C. GARANTIR LA LÉGITIMITÉ ET LA CRÉDIBILITÉ SCIENTIFIQUES DE L'INSTITUTION
Les modalités de désignation des membres du conseil scientifique de la Maison de l'Histoire de France, les conditions de fonctionnement de cet organe ainsi que l'articulation de ses prérogatives avec celles de la direction scientifique de l'établissement détermineront la crédibilité et la légitimité de la nouvelle institution de médiation culturelle.
Votre rapporteur a souhaité reprendre l'opinion émise par un certain nombre de personnes qu'elle a interrogées sur la composition et le fonctionnement du conseil scientifique :
• M. Serge Lagauche, sénateur du
Val-de-Marne (16 novembre 2010) : «
Il ne faut pas
oublier également de mettre en valeur les liens et les échanges
avec les autres pays. À ce titre,
le conseil scientifique doit
comprendre des personnalités étrangères
.
Un système de cooptation au sein du milieu universitaire et scientifique est envisageable. On peut imaginer que certains membres soient désignés sur proposition des académies de l'Institut de France. Cependant, il faut veiller à ce que le conseil demeure une institution vivante, prompte au changement et aux remises en question . Pour ce faire, il faut diversifier le plus possible les viviers où l'on puisera les personnalités du conseil scientifique . N'oublions pas, par exemple, l'importance des religions dans l'Histoire de France qui pourrait nous amener à nous interroger sur la présence de représentants des cultes au sein du conseil scientifique. »
• M. Jean-François Sirinelli, directeur
du centre de d'histoire de Sciences Po (24 novembre 2010) :
«
Le conseil scientifique, dans sa composition, doit être
polyphonique
.
S'agissant des instances de
désignation de ses membres, il faut qu'elles soient diverses, car elles
seront déterminantes dans la légitimité du
conseil.
Celui-ci ne doit pas être là ni pour
« mettre des bâtons dans les roues » dans le bon
fonctionnement de l'institution, ni pour constituer, à l'inverse, une
simple caution qui donnerait satisfecit au système. Il doit être
le lieu d'un véritable débat.
»
• M. Max Polonovski, conservateur du
musée des plans-reliefs de l'hôtel des Invalides
(7 décembre 2010) : «
Il serait utile que le
conseil scientifique compte parmi ses membres des
conservateurs
car, compte tenu de leur expérience
professionnelle, ils sont susceptibles d'indiquer la faisabilité
technique de certaines suggestions formulées par des historiens qui ne
sont pas forcément des professionnels de l'exposition au grand public.
La composition du conseil doit donc tenir compte de ce
pragmatisme
.
Il existe une véritable
complémentarité entre la vision académique des historiens,
universitaires et chercheurs, et la vision professionnelle et pragmatique des
conservateurs et muséographes.
»
• Mme Isabelle Pijaudier-Cabot, directrice des
musées de la ville de Strasbourg (24 novembre 2010) :
«
S'agissant du conseil scientifique de la Maison de l'Histoire
de France, il faut s'employer à associer, au-delà du panel
d'historiens, toutes les disciplines, en particulier les
sciences
humaines
:
des ethnologues, des anthropologues, des
sociologues, des archivistes
, etc. Il faut également inclure
des personnalités qualifiées et s'interroger sur la
présence de
représentants des
cultes
.
»
• M. Patrick Périn, directeur du
musée d'archéologie nationale et du domaine national de
Saint-Germain-en-Laye (7 décembre 2010) : «
Les
historiens peuvent émettre des suggestions qu'il serait difficile de
muséographier en pratique.
La muséographie est un
métier spécifique, qui fait appel à la médiation
culturelle.
Les historiens parlent en documents sources, notamment
d'archives, mais ne raisonnent pas forcément en termes de documents
d'exposition, de beaux-arts, etc. Aussi, les propositions formulées
peuvent-elles ne pas forcément correspondre au champ des
possibilités scénographiques.
»
• M. Éric Lucas, directeur de la
mémoire, du patrimoine et des archives du ministère de la
défense (24 novembre 2010) : «
Son conseil
scientifique doit être d'abord un lieu de débats entre historiens.
Son projet scientifique et culturel constituera en soi une
charte
pour le futur établissement.
»
• M. Hervé Lemoine, directeur du service
interministériel des archives de France (14 décembre
2010) : «
À titre personnel, je pense qu'il ne faut
pas résumer le conseil scientifique à un groupe d'historiens. Il
faut aussi savoir
faire monter à bord des conservateurs, des
muséographes, des scénographes
, etc., (comme Bob Karsene
ou Frédéric Beauclair) afin de
savoir mettre en volume et
en espace pour rendre compréhensible un
concept
.
»
• Mme Marie-Christine Labourdette, directrice
des musées de France du ministère de la culture et de la
communication, 14 décembre 2010 : «
Le conseil
scientifique doit
entretenir une tension dialectique et positive
suffisamment forte entre les historiens et les directeurs des SCN
associés
. L'autonomie de programmation des musées
nationaux doit être préservée. Seuls les conservateurs ont
une connaissance approfondie des modalités concrètes et
opérationnelles de l'exposition au grand public.
Il faut également garantir la diversité de recrutement des membres du conseil scientifique, éventuellement nommés par arrêté du ministre de la culture sur proposition du CNRS, de l'EHESS et d'autres organisations représentatives des secteurs et des compétences concernés.
