Table ronde avec les
représentants
des organisations syndicales des personnels
hospitaliers
(mercredi 28 avril 2010)
Puis la mission d'information a tenu une seconde table ronde avec les représentants des organisations syndicales des personnels hospitaliers.
Elle a entendu Thierry Amouroux, secrétaire général du syndicat national des professionnels infirmiers - confédération française de l'encadrement - confédération générale des cadres (SNPI-CFE-CGC), Nathalie Depoire, présidente, et Eric Audouy, vice-président de la coordination nationale infirmière, Michel Louis-Joseph-Dogué, délégué national du syndicat national des cadres hospitaliers (SNCH), Annie Dufour, membre du bureau national du syndicat national des infirmières conseillères de santé (Snics), Denis Garnier, assistant fédéral de Force ouvrière-Santé-Sociaux (FO-Santé-Sociaux), Dominique Russo, secrétaire général de l'union nationale des syndicats autonomes-directeur (Unsa-directeur), représentant l'Unsa-Santé-Sociaux, Jean Marie Sala et Marie-Hélène Durieux, secrétaires nationaux de la fédération Sud-Santé-Sociaux, et Annie Michel, ergonome AP-HP, et Viviane Debarges, responsable du collectif santé au travail de la CGT-Santé-Action sociale.
Thierry Amouroux, secrétaire général du SNPI-CFE-CGC, s'est tout d'abord déclaré choqué par les propos tenus, le 7 avril dernier, par la ministre de la santé et des sports, Roselyne Bachelot-Narquin, lors de la discussion à l'Assemblée nationale du projet de loi relatif à la rénovation du dialogue social dans la fonction publique, qui mettait en doute la pénibilité de la profession d'infirmière. Or, les chiffres de la caisse nationale de retraite des agents des collectivités locales (CNRACL) montrent que 20 % des infirmières et 30 % des aides soignantes partent à la retraite en situation d'invalidité et que l'espérance de vie moyenne des infirmières est de sept ans inférieure à celle de l'ensemble des femmes françaises.
Le mal-être des personnels hospitaliers s'aggrave en raison de l'augmentation de la charge de travail qui résulte des restructurations hospitalières et de l'évolution des pratiques de soins. Si les infirmières ont toujours le même nombre de patients à traiter, la baisse de la durée moyenne de séjour, aussi bénéfique soit-elle pour les patients, augmente la charge de soin dès lors que ne restent à l'hôpital que ceux d'entre eux réclamant le plus de soins.
Alors que les infirmières apprennent, durant leur formation, à considérer chaque patient comme une personne unique, on leur demande, à leur prise de fonction, d'être des techniciennes spécialisées dans des établissements devenus de véritables « usines à soins », où la logique quantitative prévaut sur la relation qualitative avec le patient, ce qui provoque chez elles un véritable malaise. Ce hiatus explique qu'une infirmière sur deux quitte la profession au cours des cinq premières années d'activité, ce qui, rapporté aux trois ans que dure la formation, constitue un vrai gâchis humain.
Les fins de carrière posent également un problème : selon les chiffres de l'observatoire national des emplois et des métiers de la fonction publique hospitalière, 55 % des infirmières hospitalières doivent partir à la retraite d'ici à 2015. Or, pour éviter que cette rupture démographique nuise à la transmission des compétences, il est essentiel que les infirmières les plus expérimentées puissent se consacrer, un ou deux jours par semaine, à l'exercice d'une mission de tutorat auprès des jeunes infirmières titulaires, intérimaires ou étudiantes en alternance.
Les secondes parties de carrière pourraient également être rendues plus attractives en développant les consultations infirmières, comme cela est déjà expérimenté dans le cadre du plan Cancer. Entre l'infirmière recrutée à Bac + 3 et le médecin recruté à Bac + 9, il est sans doute possible de créer un niveau intermédiaire qui permettrait d'adapter l'offre de soins au traitement spécifique des personnes du quatrième âge ou atteintes de maladies chroniques. En tout état de cause, la légère revalorisation salariale proposée par le ministère de la santé ne suffira pas à répondre à la démotivation actuelle des infirmières.
