2. Un révélateur des fortes disparités de situations entre établissements
Le déploiement de la T2A a-t-il amélioré ou détérioré la situation, notamment financière, des établissements de santé ?
Cette question, formulée de manière aussi générale, manque en partie de pertinence pour les raisons précédemment évoquées. La ressource hospitalière globale résulte de l'Ondam, la T2A ne fait qu'en déterminer la répartition en s'appuyant sur des données d'activité. Par ailleurs, la T2A s'applique à plus de mille deux cents établissements, très différents par leur taille, leur statut, leur histoire, leur place dans leur environnement territorial ou leurs activités.
Il est clair que la T2A a entraîné des redistributions de ressources entre établissements . Certains y ont donc « gagné » alors que d'autres y ont « perdu ».
Toutefois, la montée en charge de la T2A aura été progressive. Sa part dans le financement est passée de 10 % à 50 % entre 2004 et 2007, puis à 100 % en 2008, mais l'impact de cette accélération a en partie été compensé par les « coefficients de transition » qui ont été appliqués jusqu'en 2011, une partie du financement, les Migac, continuant en outre à s'effectuer sous la forme de dotations.
Sur la période 2005-2011, la DGOS évalue la redistribution entre établissements à 140 millions d'euros dans le secteur privé lucratif et à 1,3 milliard d'euros , dont 540 millions entre 2008 et 2011, dans les secteurs public et privé à but non lucratif .
Ces montants sont à rapprocher du montant total des ressources attribuées aux établissements entrant dans le champ de la T2A, qui était proche de 55 milliards d'euros en 2011. L'effet redistributif lissé dans le temps n'est donc ni négligeable ni déterminant.
Pour une part, cette redistribution répond à un souci d'équité, en remédiant à des inégalités historiques entre établissements et en permettant à l'activité de mieux s'ajuster aux besoins de santé à l'échelle des territoires.
Mais elle a aussi révélé et accentué des handicaps propres à certains établissements et sur lesquels ceux-ci, malgré tous leurs efforts de gestion, n'ont que peu de prise.
En effet, la T2A repose sur un financement moyen alors que les case-mix sont très différents selon les établissements.
Les établissements situés dans des bassins à faible densité de population sont peu susceptibles de développer leur activité. En leur appliquant des tarifs établis sur la base d'une hausse prévisionnelle d'activité, on provoque inévitablement une érosion de leurs ressources les entraînant sur une pente déficitaire. En tout état de cause, en l'absence de mesures correctrices, un établissement dont le bassin de population ne lui permet pas d'avoir une activité correspondant à ses coûts demeurera dans une situation difficile.
La démographie médicale est un autre facteur exogène qui, du fait de la T2A, influe directement sur la situation financière des établissements. Les difficultés de recrutement de praticiens, rencontrées dans nombre de territoires, ont un impact négatif sur l'activité et accentuent les « taux de fuite » vers les structures des grands centres urbains. En outre, les établissements les plus confrontés à cette pénurie de praticiens doivent recourir à l'intérim médical, avec des surcoûts extrêmement importants . Les médecins intérimaires bénéficieraient de rémunérations jusqu'à trois fois supérieures à celles des praticiens statutaires. On peut alors véritablement parler d' une spirale du déficit , que l'établissement peut difficilement contrecarrer seul.
Ces fortes disparités de situation sont tout à fait indépendantes de l'efficience des établissements. Elles sont le plus souvent inhérentes à la nécessité non contestée d'assurer un accès aux soins sur des territoires aux caractéristiques démographiques et économiques moins favorables que la moyenne. Non seulement elles semblent mal prises en compte par l'actuel mode de financement, mais celui-ci a plutôt tendance à les accentuer ; une aide à la contractualisation, à la disposition des ARS, existe bien pour maintenir une activité déficitaire identifiée dans des zones spécifiques, mais son montant a difficilement atteint 35 millions d'euros en 2010, dont la moitié pour les départements d'outre-mer.
Une étude relative aux effets de taille et de gamme a été lancée en 2010 sous l'égide de la DGOS. Il s'agissait moins d'évaluer les effets de la tarification au regard des caractéristiques des établissements que de s'intéresser à l'influence éventuelle de la taille des structures et de la gamme d'activité sur les coûts de réalisation des soins. Cette étude n'a pas débouché sur une conclusion significative concernant les économies d'échelle ou au contraire les surcoûts résultant de ce type de facteur.
Cette étude vient d'être recentrée sur la problématique beaucoup plus prégnante des handicaps géographiques . Il s'agit d'évaluer si des établissements isolés géographiquement, de taille réduite et à la patientèle limitée, peuvent véritablement atteindre l'équilibre économique dans le système de la tarification à l'activité, et d'envisager le cas échéant les modalités de financement complémentaires adéquates. On peut penser que cette étude confirmera la pénalisation dont souffrent ces établissements. Elle devrait pouvoir en mesurer l'ampleur afin d'y remédier rapidement.
Enfin, d'une manière plus générale, on peut remarquer que la logique de l'enveloppe fermée dans laquelle s'inscrit la T2A crée entre les établissements une interdépendance parfois antinomique à la volonté de dynamiser leur gestion.
Le fait que le mode de financement encourage individuellement les établissements à développer l'activité tout en les pénalisant collectivement par des blocages ou des baisses de tarifs est particulièrement difficile à admettre et a pu produire un effet démobilisateur auprès de certaines équipes médicales. De même, la régulation infra-annuelle, par l'annulation de dotations Migac, frappe indistinctement tous les établissements publics, donnant le sentiment que le système ne récompense pas les efforts réalisés.