2. La situation du secteur hôtelier, symbole de cette crise
Les difficultés rencontrées par le secteur hôtelier antillais sont une illustration criante de la crise du tourisme dans ces départements . Le secteur hôtelier est en effet l'un des secteurs les plus durement touchés par la baisse de l'activité touristique.
Tout d'abord, le parc hôtelier antillais a « fondu » au cours des dernières années . Comme l'a indiqué M. Serge Tsygalnitzky, directeur général d'Air Caraïbes, lors de son audition par votre rapporteur, le parc hôtelier a été divisé par deux en dix ans :
- en Guadeloupe, près de 5 000 lits hôteliers ont ainsi disparu entre 2003 et 2008 9 ( * ) . D'après les documents transmis par le groupement hôtelier et touristique guadeloupéen (GHTG), 20 hôtels, représentant près de 46,7 % des chambres, sont aujourd'hui fermés dans le département 10 ( * ) . Le Préfet de la Guadeloupe a indiqué à votre rapporteur que le nombre de lits pourrait encore diminuer de moitié d'ici 2015 ;
- en Martinique, M. Serge Letchimy, président du conseil régional, a estimé, lors de la table-ronde consacrée au tourisme organisée lors du déplacement du Président de la République en janvier 2011, que 1 000 chambres et 26 hôtels avaient fermé en 10 ans 11 ( * ) .
Votre rapporteur relève également la carence manifeste d'enseignes internationales dans ces deux départements : seuls y sont présents les groupes Club Méditerranée et Accor.
Ensuite, le parc hôtelier est totalement obsolète dans les Antilles . Comme l'indique Mme Stéphanie Bessière, directrice du Tourisme de la collectivité de Saint-Martin, « globalement, le parc d'hébergement des Antilles françaises (...) soutient difficilement la comparaison avec les îles devenues récemment des destinations touristiques » 12 ( * ) .
Cette situation n'est pas nouvelle : Mme Cécile Felzines notait en 2007 que le parc hôtelier, tant martiniquais que guadeloupéen, « n'offre plus le confort, les équipements et services attendus par une clientèle qui trouve dans la zone géographique une offre plus conforme à ses attentes à un moindre coût. La faible rentabilité conduit plus souvent les exploitants à la fermeture qu'à la remise à niveau » 13 ( * ) .
La ministre de l'outre-mer souligne aujourd'hui que « globalement, les produits hôteliers en Guadeloupe et en Martinique sont très normés, standardisés, sans cachet particulier ni caractère » 14 ( * ) . Cette situation conduit la destination antillaise à être, selon notre collègue Daniel Marsin, en situation de « surpromesse marketing », comme il l'a indiqué lors de son audition par votre rapporteur.
Votre rapporteur se réjouit donc des projets de rénovation d'établissements hôteliers existant dans les deux départements, à l'exemple du projet de rénovation de l'hôtel « La Batelière » à Schoelcher en Martinique, qui constituent un élément très encourageant.
Il apparaît ensuite que les établissements hôteliers des Antilles sont dans une situation financière particulièrement difficile .
La quasi-totalité des socio professionnels rencontrés par votre rapporteur au cours de ses auditions et de son déplacement l'ont alerté sur cette question.
Lors de son audition, M. Jean-Paul Octave, président du Groupement des investisseurs hôteliers des outre-mers (GIHDOM) a ainsi estimé que 80 % des structures hôtelières antillaises étaient déficitaires. M. Benoît Lescene, président de Zilea 15 ( * ) , a quant à lui indiqué à votre rapporteur que la situation des établissements hôteliers était particulièrement difficile en matière de dettes sociales et fiscales : près de 90 % des établissements hôteliers et des restaurants martiniquais seraient ainsi en difficulté.
La crise de 2009 a eu, dans ce domaine également, un impact désastreux puisque « [l']endettement [des hôteliers antillais] s'est aggravé depuis 2009 avec une hausse de 49 % des dettes sociales et de 88 % des dettes fiscales entre le 30 septembre 2009 et le 30 juin 2010 » 16 ( * ) .
Les professionnels estiment que le modèle économique des établissements antillais n'est pas viable et que cela explique les difficultés actuelles : ces établissements ne seraient pas rentables par rapport à ceux des destinations concurrentes, du fait notamment d'un niveau de charges élevé. Certains revendiquent la mise en place de moratoires, en s'appuyant sur l'exemple des dispositifs accordés par le Parlement dans le cadre de la loi pour le développement économique des outre-mer (LODEOM) 17 ( * ) ou de la loi de finances pour 2011 18 ( * ) .
