N° 684
SÉNAT
SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2011-2012
Enregistré à la Présidence du Sénat le 19 juillet 2012 |
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des affaires européennes (1) sur démocratie, finances, Europe : les déficits hongrois ,
Par M. Bernard PIRAS,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de : M. Simon Sutour , président ; MM. Michel Billout, Jean Bizet, Mme Bernadette Bourzai, M. Jean-Paul Emorine, Mme Fabienne Keller, M. Philippe Leroy, Mme Catherine Morin-Desailly, MM. Georges Patient, Roland Ries , vice-présidents ; MM. Christophe Béchu, André Gattolin, Richard Yung , secrétaires ; MM. Nicolas Alfonsi, Dominique Bailly, Pierre Bernard-Reymond, Alain Bertrand, Éric Bocquet, Gérard César, Mme Karine Claireaux, MM. Robert del Picchia, Michel Delebarre, Yann Gaillard, Mme Joëlle Garriaud-Maylam, MM. Joël Guerriau, Jean-François Humbert, Mlle Sophie Joissains, MM. Jean-René Lecerf, Jean-Louis Lorrain, Jean-Jacques Lozach, François Marc, Mme Colette Mélot, MM. Aymeri de Montesquiou, Bernard Piras, Alain Richard, Mme Catherine Tasca. |
Pays miné par une crise à la fois politique et économique, la Hongrie a fait le choix, en avril 2010, de l'alternance à l'occasion des élections législatives. Après huit années d'opposition, le Fidesz , formation de centre-droit, dirigée par M. Viktor Orbán, ancien Premier ministre de 1998 à 2002, était invité à reprendre la direction du gouvernement. Il dispose, à cet effet, d'une majorité des deux tiers au Parlement. Un tel succès a été interprété par la nouvelle équipe comme un blanc-seing pour une réforme en profondeur du pays. Alors que la priorité pouvait logiquement être accordée à la situation économique, la « révolution par les urnes » s'est principalement traduite par l'adoption d'une nouvelle Constitution et l'adoption d'une série de lois remettant en question le cadre habituel de protection des droits de l'Homme. La crise économique que traverse le pays a, quant à elle, été envisagée à l'aune d'une vision idéologiquement marquée, rompant avec le libéralisme jugé responsable de la crise pour redonner à l'État le plus de marges de manoeuvre.
S'il n'y a pas lieu, au sein de la commission des affaires européennes, de remettre en cause le résultat d'une élection, il était néanmoins important d'effectuer un état des lieux du pays, afin, notamment, d'observer si ce bouleversement politique était totalement compatible avec les engagements européens de la Hongrie, tant en matière économique que sur le plan des valeurs. C'est dans ce contexte qu'a été organisé un déplacement à Budapest du 28 au 30 mars dernier.
Ce rapport tire les enseignements des entretiens organisés sur place. Il a été complété par des auditions menées, à Bruxelles avec les équipes des commissaires européens en charge de dossiers en rapport avec la Hongrie, et à Paris avec les ambassadeurs de Hongrie, de Roumanie et de Slovaquie en France.
La Hongrie en quelques chiffres Superficie : 93 032 km 2 Population : 9 962 000 habitants PIB (2011) : 100,7 milliards d'euros PIB par habitant (2011) : 16 600 € Taux de croissance (2011) : 1,4 % Taux de croissance 2012 (prévision) : 0,5 % Taux de chômage (2011) : 9,8 % Taux d'inflation (2011) : 4 % Solde budgétaire (2011) : + 3,6 % Solde budgétaire (prévision 2012) : - 2,8 % Balance commerciale(2011) : 5,5 milliards d'euros Principaux clients : Allemagne (28,3 %), Royaume Uni (6 %), Italie (5,5 %), France (5 %), Autriche (5 %), Slovaquie (4 %), Roumanie (4 %), Pologne (4 %). Principaux fournisseurs : Allemagne (27 %), Fédération de Russie (7 %), Autriche (6 %), Chine (5 %), Italie (5 %), France (4 %), Pays-Bas (4 %), Pologne (4 %), Japon (2,9 %) |
I. UNE LECTURE PARTICULIÈRE DES DROITS DE L'HOMME
A. UNE LOI FONDAMENTALE SOURCE D'AMBIGUÏTÉS
1. Un nouveau contexte politique
Les élections d'avril 2010 se sont conclues par la victoire de la coalition conservatrice Fidesz - KDNP dirigée par Viktor Orbán au détriment du gouvernement sortant socialiste. Le mode de scrutin retenu permet de renforcer mécaniquement la représentation du parti arrivé en tête. Ainsi, avec 52,7 % des suffrages exprimés, le Fidesz a pu obtenir 263 des 368 sièges (soit 68 %) de l' Orszaggyules , le parlement monocaméral local. Le taux de participation assez faible, 46,66 % lors du second tour, fragilise par ailleurs un peu plus l'idée d'une adhésion massive de la population aux idéaux du Fidesz . Le parti socialiste - 19,3 % des suffrages - ne dispose, quant à lui, que de 59 parlementaires. Le Jobbik , formation d'extrême-droite, obtient, lui, 47 sièges. S'il ne peut contester à droite l'hégémonie du Fidesz , son entrée traduit la montée en puissance d'un parti neuf, séduisant une partie de l'électorat de droite via un programme simple : renforcement de la communauté, maintien de l'ordre et création d'emplois. Il instille une pression subtile sur le gouvernement, tenté de mettre en place une politique destinée à capter ses électeurs 1 ( * ) .
