AUDITION DES MEMBRES DU COMITÉ D'EXPERTS
SUR LA SÛRETÉ NUCLÉAIRE

MARDI 28 JUIN 2011

Présidence de M. Claude Birraux, président de l'Office

M. Claude Birraux, député, président de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques (OPECST). La première partie de la mission parlementaire sur la sécurité nucléaire, la place de la filière et son avenir touche à sa fin. Même si les rapporteurs - M. Bruno Sido, ici présent, et M. Christian Bataille, qui est empêché aujourd'hui - le peaufinent encore, le rapport d'étape sur la sécurité nucléaire sera présenté à la mission puis à la presse le jeudi 30 juin. Avant son examen, j'ai souhaité recueillir votre avis sur la manière dont nous avons travaillé au cours des trois derniers mois et sur l'organisation de la deuxième partie de la mission, qui porte sur l'avenir de la filière nucléaire.

M. Bruno Sido, sénateur, premier vice-président, rapporteur. Nous vous avions réunis lors du lancement de la première partie de la mission, ce qui nous a aidés à en définir rapidement le cadre. Vous nous avez apporté un appui essentiel pour préparer les auditions ouvertes à la presse. Lors de leur déroulement, vous nous avez éclairés par vos questions. Certains d'entre vous ont même accepté d'intervenir sur certains sujets. Nous vous remercions pour votre aide.

Quels enseignements avez-vous retiré des auditions ? Pensez-vous que cette forme d'échange - en partie imposée par la saisine - soit la plus adaptée ? Souhaitez-vous mettre certaines informations en exergue ?

Pour préparer la seconde partie de notre étude, un déplacement est prévu la semaine prochaine en Allemagne. Il nous permettra de prendre connaissance, après les récentes décisions de la Chancelière Angela Merkel, des orientations de la politique énergétique de notre principal partenaire économique. M. Bataille rencontrera des responsables politiques et des industriels tant allemands que français, et visitera des centrales nucléaires et des centrales au gaz et au charbon. D'autres pays que l'Allemagne vous semblent-ils particulièrement représentatifs par leur politique énergétique ou par la manière dont ils développent certaines énergies ? Enfin, quels thèmes devrions-nous aborder lors des auditions et quels doivent être, selon vous, les axes majeurs de la mission ?

M. Hubert Flocard, chercheur à l'Institut international de l'énergie nucléaire. La Grande-Bretagne, qui vient de publier un rapport sur le sujet, est un des pays qui pourrait nous fournir le plus d'informations sur l'impact des énergies intermittentes, qui se développent offshore . Par ailleurs, il serait intéressant de savoir pourquoi elle a renoncé à construire un barrage dans la baie de la Severn pour exploiter l'énergie marémotrice.

M. le président Claude Birraux. Un rapport plus ancien avait étudié la possibilité d'installer sur le plateau continental de la Manche, qui est peu profond, des atolls de stockage. Ils pourraient fournir des réserves, en cas de besoin, pour alimenter la Bretagne, qui ne produit que 5% de son électricité.

M. Philippe Saint-Raymond, vice-président du groupe d'experts pour les réacteurs nucléaires de l'Autorité de sûreté nucléaire. J'interviendrai sur la première partie de la mission, la seconde ne me concernant qu'en tant que citoyen. Les exploitants nous ont convaincus que leurs installations sont suffisamment bien conçues et réalisées pour résister aux risques envisagés lors de la conception. Mais que se passe-t-il quand une situation échappe aux prévisions ?

Dix ans avant l'accident de Fukushima, le risque sismique et le risque d'inondation, qui ne se posent pas dans les mêmes termes en France et au Japon, étaient déjà connus, et leur impact sur les installations nucléaires a été réévalué récemment. La situation dans laquelle s'est retrouvé le Japon n'avait cependant pas été prévue, signe qu'il faut raisonner non à partir d'un risque ou d'un scénario pouvant mener à telle ou telle situation, mais à partir des situations elles-mêmes, comme EDF a tenté de le faire après l'accident de Three Mile Island. Si des procédures hors dimensionnement avaient été prévues pour pallier la perte de la source froide et des alimentations électriques, leur perte conjointe, qui s'est produite à Fukushima, n'avait pas été envisagée.

