II. COMPTES RENDUS DES DÉPLACEMENTS DE LA MISSION

Compte rendu du déplacement
au Technocentre de Renault à Guyancourt
(jeudi 25 mars 2010)

Composition de la délégation : Jean-Pierre Godefroy, président,
Gérard Dériot, rapporteur, Alain Gournac, Annie David,
Françoise Henneron et Jacqueline Alquier.

- Accueil par Bernard Ollivier, directeur des établissements d'ingénierie France, Nicolas Barrier, directeur des ressources humaines du Technocentre, et Louise d'Harcourt, déléguée aux affaires publiques de Renault.

Nicolas Barrier a d'abord présenté à la délégation les missions et l'organisation du Technocentre. Près de 9 000 salariés y sont employés ; ils conçoivent les futurs véhicules du groupe Renault et élaborent les process mis en oeuvre dans les sites de production du groupe.

Le site comporte quatre bâtiments :

- l'« avancée », qui abrite les salariés chargés de la conception (3 000 personnes environ) ;

- la « ruche », pour ceux chargés du développement (5 000 personnes) ;

- une usine, qui fabrique des prototypes ;

- le « gradient », qui abrite les salariés chargés de la stratégie industrielle et de la logistique.

Il a ensuite fourni des données à caractère social :

- en 2008 et 2009, les effectifs du Technocentre ont diminué en raison d'un plan de départs volontaires ;

- l'entreprise consacre 21 millions d'euros, soit l'équivalent de 4,8 % de la masse salariale, à la formation des salariés du centre, qui compte par ailleurs 250 apprentis ;

- la moyenne d'âge des salariés et de quarante et un ans ; il s'agit à 80 % d'hommes, les femmes étant peu présentes dans les métiers techniques ;

- le taux d'absentéisme est faible (1,69 %) et les démissions sont rares.

Lors des dernières élections professionnelles, organisées en décembre 2009, la CFE-CGC a obtenu 40 % des voix, la CFDT 25 %, la CGT 18 % et Sud 12 %. Le site compte 250 représentants du personnel et dispose de sept CHSCT.

- Présentation par Bernard Ollivier sur le thème : « Risques psychosociaux : plan d'action, mesures et résultats au sein des établissements d'ingénierie France de Renault ».

Bernard Ollivier a indiqué avoir pris ses fonctions, en avril 2007, dans un contexte de crise, puisqu'un troisième suicide venait de se produire sur le site. Il a reconnu que l'entreprise avait eu tendance, dans un premier temps, à analyser ces suicides comme la conséquence de problèmes personnels et à minimiser sa responsabilité. Les syndicats ont accusé l'entreprise de déni et ont alerté les médias. Un ensemble d'actions ont ensuite été lancées, avec des effets à plus ou moins long terme.

Le CHSCT de la « ruche » a commandé une expertise au cabinet de conseils Technologia afin d'établir un diagnostic. 63 % des salariés ont répondu au questionnaire qui leur a été adressé.

Cette expertise a montré que le taux de « travail tendu », qui se caractérise par une charge de travail lourde accompagnée d'une faible latitude décisionnelle, était de 31 % chez les salariés du Technocentre, alors que l'enquête Sumer indique que le taux moyen dans l'ensemble de la population est de seulement 10 %. Elle a également mis en évidence la longueur des journées de travail et un déficit de reconnaissance du très fort engagement professionnel des salariés. Elle a aussi montré la complexité de l'organisation matricielle du site : les salariés appartiennent à la fois à une direction par métiers et à une direction par projet. La hiérarchie tend à faire prévaloir les problèmes techniques sur les problèmes humains, sa priorité étant de tenir les délais.

Après que ce diagnostic a été établi, de nombreuses actions ont été mises en oeuvre :

- des postes d'adjoint aux directeurs métiers ont été créés : leur mission est d'évaluer la charge de travail entraînée par un nouveau projet et de s'assurer que les services concernés disposent des ressources humaines suffisantes pour y faire face ; à défaut, ils peuvent s'opposer à la réalisation du projet ;

- les chefs de service ont été recentrés sur leur fonction de management ;

- des postes de responsables RH de proximité ont été créés, à raison de un pour 350 salariés ;

- pour créer de la convivialité, une journée d'équipe a été instituée une fois par an ; elle donne l'occasion aux salariés de discuter de la façon dont fonctionne leur collectif de travail ;

- pour renforcer la prévention, deux mille managers ont été formés à la gestion du stress et à la détection des personnes en difficulté ;

- des psychologues effectuent des vacations sur le site et l'entreprise paie aux salariés qui en font la demande six séances de consultation d'une heure ; depuis mars 2009, une cinquantaine de salariés en ont bénéficié ;

