INTRODUCTION - UN PHÉNOMÈNE SOUS-ESTIMÉ AU CoeUR DE L'ÉCONOMIE CONTEMPORAINE
Votre commission d'enquête a été confrontée, surtout dans les tout débuts de ses auditions dont l'ordre chronologique peut être consulté en annexe, à l'existence d'un double-embarras chez ses interlocuteurs : celui de la quantification du phénomène à laquelle, globalement ils se refusèrent ; celui de sa qualification, à la fois sous l'angle de son ampleur et, même, d'une certaine manière, de sa nature.
Dans la poursuite de ses travaux, votre commission a été à même de découvrir un « faisceau d'indices », la conduisant à estimer qu'elle avait affaire à un phénomène au coeur de l'économie contemporaine et présentant de forts enjeux fiscaux. Ce dernier jugement résulte d'une quantification partielle du risque d'évasion fiscale internationale, qui la situe à des niveaux plus que significatifs.
Par ailleurs, elle a pu identifier les motifs quasiment épistémologiques d'un embarras face à la notion d'évasion fiscale, qu'il convient de mieux dépasser, en renouvelant l'analyse et les institutions en charge de la résolution des problèmes qu'elle pose.
L'instauration d'une règle générale anti-évasion fiscale complétée par un système institutionnel permettant de restaurer l'autorité de la loi sont des pistes de réflexion qu'il faut mentionner d'emblée.
I. I. UNE CARENCE GLOBALE DES ESTIMATIONS PUBLIQUES QUI DOIT ÊTRE CORRIGÉE
La carence des estimations de source publique est troublante et regrettable par les doutes qu'elle suscite quant à la volonté de se mobiliser contre un phénomène qui devrait à tout le moins faire l'objet de simulations.
Celles-ci auraient peut-être moins de valeur pour leur précision que pour leur portée heuristique, tout à fait essentielle pour mieux cerner l'évasion fiscale internationale, dans ses enjeux et dans ses manifestations concrètes.
A. UNE CARENCE GLOBALE DES ESTIMATIONS PUBLIQUES...
L'évasion fiscale internationale n'est certes pas chiffrable avec précision mais il est plus qu'étonnant que les organismes en charge de cette question ne disposent pas, ou du moins ne communiquent pas, au minimum, des estimations qui pourraient éventuellement reposer sur des jeux d'hypothèses.
Les sources publiques d'évaluation de l'évasion fiscale internationale sont généralement « muettes ».
Les informations quantifiées fournies par les administrations publiques françaises en charge de la fraude sont rares, leur réponse aux questions portant sur l'estimation de l'évasion fiscale consistant à... n'en pas fournir.
Cependant, il existe quelques évaluations de source publique .
Elles sont établies à partir des fraudes constatées qui incluent les constatations d'abus de droit, et, ainsi, captent quelques pratiques d'évasion, mais elles ne mentionnent pas l'évasion fiscale à proprement parler , et encore moins l'évasion fiscale internationale.
Ces évaluations reposent sur des méthodes plus ou moins satisfaisantes mais qui ont, toutes, leurs limites.
L'évaluation de l'ampleur des fraudes procède, par nature, de méthodes hypothétiques .
La fraude n'est observée que partiellement - c'est une constatation que votre rapporteur estime robuste - et par conséquent, l'évaluation à ambition totalisante n'est jamais le fruit d'une observation pure et simple. Elle peut donc être fragile.
A cet égard, aux yeux de certains observateurs, les méthodes employées par les sources publiques françaises, qui se risquent à évaluer les fraudes aux prélèvements obligatoires, obéissent à des modes d'emploi qui ne semblent pas tout à fait à niveau des travaux disponibles par ailleurs.
Les méthodes principalement employées sont les suivantes 8 ( * ) .
• La méthode par enquête recourt à un questionnaire de type sondage.
Elle est confrontée aux limites des enquêtes portant sur des comportements jugés délictueux : soit les personnes interrogées ne répondent pas (le taux de non-réponses est élevé), soit elles dissimulent la vérité, soit elles exagèrent leur déviance, soit elles la cachent.
Ces enquêtes peuvent être considérées comme intrusives par les personnes intéressées et déclencher à ce titre des réflexes diversifiés (le matamore, le honteux, le précautionneux) mais, convergeant vers des réponses incisives.
