N° 476

SÉNAT

SESSION ORDINAIRE DE 2010-2011

Enregistré à la Présidence du Sénat le 27 avril 2011

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale (1) par le groupe de travail (2) sur le bilan d' application de la loi du 3 décembre 2001 sur les droits du conjoint survivant ,

Par MM. Dominique de LEGGE et Jacques MÉZARD,

Sénateurs.

(1) Cette commission est composée de : M. Jean-Jacques Hyest , président ; M. Nicolas Alfonsi, Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, MM. Patrice Gélard, Jean-René Lecerf, Jean-Claude Peyronnet, Jean-Pierre Sueur, Mme Catherine Troendle, M. Yves Détraigne , vice-présidents ; MM. Laurent Béteille, Christian Cointat, Charles Gautier, Jacques Mahéas , secrétaires ; MM. Jean-Paul Amoudry, Alain Anziani, Mmes Éliane Assassi, Nicole Bonnefoy, Alima Boumediene-Thiery, MM. François-Noël Buffet, Gérard Collomb, Pierre-Yves Collombat, Jean-Patrick Courtois, Mme Anne-Marie Escoffier, MM. Louis-Constant Fleming, Gaston Flosse, Christophe-André Frassa, Bernard Frimat, René Garrec, Jean-Claude Gaudin, Mme Jacqueline Gourault, Mlle Sophie Joissains, Mme Virginie Klès, MM. Antoine Lefèvre, Dominique de Legge, Mme Josiane Mathon-Poinat, MM. Jacques Mézard, Jean-Pierre Michel, François Pillet, Hugues Portelli, André Reichardt, Bernard Saugey, Simon Sutour, Richard Tuheiava, Alex Türk, Jean-Pierre Vial, Jean-Paul Virapoullé, Richard Yung, François Zocchetto.

(1) Ce groupe de travail est composé de : MM. Dominique de Legge et Jacques Mézard.

INTRODUCTION

Mesdames, Messieurs,

Le législateur s'est attelé, depuis plusieurs années, au vaste chantier de la réforme du code civil. Il s'agit d'adapter la constitution civile de la France aux évolutions de notre société, et d'apporter aux nouvelles questions qui se posent les réponses idoines, sans pour autant remettre en cause les fondements de notre droit. La liste des matières déjà traitées est longue : divorce, partenariat et concubinage, filiation, autorité parentale, tutelles et curatelles, prescriptions, successions et libéralités... L'oeuvre ainsi engagée procède par touches, chaque réforme répondant à une difficulté ou une matière clairement identifiée.

La loi n° 2001-1135 du 3 décembre 2001 relative aux droits du conjoint survivant et des enfants adultérins et modernisant diverses dispositions de droit successoral ne fait pas exception à cette règle. Elle trouve son origine dans le constat unanimement dressé à l'époque de la situation défavorable du conjoint survivant lorsque le défunt n'avait pas réglé, en amont, sa succession. Cette situation précaire pouvait même se dégrader encore, pour peu que s'y ajoutent la maladie, des difficultés dans la réversion de la pension ou un conflit avec des enfants d'un autre lit. Le sort ainsi réservé au conjoint survivant apparaissait en décalage avec l'importance renouvelée conférée aux liens d'affection, comme les règles successorales l'étaient avec les évolutions sociales qui touchaient les familles, en privilégiant la lignée sur le lien.

L'enjeu pratique d'une telle réforme était évident. Il se doublait d'un enjeu symbolique majeur, ainsi que le rappelait notre ancien collègue Nicolas About, rapporteur en première lecture de la proposition de loi au Sénat pour votre commission : « au-delà de questions purement techniques et procédurales, les règles fixées par le législateur pour la dévolution successorale légale sont fondamentales en ce qu'elles reflètent une conception de l'organisation sociale. Déterminer les droits du conjoint survivant conduit ainsi à revoir la place du conjoint par rapport à la famille par le sang, donc celle du mariage par rapport au lignage, et à s'interroger sur les conséquences de la multiplication des familles conjugales recomposées » 1 ( * ) .