A Jean-Pierre Godefroy, président, qui rappelait que cette revalorisation serait accordée sous conditions, Thierry Amouroux, SNPI-CFE-CGC, a confirmé que l'accès à la catégorie A de la fonction publique impliquera en effet de renoncer à des mesures octroyées en compensation de la pénibilité, qu'il s'agisse de la possibilité de partir à la retraite dès cinquante-cinq ans ou de la majoration de la durée d'assurance, égale à un dixième de la durée de service, accordée aux fonctionnaires hospitaliers par la loi Fillon sur la réforme des retraites de 2003. Cette mesure entraînera une baisse des pensions, dans la mesure où les infirmières, usées par des conditions de travail de plus en plus difficiles, liquident leurs droits en moyenne à cinquante-sept ans.
Nathalie Depoire, présidente de la coordination nationale infirmière, a considéré que les propos tenus par la ministre de la santé sur la pénibilité du métier d'infirmière font injure à une profession dont le mal-être au travail va croissant et qui fuit l'hôpital public. C'est particulièrement manifeste pour les jeunes diplômées d'Etat qui sont de plus en plus nombreuses à démissionner et qui n'hésitent désormais plus, lorsqu'on leur demande de différer leur départ en raison des besoins en personnel, à choisir la radiation des cadres de la fonction publique pour tenter leur chance en exercice libéral.
La frustration est présente à tous les niveaux : chez les plus jeunes, qui regrettent un accompagnement insuffisant à la prise de fonction et de ne pouvoir mieux prendre en charge les patients, comme chez les plus expérimentées, qui déplorent de ne pouvoir intégrer leurs nouveaux collègues dans de meilleures conditions, faute de temps. Les réformes en cours à l'hôpital public, fondées sur une approche quantitative, réduisent encore le temps disponible pour le patient, ce que les infirmières vivent particulièrement mal. Le non-remplacement des agents absents pour cause de maladie ou de maternité combiné à la montée de l'absentéisme, qui n'est que le marqueur de ce mal-être au travail, contraint les infirmières à négliger leurs temps de pause et à augmenter leur amplitude horaire pour faire face à leur charge de travail. Cet épuisement touche aussi les cadres de santé qui peinent à trouver des personnels et sont pris entre des équipes en souffrance et une hiérarchie qui recherche des économies.
Les temps d'échange entre professionnels, pourtant indispensables, sont également réduits et la visite des patients en équipes pluridisciplinaires, autrefois fréquente, a tendance à disparaitre.
Enfin, les comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) fonctionnent assez mal à l'hôpital, notamment parce qu'il est difficile de se libérer de ses contraintes de service pour y siéger, et les médecins du travail manquent. Faute d'effectifs suffisants, le peu de temps disponible pour la formation ne permet plus de s'adapter aux réorganisations.
Eric Audouy, vice-président de la coordination nationale infirmière, a indiqué que les suicides à France Telecom, fortement médiatisés, ne sont pas des cas uniques : les états dépressifs sont aussi courants à l'hôpital et conduisent parfois à des passages à l'acte.
En réponse à Gérard Dériot, rapporteur, qui s'interrogeait sur les causes des démissions précoces d'infirmières, Thierry Amouroux, SNPI-CFE-CGC, a précisé que 30 % des élèves infirmières abandonnent au cours de leurs trois années de formation ; ce n'est donc pas l'absence de vocation qui motive les démissions, après la prise de fonction, mais bien la perte de sens du métier. En raison de temps de repos et d'effectifs réduits, les infirmières sont aujourd'hui exposées au risque de commettre des erreurs médicales.
Revenant sur les majorations de durée d'assurance accordées aux infirmières hospitalières par la réforme de 2003, Dominique Leclerc a constaté que ces bonifications permettent de percevoir une retraite à taux plein, sur la base de quarante annuités, après trente-six ans de service.
Annie Jarraud-Vergnolle a souhaité savoir si le manque de personnel et la souffrance au travail sont les mêmes à l'hôpital public et dans le secteur privé.
Après avoir indiqué partager l'analyse des syndicats infirmiers, Jacky Le Menn a rappelé avoir interpellé récemment la ministre de la santé sur la situation de l'hôpital. Qu'il s'agisse de l'assistance publique - hôpitaux de Paris (AP-HP) ou des hôpitaux de province, la seule réponse aux difficultés consiste à proposer des réorganisations de services.
