CHAPITRE 1 - DES DIFFÉRENCES EN VOIE D'ACCENTUATION ?
Malgré de nombreux points communs, les économies française et allemande ont toujours admis des différences, notamment sous l'angle de certaines de leurs structures, la répartition sectorielle des productions ou la « population » des entreprises par exemple.
Ces différences semblent s'accentuer depuis une dizaine d'années. Depuis l'adoption de l'euro et dans le contexte d'une économie mondiale de plus en plus globalisée, les trajectoires suivies par les deux pays semblent diverger.
L'Allemagne offrirait le visage d'une forme de résistance de l'industrie face à une France se désindustrialisant. Le tissu des PME allemandes présenterait une solidité faisant contraste avec la fragilité des mêmes entreprises en France. L'opposition entre une Allemagne du Mittlestandt et une France des grandes entreprises s'accentuerait. Plus globalement, les excédents commerciaux allemands conjugués avec la tendance du pays à retrouver le chemin de l'équilibre budgétaire plaideraient en faveur d'un modèle allemand qu'il faudrait que la France s'empresse d'imiter pour ses vertus compétitives.
Ce panorama général comporte quelques vérités mais il appelle plus que des nuances.
Si, même en ne considérant que le seul territoire national, la désindustrialisation relative de la France doit être soigneusement considérée, ce l'est bien plus encore quand on se place au niveau microéconomique des entreprises. De même, l'image d'une Allemagne résolument industrielle est partiellement trompeuse.
Les deux pays sont marqués par les différences des modalités de déploiement territorial de leurs entreprises industrielles et dans l'allocation productive des ressources disponibles sur leur territoire mais ils sont soumis à des contraintes communes face auxquelles ils ne diffèreraient vraiment qu'à raison de la structure de leurs activités.
Leurs résultats seraient plus semblables qu'étrangers les uns aux autres : plus d'excédents en Allemagne, plus de croissance en France, mais dans les deux cas la persistance d'une certaine atonie et des perspectives que les équilibres actuels ne contribuent pas à éclaircir.
Une partie de ces nuances peut sans doute être attribuée aux caractéristiques de la démographie des entreprises qui diffèrent dans les deux pays.
Même s'il faut nuancer l'image d'une Allemagne des petites et moyennes entreprises florissantes, le tissu productif français porte la marque de sa tradition colbertiste et les restructurations en cours pourraient accentuer la segmentation des entreprises françaises entre des grands groupes mondialisés et des petites entreprises dominées. Mais, en dépit de facteurs pouvant leur assurer une meilleure résistance, il n'est pas sûr que les PME allemandes puissent résister toujours à un tel processus.
Il n'empêche. Des différences existent bien entre les deux pays : elles augmentent et elles pourraient s'accentuer à l'avenir.
À ce sujet, si les différences structurelles entre les deux économies contribuent sans doute fortement aux divergences observées entre eux quant aux composantes de leur croissance, les conditions du bouclage macro-économique jouent aussi. Tout cela contribue à ce que les moteurs de la croissance économique ne soient pas les mêmes dans les deux pays et, sur ce point, la divergence s'est amplifiée ces dix dernières années.
La croissance de l'économie allemande repose essentiellement sur l'augmentation de son excédent commercial extérieur, le commerce international freinant au contraire la croissance française.
On ne peut toutefois en conclure que l'équilibre extérieur de l'économie allemande lui assure une croissance plus dynamique que pour une France handicapée par la dégradation de son commerce international.
Au contraire, au cours des années 2000, la divergence des structures des contributions à la croissance économique a été corrélée avec une croissance plus élevée en moyenne en France qu'en Allemagne.
Sur le plan social, les deux pays ont également semblé creuser leurs différences. Les créations d'emplois ont été longtemps plus dynamiques en France ; les niveaux de vie se sont rapprochés ; les inégalités ont plus progressé en Allemagne.
Le panorama des deux économies est tributaire de la période qu'on examine. Ce sont ici les années 2000 qui le sont, celles qui correspondent à la grande restructuration réalisée en Allemagne.
À la veille de la crise, quelques inflexions sont apparues. On les signale. Elles ont été largement balayées par les événements.
Étaient-elles l'annonce d'une nouvelle convergence ?
On proposera au fil du rapport quelques éléments d'appréciation sur ce point.
Mais, c'est bien des trajectoires divergentes des deux pays dans la majeure partie des années 2000 qu'il faut partir.
Toutefois, il faut accompagner ce constat de quelques corrections, celles-ci introduisant le débat sur la dynamique future des deux économies.
I. DES RESSORTS DIFFÉRENTS POUR UNE CROISSANCE ÉCONOMIQUE FAIBLE DANS LES DEUX PAYS MAIS GLOBALEMENT PLUS DYNAMIQUE EN FRANCE
A. DES MOTEURS DE CROISSANCE DIFFÉRENTS
1. De fortes différences apparentes ...
Apparemment, les deux pays connaissent des moteurs de croissance très différents. La croissance allemande dépend des performances de son commerce extérieur. L'Allemagne suit un modèle de croissance tirée par l'extérieur.
Contribution des différents agrégats à la croissance du PIB
Le niveau de la contribution du commerce extérieur à la croissance allemande est traditionnellement élevé mais il a atteint des sommets à partir de la première moitié des années 2000, en même temps que la demande intérieure contribuait négativement à l'activité économique.
Les contributions aux variations du PIB
sur la
période 1985-95 puis de 1996 à 2011
(
variation
annuelle en %)
L'Allemagne ne se singularise pas seulement avec la France. Parmi les grandes économies européennes, elle fait cavalier seul.
Entre 2000 et 2008, le taux de croissance moyen de la demande intérieure a été en Allemagne inférieur de 1,8 point à celui de la France, mais aussi de l'ensemble des pays de l'OCDE.
De son côté, la France subit des pertes de croissance du fait de ses relations commerciales internationales et voit son activité reposer sur la demande interne avec le couple consommation-investissement.
Contributions à la croissance des
différents postes
de la demande (2001-2008) (en points en moyenne
annuelle)
Consommation |
Investissement |
Commerce extérieur |
|
Allemagne |
0,5 |
0,5 |
0,8 |
France |
1,5 |
0,7 |
- 0,5 |
Écart |
- 1 |
- 0,2 |
+ 1,3 |