2. Est-ce un vrai choix que le choix de mourir?

Mais, avant de se demander si la législation peut, au-delà de la liberté de mettre fin à ses jours, reconnaître un véritable droit, il convient de s'interroger sur le caractère réellement libre de la décision de mourir. Deux problèmes se posent en effet.

Tout d'abord, comme le rappelle le professeur Axel Kahn 20 ( * ) , la liberté au sens moral ne peut s'entendre pleinement que face à une alternative. Or, mourir plus ou moins rapidement n'est pas réellement une alternative : il n'y a pas de choix au sens plein du terme ; la liberté de se suicider n'en est donc pas réellement une. Par conséquent, le premier devoir est d'ouvrir de nouvelles perspectives sur la vie aux personnes en pleine possession de leurs capacités physiques et mentales qui désirent mettre fin à leurs jours. De même, on tente de réanimer ceux qui sont transportés aux urgences après une tentative de suicide. L'attitude face à la fin de vie doit être la même. Il faut inciter ceux qui sont dans cette situation à profiter de leurs derniers temps de vie, et les mettre en position de le faire, notamment en mettant en oeuvre tous les soins nécessaires pour lutter contre la douleur.

Par ailleurs, la liberté de mettre fin à ses jours suppose l'absence de pression familiale ou sociale en ce sens. Le débat récurrent en Suisse sur les motivations réellement altruistes des associations d'aide au suicide montre la complexité de cette question. La cotisation demandée par l'association est-elle constitutive d'un intérêt ? Les garde-fous posés par la législation belge pour encadrer les possibilités de demande d'euthanasie, réservée aux malades en fin de vie, et s'assurer de la volonté du malade qui doit formuler des demandes répétées, peuvent sans doute garantir des pressions familiales mais non des pressions sociales, à la fois diffuses et fortes. Comme le soulignait Anne Fagot-Largeault devant le groupe de travail, il existe une incontestable pression sociale qui fait constamment sentir aux personnes ayant dépassé un certain âge leur inutilité. Le fait de s'arrêter de travailler s'apparente ainsi à une véritable mort sociale en raison de l'improductivité forcée qu'elle entraîne. Le sentiment « d'être de trop », d'être une charge en découle. Il semble difficile que des dispositions législatives puissent réellement empêcher ce sentiment de déboucher sur une demande d'euthanasie au moment de la fin de vie. Là encore, la demande d'euthanasie ne refléterait donc pas un choix réellement libre.

Faut-il en conclure que la demande de mort assistée qui s'exprime en fin de vie est nécessairement l'expression d'autre chose ? Peut-on l'assimiler à un appel à l'aide ? Un malade qui demande la mort éprouve-t-il en réalité son entourage et les médecins pour savoir s'ils croient encore à sa capacité à vivre et à se battre ? En ce cas, une réponse favorable à la demande d'euthanasie ne peut être que source de résignation et de désespoir.

A l'inverse, Michel Onfray a estimé devant le groupe de travail que le refus de l'euthanasie est un moyen pour les vivants de surmonter leurs propres difficultés à affronter la mort, sur laquelle les soins palliatifs jettent un voile au sens étymologique du pallium . La prise en charge palliative a également été décrite par Anne Fagot-Largeault comme infantilisante, tant pour le malade que pour son entourage. Dans cette optique, répondre à la demande d'euthanasie, c'est accepter l'autonomie du malade et reconnaître l'autonomie de sa volonté.


* 20 Audition par le groupe de travail et « L'ultime liberté ? », Plon, 2008.

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