La défaite du parti socialiste, au pouvoir depuis 2002, est pour partie liée à la crise économique qui affecte le pays depuis 2004. L'incapacité du gouvernement à endiguer celle-ci a contribué à radicaliser la vie politique, bouleversant les positionnements idéologiques. La campagne de 2010 a ainsi opposé une gauche social-démocrate encline à la mise en oeuvre d'un programme de rigueur mais largement discréditée aux yeux de l'opinion publique, face à une droite désormais plus étatiste et appelant à une augmentation des allocations-chômage et des pensions de retraite.
La reconduction au pouvoir du parti socialiste (MSzP) du Premier ministre Ferenc Gyurcsany, en avril 2006, avait été suivie, quelques semaines plus tard, de l'adoption de mesures d'austérité destinées à combler un déficit budgétaire abyssal. La révélation publique, en septembre 2006, d'un discours prononcé à huis clos par le chef du gouvernement, dans lequel il avouait les mensonges de son équipe avant les élections quant à la réalité de la situation financière du pays et soulignait l'absence de réforme adaptée durant la précédente législature, a débouché sur une crise politique profonde, marquée par de violents incidents lors de manifestations organisées à Budapest. L'opposition a, dès lors, considéré le gouvernement comme illégitime. Le scrutin de 2010 a été le cadre d'une campagne extrêmement dure entre les forces en présence, tension qui n'a pas disparu depuis la victoire de la coalition dirigée par Viktor Orbán.
2. La victoire du Fidesz traduit un bouleversement idéologique qui n'est pas sans incidence sur la rédaction de la nouvelle Loi fondamentale
La victoire du Fidesz s'est traduite par le retour au pouvoir de Viktor Orbán, Premier ministre de 1998 et 2002 et défait par la suite aux élections législatives de 2002 et 2006. Ce double échec s'est notamment traduit par une radicalisation progressive de son discours, à l'origine de centre-droit. Cette dimension personnelle n'est pas à négliger pour tenter de comprendre les dispositions de la nouvelle Loi fondamentale hongroise mais aussi la législation que le gouvernement a mise en oeuvre dans la foulée. M. Orbán affiche, depuis 2002, de nombreuses réserves à l'égard des « experts », essentiellement des hauts fonctionnaires, qui l'entouraient jusque là et qu'il considère comme les responsables de sa défaite. Il privilégie, depuis, un mode de fonctionnement plus politique. Ces réserves affichées pour la technocratie ne sont pas anodines dès lors qu'il s'agit d'analyser le discours, par ailleurs dual, du Premier ministre à propos de l'Union européenne. Enclin à négocier à Bruxelles, son discours est beaucoup plus sévère à Budapest. On relèvera que l'aval donné par la Commission européenne aux prévisions budgétaires pour 2006, manifestement sous-évaluées, ont été interprétées par M. Orbán, comme un soutien implicite au gouvernement socialiste sortant, contribuant un peu plus, selon lui, à la défaite du Fidesz .
A ces paramètres éminemment personnels s'ajoute une prise en compte méthodique des frustrations de la population hongroise, vingt ans après la chute du système communiste. La campagne du Fidesz a su exploiter au mieux le ressentiment d'une large partie des Hongrois à l'égard d'une politique de libéralisation et d'ouverture du pays qui ne s'est pas traduite, selon elle, par une élévation du niveau de vie. Les Hongrois, qui se sont toujours considérés comme l'avant-garde de la démocratisation et de la modernité économique au sein de l'ancien bloc de l'Est, ont pris conscience que leur pays était désormais en retard par rapport à d'autres, à l'instar de la Slovaquie désormais membre de la zone euro.