C'est sans doute pourquoi cette méthode est peu employée.
On peut le comprendre mais c'est l'occasion de faire une remarque incidente. Il est probable qu'un recours plus systématique à des enquêtes d'opinion, ou portant sur les comportements ou attitudes fiscaux des contribuables, aurait son utilité.
Après tout, tels ou tels aspects des questionnaires adressés par votre rapporteur ont pu se rattacher à cette démarche et les réponses obtenues sur la perception de l'évasion fiscale internationale, des dettes d'impôt ou sur des intentions de délocalisation fiscale livrent des enseignements utiles.
De façon générale, il est possible d'envisager les questionnaires comme un vecteur de communication offrant un cadre où l'échange d'informations a une valeur fondée sur les informations échangées mais aussi dérivée de l'échange lui-même.
Dans la matière dont traite le présent rapport, la valeur de l'information est considérable. En fait, l'efficacité du système fiscal dépend de la qualité de l'information et, plus spécifiquement, la protection des intérêts financiers publics voit son efficacité conditionnée par la résolution de l'asymétrie d'information entre le contribuable et les « producteurs » de l'impôt (législateurs, administrations chargées de son application...).
L'enquête par sondage peut être un élément pour améliorer l'information des premiers. On pourrait à ce titre l'utiliser plus systématiquement en amont de la législation ou dans le cadre de son application.
A titre de simple illustration, le phénomène d'exil fiscal pourrait sans doute être mieux appréhendé si l'on recourait davantage à cet instrument .
Par ailleurs, l'échange d'information a aussi de la valeur en tant qu'échange. Sans doute, une certaine proportion de nos concitoyens estime-t-elle que l'administration fiscale échange déjà trop avec elle. Il n'en reste pas moins que la qualité des échanges entre l'administration fiscale et les contribuables pourrait sans doute être un outil d'amélioration de la relation fiscale.
• Une deuxième méthode d'évaluation passe par l'extrapolation des résultats des contrôles fiscaux.
Toute méthode d'extrapolation repose sur le passage d'un échantillon à une estimation générale. Pour que ce passage soit pertinent, il faut que l'échantillon soit représentatif et qu'il le reste au fil de son extrapolation.
La population de l'échantillon et la population globale doivent être à peu près homogènes. C'est une limite de l'extrapolation comme méthode d'estimation des atteintes aux intérêts fiscaux des administrations publiques. En effet, les contrôles fiscaux ne s'adressent pas à n'importe quelle population. On peut d'ailleurs espérer au regard de l'efficacité du contrôle fiscal que la population contrôlée contienne un nombre de fraudeurs proportionnellement élevé. Quant au reste, l'extrapolation n'est exacte que moyennant l'hypothèse que les contrôles fiscaux qu'on ferait dans le reste de la population déboucheraient sur des résultats analogues (à quelques raffinements statistiques près).
• La méthode d'analyse des anomalies des comptes nationaux a davantage de crédibilité.
Les impositions sont assises sur des grandeurs (revenus, patrimoines, consommation, ...) que la comptabilité nationale quantifie avec une assez grande efficacité. En confrontant les produits théoriques de l'application des taux implicites d'imposition à ces assiettes avec leur produit effectif, on peut aboutir à des écarts qui constituent des indices de fraude.
Au demeurant, la comptabilité nationale, affinée pour s'ajuster au cadre de référence des bases imposables, est largement sollicitée dans les prévisions fiscales figurant dans les projets de loi de finances.
Pourtant, la non-coïncidence entre les données de la comptabilité nationale et les assiettes fiscales ainsi que l'absence d'assurance que l'économie souterraine est correctement appréhendée par les comptes nationaux posent problème. Sans compter le poids des erreurs involontaires, elles jettent un doute sur les estimations de la fraude dérivées des comptes nationaux.
On peut relever qu'inversement, les fraudes estimées sont utilisées pour calculer le produit intérieur brut et sa répartition ( voir l'encadré ci-après ).
* 8 Il reste d'autres méthodes qualifiées « d'indirectes » par le CPO reposant pourtant elles aussi sur des écarts observés entre des variables données et le PIB national. Elles sont principalement utilisées pour estimer l'économie souterraine qui n'est évidemment pas neutre fiscalement.