EXAMEN EN DÉLÉGATION
Sous la présidence de Mme Michèle André , présidente, la délégation a procédé, le jeudi 7 octobre 2010, à l'examen du rapport d'information de Mme Joëlle Garriaud-Maylam sur la proposition de loi n° 223 (2009-2010), adoptée par l'Assemblée nationale, relative à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d'administration et de surveillance, et à l'égalité professionnelle, transmise au Sénat le 21 janvier 2010, et la proposition de loi n° 291 (2009-2010) relative aux règles de cumul et d'incompatibilité des mandats sociaux dans les sociétés anonymes et à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d'administration et de surveillance, présentée par Mme Nicole Bricq et plusieurs de ses collègues, dont la délégation a été saisie par la commission des lois.
Mme Michèle André, présidente de la délégation aux droits des femmes et à l'égalité des chances entre les hommes et les femmes. - Notre délégation examine le projet de rapport établi par Mme Garriaud-Maylam, rapporteur, sur deux propositions de loi, celle présentée au Sénat et celle adoptée à l'Assemblée nationale.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam, rapporteur de la délégation aux droits des femmes. - A l'heure où le débat sur la réforme des retraites met en lumière les inégalités professionnelles et salariales persistantes entre les hommes et les femmes dans l'entreprise, la place des femmes dans les instances de direction et d'organisation des entreprises prend une importance particulière. Notre délégation s'intéresse depuis longtemps à cette question et s'était rendue en Norvège en mai 2009 et en Espagne sur ce sujet. J'ai moi-même accompagné Mme la ministre de la famille en Suède, en octobre dernier, pour une mission d'étude de la politique conduite par ces pays précurseurs en matière d'égalité professionnelle. Nous avons rencontré les deux ministres suédois concernés. J'ai participé le 16 septembre dernier à une conférence à Washington, organisée par le centre des relations transatlantiques et consacrée aux inégalités de genre dans les conseils d'administration. Le Medef aussi a organisé récemment une conférence en Ile-de-France, à laquelle j'ai participé.
Ces travaux ont préparé la délégation à l'examen de deux propositions de loi. La première, relative aux règles de cumul et d'incompatibilité des mandats sociaux dans les sociétés anonymes et à la représentation équilibrée des femmes et des hommes au sein des conseils d'administration et de surveillance, a été déposée au Sénat le 16 février par le groupe socialiste et cosignée notamment par la présidente de notre délégation. La seconde, présentée par Mme Marie-Jo Zimmermann et adoptée à l'Assemblée nationale le 20 janvier dernier, vise à favoriser l'entrée des femmes dans les conseils d'administration et de surveillance des entreprises du secteur privé et public, afin qu'elles représentent 40 % des membres de ces conseils dans six ans.
Les femmes sont aujourd'hui bloquées dans leur accession aux postes à responsabilités dans l'entreprise. Le rapport de Mme Brigitte Grésy indique que les femmes représentent en France, en 2009, 41,2 % des cadres administratifs et commerciaux des entreprises, 18,2 % des ingénieurs et cadres techniques, et seulement 10 % des membres des conseils d'administration.
Les renouvellements en juin dernier des conseils d'administration des entreprises du CAC 40 marquent déjà un progrès. Avec 91 administratrices de plus, le nombre des femmes dans les conseils d'administration de ces entreprises a presque doublé. Mais dans les autres entreprises, c'est la stagnation. Le 13 septembre dernier au Sénat, à l'initiative de notre délégation, une table ronde a réuni des femmes chefs d'entreprises, des experts et des représentants des institutions et des réseaux qui s'intéressent aux problématiques de genre. Le constat est sans appel. Même après la récente amélioration dans les entreprises du CAC 40, la France reste parmi les mauvais élèves de l'Europe ; en Norvège, 44,2 % des administrateurs de sociétés sont des femmes et la Suède compte 26,9 % de femmes dans ses conseils d'administration.
La situation dans le secteur public n'est pas meilleure. Dans les sociétés détenues en partie par l'État, les femmes représentent 15,16 % des administrateurs nommés par l'État. Mais, cela me choque, on ne compte aucune femme parmi les dix personnalités nommées par le Parlement dans cinq entreprises publiques dont France télévision et Radio France. L'examen de la composition des conseils d'administration des établissements publics de l'État révèle également de malheureuses surprises ; et le renouvellement exclusivement masculin du conseil d'administration de l'établissement public du Plateau de Saclay le 24 septembre dernier illustre la situation de façon flagrante. L'État devrait être exemplaire ! Les deux propositions de loi visent à imposer 40 % de femmes dans les conseils d'administration des entreprises et des établissements publics à caractère administratif (EPA), ce seuil devant être atteint en 2016, avec un pallier de 20 % d'ici 3 ans. Cet objectif est ambitieux, mais il est réaliste : il implique de recruter entre 600 et 1.000 femmes en six ans. Tous nos interlocuteurs l'affirment, un « vivier » de femmes aux compétences et à l'expérience requises existe. Lors des récents renouvellements des conseils d'administration des entreprises du CAC40, près de 50 femmes ont intégré les instances directionnelles des entreprises cotées : c'est une preuve !
