II. QUELLE GOUVERNANCE ET QUEL ÉQUILIBRE ÉCONOMIQUE POUR LA PHILHARMONIE ?

A. GOUVERNANCE ET DOMANIALITÉ

1. Une gouvernance qui doit respecter plusieurs contraintes

La question de la future gouvernance de la Philharmonie de Paris est également centrale mais fort complexe, dans la mesure où elle doit permettre de respecter le partenariat entre la Ville de Paris et l'Etat, tout en rendant possible des synergies avec la Cité de la musique.

A cet égard, auditionnés par votre rapporteur spécial, les représentants de la Ville de Paris ont expliqué pourquoi le grand auditorium ne pouvait s'envisager comme une simple extension de l'actuelle Cité de la Musique. Selon eux, la Philharmonie de Paris est un projet élaboré, décidé et co-financé entre la Ville et l'Etat. Il n'était donc pas possible de la concevoir comme une simple extension de la Cité, qui est un établissement public national, auquel la Ville n'est pas partie prenante , et qui n'a pas pour première mission la diffusion de la musique mais pour vocation originelle d'être un centre de ressources national dans le domaine de la musique.

De plus, ils ont font valoir que le projet d'une salle constituant une simple extension n'aurait pas pu être porté par la Ville de Paris, attachée au développement d'un projet autonome et emblématique de sa politique de diffusion de la musique s'appuyant sur un équipement comportant des studios, des salles de répétition, une grande salle modulable.

Autrement dit, la participation politique et financière de la Ville de Paris, à parité de celle de l'Etat, n'aurait pas été envisageable dans le cadre d'un programme caractérisé uniquement par l'achèvement d'un bâtiment de l'Etat remis en dotation à un établissement public national . Enfin, il leur paraît stratégiquement et symboliquement important que la Philharmonie de Paris, « projet architectural, scientifique, culturel innovant, ne soit pas considérée comme une simple extension d'un opérateur de l'Etat, mais comme une structure sui generis ».

Pour autant, ils reconnaissent que la Philharmonie, sans être une extension de la Cité de la musique, devra lui être complémentaire.

2. Le « casse-tête » de la forme juridique de la Philharmonie de Paris et les relations avec la Cité de la musique

La question de la gouvernance est indissociablement liée à celle du futur statut juridique de la Philharmonie. Là encore, du fait de la complexité du dossier, plusieurs hypothèses ont été évoquées avant d'être écartées :

1 - le maintien de l'association « Philharmonie de Paris » : dans cette hypothèse, les statuts de l'association auraient été modifiés pour permettre à la Cité de la musique d'en prendre sa direction, de façon à assurer la cohérence recherchée en matière de programmation. Mais cette construction présentait un obstacle, le droit de la commande publique rendant impossible la réalisation de l'objectif de mutualisation des besoins : toute convention conclue entre l'Association et la Cité de la musique ne pourrait être que requalifiée en marché public et nécessairement être préalablement soumise à la concurrence ;

2 - la création d'un établissement public de coopération culturelle (EPCC) « Philharmonie de Paris » en lieu et place de l'association - hypothèse explicitement visée dans les statuts de l'association -, avec un conseil d'administration constitué à parité de représentants de la Ville et de l'Etat et un directeur général qui cumulerait cette fonction avec celle de directeur de l'établissement de la Cité de la musique : pour mémoire, les EPCC ont pour but de permettre à plusieurs collectivités publiques une mise en commun de leurs moyens et une gestion commune de l'entité culturelle. Toutefois, cette solution présentait plusieurs inconvénients, dont deux particulièrement dirimants pour l'Etat. D'une part, l'initiative de la création d'un EPCC ne peut relever de l'Etat : elle est réservée aux seules collectivités territoriales. D'autre part, au sein d'un EPCC, l'Etat ne maîtrise pas la procédure de nomination du directeur ni celle du président ;

3 - la mise en place d'un groupement d'intérêt public (GIP) « Culture » associant l'Etat et la Ville de Paris : les dispositions légales et réglementaires relatives aux GIP restant générales et relativement peu contraignantes ne faisaient pas obstacle à la mise en place d'une direction du GIP confiée à la Cité de la musique permettant de répondre à l'objectif de cohérence artistique. Cependant plusieurs raisons ont motivé l'abandon de cette hypothèse :

- une durée d'existence courte du GIP : la période d'existence d'un GIP doit être déterminée et, même si la loi ne fixe aucune durée maximale, la pratique enseigne que la vie des GIP est courte (5 à 10 ans) ;

