XV. AUDITION DE M. DAVID APPIA, PRÉSIDENT DE L'AGENCE FRANÇAISE POUR LES INVESTISSEMENTS INTERNATIONAUX
M. David Appia , président de l'Agence française pour les investissements internationaux. - Je vous remercie de votre accueil et veux vous dire notre intérêt pour vos travaux. Notre rôle, comme celui d'autres agences en Europe, dont la nôtre est concurrente, est de faciliter la venue en France de sociétés étrangères qui y créent de l'emploi. Depuis 2001, date de la création de l'Agence, nous bénéficions de l'implantation de bureaux à l'étranger, au contact des investisseurs potentiels. Si nous n'avons en revanche pas de réseau en France, notre texte fondateur a prévu l'envoi d'un correspondant dans chaque région, auprès de l'Agence régionale du développement, chargée de faire circuler l'information auprès des autres acteurs territoriaux. La coopération entre nous est très étroite : nous échangeons chaque semaine l'information sur les pays étrangers visant la France, mise en commun dans une base de données, à partir de quoi l'on décide de ce que sera l'offre française. Les choses sont ensuite prises en charge, sous notre coordination, par l'ensemble des acteurs concernés.
L'environnement en matière de projets industriels s'est modifié ces dernières années. Les projets d'investissement créateurs d'emploi dans le domaine industriel se sont déportés vers l'Europe centrale. La République Tchèque, la Roumanie, la Hongrie, la Pologne, même si elles n'accueillent qu'un faible nombre de projets, affichent un bilan en terme d'emplois créés bien supérieur à celui que l'on connaît en Europe de l'Ouest, pour les raisons que l'on sait.
N'en tirons cependant pas la conclusion que la France ou l'Allemagne ne seraient plus attractives dans le domaine industriel. Le nombre de projets a certes connu une baisse régulière depuis dix ans, sans cependant que le flux se tarisse, car l'on voit monter en puissance les projets dans le secteur des hautes technologies, et notamment les éco-industries.
En 2009, selon l'étude annuelle menée par Ernst & Young sur l'attractivité de l'Europe, la France reste le pays le plus attractif pour nombre de projets industriels accueillis, notamment dans les écotechnologies et par le nombre des emplois créés dans le domaine de la logistique et dans la recherche et développement. Notre deuxième place en Europe pour l'accueil de projets créateurs d'emplois est à mettre en regard de cette première place.
Quelques mots sur le rôle de l'Agence et le poids des projets industriels dans l'activité que nous suivons. Dans le domaine de la production, au début des années 2000, la France accueillait plus de 250 nouveaux projets, quand elle n'en attirait plus, entre 2007 et 2009, qu'autour de 200 chaque année. La baisse est réelle : en 2009, la France compte pour 27 % dans les projets de production, elle comptait pour 53 % en 2001.
Nous avons opéré ces dernières années une adaptation, pour participer à l'action collective en faveur des territoires en mutation et des entreprises en difficultés. En 2007, nous avons mobilisé nos équipes en réponse à des demandes, pour rechercher à l'étranger des repreneurs ou des partenaires. Depuis trois ans, nous avons multiplié le nombre d'actions sur dossiers de mutation économique, sous la double tutelle du ministère de l'Economie et de celui de l'Aménagement du territoire, la Datar étant notre interlocuteur quotidien. Avec elle, nous avons été impliqués, en 2007, dans 121 dossiers. Mais ne minimisons pas les difficultés du parcours : sur 57 dossiers ouverts depuis 2007, seules quatre opération sont aujourd'hui bouclées.
Il y a deux ans, nous avons renforcé nos équipes sur le front des mutations économiques. Dominique Frachon, qui venait de notre réseau à l'étranger et nous a apporté son expérience, est responsable à l'Agence du pôle « territoires ».
Notre travail quotidien, au-delà de ces dossiers, consiste à informer, à accompagner, à convaincre les investisseurs étrangers dans leurs demandes vers l'Europe, en assurant la promotion du site France. Nous avons mandat de nos autorités de tutelle dans trois domaines. Premier mandat, la valorisation des pôles de compétitivité français. L'exercice est assez aisé, dès lors que la visibilité de ces pôles va croissant. Ce sont des éco-systèmes ouverts, nous pouvons le démontrer à nos interlocuteurs. Avec la Direction générale de la compétitivité, de l'industrie et des services (DGCIS), nous avons identifié 528 entreprises étrangères membres de ces pôles, ce qui représente plus de 740 implantations.
Deuxième mandat, la promotion des atouts de la France dans quinze segments prioritaires, actualisés chaque année en liaison avec la Datar et la DGCIS. Nous suivons l'évolution de nos performances dans ces secteurs, dont un grand nombre appartient au domaine des technologies avancées et, plus récemment, des éco-technologies et des énergies renouvelables. Troisième mandat, mettre l'accent sur les sites militaires en reconversion. Dix sites doivent faire l'objet d'une prospective spécifique à l'étranger.
