B. UN IMPÉRATIF POLITIQUE À TRANSPOSER DANS NOTRE ORDRE JURIDIQUE

1. Les critères d'une bonne règle

Une bonne règle d'équilibre des finances publiques doit répondre aux critères suivants :

- la règle doit imposer au gouvernement des contraintes quantitatives claires en matière d'action à mener pour réduire le déficit ;

- elle doit être suffisamment souple pour ne pas enfermer l'action politique dans un chemin unique (ce qui risquerait de conduire rapidement à sa remise en cause) ;

- elle ne doit pas susciter le risque de polémiques entre un comité d'experts indépendants et le Gouvernement (ce qui ruinerait sa légitimité) ;

- elle doit être non manipulable par les gouvernements ;

- elle doit être compréhensible par l'opinion, faute de quoi elle ne sera pas perçue comme légitime.

Les préconisations avancées ci-après (la « règle de sincérité » et la « règle de responsabilité »), développées par le président et le rapporteur général de votre commission des finances devant le groupe de travail animé par Michel Camdessus, s'inspirent de ces principes.

2. Une « règle de sincérité » pour assurer la compatibilité entre le programme de stabilité et les lois financières
a) Une exigence démocratique et constitutionnelle

Les lois de finances sont souvent construites en fonction d'hypothèses économiques légèrement plus optimistes que celles du « consensus des économistes ». En revanche, les programmes de stabilité sont construits en fonction d'hypothèses exagérément optimistes.

La cohérence entre les deux documents ne pourra être assurée que si, comme nous y invite l'article 47-2 de la Constitution qui dispose que « les comptes des administrations publiques sont réguliers et sincères », les hypothèses retenues sont effectivement sincères. Dans ces conditions, les programmes de stabilité pourraient être construits en fonction du taux de croissance moyen du PIB constaté au cours des dix dernières années (seule référence qui interdise toute manipulation) ou de toute autre méthode prudente résultant, par exemple, d'une concertation au sein de l'Eurogroupe . Cette règle n'empêcherait évidemment pas le Gouvernement de publier ses prévisions de croissance du PIB.

Le nouveau gouvernement britannique a abandonné son pouvoir de fixation des hypothèses économique à un organisme indépendant. Le groupe de travail animé par Michel Camdessus suggère de créer un groupe indépendant dont les missions « consisteraient d'abord à rendre un avis public sur la pertinence des prévisions retenues dans les projets de lois-cadre de programmation des finances publiques et tout projet de loi financière. Ses membres pourraient aussi exprimer un avis sur la conformité et la crédibilité de ces textes et des efforts envisagés pour respecter la trajectoire retenue afin de parvenir à l'équilibre et respecter une trajectoire d'endettement conforme à nos engagements ». Votre rapporteur général reste très sceptique sur l'intérêt de ce groupe d'experts, et considère que les commissions des finances des assemblées disposent des éléments techniques nécessaires et d'une légitimité beaucoup plus indiscutable.

La sincérité des hypothèses retenues pour la programmation de la trajectoire des administrations publiques (croissance, élasticité des recettes, rythme de progression des dépenses des différents sous-secteurs notamment) est une exigence d'autant plus forte si l'on considère - comme on le propose ci-après - que la contrainte juridique ne peut peser que sur l'Etat et la partie des administrations de sécurité sociale couverte par la loi de financement de la sécurité sociale, c'est-à-dire les régimes obligatoires de base. En effet, des prévisions excessivement optimistes en matière de maîtrise de la dépense ou de réduction du solde des administrations locales ou des administrations de sécurité sociale hors régimes obligatoires de base (en particulier de l'assurance chômage), comme c'est le cas aujourd'hui, pourraient conduire à définir pour l'Etat et les régimes obligatoires de base une trajectoire qui, même si elle était respectée, serait insuffisante pour respecter la trajectoire de solde global . La règle perdrait alors tout crédit.

b) Une règle qui doit accompagner l'amélioration de la transparence des comptes publics

En tout état de cause, la mise en oeuvre de cette « règle de sincérité » doit s'inscrire dans le cadre de l'amélioration de la transparence des comptes publics en France et en Europe.

Il faut tirer les leçons de l'importance désormais accordée aux programmes de stabilité et à leur respect en adaptant la présentation de nos données statistiques. Car aujourd'hui, le suivi précis de l'exécution des programmes de stabilité est impossible : la croissance des dépenses des catégories d'administrations publiques est définie par les programmes de stabilité selon la comptabilité nationale et à périmètre constant, alors que l'Insee ne publie les chiffres qu'à périmètre courant (et par ailleurs considère les administrations de sécurité sociale de manière globale). Cette situation ne peut perdurer.

La réforme des règles nationales doit s'accompagner d'une rénovation du cadre européen et en particulier de la création d'une Autorité européenne des comptes publics , compétente pour définir la méthodologie permettant d'aboutir à l'homogénéité des normes de présentation des budgets nationaux, de leur exécution et des situations patrimoniales des Etats.

Une publication coordonnée des prévisions et exécutions budgétaires doit être envisagée. Il convient d'encourager une coopération entre Etats visant à promouvoir un consensus macro-économique européen duquel émergeraient des prévisions harmonisées en termes d'évolution des prix, de la croissance du PIB, de la parité euro-dollar ou encore du prix des matières premières.

c) La nécessité d'une explicitation des hypothèses en matière d'évolution des dépenses publiques

Actuellement les hypothèses du Gouvernement en matière d'évolution des dépenses des différentes catégories d'administrations publiques sont très insuffisamment explicitées.

Tout d'abord, les hypothèses d'évolution des dépenses des différentes catégories d'administrations publiques (Etat, organismes divers d'administration centrale, administrations de sécurité sociale, administrations publiques locales) doivent être indiquées pour chacune des années de la programmation. Il n'est pas envisageable en effet que, comme dans le cas du programme de stabilité 2010-2013, la croissance des dépenses soit présentée de manière moyenne sur la période. Cela empêche de juger de la vraisemblance de la programmation (dans le cas du programme de stabilité 2010-2013, il est par exemple impossible de savoir quelles sont les hypothèses moyennes sur la période 20 11 -2013), et empêche tout suivi de l'exécution.

Ensuite, les hypothèses financières de chaque sous-catégorie d'administrations de sécurité sociale (régimes obligatoires de base, régimes complémentaires de retraites, UNEDIC...) doivent être clairement explicitées. Il est en effet paradoxal que, d'un côté, les programmes de stabilité indiquent les principales hypothèses relatives aux administrations de sécurité sociale dans leur globalité, que de l'autre, les lois de financement de la sécurité sociale ne s'intéressent qu'aux régimes obligatoires de base, et que l'on soit obligé de raisonner « par différence » pour essayer de deviner, par exemple, l'hypothèse de solde de l'UNEDIC. On a vu que le dépassement des hypothèses de croissance des dépenses des administrations de sécurité sociale associées aux programmes de stabilité constitue la principale cause de non respect de la norme de croissance des dépenses publiques , en particulier du fait de l'irréalisme des hypothèses retenues en matière d'évolution du taux de chômage. Ce « point de fuite » pourrait être limité si le Gouvernement présentait au Parlement des prévisions plus détaillées, au besoin sanctionnées par un vote. On pourrait par exemple prévoir que les lois de financement de la sécurité sociale comprennent en annexe non seulement la programmation des recettes et des dépenses des régimes obligatoires de base, mais aussi celles des autres administrations de sécurité sociale.

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