II. LA NÉCESSITÉ D'UNE RÉPONSE ADÉQUATE AUX DIFFICULTÉS LIÉES À LA MULTIPLICATION DES ACTEURS
A. UN MILLE-FEUILLES DÉROUTANT
Ce foisonnement d'initiatives n'est pas sans susciter un certain nombre d'interrogations. Le secteur de l'emploi serait-il l'un de ceux où le « mille-feuilles » territorial se manifeste dans toute sa splendeur ? Bien que l'ensemble des acteurs affirme vouloir respecter les compétences des uns et des autres et travailler de manière coordonnée, force est de constater qu'il existe des difficultés qu'il serait vain de nier.
En janvier 2004, Jean Marimbert qualifiait de « mosaïque » le service public de l'emploi, en relevant que « la France a le dispositif d'intervention sur le marché du travail le plus éclaté d'Europe 37 ( * ) ». De fait, les acteurs intervenant dans ce domaine sont nombreux : Etat (qu'il s'agisse des DIRECCTE ou des préfets et des sous-préfets), Pôle emploi, collectivités territoriales, partenaires sociaux, chambres consulaires, maisons de l'emploi, missions locales, PLIE, associations...
À Marseille et ses proches environs 38 ( * ) , ce sont près de 474 structures qui s'occupent de l'emploi et de l'insertion.
Dans la région Nord-Pas-de-Calais, on dénombre 27 missions locales, 18 maisons de l'emploi (dont 7 à Lille, ce nombre ayant été réduit d'une unité à la suite d'une fusion de deux entités) et 24 PLIE.
1. La multiplication des acteurs : une source de difficultés indéniable
a) Les risques d'inefficience et d'inefficacité, voire de contre-productivité
En l'absence de coordination et de répartition claire des rôles, la multiplication des acteurs est génératrice d'inefficience, liée au risque de redondances. Elle rend également difficile la construction de réponses intégrées et globales aux problèmes rencontrés. Elle peut ainsi se révéler une source d'inefficacité, voire de contre-productivité, en particulier lorsque plusieurs acteurs sont mis en concurrence sur les mêmes objectifs. Par exemple, si la performance des différentes structures est évaluée à l'aune du taux de retour à l'emploi des personnes suivies, la tentation de chacune d'entre elles de s'occuper en priorité des personnes les plus proches de l'emploi est grande. Cette situation peut ainsi également engendrer une certaine dilution des responsabilités.
Lorsque des efforts de coordination des acteurs ou de décloisonnement des actions sont entrepris, ils prennent du temps et de l'énergie. Le rapport de Jean-Paul Alduy l'a rappelé en ces termes : « la complexité du [service public de l'emploi local] présente des inconvénients bien identifiés par la mission au cours de ses auditions et de ses déplacements. On ne saurait négliger la perte de temps et d'énergie qui résulte de la nécessité de coordonner de nombreux intervenants : temps passé à négocier des conventions de partenariat puis à les faire vivre, via des comités de pilotage qui se réunissent périodiquement, processus d'échanges d'informations, etc. 39 ( * ) »
En outre, cette multiplication des structures peut rendre difficile la participation des différents acteurs concernés, notamment Pôle emploi ou les organisations représentatives syndicales et patronales. Si l'on considère le nombre d'instances rapporté au nombre de conseils d'administration et de bureaux tenus par chacune d'entre elles, la présence d'un représentant à chacune des réunions relève d'une gageure. C'est un problème qu'ont notamment soulevé les représentants des organisations patronales entendus à Lille.
b) Une désorientation accrue des demandeurs d'emploi
Outre ces difficultés, la multiplication des acteurs engendre une absence de lisibilité des politiques menées , ce qui est préjudiciable au public ciblé comme aux acteurs eux-mêmes . Ce phénomène peut entraîner un certain découragement des personnes concernées, déjà dans des situations difficiles. Il est renforcé par l'absence de stabilité des dispositifs déployés et des entités qui en assument la responsabilité.
La réforme de l'accompagnement des bénéficiaires du RSA concomitante à sa mise en place a ainsi pu contribuer à renforcer la désorientation des personnes à la recherche d'un emploi. Comme le note l'Union nationale des centres communaux d'action sociale dans sa contribution écrite, « en dépit de la notification de l'orientation par le Conseil général, de nombreux allocataires RSA orientés vers Pôle emploi se présentent aux guichets des CCAS. Ainsi, sur l'ensemble du Département du Nord, les CCAS notent une recrudescence du nombre d'allocataires RSA orientés Pôle emploi ou qui ne relèvent pas des droits et devoirs sollicitant des aides facultatives d'urgence alimentaires ou énergétiques. Ils notent également une montée en charge des publics RSA orientés vers Pôle emploi, précédemment suivis par les CCAS dans le cadre du RMI, qui viennent spontanément demander un accompagnement social à leur ancien référent. Qu'il s'agisse de demandes ponctuelles, d'aides facultatives ou d'un accompagnement social global, les allocataires du RSA orientés Pôle emploi ou non soumis aux droits et devoirs se présentent dans des situations sociales, financières et/ou médicales bien plus graves et plus lourdes. Pour beaucoup, ils ont attendu deux ans sans accompagnement et reviennent auprès des CCAS pour qu'ils leur viennent en aide. Dans ces cas de figure, les seuls leviers à disposition des CCAS sont les aides facultatives dans la mesure où ces allocataires ne font pas partie de leur portefeuille et où les CCAS n'ont pas été autorisés par le Conseil général à les accompagner. »
Par ailleurs, l'hétérogénéité des prestations proposées en fonction des territoires peut provoquer un certain désarroi auprès des publics concernés.
Pour leur part, les entreprises sont également confrontées à l'absence de lisibilité des politiques menées et de la répartition des rôles entre les différents acteurs lorsqu'elles cherchent à pourvoir des offres d'emploi. C'est notamment ce qu'ont relevé les chambres consulaires lors du déplacement effectué par votre rapporteure à Marseille.
Au final, le diagnostic des difficultés liées à la multiplication des acteurs, ainsi que des dispositifs, est partagé par bon nombre des acteurs. Les réponses apportées demeurent néanmoins encore insuffisantes.
* 37 Rapport au ministre des Affaires sociales, du Travail et de la Solidarité sur le rapprochement des services de l'emploi, Jean Marimbert, janvier 2004, p. 9.
* 38 Sur le territoire de Marseille, Allauch, Plan-de-Cuques et Septèmes-les-Vallons.
* 39 « Pôle emploi : une réforme nécessaire, une dynamique de progrès à amplifier », rapport d'information n° 713 de M. Jean-Paul Alduy, fait au nom de la Mission commune d'information relative à Pôle emploi, tome I (Sénat, 2010-2011), p. 167.