Michel Louis-Joseph-Dogué, délégué national du SNCH, a regretté que, trop souvent, les changements de direction à l'hôpital entraînent des mutations brutales pour le personnel d'encadrement. Les recours en justice se multiplient, ce qui est un symptôme du mal-être de l'ensemble des agents, notamment des cadres, qui souffrent des incessantes restructurations.
Dans ce contexte, le SNCH a organisé plusieurs journées d'études sur la maltraitance et le mal-être au travail : elles ont abouti à plusieurs propositions, notamment la préparation d'une charte managériale ou la demande de mise en place de psychologues du travail dotés d'un statut protecteur, analogue à celui des médecins du travail. Enfin, le centre national de gestion des praticiens hospitaliers et des personnels de direction de la fonction publique hospitalière pourrait créer, en son sein, une structure de résolution des conflits, ce qui éviterait d'avoir recours aux procédures judiciaires.
Dominique Russo, secrétaire général de l'Unsa-directeur, représentant l'Unsa-Santé-Sociaux, a estimé que le mal-être au travail, qui se répercute fortement sur la vie privée, est une réalité pour tous les personnels hospitaliers, qu'ils soient infirmiers, techniques ou administratifs. Les politiques mises en oeuvre dans de nombreux établissements pour revenir à l'équilibre financier créent en elles-mêmes du stress. La pénibilité du travail à l'hôpital est importante et doit être prise en compte, notamment en matière de retraite.
Denis Garnier, assistant fédéral de FO-Santé-Sociaux, a estimé que le malaise se transmet à tous les personnels en raison de la politique de contractualisation à l'oeuvre, depuis plusieurs années, entre les échelons administratifs. En outre, il ne faut pas oublier que la charge de travail des personnels hospitaliers se caractérise par un contact régulier avec la maladie, la souffrance et la mort.
Les chiffres de l'absentéisme, qui témoignent de la pénibilité du travail, sont alarmants : selon une étude du cabinet Dexia-Sofcah, les absences pour cause de problème de santé ont augmenté de 20 % entre 1998 et 2003. Selon l'enquête européenne Presst Next, la durée moyenne des arrêts de travail des soignants français est de 10,43 jours par an, la fréquence des maladies professionnelles a crû de 400 % en six ans et celle des congés de longue maladie ou de longue durée de 34 %. De plus, le pourcentage d'agents hospitaliers bénéficiant d'une rente d'invalidité est passé de 6,5 % en 1993 à 13,8 % en 2006. Les statistiques publiées par le ministère de la santé montrent enfin que les absences sont deux fois plus nombreuses pour les fonctionnaires de catégorie C que pour ceux de catégorie A et que 75 % des cas d'invalidité sont concentrés dans quatre corps : les agents d'entretien, les aides soignants, les infirmiers et les ouvriers.
Les causes de ce mal-être sont multiples. Tout d'abord, les cadres ne sont pas suffisamment préparés à leurs fonctions : les élèves de l'école des hautes études en santé publique apprennent leur affectation trois mois seulement avant leur sortie et ne bénéficient, en conséquence, que d'un très court temps de spécialisation (en ressources humaines, finances, affaires médicales, etc.). En cours de carrière, les personnels d'encadrement peuvent changer brutalement de poste, sans préparation ou formation, ce qui conduit à des déficiences dans le management.
Les directeurs ont trop tendance à considérer la prévention des risques professionnels comme des dépenses superflues, alors que les études disponibles montrent qu'il s'agit d'un investissement rapidement rentabilisé.
Un véritable dialogue social serait bénéfique pour lutter contre le mal-être au travail, mais les comités techniques d'établissement et les CHSCT sont trop souvent vides de sens ou détournées de leur rôle. Les directeurs doivent être responsabilisés pour améliorer les conditions de fonctionnement de ces organes de dialogue et de concertation.
Enfin, la mise en oeuvre de l'intéressement, prévue dans un projet de loi en navette au Parlement, serait une catastrophe à l'hôpital.