Par ailleurs, EDF a fait porter ses efforts sur la protection du coeur du réacteur pendant la réaction. Cependant, au moment de l'arrêt, quand le combustible est entreposé en piscine, il est moins défendu, même s'il est aussi moins dangereux. La piscine n'est-elle pas le point faible en cas de situations extrêmes ?

M. Michel Schwarz, directeur scientifique de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN). Cette conclusion rejoint celle du groupe de travail « Solidarité Japon » de l'Académie des sciences, qui a insisté sur le fait que les piscines peuvent recevoir des combustibles équivalant à celui que contient le coeur de plusieurs réacteurs, et sur la nécessité de prévoir la combinaison d'événements extrêmes. Il a aussi pointé la nécessité d'une recherche publique, extérieure à celle que mènent les exploitants, et consacrée à la prévention ou à la limitation des accidents.

M. Robert Guillaumont, professeur honoraire à l'université Paris-Sud 11, membre de l'Académie des sciences. L'accident de Fukushima, d'une nature et d'une durée inédites, a révélé les risques que crée le combustible à chaque étape du cycle, notamment après sa sortie du réacteur, quand il est en piscine. La recherche se poursuit en tout temps, mais chaque accident la réactive. Il faut à présent la maintenir constamment à un niveau élevé, en coordonnant les travaux effectués sur la sûreté.

M. le président Claude Birraux. « Se méfier du paradoxe de la tranquillité » : tel était le sous-titre du rapport sur les déchets nucléaires que nous avons publié en janvier. La formule est toujours d'actualité.

Mme Monique Sené, présidente du groupement des scientifiques pour l'information sur l'énergie nucléaire. En tant que vice-présidente de l'Association nationale des commissions et comités locaux d'information (ANCCLI), je rappelle que les commissions locales se sont aussitôt emparées du problème. Des groupes de travail ont été créés, notamment à Gravelines, Fessenheim, Flamanville, Cadarache et Tricastin. Ils désirent pouvoir mener une expertise pluraliste, à côté d'EDF ou d'Areva, en recourant par exemple à des universitaires. Pour autant, ils ne souhaitent pas se passer de l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN), même si cet expert public ne peut s'exprimer sur les dossiers qu'il instruit.

Les visites décennales ont permis de pointer, à Fessenheim, l'insuffisance du radier en cas d'accident ou le problème posé par certaines enceintes de confinement un peu fuyardes et dont les fuites pourraient avoir des conséquences sur l'environnement et la santé. Pour les comités locaux d'information (CLI), l'important est le post-accidentel. Or, jusqu'à présent, les scénarios envisagés portent sur des périodes courtes, d'un ou deux jours ; mais, à Fukushima, l'ampleur des destructions a gravement compliqué l'évacuation et l'on a vu que les problèmes demeurent irrésolus pendant des mois. Il faut à présent revoir les choses sous l'angle de la durée.

Le collège syndical est très préoccupé par la sécurité des travailleurs. En cas d'accident, y aura-t-il suffisamment de robots ? Les comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) souhaitent en parler avec les commissions locales.

Les CLI et le Haut Comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire ont réfléchi à ce qui se passerait en cas de séisme et d'événement extrême. En cas de problème, j'avais imaginé, par exemple, que les eaux du Rhône seraient suffisantes. Or, depuis près de soixante ans, elles n'ont jamais été aussi basses et, en cas de problème, le besoin en eau du secteur nucléaire entrerait en compétition avec celui de l'agriculture. La situation est donc moins simple qu'on pourrait le croire.

Enfin, j'espère que les commissions locales, qui ont accompli un travail considérable, recevront un financement qui leur permettra d'être plus efficaces.

M. le président Claude Birraux. À Fessenheim, la commission locale d'information, qui avait demandé à être impliquée depuis la première visite décennale, comptait alors dans son comité de pilotage M. Jochen Benecke et Mgr Luc Gillon.

Mme Monique Sené. Ainsi que deux physiciens du CNRS : Patrick Petitjean et Raymond Sené, qui avaient été désignés par le prix Nobel Jack Steinberger, du Conseil européen pour la recherche nucléaire (CERN). Celui-ci avait décliné l'invitation à siéger dans le comité de pilotage parce qu'il ne connaissait pas les centrales françaises.