La formation de Viktor Orbán, a également séduit une frange des électeurs en réveillant le souvenir de la Hongrie puissante du début du vingtième siècle, avant que la première Guerre mondiale et le traité du Trianon n'imposent une révision de ses frontières, la privant notamment d'un accès à la mer. Le traité du Trianon demeure, à ce titre, un élément structurant de la conscience collective hongroise. Le 90 ème anniversaire du traité, en juin 2010, a d'ailleurs donné l'occasion au Fidesz d'envoyer à Versailles 400 personnes pour manifester.
Cette conception quelque peu revancharde, tant à l'égard des précédentes équipes gouvernementales que de l'Histoire, permet de mieux comprendre le souhait du pouvoir de vouloir ouvrir nouvelle ère pour la Hongrie. Il fait notamment appel à un passé jugé glorieux pour mieux justifier une stratégie d'indépendance nationale qui se décline à tous les niveaux, politique comme économique. Ces références historiques assumées se retrouvent dans le préambule de la nouvelle Constitution hongroise, dénommé Proclamation de foi nationale. Selon ses rédacteurs, la nouvelle Loi fondamentale doit en effet permettre de définir l'identité hongroise.
La question de « l'autodéfinition de la Hongrie » n'est pas, pour autant, une nouveauté. Le premier gouvernement Orbán a ainsi fait adopter en 2000 une loi portant sur le souvenir du roi Saint-Etienne, considéré comme le fondateur de l'État hongrois, ainsi que sur la Sainte Couronne. Aux termes de cette loi, la Sainte Couronne, symbole de la « Constitution historique » de la Hongrie, devient un élément constitutif de la Hongrie reconnu par le droit.
La nouvelle équipe gouvernementale a souhaité poursuivre dans cette voie, estimant qu'il s'agissait là de la réponse adaptée à la crise politique, économique et morale que traverserait le pays depuis 2002. Ce faisant, le gouvernement Orbán propose une nouvelle vision de l'avenir : il n'entend pas seulement réformer le pays en vue de lui permettre de répondre à la crise économique et financière, mais bien restructurer et renforcer l'État qu'il considère comme étant en ruines, après huit ans de gestion socialiste. Le renforcement de l'État passe à, à ce titre, par une relecture de son passé en vue d'en souligner la puissance.
Il y a lieu de s'interroger sur les conséquences de cette volonté affichée de retour aux origines, notamment dans le discours tenu à l'égard de l'Union européenne par des membres du gouvernement ou de partenaires de la coalition au pouvoir. L'outrance verbale ne semble plus être l'apanage du seul Jobbik mais bien toucher le gouvernement, prompt à opérer certains raccourcis fâcheux. La mise en avant du passé vire, en effet, à la crispation identitaire lorsque le Premier ministre établit un parallèle, le 15 mars dernier à l'occasion de la fête nationale, entre l'occupation de son pays par les Habsbourg et la situation actuelle de son pays au sein de l'Union européenne. L'évocation des négociations ave les autorités européennes pour l'octroi d'une aide financière fait ainsi appel au souvenir du combat pour l'indépendance mené en 1848-1849.
Il convient, par ailleurs, de relever que seule la fin de la régence de l'amiral Horty (1920-1944) est explicitement condamnée par le Fidesz , pourtant prompt à dénoncer les crimes commis durant la période communiste. La Loi fondamentale indique, en effet, que la Hongrie n'a pas constitué un État souverain entre le 19 mars 1944, date de l'occupation du pays par la Wehrmacht et l'arrivée concomitante au pouvoir des Croix fléchées, parti fasciste jusque-là interdit, et la chute du régime communiste en 1989. C'est pourtant avant le 19 mars 1944 que la Hongrie, membre de l'Axe, a adopté de nombreuses mesures antisémites (interdiction des mariages mixtes, déchéance de la nationalité, quotas dans certaines professions), la franc-maçonnerie étant, dans le même temps, interdite. Il n'est sans doute pas anodin que la place du Parlement soit actuellement en cours de réhabilitation en vue de lui redonner les contours qu'elle avait en 1938, date à laquelle la Hongrie commence à récupérer, avec l'aide allemande, quelques territoires perdus avec le traité du Trianon (régions magyarophones en Tchécoslovaquie, puis Ruthénie subcarpatique en 1939 et Transylvanie du Nord en 1940, régions de la Vojvodine yougoslave l'année suivante).
Si cette lecture politique du passé et cette mise en avant de la nation hongroise se retrouvent au sein de la nouvelle Loi fondamentale, elles ne sont pas non plus sans incidence au plan sociétal. La résurgence encore limitée d'une forme d'antisémitisme, décelable pour partie dans les diatribes anti-européennes visant les « libéraux-cosmopolites » bruxellois, comme les difficultés d'intégration de la communauté rom ne sont, à cet égard, pas anodines.