L'immense gâchis de talents que représente la faible place des femmes dans les conseils justifie une intervention du législateur. Sur les quatre points clés des propositions de loi - le périmètre d'application de l'objectif de 40 %, les sanctions, le cumul des mandats et les modalités d'évaluation de la loi, je vais vous soumettre des adaptations. Nous entendons fixer aux entreprises un objectif ambitieux, mais j'espère que les dispositions obligatoires seront inutiles et que la féminisation des instances de direction s'imposera d'elle-même à l'issue de la période transitoire.
Toutes les sociétés commerciales d'une certaine taille devraient être en mesure de respecter l'objectif de 40 %. Le dispositif actuel vise les sociétés cotées et celles atteignant un certain niveau de chiffre d'affaires. La référence au chiffre d'affaires, par nature fluctuant, n'est pas opportune, elle introduit un aléa inutile. Mieux vaut viser toutes les sociétés cotées et les entreprises de plus de 500 salariés, sans considération de seuil de chiffre d'affaires ; le secteur mutualiste doit être concerné aussi. Ces modifications rejoignent les suggestions formulées par plusieurs intervenants lors de la table-ronde.
En matière de représentation équilibrée des femmes et des hommes dans les instances de direction, l'État doit être exemplaire. Je vous propose un calendrier plus strict - trois ans au lieu de six - pour les établissements publics administratifs, entreprises publiques et sociétés nationales. Je ne sous-estime pas les difficultés pratiques, du fait de l'hétérogénéité des statuts des établissements. Cependant, l'observatoire de la parité entre les femmes et les hommes a, dans une note récente, proposé une liste des établissements publics administratifs de l'État susceptibles d'être mis en conformité avec la loi. Je vous proposerai d'annexer cette liste, afin d'accélérer la mise en oeuvre de la mesure. L'État pourrait également nommer désormais à parité hommes et femmes dans les conseils d'administration ou de surveillance des entreprises du périmètre de l'Agence des participations de l'État. Les femmes n'y représentent à l'heure actuelle que 15 % des membres.
Les sanctions doivent être proportionnées aux objectifs mais suffisamment fortes pour être dissuasives. Je vous proposerai de prévoir l'annulation des nominations contraires aux objectifs de la loi - mais non de remettre en cause les délibérations prises par des conseils mal constitués.
Sur le non cumul des mandats, nous pourrions nous rallier aux dispositions de la proposition de loi sénatoriale : pas plus de trois mandats simultanés d'administrateur, de membre du conseil de surveillance ou de membre du directoire. Tous les experts, y compris ceux hostiles à nos propositions, reconnaissent qu'au-delà de trois, on ne peut exercer sa tâche sérieusement, d'autant que l'on a généralement une activité professionnelle à temps plein. Si on veut favoriser l'accession des femmes aux conseils d'administration, encore faut-il leur laisser des places !
Le dispositif ne sera efficace que s'il est évalué. Les exemples étrangers l'ont prouvé : l'existence même d'une autorité de contrôle encourage les entreprises à se mettre en conformité avec la loi. Aussi, je vous propose de prévoir l'institution d'une autorité centrale, rattachée au ministère de l'économie et des finances plutôt que, comme il est de tradition, au ministère de la justice.
Enfin, un rapport tous les trois ans du Gouvernement au Parlement nous permettra de suivre l'évolution de la situation. L'objectif de 40 % des femmes dans les instances de direction des entreprises n'est pas un but en soi : la présence accrue des femmes dans les instances stratégiques doit avoir un effet d'entraînement sur la situation des femmes dans l'ensemble de l'organisation et sur les conditions de travail de l'entreprise. Enjeu de justice sociale, la mixité des conseils doit aussi permettre d'améliorer la croissance des entreprises. Je suis convaincue qu'elle aura un effet positif tant au niveau social qu'économique.
Mme Michèle André, présidente. - Merci pour ce panorama complet, qui prend en compte les deux propositions. Venons-en aux recommandations de notre délégation.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam, rapporteur. - Recommandation 1 : La délégation aux droits des femmes estime que toutes les sociétés commerciales d'une certaine taille devraient être en mesure de respecter l'objectif de la loi visant à faire entrer 40 % de femmes dans les conseils d'administration et de surveillance des entreprises privées. Aussi préconise-t-elle d'étendre cet objectif à toutes les sociétés cotées sans exception ainsi qu'à toutes les entreprises employant plus de 500 salariés, sans considération de seuil de chiffre d'affaires.
