3. Le climat apaisé dans l'établissement
En dépit d'une situation matérielle qui, si elle est en progrès, reste néanmoins encore problématique, il est heureux de constater que le climat régnant à la maison d'arrêt de Majicavo se révèle serein .
Alors que l'établissement s'apprête à passer un cran à l'horizon 2014 ( cf. supra ), il apparait essentiel de préserver cette sérénité, notamment en traitant rapidement et avec clairvoyance la question du statut des personnels mahorais en voie d'intégration au sein de la fonction publique d'Etat .
a) La bonne prise en compte des spécificités de la population détenue
A l'exception notable d'un suicide en octobre 2010, aucun autre incident grave n'est à déplorer au sein de la maison d'arrêt depuis 2009. La vie de l'établissement n'a ainsi été émaillée que d'une tentative d'évasion d'un détenu finalement intercepté sur les toits de la prison (février 2009) et d'un incendie volontaire dans une cellule (ayant donné lieu à l'intervention des forces de l'ordre, en juillet 2009).
Ce résultat satisfaisant est le fruit d'un engagement réel de la direction de l'établissement et de l'ensemble des personnels en faveur de la sécurité .
Dans le cadre de la prévention des suicides , un partenariat entre la maison d'arrêt et l'hôpital de Mayotte a été finalisé via une convention signée en 2010. Cette convention définit les modalités de mise à disposition d'un personnel de chaque institution afin de dispenser des formations en binôme. Ces actions concernent aussi bien les personnels pénitentiaires que les autres intervenants au sein de l'établissement. Un bilan positif, issu des évaluations post formation, a conduit les deux institutions à renouveler la convention pour 2011.
Dans le domaine de la lutte contre les violences , des entretiens réguliers avec des détenus convoqués de manière aléatoire ont lieu avec le responsable de détention. Ces entretiens sont consignés dans un registre faisant notamment état d'éventuelles maltraitances. Un concours sur ce sujet a été organisé en 2010, réunissant plus de 70 détenus intéressés. Il consistait en la production d'une oeuvre (dessin, sculpture, poème, chant, danse...) et les lauréats ont été désignés par un jury (composé de deux magistrats, du secrétaire général de la préfecture et d'un cadre hospitalier). Il est ressorti de cette action un certain nombre d'éléments qui ont permis de mieux cerner les phénomènes de violence et de prendre des mesures concrètes.
Si les violences sont quasi inexistantes et les relations détendues entre les prisonniers et les surveillants, c'est aussi que l'action de certains intervenants extérieurs vient renforcer la dynamique impulsée par l'administration. Ainsi votre rapporteur spécial a-t-il rencontré lors de sa visite sur place Madi Youssouf, aumônier musulman, cadi d'Acoua. Cet aumônier effectue des déplacements réguliers à la maison d'arrêt, où plus de 90 % des détenus sont de confession musulmane . Chacune de ses interventions au sein de l'établissement est très suivie et Madi Youssouf a expliqué à votre rapporteur spécial son souhait de diffuser un message pacificateur aux détenus, en les amenant à travailler sur eux et à prendre conscience du chemin qui devrait être le leur pour l'avenir. Gilbert Marceau, chef de l'établissement, a confirmé à votre rapporteur spécial le rôle utile de médiation rempli par l'aumônier.
Tous ces éléments convergent pour contribuer à un climat apaisé, d'autant plus favorisé que le « tempérament du Comorien » est en règle générale très calme. Votre rapporteur spécial a ainsi pu constater, sur place lors de sa visite, le respect de l'autorité de la part de la population détenue à Majicavo . Ce tempérament, confinant parfois à la résignation, explique probablement aussi que ces détenus acceptent des conditions matérielles qui constitueraient vraisemblablement autant de sérieux points de blocage et/ou d'affrontement dans les prisons de la métropole.
b) Le « cas d'école » des transfèrements vers La Réunion
Une bonne illustration du caractère assez atypique du comportement des détenus retenus à la maison d'arrêt de Majicavo est certainement à chercher dans les conditions de leurs transfèrements.
