Audition du vice-amiral Bernard ROGEL, sous chef Opérations à l'état-major des armées, le 9 mars 2010
En introduction, l'amiral Bernard Rogel a indiqué que les opérations sur les théâtres extérieurs et les missions sur le territoire national étaient avant tout le fait des militaires d'active. L'emploi de la réserve opérationnelle s'inscrit dans une logique de complémentarité avec les forces d'active qui leur permet de remplir leurs missions dans la durée.
Il a indiqué que, en 2008, 771 réservistes avaient effectué 54 200 jours en opérations extérieures. La durée moyenne d'activité des réservistes en OPEX est nettement supérieure à celle des réservistes employés sur le territoire national, puisqu'elle est de 100 jours pour l'armée de terre, de 80 jours pour la marine et l'armée de l'air et de 45 jours pour le service de santé.
Il a souligné que la majorité des réservistes en opérations étaient employés au sein d'états-majors dans des domaines spécifiques. D'autres sont employés au sein du Groupement interarmées des actions civilo-militaires (GIACM).
Le GIACM dispose d'un vivier de 359 réservistes et d'une base de données recensant des spécialistes de haut niveau. Parmi ces réservistes, 83 sont identifiés comme d'éminents experts, spécialistes de l'administration, issus du corps préfectoral, ingénieurs ou économes, spécialistes du développement agricole. Les autres réservistes sont destinés pour l'essentiel à l'armement de postes en OPEX.
Le GIACM a envoyé 25 réservistes en OPEX en 2009, auxquels s'est ajouté un réserviste chargé d'un projet de radio grand public dans notre zone d'action en Afghanistan.
Dans la mesure où la durée des missions en Afghanistan va être généralisée à 6 mois, se pose la question de la prolongation des réservistes opérationnels sous ESR. En effet, une procédure particulière exigeant l'accord du ministre de la défense ou par délégation du CEMA est nécessaire pour prolonger l'engagement d'un ESR au-delà de 150 jours et jusqu'à 210 jours.
L'amiral Bernard Rogel a également souligné qu'une centaine de réservistes étaient employés au CPCO pour une durée de un à deux mois, essentiellement pour la conduite des opérations. Ces réservistes permettent de donner de la souplesse à la gestion des effectifs des états-majors de crise. Leur présence permet en particulier de donner des jours de congé aux permanents, très sollicités, des cellules de crise. Ces réservistes ont une formation aux techniques d'état-major, obtenue à l'issue d'une scolarité à l'ESORSEM.
Il a indiqué que les réservistes employés au CPCO étaient indispensables à son fonctionnement quotidien. Identifiés pour leurs connaissances, expériences et compétences spécifiques, ils sont à même d'assurer l'intérim des chefs ou adjoints de bureau.
On estime que, dans le cadre de la mise sur pied d'une cellule de crise au CPCO comptant 23 personnes, environ 10 postes peuvent être armés par des réservistes.
L'amiral Bernard Rogel a souligné que, pour les engagements sur le territoire national, la réserve apportait une forte plus-value grâce à son implantation locale. Par rapport à l'emploi d'un actif, le fait d'employer 10 réservistes durant 30 jours permet, en cas de crise, de lever 10 emplois qui peuvent éventuellement assurer chacun un poste à temps plein pendant plusieurs jours.
En cas de dégradation importante de l'environnement sécuritaire en France, conjuguée à un déploiement significatif de forces à l'extérieur du territoire national, la réserve militaire peut également constituer un apport capacitaire indispensable à la sécurisation des sites d'importance vitale.
Il a ensuite indiqué que les réservistes composent également 75 % des effectifs militaires des états-majors de la chaîne OTIAD (EMIA ZD). Il a indiqué que, sur le terrain, c'était dans les 72 premières heures que les choses se jouaient, et qu'en conséquence on envoyait les militaires de l'active immédiatement disponibles. Au-delà des 3 premiers jours, les états-majors achevaient leur montée en puissance par le renforcement de nombreux réservistes dont la réactivité était aujourd'hui satisfaisante. Dans l'attente de l'arrivée des réservistes, des postes sont occupés par des militaires d'active d'unités pré-désignées.
