B. LE VRAI ENJEU : ÉVITER UNE CONTAGION DE LA CRISE À L'ESPAGNE ET À L'ITALIE
1. Les inquiétudes croissantes vis-à-vis de l'Espagne et de l'Italie
L'épicentre de la crise se développe de la Grèce vers l'Espagne en raison de la situation des banques espagnoles.
Le 9 juin 2012, l'Eurogroupe a publié une déclaration dans laquelle il indique qu'en cas de demande des autorités espagnoles, le FESF/MES prêterait jusqu'à 100 milliards d'euros pour recapitaliser les banques espagnoles. Concrètement, le FESF/MES pourrait directement prêter au Fonds pour la restructuration ordonnée des banques (FROB), le Gouvernement espagnol étant le signataire du memorandum d'accord. La conditionnalité de l'aide concernerait seulement la réforme du secteur financier.
Cette annonce n'a pas rassuré les marchés :
- le plan annoncé augmenterait la dette publique espagnole d'environ 10 points de PIB. Ainsi, la dette publique espagnole, jusqu'alors prévue à environ 80 points de PIB en 2012, serait de l'ordre de 90 points de PIB ;
- ce plan ne peut prévenir une éventuelle « panique bancaire ».
Ainsi, les taux d'intérêt espagnols et italiens ont augmenté :
- les taux d'intérêt à 10 ans de l'Espagne ont atteint un maximum historique à plus de 7 % ;
- les taux à 10 ans de l'Italie ont quant à eux dépassé les 6 % (ce qui demeurait toutefois inférieur à ceux observés en novembre 2011, de plus de 7 %).
2. Les décisions du Conseil européen du 29 juin 2012
Alors que la presse économique internationale était plutôt sceptique sur les perspectives de succès de la réunion du Conseil européen du 29 juin 2012, celui-ci a, en tout cas dans l'immédiat, été considéré comme un succès, et favorablement accueilli par les marchés.
a) Le « rapport Van Rompuy » du 26 juin 2012
Le 26 juin 2012, Herman Van Rompuy, président du Conseil européen, a remis à celui-ci un rapport intitulé Vers une véritable union économique et monétaire .
Ce rapport propose des pistes pour « renforcer l'architecture de l'UEM au cours de la décennie qui vient », afin de « doter l'UEM d'une vision qui assure la stabilité et une prospérité durable ». Il précise que ces propositions « demanderont (...) des modifications éventuelles des traités ».
Les « quatre éléments essentiels » proposés par le rapport sont :
- un « cadre financier intégré » ;
- un « cadre budgétaire intégré » ;
- un « cadre de politique économique intégré » ;
- la nécessité de « renforcer la légitimité démocratique et l'obligation de rendre des comptes ».
Seuls les deux premiers « éléments » font l'objet de développements précis.
(1) Le « cadre financier intégré »
Le « cadre financier intégré » concernerait tous les Etats de l'Union européenne, avec des dispositions spécifiques pour les membres de la zone euro. « Fondé sur un règlement uniforme », il comprendrait « deux éléments principaux » :
- un « cadre unique de surveillance bancaire européenne ». Le rapport précise qu'« il faudrait étudier toutes les possibilités prévues à l'article 127, paragraphe 6, du TFUE concernant l'octroi à la Banque centrale européenne de pouvoirs de surveillance directe des banques dans la zone euro ». Bien qu'il ne se prononce pas sur ce point, on peut supposer que, compte tenu de la nécessité d'assurer la surveillance des banques des Etats non membres de la zone euro, l'autorité bancaire européenne ( European Banking Authority , EBA) serait également impliquée ;
- un « cadre commun sur la garantie des dépôts et la résolution des défaillances ». Le rapport est relativement vague sur ces deux sujets, se contentant d'indiquer que le système de résolution serait « alimenté en priorité par les contributions des banques ». Le système de garantie des dépôts et le fonds de résolution « pourraient être mis en place sous le contrôle d'une autorité de résolution commune », pour laquelle le MES pourrait « jouer le rôle de filet de sécurité budgétai re ».
(2) L'union budgétaire
Dans le cas de l'union budgétaire, le rapport distingue deux sujets :
- la prévention et la correction des « politiques budgétaires non viables » ;
- une éventuelle mutualisation de la dette.
Sur le premier point, il estime que « des plafonds applicables au solde budgétaire annuel et au niveau de la dette publique des différents États membres pourraient être arrêtés d'un commun accord. Dans le cadre de ces règles, l'émission de dette publique au-delà du niveau convenu en commun devrait être justifiée et faire l'objet d'une autorisation préalable. En conséquence, il serait possible, au niveau de la zone euro, d'exiger une modification des enveloppes budgétaires si elles sont contraires aux règles budgétaires (...) ».
