d) Multiplier les contacts sur le terrain avec les usagers de drogues
? Renforcer la couverture du territoire par les structures « de première ligne » pour multiplier les contacts avec les usagers de drogues
La visite de l'espace d'accueil et de consommation Quai 9 à Genève par la mission d'information, ainsi que les auditions auxquelles elle a procédé, ont mis en évidence l'enjeu que constitue la prise en charge des usagers de drogues les plus précaires et vulnérables. Y répondre suppose, en premier lieu, de multiplier les structures susceptibles de nouer avec eux un premier contact pour, par la suite, les informer sur les pratiques à moindres risques et, si possible, les orienter vers le système de soins. Les centres d'accueil et d'accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues semblent être les plus à même de remplir cette mission.
Il apparaît donc nécessaire de parvenir à une couverture du territoire satisfaisante par ces structures, ce qui n'est pour l'instant pas le cas. En effet, on compte 133 centres, mais, selon l'Observatoire français des drogues et des toxicomanies (207 ( * )) , trois régions en sont dépourvues : la Corse, le Limousin et le Martinique ; 25 % des départements ne disposent pas d'un tel centre.
? Renforcer les actions de rue et de médiation
Il a été suggéré à la mission d'information, lors de la visite qu'elle a effectuée au centre d'accueil et d'accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues « First » de Villepinte, d'élargir les missions sociales de tels centres à l'hébergement et la possibilité de mener des actions dans le domaine de l'économie solidaire, comme cela est le cas pour certains organismes assurant l'accueil et l'hébergement de personnes en difficulté.
Vos rapporteurs ne partagent pas cette position. Ils considèrent que l'hébergement médico-social des toxicomanes doit s'accompagner d'une démarche de soins et de soutien pour aller vers l'abstinence. Cette mission relève bien davantage des centres de soins, d'accompagnement et de prévention en addictologie ou des communautés thérapeutiques.
En revanche, il semble nécessaire de multiplier les contacts avec les usagers de drogues très précaires et désinsérés pour les orienter vers des structures de soins . Vos rapporteurs souscrivent donc pleinement à l'analyse de M. Michel Gaudin, préfet de police de Paris (208 ( * )) , qui a jugé nécessaire de « développer les maraudes de contact pour aller au-devant de ces personnes. Les centres d'accueil et d'accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues ne disposent pas des moyens suffisants pour cela. »
Ainsi, à Paris, la principale « scène de consommation de drogues » ne fait-elle pas l'objet d'une présence médico-sociale suffisante. Selon M. Renaud Vedel, directeur-adjoint de cabinet du préfet de police de Paris, « les temps de maraude à Stalingrad [sont] de deux fois deux heures pour l'association la plus importante, Coordination toxicomanies 18, deux autres associations intervenant également. La couverture de la principale scène de consommation parisienne est donc très faible, alors que les policiers y mènent tous les jours des opérations de surveillance ou des interventions » (209 ( * )) .
Un constat similaire a été partagé par M. Jean-Louis Bara, directeur du centre d'accueil et d'accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues « First » de Villepinte, qui a jugé que les interventions de rue constituaient le « maillon faible » de l'action menée par ce centre.
Cette présence insuffisante ne peut, en aucun cas, être imputée à un éventuel désintérêt des personnels impliqués ; le manque de moyens et des considérations sécuritaires jouent un rôle important dans cette situation. On ne doit en effet pas sous-estimer les obstacles à des actions de rue. Comme M. Jean-Louis Bara l'avait souligné, il est souvent délicat d'intervenir dans des quartiers difficiles où le trafic d'héroïne et de cocaïne est important ; or, les usagers de drogues les plus désinsérés se trouvent souvent sur les lieux de trafic.
Des actions de médiation peuvent aussi être menées avec les bailleurs sociaux pour intervenir dans les parties communes des immeubles, mais là encore, cette tâche est malaisée dans les quartiers les plus sensibles où les petits trafiquants utilisent des méthodes très poussées de contrôle et d'intimidation pour empêcher toute présence « indésirable » sur les lieux de trafic. L'audition de M. Gilles Leclair, préfet délégué pour la défense et la sécurité auprès du préfet de la zone de défense Sud, a, sur ce point particulier, été très éclairante (1) , puisqu'il a parlé de contrôles de personnes non connues à l'entrée des cités et de l'interdiction de monter dans les cages d'escaliers si les trafics sont en train de s'y dérouler.
Cela démontre que l'action de rue, indispensable, doit aller de pair avec une collaboration équilibrée avec les forces de l'ordre. Il ne s'agit pas d'intervenir dans une logique de répression mais de santé publique ; pour cela, encore faut-il que les structures allant au contact des usagers de drogues puissent le faire dans des conditions de sécurité satisfaisantes. De telles collaborations existent : M. Michel Gaudin, préfet de police de Paris, a ainsi demandé aux policiers de faire preuve de beaucoup de discernement dans l'application de la politique répressive aux alentours des centres d'accueil et d'accompagnement à la réduction des risques pour usagers de drogues. La préfecture de police de Paris a en outre accepté, en accord avec la Ville de Paris et en concertation avec les mairies d'arrondissement, de retirer les caméras là où l'on pouvait la suspecter d'utiliser des images de toxicomanes venant se faire soigner. Il convient de promouvoir de telles démarches, dans le souci d'une approche équilibrée du phénomène des toxicomanies.
*
* *
La politique de réduction des risques a permis des avancées encourageantes en termes de santé publique, notamment en permettant d'endiguer l'épidémie de virus de l'immunodéficience humaine. Mais elle doit aujourd'hui s'adapter pour faire face à de nouveaux défis : la diffusion du virus de l'hépatite C, contre lequel elle semble démunie, les interrogations sur la gestion, dans le temps, des traitements de substitution aux opiacés et la grande précarité de certains usagers de drogues.
Cela nécessite de procéder à des ajustements, dans une démarche alliant esprit de responsabilité et discernement. La politique de réduction des risques doit permettre d'améliorer, par elle-même, la santé des toxicomanes, mais elle ne peut être une fin en soi et doit mobiliser les énergies pour permettre d'orienter, à terme, les usagers de drogues vers l'offre de soins spécialisés.
* (207) Matthieu Chalumeau, Les CAARUD en 2008, analyse nationale des rapports d'activité ASA-CAARUD, Observatoire français des drogues et des toxicomanies, Focus, juillet 2010.
* (208) Audition du 25 mai 2011.
* (209) Audition du 25 mai 2011.