N° 99
SÉNAT
SESSION ORDINAIRE DE 2010-2011
Enregistré à la Présidence du Sénat le 10 novembre 2010 |
RAPPORT D'INFORMATION
FAIT
au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) sur les conditions d'un engagement de la France dans la défense anti-missile balistique de l' OTAN ,
Par M. Josselin de ROHAN,
Sénateur.
(1) Cette commission est composée de : M. Josselin de Rohan , président ; MM. Jacques Blanc, Didier Boulaud, Jean-Louis Carrère, Jean-Pierre Chevènement, Robert del Picchia, Jean François-Poncet, Robert Hue, Joseph Kergueris , vice-présidents ; Mmes Monique Cerisier-ben Guiga, Joëlle Garriaud-Maylam, MM. André Trillard, André Vantomme, Mme Dominique Voynet , secrétaires ; MM. Jean-Etienne Antoinette, Robert Badinter, Jean-Michel Baylet, René Beaumont, Jean-Pierre Bel, Jacques Berthou, Jean Besson, Michel Billout, Didier Borotra, Michel Boutant, Christian Cambon, Marcel-Pierre Cléach, Raymond Couderc, Mme Michelle Demessine, M. André Dulait, Mmes Bernadette Dupont, Josette Durrieu, MM. Jean Faure, Jean-Paul Fournier, Mme Gisèle Gautier, M. Jacques Gautier, Mme Nathalie Goulet, MM. Jean-Noël Guérini, Michel Guerry, Robert Laufoaulu, Simon Loueckhote, Philippe Madrelle, Pierre Mauroy, Rachel Mazuir, Louis Mermaz, Mme Lucette Michaux-Chevry, MM. Jean Milhau, Charles Pasqua, Philippe Paul, Xavier Pintat, Bernard Piras, Christian Poncelet, Yves Pozzo di Borgo, Jean-Pierre Raffarin, Daniel Reiner, Roger Romani, Mme Catherine Tasca. |
AVANT-PROPOS
Mesdames, Messieurs,
La défense anti-missile balistique sera l'une des principales questions à l'ordre du jour du sommet des Chefs d'Etat et de gouvernement des pays de l'OTAN qui se tiendra à Lisbonne les 19 et 20 novembre prochain.
Deux décisions pourraient être prises : une décision politique visant à reconnaître la défense anti-missile balistique comme une capacité que l'OTAN doit acquérir pour remplir ses missions ; une décision programmatique visant à faire évoluer le programme de défense anti-missile de théâtre ALTMBD ( active layered theatre missile ballistic defence) vers une défense des territoires .
La question n'est plus de savoir si notre pays doit approuver ou non cette évolution. La Présidence de la République a fait connaître le 15 octobre dernier « le soutien de principe de la France à la nouvelle approche de la défense anti-missile proposée par le Président des Etats-Unis et actuellement débattue à l'OTAN » en apportant les précisions suivantes : « Une décision pourrait être prise à Lisbonne, sur la base d'un projet réaliste, adapté à l'évolution de la menace balistique que font peser certains programmes au Moyen-Orient et accompagné d'un dialogue avec la Russie en vue d'une coopération. La France pourra y contribuer. Comme l'a souligné M. Rasmussen, la défense anti-missile se conçoit comme un complément à la dissuasion nucléaire et non comme un substitut. »
Il s'agit d'une inflexion stratégique amorcée par Jacques Chirac en 2006 1 ( * ) , et prolongée par Nicolas Sarkozy lors du discours de Cherbourg le 21 mars 2008 : « Afin de préserver notre liberté d'action, des capacités de défense anti-missile contre une frappe limitée pourraient être un complément utile à la dissuasion nucléaire, sans bien sûr s'y substituer. Ne perdons pas de vue qu'une défense anti-missile ne sera jamais assez efficace pour préserver nos intérêts vitaux. Sur cette question, la France a fait le choix d'une démarche pragmatique. C'est dans cet esprit que nous participons aux travaux collectifs dans le cadre de l'Alliance atlantique. Nous disposons de solides compétences techniques dans ce domaine qui pourraient être mises à profit le moment venu. »
Le moment est donc venu.
Dans ce contexte, la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées du Sénat a souhaité :
- mesurer les enjeux de ce projet ;
- évaluer les risques de notre participation et les confronter à ceux d'une non-participation ;
- déterminer les principales orientations devant guider la position de la France à l'OTAN lors du sommet de Lisbonne et ultérieurement.
Le présent document entend contribuer à cet objectif. Il résume et reprend certains enseignements tirés par les sénateurs des auditions que la commission a organisées aux mois de juin et juillet dernier et dont le compte-rendu figure en annexe.
I. LES ENJEUX MILITAIRES, ÉCONOMIQUES ET STRATÉGIQUES
A. UN OUTIL MILITAIRE DONT L'INTÉRÊT VA ALLER CROISSANT
1. Aujourd'hui, la menace balistique sur le territoire national ou même sur le territoire européen par des pays proliférants est faible. Ce n'est pas tant notre territoire national qui peut être menacé, que nos forces déployées en opérations extérieures, nos points d'appui au Moyen-Orient et en Afrique et nos alliés dans cette région du monde. Le risque existe à l'heure actuelle d'être pris, par le jeu des alliances ou par une attaque directe de nos forces, dans l'engrenage d'une attaque balistique d'envergure.
2. Les évolutions les plus récentes confirment en effet le développement rapide des capacités balistiques en dehors du cercle des puissances majeures. Elles témoignent même d'une maturation plus avancée que prévue par le Livre blanc de 2008 des technologies maîtrisées par ces pays dans le domaine de la courte et de la moyenne portée.
3. Cette menace justifie l'acquisition d'une capacité de défense anti-missile de théâtre pour la protection des forces déployées et des points sensibles, dont la France a déjà décidé de se doter à travers le programme sol-air moyenne portée/terrestre (SAMP/T).
4. Elle impose également de prendre en compte le besoin de protection de nos alliés qui est en train de remodeler les partenariats stratégiques dans les régions concernées.
5. A l'horizon 2020, il nous faut envisager d'autres scénarii dans lesquels un adversaire potentiel utiliserait ses capacités balistiques pour frapper directement le territoire national.
6. Dans ce cas, la dissuasion nucléaire, garantie ultime de nos intérêts vitaux, restera l'instrument le plus efficace pour parer une telle menace. Aucun système anti-missile ne peut prétendre assurer une protection absolue.
7. Mais, même dans ce cas, une défense anti-missile capable de protéger les territoires et les populations peut compléter utilement la dissuasion. Grâce au déploiement de systèmes d'alerte avancée, elle permet d'une part de surveiller la prolifération et d'en évaluer précisément la menace, et d'autre part d'identifier l'agresseur avec certitude, ce qui renforce la crainte de représailles. Une capacité d'interception rehausse le seuil auquel l'adversaire doit porter son attaque. Certes, cette capacité ne garantit pas une invulnérabilité sans faille, mais elle concourt néanmoins à la fonction de protection, de la même façon que les autres systèmes de défense aérienne. On se défend bien contre la menace aérienne. Pourquoi ne devrait-on pas se défendre contre la menace balistique ?
* 1 Dans son discours à l'Île Longue, prononcé le 19 janvier 2006, le Président Chirac avait déclaré : « Un tel outil (la DAMB) ne peut donc être considéré comme un substitut de la dissuasion. Mais il peut la compléter en diminuant nos vulnérabilités. C'est pourquoi la France s'est résolument engagée dans une réflexion commune, au sein de l'Alliance atlantique, et développe son propre programme d'autoprotection des forces déployées. »