B. ...DANS LAQUELLE LES COLLECTIVITÉS SONT DE PLUS EN PLUS AMENÉES À INTERVENIR
Face à ces difficultés, qui ne sont pas seulement d'ordre conjoncturel, la réaction de bon nombre d'élus locaux a été de déployer une politique volontariste, en complément de celle conduite par l'Etat et Pôle emploi.
L'enjeu que constitue l'emploi est en effet tel qu'il ne peut laisser les élus locaux indifférents. Comme le rappelait Jean Marimbert dans son rapport sur le rapprochement des services de l'emploi, « en matière de politique de l'emploi la responsabilité ressentie reste la responsabilité nationale, celle du Gouvernement. Mais le réflexe en cas de difficulté au niveau local est également de se tourner vers les élus de proximité, en particulier les maires et les élus régionaux, perçus comme des autorités de recours, et comme devant exercer leurs responsabilités en matière de développement local, y compris dans le traitement de ses aléas négatifs. Cette perception est paradoxale en ceci que les Gouvernements successifs, même s'ils gardent des marges de manoeuvre et une responsabilité d'ensemble concernant les grandes orientations de la politique économique et des politiques sociales, ont vu leur capacité d'action face aux aléas de l'emploi fortement réduite par de nombreux phénomènes (ouverture des économies, capacité et volonté d'intervention directe dans le fonctionnement de l'économie moindre que par le passé). En revanche, elle prend pleinement en compte la capacité désormais forte des élus locaux à faire preuve d'imagination et de réactivité dans la politique de développement et d'emploi sur les territoires 18 ( * ) . »
Envisagée dans une logique de complémentarité et non de concurrence avec les interventions des autres acteurs, et au regard des insuffisances de la politique conduite par l'Etat, la mobilisation des collectivités en faveur de l'emploi est loin d'être superflue. Si le succès d'une politique publique n'est pas nécessairement une question de moyens, force est de souligner l'importance de cette dimension dans le cas particulier de la politique de l'emploi, dès lors qu'un accompagnement renforcé et personnalisé des demandeurs d'emploi est de plus en plus recherché.
Nombre d'acteurs ont d'ailleurs souhaité jouer un rôle actif en matière de politique de l'emploi, en complément des actions menées par l'Etat et son opérateur. Les partenaires sociaux, les chambres consulaires ou les associations se sont ainsi également investies en faveur de l'emploi.
L'Etat lui-même a pu encourager les collectivités à intervenir dans ce domaine, comme l'a exposé l'Alliance Villes Emploi, association nationale des collectivités territoriales pour la formation, l'insertion et l'emploi et réseau national des Maisons de l'Emploi (MDE) et des Plans Locaux pour l'Insertion et l'Emploi (PLIE), à votre rapporteure.
L'emploi est ainsi devenu depuis les années 1980 une « compétence de fait » des collectivités territoriales et de leurs groupements, pour reprendre le terme employé par l'Alliance Villes Emploi, désormais reconnue par les textes. Cet engagement se manifeste notamment par des actions développées par les collectivités elles-mêmes, ou par la création et la participation aux instances que sont les missions locales, les maisons de l'emploi et les PLIE.
Leur gouvernance et leur financement sont partagés entre les différents acteurs qui y participent, et ces instances disposent d'une certaine autonomie. La loi prévoit néanmoins la participation d'au moins une collectivité à chacune d'entre elles, et les élus y jouent un rôle majeur, notamment d'impulsion des politiques.
1. Une implication justifiée à plusieurs égards
a) La nécessité d'une politique adaptée aux territoires
La connaissance du terrain est un facteur essentiel de réussite des initiatives menées en matière d'emploi. Une connaissance fine des spécificités et des potentialités de chaque bassin d'emploi est la condition nécessaire à l'élaboration d'actions adaptées à ces derniers.
C'est la raison pour laquelle nombre d'acteurs encouragent une territorialisation accrue des politiques de l'emploi, même lorsqu'elles sont menées sous la responsabilité de l'Etat ou de l'opérateur national qu'est Pôle emploi.
Comme l'exposait la mission d'information relative à Pôle emploi, « la territorialisation de l'action de l'opérateur national est la clé de son adaptation aux réalités des territoires et à l'hétérogénéité de leurs situations économiques et sociales 19 ( * ) . » Il s'agit dès lors d'un « objectif à remettre au premier plan ».