3. La nouvelle Loi fondamentale hongroise
La nouvelle Loi fondamentale hongroise, adoptée par voie parlementaire le 18 avril 2011, a été ratifiée par le Président de la République le 25 avril suivant, date éminemment symbolique puisque marquant le premier anniversaire de la victoire aux élections législatives, qualifiées de « révolution par les urnes » par le nouveau gouvernement. Elle est entrée en vigueur le 1 er janvier dernier.
Les promoteurs du nouveau texte justifient son adoption par le fait que le changement de régime en 1989 ne s'était pas traduit par la mise en place d'une nouvelle Constitution. Le texte de 1949, qui reprend les termes de la Constitution soviétique de 1936, avait été alors révisé, au terme d'un compromis entre l'ancienne et la nouvelle élite politique. La révision a concerné une cinquantaine d'articles de la Constitution, et notamment ceux relatifs à l'élection du Président de la République ou des compétences de l'Assemblée nationale. La Cour constitutionnelle a, de son côté, interprété le texte ainsi révisé afin de préciser les nouvelles règles constitutionnelles, fondant ses décisions sur la Loi fondamentale mais aussi sur ce que son ancien président devenu ensuite Président de la République, Lázló Sólyom, dénommait la « Constitution invisible », soit des valeurs communes qui ne sont pas expressément mentionnées dans le texte. Ce travail jurisprudentiel a ainsi duré jusqu'au début des années 2000.
Les tentatives ultérieures de réformes constitutionnelle supposaient une majorité des deux tiers au Parlement qui s'est avérée introuvable jusqu'en 2010. C'est en ce sens que, fort de sa victoire aux élections législatives, le gouvernement Orbán s'est considéré comme mandaté par les électeurs pour rédiger un nouveau texte.
a) Un processus d'élaboration sujet à caution
La première critique concernant le texte concernait son processus d'élaboration. Une commission constituée de six experts, proches du gouvernement, avait été chargée, dans un premier temps, de préparer la réforme constitutionnelle. Un comité parlementaire ad hoc d'élaboration de la Constitution a, par la suite, été nommé. Présidé par un député KDNP, la majorité de ses membres est issue du Fidesz. Les députés socialistes et écologistes ont rapidement quitté ce comité, estimant que leur avis n'était pas pris en compte. Katalin Szili, ancienne présidente socialiste du Parlement, a in fine rejoint le comité, en dépit du boycott des formations de gauche. Dans son Avis sur la nouvelle constitution de la Hongrie , la Commission européenne pour la démocratie par le droit du Conseil de l'Europe, dite Commission de Venise, rappelle que pour qu'un processus constitutionnel soit pleinement légitime et abouti, il doit impérativement se dérouler dans un climat apaisé, les questions constitutionnelles devant se distinguer de « la vie politique courante ». La Commission de Venise regrette, à ce titre, qu'il n'ait pas été possible d'instaurer un « dialogue authentique » entre la nouvelle majorité et l'opposition au moment de l'élaboration du texte.
La consultation de la population a, quant à elle, été limitée à l'envoi de douze questions à chaque citoyen. Seuls 11 % des ces questionnaires ont été renvoyés. Un Collège national de consultation avait été chargé de préparer ce questionnaire. Il était composé de personnalités proches de la majorité, mais également de Mme Szili. La Commission de Venise a relevé, à ce titre, dans un premier avis adopté en mars 2011, les inquiétudes qu'avait pu susciter, au sein de la société civile, la procédure d'adoption de la nouvelle Loi fondamentale, estimant regrettable qu'elle n'ait pas été plus associée au débat.
b) Les « valeurs » hongroises
Avant la partie État qui détaille le fonctionnement des pouvoirs, la Loi fondamentale comporte trois chapitres - Profession de foi nationale, Fondements et Liberté et responsabilité - qui reprennent un certain nombre de valeurs historiques et philosophiques sur lesquelles repose supposément la Hongrie.
Les références au passé politique et religieux de la Hongrie ne doivent pas, pour autant, être surinterprétées. Le roi Saint-Etienne comme la langue magyare sont des éléments constitutifs d'une nation ancienne, elles ne suscitent pas de controverse sur la scène politique nationale. De même, si le texte relève le rôle déterminant de la religion chrétienne dans l'histoire de la Hongrie - la mention « Bénis les Hongrois, ô Seigneur » est même introduite -, il ne néglige pas les autres croyances et insiste sur leur nécessaire respect.
