B. LE MODE DE SCRUTIN DE TYPE MUNICIPAL
Comme on le sait, pour les communes de plus de 3 500 habitants, il s'agit d'un scrutin de liste à deux tours et à forte prime majoritaire.
La liste qui obtient la majorité absolue au premier tour ou relative en cas de second tour, se voit attribuer la moitié des sièges, l'autre moitié étant répartie à la proportionnelle à la plus forte moyenne.
Ce mode de scrutin satisfait pleinement au principe de parité.
L'expression de la diversité des opinions est aussi permise et d'autant plus que le nombre de sièges à pourvoir est grand et la prime majoritaire faible.
Il permet aussi de dégager des majorités départementales, plus ou moins fortes selon l'importance de la prime majoritaire.
Mais il en va différemment au niveau régional où, pour les raisons exposées à propos du mode de scrutin PLM, aucune majorité automatique n'est garantie. Le risque d'absence de majorité sera augmenté si existent une ou des formations minoritaires disposant d'une implantation départementale forte.
Autre inconvénient majeur, la circonscription étant le département, ce mode de scrutin satisfait mal l'objectif de représentation territoriale et de proximité, objectif essentiel s'agissant de désigner des conseillers généraux. Le problème étant d'autant plus aigu que leur nombre sera faible.
On retrouve, appliquée au département la critique que l'on peut faire au mode de scrutin régional actuel qui peut conduire à une sous représentation de pans entiers du territoire.
C. LE MODE DE SCRUTIN MIXTE : UNINOMINAL MAJORITAIRE EN ZONE RURALE ET PROPORTIONNEL DE LISTE EN ZONE URBAINE
Selon ses défenseurs, il s'agirait d'utiliser des modes de scrutin différents dans les secteurs ruraux et urbains, en retenant le mieux adapté à chaque situation.
Effectivement, la principale qualité de ce mode de scrutin est bien de favoriser la représentation territoriale là où elle est la plus nécessaire, dans les territoires ruraux.
Pour le reste, ses avantages sont discutables et sa constitutionnalité beaucoup plus problématique que pour les autres modes de scrutin envisagés.
On a un peu l'impression, sauf pour la représentation territoriale dont il vient d'être question, que la composante majoritaire et la composante proportionnelle du système, au lieu de conjuguer leurs avantages, conjuguent leurs inconvénients.
Les principes de parité et de représentation de la diversité des opinions ne pourraient être obligatoirement satisfaits que pour une partie du territoire.
Surtout, la constitution de majorités apparaît particulièrement aléatoire.
L'utilisation de la proportionnelle simple dans les zones urbaines pourrait faire dépendre les majorités des résultats du scrutin majoritaire en zones rurales. En revanche, l'utilisation de la proportionnelle avec prime majoritaire risquerait d'aboutir au résultat inverse, dans les départements même relativement urbanisés : le secteur urbain y sera en position dominante.
Avec un cas particulier, celui des départements exclusivement urbains où tous les conseillers étant élus à la proportionnelle, il y aurait des difficultés à dégager des majorités, sauf à prévoir une prime majoritaire, ce qui pose d'autres problèmes.
Pour les départements exclusivement ruraux, la situation actuelle resterait inchangée, au nombre de cantons près.
Comme pour les modes de scrutin examinés précédemment, le problème se complique au niveau régional où les majorités pourraient dépendre du résultat dans deux ou trois cantons ruraux.
On voit bien que le risque d'inversion des résultats en voix et en sièges est important.
Ce qui explique que ce mode de scrutin puisse être soupçonné à Gauche de permettre à la Droite de maximiser ses gains en sièges dans les secteurs ruraux et de limiter ses pertes en zones urbaines 27 ( * ) .
Surtout, ce mode de scrutin présente, outre les inconvénients relevés, des risques d'inconstitutionnalité particulièrement élevés.