Ses membres se sont heurtés à toutes sortes de difficultés. On les a fait attendre toute une journée avant de les admettre dans le bâtiment du réacteur, parce qu'il leur manquait le code d'accès. Lors de cette visite, M. Gillon s'est rendu compte qu'une sortie réservée en cas d'accident était impraticable, la clef étant cassée dans la serrure...

M. André Zaoui, directeur de recherche émérite au CNRS, correspondant de l'Académie des sciences. Pendant la seconde partie de ses travaux, je suggère que la mission continue de traiter du nucléaire, en particulier du nucléaire du futur - les réacteurs de la quatrième génération - et de la gestion des déchets, et non pas seulement des autres formes d'énergie. D'autre part, puisqu'elle sera amenée à comparer diverses énergies, il me semble nécessaire qu'elle soit informée sur l'évaluation des coûts.

M. Sylvain David, chercheur à l'institut de physique nucléaire d'Orsay, CNRS. Outre cela, pour le nucléaire, le retour sur investissement est si long que pour construire un réacteur par an pendant vingt ans, afin de remplacer le parc, il faudra imaginer des modes de financement innovants.

M. Robert Guillaumont. On ne fera pas l'économie d'une étude sur les perspectives d'avenir des réacteurs de la génération IV. La mission, qui a plaidé pour la transparence dans la première partie de ses travaux, devra appliquer ce principe dans la seconde partie de son étude. Elle devra dire que la montée en puissance d'un parc de réacteurs à neutrons rapides de quatrième génération, qui demandera cent ans, engage l'avenir pour au moins deux siècles. Elle devra dire aussi que cet engagement implique un changement de filière et la construction d'installations nucléaires très différentes de celles que nous connaissons.

L'accident de Fukushima n'arrêtera pas le nucléaire de troisième génération. Cependant, le choix de la quatrième est difficile à prendre non sur le plan technique, pour lequel on peut faire confiance aux physiciens, mais sur le plan social et politique. Si l'on s'apprête à prendre une option nucléaire qui vaudra pour plusieurs siècles, il faut jouer la transparence et organiser une audition à ce sujet pour que tout le monde soit éclairé.

M. Sylvain David, La loi de 2006 prévoit un rendez-vous en 2012 pour décider de l'avenir de la quatrième génération et de la construction éventuelle d'un prototype de réacteur nucléaire à neutrons rapides au sodium, nommé « Astrid ». La mission a-t-elle pour rôle d'émettre un avis préalable à cette décision ?

M. le président Claude Birraux. Dès l'instant où l'on parle de l'avenir de la filière, il faut l'envisager dans son ensemble.

M. Hubert Flocard. L'évaluation de la sûreté est affaire de professionnels, même s'il peut être bon d'y associer des universitaires, le public, et, pourquoi pas, un évêque...

M. le président Claude Birraux. Mgr Gillon, formé à l'Université de Louvain, était docteur en sciences physiques et spécialisé en énergie nucléaire.

M. Hubert Flocard. L'Autorité de sûreté nucléaire (ASN), qui joue un rôle national, puise toujours dans le même vivier de chercheurs. Il est essentiel qu'elle fasse réaliser des évaluations de sûreté par des compétences internationales externes, de même qualité que l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN).

M. le président Claude Birraux. L'ASN a anticipé votre demande, puisque ses groupes permanents comprennent des experts étrangers. En outre, elle ne fait pas systématiquement appel à l'IRSN, puisqu'elle sollicite aussi l'Association Vinçotte Nucléaire en Belgique, ou le Nuclear Installations Inspectorate britannique. Les opinions croisées sont intéressantes.

M. Hubert Flocard. Quand j'ai posé la question aux représentants de l'ASN, ils m'ont indiqué faire très peu appel à des compétences étrangères.

M. Philippe Saint-Raymond. Pour peu qu'ils parlent français, les experts européens qui siègent dans les groupes permanents apportent une vision enrichissante, mais l'essentiel de l'expertise repose sur un rapport de l'IRSN. Il est rare que des organismes techniques étrangers contribuent à sa rédaction : il est plus simple de travailler avec des experts qui sont sur place et qui connaissent les installations, et de ne sous-traiter à des organismes étrangers que des parties distinctes de l'expertise.

