Table
ronde réunissant des représentants des
syndicats de
salariés de La Poste
(mercredi 30 juin 2010)
La mission d'information a tenu une table ronde réunissant des représentants des syndicats de salariés de La Poste.
Elle a entendu Nadine Capdeboscq, secrétaire nationale de la Fédération Communication, Conseil, Culture de la Confédération française démocratique du travail (F3c CFDT), Jacques Dumans, secrétaire général de la Fédération Force ouvrière Communication (FO Com), Jean-Louis Frisulli, secrétaire fédéral de la Fédération Solidaires, unitaires, démocratiques de La Poste (Sud-PTT), Jean-Luc Jacques, président national, et Pierrot Ramanantsoa, secrétaire régional de la Confédération française des travailleurs chrétiens - La Poste (CFTC La Poste), et Claude Quinquis, membre du bureau fédéral de la Fédération nationale des salariés du secteur des activités postales et de télécommunications - Confédération générale du travail (CGT-Fapt).
Claude Quinquis, membre du bureau fédéral de la fédération nationale des salariés du secteur des activités postales et de télécommunications - CGT-Fapt, a d'abord indiqué que son syndicat n'a pas attendu la récente médiatisation de la situation de La Poste pour se préoccuper de la santé au travail. Les statistiques de la Cnam montrent que les taux de fréquence et de gravité des accidents du travail sont plus élevés à La Poste que dans les autres branches professionnelles, à l'exception de celle du bâtiment et des travaux publics (BTP). Son syndicat est par ailleurs sensible à ce qui se passe chez France Telecom, puisqu'il fait partie d'une fédération qui regroupe, pour des raisons historiques, postes et télécommunications.
La CGT a pris connaissance du courrier des médecins du travail il y a une quinzaine de jours et a interpellé le président de l'entreprise à ce sujet. Elle partage entièrement les critiques formulées par le syndicat des médecins de prévention. La politique de l'entreprise, en matière de santé au travail, est définie en « vase clos », sans que les organisations syndicales y soient suffisamment associées, et les accords conclus sur le sujet n'ont pas de retombées concrètes. Alors que la charge de travail augmente, que les arrêts maladie et l'absentéisme progressent, que des salariés déclarés inaptes sont licenciés, la direction de La Poste répond que les postiers sont des « enfants gâtés ».
Pour remédier à ces problèmes, il faudrait revenir sur la logique d'ouverture à la concurrence et de privatisation actuellement à l'oeuvre. A défaut, il faudrait mettre un terme aux réorganisations lorsqu'elles dégradent les conditions de travail et renforcer la prévention, en créant des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) de proximité, dotés des prérogatives prévues par le code du travail.
La loi du 20 mai 2005, relative à la régulation des activités postales, a prévu qu'un décret serait pris au sujet de la santé et de la sécurité au travail des postiers. L'ensemble des organisations syndicales sont cependant opposées au texte en préparation et demandent que les postiers bénéficient des garanties de droit commun.
La logique productiviste qui domine actuellement conduit à ne plus respecter les textes, notamment en matière de durée du travail. Fin 2010, La Poste aura sans doute perdu 73 000 emplois en huit ans. Les réorganisations et suppressions d'emploi sont permanentes, la garantie de l'emploi ne concernant que les 55 % de postiers ayant le statut de fonctionnaire. On compte par ailleurs probablement 10 000 postiers sans affectation, surtout des cadres, qui sont occupés sur des missions de plus ou moins longue durée.
Les revendications syndicales ne sont pas prises en compte par la direction et le dialogue social n'est pas de bonne qualité à La Poste. La CGT a par exemple demandé la négociation d'un accord sur le stress, ce à quoi la direction a répondu en lançant un plan d'action décidé unilatéralement.
Jean-Luc Jacques, président national de la CFTC La Poste, a tout d'abord estimé que des suicides liés au travail se sont produits dans sa région Limousin mais n'ont pas été reconnus comme tels par La Poste.
La lettre des médecins du travail confirme les constats que son syndicat effectue empiriquement sur le terrain. La CFTC ne pensait pas cependant que la situation était si grave. Elle pourrait même devenir catastrophique si rien n'est fait pour y remédier.
Les facteurs sont fatigués car ils rentrent chez eux de plus en plus tard, passent de plus en plus de temps dehors et travaillent souvent six jours dans la semaine, sans pouvoir toujours bénéficier de leurs congés et temps de récupération. Les cadres peuvent être placés en mission pendant dix-huit à vingt-quatre mois avant de recevoir une affectation. Les nouveaux casiers « hybrides » installés dans les centres de tri usent les corps et risquent d'entraîner à l'avenir de nombreux cas d'inaptitude.
En ce qui concerne l'indépendance des médecins du travail, il est arrivé que certains d'entre eux se fassent réprimander par la direction après avoir reconnu, dans une réunion de CHSCT, que les postiers consommaient de plus en plus de médicaments.
