2. Des résultats décevants
a) Des chiffres du chômage désolants
Sans prétendre à une évaluation exhaustive de la politique de l'emploi déployée par l'Etat et par Pôle emploi, et en se limitant aux seuls chiffres du chômage, force est de constater la médiocrité des résultats observés. Au premier trimestre 2012, le taux de chômage au sens du BIT atteint la barre des 10%, d'après l'INSEE 5 ( * ) .
Ce dernier précise que « pour la France métropolitaine, avec 2,7 millions de personnes au chômage, le taux de chômage s'élève à 9,6 %, tant pour les hommes que pour les femmes. En hausse de 0,3 point par rapport au quatrième trimestre 2011 et après une progression de 0,1 point par rapport au troisième trimestre 2011 (chiffres révisés), il retrouve son niveau de 1999. »
Si la crise entamée en 2007 a bien évidemment été un facteur aggravant, la situation n'apparaissait guère plus satisfaisante les années antérieures, le taux de chômage étant resté entre 7,4% et 8,8% de 2000 à 2006, d'après l'INSEE.
La situation paraît encore plus alarmante dès lors que sont considérées des données plus détaillées, telles que le nombre de chômeurs de longue durée ou jeunes. D'après l'INSEE, 3,9 % des actifs en France étaient au chômage depuis un an ou plus en 2010, tandis que le taux de chômage des 15-24 ans avoisinait les 23%.
S'il ne s'agit bien évidemment pas de rendre l'Etat responsable d'une situation qu'il ne maîtrise pas entièrement, ce constat conduit forcément à s'interroger sur l'efficacité des politiques qu'il a déployées jusqu'à présent.
b) Un désengagement de l'Etat
La situation actuelle est d'autant plus préoccupante qu'un désengagement de l'Etat est perceptible dans ce domaine, comme l'a exposé notre collègue François Patriat dans son rapport sur la mission « Travail et emploi » du projet de loi de finances pour 2012 précité.
En effet, il fait le constat d' « un budget qui se désengage des politiques actives de l'emploi et de lutte contre le chômage », avec « une réduction de 9 % de l'effort global de la Nation en faveur de l'emploi et de la lutte contre le chômage 6 ( * ) » dans le projet de loi de finances pour 2012. Comme il le souligne, « l'effort de l'Etat se relâche au moment même où les tensions sur le marché de l'emploi réapparaissent. Le budget 2012 est symptomatique d'une politique de l'emploi à contretemps 7 ( * ) . »
Le choix du précédent Gouvernement a été de « réduire drastiquement les dépenses budgétaires d'intervention. » S'agissant des programmes 102 « Accès et retour à l'emploi » et 103 « Accompagnement des mutations économiques et développement de l'emploi », « si les moyens de fonctionnement (+ 0,1 %) sont maintenus en valeur, la totalité de la réduction des crédits porte sur les dépenses d'intervention (moins 15 %) 8 ( * ) . »
Cette politique « prive le pays d'un levier de lutte important contre le chômage. [Elle] fait même courir le risque d'une explosion des dépenses sur les dispositifs sous-budgétisés : les contrats aidés, l'accompagnement des restructurations économiques et les dépenses de solidarité 9 ( * ) . »
De fait, « [...] le financement de nombreux dispositifs a été soit sous-budgétisé, soit débudgétisé en faisant porter la charge sur les partenaires sociaux, les opérateurs ou les collectivités territoriales pour des missions jusqu'alors assumées par l'Etat 10 ( * ) . »
Ainsi, comme le résume François Patriat, « globalement, le budget pour 2012 n'ouvre aucune mesure nouvelle en faveur de l'emploi pour compenser les réductions de crédits causées par l'extinction des dispositifs en cours. Il s'agit donc davantage d'un budget de préservation que d'activation des politiques de l'emploi 11 ( * ) . »
Votre rapporteure reprend à son compte son appréciation, selon laquelle « au final, sans méconnaître l'impératif de retour à l'équilibre des finances publiques, il ne s'agit pas de demander plus de dépenses mais de regretter le choix fait par le Gouvernement de se désengager des politiques actives de l'emploi et de lutte contre le chômage. »
c) Des difficultés qui persistent au sein de Pôle emploi
La fusion de l'ANPE et des ASSEDIC en un seul opérateur, Pôle emploi, a entraîné des dysfonctionnements importants au niveau de l'accompagnement et du suivi des demandeurs d'emploi, aggravés par la crise et la nécessité d'un « traitement de masse du chômage », pour reprendre l'expression employée par notre collègue Jean-Paul Alduy.
Sans vouloir refaire l'inventaire de ces difficultés, votre rapporteure a particulièrement été frappée par certains signes visibles de l'incapacité de Pôle emploi à répondre de manière satisfaisante à l'ensemble des missions qui lui ont été confiées.
Par exemple, et comme l'a également souligné notre collègue Jean-Luc Fichet en délégation 12 ( * ) , l'objectif d' « un référent pour 60 demandeurs d'emploi en premier lieu pour les parcours renforcés » fixé par la convention pluriannuelle signée entre l'Etat, l'Unedic et Pôle emploi, le 2 avril 2009 13 ( * ) , n'a pu être mis en oeuvre.