Dans quel contexte travaillons-nous ? Dans le secteur industriel, où les projets occupent une place décroissante, il n'est pas inintéressant d'observer la répartition sur le territoire. Certaines régions, comme l'Alsace, qui accueillait massivement l'investissement industriel étranger, et continue à le faire, perdent néanmoins un peu de terrain : le nombre de projets connaît une baisse régulière depuis dix ans. D'autres régions restent stables, tandis qu'un petit nombre, comme la région Rhône-Alpes, voit croître son pouvoir d'attraction. Le tableau n'est donc pas homogène.
Nous nous intéressons également au type d'opérations. Certains investissements conduisent à implanter des entreprises nouvelles, d'autres sont des extensions, d'autres des reprises d'entreprises en difficulté. Les créations sont majoritaires dans le secteur de la production : 53 % en 2009. C'est une bonne nouvelle, puisque cela signifie que les investisseurs étrangers considèrent que le territoire français est propice à l'installation de sites industriels. Même chose pour les extensions - 42 % des projets - qui signent une confiance de l'investisseur. La crise a vu augmenter le nombre de projets de reprise d'entreprises en difficultés, passé de 5 % à 20 % depuis 2007.
Même si le nombre de projets provenant d'Europe est en baisse, celle-ci reste au premier rang, avec 72 %. Vient ensuite l'Amérique du Nord, qui a baissé dans d'importantes proportions depuis cinq ans, tandis que l'Asie reste à la troisième place, avec des résultats en dents de scie, même si les projets liés aux hautes technologies et aux technologies vertes progressent.
En même temps que diminue le nombre des projets dans le secteur industriel, celui des activités d'accompagnement - les services aux entreprises, consulting, ingénierie, R&D - augmente. Si bien que si l'on considère le grand secteur des projets manufacturiers, on constate qu'il pèse très lourd : les deux tiers des projets nouveaux.
Les activités de recherche et développement connaissent une forte croissance : 42 projets en 2009, créations ou extensions, sur 639 au total, contre seulement 20 à 30 projets auparavant. Nous y voyons une confirmation de l'intérêt dans ce domaine des investisseurs étrangers pour la France. L'existence des pôles de compétitivité et du crédit d'impôt recherche sont certainement à l'origine de ce regain d'intérêt.
M. Michel Teston . - Nous notons avec satisfaction que la France demeure attractive, même en cette période de crise. Saluons les investisseurs étrangers qui viennent en France créer de l'emploi, car ce qui compte, c'est de s'assurer que ces créations seront nombreuses. Il ne faudrait pas que les installations se limitent à de simples sites d'assemblage permettant de bénéficier de l'appellation « constructeur français », et de capter ainsi une part de marché alors que l'essentiel de la production se fait ailleurs. On peut se réjouir que le groupe EvoBus reste implanté à Ligny-en-Barrois, mais combien d'emplois cela représente-t-il ? 400, alors qu'ils sont 10 000 à Mannheim, d'où viennent tous les pièces. Il est logique qu'Evobus, implanté en France, puisse revendiquer une part de marché, mais il faut être vigilant sur ce qu'apporte réellement l'implantation d'une entreprise à l'économie française. La France doit convaincre les investisseurs qu'ils doivent prendre une part significative dans la production et devenir de véritables entreprises citoyennes. Les Allemands sont plus vigilants que nous ne le sommes : ils savent rappeler aux investisseurs que ce sera l'Allemagne d'abord.
M. Marc Daunis . - Vous avez souligné les contrastes de la répartition géographique : dégagez-vous des tendances lourdes ? Comprenez qu'il ne s'agit pas pour moi de savoir si la région PACA est mieux placée qu'une autre, mais quelles peuvent être les raisons structurantes de l'attractivité : la recherche et développement, l'existence de clusters, l'émergence internationale... ? D'où ma deuxième question : après avoir fait preuve, naguère, d'une certaine fatuité, nous excellons généralement aujourd'hui dans l'auto-dénigrement, parfois au plus haut niveau. On ne cesse de s'excuser de notre système social, de notre bureaucratie... Or, je suis frappé de constater que les entreprises étrangères, allemandes, suédoises, apprécient cette originalité française, attractive pour leurs personnels. Les infrastructures, les plateformes technologiques ne suffisent plus à attirer les capitaux, il faut aussi compter avec la qualité de vie, élément plus subjectif à ne pas négliger dans une société qui se cherche au milieu de la crise du capitalisme financier : qu'est-ce qu'une société responsable, qu'un financement éthique ? La France, à cet égard, me paraît bien armée pour le futur.