À ce double enjeu, le Sénat en a ajouté un troisième. La réforme des successions, dont l'intérêt n'était pas contesté, était en débat depuis vingt ans et sans cesse ajournée. À l'initiative de son rapporteur, votre commission a souhaité saisir l'occasion de la remise à plat des règles successorales qu'imposaient l'amélioration des droits du conjoint survivant, pour entamer les travaux parlementaires sur cette plus vaste réforme, qui a finalement abouti avec la loi n° 2006-728 du 23 juin 2006 portant réforme des successions et des libéralités.

Le pari engagé en 2001 était ambitieux autant que nécessaire. Consciente de l'importance des choix effectués à l'époque et soucieuse d'exercer un contrôle vigilant sur la portée des lois adoptées par le Parlement, votre commission a souhaité, dix ans après le vote de la loi relative aux droits du conjoint survivant, s'assurer qu'elle avait correctement rempli son office et répondu aux attentes qui s'étaient exprimées lors des débats, sans susciter de difficultés nouvelles auxquelles il lui appartiendrait de porter remède.

À cette fin, elle a constitué le 22 décembre 2009 un groupe de travail, composé de vos deux rapporteurs, chargé de dresser le bilan de l'application de la loi du 3 décembre 2001 sur les droits du conjoint survivant.

En dépit de l'importance qu'ont revêtues les dispositions de cette loi relatives à la refonte générale du droit des successions et à la reconnaissance de l'égalité des droits successoraux des enfants légitimes et des enfants naturels ou adultérins, vos rapporteurs les ont écarté de leur champ d'étude, parce qu'elles relèvent de réformes plus vastes et doivent être envisagées dans cette perspective 2 ( * ) . Le présent rapport se concentre donc sur l'amélioration des droits du conjoint survivant, qui a constitué l'objectif premier du texte étudié.

Au terme des travaux qu'ils ont menés et des auditions qu'ils ont conduites, vos rapporteurs souhaitent souligner un fait parfois trop rare pour ne pas s'en féliciter, lorsqu'il est acquis : la loi du 3 décembre 2001 a donné pleine et entière satisfaction à toutes les parties intéressées. Il s'agit d'une bonne et paisible loi, en phase avec les évolutions de la société française, qui a largement amélioré la situation du conjoint survivant, sans susciter jusqu'à présent de contentieux abondant ni de difficultés majeures et qui n'appelle aucune modification importante.

I. UNE LOI ATTENDUE QUI A NETTEMENT AMÉLIORÉ LA SITUATION DU CONJOINT SURVIVANT

A. LES FONDEMENTS DE LA RÉFORME

La loi du 3 décembre 2001 trouve son origine dans un double constat, d'ordre juridique et sociologique.

En premier lieu, le droit successoral était défavorable au conjoint survivant, qui ne pouvait voir sa situation améliorée qu'à la condition que le défunt ait pris des dispositions testamentaires expresses ou procédé antérieurement à des libéralités en sa faveur (1). Le vieillissement de la population et l'allongement de la durée de vie des veufs ou veuves rendaient ce problème d'autant plus prégnant.

En second lieu, les règles de dévolution successorale, qui traduisaient une certaine conception de l'ordre familial et de l'organisation sociale apparaissaient en décalage avec les évolutions de la société (2).

1. Un droit successoral antérieur défavorable au conjoint survivant

Traditionnellement, et jusqu'à l'adoption de la loi du 3 décembre 2001, le conjoint survivant était présenté comme le « parent pauvre » du droit des successions, qui lui était défavorable.

Cet opprobre remontait au code Napoléon qui ne permettait au conjoint d'hériter qu'en l'absence d'héritiers jusqu'au douzième degré. Le conjoint qui souhaitait améliorer le sort de celui qui lui survivrait devait se tourner soit vers les dispositions de son régime matrimonial, et notamment celles relatives à la communauté universelle, soit vers celles des libéralités entre vifs ou à cause de mort, par exemple les donations au dernier vif, c'est-à-dire celles qui iront à celui qui survivra à l'autre.

En l'absence d'un régime matrimonial favorable, le conjoint survivant ne pouvait prétendre à aucun droit dans les successions ab intestat , c'est-à-dire sans testament.

Afin de porter remède aux situations les plus dramatiques, qui survenaient notamment lorsque le décès frappait un couple jeune qui n'avait pas encore préparé sa succession, la loi a progressivement amélioré la protection offerte au conjoint survivant.