Recommandation 2 : La délégation propose d'élargir le périmètre d'application de la loi au secteur mutualiste, et d'introduire cette obligation à l'article L.114-16 du code de la mutualité.
Recommandation 3 : La délégation estime qu'en matière de représentation équilibrée des femmes et des hommes dans les instances de direction, l'État doit être exemplaire. Aussi propose-t-elle de prévoir un calendrier plus strict pour l'accession des femmes administrateurs aux conseils d'administration des établissements publics administratifs (EPA), entreprises publiques et sociétés nationales, qui devront atteindre l'objectif de 40 % de femmes en trois ans. L'annexion à la loi de la liste des établissements concernés pourrait faciliter leur mise en conformité rapide ; de nommer à parité, à compter de la promulgation de la loi, un homme et une femme alternativement dans les conseils d'administration ou de surveillance des entreprises du périmètre de l'Agence des participations de l'État.
Recommandation 4 : Estimant que les sanctions doivent être proportionnées aux objectifs de la loi, tout en étant suffisamment fortes pour être dissuasives, la délégation se prononce en faveur de l'annulation des nominations contraires aux objectifs de la loi, mais sans que soient remises en cause les délibérations prises par des conseils mal constitués.
Recommandation 5 : La délégation juge nécessaire de limiter à trois l'exercice simultané de plusieurs mandats d'administrateur, ou de membre du conseil de surveillance ou de membre du directoire, de sociétés anonymes ayant leur siège sur le territoire français.
Recommandation 6 : La délégation préconise l'institution d'une autorité centrale au sein du ministère de l'économie et des finances chargée, à l'instar de ce qui existe en Norvège, de veiller à l'évolution de la composition des conseils d'administration des entreprises du périmètre.
Recommandation 7 : Afin de permettre au législateur de contrôler la mise en application de la loi, la délégation souhaite que le Gouvernement présente tous les trois ans un rapport au Parlement permettant d'évaluer la mise en conformité progressive des conseils d'administration et de surveillance des entreprises du périmètre.
Mme Jacqueline Panis. - La recommandation n°4 me paraît bien modérée, au regard par exemple des sanctions applicables en Norvège. Pourquoi ce choix ?
Mme Joëlle Garriaud-Maylam, rapporteur. - Nos recommandations vont dans certains cas au-delà des mesures inscrites dans les deux propositions. Mais nous prenons en compte l'état des mentalités et la nature de notre société. Nous aligner sur les sanctions norvégiennes serait extrêmement mal vu par les entreprises françaises. Annulation de délibérations, dissolution de conseils : c'est trop pour nous, Français, nous ne pouvons l'envisager. A Washington, du reste, il y a eu unanimité pour saluer la Norvège qui montre l'exemple... mais de nombreux pays s'avouent incapables de le suivre jusqu'au bout ! La Constitution française protège en outre la liberté d'entreprendre : prenons garde au risque de censure du Conseil constitutionnel.
Mme Jacqueline Panis. - Ne pourrait-on, à la limitation du nombre des mandats sociaux, ajouter une barrière d'âge ?
Mme Joëlle Garriaud-Maylam, rapporteur. - Cette suggestion me fait plaisir car la question du renouvellement me semble essentielle dans l'intérêt des entreprises, et des institutions en général.
Mme Christiane Hummel. - L'Académie française vient de poser une limite d'âge pour les postulants-académiciens...
Mme Michèle André, présidente. - C'est vrai !
Mme Joëlle Garriaud-Maylam, rapporteur. - Les membres du parlement canadien doivent quitter leurs fonctions le jour de leurs 75 ans. Les entreprises aussi ont besoin de sang neuf. Le Conseil constitutionnel est hostile à la notion de quotas mais il faudrait promouvoir la diversité. Mme Laurence Parisot estime elle aussi que les conseils d'administration devraient être plus accessibles aux femmes et plus ouverts à la diversité.
Mme Michèle André, présidente. - Nous devons être attentifs à cette question d'âge. Et en la matière, l'Etat est le plus mauvais !
Mme Christiane Hummel. - On a eu dans le passé un chef d'Etat qui avait plus de soixante-quinze ans : les résultats du régime de Vichy ont été dramatiques.
Mme Michèle André, présidente. - Notre délégation doit-elle se lancer la première dans cette bataille ?
Mme Jacqueline Panis. - Nous pourrions ajouter cette condition d'âge dans la recommandation n°3. Une femme se pose toujours la question de sa compétence, elle se demande toujours si elle sera capable d'assumer les responsabilités qu'on lui propose. Les hommes, eux, éludent ce genre d'interrogations !