Ainsi que votre rapporteur spécial l'a expliqué supra , les transfèrements (notamment d'Anjouannais) sont relativement fréquents entre Mayotte et La Réunion afin de « délester » Majicavo et de profiter des capacités d'accueil disponibles à La Réunion. Or, alors que ces transfèrements requièrent une extrême attention en métropole avec la mobilisation de nombreux personnels (gendarmes, policiers ou, depuis peu dans deux régions d'expérimentation, agents de l'administration pénitentiaire), ils font l'objet d'un dispositif assez inhabituel et, d'une certaine façon, allégé dans le cas de Mayotte .
La méthode consiste en effet à profiter de la rotation d'un escadron de gendarmes mobiles partant sur La Réunion pour y adjoindre une vingtaine de détenus transférés . Ceux-ci prennent alors place sur le vol d'Air Austral, escortés par les gendarmes (à raison d'un détenu pour trois gendarmes). Ils sont attendus en descente d'avion par des personnels de l'administration pénitentiaire et des gendarmes. Cette pratique tranche pour le moins avec les habitudes des compagnies de transport aérien, qui n'acceptent en règle générale jamais plus de trois détenus par vol. Mais, entretenant de bonne relation avec le représentant de l'Etat à Mayotte et l'administration pénitentiaire, Air Austral accorde systématiquement son accord.
Aucun problème n'a, jusqu'à présent, été signalé sur ces vols , ce qui démontre encore une fois bien le calme qui caractérise les détenus Comoriens.
Ce système de transfèrement permet, par ailleurs, d' optimiser astucieusement le coût en personnels (généralement élevé) de ce type d'opération. Grâce à des accords passés avec Air Austral, il débouche également sur une minimisation de la dépense en transport (le coût du billet pour l'administration pénitentiaire se monte à 317 euros par détenu).
c) Le problème à régler du statut des personnels mahorais en cours d'intégration au sein de la fonction publique d'Etat
En conclusion de ce tour d'horizon des enjeux liés à la maison d'arrêt de Majicavo, votre rapporteur spécial souhaite insister sur une difficulté particulière rencontrée dans la gestion des personnels de cet établissement .
La départementalisation de Mayotte a en effet eu pour conséquence d'introduire une distinction notable dans le statut des surveillants pénitentiaires au sein de la maison d'arrêt .
Cette distinction et les retombées financières qu'elle implique au détriment des agents dépendant auparavant de la collectivité territoriale de Mayotte sont imparfaitement traitées par le décret NOR : JUSK1033132D du 3 avril 2011 . Celui-ci prévoit une intégration des personnels issus de la collectivité territoriale à l'horizon de 2019 et renvoie donc à un délai manifestement trop long.
Cette inégalité de traitement est d'autant moins compréhensible que, s'agissant des fonctionnaires de police, l'alignement sur la fonction publique d'Etat a déjà eu lieu et dans des délais plus brefs 40 ( * ) .
Alors qu'un programme d'extension de la maison d'arrêt de Majicavo est prévu pour aboutir en 2014 , il semblerait judicieux de pouvoir également procéder à l'alignement des statuts à cette même date.
Selon les informations recueillies par votre rapporteur spécial dans le cadre de sa mission de contrôle budgétaire à Mayotte, cette disposition concernerait seulement trente-trois agents pour une enveloppe totale de 35 000 euros à 40 000 euros par an .
La modestie de l'enjeu budgétaire (la masse salariale de l'administration pénitentiaire outre-mer s'élevant à 127 millions d'euros) devrait permettre d'envisager cette mesure essentielle au maintien du bon climat social et de la motivation des personnels au sein de cette maison d'arrêt par ailleurs soumise à de fortes contraintes (surpopulation carcérale, flux continu de détenus Comoriens contribuant au passage de l'immigration clandestine...).
* 40 En application de la loi n° 2002-1094 du 29 août 2002 d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure (LOPSI).