XX. AUDITION DE M. REINOLD GEIGER, PRÉSIDENT-DIRECTEUR GÉNÉRAL DE L'OCCITANE EN PROVENCE
La mission commune d'information a d'abord entendu M. Reinold Geiger , président-directeur général du groupe L'Occitane en Provence .
M. Reinold Geiger, président-directeur général du groupe L'Occitane en Provence . - Après avoir dirigé plusieurs entreprises, notamment dans le secteur de l'emballage, j'ai repris la totalité de la société L'Occitane en 1996. Les pertes représentaient alors 20 % du chiffre d'affaires. Cette entreprise avait toutefois un fort potentiel de développement international. À partir d'une position forte en France, nous avons développé un réseau de filiales dans les grands pays du monde. La part du chiffre d'affaires réalisée à l'étranger est ainsi passée de 15 % à l'époque à 85 % aujourd'hui.
M. Alain Chatillon , rapporteur . - Combien de magasins ouvrez-vous chaque année dans le sud-est asiatique ?
M. Reinold Geiger . - Nous en ouvrons une centaine par an, et même deux cents cette année, soit en direct, soit avec des partenariats.
Lorsque je suis entré dans la société, qui s'appelait alors simplement « L'Occitane », j'ai proposé d'accoler à son nom les mots « en Provence » afin de rappeler ses racines et de tirer parti de l'image forte de cette région en matière de produits de la nature. Nous avons également racheté une société en Ardèche.
Nous bénéficions de la crédibilité de la France s'agissant des produits de cosmétique, qui nous permet d'absorber dans les prix des coûts de production supplémentaires par rapport à d'autres pays. Nous n'envisageons donc pas de faire fabriquer nos produits à l'étranger.
Nous devons toutefois faire face à certains handicaps :
- le taux de change de l'euro face au dollar : un taux de 1 $ à 1,10 $ pour un euro serait mieux adapté à notre activité. L'Europe manque d'une stratégie en ce domaine face aux États-Unis ;
- les relations avec le personnel sont différentes par exemple aux États-Unis, où les personnels ont fait preuve d'une capacité d'adaptation remarquable en temps de crise ; en France, en revanche, nous peinons à satisfaire les partenaires sociaux alors même que nous avons embauché des centaines de salariés et que nous menons une politique de participation aux résultats volontariste ; ces difficultés peuvent être à l'origine de délocalisations dans certains secteurs ;
- le manque de fiabilité du port de Marseille nous oblige à chercher des solutions alternatives mais pénalisantes en termes de délais, par les ports de Rotterdam ou de Barcelone. Ainsi, nous allons réaliser une extension de notre usine de Manosque afin de mettre en place un centre de logistique, mais la pure logique économique aurait pu nous conduire à l'installer plutôt à Rotterdam.
M. Michel Teston . - Les charges sont-elles pénalisantes ? Pourquoi avez-vous choisi d'investir dans la société Melvita en Ardèche ?
M. Reinold Geiger . - Les charges sont bien sûr plus élevées qu'aux États-Unis, mais nous en souffrons relativement moins que d'autres secteurs. S'agissant de Melvita, le positionnement de cette société sur la cosmétique bio nous a intéressés car il s'agit d'une niche avec un fort potentiel de croissance. Nous développons ainsi des synergies entre le site de production principal et celui de Melvita. Nous avons l'ambition de devenir l'un des leaders du secteur, grâce à un réseau mondial plus étendu que celui de nos concurrents.
Les difficultés résultant du niveau du taux de change peuvent être une cause de délocalisation. En ce qui nous concerne, nous n'envisageons pas de déplacer nos sites de production actuels, mais nous cherchons actuellement, afin notamment de mieux nous prémunir contre le risque de change, à acquérir des sociétés aux États-Unis ou dans d'autres pays.
Mme Nathalie Goulet . - Votre marque est très bien positionnée. Quel est votre budget de publicité ?
M. Reinold Geiger . - La promotion représente environ 10 % du chiffre d'affaires. Cela correspondrait à 20 % pour une société qui n'assurerait pas, comme nous, l'essentiel de son chiffre d'affaires par son propre réseau de magasins.
