INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Le débat sur le financement de l'Union européenne est un débat récurrent dont les données fondamentales évoluent peu ou lentement. Les problèmes sont identifiés, la palette de solutions discutée en permanence, les arguments répétés et pourtant rien ne bouge ou presque. Chaque négociation débouche sur des ajustements insuffisants. Pire, les défauts dénoncés depuis longtemps s'aggravent.

La question du rabais britannique 1 ( * ) illustre à l'extrême cette situation de blocage et d'enlisement. De même, à l'exception des éléments factuels, les problématiques et les critiques formulées par le rapport d'information de notre ancien collègue Denis Badré en décembre 1998 demeurent très actuelles 2 ( * ) .

Parti sur de mauvaises bases, le financement de l'Union semble s'emmêler toujours plus dans sa propre complexité, un ajustement en entraînant un autre. Le seul moyen d'en sortir consisterait en une remise à plat complète du système . Défendue par le Parlement européen, les experts, notre assemblée ou la Commission européenne, cette remise à plat ne parvient pas à s'imposer, faute de réelle volonté politique du Conseil et par crainte de nouveaux arbitrages sur les choix budgétaires de l'Union. Malgré tous ces défauts, le système actuel a l'avantage aux yeux des gouvernements nationaux de leur laisser la maîtrise quasi-complète des finances européennes. Enfin, la règle de l'unanimité permet à un seul Etat de s'opposer à une réforme dans une matière qui touche au coeur de la souveraineté des Etats Nation.

Toutefois, ce scenario pourrait être démenti à l'occasion des discussions sur le futur cadre financier pluriannuel 2014-2020. La Commission européenne a en effet mis sur la table des négociations le 30 juin dernier un ensemble de propositions très audacieuses et crédibles. Il ne s'agit plus cette fois de communications, d'études ou de commentaires sur les carences du financement de l'Union. Il s'agit de propositions concrètes sur lesquelles le Conseil devra se prononcer. Il est encore trop tôt pour dire quelle chance elles ont d'aboutir. Plusieurs Etats membres ont déjà réagi fortement pour exprimer leur opposition. Mais parallèlement, plusieurs voix au Parlement européen, et notamment celle d'Alain Lamassoure, président de la commission du budget, ont déclaré qu'il n'y aurait pas d'accord sur le cadre financier 2014-2020, pour lequel l'accord du Parlement est nécessaire, sans accord concomitant sur un système de ressources propres rénové pour lequel toutefois le Parlement européen est simplement consulté.

Votre rapporteur s'est essayé à dégager les forces et faiblesses du système en vigueur et il souhaite tracer quelques pistes pour aller plus loin que les propositions de la Commission européenne. L'Union européenne ne pourra pas être forte et en capacité d'agir, notamment en cas de crise, si elle ne se dote pas de ressources propres suffisantes.

I. UN DÉBAT ANCIEN DONT LES FONDAMENTAUX ÉVOLUENT PEU

Le budget européen est discuté de manière originale. Les dépenses sont votées annuellement, mais dans les limites d'un cadre financier pluriannuel sur sept ans. En revanche, les recettes ne font pas l'objet d'un vote annuel. Le système de financement est déterminé par une décision « ressources propres » adoptée pour une durée illimitée. Toutefois, depuis que la pratique des cadres financiers pluriannuels s'est mise en place, les décisions « ressources propres » sont calées sur la durée des cadres financiers et font l'objet d'une révision au terme de chaque cadre. Il n'en reste pas moins que le débat budgétaire européen est un débat tronqué. Le volet « recette » devient subsidiaire, n'étant traité qu'une fois tous les sept ans. Ce facteur temps ainsi que la règle de l'unanimité pour l'adoption des décisions « ressources propres » font que la structure de financement de l'Union évolue très lentement et reste entièrement entre les mains des Etats membres.

A. DES RESSOURCES PROPRES DE PLUS EN PLUS RÉDUITES

Il y a deux façons de financer le budget européen :

- soit par des ressources qui lui sont affectées, des « ressources propres » ;

- soit par les contributions de chaque Etat.

L'histoire du financement du budget européen est celle de l'équilibre entre deux modes de financement, le second l'ayant largement emporté dans les faits.

1. Des ressources propres authentiques réduites comme une peau de chagrin

Un bref rappel des évolutions du financement du budget de l'Union est nécessaire, même si elles sont déjà très documentées.

Originellement fondé sur des contributions acquittées par chaque État membre, le financement du budget communautaire repose sur des ressources propres depuis la décision du Conseil du 21 avril 1970, qui affecte à la Communauté des recettes de nature fiscale exigibles de plein droit. Six « décisions ressources propres » se sont succédé depuis 1970 3 ( * ) .

Le système de financement actuel - la dernière réforme remonte à la décision « ressources propres » du 7 juin 2007 - repose sur les ressources suivantes :

- en premier lieu, les trois ressources propres traditionnelles que sont les droits de douane, les prélèvements agricoles et les cotisations sucre et isoglucos e.

