2. Quel bilan pour la programmation triennale ?
Le deuxième instrument de pilotage de la dépense de l'Etat réside dans l'article 6 de la loi de programmation, qui fixe les montants des crédits alloués aux missions du budget général pour les années 2009 à 2011. Comme pour la norme de dépense, les circonstances ont voulu que la mise en oeuvre de cet outil coïncide avec une dégradation sans précédent de la conjoncture, qui en a profondément bouleversé les conditions d'application.
a) Une visibilité accrue pour les gestionnaires...
Selon l'annexe à la loi de programmation, le budget triennal repose sur le principe d'une « responsabilisation des ministères sur les plafonds pluriannuels par mission » , corollaire de la « visibilité donnée sur les enveloppes triennales allouées à chaque mission ».
Ce principe « implique que les aléas ou les priorités nouvelles affectant les dépenses d'une mission soient gérés dans la limite du plafond de ses crédits, soit par redéploiement de dépenses discrétionnaires, soit par la réalisation d'économies » et suppose « d'une part, de ne pas procéder , sauf situation exceptionnelle, à la révision annuelle des plafonds par mission dans le cadre des projets de lois de finances successifs, d'autre part, de limiter l'ensemble des mouvements susceptibles d'affecter en cours d'année les plafonds définis par mission » . Par conséquent, les ajustements ponctuels, sans être interdits, « doivent rester limités et présenter un caractère subsidiaire par rapport aux mécanismes de responsabilisation ».
Construit sur des prévisions annuelles d'inflation naturellement soumises à aléas, le budget triennal prévoit, pour les années 2010 et 2011 :
1) un maintien des plafonds en cas d'inflation inférieure ou égale à la prévision, sauf contributions au compte d'affectation spéciale des pensions, et ce afin de favoriser la visibilité des gestionnaires en ne prévoyant pas d' ajustement systématique à la baisse des plafonds en cas de ralentissement de l'inflation ;
2) un ajustement du plafond global et des plafonds de certaines missions en cas d'inflation supérieure à la prévision, prioritairement opéré sur dotations dont l'évolution est directement corrélée au niveau de l'inflation (dette et pensions).
La combinaison de ces dispositions permet donc, en toute hypothèse, d'assurer le respect de la norme « zéro volume ». Enfin, le budget pluriannuel intègre une réserve de budgétisation inscrite à la mission « Provisions » et destinée à abonder exceptionnellement les plafonds des années 2010 et 2011. Cette réserve répond à la nécessité de provisionner les risques inhérents à la programmation, qu'ils soient liés à la conjoncture économique ou à certaines dépenses accidentelles et imprévisibles.
b) ... qui n'incite pas à exploiter tous les gisements d'économies
Votre rapporteur général s'est attaché à évaluer quelle application avait été faite de cette programmation triennale en 2009 et 2010. A titre liminaire, une remarque méthodologique s'impose : rapprocher les montants de crédits effectivement consommés en 2009 aux plafonds de la loi de programmation implique :
1) de neutraliser les rattachements de fonds de concours et les transferts de crédits entre missions ayant lieu en gestion, et en particulier les transferts à partir de la mission Plan de relance ;
2) d'identifier, parmi les crédits transférés au titre du Plan de relance, ceux qui ont fait l'objet d'une consommation effective en 2009 , ce qui n'est pas toujours aisé au moyen de la documentation budgétaire, car ces crédits s'agrègent à des crédits existants et que les rapports annuels de performances ne précisent pas systématiquement les taux de consommation spécifiques aux crédits « relance » ;
3) de comparer des enveloppes délimitées selon les mêmes critères, ce que ne favorise pas la multiplicité des conventions de présentation des dépenses d'un document à un autre , exprimées avec ou sans titre 2, avec ou sans contributions au CAS « Pensions »...
2009 étant la première année d'application de la « pluri-annualité », et compte tenu des difficultés méthodologiques qui viennent d'être exposées, votre rapporteur général et ses collègues rapporteurs spéciaux auraient pu s'attendre à ce que les rapports annuels de performances et le projet de loi de règlement de l'année comportent systématiquement des développements spécifiquement consacrés au respect de la loi de programmation, étayés sur des chiffrages homogènes . De fait, chaque rapport annuel de performances comportait, dans son sommaire, une rubrique consacrée au « Bilan de la première année de la programmation pluriannuelle ». Les développements placés sous cette rubrique sont toutefois demeurés étrangement lapidaires, en particulier lorsqu'il s'agissait de rapprocher les dépenses réelles des plafonds prévus.
Cette remarque n'est pas seulement de forme : toute règle de gouvernance des finances publiques se trouve privée de réelle portée si le contrôle de son application ne peut se faire qu'au prix d'infinies manipulations techniques et s'il n'est pas possible d'en mesurer immédiatement le respect. Il conviendra, dans ces conditions, que les normes futures que les administrations publiques entendent se donner puissent faire l'objet d'une définition robuste et d'une application aisément contrôlable .