Chaque traitement d'une question doit idéalement s'accompagner de la constitution d'un conseil scientifique ad hoc . Les grands généralistes du conseil scientifique ne seront pas forcément compétents sur toutes les questions. Lorsqu'il s'est agi de restaurer la Sainte-Anne de Vinci, un conseil ad hoc a été mis en place, la conservation du Louvre ayant proposé des personnes à nommer au ministère de la culture. Il s'agit d'un mode de fonctionnement pragmatique et souple, qui repose sur le principe fondamental de la collégialité . »
• M. Jean-François Hebert,
président de l'association de préfiguration de la Maison de
l'Histoire de France (10 novembre 2010) : «
Les avis du
conseil scientifique ne seront pas forcément unilatéraux. Ce
conseil devrait être mis en place en novembre ou en décembre. Il
constituera l'
autorité morale de la Maison de l'Histoire de
France
et devrait permettre des allers-retours permanents entre la
direction de l'établissement et la communauté scientifique. Il
faut garder à l'esprit que l'histoire n'est pas une science exacte,
c'est une science humaine qui se renouvelle et fait l'objet en permanence de
nouveaux questionnements.
»
• M. Pierre Hanotaux, directeur de cabinet du
ministre de la culture et de la communication (5 janvier 2011) :
«
Le conseil scientifique pourra s'autosaisir afin de
formuler des propositions d'expositions.
Ce sont les
historiens qui fixeront la
ligne éditoriale
de la
Maison de l'Histoire de France.
Des commissaires d'expositions seront,
eux, chargés de formuler des propositions
opérationnelles.
Les historiens pourront également
coopter d'autres historiens de façon
ad hoc
afin d'approfondir
la réflexion sur des questions plus techniques et thématiques. Le
fait que le nombre de ses membres soit réduit à 15 devrait
permettre un fonctionnement plus fluide.
»
• M. Laurent Gervereau, historien
(5 janvier 2011) : «
Beaucoup d'inquiétudes chez
les historiens et les professionnels des musées se focalisent sur la
composition du conseil scientifique. Il ne doit évidemment pas s'agir de
faire plaisir à quelques personnalités prestigieuses dans le seul
but de disposer d'un alibi. La seule manière d'associer tout le monde
est, selon moi, de ne pas chercher à associer des individus mais
d'
associer de grandes institutions
. On pourrait ainsi charger
des grands pôles de recherche dans le domaine de l'histoire comme le
Centre national de recherche scientifique (CNRS), l'École des hautes
études en sciences sociales (EHESS), Sciences Po, l'Université
Paris-I ainsi que des universités de province de désigner chacun
un nombre d'experts appelés à siéger au sein du conseil
scientifique. Cela permettrait d'assurer une
rotation saine et
légitime
. Ce sont les institutions qui produisent de la
recherche historique qui doivent être sollicitées pour constituer
ce conseil, à elles d'y déléguer des experts.
S'agissant de questions techniques et thématiques précises, on devrait pouvoir constituer des conseils scientifiques ad hoc . À titre d'exemple, le conseil scientifique de l'Historial de Péronne n'a pas bougé depuis l'origine, et c'est regrettable. Cela crée un clan aussi bien du point de vue générationnel que du point de vue de l'école scientifique la mieux représentée. Il faut donc éviter toute composition permanente et immuable pour ne pas donner l'impression de favoriser un clan d'historiens au détriment d'un autre. »
• Mme Isabelle Backouche, historienne,
7 décembre 2010 : «
Le conseil scientifique ne
doit pas être figé dans sa composition, il faut
assurer
une circulation des personnalités conviées
, notamment
des historiens. Ceux-ci ont le sentiment d'avoir été
marginalisés dans la conception de ce projet.
»
Ainsi, la plupart des personnes auditionnées semblent s'accorder sur les éléments fondamentaux suivants :
- il est indispensable de garantir la diversité de recrutement des membres du conseil scientifique, en envisageant la nomination d'une partie de ses membres par arrêté du ministre chargé de la culture sur proposition de grands pôles de recherche en histoire et de référents académiques tels que le CNRS, l'EHESS, l'Académie des sciences morales et politiques, l'Association des professeurs d'histoire-géographie de l'enseignement public, l'Association générale des conservateurs des collections publiques de France, etc. ;
- une autre partie des membres du conseil scientifique pourra être nommée de façon discrétionnaire par le ministre chargé de la culture afin de réunir des personnalités qualifiées disposant d'une expérience reconnue dans le domaine de la vulgarisation de la connaissance en histoire , notamment par le biais des médias (rédacteurs et journalistes officiant via la presse, la radio, les émissions télévisées, etc.) ;
- le mandat des membres de ce conseil devra être renouvelable mais d'une durée suffisamment courte pour permettre un renouvellement de sa composition , afin de prévenir la permanence d'une certaine forme de clan générationnel et la prééminence d'une école historique ;
- le compte-rendu des réunions et les avis du conseil devront être rendus publics afin de garantir l'expression de la diversité des opinions de ses membres . Ses avis feront autorité morale et contraindront la direction scientifique de l'établissement à revoir sa programmation, en particulier s'agissant de l'exposition permanente (galerie chronologique) si le conseil le juge nécessaire ;
- des comités scientifiques ad hoc seront mis en place pour réfléchir à la programmation d'une exposition temporaire sur une thématique bien précise et seront composés de personnalités cooptées par le conseil scientifique et disposant d'une expérience reconnue dans le traitement du sujet concerné.