Votre rapporteur n'est pas partisan de ce type de dispositifs : ils constituent un « cautère sur une jambe de bois » et n'ont jamais résolu les difficultés du secteur hôtelier. La priorité est, à ses yeux, de s'interroger sur le produit à offrir aux touristes.
Il salue donc la position exprimée par le Président de la République lors de son déplacement dans les Antilles en janvier 2011 : ce dernier s'est en effet opposé à la mise en place d'un plan généralisé d'effacement des dettes. En février 2011, une mission portant sur l'hôtellerie de Guadeloupe et de Martinique a été confiée à M. Alain Bodon, inspecteur général des Finances, par les ministres de l'outre-mer, du budget et du tourisme. L'objectif de cette mission est d'identifier les faiblesses du secteur hôtelier antillais et d'y apporter des réponses adéquates afin d'améliorer sa compétitivité.
Votre rapporteur espère que cette mission portera ses fruits et aboutira à des solutions adaptées aux difficultés rencontrées par l'hôtellerie antillaise.
Si la situation de l'hôtellerie est morose, votre rapporteur souhaite souligner que le « tableau » n'est pas aussi noir. Le tourisme ne se résume en effet pas à l'hôtellerie , contrairement au raccourci que certains ont souvent tendance à effectuer.
A côté des structures hôtelières moribondes, le tourisme de gîtes est aujourd'hui en plein essor dans les Antilles . Comme l'a noté Atout France à propos de la Guadeloupe, « les gîtes et les meublés ont concerné respectivement 13 % et 15 % des nuitées en 2008 (...), soit 29 % des nuitées au total, derrière l'hébergement chez des parents et amis (37 %) mais devant l'hôtel (28 %) » 19 ( * ) .
Cet essor du tourisme de gîtes a été souligné par l'ensemble des interlocuteurs rencontrés par votre rapporteur lors de son déplacement dans les Antilles : ce tourisme de moyenne gamme, qui permet un contact entre le touriste et la population, peut constituer un secteur d'avenir pour le tourisme antillais , comme l'ont souligné tant M. Alain Malka, directeur général Caraïbes et Océan Indien d'Air France KLM, que Mme Marie-Luce Penchard, ministre de l'outre-mer.
Pour autant, ce secteur doit être davantage structuré . Comme l'indique Atout France à propos de la Guadeloupe, « ce secteur aujourd'hui mal maîtrisé doit être travaillé pour accroître sa visibilité et sa mise en marché tout en constituant pour la destination une ligne de produits de charme à part entière » 20 ( * ) . L'organisme note, à propos de la Martinique, qu'« un nombre important d'hébergements (chambres d'hôtes, gîtes, meublés,...) non labellisés (...) se sont beaucoup développés depuis le début des années 1990. Leur recensement est cependant assez difficile, et leur nombre diffère selon les sources » 21 ( * ) .
* 9 Cf. Atout France, « Du diagnostic à la mise en oeuvre : priorités d'actions pour chaque destination », Synthèse finale, novembre 2010, p. 42.
* 10 Cf. Groupement hôtelier et touristique guadeloupéen, « Comparatif 2010 et années antérieures. Relation trafic aérien et remplissage hôtelier ».
* 11 Cité in : « Interview de M. Alain Bodon, inspecteur général des finances en charge de la mission sur la situation financière des hôtels aux Antilles : « Je peux être un accélérateur de décision » », France Antilles Martinique, 29 mars 2011.
* 12 Mme Stéphanie Bessière, « Le tourisme dans les Antilles françaises. Le défi de la concurrence caribéenne », L'Harmattan, mai 2010, p. 185.
* 13 Conseil économique et social, « Le tourisme, perspective d'avenir de l'outre-mer français », Avis présenté par Mme Cécile Felzines, 17 janvier 2007, p. 12.
* 14 Contribution écrite transmise à votre rapporteur.
* 15 Zilea se présente comme « le club des professionnels du séjour en Martinique ».
* 16 KPMG, « Benchmarking des ratios d'exploitation hôteliers : Caraïbes - Océan Indien - France métropolitaine », décembre 2010, p. 4.
* 17 Cf. article 32 de la loi n° 2009-594 du 27 mai 2009 pour le développement économique des outre-mer.
* 18 Cf. article 172 de la loi n° 2010-1657 du 29 décembre 2010 de finances pour 2011.
* 19 « Du diagnostic à la mise en oeuvre : priorités d'actions pour chaque destination », Ibid., p. 43.
* 20 Ibid., p. 50-51.
* 21 Ibid., p. 63.