Le rapport présente la mutualisation de la dette comme une simple possibilité, estimant qu'« à moyen terme, l'émission commune de dette pourrait être une piste à explorer (...), sous réserve de progrès en matière d'intégration budgétaire ». Le rapport précise que ce processus devrait être « progressif ». Il souligne que « plusieurs possibilités ont été proposées concernant une émission de dette en partie commune, telle que la mise en commun de certains instruments de financement à court terme sur une base limitée et conditionnelle, ou le refinancement progressif via un fonds d'amortissement. Différentes formes de solidarité budgétaire sont également envisageables ».
Le rapport évoque également « la mise en place, au niveau de la zone euro, d'une instance budgétaire de type ministère des finances », sans préciser toutefois ce que seraient ses attributions.
Le rapport conclut sur la nécessité de poursuivre les travaux en vue d'élaborer « une feuille de route spécifique et assortie d'échéances précises pour la réalisation d'une véritable union économique et monétaire », et propose la remise d'un rapport au Conseil européen en décembre 2012, après un rapport d'étape en octobre 2012.
b) L'annonce d'importantes décisions de principe par les chefs d'Etat et de gouvernement de la zone euro
Dans leur déclaration du 29 juin 2012, les chefs d'Etat et de gouvernement de la zone euro, notamment sous la pression de l'Espagne et de l'Italie 85 ( * ) , ont pris d'importantes décisions de principe.
• Dans le cas de l'union bancaire, ils reprennent une grande partie des propositions du « rapport Van Rompuy ».
Ils annoncent en effet la mise en place, d'ici la fin 2012, d'un dispositif de surveillance unique impliquant la BCE. Le MES pourrait, sans modification de son traité constitutif, recapitaliser directement les banques.
Ils précisent en outre que dans le cas de l'Espagne, « l'aide financière sera fournie par le FESF jusqu'à ce que le MES devienne opérationnel, et qu'elle sera ensuite transférée à ce dernier, sans obtenir de statut prioritaire ».
Ils n'évoquent pas en revanche explicitement le « cadre commun sur la garantie des dépôts et la résolution des défaillances » proposé par le « rapport Van Rompuy » (même si la recapitalisation des banques par le MES relève de ce dernier sujet).
• Les chefs d'Etat et de gouvernement de la zone euro expriment en outre leur intention de recourir, le cas échéant, au FESF/MES pour « stabiliser les marchés pour les États membres qui respectent leurs (...) engagements ».
Concrètement, il s'agit d'acheter des titres sur le marché obligataire secondaire, comme le FESF/MES en a déjà la possibilité (qui n'a jamais été utilisée).
Cette possibilité, suggérée notamment par Benoît Coeuré, membre du directoire de la BCE, dans un entretien au Financial Times 86 ( * ) , est la plus importante à court terme, puisqu'elle pourrait mettre fin à l'augmentation autoréalisatrice des taux d'intérêts de l'Espagne et de l'Italie. En effet, la BCE ne semble pas avoir l'intention de reprendre le SMP, considérant que les acquisitions de titres sur le marché obligataire secondaire relèvent de la responsabilité des Etats. Le FESF/MES dispose cependant on l'a vu de capacités limitées.
• En revanche, les chefs d'Etat et de gouvernement de la zone euro ne se prononcent pas sur l'union budgétaire.
La déclaration des chefs d'Etat et de
gouvernement de la zone euro du 29 juin 2012
«
«
Nous réaffirmons que l'aide financière sera fournie par le FESF jusqu'à ce que le MES devienne opérationnel, et qu'elle sera ensuite transférée à ce dernier, sans obtenir de statut prioritaire.
«
« Ces conditions devraient être consignées dans un mémorandum d'accord. Nous nous félicitons que la BCE ait accepté de servir d'agent pour le FESF/MES aux fins de la conduite des opérations de marché de manière effective et efficace.
«
|
c) La décision par le Conseil européen de poursuivre les réflexions proposées par le « rapport Van Rompuy »
Dans ses conclusions du 29 juillet 2012, le Conseil européen annonce son intention de poursuivre les réflexions initiées par le « rapport Van Rompuy », en se conformant au calendrier proposé par celui-ci :
- rapport d'étape en octobre 2012 ;
- rapport définitif en décembre 2012 ;
- définition (conformément aux termes du « rapport Van Rompuy ») d'une « feuille de route spécifique et assortie d'échéances précises pour la réalisation d'une véritable union économique et monétaire ».
