ANNEXE 6 - LA POLITIQUE SPATIALE RUSSE

Le programme spatial russe

Au 5 novembre 2012

1 - La place du spatial dans la politique du gouvernement de la Russie

2 - Le programme spatial russe

3 - Les récents échecs du spatial russe

4 - Le spatial russe et l'international

1 - La place du spatial dans la politique du gouvernement de la Russie

A la sortie des années 90, vécue difficilement par les Russes sur un plan économique, l'heure est au début du 21 ème siècle en Russie à l'affirmation d'une puissance politique et économique en plein renouveau renforcée par les gains développés par ses richesses naturelles (pétrole et gaz en particulier) donnant au gouvernement de la Fédération de Russie des moyens financiers pour se lancer entre autres, dans la réorganisation et la modernisation du secteur spatial, secteur hautement stratégique par le pouvoir politique. Sur le plan macroéconomique et encouragés par le haut niveau des prix du marché des énergies fossiles et d'importantes réserves budgétaires fédérales, la Russie est en train de traverser les différentes crises économiques et financières internationales actuelles sans trop de difficultés apparentes.

2 - Le programme spatial russe

A l'époque de l'Union Soviétique, le programme spatial servait d'instrument politique sur la scène internationale pour insuffler un besoin de grandeur et de puissance. Depuis la chute de l'URSS, le secteur spatial russe a connu des bouleversements au cours des années 90 avec en particulier d'importantes coupes budgétaires imposées dans ses programmes. Sous la présidence de Vladimir Poutine, le secteur spatial russe se reconstruit pas à pas dans le cadre d'une stratégie marquée par une volonté politique de mieux intégrer les questions de développement économique, technologique et social dans la définition des programmes spatiaux. La Russie considère à nouveau l'espace comme un enjeu de taille. Cette reconstruction impose de profonds changements avec des investissements lourds à engager, la mise aux normes internationales de l'appareil industriel, le besoin de (re)développer des compétences et le renforcement de certains domaines pour répondre aux demandes politiques du gouvernement russe.

Les différents domaines du programme spatial russe

Les domaines relatifs à l'ISS, aux vols habités et à l'accès à l'espace, restent les (grands) points forts du programme spatial russe. La navigation, axe stratégique de Vladimir Poutine avec le déploiement de la constellation GLONASS est achevé. Il s'agit maintenant de développer des marchés. Par contre, d'autres domaines ne présentent pas le même niveau de maturité technologique et économique rencontré en Europe, aux Etats-Unis et au Japon. Le domaine des télécommunications est placé depuis quelques années en partie dans un cadre commercial et ouvert à l'international. C'est ainsi que Thales Alenia Space a remporté en 2009 la construction de deux satellites complets de Télécoms pour le compte de Gazprom. Les domaines de l'observation de la Terre, de la météorologie et de la science ont besoin d'un renforcement important et d'une modernisation industrielle et technologique accrue des moyens spatiaux. Le domaine de l'exploration est à l'état de réflexion et de propositions de programmes en Russie. Les dirigeants russes, tout en souhaitant jouer un rôle leader dans ce domaine, interpellent régulièrement les autres partenaires potentiels (Europe, Etats-Unis) pour lancer ou participer à un programme d'exploration international.

La modernisation de l'industrie et des moyens financiers en hausse

La restructuration et la modernisation de l'industrie spatiale russe lancées en 2006 est une étape vitale du programme fédéral spatial russe. Pour répondre aux ambitions de la Fédération de Russie dans le domaine spatial, elles ont pour objectif d'optimiser l'outil industriel et d'accroître son efficacité pour conquérir des parts de marché dans un environnement international de plus en plus compétitif. A terme, 112 entreprises et laboratoires du secteur employant aujourd'hui plus de 200000 personnes, devront être regroupés en quatre ou cinq holdings.

En 2011, on peut tout de même souligner que la Russie a réalisé près de 40% des lancements spatiaux dans le monde . Le budget 81 ( * ) de l'agence spatiale russe, Roscosmos, s'élève à 144 milliards de roubles soit 3,5 milliards d'euros en 2012 (0,24% du PIB) et un budget pratiquement équivalent à celui de l'ESA. En 2008, le budget était de 1,2 milliards d'euros. Les forces spatiales russes 82 ( * ) quant à elles, ont effectué entre 2001 et 2010 plus de 200 lancements en plaçant en orbite plus de 250 satellites y compris GLONASS. Malgré des moyens en croissance, la période entre la fin de l'année 2010 et le mois d'août 2012 a été très difficile pour le secteur spatial russe en raison d'une série d'échecs importante (voir chapitre 3).