M. Martial Bourquin , président. - J'aimerais connaître votre analyse quant au caractère durable des investissements. Ne sort-il pas un paradoxe de la comparaison entre notre bilan et le credo récurrent sur le manque de compétitivité de nos entreprises ?
M. David Appia, président de l'AFII. - Je suis d'accord avec vous, monsieur le sénateur Teston, il faut s'interroger sur la contribution des investisseurs étrangers à l'économie nationale et locale. Il nous est cependant difficile, comme agence nationale, d'anticiper ce type de stratégie. La problématique qui est la nôtre est avant tout d'éviter de laisser partir des emplois, de faire en sorte qu'ils soient conservés en France, et que de nouveaux y soient créés. Nous y mettons toutes nos forces. Si nous apprenons ensuite que les résultats sont décevants en raison des stratégies que vous décrivez, nous en sommes déçus. Au Brésil, nous avons été approchés par une entreprise d'aviation civile, qui représente 250 emplois. Nous étions en concurrence avec l'Allemagne. Nous estimons qu'il vaut la peine, en tout état de cause, de les attirer vers nous, même s'il doit se révéler que les pièces viendront des États-Unis ou d'Asie. Nous essayons cependant d'avancer dans notre connaissance des projets, mais notre objectif, avant tout, reste de favoriser le maintien et la création d'emplois en France.
Vous m'interrogez, monsieur le sénateur Daunis, sur les tendances lourdes de l'implantation géographique. Je ne connais cependant pas assez la dynamique de la désindustrialisation pour pouvoir établir une corrélation avec les choix des investisseurs étrangers. L'Alsace et la Lorraine restent très attractives, avec Rhône-Alpes, le Nord-Pas-de-Calais, Midi-Pyrénées : ces régions captent la moitié des investissements. J'ai le sentiment que les entreprises étrangères s'attachent à quatre facteurs : le dynamisme du tissu industriel local - plus que l'aide publique à l'implantation, qui ne me semble pas un élément décisif ; l'ouverture du territoire à l'international, car les entreprises s'intéressent non seulement au marché français, mais au marché européen - je ne limite pas l'ouverture à des facteurs géographiques ; les dynamiques créées par les pôles de compétitivité créent aussi un effet d'appel ; l'engagement, enfin, des acteurs publics et privés qui contribuent à cette politique d'attractivité. Mais plaider avec conviction la cause d'un territoire peut aussi faire la différence. Il est naturel que ceux qui y mettent plus d'énergie en recueillent le fruit.
Bien sûr, la qualité de vie, que nous n'oublions pas de valoriser, compte aussi. Avant d'arrêter son choix, le dirigeant devra décider d'envoyer en France quelques cadres dirigeants. Beaucoup de témoignages montrent que les avantages que présente la France de ce point de vue sont appréciés. C'est un facteur qui joue de plus en plus, mais en dernière instance. Les entreprises procèdent à des comparaisons très fouillées, dans tous les domaines, y compris celui des conditions d'accueil des familles.
Vous vous interrogez, monsieur le président Bourquin, sur la durabilité des investissements. L'investisseur étranger, ainsi que l'excellent rapport de M. Lionel Fontagné le met en évidence, est souvent plus aguerri que l'entreprise française, qui n'a pas l'expérience des marchés extérieurs. Cette entreprise étrangère a donc une propension à exporter plus forte que la moyenne des entreprises françaises, et, pour simplifier, plus de solidité face au marché. Il n'y a donc aucune raison qu'elle soit plus fragile que les autres, même si elle est soumise aux mêmes difficultés en cas de crise. La durabilité est donc plutôt fonction des secteurs, et de la stratégie de l'entreprise.
Il ne faut pas non plus oublier de raisonner relativement. Au Brésil, j'ai entendu des entrepreneurs me dire qu'ils souhaitaient venir en France parce qu'ils espéraient y gagner plus rapidement en compétitivité, au contact d'un marché européen plus stimulant que le leur. En matière de technologies avancées, la compétitivité française est bonne. Nous avons des secteurs d'excellence, reconnus comme tels : les décisions d'implantation y sont importantes pour l'avenir. Les investisseurs étrangers estiment que face à la crise, la France a su se tourner vers l'avenir. Les 35 milliards du grand emprunt en faveur de cinq secteurs stratégiques leur confirment que la France mise sur l'innovation. L'étude du cabinet Ernst & Young pour 2009 relève que quelque 65 % des dirigeants interrogés voient dans le grand emprunt un facteur puissant d'attractivité. Et cela nous aide au quotidien.
M. Martial Bourquin , président. - Je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation.
M. David Appia, président de l'AFII. - Nous sommes à votre disposition pour vous fournir toute information.