Extrait des conclusions du Conseil européen du 29 juin 2012 « À la suite d'un échange de vues ouvert, au cours duquel différents points de vue ont été exprimés, le président du Conseil européen a été invité à élaborer, en collaboration étroite avec le président de la Commission, le président de l'Eurogroupe et le président de la BCE, une feuille de route spécifique et assortie d'échéances précises pour la réalisation d'une véritable union économique et monétaire, qui comprendra des propositions concrètes concernant le maintien de l'unité et de l'intégrité du marché unique dans le domaine des services financiers et qui tiendra compte de la déclaration du sommet de la zone euro et, entre autres, de l'intention de la Commission de présenter des propositions sur la base de l'article 127. « Ils examineront ce qui peut être fait dans le cadre des traités actuels et quelles mesures sont susceptibles de nécessiter une modification des traités. » |
Les modalités de mise en oeuvre des décisions prises le 29 juin 2012 restent donc largement à préciser. En particulier, la possibilité pour le MES de recapitaliser directement les banques est subordonnée à la mise en place d'un « mécanisme de surveillance unique » des banques de la zone euro, qui pourrait être long à mettre en place.
3. La réduction du risque d'augmentation autoréalisatrice des taux d'intérêt pour l'Espagne et l'Italie
a) Les augmentations « autoréalisatrices » des taux d'intérêt sont souvent des surréactions à des phénomènes réels
(1) La crise du second semestre 2011 découle largement de la décision en juillet de faire subir des pertes au secteur privé dans le cas de la Grèce
La crise du second semestre 2011 ne s'est pas produite par une « panique » auto-entretenue des marchés qui serait apparue spontanément, mais a été déclenchée par des phénomènes concrets :
- décision du Conseil européen de provoquer le défaut de la Grèce (Conseil européen du 21 juillet), avec des pertes pour le secteur privé, alors qu'il existait de fortes incertitudes sur la solidité des banques ;
- volonté de l'Allemagne de faire systématiquement subir des pertes aux acteurs privés (Eurogroupe, 28 novembre 2010 ; cette position n'a été officiellement abandonnée que lors du sommet franco-allemand du 5 décembre 2011) ;
- absence de « pare-feux » suffisants ;
- dégradation de la notation souveraine des Etats-Unis par Standard & Poor's le 5 août 2011 ;
- cercle vicieux entre crise de la dette souveraine et difficultés de financement des banques.
(2) L'Irlande a vu ses taux d'intérêt à 10 ans passer de 14 % à 7 %
Un exemple de « succès » (à ce stade) est que l'Irlande a vu son taux d'intérêt à dix ans passer de 14 % début 2011 - la dégradation brutale de sa situation expliquant sa décision, fin 2010, de demander l'aide du FESF - à environ 7 % aujourd'hui.
b) La seule aggravation possible de la crise : le défaut de l'Espagne et de l'Italie, phénomène tellement grave qu'il est de fait impossible ?
Un autre facteur - paradoxal - d'optimisme est qu'il est désormais difficile d'imaginer concrètement ce que pourrait être une nouvelle dégradation de la situation, à moins d'imaginer un scénario tellement extrême qu'il paraît peu vraisemblable que les Etats et la BCE le laissent se réaliser sans réagir.
Il semble que les marchés considèrent désormais que la BCE jouerait, en cas de nécessité, le rôle de « prêteur en dernier ressort » des Etats. Ainsi, lors de son audition par la commission des finances et la délégation à la prospective le 8 février 2012, Gilles Moëc , chef économiste à la Deutsche Bank, a déclaré : « Que peut faire la BCE si tout échoue, c'est-à-dire si, après les premiers effets positifs de la LTRO à trois ans, on retombe dans certaines ornières politiques en Italie ou en Espagne ? Alors le SMP doit être l'arme de dernier ressort. Sans aucun doute, la BCE n'a aucun intérêt à pré-annoncer une intervention massive pour acheter des obligations d'État, mais les marchés fonctionnent sur la conviction implicite que la BCE « ferait le métier » et relancerait le SMP, en cas de crise majeure ».
4. La nécessité d'aller plus loin
a) Permettre à la BCE de jouer efficacement son rôle de prêteur en dernier ressort
(1) La solution proposée (notamment) par la commission des finances du Sénat : « brancher » le FESF ou le MES sur la BCE
On peut se demander dans quelle mesure la BCE, qui n'a pas de légitimité démocratique, pourra continuer à jouer un rôle aussi manifestement politique qu'actuellement.