M. Michel Schwarz. Pour les programmes Cabri et Phébus, il a été fait appel à des experts belges et à des experts allemands de la Société pour la sûreté des installations et des réacteurs nucléaires ( Gesellschaft für Anlagen- und Reaktorsicherheit) . Cela dit, il n'est pas facile de sous-traiter à un organisme technique de sûreté étranger l'instruction d'un dossier, qui demande une excellente connaissance de l'installation, de l'historique et de la langue française.

Pour couvrir le volet économique de la mission, il sera intéressant de connaître le coût d'un accident nucléaire. L'IRSN pourra nous éclairer sur ce point.

Enfin, comme l'a relevé l'Académie des sciences, nous devons réfléchir en termes d'acceptabilité. Les experts que nous sommes doivent expliciter les enjeux et les choix tant dans le domaine économique et technique que dans celui de la sûreté.

M. Jean Gauvain, Agence de l'OCDE pour l'énergie nucléaire . Qu'une analyse soit formulée par des spécialistes étrangers est une chose, mais il faut aussi tenir compte des expériences étrangères, et de deux manières. La première est de prendre en considération les meilleures pratiques, et on ne peut qu'inviter la France à poursuivre son excellente participation à l'élaboration des normes de sûreté internationales, pour les tirer vers le haut. La seconde consiste, comme cela se fait dans le cadre de l'OCDE, à mettre en commun des meilleures connaissances internationales, en encourageant les travaux sur certains aspects encore insuffisamment creusés, tel le risque hydrogène, qu'à ce jour seuls certains pays prennent suffisamment au sérieux pour installer des dispositifs de mitigation.

M. Daniel Paul, député. Les problèmes soulevés par la sous-traitance ont été à peine évoqués ; pourtant, à l'évidence, ils nuisent à l'acceptabilité. À cette question mise en avant par les organisations syndicales, on ne pourra s'abstenir d'apporter une réponse, laquelle n'est pas seulement technique ; il s'agit plus largement des modes de travail dans les centrales nucléaires. Chacun conviendra que l'on ne peut y travailler comme on travaille dans une fabrique de meubles.

Mme Monique Sené. Après discussion entre le Haut Comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire, les CLI et l'ASN, il a été décidé d'intégrer les questions d'organisation du travail dans l'audit. Il faut en effet essayer de comprendre comment on en est arrivé à la situation actuelle, telle que, dans certaines centrales sont à l'oeuvre des salariés insuffisamment formés et qui ne savent pas exactement à quoi sert ce qu'ils font, ce qui pose de graves problèmes.

L'ANCCLI travaille avec l'ASN, EDF, Areva, sans prétendre avoir la même expertise que l'IRSN. Les experts des CLI ont pour rôle de poser des questions sur ce qui se passe sur un site et d'apporter un éclairage différent. Un regard extérieur permet des interrogations auxquelles on ne pense pas obligatoirement en interne ; d'ailleurs, lors de la visite décennale de la centrale de Fessenheim, le rapport des experts de la commission locale a été pris en compte par l'ASN. Les commissions locales peuvent aider les syndicats à faire progresser leurs demandes de radioprotection et de sûreté, qui les ont conduits à appeler l'attention sur la sous-traitance.

Mme Marie-Christine Blandin, sénatrice. Pour mettre en perspective tous les facteurs de choix, il faut, cela a été dit, évaluer les coûts induits par une éventuelle catastrophe nucléaire. Dans ce cadre, il convient de prendre en compte, outre les morts immédiates, les conséquences biologiques à long terme d'un tel événement, en tirant les enseignements de la catastrophe de Fukushima. Il ne faut donc pas négliger le coût de la contamination de centaines d'hectares rendus inutilisables pendant des décennies pour toute activité humaine, ni ignorer le fait qu'Areva a échoué à installer un cycle de refroidissement des circuits de la centrale de Fukushima sinistrée, ce qui a contraint à utiliser de l'eau fraîche à présent contaminée et dont le rejet dans l'océan menace l'ensemble de la chaîne alimentaire, où les nucléides se concentrent - au lieu que, comme l'a dit M. Repussard, ils se dissolvent. Tout cela demande à être quantifié.