Nommé en avril 2011, le nouveau directeur de Roscosmos Vladimir Popovkine, précédemment Chef des forces spatiales et vice-ministre de la Défense, souhaite poursuivre le chemin de la modernisation du secteur spatial russe engagée depuis 2006.

La stratégie spatiale russe à l'horizon 2030

L'espace au même titre que la Défense représente une très grande priorité pour le pouvoir en place. Aussi, le gouvernement de la Russie a demandé en début d'année 2012 à ROSCOSMOS d'établir de nouvelles priorités stratégiques spatiales ambitieuses à l'horizon 2030. En voici les principaux éléments :

- Amélioration des capacités opérationnelles du système de navigation Glonass.

- Exploitation de l'ISS jusqu'en 2020, voire 2028, création d'une station orbitale de nouvelle génération et préparation du vol humain vers Mars.

- Mise aux normes internationales des satellites russes pour 2015 en utilisant des éléments occidentaux. En 2020, les satellites russes seront produits à partir d'éléments nationaux.

- Construction et exploitation du nouveau Cosmodrome de Vostochny à l'horizon 2015 pour lancer des engins automatiques. En 2020, lancement de la nouvelle fusée Angara et de vaisseaux habités de nouvelle génération depuis le nouveau cosmodrome. Pour 2030, sera développée une fusée de très forte capacité de 120/180 tonnes en orbite basse. Des études de lanceurs réutilisables ou semi-réutilisables seront également lancées.

- A l'horizon 2020, préparation de nouvelles missions vers la Lune (rover et retour d'échantillons). En 2030, est prévu un vol piloté lunaire de démonstration avec alunissage de cosmonautes, puis installation d'une base habitée lunaire permanente.

- Achèvement de la réorganisation industrielle avec la création de 4 à 5 holdings concurrentes et augmentation jusqu'à 10% de la part de la Russie sur le marché mondial à l'horizon 2030 (0,5% en 2011). Renforcement de la qualité et du contrôle de l'activité technique et industrielle spatiale russe ainsi que du potentiel de production et de la formation des cadres de l'industrie spatiale.

- Participation active à la réduction des débris et à la sécurité de la Terre vis-à-vis des astéroïdes et des comètes (géocroiseurs).

Ces nouvelles orientations stratégiques seraient couvertes par un budget annuel de 150 à 200 milliards de roubles (3,7 à 5 milliards d'euros) par an jusqu'en 2030.

L'accès à l'espace et le nouveau cosmodrome Vostochny

Leader mondial dans ce domaine, la Russie, seule ou en coopération, a engagé une stratégie lui permettant de conserver une position forte dans le domaine de l'accès à l'espace et des services de lancement : prolongation de location de Baïkonour (Kazakhstan) jusqu'en 2050, développement des infrastructures de Plessetsk, implantation du Soyouz sur un site équatorial en Guyane française, développement du lanceur modulaire Angara qui sera lancé de Baïkonour et de Plessetsk et remplacera Proton jugé polluant, implantation à Baïkonour du lanceur Zenith-3SL dans le cadre de Land launch.

A plus long terme, la stratégie de la Russie redéfinie en mars 2012, apporte un éclairage sur l'objectif de développer un lanceur lourd de 120/180 tonnes pour l'orbite basse. Sont également inscrits les lanceurs réutilisables ou semi réutilisables demandant des sauts technologiques importants dans une perspective à très long terme dans le programme spatial fédéral. Au regard de l'état de l'outil industriel spatial russe, il sera sans aucun doute nécessaire pour la Russie de rechercher des partenaires internationaux pour réaliser de tels programmes aussi ambitieux sur les plans technologique et économique.

Pour assurer une plus grande autonomie en matière d'accès à l'espace, notamment vis-à-vis du Kazakhstan, le Gouvernement de la Fédération de Russie a décidé de lancer la construction d'un nouveau cosmodrome dans le Sud Est de la Russie, à Vostochny où les premiers lancements pourraient avoir lieu à partir de 2015.

Enfin et ceci aurait pu passer pour quelque chose d'impensable il y a encore dix ans, la Russie assure les transferts des astronautes américains entre la Terre et l'ISS, faute pour la NASA de posséder pendant plusieurs années un tel moyen de transport spatial.

3 - Les récents échecs du spatial russe

Le secteur spatial russe a connu une importante série d'accidents ces deux dernières années. Entre décembre 2010 et août 2012 sept lancements et des mises à poste de satellites se sont soldés par un échec. Cela s'est traduit par la perte de dix satellites et d'engins tels qu'un vaisseau cargo qui devait approvisionner la Station spatiale internationale (ISS) et l'ambitieuse mission d'exploration Phobos-Grunt. Ces récents échecs ont mis en lumière un certain nombre de difficultés qui peuvent être imputées en grande partie à la chute brutale des budgets spatiaux russes induisant notamment un net ralentissement du recrutement de cadres et scientifiques dans les années 90 et à des moyens techniques et industriels vieillissants. Une forte augmentation budgétaire pour soutenir le secteur spatial a donc été engagée par l'administration Poutine depuis le début des années 2000. Dans d'autres secteurs 83 ( * ) , il est possible de constater des salaires bien plus attractifs qui attirent plus facilement les jeunes sortant des cursus universitaires. En outre, la réorganisation industrielle demandée par V. Poutine n'avance que très lentement 84 ( * ) .