Ainsi, une première loi du 9 mars 1891 lui reconnaît un droit limité d'usufruit sur la succession, variable selon le degré de parenté des autres successibles avec le défunt. Son rang d'inscription dans la succession est ramené par la loi du 31 décembre 1917 du douzième au sixième. Le conjoint survivant accède ensuite, avec les lois du 3 décembre 1930 et du 26 mars 1957 à des droits en pleine propriété sur la succession, même en l'absence de testament, à la condition cependant qu'il n'y ait plus d'ascendants et de collatéraux dans au moins une ligne successorale. En revanche, il ne se voyait reconnaître aucun droit particulier sur le domicile commun, le régime matrimonial étant censé y pourvoir en lui permettant de recevoir, dans le cas d'une communauté, la moitié des biens communs.

Avant le vote de la loi du 3 décembre 2001, la situation du conjoint survivant était en conséquence la suivante :

Parents laissés par le défunt

Sans testament
ou donation

Avec testament
ou donation

- Descendants
(enfants, petits enfants)

¼ en usufruit

- ¼ en propriété et ¾ en usufruit
- ou la totalité en usufruit
- ou, en propriété :

½ si un enfant

? si deux enfants
(¼ si trois enfants)

- Enfants adultérins uniquement :

en présence d'ascendants dans chaque ligne ou de collatéraux privilégiés (frère, soeur, neveu, nièce)

½ en usufruit



- ¾ des biens en propriété

en présence d'ascendants dans une seule ligne (sans collatéraux privilégiés)

¼ en propriété

- ou ½ en propriété et ½ en usufruit
- ou totalité en usufruit

en l'absence d'ascendants et de collatéraux privilégiés

½ en propriété

- En l'absence de descendants :

- Des ascendants dans les lignes paternelle et maternelle (père, mère ou grands-parents)

½ en usufruit

½ en propriété et ½ en nue propriété

- Des ascendants dans une seule ligne :

- présence de collatéraux privilégiés (frère, soeur, neveu ou nièce)

½ en usufruit

¾ en propriété et ¼ en nue propriété

- pas de collatéraux privilégiés

½ en propriété

¾ en propriété et ¼ en nue propriété

- Pas d'ascendants :

- présence de collatéraux privilégiés

½ en usufruit

totalité en propriété

- pas de collatéraux privilégiés

totalité en propriété

totalité en propriété

Le droit en vigueur à l'époque permettait certes de pourvoir par testament aux besoins du conjoint survivant, puisque ce dernier pouvait recevoir ainsi, même en présence d'enfants, l'usufruit sur la totalité ou sur les trois quarts avec un quart en propriété, ou une autre part en propriété. De la même manière il pouvait être institué bénéficiaire d'une assurance vie. Mais, à l'inverse, rien n'interdisait au défunt de le priver de tous ses droits. En outre, en l'absence de testament, le conjoint survivant ne recueillait qu'une part d'usufruit, limitée à un quart en présence de descendants. Or, les successions ab intestat (c'est-à-dire sans testament) représentaient chaque année, selon les évaluations fournies par les notaires, environ 20 % des successions ouvertes à la suite du décès de l'un des deux époux, soit environ 44 000 conjoints survivant 3 ( * ) , dont plus des trois quarts étaient des veuves 4 ( * ) .


* 1 Rapport n° 378 (2000-2001) au nom de la commission des lois sur la proposition de loi relative aux droits du conjoint survivant et la proposition de loi visant à améliorer les droits et les conditions d'existence des conjoints survivants et à instaurer dans le Code civil une égalité successorale entre les enfants légitimes et les enfants naturels ou adultérins, par M. Nicolas About, p. 11-12. http://www.senat.fr/dossier-legislatif/ppl00-224.html

* 2 En revanche, la suppression du sort moins favorable réservé aux enfants adultérins en présence d'un conjoint survivant entre pleinement dans le champ de ce rapport et a été traité à ce titre.

* 3 En 1999, sur 530 000 décès, 220 000 concernaient un couple, ce qui permettait d'évaluer à 44 000 le nombre de conjoint survivant qui ne recueillaient de la succession que ce que la loi prévoyait pour eux.

* 4 Le rapport précité de notre collègue Nicolas About précise ainsi que 84 % des conjoints survivants sont des veuves âgées majoritairement de plus 60 ans (87 % avaient plus de 60 ans, et la moitié plus de 75 ans).

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