L'objectif d'« une proximité plus forte avec les territoires » a été retenu parmi les trois priorités fixées à Pôle emploi dans la convention pluriannuelle signée entre l'Etat, l'Unedic et Pôle emploi le 11 janvier 2012. Il y est précisé que Pôle emploi recherchera « dans les prochaines années une plus grande souplesse et une meilleure adaptabilité de son offre de services en fonction des réalités territoriales, qu'il s'agisse des caractéristiques du bassin d'emploi ou de la présence de partenaires avec lesquels des coopérations peuvent être nouées 20 ( * ) . »
Cette territorialisation passe ainsi par une meilleure connaissance du terrain mais aussi par le renforcement des partenariats entre Pôle emploi et les acteurs locaux. Ces derniers sont au coeur du rapport de la commission sur la territorialisation de Pôle emploi présidée par Mme Rose-Marie Van Lerberghe, qui a remis ses conclusions en avril 2010 21 ( * ) .
De fait, la proximité des acteurs locaux avec les territoires facilite leur appréhension des politiques de l'emploi susceptibles d'être mises en oeuvre au niveau local.
Un exemple de réponse spécifique à
une problématique locale :
Les difficultés liées à la mobilité peuvent aujourd'hui constituer un frein considérable à l'emploi et à l'insertion sociale. Elles trouvent une résonance particulière à Marseille, notamment dans les arrondissements les plus enclavés. C'est la raison pour laquelle la maison de l'Emploi de Marseille a engagé depuis octobre 2010 « une réflexion sur la mobilité géographique quotidienne et ses conséquences en termes d'insertion professionnelle et de retour à l'emploi ». La maison de l'emploi a notamment conçu un outil intranet accessible à tous les conseillers emploi du territoire, destiné à « identifier les situations pour lesquelles le manque de mobilité freine l'insertion professionnelle ». « Quand c'est le cas, les personnes ont la possibilité de réaliser un Entretien Approfondi en Mobilité (EAM) avec un professionnel », afin d'» identifier tous les freins à la mobilité et de les mettre en regard du niveau d'exigence de mobilité de l'emploi recherché » et d'y apporter des réponses. Ainsi, « si les freins identifiés sont d'ordre cognitif et/ou psychologique, la personne peut se voir proposer une formation en mobilité », à l'issue de laquelle elle doit être en mesure, notamment, de « se repérer sur un plan et construire un itinéraire, calculer son budget déplacement professionnel selon plusieurs modes, utiliser les transports en commun et les modes doux [...] ». « Une aide matérielle peut également être délivrée : prêt de véhicule, aide au financement du permis de conduire... » Source : « La mobilité géographique », Enjeux emploi, n°2, septembre 2011 ; Rapport d'activité 2011 de la maison de l'emploi de Marseille |
Un autre exemple de réponse spécifique
à une problématique locale :
Le territoire sur lequel intervient cette maison de l'emploi possède des caractéristiques très particulières, liées à sa proximité de Bâle, puisque, « selon l'Insee, la zone d'emploi de Saint-Louis est celle qui affiche la plus grande part de frontaliers dans sa population active : en 2007, la part des frontaliers (travaillant principalement en Suisse) s'élève à 45,9% de sa population active ! Quant à la zone d'emploi d'Altkirch, la part des personnes ayant un emploi au-delà de la frontière est de 26,6%. » Or, la maison de l'emploi a observé une tendance à la stagnation, voire à la baisse du nombre de frontaliers français dans les cantons de Bâle et des environs, alors même que les perspectives d'emploi y demeurent favorables. Elle a également fait le constat d'une inadaptation des outils de la politique de l'emploi définis au niveau national à ces problématiques de l'emploi frontalier : l'enquête Besoins en Main-d'Oeuvre (BMO) de Pôle emploi s'arrête aux frontières du territoire national 22 ( * ) ; il est difficile d'obtenir des statistiques sur les travailleurs frontaliers auprès des instances nationales ; l'accès aux offres d'emploi suisses ou allemandes n'est pas aisé pour les demandeurs d'emploi. C'est la raison pour laquelle la maison de l'emploi a développé des actions spécifiques afin de développer l'emploi frontalier, notamment : - la création de centres de ressources sur l'emploi frontalier (« les espaces Cyber-base »), qui permettent aux demandeurs d'emploi d'accéder aux offres d'emploi suisses et allemandes, mais aussi de bénéficier de conseils sur les techniques de recherche d'emploi en Suisse et en Allemagne, les règles de candidatures n'étant pas les mêmes qu'en France. Des ateliers de simulation d'entretien d'embauche en allemand sont également proposés ; - une action de formation intensive à l'allemand pour débutants (cette action pouvant également être bénéfique du point de vue des besoins des entreprises françaises en matière de recrutement, lorsque la maîtrise de la langue allemande est recherchée) ; - l'organisation de journées de recrutement, notamment sous la forme de « jobs dating transfrontaliers » ; - une analyse permanente du marché du travail frontalier [...] Source : Rapport d'activités 2010 de la maison de l'emploi et de la formation du Pays de Saint-Louis/Trois frontières et du Pays du Sundgau ; « L'emploi frontalier dans le Pays de Saint-Louis/Trois Frontières et le Pays du Sundgau », Le Quat'pages, juillet 2011 |
Outre la connaissance des besoins de leur population, les élus peuvent également prendre connaissance des besoins des entreprises ou des évolutions qui les concernent, par exemple dans le cadre de leurs actions de développement économique. Lorsqu'une entreprise souhaite s'implanter ou se développer, ou lorsqu'elle rencontre des difficultés, elle se tourne en effet souvent vers les élus locaux pour trouver des solutions appropriées.