4 - Le spatial russe et l'international

Les coopérations internationales

La Russie a engagé de nombreuses coopérations internationales avec la plupart des agences spatiales du monde: les Etats-Unis (services de lancement Sea-Launch et ILS, ATLAS 5 (licence moteur RD180), la desserte des astronautes US dans la station internationale, Soyouz en Guyane avec l'ESA et la France, l'Inde (fourniture du moteur liquide du 3 ème étage du GSLV et dans le cadre du programme GLONASS), le Brésil (Tsyclon 4 dérivé du Zénith ukrainien et coopération sur le VLS), la Corée du Sud (coopération sur le petit lanceur coréen), l'Ukraine (qui fournit une partie des lanceurs Zénith et Dniepr). Il faut ajouter à cela toutes les coopérations dans le domaine scientifique et les partenariats industriels et commerciaux notamment dans les télécommunications. Dans le domaine scientifique et de l'exploration, les instituts russes ont participé ou participent ainsi aux projets Mars Express, Venus Express, BepiColombo, Lunar Reconnaissance Orbiter, ExoMars.

Des coopérations euro-russe et franco-russe emblématiques

Débutée il y a près de 50 ans avec l'Accord inter gouvernemental franco-soviétique du 30 juin 1966, la coopération spatiale s'est inscrite tout d'abord dans le domaine scientifique. Elle a permis à la France de participer à la réalisation de grandes premières scientifique - missions lunaires ou le vol du 1er occidental sur une station spatiale russe le spationaute français Jean-Loup Chrétien. A partir de 2003, cette coopération prend une nouvelle dimension et devient stratégique avec la signature d'un accord inter gouvernemental franco-russe sur l'exploitation de la fusée russe Soyouz à partir du centre spatial européen en Guyane française. L'année 2011 a vu la concrétisation de ce projet stratégique avec le lancement des deux premiers lancements Soyouz qui ont mis sur orbite Galileo et Pléiades, satellites stratégiques pour l'Europe et la France.

Entre l'Europe et la Russie, la coopération sur ExoMars est en cours de négociation. D'autres sujets de coopération avec l'ESA sont également à l'étude : mission lunaire destinée à rapporter des échantillons de la région polaire du satellite de la Terre et une mission d'étude des satellites glacés de Jupiter.

D'une politique d'achat vers une politique de coopération plus intégrée

Depuis plusieurs années, la Fédération de Russie s'est inscrite dans une politique d'achat sur étagère d'un certain nombre de moyens spatiaux en particulier dans le domaine des télécoms pour moderniser son économie et développer de nouveaux marchés. En 2010, évolution non négligeable, la Fédération de Russie par l'intermédiaire de Gazprom est passée de l'achat de charges utiles pour satellites de télécoms à l'achat de satellites télécoms complets 85 ( * ) y compris les moyens terrestres, à l'industrie européenne. C'est le cas également dans d'autres domaines tels que le militaire avec l'achat par le Gouvernement de la Fédération de Russie, une première, de deux navires de guerre Mistral à la France en juin 2011. De manière réciproque, la « coopération » pour la Fédération de Russie avec d'autres pays consiste à vendre des moyens spatiaux ou des capacités de transport spatial comme Soyouz, Proton ou les vols habités. Autre élément notable, Vladimir Poutine et Vladimir Popovkine directeur de ROSCOSMOS, ont rappelé pendant le Salon du Bourget en juin 2011 la volonté de la Fédération de Russie de passer d'une politique d'achat à une politique de coopération d'activités réalisées de manière conjointe et plus intégrée.


* 81 - Hors budget des Forces spatiales

* 82 - Le budget des forces spatiales est un chiffre non diffusé par le gouvernement russe mais qui au vu des moyens spatiaux mis en oeuvre, doit apporter une consolidation forte au secteur spatial russe

* 83 - Le recrutement pour le secteur spatial est très difficile au regard des salaires trop bas par rapport à d'autres secteurs d'activités comme celui des énergies fossiles, la construction, la finance...

* 84 - V. Poutine avait demandé à Roscosmos et aux Forces spatiales de simplifier et réduire le nombre de groupes industriels en 2006.

* 85 - Plate forme et charge utile

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