III. LES EFFETS DES CONDITIONS ACTUELLES DE FINANCEMENT

Au cours de ses auditions et déplacements, la Mecss a recueilli de nombreuses appréciations relatives à l'impact de la mise en oeuvre de la T2A sur la situation, l'organisation et le fonctionnement des établissements de santé.

Avant de les exposer en détail, il convient de rappeler que la T2A reste avant tout un outil de répartition des ressources entre établissements. Sa conception et ses modalités d'application ne sont bien entendu pas neutres et peuvent influer, dans un sens positif ou négatif, sur l'évolution des établissements et de leurs activités.

Il est toutefois extrêmement difficile d'isoler les effets propres de la T2A, dans la mesure où elle interagit avec bien d'autres facteurs et où son introduction récente laisse encore trop peu de recul pour en analyser finement toutes les implications.

Qui plus est, la T2A s'est déployée en France dans un contexte de moindre progression de l'Ondam et alors que les établissements voyaient leurs charges financières s'accentuer du fait de la relance de l'investissement hospitalier. A l'inverse, elle a été mise en oeuvre en Angleterre alors que le NHS bénéficiait d'une progression de ressources sans précédent. Il faut donc veiller à relativiser l'influence du mode de financement lui-même au regard des décisions affectant le financement ou l'organisation du système hospitalier.

A. LES EFFETS SUR LES DÉCISIONS DE SOINS

1. La T2A produit-elle un effet inflationniste sur les actes et les prestations ?

L'effet inflationniste est généralement l'un des principaux risques associés à la tarification à l'activité. Par son principe même, la T2A incite à développer l'activité pour engranger des recettes supplémentaires.

Sur le plan macro-économique , l'intérêt de la question est tout relatif, dans la mesure où le financement des établissements de santé s'inscrit en France dans une enveloppe fermée . Le ministère de la santé fixe les tarifs en fonction d'une évaluation prévisionnelle de l'activité, de manière à ce que l'Ondam ne soit pas dépassé. S'il y a risque de dépassement, il applique le dispositif de régulation infra-annuel en annulant tout ou partie des dotations Migac gelées en début d'année.

Il est clair que les établissements se fixent des objectifs d'augmentation de leur activité puisqu'elle conditionne leurs financements. En outre, en raison du mécanisme de régulation prix/volume, les tarifs ont, dans la période récente, été réduits ou stabilisés, si bien qu'une activité stable peut se traduire par une réduction des ressources.

On constate aussi un effet « codage » , lié à une description plus complète des activités après quelques années de mise en place de la T2A. Pour autant, cet effet, qui a certainement pesé sur l'enveloppe tarifaire par une augmentation « artificielle » du volume, devrait atteindre un palier. Dans les prochaines années, la pression ainsi exercée devrait s'estomper et redonner un peu de marge de manoeuvre sur la grille des GHS.

En tout état de cause, les moyens mis en oeuvre pour assurer le respect de l'Ondam, à savoir le niveau des tarifs et les éventuelles annulations de dotations, ont un effet bien plus important que le mode d'allocation des ressources. L'Ondam a d'ailleurs été respecté durant deux années consécutives avec la T2A alors qu'il ne l'avait jamais été à l'époque de la dotation globale, bien que celle-ci soit théoriquement plus à même d'éviter tout dérapage financier.

C'est à l'échelle des établissements que cet effet inflationniste potentiel doit être analysé. Ceux-ci sont-ils tentés de s'engager dans une « course à l'activité », y compris en réalisant des prises en charge ou des actes inutiles ?

On peut estimer qu' une part significative de l'augmentation de l'activité tient à des facteurs indépendants du mode de tarification .

Elle correspond notamment à la satisfaction des besoins de santé, au vieillissement de la population ou au développement de certaines pathologies. Les séances de radiothérapie et de chimiothérapie comptent par exemple parmi les activités les plus dynamiques, sans que l'on puisse l'imputer à la T2A.

Lors des visites d'établissements, plusieurs praticiens ont également souligné l'importance des préoccupations de couverture médico-légale , qui pousseraient à réaliser davantage d'actes et d'examens au nom du principe de précaution et dans la perspective d'éventuels contentieux. Les évolutions de la jurisprudence donnent en effet quelque fondement à ce type de comportement.