Il a souligné que la gestion des crises sur le territoire national faisait l'objet, au sein des zones de défense et de sécurité, d'un dialogue entre le préfet de zone et l'officier général de zone de défense. Il a fait valoir que les préfets de zone pouvaient demander aux armées leur concours ou les requérir pour atteindre leurs objectifs mais devaient leur laisser le choix des moyens.
Il a estimé que seules les armées avaient une connaissance suffisante de leurs moyens et de la disponibilité de ces moyens pour déterminer les unités susceptibles d'atteindre les objectifs fixés par les préfets. Il a fait observer, par exemple, qu'une situation où le préfet demanderait directement le concours d'une unité proche géographiquement du lieu de crise, mais en cours de préparation opérationnelle à une projection en Afghanistan, serait tout à fait contraire à une bonne gestion. C'est pour cela que les autorités civiles doivent raisonner en termes d'effets à obtenir et demander aux états-majors de définir les personnels et les moyens les plus pertinents à utiliser.
L'amiral Bernard Rogel a indiqué que la position des armées quant à leur utilisation pour des missions non spécifiques sur le territoire national avait évolué. Au temps de la conscription, le recours aux bras armés du contingent pour lutter contre les effets d'une catastrophe naturelle, voire d'une interruption des services publics, était fréquent. On avait besoin de bras, et les bras étaient dans les casernes. Avec la professionnalisation des armées, certains militaires ont pu avoir tendance à penser qu'ils ne seraient désormais employés que pour des missions militaires et vraisemblablement que sur des théâtres extérieurs. Il n'était plus question de « faire les poubelles de Marseille lors des grèves ». Dans ce contexte, les crises civiles relèveraient exclusivement de la sécurité civile, des forces de police, éventuellement de la gendarmerie.
Cette position a évolué avec le temps, d'une part parce que les armées disposent de moyens spécialisés et spécifiques, même s'ils sont en nombre compté, pour contribuer, en complément ou en renforcement des moyens de la sécurité civile, à la gestion des conséquences des catastrophes naturelles comme les tempêtes, et d'autre part parce que les armées ont conscience qu'elles ne peuvent se couper des préoccupations des populations en situation de crise. « Au titre de la solidarité, c'est l'honneur des armées que de contribuer à restaurer les conditions de vie normale pour nos concitoyens touchés par le malheur ». Cela contribue, de manière très naturelle, au lien armées-nation.
L'amiral Bernard Rogel a estimé que le format actuel des réserves semblait convenir à ses besoins qui sont essentiellement concentrés dans l'activité d'état-major et dans les activités civilo-militaires. Il a indiqué que de fait les réservistes étaient très peu utilisés dans les opérations de combat à proprement parler, ces opérations armées exigeant des personnels bien entraînés dont c'est le métier exclusif.
Il a indiqué que la réduction du format des armées conduisait naturellement à se concentrer sur le coeur de métier et ne permettait plus d'engager à temps plein des experts dans certains domaines particuliers. Dans ce contexte, la réserve est une forme d'externalisation qui permet d'avoir à disposition des compétences très diverses pour des périodes allant de 1 à 2 mois.
Il a souligné dans cette perspective que 10 réservistes pour une durée moyenne de 30 jours n'étaient pas équivalents à un actif à temps plein puisqu'ils offraient la possibilité d'avoir recours à dix spécialités différentes.
S'agissant de l'éventuel surcoût des réservistes par rapport aux militaires d'active, il a estimé que les réserves permettaient au-delà des services rendus aux armées, d'une part d'entretenir le lien armée/nation et d'autre part, d'introduire au sein des armées des regards neufs et enrichissants.
Évoquant la situation de la réserve opérationnelle de niveau 2, il a indiqué que l'utilisation de ce dispositif en temps de crise était problématique en raison des dispositions légales (décret en conseil des ministres) et que la période de 5 ans suscitait des interrogations sur sa pertinence et son efficience.