Comment expliquer le décalage observé entre la direction nationale et les gens de terrain ? Il tient peut-être au fait que les journaux de communication internes de La Poste sont plus des outils de propagande que de véritables organes d'information. Les grèves ne sont par exemple jamais relatées dans ces publications. De plus, les cadres de terrain n'osent plus faire remonter les difficultés à la direction nationale car on les culpabilise en leur expliquant qu'ils sont responsables des difficultés qu'ils rencontrent.
La CFTC préconise de suspendre les réorganisations en cours et demande que la médecine du travail soit partie prenante des accords conclus en matière de santé et de sécurité au travail. Elle souhaite également que l'indépendance des médecins du travail soit mieux garantie, que les CHSCT de proximité soient maintenus, que tous les postiers bénéficient d'un suivi médical. Plus généralement, elle appelle de ses voeux le rétablissement d'un véritable dialogue social dans l'entreprise.
Jean-Louis Frisulli, secrétaire fédéral de la Fédération Sud-PTT , a expliqué que la Poste n'est pas une entreprise comme les autres : elle emploie beaucoup de personnels d'exécution, exerce une mission de service public et son activité comporte une forte dimension sociale. Le travail des postiers est pénible : il s'effectue à l'extérieur pour les facteurs, au contact direct du public pour les guichetiers. La Poste est déterminée à devenir une des premières postes européennes, quitte à mettre en danger, pour cela, la situation d'un certain nombre de ses personnels. Enfin, en dépit des déclarations contraires de la direction, il n'y a pas de véritable dialogue social dans l'entreprise. L'absence de délégués du personnel dans beaucoup d'établissements contraint les agents à exprimer leurs difficultés dans le cadre d'échanges individuels avec la direction.
Les réorganisations mises en oeuvre cassent les collectifs de travail : auparavant, les guichetiers arrivaient sur leur lieu de travail une heure ou deux avant l'ouverture du bureau de poste, pour effectuer des travaux intérieurs, ce qui leur permettait de se connaître ; actuellement, ils arrivent cinq minutes avant l'ouverture du bureau et prennent leurs pauses seuls. Certains agents ont des temps de pause qui ne leur permettent même pas de profiter du restaurant du personnel.
La Poste continue de réduire ses effectifs ; pour la seule année 2009, dix mille emplois devraient encore disparaître. Il en résulte d'importants dépassements horaires, que La Poste refuse de reconnaître. Un postier qui ramène du courrier pour éviter de dépasser ses horaires de travail s'expose à des sanctions disciplinaires. De surcroît, l'organisation du travail des facteurs ne prend pas en compte la dimension sociale de leur métier, qui est pourtant essentielle.
La Poste refuse de constituer des CHSCT dans les établissements qui comptent moins de deux cents salariés, alors que le code du travail fixe ce seuil à cinquante salariés, ce qui ne permet pas de traiter correctement les problèmes de santé et de sécurité au travail.
Enfin, l'Observatoire de la santé ne fonctionne pas bien : il se réunit peu, ne publie pas de comptes rendus et n'a produit jusqu'ici aucun résultat.
Nadine Capdeboscq, secrétaire nationale de la F3c CFDT , a souligné que La Poste ne procède jamais à des plans sociaux et qu'elle doit donc gérer, en interne, les transformations sociales résultant des mutations économiques auxquelles elle est confrontée.
La CFDT partage en partie le constat des médecins de prévention mais n'approuve pas l'idée selon laquelle les responsables des ressources humaines devraient gérer les problèmes de santé. Il appartient aux médecins du travail de faire un diagnostic médical puis aux autres acteurs de l'entreprises d'en tirer les conséquences et de chercher des solutions. Il est d'ailleurs curieux que cette lettre soit sortie au moment où les syndicats négociaient avec la direction sur la santé au travail.
La négociation collective, qui est essentielle pour régler les problèmes de l'entreprise, devrait s'attacher à traiter quatre thèmes prioritaires :
- la santé au travail ;
- la gestion prévisionnelle des emplois et des compétences (GPEC), afin d'anticiper les évolutions des métiers ;
- le rôle du management et les droits des managers ;
- le dialogue social dans les établissements : il n'existe pas, à La Poste, d'institutions représentatives du personnel du type de celles prévues par le code du travail ; l'entreprise dispose en revanche de ses propres instances, sui generis, ce que la CFDT juge plus adapté, compte tenu de l'organisation de l'entreprise. Les élus du personnel devraient cependant avoir un rôle à jouer dans le domaine des conditions de travail et de l'organisation du travail.
En ce qui concerne l'Observatoire de la santé, il est regrettable que les syndicats n'y siègent pas ; il recueille des informations mais ne les utilisent pas, aucune analyse n'ayant jamais été produite.
S'agissant des négociations en cours, il appartient à la direction et aux syndicats de l'entreprise de trouver des solutions et de prendre leurs responsabilités.
Jacques Dumans, secrétaire général de la FO Com , a indiqué que son syndicat a été tout d'abord surpris par la lettre des médecins du travail ; il n'est en effet pas habituel que les médecins du travail, qui ont plutôt tendance à accompagner la politique de l'entreprise, critiquent ainsi la direction. On s'est ensuite demandé si cette lettre n'émanait pas d'un petit groupe de « gauchistes » ; or il est apparu que ce syndicat rassemble plus de la moitié des médecins de l'entreprise. Cette lettre doit donc être prise pour ce qu'elle est : une alerte et un cri. Sur le fond, FO partage l'analyse des médecins du travail et la juge précise, argumentée et sans outrances.