Multiplier des actes dans le seul but d'obtenir des recettes supposerait une stratégie délibérée des praticiens qui s'affranchiraient des considérations strictement médicales alors même que, dans les secteurs public et privé à but non lucratif, leur rémunération est largement indépendante du volume d'activité réalisé.

Toutefois, plusieurs interlocuteurs de la Mecss ont estimé que cette tentation existait, qu'il s'agisse de séquencer les séjours ou de procéder à certains actes « marqueurs » de nature à majorer très sensiblement le produit de la tarification.

S'agissant du séquençage des séjours , il serait favorisé par le fait que lorsqu'un patient nécessite un nombre d'actes plus élevé que celui sur lequel est fondé le coût moyen du séjour, et donc le tarif, il est beaucoup plus intéressant financièrement pour l'établissement de procéder à deux séjours espacés de quelques jours et de percevoir ainsi une rémunération au titre de deux GHS.

Il faut toutefois préciser que la tarification prévoit un financement minoré de moitié du second séjour en cas de réhospitalisation après un délai de moins de trois jours dans le même établissement, ou après transfert dans un autre établissement.

L'Atih suit l'évolution du nombre de séjours par patient et cet indicateur reste très stable dans le temps, ce qui tendrait à minimiser l'importance des pratiques de découpage des séjours.

Ce suivi global ne suffit cependant pas à écarter totalement leur existence au sein de certains établissements. Une étude sur ce sujet est programmée par la DGOS en 2012. Par ailleurs, les informations transmises par les établissements permettent désormais de suivre la totalité des parcours hospitaliers d'un patient donné, quel que soit l'établissement de court ou de moyen séjour, sans toutefois dévoiler son identité. Il est ainsi possible d'identifier les établissements qui auraient un taux de patients ré-hospitalisés supérieur à la moyenne de la discipline, de procéder à des contrôles des dossiers médicaux et, le cas échéant, de faire prononcer des sanctions par le directeur général de l'ARS.

D'une manière plus générale, lors de son audition le 7 février dernier, la directrice générale de l'offre de soins a estimé que la T2A tendait à « développer l'activité au-delà du médicalement nécessaire sur un territoire donné » et elle détaillait les mesures mises en place ou envisagées pour contenir toute dérive, dans l'intérêt des finances publiques mais aussi des patients, en droit d'attendre un juste soin et d'être prémunis contre des interventions intempestives.

Des écarts très importants de niveau de prise en charge que rien ne permet d'expliquer étant observés sur certaines activités d'un territoire à l'autre , la Haute Autorité de santé (HAS) a été chargée d'élaborer des référentiels sur celles qui font l'objet des évolutions les plus anormales et des variations régionales les plus surprenantes. Une vingtaine d'actes et de séjours hospitaliers doivent ainsi faire l'objet de recommandations de bonne pratique sur les années 2012-2013. La HAS mène actuellement plusieurs études sur la pertinence des actes . Le premier référentiel porte sur la césarienne programmée et a été publié. Suivront des travaux sur l'appendicectomie, l'amygdalectomie, l'opération de la cataracte et la chirurgie orthopédique. Ces thématiques ont été retenues en fonction des fortes variations régionales des taux de recours, de leur poids financier et de la capacité à établir les référentiels et à cibler les pratiques non pertinentes.

Comme l'a reconnu devant la Mecss son président, lors de son audition le 11 avril dernier, l'élaboration de ces référentiels de bonne pratique présente une certaine urgence et conduira la HAS à accélérer les études en modifiant ses méthodes traditionnelles, qui se caractérisaient par une grande rigueur scientifique mais aussi une relative lenteur.

Le suivi de l'activité hospitalière et de son évolution entre également dans les attributions des agences régionales de santé . Un certain nombre d'entre elles ont engagé des actions visant à analyser les atypies constatées à l'échelle régionale, à partir de l'analyse des taux de recours 37 ( * ) . Cette démarche n'est cependant pas généralisée à ce jour et nécessite des interprétations méthodologiques fines, par exemple pour pondérer les résultats sur des critères populationnels.


* 37 Taux global du nombre de séjours hospitaliers rapporté au nombre d'habitants.

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