- en deuxième lieu, la ressource TVA, qui est perçue par l'application d'un taux uniforme (0,30 % depuis 2007) pour tous les Etats membres à une assiette harmonisée de TVA. Cette assiette est théorique, afin de compenser les dérogations nationales à la législation de l'Union en matière de TVA et les différences dans les taux d'imposition 4 ( * ) . Au surplus, l'assiette est écrêtée à 50 % du revenu national brut (RNB) de chaque État membre. Cet écrêtement vise à éviter de faire peser une charge trop lourde aux États membres les moins prospères, l'hypothèse étant faite que la part relative de la consommation - et donc de la TVA - dans le revenu national est d'autant plus élevée que l'État est moins riche. Cette hypothèse est néanmoins de plus en plus contestée. Ainsi, le Luxembourg et l'Irlande bénéficient de cet écrêtement.

- en troisième et dernier lieu, la ressource RNB 5 ( * ) - anciennement PNB - qui est la ressource d'ajustement. Elle a été créée pour équilibrer le budget européen face à l'insuffisance des produits tirés des ressources propres traditionnelles et TVA. Son montant est obtenu par l'application au revenu national brut de chaque État membre d'un taux fixé annuellement, dans le cadre de la procédure budgétaire communautaire.

Le total de ces cinq ressources propres est plafonné à 1,24 % du revenu national brut de l'Union en crédits de paiement, et à 1,31 % en crédits d'engagement 6 ( * ) .

En pratique, le budget communautaire voté chaque année tournant autour de 1 % du RNB, ce plafond est loin d'être atteint.

D'autres recettes les complètent , tirées des impôts et autres prélèvements opérés sur les rémunérations du personnel communautaire, des intérêts bancaires, des contributions d'États tiers à l'Union au titre de leur participation à certaines politiques, du remboursement d'aides communautaires non consommées, d'intérêts de retard, et du report du solde de l'exercice précédent.

Quelle est l'importance respective de chacune de ces ressources ?

Structure du financement de l'UE - 1958 / 2011

Source : Commission européenne

La part des ressources propres traditionnelles (droits de douane, prélèvements agricoles et cotisations sucre et isoglucose 7 ( * ) ) est toujours plus marginale (moins de 14 % des recettes 8 ( * ) ). La ressource TVA baisse aussi continument 9 ( * ) . Elle est passée de 57 % des ressources propres en 1984 à 11 % en 2011. Par voie de conséquence, la part de la ressource dite RNB n'a cessé d'augmenter . Elle représente désormais près de 75 % du financement total du budget, soit environ 95 milliards d'euros.

Si on ajoute à cela que la ressource TVA est devenue en pratique l'équivalent d'une ressource RNB, les ressources issues d'une contribution des budgets des Etats membres représentent près de 86 %. En effet, la ressource TVA est une contribution détachée des flux physiques de la TVA.

Recettes du budget de l'UE, 1970-2012 (en % du RNB)

1970

1979

1988

1995

2004

2010

UE-6

UE-9

UE-12

UE-15

UE-25

UE-27

Ressource propre fondée sur la TVA (1)

---

0,38

0,59

0,58

0,13

0,10

Ressource propre fondée sur le PNB/RNB (2)

---

---

0,10

0,21

0,65

0,75

Autres versements par/vers les Etats membres (3)

0,78

---

---

---

---

---

Total des contributions nationales (4)=(1)+(2)+(3)

0,78

0,38

0,68

0,80

0,78

0,85

Ressources propres traditionnelles (5)

---

0,39

0,28

0,22

0,12

0,13

Total des ressources propres (6)=(4)+(5)

0,78

0,77

0,96

1,01

0,90

0,97

Excédent de l'exercice précédent (7)

---

0,00

0,01

0,10

0,05

0,02

Autres recettes (8)

0,00

0,01

0,01

0,01

0,03

0,05

TOTAL DES RECETTES (9)=(6)+(7)+(8)

0,78

0,78

0,99

1,12

0,98

1,05

Ventilation par type de recettes

Budget 1988

Budget 2000

BR n° 4/2011

Milliards d'EUR

Part %

Milliards d'EUR

Part %

Milliards d'EUR

Part %

Droits de douanes et cotisations « sucre »

11,9

29

15,3

17

17,9

14,1

Ressource propre TVA

24,9

60

35,2

38

14,1

11,2

Ressource propre RNB

4,2

10

37,6

41

88,6

70,0

Autres recettes (y compris les excédents)

0,9

1

4,8

5,1

5,9

4,7

TOTAL

41,8

100

92,7

100

126,5

100

Source : Rapport financier sur le budget de l'UE et budget rectificatif n° 4/2011

2. Le dévoiement de l'esprit des traités

Dans les faits, sinon en droit, la situation en 2012 s'apparente à celle qui prévalait avant 1970.