La politique suivie par La Poste en matière de santé et de sécurité au travail est assez traditionnelle et prend peu en compte les risques psychosociaux. Par rapport à ces risques, la direction est souvent dans le déni : elle refuse de parler des suicides ou de la multiplication des cas d'inaptitude. L'Observatoire de la santé, qui a été mis en place en 2006, est un bel outil, mais dont on attend toujours des résultats concrets. Il produit seulement pour l'instant des indicateurs.
Pour améliorer la situation, FO estime qu'il faut, en premier lieu, admettre la réalité des problèmes. Il faut ensuite remettre l'humain au centre des organisations et promouvoir un management responsable, les cadres étant les premiers à souffrir des failles du management. Des salariés inaptes sont licenciés et des abus scandaleux dans la politique disciplinaire de l'entreprise doivent être dénoncés.
Il faut également donner un sens aux réorganisations en cours, les expliquer et désigner, à cette fin, un interlocuteur unique à la direction de La Poste. Aujourd'hui, le président de La Poste n'a plus une autorité suffisante sur les directions métiers. On observe des conflits entre la direction des ressources humaines et les directions métiers au sujet de l'accord en négociation sur la santé au travail. Sur le terrain, les organisations syndicales n'ont pas la possibilité de dialoguer avec des responsables de la gestion des ressources humaines. Or, il faudrait pouvoir discuter des normes de travail et des cadences avec des gens qui ont un vrai pouvoir de décision, sans quoi on n'obtiendra pas de résultats concrets.
Jean Desessard a demandé pourquoi les facteurs passent plus de temps à l'extérieur qu'autrefois.
Jean-Luc Jacques, (CFTC La Poste), a répondu que les facteurs passaient auparavant trois heures par jour à l'intérieur et trois heures à l'extérieur. Mais la mécanisation a permis d'effectuer le tri du courrier en moins de temps ; en contrepartie, les tournées des facteurs ont été allongées, souvent de 25 % à 30 %.
Jean Desessard en a déduit que le travail des facteurs est certainement devenu moins diversifié et a noté que le suivi des changements d'adresse est moins bien assuré. Il a souhaité obtenir des précisions au sujet des casiers « hybrides » et sur les activités qu'accomplissaient autrefois les guichetiers avant l'ouverture des bureaux de poste.
Jean-Louis Frisulli, (Sud-PTT), a répondu que les guichetiers s'occupaient notamment de la gestion des courriers recommandés et du tri des « boites postales », c'est-à-dire du courrier retiré au guichet.
Jean-Luc Jacques, (CFTC La Poste), a précisé que les nouveaux casiers modulaires comportent un plus grand nombre de cases ce qui permet d'effectuer le tri plus rapidement.
Jean-Louis Frisulli, (Sud-PTT), a ajouté que la productivité a augmenté grâce à ces casiers mais que les temps de pause ont diminué.
Claude Quinquis, (CGT-Fapt), a estimé que les nouveaux casiers risquent d'entraîner une recrudescence des troubles musculo-squelettiques car le geste que les facteurs doivent accomplir pour placer les lettres dans les cases oblige à des mouvements répétés du poignet.
Jean-Pierre Godefroy, président , a demandé pourquoi la CFDT n'est pas favorable à une application à La Poste des dispositions du code du travail.
Nadine Capdeboscq, (F3c CFDT), a précisé que sa remarque portait sur les seules institutions représentatives du personnel. Elle a estimé que la création, à La Poste, de délégués du personnel ou de comités d'entreprise, dans leur forme prévue par le code du travail, ne constituerait pas à une réponse adaptée aux problèmes de l'entreprise. Des institutions représentatives originales, propres à l'entreprise, doivent être imaginées. Chez France Telecom, la présence d'institutions représentatives du type de celles prévues par le code du travail n'a pas empêché les difficultés.
Annie David a demandé des précisions sur le suivi médical dont bénéficient les postiers.
Jean-Louis Frisulli, (Sud-PTT), s'est déclaré ouvert à des innovations en matière d'institutions représentatives du personnel tout en estimant que les attributions d'un délégué du personnel sont tout de même assez basiques : ils transmettent les réclamations du personnel au chef d'établissement. Du fait de l'absence de délégués du personnel, un postier qui a un problème dans un établissement le gère seul ; s'il s'adresse à un syndicat, celui-ci peut seulement solliciter un entretien avec le chef d'établissement. Sur la question du suivi médical, il a indiqué avoir subi une seule visite médicale en vingt-cinq ans.
Jean-Luc Jacques, CFTC La Poste, a précisé que La Poste a décidé de créer des CHSCT dans les établissements de plus de deux cents salariés, au lieu de trois cents actuellement, ce qui n'est pas suffisant. Il est en outre nécessaire de procéder régulièrement à un bilan de santé exhaustif des agents pour améliorer la prévention.