Si le scrutin mixte où les candidats sont élus de la même manière sur l'ensemble du territoire (majoritaire cantonale ou proportionnelle) ne semble pas poser de problème de constitutionnalité, l'utilisation de modes de scrutin différents sur deux parties du même territoire en pose. En tout cas, sur ce point, les avis des experts, pour une fois convergent. C'est la position du comité Balladur auquel il a paru « mal assuré au regard des exigences constitutionnelles, compte tenu des incertitudes qui pèsent sur toute forme de mixité des scrutins au regard des principes d'égalité mais aussi de la difficulté qu'il y aurait à définir les critères objectifs selon lesquels les zones rurales seraient distinguées des zones urbaines et à fixer les procédures permettant de vérifier que ces critères demeurent valides » 28 ( * ) C'est la position du Gouvernement, reprise et argumentée dans l'étude d'impact du projet de loi n° 61. Celle-ci souligne : « La difficulté de définir un critère objectif de l'urbanité », « la notion d'aire urbaine au sens de l'INSEE n'a en effet aucun lien avec la carte des départements et, a fortiori, avec la carte cantonale », les zones « urbaines » sont elles-mêmes hétérogènes (avec des zones rurales et périurbaines parfois peu denses). Surtout : « Le suffrage d'un électeur n'est pas pris en compte de la même manière selon qu'il l'exprime dans une zone urbaine (répartition des sièges entre plusieurs listes proportionnellement aux voix recueillies par chacune d'elles) ou dans une zone non urbaine (attribution du siège en jeu au candidat arrivé en tête, même d'une seule voix). » C'était déjà la position de la commission Vedel, s'agissant alors des seules élections législatives : « La Commission écarte, en raison de sa possible inconstitutionnalité, la solution consistant à faire élire à la proportionnelle les députés des départements les plus peuplés et au scrutin majoritaire ceux des autres départements » L'argument, selon lequel un système associant scrutin majoritaire et scrutin proportionnel existant déjà pour le Sénat, sans poser de problème de constitutionnalité, pourrait être étendu à d'autres types d'élection, ne tient pas. Premièrement, parce que le Sénat, selon l'article 24 de la Constitution ne représente pas d'abord des populations mais des collectivités territoriales. Il s'agit donc d'une assemblée tout à fait spécifique. La décision du Conseil constitutionnel du 6 juillet 2000 est sur ce point éclairante. Saisi du projet de loi uniformisant le mode de désignation des « grands électeurs » communaux et faisant dépendre leur nombre directement de la population (un « grand électeur » pour 300 habitants ou une fraction de ce nombre), le Conseil constitutionnel, tout en rappelant que le mode de désignation devait tenir compte de la population des collectivités, l'avait estimé contraire à la Constitution. Pour lui, il résultait de l'article 24 de la Constitution que le Sénat « doit, dans la mesure où il assure la représentation des collectivités territoriales de la République, être élu par un corps électoral qui est lui-même l'émanation de ces collectivités ; que, par suite, ce corps électoral doit être essentiellement composé de membres des assemblées délibérantes des collectivités territoriales ; que toutes les catégories de collectivités territoriales doivent y être représentées ; qu'en outre, la représentation des communes doit refléter leur diversité... » Dans ces conditions, l'existence de modes de scrutin différents selon la nature plutôt urbaine ou rurale du département, qui reste la circonscription de base unique pour l'élection de ses représentants, est parfaitement acceptable. Par contre, il ne saurait y avoir, dans un même département, d'un côté, des conseillers territoriaux représentant avant tout des territoires (des cantons ruraux) et d'un autre, d'abord des populations. Deuxièmement, parce que, quel que soit leur mode d'élection, les sénateurs n'ont pas à arbitrer entre des intérêts mettant en concurrence des collectivités, ce qui serait le cas des conseillers généraux et régionaux qui prennent des décisions à impacts essentiellement localisés. Troisièmement, sur le plan pratique, les problèmes de cohabitation se posent de manière très différente dans une assemblée de 340 personnes élues par moitié selon les deux modes de scrutin et dans un conseil général de quinze et même cinquante membres où dominerait une catégorie d'élus : cantonaux dans les départements ruraux, élus à la proportionnelle dans les autres. |
* 27 Cette vision de la sociologie électorale semble finalement assez partagée. C'est en tout cas ce que laisse penser cette déclaration du Président du Sénat, Gérard Larcher, à propos du projet de création du conseiller territorial et du mode de scrutin prévu pour son élection:
« Il n'y a aucun fric frac électoral... Nous allons diminuer le nombre de cantons pour assurer une représentation plus équitable de la population. Aujourd'hui, dans un même département, le nombre d'habitants varie couramment du simple au quadruple d'un canton à l'autre. Or, de nombreux petits cantons ruraux qui vont disparaître sont ancrés à droite. C'est bien la preuve que l'accusation lancée par l'opposition est fausse. » (Le Figaro 23 septembre 2009)
Savoir si cette perception de la carte électorale est exacte, est une autre affaire. En effet, si les « petits cantons ruraux » sont aussi « ancrés à droite », comment expliquer la forte progression de la Gauche aux élections cantonales et sénatoriales depuis 2004 ? Comment expliquer les résultats des dernières élections régionales ?
Sociologiquement, de plus en plus semblable au monde urbain, d'où provient désormais l'essentiel de sa population, le monde rural en a les besoins et les aspirations politiques.
* 28 Le comité Balladur ayant clairement écarté l'hypothèse de modes de scrutins différents selon les zones, il est assez surprenant de lui voir attribuer cette proposition, ainsi Hervé Fabre-Aubrespy : « Monsieur Balladur, qui est à l'origine d'une partie de la réforme, a proposé un autre mode de scrutin, qui consisterait à isoler des parties urbaines et des parties rurales. Je peux vous assurer qu'au moins jusqu'au mois d'août on était sur cette idée (...) On a regardé si effectivement on pouvait faire coexister deux modes de scrutins différents, la proportionnelle dans la partie urbaine, et un scrutin majoritaire dans les parties rurales, pour conclure que ça ne pouvait pas marcher et qu'il y avait d'ailleurs des obstacles constitutionnels qui nous paraissaient assez inquiétants : notamment le fait que les élus n'étaient pas élus du tout dans les mêmes conditions. »