Viviane Debarges, responsable du collectif santé au travail de la CGT-Santé-Action sociale, a regretté l'absence d'outil de pilotage et d'indicateurs statistiques du mal-être au travail à l'hôpital. Il est délicat d'établir un diagnostic précis, même si le sentiment de malaise concerne tous les métiers et tous les secteurs du champ médical ou médico-social, public et privé. La recrudescence des actes de violences à l'hôpital, qui ont crû de 27 % en trois ans, révèle l'augmentation générale de l'agressivité.
L'individualisation du travail progresse et, en l'absence d'anticipation dans la prise en compte des départs en retraite, la charge de travail s'intensifie et il y a souvent pénurie de personnel. En outre, les inégalités territoriales sont criantes, par exemple pour l'accès aux formations.
Il serait enfin nécessaire de doter les instances chargées de la prévention, notamment les CHSCT, de réels moyens de fonctionnement.
En complément, Annie Michel, ergonome AP-HP de la CGT-Santé-Action sociale, a précisé que la politique de prévention ne s'appuie pas sur des outils de pilotage fiables au niveau national, dans le secteur public comme dans le privé. Il serait nécessaire de créer un outil spécifique d'évaluation, qui manque cruellement aujourd'hui.
Annie Dufour, membre du bureau national du Snics, a constaté que l'éducation nationale recrute de plus en plus d'infirmières venant de l'hôpital, ce qui est un symptôme supplémentaire de leur malaise. Il serait intéressant de créer un document unique d'évaluation des risques, incluant les risques psychosociaux, à la disposition de l'ensemble des acteurs concernés.
Jean-Marie Sala, secrétaire national de la fédération Sud-Santé-Sociaux, a regretté la succession des réformes, sans qu'aucune ne soit réellement évaluée. Elles ont toutes tendance à transformer l'hôpital en une entreprise ou en une « usine à soins », ce qui crée de la souffrance pour les personnels, qui sont très attachés à l'accompagnement humain des patients. En raison des contraintes de temps et de personnels, les réunions des équipes soignantes se raréfient, alors qu'elles sont indispensables pour assurer un échange et une transmission des informations. Il est nécessaire de retrouver des critères qualitatifs d'évaluation, qui aillent au-delà de la simple analyse de la durée moyenne de séjour. Il y a trente ans, on parlait « d'humaniser » les hôpitaux, c'est aujourd'hui le contraire auquel on assiste.
Par ailleurs, les CHSCT sont trop souvent vécus comme des contraintes par les directeurs et ne sont pas suffisamment valorisés. Plus généralement, la concertation et le dialogue sont nettement insuffisants au sein des établissements.
Les réorganisations sont souvent adoptées dans l'unique but de réaliser des économies de gestion ; la démotivation croît, notamment en raison de l'impact sur la vie personnelle de décisions résultant d'une absence d'anticipation concernant l'organisation des plannings de travail.
Annie Jarraud-Vergnolle a souhaité savoir si le constat de ce mal-être au travail à l'hôpital touche également les médecins.
S'appuyant sur l'enquête Presst-Next, Denis Garnier, FO-Santé-Sociaux, a estimé que leur situation est identique et confirme le malaise global. Dans ces conditions, il serait important de créer auprès des hôpitaux des services de santé au travail, autonomes et composés d'équipes pluridisciplinaires. Il faut noter que le nombre de suicides est, proportionnellement, plus élevé dans la fonction publique hospitalière qu'à France Telecom : la seule AP-HP a connu dix-sept suicides en 2009.
Viviane Debarges, CGT-Santé-Action sociale, a estimé que le renforcement de la place des médecins du travail nécessite de rendre plus attractive cette profession et d'augmenter le numerus clausus pour pourvoir les postes vacants.
Dominique Russo, Unsa-Santé-Sociaux, a défendu l'intérêt des contrats locaux d'amélioration des conditions de travail (Clact) qui devraient être réactivés et mieux financés.
Michel Louis-Joseph-Dogué, SNCH, a estimé que l'hôpital subit aujourd'hui un choc culturel considérable : l'organisation en pôles, sortes de centres de profits dans l'établissement, peut créer un malaise au sein des personnels, notamment lorsqu'elle est couplée au développement de l'intéressement, car les pôles sont de nature très différente, certains étant par définition déficitaires et peu « productifs » selon les critères d'évaluation qui sont actuellement utilisés.