La multiplication des références historiques et l'évaluation de celles-ci ont néanmoins des incidences juridiques nettes. Les rédacteurs de la nouvelle Loi fondamentale ont ainsi considéré comme « nulle et non avenue » la Constitution communiste de 1949. Bien qu'aucune loi de lustration n'ait été adoptée en Hongrie, on peut comprendre pour partie ce rejet du passé. La formulation choisie n'est pourtant pas sans conséquence. Elle revient notamment à supprimer la base légale de toutes les normes adoptées avant l'adoption de la Loi fondamentale et à rejeter, dans le même temps, la jurisprudence de la Cour constitutionnelle. Le Parlement qui a adopté la nouvelle Loi fondamentale peut, lui aussi, d'ailleurs être considéré comme illégitime.
Un doute subsiste néanmoins quant à la valeur juridique à accorder à la Profession de foi nationale, dont la rédaction a été, en partie, motivée par des raisons politiques bien précises, comme indiqué plus haut. Si l'article R paragraphe 3 de la Constitution, indique, en effet, que « les dispositions de la Loi fondamentale doivent être interprétées conformément à la Profession de foi nationale, qui y est incorporée, ainsi qu'aux acquis de notre Constitution historique », le concept de Constitution historique demeure notamment assez vague.
Il convient d'être relativement circonspect à l'égard du dispositif retenu par le constituant hongrois, tant une Loi fondamentale ne saurait, par essence, fixer de façon définitive certaines « valeurs » quand celles-ci ne bénéficient pas d'un consensus sur leur définition au sein de la société et sont donc susceptibles d'évoluer avec le temps. Il en est ainsi de l'article L de la Constitution (chapitre Fondements ) qui définit le mariage comme « une union de vie fondée sur un engagement volontaire entre un homme et une femme ». Il en va de même avec l'article II du chapitre Liberté et Responsabilité , au terme duquel « toute personne a droit à la vie et à la dignité humaine ; la vie du foetus doit être protégée dès sa conception ». Cette obligation, qu'on peut considérer incompatible avec l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'Homme (CEDH), fragilise la législation hongroise en matière d'avortement.
Il y a, par ailleurs, lieu de s'interroger dès lors que le texte constitutionnel n'incorpore pas, au sein d'une liste qui peut apparaître exhaustive, un certain nombre de principes pourtant consacrés par la CEDH et la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, quand bien même le chapitre Liberté et Responsabilité reprend en partie la structure de ladite Charte. Il est ainsi regrettable que l'abolition de la peine de mort ne figure pas dans la Constitution. L'article XV de la Loi fondamentale omet également l'interdiction de toute discrimination, celles ayant pour fondement l'orientation sexuelle. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme devrait néanmoins pousser le juge constitutionnel hongrois à intégrer l'orientation sexuelle dans le champ de la non-discrimination.
On relèvera, en outre, que le substrat idéologique du Fidesz pendant la campagne de 2010 transparaît dans la rédaction du chapitre Liberté et responsabilité . Si la CEDH et la Charte de l'Union européenne mettent en avant l'individu et sa dignité, le texte constitutionnel consacre plus les devoirs du citoyen à l'égard de la communauté que les obligations de l'État vis-à-vis des citoyens. Une telle orientation de la Loi fondamentale dénote bien le rejet politique du libéralisme et de l'individualisme, mis en avant par le précédent gouvernement. La Commission de Venise a, à ce titre, souligné le fait que l'article IX de la nouvelle Constitution ne garantit pas la liberté de la presse. L'État fixe lui-même les contours de cette liberté, puisque l'article renvoie à une loi organique le soin de fixer les règles détaillées relatives à ses conditions d'exercice.
La réaffirmation des valeurs promues par le Fidesz n'est pas sans lien avec sa conception de l'Union européenne. L'Europe a mis en doute, selon le Premier ministre, ses valeurs fondamentales, elle « va progressivement devenir comme l'alcool : elle est source d'inspiration en vue de la réalisation de grands desseins et empêche ensuite leur réalisation ».
c) Un régime théoriquement parlementaire
La nouvelle Loi fondamentale reprend dans une large partie le précédent texte constitutionnel. Le régime demeure parlementaire, le Premier ministre ne pouvant néanmoins être renversé qu'à la condition qu'un successeur soit simultanément désigné. L'initiative des lois est partagée entre le Gouvernement et le Parlement.
Le Président de la République est élu pour cinq ans par l'Assemblée nationale. Le chef de l'État, également chef des armées, dispose, quant à lui, d'un rôle d'arbitre. Il propose à l'Assemblée le nom du Premier ministre afin que celle-ci l'élise. Il dispose du droit de dissolution.
La suppression de la référence à la République dans le nom officiel du pays, la République de Hongrie devenant Hongrie, n'a en fait pas de réelle incidence sur le caractère du régime, au moins au plan théorique.
