire une histoire commune. Voilà ce que je voulais dire sur ce sujet. Beaucoup de choses ont déjà été avancées sur ces archives, et il y a de belles lumières aujourd'hui qui peuvent en parler plus précisément.
Quant à mon parcours à RFO, à France 3, à Canal +, à LCI ou à TF1, il m'a permis de constater la puissance des images, la puissance des archives audiovisuelles. Il suffit par exemple de voir ce que fait « Le Petit Journal » qui réalise un travail monumental pour chercher ce qu'a dit telle ou telle personne, six mois ou un an auparavant. Aujourd'hui, on oublie tellement vite, une actualité chasse l'autre si rapidement. La puissance des images d'archive est capitale, elles permettent de mieux comprendre les événements actuels. Combien de fois dans mon parcours professionnel ai-je proposé de faire un flash-back et me suis-je vue répondre non ? On me disait : « ce n'est pas ce qui intéresse le grand public ». Je constate néanmoins que des chaînes comme BFM TV ont fait l'effort de le faire ; cela est intéressant et montre qu'on ne peut regarder l'avant que lorsqu'on a bien compris son passé (Le Point ou L'Express fait d'ailleurs régulièrement un point sur le passé, ce qui est important pour mieux comprendre l'actualité). Voilà ce que je pouvais dire grâce à mon expérience professionnelle de journaliste.
M. Pascal Blanchard, Historien, Chercheur associé au CNRS au laboratoire communication et politique, directeur du groupe de recherche Achac :
Merci de votre intervention. Monsieur Olivier Pulvar, qu'attendent les populations ? Inversons ensemble le point de vue. Pensez-vous qu'aujourd'hui il existe une demande sociale et locale pour voir les images des générations précédentes, par exemple de la part de la jeune génération de Guadeloupe, de La Réunion ou de la Guyane ? Par exemple, on constate que l'ina.fr est un site où des millions de personnes se rendent chaque mois pour consulter des archives. Néanmoins, puisqu'il est interdit d'établir des statistiques, l'INA ne peut pas vous dire quelle est la proportion des visiteurs d'outre-mer et, en prolongement, quel impact sur des mémoires nationales communes ?