M. Jean Gauvain. Il y a deux ans, l'agence de l'OCDE pour l'énergie nucléaire a réalisé une étude consacrée au contrôle de la sous-traitance. L'équilibre est difficile à trouver entre optimisation des coûts et optimisation de la qualité ; les deux approches sont parfois conflictuelles. On l'a constaté en Finlande, où des sous-traitances en cascade ont provoqué des incidents de chantier et une grande difficulté à maintenir le contrôle de la qualité. Les décideurs se concentrent généralement sur les coûts ; si la qualité n'entre pas dans les paramètres à partir desquels la décision se forme, on peut en venir à de sérieuses difficultés.

M. Hubert Flocard. Ayant eu à connaître, dans deux bassins d'emplois, du programme des licences et des maîtrises professionnelles destinées aux étudiants appelés à travailler dans l'industrie nucléaire, j'ai constaté que, de plus en plus souvent, ces formations se font en association avec des entreprises sous-traitantes. Tout le processus de sûreté, toutes les règles d'habilitation, sont définis en commun, avec les exploitants. La sous-traitance ne disparaîtra pas complètement, mais la problématique de sûreté est prise en compte de manière de plus en plus sérieuse dans les formations des ingénieurs et les techniciens supérieurs qui travailleront dans les entreprises considérées.

M. le président Claude Birraux. En principe, toute personne intervenant dans une centrale nucléaire doit être titulaire d'une habilitation l'autorisant à travailler sur des installations émettant des rayonnements ionisants ; si l'on en croit ce qui nous a été dit, les membres du personnel des entreprises sous-traitantes viennent se former à l'ensemble des opérations qu'ils auront à conduire, dans les conditions réelles, sur le chantier école du Tricastin, où ils apprennent les procédures d'habillage, de déshabillage, de contrôle et de manipulation.

M. Philippe Saint-Raymond. Il me paraît, comme à M. Gauvain, que le problème posé par la sous-traitance est bien plus large : c'est celui, général, de la qualité des constructions.

M. Bruno Sido, sénateur, premier vice-président, rapporteur . Sans nier toute l'importance de la question, soulignée par les syndicats, je ne pense pas que les difficultés que pose actuellement la sous-traitance déterminent l'avenir de la filière nucléaire. J'aimerais que l'on revienne aux réacteurs nucléaires de génération IV, dont la mise en service ne peut être que lointaine. M. Bernard Bigot, administrateur général du CEA, a souligné devant nous que les réacteurs de quatrième génération ne peuvent fonctionner qu'avec du plutonium. La question se pose donc de l'articulation dans le temps des réacteurs de générations II, III et IV.

M. Sylvain David. Passer, en France, aux réacteurs de génération IV d'ici la fin du siècle suppose d'employer à cette fin tout le plutonium civil disponible. C'est d'ailleurs parce qu'il contient de ce précieux métal que le combustible MOX usé ne peut être catégorisé comme déchet. Mais si l'accident de Fukushima a pour conséquence que les réacteurs de génération IV ne se déploient pas, le plutonium deviendra un déchet, de tous le plus toxique, et le principal en risque de prolifération. Par ailleurs, en matière nucléaire, les temps sont très longs et le choix de construire en 2012 un prototype de réacteur de type Astrid engagera le pays pour des décennies. Que l'échéance des réacteurs de génération IV soit très lointaine, la nouvelle filière industrielle démarrant en 2040, ne peut dispenser d'une décision.

M. Robert Guillaumont. Il faudra d'ailleurs déterminer pour quelle échelle de temps nous souhaitons fixer notre mix énergétique. Prenons l'exemple de l'énergie d'origine photovoltaïque : veut-on discuter de ce qui sera disponible dans les dix ans qui viennent ou de ce qui pourrait apparaître en 2030 ? De même, pour l'énergie nucléaire, parle-t-on d'une politique qui nous conduit jusqu'à 2030 - et dans ce cas, certaines options disparaissent - ou décide-t-on d'aller au-delà ? C'est aux parlementaires de préciser ce cadre, sous peine de confusion.

Mme Monique Sené. La définition de la politique énergétique que l'on souhaite mettre en oeuvre participe de la transparence. En 1977 déjà, un rapport parlementaire soulignait que l'on était en train de passer au « tout nucléaire » en oubliant qu'il fallait aussi développer les énergies renouvelables. Malheureusement, les auteurs de ce rapport n'ont pas été entendus.