La Constitution autorise le referendum d'initiative populaire, sans toutefois qu'il ne puisse permettre une révision de la Constitution. Une telle option suscite des interrogations quant à la légitimité d'éventuelles nouvelles modifications de la Loi fondamentale ou sur les difficultés à pouvoir amender une disposition suscitant une controverse au sein de la population.
Comme le souligne la Commission de Venise dans son Avis, le texte de la nouvelle Loi fondamentale souffre à la fois d'un manque de clarté et de précision, tant dans l'enchaînement entre les dispositions que dans le fait qu'il laisse trop fréquemment à des lois organiques le soin de définir précisément un certain nombre de règles de fonctionnement. L'adoption d'une cinquantaine de lois organiques est ainsi annoncée par la Loi fondamentale, ce qui suppose une majorité des deux tiers des voix des députés présents.
La Commission de Venise s'interroge, par ailleurs, sur la création d'un Conseil budgétaire prévu par l'article 44.4 de la Constitution. Celui-ci est composé d'un président, nommé par le chef de l'Etat pour six ans, du président de la Banque centrale de Hongrie et de celui de la Cour nationale des comptes. Seul ce dernier est élu par le Parlement. Le Conseil budgétaire participe à la préparation de la loi sur le budget national et l'approuve avant son adoption, lui conférant un véritable « droit de veto ». Celui-ci peut laisser songeur de la part d'un organe ne disposant pas d'une légitimité démocratique certaine, alors que le vote du budget constitue une des caractéristiques principales du régime parlementaire.
L'article 23 de la Constitution habilite, par ailleurs, le Parlement à créer par loi organique des autorités indépendantes de régulation. Si les rédacteurs du texte insistent pour souligner que cette disposition est motivée par la volonté de créer les institutions indépendantes demandées par l'Union européenne, il convient de souligner que cette référence à l'acquis communautaire n'est pas mentionnée dans le texte et qu'il existe une crainte réelle quant à la multiplication de telles instances, réduisant de facto les pouvoirs du Parlement.
L'article 24, qui concerne la Cour constitutionnelle, entérine la limitation des pouvoirs de cette juridiction entamée depuis l'arrivée au pouvoir du Fidesz . Suite à l'annulation de deux mesures fiscales du nouveau gouvernement, un amendement constitutionnel adopté en novembre 2010 avait ainsi limité le contrôle de constitutionnalité concernant le budget de l'État. L'article 37.4 de la nouvelle Loi fondamentale reprend cet amendement en interdisant à la Cour de se prononcer sur les textes ayant un impact sur le budget tant que la dette publique dépasse 50 % du PIB. Le droit de veto attribué au Conseil budgétaire restreint, par ailleurs, les pouvoirs de la Cour constitutionnelle. Il convient de rappeler que les 15 membres de la Cour, contre 11 auparavant, sont élus directement par l'Assemblée nationale à la majorité des deux tiers pour une durée de 12 ans, contre 9 auparavant. Le président de la Cour est également élu par l'Assemblée nationale, alors qu'il était, jusque là, élu par ses pairs.
On relèvera, enfin, que le mécanisme de protection des droits fondamentaux est également modifié par la nouvelle Constitution. Alors que le texte précédent mettait en place quatre commissaires parlementaires ou médiateurs spécialisés chargés de garantir ces droits, l'article 30 de la nouvelle Loi fondamentale leur substitue un médiateur unique, élu par l'Assemblée nationale. Cette réduction du dispositif n'est pas sans susciter d'inquiétude quant à une éventuelle diminution des garanties actuelles de protection et de promotion des droits.
d) Le cas des minorités hongroises
L'article D du chapitre Fondements de la nouvelle Loi fondamentale dispose que « guidée par la cohésion d'une nation hongroise unie, la Hongrie porte la responsabilité des Hongrois vivant hors des frontières du pays ». Elle aide, à cet effet, au développement de leur communauté et soutient les efforts déployés pour « maintenir leur magyarité » et créer des « organes collectifs d'autogestion ».
Si la Loi fondamentale rappelle à l'article Q la compatibilité entre le droit interne et le droit international, il semble cependant que les dispositions de l'article D soient contraires à ce dernier, puisqu'il ne peut appartenir à la Hongrie de décider si les minorités magyares à l'étranger peuvent créer leurs propres institutions représentatives. Celles-ci pourraient être légitimement envisagées par les pays hôtes comme la première étape vers un irrédentisme.