Comme l'a relevé la mission présidée par Claude Jeannerot, « le portefeuille moyen d'un conseiller compte aujourd'hui entre cent et cent dix demandeurs d'emploi, avec de fortes variations régionales. Ce nombre est beaucoup plus élevé dans des régions particulièrement touchées par la crise, comme le Nord-Pas-de-Calais ou la Franche-Comté 14 ( * ) ». La mission a également souligné qu' « en décembre 2010, 32,2 % des conseillers suivaient plus de 130 demandeurs d'emploi et des pointes à plus de deux cents demandeurs ne sont pas rares dans des bassins d'emploi sinistrés. Encore ces ratios sont-ils calculés en prenant en compte seulement le portefeuille dit "actif" de chaque conseiller, c'est-à-dire les demandeurs d'emploi qui doivent être reçus, en principe, chaque mois. Les demandeurs d'emploi qui sont en formation, par exemple, ne sont pas concernés par le SMP [suivi mensuel personnalisé]. Ils peuvent néanmoins avoir besoin, ponctuellement, des services de Pôle emploi et ne doivent donc pas être négligés si l'on veut apprécier la charge de travail complète des agents 15 ( * ) . »
Malgré l'implication des personnels de Pôle emploi, l'insuffisance des moyens dont dispose l'opérateur pèse sur ses résultats et sa capacité à assumer toutes ses missions. Cet aspect a particulièrement été souligné par les représentants des organisations syndicales entendus par votre rapporteure lors de son déplacement à Lille. A ce sujet, la mission d'information relative à Pôle emploi a précisé que « la comparaison internationale effectuée par l'IGF montre que le service public de l'emploi français n'est pas le mieux doté en personnel et que les effectifs consacrés à l'accompagnement, rapportés au nombre de demandeurs d'emploi, sont plus faibles qu'au Royaume-Uni ou en Allemagne 16 ( * ) . » Dans ce cadre, votre rapporteure salue le renforcement des moyens de Pôle emploi annoncé par le nouveau ministre du Travail, de l'Emploi, de la Formation professionnelle et du Dialogue social, M. Michel Sapin.
S'agissant de la relation avec les employeurs, votre rapporteure a été surprise de la faiblesse de la proportion des offres d'emploi collectées par l'opérateur national par rapport aux offres effectivement disponibles.
Alors que cette mission fait partie de ses attributions, Pôle emploi est loin d'assurer un monopole dans ce domaine, puisque sa « part de marché » s'élevait, en moyenne, à 17% en 2010. La part de marché est « le rapport, au cours d'une période donnée, entre le nombre d'offres d'emploi publiées et le nombre d'emplois offerts au recrutement. Le dénominateur de ce ratio est évalué à partir des déclarations uniques d'embauche (DUE) dont les entreprises doivent s'acquitter préalablement à toute embauche. » Elle atteint 34% en 2010, si l'on considère uniquement les offres en CDI 17 ( * ) .
Le marché des offres d'emploi est ainsi majoritairement un « marché caché ». Si les entreprises n'ont pas nécessairement besoin de faire appel à Pôle emploi pour recruter, et peuvent choisir délibérément d'utiliser leurs réseaux par exemple, cette proportion s'explique également par un certain déficit de confiance des entreprises vis-à-vis de Pôle emploi.
Certaines entreprises, notamment les plus petites d'entre elles, ont le sentiment d'un traitement inégal s'agissant de l'appui au recrutement. Les plus grandes structures sont à leurs yeux davantage accompagnées par Pôle emploi, en raison de l'importance de leur nombre d'offres à pourvoir, alors que les plus petites entreprises auraient davantage besoin d'un appui à ce niveau. Elles relèvent également que, additionnées les unes aux autres, leurs offres d'emploi constituent des masses non négligeables d'un point de vue global. Ce point a particulièrement été souligné par les représentants des chambres consulaires entendus par votre rapporteure lors de son déplacement à Marseille.
Les grandes entreprises, pour leur part, regrettent parfois que le filtrage des CV qui leur sont envoyés soit insuffisant, ce qui les conduit à devoir en traiter un nombre important par offre d'emploi, comme l'a évoqué la représentante de l'Union pour les entreprises des Bouches-du-Rhône.
* 5 En France, DOM compris.
* 6 Rapport n° 107 (2011-2012) - tome III - Annexe n° 30 a, loi de finances pour 2012, moyens des politiques publiques et dispositions spéciales (Travail et emploi : politique de l'emploi et de l'apprentissage), p. 7.
* 7 Ibid., p. 13.
* 8 Ibid., p. 18.
* 9 Ibid., p. 14.
* 10 Ibid., p. 17.
* 11 Ibid., p. 18.
* 12 Le compte rendu du débat figure en annexe 2 du présent rapport.
* 13 La nouvelle convention signée le 11 janvier 2012 fixe une fourchette de 50 à 70 demandeurs d'emploi par conseiller s'agissant de l'accompagnement renforcé.
* 14 « Pôle emploi : une réforme nécessaire, une dynamique de progrès à amplifier », rapport d'information n° 713 de M. Jean-Paul Alduy, fait au nom de la Mission commune d'information relative à Pôle emploi, tome I (Sénat, 2010-2011), p. 9.
* 15 Ibid., p. 81.
* 16 Ibid., p. 93.
* 17 Ibid., p. 123 à 125.