M. Raymond Vall . - Lorsque vous prospectez de nouveaux marchés, vous appuyez-vous sur les outils proposés par les pouvoirs publics, tels que la COFACE ou les ambassades, ou simplement sur l'image de la France ?
M. Reinold Geiger . - Nous disposions au départ de bons produits, ce qui est indispensable pour fidéliser les clients. Aux États-Unis, nous avons d'abord occupé un simple bureau avec un seul employé, puis nous avons ouvert notre première boutique dans un endroit très prestigieux à Manhattan. Le niveau de loyer était très élevé, mais les clients se sont intéressés rapidement à nos produits malgré notre manque de notoriété. En Asie, où l'image de marque est essentielle, il nous a fallu persévérer plus longtemps avant que le chiffre d'affaires progresse.
Nous n'avons pas eu à nous appuyer sur les systèmes d'aide fournis par les pouvoirs publics. Les services de la COFACE nous ont paru trop coûteux.
Notre stratégie consiste à créer des filiales sur place, car je ne crois pas à un réel développement à travers un réseau de distributeurs. Il faut toutefois reconnaître que je disposais d'un capital de départ, obtenu grâce à une société que j'avais développée précédemment.
Mme Nathalie Goulet . - Les outils actuels, tels qu'Ubifrance et les postes d'expansion économique, ne sont pas assez efficaces et il serait souhaitable de les entendre dans le cadre de notre mission.
M. Martial Bourquin , président. - Vous avez donc réalisé votre développement à l'étranger par vos propres moyens.
M. Reinold Geiger . - Nous avons auto-financé notre développement à l'export. Les dispositifs proposés manquaient d'efficacité pour notre activité particulière.
M. Alain Chatillon , rapporteur. - Le rôle du patron d'une PME est essentiel : il doit mener lui-même la stratégie de l'entreprise, notamment à l'export. On pourrait mettre en place un dispositif en deux phases. Dans un premier temps, une aide financière permettrait au patron d'assurer la prospective et l'analyse d'implantation.
M. Raymond Vall . - Il faudrait en effet donner à un patron qui a fait ses preuves les moyens d'aller faire un diagnostic des activités qu'il pourrait développer.
M. Alain Chatillon , rapporteur . - Le paiement serait réalisé pour moitié au début de la mission et pour moitié après une évaluation. Puis, dans une seconde phase, un accompagnement structurel apporterait un soutien sur le terrain.
M. Reinold Geiger. - Il faut faire réaliser les études par une personne dont c'est le métier plutôt que par un cabinet d'études. On pourrait ainsi attribuer une bourse de 10 000 euros à la personne qui serait chargée de l'étude sur place, les services consulaires apportant une aide pour la mise en place des rendez-vous. Cela pourrait bien fonctionner aux États-Unis.
M. Raymond Vall . - Faut-il une approche par filière ?
M. Reinold Geiger . - Dans notre cas, les conditions de concurrence, et parfois les jalousies, ne facilitent pas l'entraide au sein de la filière.
M. Martial Bourquin , président. - Que pensez-vous des systèmes d'aide publique, qui, me semble-t-il, favorisent trop les grands groupes ?
M. Reinold Geiger. - Les grands groupes n'ont pas réellement besoin d'aide, car ils disposent des moyens suffisants pour se développer à l'international. Pour les autres entreprises, les conseillers dans les ambassades pourraient aider les entrepreneurs à s'orienter dans des pays qu'ils ne connaissent pas.
M. Raymond Vall . - Dans votre domaine, quels sont vos principaux concurrents ?
M. Reinold Geiger. - En Europe, la France a une position dominante. En Amérique, nos concurrents sont les États-Unis, mais également le Japon au Brésil. En Asie, nous nous retrouvons surtout face aux Japonais.
M. Martial Bourquin . - Je vous remercie pour votre intervention. J'en retiens notamment que vous mettez en valeur une région française et que la qualité du personnel est un atout. En revanche, vous souffrez de l'euro fort, des problèmes de fonctionnement du port de Marseille et d'une certaine inadéquation des politiques publiques à l'égard des PME.