Il faut être réaliste. On peut certes fixer 2030 pour échéance - ce que l'on fait déjà pour l'inventaire national des déchets - mais il paraît bien difficile de s'en tenir au parc actuel en « oubliant » qu'il y aura un autre parc. Le site d'enfouissement des déchets de Bure sera plein : pourra-t-on agrandir les galeries ? Ce qui a été promis aux riverains, c'est que l'on s'en tiendrait à l'inventaire national de 2030 ; jamais il n'a été dit qu'il y aurait peut-être des enfouissements ultérieurs et même dans la perspective de l'inventaire de 2030, on fermerait le site en 2120. Il faut être conscient que l'engagement dans cette filière pèsera lourd sur le programme énergétique du pays ; il faut donc se demander s'il ne faut pas une ouverture à d'autres énergies que la seule énergie nucléaire. Cela coûtera peut-être plus cher, mais le coût total pour la nation sera-t-il vraiment plus élevé ? Une discussion pluraliste est indispensable.

M. Robert Guillaumont. Dans l'hypothèse du retraitement du combustible MOX usé, le problème des déchets est en passe d'être résolu pour le parc actuel. Mais si l'on décide de ne pas s'engager dans la construction des réacteurs de quatrième génération, on change la nature des déchets, et les problèmes à résoudre ne seront pas exactement les mêmes. Or, c'est une question sur laquelle on est pour l'instant très discret.

M. Philippe Saint-Raymond. De même, la nature de la sûreté peut changer si l'on décide de sortir du nucléaire. Il est en effet beaucoup plus facile d'assurer une bonne sûreté dans un parc vivant que dans un parc en extinction ; nos amis allemands s'en rendront compte bientôt.

M. le président Claude Birraux. De fait, aucune contrainte de sûreté supplémentaire n'a été imposée aux industriels allemands dans l'accord d'extinction passé, à l'époque, avec le chancelier Schröder. Aucune étude n'a été conduite en Allemagne sur le vieillissement des centrales ; seul a été mis au point un programme informatique recensant les incidents intervenus au cours des vingt premières années de fonctionnement des réacteurs, et l'on porte là-bas une attention particulière aux incidents qui se sont produits avec la plus grande fréquence. Mais, si je puis me permettre cette comparaison, l'arthrose ne touche-t-elle pas plutôt les sujets âgés de plus de 50 ans ?

M. Philippe Tourtelier, député. Peut-on imaginer une alternative consistant à développer un minimum de réacteurs de quatrième génération pour retraiter le plutonium, dont il faudra bien faire quelque chose ?

M. Sylvain David. Les réacteurs de génération IV sont des réacteurs régénérateurs ; c'est pourquoi il faut absolument accumuler quelque 1 000 tonnes de plutonium en France si nous voulons disposer d'un parc de 60 gigawatts à l'équilibre. Mais si le problème de la ressource en uranium ne se pose pas, on peut très bien imaginer des réacteurs de génération IV incinérateurs de plutonium. Dans ce cas, on aura un parc mixte, composé d'une part de réacteurs thermiques, d'autre part de réacteurs rapides destinés à brûler le plutonium et non à obtenir un équilibre par régénération. Dans cette configuration, on pourrait stabiliser à 200 ou 300 tonnes la quantité de plutonium nécessaire, soit le volume présent aujourd'hui dans le combustible MOX usé. Mais cette décision empêchera de développer des réacteurs régénérateurs à la ressource durable quand on en aura besoin, dans 50 ou 100 ans. C'est donc un choix qui engage aussi l'avenir du pays.

M. Jean Gauvain. Je reviens un instant sur la situation en Allemagne pour souligner qu'il est très difficile de maintenir des compétences et d'en attirer de nouvelles quand une échéance a été fixée pour l'arrêt d'une activité. Il faut garder cela en mémoire quand on considère l'avenir de la filière, car il ne peut y avoir de filière industrielle nucléaire sans que soient assurées les compétences technologiques bien sûr, mais aussi de sûreté.

M. le président Claude Birraux. Mesdames, messieurs, je vous remercie pour vos commentaires intéressants et pertinents.

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