Mme Michèle André, présidente. - La condition pourrait être inscrite à la troisième ou à la cinquième recommandation.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam, rapporteur. - Il serait bon de mentionner la nécessité d'un « renouvellement ».
Mme Michèle André, présidente. - Nous pourrions mentionner l'exigence que les personnes nommées aient un « âge raisonnable », pour attirer l'attention et faire réfléchir, au lieu de poser un âge-couperet.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam, rapporteur. - La recommandation n°3 concerne seulement l'Etat.
Mme Michèle André, présidente. - Il est le premier coupable. Vous avez vu ce qui s'est passé pour l'établissement public du plateau de Saclay : pas une femme dans son conseil d'administration ! J'ai publié un communiqué de presse à ce propos. Comment imposer aux entreprises ce que l'Etat ne s'impose pas ?
Mme Joëlle Garriaud-Maylam, rapporteur. - Indiquer un âge-butoir serait courageux.
Mme Christiane Hummel. - En nous appuyant sur l'exemple donné par l'Académie française.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam, rapporteur. - Ce pourrait être 75 ans.
Mme Michèle André, présidente. - Il faudra déjà nous battre sur la représentation des femmes au sein des entreprises d'Etat et sur le nombre de mandats. Nous ouvrons un troisième front.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam, rapporteur. - Mais la limite de 75 ans est appliquée partout - et déjà cet âge me paraît trop élevé.
Mme Jacqueline Panis. - Et le rôle de la délégation est bien d'ouvrir des fronts et de marteler nos demandes...
Mme Joëlle Garriaud-Maylam, rapporteur. - Nous pouvons préciser, dans la recommandation 3, de veiller à ce qu'aucune nomination ne soit faite au-delà de 75 ans.
Mme Christiane Hummel. - Dans les faits, on ne nomme jamais des personnes de 75 ans...
Mme Michèle André, présidente. - Quel âge a Mme Chirac ? Au Collège de France on prend sa retraite à 70 ans.
Mme Jacqueline Panis. - Les experts aussi doivent s'arrêter à 70 ans.
Mme Christiane Hummel. - Mais à 70 ans les savants partent dans d'autres pays faute de pouvoir continuer d'exercer en France.
Mme Michèle André, présidente. - Georges Charpak était vieux et toujours aussi génial. Vérifions les âges de la retraite pour les universitaires et les magistrats, pour nous aligner dessus, peut-être ? Si vous en êtes d'accord, je vous propose de compléter la recommandation n° 3 en ajoutant après les mots « agences de participation de l'État » les mots « en veillant à ce qu'aucune nomination ne soit effectuée au-delà de 75 ans ».
Mme Jacqueline Panis. - Mais une activité à plein temps et un mandat social, ce n'est pas la même chose. Autre point : notre rapporteur indique qu'il faut laisser des places aux femmes.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam, rapporteur. - Et renouveler les conseils ! Les femmes chefs d'entreprise sont très hostiles à ce texte mais reconnaissent qu'au-delà de trois mandats sociaux, on ne peut assumer correctement ses responsabilités.
Mme Catherine Morin-Desailly . - A propos de la recommandation n° 7, faut-il demander des rapports que le gouvernement ne remet jamais ?
Mme Michèle André, présidente. - Mais on peut alors l'interpeller ! La loi de simplification supprime beaucoup de rapports, mais nous avons insisté pour conserver ceux qui intéressent notre délégation, car les chiffres nous sont très utiles pour faire progresser les choses. L'observatoire de la parité joue aussi en ce domaine un rôle non négligeable.
Je mets aux voix les recommandations en y intégrant notre amendement relatif à la recommandation n° 3, ainsi que l'ensemble du rapport.
La délégation adopte à l'unanimité des présents le rapport d'information présenté par Mme Joëlle Garriaud-Maylam, rapporteure, ainsi que ses sept recommandations.
Mme Michèle André, présidente. - Notre collègue rapporteur les présentera à la commission des lois le 13 octobre. Nos propositions ne susciteront pas toutes un consensus au sein de notre assemblée. C'est un peu paradoxal mais nous devrons sans doute ferrailler sur la limitation du cumul des mandats dans les instances de direction des entreprises ainsi que sur les quotas dans les conseils d'administration des établissements publics.
Mais nos propositions, même si elles ne sont pas toujours suivies, ont du moins le mérite de lancer le débat. Ainsi, par exemple, nos amendements relatifs à l'âge de la retraite à taux plein ont servi d'appui pour la rédaction d'autres amendements déposés sur cette disposition du projet de réforme des retraites.