Ainsi, dès le début du mois de septembre 2011, dans un rapport fait pour la commission des finances du Sénat 87 ( * ) , notre collègue Philippe Marini, alors rapporteur général, suggérait de mettre en place un fonds de grande taille « branché » sur la BCE, ayant le statut de banque, et qu'il proposait d'appeler « Fonds monétaire européen ». Ce fonds se serait refinancé en déposant comme collatéral les émissions de l'Etat bénéficiaire.
Cette idée avait semble-t-il été exprimée pour la première fois par Willem Buiter, économiste en chef de la banque Citigroup, dans un article de janvier 2011 88 ( * ) . Elle avait été développée en août 2011 par Daniel Gros et Thomas Mayer dans un article 89 ( * ) du Center for European Policy Studies .
La proposition de transformer le FESF en banque a ensuite été reprise par le précédent Gouvernement, qui l'a défendue lors des récentes négociations avec nos partenaires. Elle été soutenue par François Hollande lors de la campagne pour l'élection présidentielle, et est toujours une proposition de la France.
(2) Un préalable : le rétablissement de la confiance entre la BCE et les Etats
Une telle solution ne pourrait toutefois être mise en oeuvre sans que soit préalablement rétablie la confiance entre la BCE et les Etats, ce qui suppose que ceux-ci mènent une politique budgétaire crédible.
Ainsi, la proposition ci-avant s'est heurtée jusqu'ici à l'opposition de l'Allemagne et de la BCE.
Par ailleurs, bien que le traité instituant le MES n'interdise pas l'octroi d'une licence bancaire par la BCE, il n'y a pas de consensus sur la possibilité de transformer le FESF en banque sans modifier le TFUE.
b) Une forme de mutualisation de la dette sera probablement inévitable
(1) Les « vrais eurobonds » : une idée hors de portée à court terme
Comme on l'a indiqué, le « rapport Van Rompuy » du 26 juin 2012 évoque « l'émission commune de dette », en particulier dans le cadre de financements à court terme, ou d'un fonds d'amortissement.
Toutefois, de « vrais eurobonds » ne sont pas concevables à court terme .
Le critère essentiel est celui de savoir si la garantie des Etats est conjointe , c'est-à-dire si chaque Etat est garant de la dette de tous les autres, sans plafond. C'est seulement à cette condition que les eurobonds peuvent être efficaces.
Cela impliquerait :
- une modification du TFUE et des révisions des constitutions nationales, ce qui serait nécessairement long, complexe et politiquement aléatoire ;
- la confiance de l'Allemagne dans la politique budgétaire de ses partenaires et la possibilité constitutionnelle pour ce pays de s'engager dans cette voie.
(2) Deux propositions envisageables à court terme : les « eurobills » et le « fonds de rédemption »
Deux propositions, évoquées par le « rapport Van Rompuy », sont cependant envisageables à court terme.
• La première est la mise en place d'« eurobills », c'est-à-dire d'eurobonds, mais à l'échéance de moins d'un an . L'idée a été proposée en décembre 2011 par deux économistes français, Christian Hellwig et Thomas Philippon, et reprise en avril 2012 par Olivier Blanchard, économiste en chef du FMI. Les eurobills ne seraient renouvelés que si l'Etat concerné remplit ses obligations.
• Une deuxième possibilité serait de mettre en place un « fonds de rédemption » européen (c'est-à-dire une sorte de « CADES ») pour la dette ancienne. Une telle proposition a été faite le 9 novembre 2011 par des économistes allemands. Il s'agissait de créer un fonds d'amortissement européen de 2 300 milliards d'euros garanti par les Etats membres pour la part de dette supérieure à 60 points de PIB, qui aurait de facto constitué un dispositif temporaire d'eurobonds.
* 85 Ces deux Etats ont menacé de ne pas accepter le plan de soutien de la croissance de 120 milliards d'euros en l'absence de décisions susceptibles d'interrompre l'augmentation autoréalisatrice de leurs taux d'intérêt (Les Echos, 29 juin 2012).
* 86 20 juin 2012.
* 87 Rapport n° 787 (2010-2011), 8 septembre 2011 ( http://www.senat.fr/rap/l10-787/l10-787.html ).
* 88 Willem Buiter, Ebrahim Rahbari, Jürgen Michels, Giada Giani, « The Debt of Nations », Citigroup, 7 janvier 2011.
* 89 Daniel Gros et Thomas Mayer, « August 2011 : What to do when the euro crisis reaches the core », CEPS Commentary, 18 août 2011.