c) Mobiliser plus efficacement les aides à l'emploi ?
De manière apparemment paradoxale, les dispositifs d'aides à la création d'entreprise fonctionnent de telle sorte que l'apport en capital peut s'avérer plus aisé pour des salariés licenciés que pour des salariés menacés de licenciement.
Ainsi, un demandeur d'emploi indemnisé au titre de l'assurance chômage peut en effet bénéficier de l'Aide à la reprise ou à la création d'entreprise (ARCE). Il s'agit d'une aide financière, versée par Pôle emploi, dont le montant représente 45 % du reliquat des allocations de chômage auxquelles aurait pu prétendre le demandeur d'emploi à la date de création ou de la reprise d'entreprise. C'est un dispositif assez largement utilisé, puisqu'en 2009 Pôle emploi a distribué l'ARCE à plus de 110 000 demandeurs d'emploi, pour un montant moyen de 6 089 euros par personne.
L 'ARCE a cependant l'inconvénient de ne pas pouvoir être mobilisée de manière préventive . Il faut en effet attendre que le salarié/repreneur ait été licencié de son entreprise, elle-même préalablement placée en liquidation judiciaire, pour que l'ARCE puisse lui être versée. Or, attendre la liquidation judiciaire pour reprendre une entreprise fragilise les conditions économiques du redémarrage, puisque la plupart du temps l'outil de production s'est arrêté de tourner et les clients se sont tournés vers des solutions alternatives. Par ailleurs, la nouvelle société ne peut intervenir que dans le cadre d'une reprise d'éléments isolés de l'actif de la société en liquidation judiciaire et non pas dans le cadre d'un plan de cession d'une branche d'activité.
Ces inconvénients militent, du point de vue de la fédération des SCOP, dans le sens d'une évolution du régime de l'ARCE, afin que cette aide puisse être versée aux personnes salariées d'une entreprise soumise à l'une des procédures de sauvegarde, de redressement ou de liquidation judiciaires prévues aux titres II, III et IV du livre VI du code de commerce lorsque ces personnes reprennent tout ou partie de cette entreprise. Cela permettrait d'aider les salariés à pérenniser leur emploi au lieu de les aider à le recréer après qu'il a été détruit.
On peut remarquer que cette logique préventive plutôt que réparatrice existe d'ailleurs d'ores et déjà dans le cadre d'autres dispositifs d'aide à la création/reprise d'entreprise :
- ainsi, l' Aide aux chômeurs créateurs ou repreneurs d'entreprise ( ACCRE) , qui prend la forme d'une exonération de charges sociales pendant un an pour les créateurs/repreneurs d'entreprise, peut être attribuée aux salariés qui reprennent leur entreprise en redressement ou liquidation judiciaire . Ses conditions d'attribution sont donc plus souples que celles de l'ARCE et permettent une intervention en amont de la perte d'emploi ;
- il en va de même du Nouvel Accompagnement pour la Création et la Reprise d'Entreprise ( NACRE ), qui permet à des porteurs de projet d'obtenir un prêt personnel sans intérêt remboursable dans un délai maximum de 5 ans, dès lors que le projet est également accompagné par un financement bancaire. Tout comme dans le cas de l'ACCRE, sont éligibles aux prêts NACRE les salariés qui reprennent leur entreprise en redressement ou liquidation judiciaire.
La proposition de la CGSCOP est donc d'aligner les conditions d'attribution de l'ARCE sur celle de l'ACCRE et du NACRE.
Votre rapporteur estime que cela constitue une piste de réflexion intéressante, qui mérite cependant d'être encore travaillée .
En effet, l'ARCE, versée par Pôle emploi, est financée par l'UNEDIC. Ses fondements juridiques sont donc conventionnels. Une réforme de l'ARCE suppose par conséquent de convaincre les partenaires sociaux gestionnaires de l'UNEDIC. Or, il faut remarquer qu'un versement préventif de l'ARCE constituerait un bouleversement des missions du régime d'assurance chômage. Dans une logique assurantielle, l'indemnisation intervient en effet en cas de survenue du sinistre, pas avant. C'est le passage au statut de demandeur d'emploi qui jusqu'à présent est le fait générateur des droits à indemnisation (droits dont l'ARCE n'est jamais qu'une modalité particulière de versement). Anticiper le versement de l'ARCE, ce n'est donc pas simplement anticiper le décaissement de certaines sommes : c'est passer à un système où des chômeurs potentiels auraient des droits à indemnisation. Par ailleurs, une éventuelle transformation de l'ARCE en aide préventive ne peut être envisagée sans la réalisation préalable d'une étude d'impact approfondie sur ses conséquences financières. Selon les données de l'INSEE, le nombre de défaillances d'entreprises 15 ( * ) en 2009 et 2010 a en effet dépassé 60 000 : le champ d'application d'une réforme de l'ARCE est a priori donc très large.
Au total, l'idée de favoriser les conditions d'une reprise d'entreprise en apportant aux salariés un appui qui anticipe sur les risques de liquidation constitue assurément une voie à privilégier, car une action préventive est toujours plus efficace et moins chère qu'une action réparatrice. Cependant, faire entièrement porter le poids de cette politique à l'UNEDIC est discutable. On peut certes réfléchir aux possibilités d'associer l'UNEDIC à des interventions préventives en vue de pérenniser des emplois manifestement menacés (c'est le cas lorsqu'une entreprise est concernée par une procédure de sauvegarde), mais à condition de trouver des modalités juridiques et financières adaptées. En tout état de cause, si l'intervention de l'UNEDIC ne semblait pas possible, il conviendrait d'imaginer un dispositif public de prévention, comparable à l'ARCE, qui pourrait être mobilisé dans les cas où le sauvetage à travers une reprise par les salariés serait avéré, singulièrement sous forme de SCOP qui garantit une certaine pérennité des investissements ainsi consentis.
Il serait de plus indispensable que le dispositif NACRE évolue vers une troisième dimension à savoir la reprise collective d'entreprise. Actuellement le dispositif NACRE concerne soit des projets individuels, soit des projets collectifs. Ce dernier type de projet est en fait conçu comme l'addition de projets individuels, notamment en ce qui concerne les sommes affectées au projet qui s'exprime par individu et non par projet. On notera que ce troisième volet avait été annoncé lors de la mise en place du dispositif, mais n'a pas à ce jour été développé.
* 15 Une entreprise est en situation de défaillance ou de dépôt de bilan à partir du moment où une procédure de redressement judiciaire est ouverte à son encontre. Cette procédure intervient lorsqu'une entreprise est en état de cessation de paiement, c'est-à-dire qu'elle n'est plus en mesure de faire face à son passif exigible avec son actif disponible. Il ne faut pas confondre la notion de défaillance et la notion de cessation. Un jugement d'ouverture de procédure de défaillance (dépôt de bilan d'une entreprise inscrite dans le cadre d'une procédure judiciaire) ne se résout pas forcement par une liquidation. La notion de cessation correspond à l'arrêt total de l'activité économique d'une entreprise. Toutes les défaillances ne donnent pas des cessations. Toutes les cessations n'ont pas donné lieu à une défaillance. Les liquidations suite à une défaillance ne représentent qu'une partie de l'ensemble des cessations d'entreprises, de l'ordre de 20 % mais variable avec le temps et les secteurs d'activité (source INSEE).