Pour 2009, et hors plan de relance, les dépenses au sens du projet de loi de règlement ont excédé de 2 milliards d'euros en CP les plafonds des missions du budget triennal. Hors fonds de concours, ces dépenses sont néanmoins inférieures de 1,5 milliard d'euros à ces plafonds. La programmation a donc été respectée en 2009 .
On doit néanmoins observer que, du fait de la faible inflation, des économies automatiques ont été enregistrées, par rapport aux plafonds, sur les charges de pensions (inférieures de 1 milliard d'euros) et sur la charge de la dette (inférieure de 5,35 milliards d'euros).
Cette marge de manoeuvre supplémentaire a été utilisée par l'Etat pour apurer près de 2 milliards d'euros de dettes anciennes à l'égard de la sécurité sociale, ce qui laissait subsister une marge sous plafond de 4,4 milliards d'euros. L'écart au plafond n'ayant été que de 1,5 milliard d'euros, ce sont près de 3 milliards d'euros qui ont été redéployés pour diverses dépenses discrétionnaires ( cf . tableau).
Le respect de la programmation pluriannuelle en 2009
(en milliards d'euros)
LPFP = loi de programmation des finances publiques ; PLR = projet de loi de règlement pour 2009 Source : commission des finances
Les mêmes causes ont entraîné les mêmes effets en 2010 , où les hypothèses d'inflation ont été sérieusement révisées à la baisse par rapport à la programmation triennale, pour s'établir à 1,2 %, alors que les plafonds avaient été construits sur une hypothèse d'1,75 %. Selon sa propre analyse de la situation, le Gouvernement a donc adopté une attitude particulièrement vertueuse en s'astreignant à respecter la norme « zéro volume » dans un contexte de baisse de l'inflation, et ce sans y être obligé par la programmation triennale.
L'équation est néanmoins plus complexe. De fait, la baisse importante de l'inflation permet à nouveau au Gouvernement d'enregistrer « automatiquement » des économies substantielles par rapport aux anticipations ayant servi de support à la construction du budget pluriannuel. De telles économies concernent, en 2010, les dépenses de pensions , en baisse de 1,5 milliard d'euros par rapport au cadrage pluriannuel, en raison de revalorisations moindres que prévues, la charge de la dette , en recul de 2,7 milliards d'euros par rapport au montant prévu dans le budget pluriannuel, sous l'effet de la baisse des taux d'intérêt et de la faible inflation, les crédits de la mission « Défense » , en baisse de 0,57 milliard d'euros et les concours de l'Etat aux collectivités territoriales , dont la progression est indexée sur l'inflation. Il en résulte une diminution globale de 300 millions d'euros , à raison de 200 millions d'euros au titre du prélèvement sur recettes et de 100 millions d'euros au titre de la dotation générale de décentralisation de la formation professionnelle inscrite à la mission « Travail et emploi ».
Bénéficiant d'une marge globale sous plafond de 5 milliards d'euros, le Gouvernement a néanmoins révisé les plafonds de la programmation triennale dans le cadre du débat d'orientation des finances publiques pour 2010, afin de réallouer près de 3 milliards d'euros aux missions supportant les effets de la crise économique . Ces redéploiements se sont étendus à des dépenses discrétionnaires , cinq autres missions voyant leur plafond relevé d'un total de 700 millions d'euros en conséquence des « orientations nouvelles de la politique gouvernementale ».
Lors de l'examen du projet de loi de finances pour 2010, votre rapporteur général a, en conséquence, pu observer que seules 7 missions sur 32 présentaient des dotations conformes ou inférieures à la programmation pluriannuelle. Dans ces conditions, les dépenses, hors pensions et hors relance n'ont pu être globalement inférieures de 900 millions d'euros au montant prévu par la loi de programmation que grâce aux économies réalisées sur la charge de la dette (-2,56 milliards d'euros par rapport aux plafonds). Sans cette économie, la programmation aurait été dépassée de 1,67 milliard d'euros, et ce alors même qu'elle avait été établie sur la base d'une hypothèse d'inflation bien plus élevée.
La démonstration est encore renforcée si l'on ne tient pas compte de l'économie engendrée au titre de la mission « Défense », pour laquelle les plafonds de la loi de programmation ont été revus à la baisse en raison du vote de la loi de programmation militaire, moins favorable sur le plan budgétaire. Ainsi, les seules dépenses des missions « civiles » dépassent, dans le projet de loi de finances pour 2010, de 3,5 %, soit 2,5 milliards d'euros, les plafonds de la loi de programmation des finances publiques.
Ces constatations illustrent bien l'esprit dans lequel le budget triennal a été conçu : l'absence d'ajustement systématique à la baisse des plafonds en cas de ralentissement de l'inflation assure une visibilité aux gestionnaires. La contrepartie en est la tentation, pour l'Etat, de « recycler » les économies de constatation en dépenses nouvelles et de n'en pas tirer le parti maximum. Visiblement, le Gouvernement n'y a pas résisté...
Comparaison, hors charges de pensions, des plafonds des missions dans la loi de programmation et des plafonds du projet de loi de finances pour 2010 (au format « loi de programmation »)
(en milliards d'euros)
Source : commission des finances