Accompagnées d'une politique adaptée, ces informations rendent possible une anticipation des besoins au niveau du bassin d'emploi. Lorsque l'implantation d'une entreprise, par exemple, est annoncée suffisamment en amont, un repérage des métiers en tension dans le domaine de l'entreprise peut être opéré, et des actions de formation adéquates peuvent être développées.
La proximité du terrain facilite également la mobilisation des énergies locales. Comme l'a relevé notre collègue Georges Labazée, les élus locaux peuvent jouer un rôle de catalyseur du rapprochement entre les acteurs de la politique de l'emploi et le monde économique. Or, ce rapprochement est source d'opportunités considérables pour l'emploi.
La proximité du terrain favorise ainsi l'élaboration de démarches innovantes et créatives suivant une démarche ascendante et non plus descendante.
Les plateformes territoriales pour l'avenir et l'emploi
des jeunes de la région
La capacité des élus locaux à mobiliser les acteurs locaux peut être illustrée par le projet de développement de quatorze « plateformes territoriales pour l'avenir et l'emploi des jeunes » dans la région du Nord-Pas-de-Calais. Partant du constat d' « une rupture et d'un fossé qui se creusent entre la jeunesse et le monde du travail », réalisé lors des Etats généraux pour l'avenir et l'emploi des jeunes qui se sont déroulés dans la région de février à juillet 2011, elles sont destinées à instaurer « une intermédiation de proximité entre les employeurs et les jeunes ». Dans cet objectif, ces plateformes seront dirigées par des personnes issues du monde de l'entreprise. La première d'entre elles a vu le jour à Lille, et l'expérience est en cours de généralisation, d'après les informations fournies à votre rapporteure. Comme le précise le document cadre relatif au Pacte pour l'avenir et l'emploi des jeunes adopté par le conseil régional, et dans lequel s'inscrit cette démarche, « les plateformes sont chargées de mettre en relation les besoins des entreprises et les potentiels des jeunes à la recherche d'un emploi. Les plateformes doivent contribuer à réduire l'opacité du marché du travail en portant à la connaissance des jeunes les offres d'emplois qui ne sont pas déjà identifiées par les opérateurs. Chaque plateforme répond à un cahier des charges et rend compte des postes pourvus. ». Elles s'adressent en particulier aux jeunes qui, « pour des raisons diverses liées à leur origine, à leur lieu de résidence, à l'enclavement du territoire dans lequel ils résident, à leur environnement social ou à leur histoire personnelle, n'ont pas accès à une offre d'emploi qui leur est quasi-totalement opaque. Les jeunes des zones urbaines sensibles et ceux des zones rurales devraient être prioritairement concernés. » Le dispositif est marqué par « une volonté d'apporter des réponses simples aux attentes complexes des entreprises, prises dans leur complémentarité : alternance, formation, emploi direct... » D'après ce même document, « le pari nouveau qui est proposé par cette mobilisation inédite consiste à mobiliser sur tout le territoire régional plusieurs centaines de « chefs de file métiers » qui sont des entrepreneurs, s'engageant comme tels, dans une conscience aigüe de la « responsabilité sociale des entrepreneurs ». C'est parce que ces entrepreneurs sauront parler aux entreprises du domaine qu'ils animent et des métiers qu'elles portent, que le déclic pourra se produire et que le « circuit court » sera rendu possible. » Ce dispositif a été conçu dans le cadre d'un dialogue avec les acteurs du droit commun de l'emploi, de la formation et du monde économique. Il devrait s'appuyer sur une ingénierie financée par la Région, ainsi que sur une ingénierie mise à disposition par les partenaires (mission locale, Pôle emploi...). Source : Document cadre du Pacte pour l'avenir et l'emploi des jeunes - version validée en conférence permanente du schéma régional de développement économique (SRDE) du 23 janvier 2012 |
b) La nécessité d'une politique intégrée
La place grandissante prise par les collectivités territoriales dans le champ de la politique de l'emploi dérive en partie des transferts de certaines compétences opérés en matière de développement économique, d'insertion sociale, de formation...