De telles dispositions ne sont pas sans risque pour l'avenir des relations de la Hongrie avec ses voisins où vivent d'importantes communautés hongroises. C'est notamment le cas de la Roumanie et de la Slovaquie, tous deux membres de l'Union européenne, mais aussi de la Serbie. L'inscription dans le marbre constitutionnel de la question des minorités hongroises à l'étranger représente cependant un aboutissement pour le gouvernement Orbán. Son premier passage au pouvoir avait déjà été marqué par la volonté de conférer un statut aux personnes d'origine hongroise vivant à l'étranger, via l'octroi d'une carte d'identité, sans valeur juridique. La première loi présentée devant le nouveau Parlement en mai 2010 concernait la double nationalité. Adopté le 20 août, jour de la Saint-Etienne, le texte supprime la condition de résidence pour l'acquisition de la nationalité hongroise et facilite la naturalisation de personnes disposant d'un ascendant hongrois ou qui estiment probable leur origine magyare et démontrent, à cet effet, « une connaissance de la langue ». L'ambition du texte est de permettre aux plus jeunes de solliciter l'octroi de la nationalité hongroise, si un membre de leur famille était Hongrois avant le traité de Trianon.
Le nombre de Magyars vivant hors du pays a considérablement diminué depuis 1920, passant de 3 millions de personnes à 1,6 million en 2010. Ce chiffre demeure relativement important au regard de la population de la Hongrie qui atteint à peine 10 millions d'habitants. La distribution de passeports hongrois dans les pays voisins de l'Union européenne n'est pas sans conséquence pour l'espace Schengen dont est membre la Hongrie : Serbes ou Ukrainiens possédant la double nationalité peuvent désormais y évoluer sans contrainte.
Les minorités magyares en Europe en 2010
Pays |
Population hongroise en millions d'habitants |
Pourcentage de la population totale |
Roumanie |
1 447 544 |
6,7 |
Slovaquie |
500 000 |
9,4 |
Serbie |
355 000 |
4,8 |
Ukraine |
156 600 |
0,3 |
Autriche |
40 583 |
0,5 |
Croatie |
22 355 |
0,48 |
Slovénie |
7 713 |
0,4 |
(source : Nouvelle gazette de Hongrie)
La minorité hongroise représente 6,7 % de la population roumaine. Elle est surtout présente au centre du pays (à l'extrémité de l'ancienne Transylvanie hongroise) et s'avère déjà bien intégrée, représentée au Parlement local mais aussi au gouvernement. Bucarest et Budapest ont, par ailleurs, noué dans le passé un accord de partenariat qui a mis en place une commission binationale sur le sujet, chargée notamment de trouver des solutions aux problèmes administratifs posés par l'installation ou la vie de la minorité roumaine en Hongrie et de la minorité hongroise en Roumanie. L'introduction dans la Loi fondamentale de dispositions frôlant l'ingérence traduit, de fait, plus une vision idéologique qu'un réel constat des problèmes que pourrait rencontrer la minorité magyare. La nostalgie de la grande Hongrie d'avant 1920 sous-tend l'insertion d'une telle mention dans le texte constitutionnel.
Le projet de transfert des cendres de l'écrivain Jószef Nyiro de Roumanie vers la Hongrie annoncé par le Parlement hongrois est assez révélateur de cette nouvelle stratégie du Fidesz à l'égard des minorités hongroises. Décédé en Transylvanie roumaine en 1953, cet écrivain a été député entre 1941 et 1944 à l'époque où la Transylvanie était rattachée à la Hongrie. Proche des fascistes, il a fui dans un premier temps l'Armée rouge en se réfugiant en Espagne. Il a, depuis l'arrivée du Fidesz au pouvoir, été inscrit au programme des lycées. Les autorités roumaines se sont opposées à un tel transfert, créant une polémique entre les deux gouvernements. Au-delà de ce nouveau clin d'oeil à l'extrême droite, il semblerait que cette polémique serve avant tout à victimiser un peu plus la minorité hongroise en Roumanie et relancer ainsi le parti civique hongrois de Roumanie, en perte de vitesse.
La peur d'un sécessionnisme est assez nette en Slovaquie où la minorité hongroise représente près de 10 % de la population totale. Les nouvelles dispositions magyares viennent fragiliser une relation parfois délicate entre les deux États depuis la fin de la première guerre mondiale et l'éclatement de la grande Hongrie. Un accord bilatéral de 1995 a néanmoins jeté les bases d'une coopération entre Bratislava et Budapest, la question de la minorité hongroise étant couverte par ce document. La Slovaquie reconnaît, par ailleurs, le bilinguisme dans les communautés où les minorités nationales représentent plus de 20 %. Les deux chefs de gouvernement hongrois et slovaque se sont, par ailleurs, entendus ces derniers mois pour mettre en place un programme commun d'infrastructures de transport de marchandises et d'énergie entre les deux pays. Pourtant, malgré ces avancées réelles, la loi hongroise sur la nationalité a été perçue comme une provocation par le gouvernement slovaque qui a adopté dans la foulée une loi interdisant la double nationalité pour ses ressortissants.