- l'impossibilité pour un GIP de disposer d'un personnel propre autrement qu'à titre subsidiaire : il en résulte que le personnel d'un GIP est nécessairement constitué de personnes qui lui sont affectées par les collectivités membres, dispositif inadapté à une gestion pérenne de la Philharmonie de Paris ;

- une réelle incertitude juridique sur le régime de propriété du bâtiment et sur la possibilité, pour ce GIP, d'être déclaré cessionnaire ou affectataire de l'emprise domaniale de la Philharmonie de Paris ;

4 - la création d'une société par actions simplifiées (SAS) : dans une telle hypothèse, la SAS se substituerait à l'association qui, après transfert de la totalité de son patrimoine, serait dissoute. Cette nouvelle société coexisterait avec la Cité de la musique. Le statut juridique de la SAS offre des particularités répondant aux objectifs recherchés. En effet, la dissociation possible entre la détention du capital et la gouvernance de la société, la grande liberté d'organisation de ses organes de direction et les dispositifs de contrôle du capital permettent :

- la mise en place d'un conseil de surveillance réunissant les représentants de l'Etat et de la Ville de Paris, auxquels sont conférés de larges pouvoirs de consultation préalables et obligatoires ;

- un partenariat privilégié avec la Cité de la musique, détentrice du capital social de la SAS à parité avec la Ville de Paris, propre à assurer la cohérence artistique des deux établissements, autorisant la conclusion de conventions « in house » entre eux et rendant possible une direction générale commune.

En revanche, le recours à une SAS soulèverait également des difficultés, notamment en matière patrimoniale , du fait de la nécessité d'obtenir de l'Etat une autorisation d'occupation temporaire constitutive de droits réels.

Le schéma institutionnel de la Philharmonie de Paris a donc fait l'objet d'une série d'études juridiques afin d'envisager tous les modes de gestion et, pour chacun d'entre eux, d'en examiner la pertinence au regard des principaux objectifs de gouvernance du projet, à savoir un partenariat paritaire entre l'Etat et la Ville de Paris, la recherche d'une cohérence artistique, la réalisation d'économies d'échelle avec la Cité de la musique et la prise en compte de la participation de la région .

Par lettre du maire de Paris au Ministre de la culture et de la communication en date du 22 mars 2012, il a finalement été retenu l'hypothèse consistant à créer un établissement public sui generis dépendant à la fois de l'Etat et de la Ville de Paris, et lié par un accord de coopération avec la Cité. Le ministère de la culture et de la communication a fait part de son approbation sur cette proposition . La création de cet établissement public « sur mesure » passera nécessairement par la loi. En effet, l'article 34 de la Constitution dispose que la loi fixe les règles concernant la création des catégories d'établissements publics. Le législateur devra notamment préciser la notion de double rattachement (à l'Etat et à la Ville de Paris) et définir toutes les règles constitutives de cette nouvelle catégorie d'établissement public.

C'est la Ville de Paris qui a, après une analyse et une concertation entre toutes les directions concernées, écarté l'option d'une société par actions simplifiées (SAS) , qui, selon elle, aurait pu conduire la Philharmonie de Paris à devenir une filiale de la Cité de la musique, au même titre que la Salle Pleyel l'est actuellement. Cette hypothèse permettait certes une souplesse de gestion et facilitait la mutualisation entre la Cité de la musique et le futur grand auditorium ; mais elle rendait trop fragile le nécessaire équilibre dans la tutelle entre Ville de Paris et Etat . Elle fermait aussi la porte à la réflexion en cours sur les modalités plus ou moins importantes d'intégration de l'Orchestre de Paris à la nouvelle structure ( cf . infra ). Enfin, du point de vue comptable, comme l'a noté la Cour des comptes, si la société par actions simplifiée est plus souple et plus adaptée à une gestion commerciale, en cas de déficit, elle bénéficierait d'une subvention indirecte de l'Etat en déduisant ses pertes du résultat imposable à l'impôt sur les sociétés.

A l'inverse, l'Etat était très favorable à la création d'une filiale de la Cité de la Musique, pour des questions de simplicité notamment .

Ces questions sont essentielles car du statut juridique de la Philharmonie dépendra la nature de la propriété de l'établissement . La création d'un établissement public sui generis permettrait a priori de régler ce problème : l'établissement public serait propriétaire du bâtiment pendant toute la durée de son exploitation.

En tout état de cause, la rédaction des textes relatifs à la forme juridique et à la propriété de la Philharmonie s'annonce comme un chantier juridique d'ampleur .

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