La politique de l'emploi ne peut en effet être conçue indépendamment de ces domaines d'intervention. L'offre de formation doit être adaptée aux besoins - actuels ou à venir - du bassin d'emploi ; ce dernier est par ailleurs influencé par les projets de développement économique. Il est en outre des freins à l'emploi qui ne peuvent être levés que par un accompagnement social adapté. Enfin, les interventions des collectivités concernant le transport, le logement, le développement des structures de gardes d'enfant sont déterminantes pour la situation de l'emploi.
De manière générale, la politique de l'emploi a fait l'objet d'un changement d'approche. Il est désormais acquis qu'elle ne peut se résumer à des opérations de placement des chômeurs et qu'elle doit être conçue de manière intégrée. Comme le résume M. Jean Le Garrec, président de l'Alliance Villes Emploi, elle fait aujourd'hui l'objet d'une véritable « ingénierie de projet ».
L'Association des maires des grandes villes de France (AMGVF) a ainsi souligné l'importance d'une politique de l'emploi « basée sur l'anticipation des mutations économiques et sur la prospective des métiers émergents. » M. Rémi Pauvros, membre du conseil d'administration de l'Assemblée des communautés de France (AdCF), a pour sa part précisé que « la gestion territoriale de l'emploi et des compétences (GTEC), en lien avec les politiques d'appui aux filières, est un champ nouveau de l'action économique, principalement développé par les agglomérations (bien que de nombreuses communautés de communes s'y engagent également). Cette fonction de mise en réseau est fondamentale pour impulser des projets et coproduire des stratégies de gestion territoriales des ressources humaines (avec les organismes paritaires collecteurs agréés, les branches professionnelles, le « monde économique organisé »). Ces stratégies permettent de dépasser l'approche « curative » des politiques de l'emploi pour se saisir des enjeux globaux de qualifications locales du territoire dans une approche prévisionnelle. »
De fait, les projets de développement économique portés par les collectivités produisent intrinsèquement des effets sur l'emploi. Les collectivités peuvent néanmoins considérablement en renforcer l'impact, en prévoyant une articulation entre ces projets et les actions conduites dans le domaine de l'emploi, quels qu'en soient les acteurs.
Cette articulation passe tout d'abord par une communication des élus porteurs de projets de développement économique à destination des acteurs des politiques de l'emploi, afin qu'une anticipation des besoins soit effectivement possible.
En outre, les schémas régionaux de développement économique (SRDE) peuvent trouver des applications spécifiquement tournées vers l'emploi. Les aides aux entreprises peuvent ainsi être régies par un principe de conditionnalité et le respect de clauses favorables à l'emploi. Dans la région Nord-Pas-de-Calais, le SRDE a par ailleurs été décliné en vingt-deux plans locaux de développement économique (PLDE), qui prévoient un suivi des filières, une aide à la création d'entreprise, des dispositifs favorisant la mobilité des demandeurs d'emploi...
Un autre exemple de décloisonnement, fourni par l'AdCF, est celui de la communauté d'agglomération de Rennes Métropole, qui a bâti un projet de gestion territoriale des emplois et des compétences à partir de son plan local d'habitat. Il s'est traduit par un travail sur la valorisation de l'image des métiers du bâtiment, la détection des candidats potentiels et l'élaboration d'un plan de formation spécifique.
Par ailleurs, le rôle des départements en matière d'action sociale les place au coeur d'une approche intégrée des politiques de l'emploi, liant l'insertion sociale et professionnelle. Compte tenu de l'ampleur des financements qu'ils assument au titre du revenu de solidarité active (RSA), ils ont en outre un intérêt direct à un retour à l'emploi rapide et durable de leurs bénéficiaires.
* 18 Jean Marimbert, rapport au ministre des Affaires sociales, du Travail et de la Solidarité sur le rapprochement des services de l'emploi, janvier 2004, pp. 99-100.
* 19 « Pôle emploi : une réforme nécessaire, une dynamique de progrès à amplifier », rapport d'information n° 713 de M. Jean-Paul Alduy, fait au nom de la Mission commune d'information relative à Pôle emploi, tome I (Sénat, 2010-2011), p. 163.
* 20 Convention pluriannuelle signée entre l'Etat, l'Unedic et Pôle emploi le 11 janvier 2012, p. 3.
* 21 « Pour une dynamique territoriale de l'emploi, Stratégie de territorialisation de Pôle emploi : concourir à sécuriser les parcours et renforcer les liens avec les employeurs pour accroître durablement le nombre de placements »., rapport de la commission présidée par Mme Rose-Marie Van Lerberghe, avril 2010.
* 22 Dans le Nord-Pas-de-Calais, la direction régionale de Pôle emploi a toutefois initié une première enquête BMO au sein des entreprises flamandes, comme l'a exposé à votre rapporteure M. Karim Khetib, son directeur.