A contrario , il y a lieu de s'interroger sur les dispositions de la Profession de foi nationale sur les minorités ethniques vivant en Hongrie. Si le texte indique que « les minorités ethniques vivant avec nous » font partie intégrante de la communauté politique hongroise et de l'État, cette disposition a du mal à s'articuler avec la première phrase de la Profession de foi : « Nous, membres de la nation hongroise ». Il résulte de cette distinction que la Constitution reflète plus la volonté du groupe ethnique dominant que de celle de l'ensemble des citoyens. Cette prime à la magyarité, déclinée dans toute la Profession de foi nationale ne semble pas sans risque sur l'intégration des autres communautés. Il conviendra, à cet égard, d'être vigilant sur le cas des Roms en Hongrie, environ 700 000 personnes (7 % de la population locale), dont la moitié est en situation d'extrême pauvreté 2 ( * ) .
e) Au delà du texte, la question de la pratique du pouvoir
La controverse sur le caractère démocratique du nouveau régime politique tient peut-être moins à la Loi fondamentale qui le régit qu'à une conception du pouvoir et à une pratique. La multiplication des lois organiques, plus délicates à adopter et donc à réviser, ne sera pas, ainsi, sans incidence, à l'avenir, sur la possibilité pour une autre majorité de réformer le pays dans une autre direction. Avant cela, il convient également de s'interroger sur le redécoupage électoral proposé par le gouvernement et adopté par le Parlement, qui vise notamment à réduire le nombre de circonscriptions. Le nombre de députés devrait être ainsi ramené de 386 à 199 (106 élus au scrutin uninominal et 93 sur liste). Le nombre de parrainages requis pour déposer une candidature est relevé, quant à lui, de 750 à 1 000 signatures de citoyens.
Les conséquences politiques de cette loi sont multiples. On relèvera ainsi qu'elle permet déjà au Premier ministre de resserrer l'actuelle majorité autour de lui et de limiter toute tentative de remise en cause interne au sein du Fidesz , tant la menace du redécoupage obère les velléités d'indépendance. Les observateurs notent, en outre, que le redécoupage laisse d'ores et déjà entrevoir une victoire de l'actuelle coalition lors des prochains scrutins. Ces modifications auraient déjà conduit le Fidesz à remporter les trois dernières élections, dont les scrutins perdus de 2002 et 2006.
Compte tenu des mécanismes de désignation des membres de différentes instances - Cour constitutionnelle, magistrats, Banque centrale, médiateurs - ce double effet resserrement / reconduction de la nouvelle loi électorale devrait permettre à l'ensemble des organes de l'État d'être de la même couleur politique que le parti actuellement au pouvoir. Il y a lieu, dès lors, de s'interroger sur la capacité à voir certains contre-pouvoirs institutionnels jouer pleinement leur rôle. Le régime monocaméral atteint, ici, ses limites.
La consolidation du pouvoir de M. Orbán est, par ailleurs, constante. Les nominations autour du nouveau Président de la République, Janos Ader qui succède à Pal Schmitt, impliqué dans une affaire de plagiat concernant son doctorat, accrédite cette thèse. Si le nouveau Président de la République est doté d'une plus forte personnalité que son prédécesseur, son élection demeure le fait du Premier ministre et le cabinet dont il dispose est pour partie composé de fidèles de Viktor Orbán.
L'absence, à l'heure actuelle, de crédibilité de l'opposition renforce cette impression. Le parti socialiste MSzP stagne dans les enquêtes d'opinion alors que la Coalition démocratique de l'ancien Premier ministre Ferenc Gyurcsany souffre d'un réel déficit de visibilité. Le Fidesz, quelque peu contesté en janvier dernier, au moment de l'entrée en vigueur du nouveau texte constitutionnel et des lois organiques, demeure assez stable et bénéficie toujours d'un réel soutien populaire, comme en a témoigné fin janvier une manifestation de soutien à Viktor Orbán réunissant 100 000 personnes dans les rues de Budapest. On relèvera surtout que la population se sent de moins en moins représentée par les partis politiques et se désintéresse progressivement de la situation, 80 % de la population estimant, résignée, que le pays va dans la mauvaise direction.
* 1 Il convient d'ailleurs de s'interroger sur une alliance à terme entre les deux formations. La délégation du Président de la République au Brésil à l'occasion du sommet Rio + 20 de juin dernier comprenait ainsi un député du Jobbik , alors que le président de la Commission de l'environnement du Parlement, par ailleurs membre du parti écologique alternatif LMP, n'a pas été invité.
* 2 La situation des Roms fera l'objet, à l'automne, d'un rapport de la commission des affaires européennes.