D. RENFORCER LA PROTECTION DES POPULATIONS : UNE NOUVELLE POLITIQUE DE GESTION DES DIGUES

Rappel des premières préconisations de la mission dans son rapport d'étape

- Réparer rapidement les digues endommagées par la tempête ;

- Ne pas créer de digues nouvelles ayant pour objet de créer une nouvelle urbanisation dans des zones à risques ;

- Apporter une attention particulière au cordon dunaire qui est un ouvrage naturel de défense contre la mer ;

- Corréler l'aménagement et le rehaussement au niveau de risque et de protection envisagés ;

- Clarifier le régime de propriété et envisager un transfert de propriété publique qui permettra de clarifier les responsabilités ;

- Promouvoir une gestion locale de proximité de nature à assurer efficacement la surveillance et l'entretien de ces ouvrages ;

- Assurer un taux de prise en charge de ces travaux par l'Etat qui ne devra pas être inférieur à 50% et devra être soutenu dans le temps.

1. Les principes d'une nouvelle politique : les enseignements du déplacement aux Pays-Bas

Le déplacement que la mission a effectué aux Pays-Bas, les 1 er et 2 juin, s'est révélé extrêmement instructif sur la possibilité de mettre en oeuvre une véritable politique de lutte contre la submersion marine, adoptant une approche globale intégrant une véritable culture du risque, des moyens renforcés de prévision et d'alerte, des investissements et le contrôle des ouvrages de protection et des dunes et une gestion maîtrisée de l'eau et des fleuves. Le tout s'appuyant sur une structure administrative et financière très élaborée.

Profondément marqués par la tempête de 1953 et ses 1 835 morts, sur la côte de Zélande 46 ( * ) , les Pays Bas ont érigé la protection en priorité nationale. Mais, simultanément, ils ont refusé de renoncer à la sanctuarisation d'une partie d'un territoire situé pour moitié à un mètre en dessous de la mer et sur lequel vit 70 % de la population. Pour concilier ces deux impératifs, les Pays-Bas ont décidé que toutes les zones habitées seraient protégées quel qu'en soit le coût et que de vastes surfaces seraient aménagées en polders.

Le plan Delta, adopté en 1958, comprend au total neuf barrages, dont quatre principaux et cinq secondaires, pour un coût total, étalé sur 32 ans, de 5,5 milliards d'euros. Les digues barrières de front de mer ont des élévations comprises entre 12 et 14 mètres au-dessus du niveau de la mer.

Suivant des zones délimitées (rouge, orange, jaune, verte) par la loi néerlandaise sur le ouvrages de défense contre l'eau (la mer, les rivières et les grands lacs) de 1996, les digues sont construites pour résister à un phénomène de submersion ayant lieu tous les 10 000 ans, tous les 4 000 ans, tous les 2 000 ans ou tous les 1 250 ans. Ces normes sont bien supérieures à celles retenues en France, où la référence est généralement centennale.

Tous les six ans, ces digues sont contrôlées pour vérifier que les normes d'entretien sont bien respectées. Cet état des lieux sert de base à un plan d'investissements préparé par l'Etat qui est soumis au Parlement. Aujourd'hui, 93 projets d'investissements sont en cours, nécessitant un financement de 2 milliards d'euros d'ici 2015, pour une valeur économique protégée de 2.000 milliards d'euros.

Parallèlement, le pays a mis en place des administrations spécialisées, particulièrement efficaces. Les plus anciennes ont été créées au XIV ème siècle par des pêcheurs ou des fermiers installés le long des côtes, qui ont construit de petites digues pour faire des polders. Ces initiatives locales ont conduit progressivement à la création de milliers de petites structures de gestion des eaux, aujourd'hui rassemblées en 26 administrations régionales des eaux, avec une administration de tutelle.

Les administrations locales des eaux ne s'occupent pas seulement des digues, mais également de la gestion de l'eau, de l'irrigation et de la qualité des eaux (épuration). Elles ont leur propre régime juridique et disposent d'un système fiscal. Elles prennent des arrêtés directement applicables et donnent leur avis sur les projets de construction.

Les administrations régionales des eaux dépensent ainsi, chaque année, 135 millions d'euros pour la protection contre la mer pour un littoral de 350 kms . Tous ceux qui ont intérêt à l'investissement doivent payer (ménages, industries, agriculteurs etc..) sur le fondement de la valeur économique de leur bien. Un foyer néerlandais paye ainsi 10 à 50 euros par an en moyenne pour la protection contre la mer. Plus les personnes sont installées dans des zones basses à protéger, plus leur contribution est grande. Cependant, pour les grands projets d'investissement, ceux-ci sont financés par la solidarité nationale à travers le budget de l'Etat pour 500 millions d'euros par an.

Des élections sont organisées pour que les payeurs (ménages, entreprises etc..) soient représentés aux conseils d'administration des autorités régionales des eaux. Le Président est nommé pour six ans et le comité exécutif a la responsabilité d'évaluer les projets d'investissement, le montant des impôts à prélever et d'assurer la mise en oeuvre des projets. La loi fixe des priorités nationales mais laisse une marge de manoeuvre aux autorités régionales pour décider des projets d'investissement.

Les Pays-Bas ne recourent pas exclusivement à la construction des digues. Ainsi, le nord de la ville de Noordwijk était protégé par des dunes, mais avec une partie basse vulnérable. Il existait cependant des contraintes en termes de construction, avec une interdiction de creuser dans les zones de protection naturelle primaire. La solution technique trouvée a donc été la création d'une digue dans la dune , sur 1 100 mètres de long. A Katwijk, une partie de la ville est directement menacée en cas de tempête et les pouvoirs publics étudient également une solution hybride de digues et de dunes.

Par ailleurs, les Pays-Bas procèdent au rechargement de leurs plages. Sur la côte de Delfland, qui apparaît comme l'un des « points faibles » de la côte néerlandaise, les autorités ont choisi d'extraire du sable de la Mer du Nord, au large, pour créer de nouvelles dunes. Pour recharger leurs plages, les Pays-Bas utilisent 12 millions de mètres cubes de sable pour un coût de 43 millions d'euros par an, mais cela protège des intérêts économiques évalués à 800 milliards d'euros.

Enfin, les Pays-Bas travaillent à un grand plan de rénovation de leurs ouvrages de protection contre la mer (projet Delta II).

Le premier programme Delta, réalisé après la tempête de 1953 est toujours en vigueur. En 2008, une deuxième commission Delta a été mise en place, en l'absence de tout désastre majeur. Conçue de façon pro-active, cette adaptation du programme Delta associe les différents partenaires de la gestion de l'eau, le grand public et les différents niveaux d'administration. Dans une perspective de long terme, la commission propose d'étudier des zones spécifiques où se concentrent les enjeux, de tester des méthodes innovantes par des projets pilotes en mobilisant les acteurs privés, de conduire des projets environnementaux et de développement urbain, et d'accroître l'efficacité des moyens financiers mis en oeuvre.

Pour dépasser le clivage des pro et anti-digues, les Pays Bas développent un grand souci d'intégration des ouvrages dans les paysages et de valorisation touristique.

Les deux principaux critères retenus ont été l'analyse coût/bénéfice des ouvrages de protection et le risque de victimes. Aujourd'hui, le fonds Delta aux Pays-Bas représente 500 millions d'euros par an, la commission Delta II estime qu'il faudrait le porter à 1 milliard d'euros par an sur la période 2010-2100 pour répondre aux enjeux de la protection contre la mer et du changement climatique.


* 46 Les inondations de 1953 ont par ailleurs touché 200 000 hectares de terres et endommagé 47 000 bâtiments.

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