L'esprit des traités fondateurs qui prévoyaient d'abonder le budget européen par le biais d'un système de ressources propres et non par des contributions prélevées sur les budgets nationaux des États membres s'éloigne.

Alain Lamassoure, président de la commission du budget du Parlement européen, considère que la crise budgétaire de l'Union qui couve depuis dix ans tient au fait que « le budget européen est prisonnier des budgets nationaux ». La Commission européenne plaide régulièrement pour un retour au principe d'autonomie, afin que les priorités européennes ne soient pas esclaves des contraintes budgétaires nationales, que celles-ci soient conjoncturelles ou structurelles.

Les Etats les plus réticents à doter l'Union de véritables ressources propres invoquent le respect de la souveraineté des Etats et le refus de donner à l'Union son autonomie fiscale. Ces arguments ne sont pas fondés. En effet, le traité dispose clairement que l'Union doit être financé intégralement par des ressources propres et qu'il est possible d'établir de nouvelles catégories de ressources propres ou d'abroger une catégorie existante (article 311 du traité sur le fonctionnement de l'Union européenne). Si transfert de souveraineté il y a, en tout état de cause les Etats membres y ont chacun consenti. En outre, les décisions relatives aux ressources propres sont du quasi-droit primaire, puisque comme les traités elles sont adoptées à l'unanimité du Conseil et après ratification par chacun des Etats membres. Le consentement à l'impôt des parlements nationaux est sauvegardé. L'autonomie fiscale de l'Union signifierait en réalité que le Conseil et le Parlement européen puissent ensemble créer de nouvelles ressources propres. Or, les traités ne le permettent pas.

En dépit de ces garanties, toutes les tentatives d'augmenter la part des véritables ressources propres sont entachés du procès d'atteinte à la souveraineté fiscale des Etats.

Par ailleurs, derrière ce débat ressources propres contre contributions des Etats membres, on retrouve le débat entre deux conceptions de la fiscalité. Les impôts doivent-ils d'abord et seulement assurer un financement sûr des dépenses auquel cas des contributions nationales garantissent l'équilibre du budget européen de manière relativement neutre d'un point de vue économique. Ou bien les impôts sont-ils partie intégrante de la politique économique et doivent dans ce cas orienter les comportements des acteurs. Cette seconde conception se retrouve chez ceux, notamment le Parlement européen, qui critiquent l'absence de lien entre les ressources propres actuelles et les politiques communes de l'Union. Seules les ressources propres traditionnelles (tarif douanier...) ont encore un lien avec les politiques de l'Union, mais leur part est de plus en plus marginale. Votre rapporteur estime que cette seconde conception est la seule compatible avec un projet ambitieux et cohérent pour l'Europe.


* 1 Voir le rapport d'information n° 603 (2010-2011) de M. Pierre Bernard-Reymond, fait au nom de la commission des affaires européennes - « Le rabais britannique est-il encore justifié ? ».

* 2 Rapport d'information n° 136 (1998-1999) de M. Denis Badré, fait au nom de la Délégation du Sénat pour l'Union européenne - « Le financement de l'Union européenne 2000-2006 ».

* 3 Décisions du Conseil des 21 avril 1970 (création des ressources propres traditionnelles et de la ressource TVA), 7 mai 1985 (relèvement du plafond de l'assiette TVA et modalités de calcul de la « correction britannique »), 24 juin 1988 (création de la quatrième ressource propre dite ressource RNB), 30 octobre 1994 (relèvement du plafond des ressources propres par rapport au RNB et abaissement du taux d'appel TVA), 29 septembre 2000 (nouvel abaissement du taux d'appel TVA, frais de perception sur les ressources propres traditionnelles relevés de 10 à 25 %) et 7 juin 2007 (aménagement à la baisse du rabais britannique, baisse du taux d'appel de la ressource TVA).

* 4 Créée en 1970, la ressource TVA a contribué au budget européen qu'à partir de 1979, notamment en raison de la complexité de son calcul faute d'harmonisation suffisamment avancée de la TVA.

* 5 Le revenu national brut (RNB) est la somme des revenus perçus en un an par les agents économiques résidants sur le territoire. Son calcul repose sur la somme du PIB et du solde des flux de revenus primaires avec le reste du monde.

* 6 En 2007, ces plafonds ont été actualisés respectivement à 1,23 % et 1,29 %.

* 7 La pérennité des cotisations sucre et isoglucose est mise en cause par la réforme de la PAC qui devrait supprimer les quotas dans la filière.

* 8 En raison de la libéralisation du commerce mondiale et de l'augmentation des frais de perception sur les droits de douane de 10 à 25 % en 2001. Ces frais de perception sont retenus à la source par les Etats.

* 9 En raison de la baisse régulière du taux d'appel depuis vingt ans (1 % en 1999) et de l'écrêtement de l'assiette à 50 % du RNB de chaque Etat.

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