- pour faciliter la conciliation entre vie privée et vie professionnelle, les horaires d'ouverture du Technocentre ont été réduits : le site est désormais ouvert de 7 heures à 20 heures 30, alors qu'il l'était auparavant de 5 heures 30 à 22 heures 30 ; la direction a demandé de ne plus organiser de réunion avant 8 heures 30 ni après 18 heures et a rappelé l'importance de la pause déjeuner ;

- une commission paritaire a été constituée avec les organisations syndicales pour promouvoir le dialogue social ; elle a cependant cessé de fonctionner au bout d'un an, les syndicats estimant qu'elle abordait des sujets devant être discutés en CHSCT ; la direction considère, pour sa part, que les CHSCT, qui sont organisés au niveau de chaque établissement, ne sont pas adaptés pour aborder des sujets qui concernent l'ensemble du Technocentre.

En 2009, une nouvelle enquête, à laquelle 70 % des salariés ont répondu, a été commandée à Technologia. Elle met en évidence certaines améliorations, même si une marge de progression demeure :

- le taux de « travail tendu » s'établit désormais à 27,7 % ;

- 86 % des répondants estiment que leurs collègues s'intéressent à eux (contre 63 % en 2007) ;

- 73 % déclarent que leur supérieur s'intéresse à leur bien-être (67 % en 2007) ;

- 46 % des salariés jugent avoir le temps nécessaire pour faire leur travail (37 % en 2007) ;

- enfin, 25 % d'entre eux affirment que le plan mis en oeuvre par la direction a diminué leur stress.

En conclusion, Bernard Ollivier a souligné qu'il faut être bien au travail pour bien travailler. La question est alors de savoir comment on peut rendre les gens performants sans les harceler. L'entreprise s'efforce d'intégrer la dimension du risque psychosocial dans tous les changements et de réinventer un management motivant, qui apporte un soutien aux salariés et s'adapte aux membres de l'équipe. Enfin, les nouvelles technologies de l'information et de la communication (Ntic), qui permettent de travailler en dehors des locaux de l'entreprise, obligent à s'interroger sur la manière de réglementer le temps de travail.

- Table ronde consacrée à la « gestion sociale » au quotidien

Participants : Valérie Lavoisier, manager à la direction ingénierie véhicule ; Olivier Varteressian, responsable RH de proximité ; Dr Agnès Martineau, médecin du travail.

Valérie Lavoisier a indiqué que les managers doivent gérer à la fois des projets et des équipes, ce qui est parfois difficile à concilier. Ils peuvent s'appuyer sur leurs adjoints « ressources » qui sont chargés d'évaluer la charge de travail associée à chaque projet et de préparer les équipes, ce qui permet de mieux répartir la charge de travail. Alors que l'on comptait auparavant un responsable RH pour 1 000 salariés, la direction ingénierie véhicule dispose maintenant de trois responsables RH qui connaissent bien les équipes. Enfin, le management est individualisé : chaque salarié est reçu en entretien une ou deux fois par mois. Ces entretiens permettent d'aborder des problèmes que le salarié n'oserait pas forcément évoquer dans une réunion de groupe.

Olivier Varteressian a indiqué exercer une triple fonction auprès des salariés :

- il est le « référent RH » des collaborateurs ; il a rencontré, en un an, 80 % des 350 salariés dont il assure le suivi ;

- il joue un rôle de formation et de conseil auprès des managers débutants ou confirmés ; il insiste sur la formation à la gestion du stress et la détection des personnes en difficulté ;

- enfin, il contribue à la mise en oeuvre de la politique des ressources humaines de l'entreprise.

Le Dr Agnès Martineau a indiqué que le centre compte cinq médecins du travail et neuf infirmières pour 1 000 salariés. Les médecins du travail privilégient les actions en milieu de travail et l'analyse de l'organisation du travail. Ils font des bilans réguliers avec les directions et communiquent sur les questions de santé avec les salariés. Comme le prévoit le code du travail, tout salarié peut obtenir, sans intermédiaire, un rendez-vous avec son médecin du travail. Si le médecin reçoit un salarié en grande difficulté, il va d'abord évaluer sa situation et l'orienter, éventuellement, vers un médecin traitant ; il peut également, avec l'accord du salarié, prendre contact avec sa hiérarchie. Si les difficultés persistent, une mobilité peut être envisagée. Le Dr Agnès Martineau a rappelé que les médecins du travail ont un statut de salariés protégés.

- Table ronde avec les représentants des organisations syndicales

Participants : MM. Nanda et Dedieu (CFDT), Plassier et Bellicaud (CFE-CGC), Sarpaux (secrétaire du comité d'entreprise, CFE-CGC), Mas et Nicolas (CGT), Guegen et Tzwangue (Sud).

Chacun des participants à la table ronde s'est exprimé brièvement, son temps de parole étant chronométré par un membre de la direction.

M. Sarpaux a souligné que les risques psychosociaux ne sont plus un sujet tabou chez Renault. Il a ajouté que l'entreprise a mis récemment en place un chèque emploi-services pour aider les jeunes couples qui ont des besoins en matière de garde d'enfant.

M. Tzwangue a estimé que Renault ne s'attaque pas au fond du problème, c'est-à-dire à l'organisation du travail. Les entretiens annuels sont anxiogènes et conduisent régulièrement des salariés à l'infirmerie. L'obligation de rendre individuellement des comptes affaiblit les collectifs de travail.

M. Guegen a indiqué avoir assisté, en sa qualité d'élu au CHSCT, à une dégradation des conditions de travail, à laquelle certains salariés ont réussi à s'adapter tandis que d'autres ont perdu pied.

M. Nicolas a indiqué que les familles des salariés qui se sont suicidés se sont tournées vers la CGT pour trouver un soutien après ces drames. Le processus qui conduit à commettre l'irréparable commence toujours par une perte d'estime de soi et par une culpabilisation du salarié qui n'arrive pas à atteindre ses objectifs. Dans les bureaux d'étude, c'est l'employeur qui décide du début, de la fin, des étapes intermédiaires et des moyens alloués pour réaliser un projet. Une forte pression sociale s'exerce sur les salariés en difficulté pour tenir les délais. La sous-estimation chronique des moyens nécessaires pour réaliser un projet oblige les salariés à de fréquents dépassements horaires, sans qu'ils déclarent pour autant d'heures supplémentaires. Il est difficile de mobiliser les salariés car, en cas d'arrêt de travail, le travail s'accumule et ils prennent du retard par rapport à leurs objectifs. Renault devrait reconnaître qu'il y a un lien entre le travail et les suicides commis sur le Technocentre, au lieu de le contester devant le tribunal des affaires de sécurité sociale. Le droit du travail n'est pas toujours bien appliqué dans l'entreprise, notamment en matière de durée du travail.

M. Mas a ajouté que les techniciens sont concernés au même titre que les cadres.

M. Bellicaud a souligné trois causes principales de difficultés : d'abord, l'utilisation parfois aberrante des Ntic, qui favorisent une excessive individualisation du travail ; ensuite, la mondialisation qui accroît la pression concurrentielle ; enfin, l'écart entre le top management et les chefs d'unité qui reçoivent tellement d'informations qu'ils n'ont pas le temps de les traiter. Pour y remédier, il faut procéder à une évaluation, c'est l'objet des enquêtes confiées à Technologia, puis oser réformer l'organisation du travail.

M. Plassier a fait observer que l'on parle désormais du mal-être au travail tous les jours, ce qui montre qu'un tabou a été levé. Les salariés devraient avoir davantage la parole car ils peuvent proposer des améliorations en termes d'organisation ; le télétravail pourrait par exemple être davantage développé. La CFE-CGC était favorable à la création de la commission paritaire qui a fonctionné pendant environ une année. Une structure de ce type devrait peut-être d'ailleurs exister dans chaque entreprise.

M. Dedieu a noté que le directeur du centre s'est affirmé, depuis 2007, par rapport aux directions « métiers ». Des objectifs ont été fixés concernant le niveau de stress. La diminution de 31 % à 27 % qui a été constatée ne paraît cependant pas très significative.

M. Nanda a souligné qu'il est difficile de gérer une entreprise internationalisée, organisée sur un mode matriciel et qui entretient des relations avec de nombreux équipementiers. Les collectifs de travail sont déstructurés, en raison des changements fréquents d'organisation et de projets. L'entreprise manque de lieux d'expression, ce qui explique que les salariés aient massivement répondu au questionnaire de Technologia. Le recours à des psychologues pour soutenir les salariés en souffrance ne saurait être suffisant, puisqu'il s'agit d'une réponse individuelle à un problème collectif.

Sur l'opportunité de créer une commission paritaire, M. Nicolas a fait valoir que le comité d'entreprise et le CHSCT sont des instances légales, aux pouvoirs bien définis, que cette commission visait à contourner.

M. Sarpaux a considéré que la commission paritaire avait permis d'aborder un problème complexe puis de diffuser le savoir accumulé auprès de CHSCT.

M. Guegen a rappelé que les drames survenus au Technocentre ont ouvert un débat public. C'est l'organisation du travail qu'il faut changer, et non créer une commission.

M. Nanda a indiqué qu'il était, au départ, favorable à la création de cette commission pour travailler en amont et nourrir la réflexion des CHSCT. Mais elle a fini par se substituer à eux alors que les CHSCT sont la seule instance légitime.

M. Sarpaux a conclu en indiquant que le Technocentre emploie de très bons techniciens, qui sont moins à l'aise lorsqu'il s'agit de manager des équipes. Les responsables RH de proximité doivent avoir de l'expérience et veiller à concilier besoins de l'entreprise et bien-être des salariés.

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