3. Le levier « recettes »
L'ampleur des besoins de financement, clairement mise en évidence par les travaux du Cor, justifie qu'outre le recours aux différents paramètres déjà examinés soit aussi posée la question des recettes.
Cette réflexion s'impose particulièrement si l'on analyse les besoins de financement des différents régimes à court terme. En effet, que ce soit l'augmentation de la durée de cotisation ou le relèvement de l'âge légal de départ en retraite, les effets de telles mesures ne peuvent se concrétiser qu'à moyen terme, voire à long terme, et n'apporter qu'une partie des besoins de financement nécessaires. Dans ces conditions, il est difficile de faire l'économie d'une recherche, dès à présent, de nouvelles recettes, sauf à accepter l'accumulation des déficits et, ce faisant, la constitution d'une dette importante, dont la charge reposera inévitablement sur les générations futures qui auront déjà à résoudre la question du financement de leurs propres retraites.
La mobilisation d'une seule catégorie de ressources ne pourra à l'évidence suffire compte tenu des montants en jeu : il ne s'agit pas de trouver quelques dizaines ou centaines de millions d'euros mais bien plusieurs milliards . Plusieurs pistes devront donc être envisagées simultanément.
Trois axes principaux apparaissent dans cette recherche : celui des cotisations, ressource traditionnelle et principale des régimes de retraite, celui d'un élargissement de l'assiette des prélèvements, celui enfin de la mobilisation de ressources nouvelles pour faire face au défi des pensions de demain.
a) La recette traditionnelle : les cotisations
Les cotisations constituent la recette traditionnelle des régimes de retraite par répartition. Elles s'inscrivent dans une logique de contributivité et d'assurance ; elles interviennent sous la forme d'un prélèvement assis sur le travail, prélèvement qui ouvre des droits, et donc le bénéfice de prestations, directement liés au travail accompli pendant une durée donnée.
La principale ressource des régimes de retraite
Les ressources actuelles des régimes de retraite sont de plusieurs sortes. Il s'agit :
- des cotisations, salariales et employeurs
En 2010, le montant total des cotisations affecté aux régimes de retraite de base devrait être de 96,5 milliards d'euros, soit 45 % du montant total des cotisations des régimes de base, dont 61 milliards pour le régime général.
Près de 90 % des cotisations sont assises sur la partie des salaires inférieure au plafond de sécurité sociale, soit 2 885 euros au 1 er janvier 2010.
- des impôts et taxes affectés
Cette catégorie recouvre en particulier les impôts et taxes compensant les exonérations de cotisations, soit environ 9 milliards pour la Cnav, mais également la CSG affectée au FSV (9,2 milliards en 2010).
- des contributions publiques
Ces contributions correspondent à la prise en charge de cotisations ou de prestations par l'Etat, notamment dans le cadre des régimes spéciaux, soit 6,5 milliards en 2010.
- des transferts
Cette ressource représente la prise en charge de cotisations ou de prestations par des organismes tiers, comme la prise en charge des cotisations au titre de l'assurance vieillesse des parents au foyer (AVPF) par la Cnaf (4,6 milliards) ou le transfert du FSV au titre du chômage (9,1 milliards en 2010).
Au total, pour le régime général, les cotisations représentent 60 % des ressources . Elles sont très dépendantes de l'évolution de la masse salariale, dont la progression est en principe dynamique. Toutefois, en 2009, elle a enregistré un recul de 1,3 % , une contraction sans précédent puisque jamais depuis l'après-guerre la masse salariale n'avait baissé.
Par rapport à une évolution tendancielle de 4,1 % par an observée en moyenne au cours des années 1997-2006, la masse salariale a donc perdu environ dix points de progression sur la période 2008-2010 . Or, un point de masse salariale perdu représente une perte de recettes de l'ordre de 2 milliards d'euros pour le régime général.
Cet « effet crise » explique à lui seul l'essentiel des réajustements des prévisions du Cor car les recettes très significatives perdues ne pourront jamais être recouvrées et entrainent un effet base important sur les recettes des prochaines années.
Valeur d'un point de cotisation Cnav déplafonné : 4,8 milliards d'euros 0,1 point de cotisation supplémentaire rapporte donc, dans le contexte actuel, environ 400 millions d'euros (Chiffres 2010 - Rapport de la commission des comptes de la sécurité sociale, octobre 2009) |
Le report d'une mesure de transfert de cotisations qui devait permettre d'améliorer l'équilibre
Pour faire face à l'accroissement des besoins de financement des régimes de retraite, la réforme Fillon prévoyait un redéploiement des cotisations chômage au bénéfice des cotisations vieillesse. Ainsi, pour garantir le financement des retraites d'ici à 2020, l'exposé des motifs de la loi du 21 août 2003 envisageait une hausse des cotisations vieillesse compensée à due concurrence par une baisse des cotisations à l'assurance chômage afin de ne pas peser sur la compétitivité des entreprises et l'emploi. Ce scénario reposait toutefois sur deux préalables : d'une part, la baisse du chômage, d'autre part, l'accord des partenaires sociaux gestionnaires de l'Unedic sur le principe du redéploiement et la réduction des cotisations chômage.
Dans cette optique, le Gouvernement a annoncé, le 1 er octobre 2008, une augmentation de la part patronale déplafonnée des cotisations retraite de 0,3 % en 2009, de 0,4 % en 2010 et de 0,3 % en 2011. Le fort ralentissement économique et la dégradation du marché du travail l'ont toutefois conduit, en janvier 2009, à poser un moratoire à cette augmentation .
Or, en 2009, l'opération aurait dû rapporter 1,8 milliard d'euros à la Cnav. Au total, en 2012, l'absence de transfert d'un point de cotisation retraite en provenance de l'Unedic privera la branche vieillesse de 6,5 milliards .
Ce redéploiement ne doit cependant pas être purement et simplement abandonné. En effet, des projections actualisées relatives à l'Unedic, réalisées sur la base des trois scénarios économiques retenus par le Cor, rendues publiques le 11 mai, indiquent que, à taux de cotisation et réglementation inchangés, le régime d'assurance chômage pourrait retrouver un solde annuel excédentaire à partir du milieu des années 2010 , les déficits cumulés étant apurés à l'horizon 2020.
Les documents du Cor en tirent deux conséquences :
- dans l'hypothèse de retour à un taux de chômage de 4,5 %, une baisse du taux de cotisation d'assurance chômage de 1,75 point , correspondant à un transfert de recettes potentielles de 0,4 point de Pib au profit des régimes de retraite, serait compatible avec le maintien d'une situation financière équilibrée à long terme de l'Unedic ;
- dans l'hypothèse où le taux de chômage se stabiliserait à 7 %, ce transfert de cotisation pourrait atteindre 0,75 point , soit encore 0,15 point de Pib.
Aujourd'hui, le taux de cotisation chômage est de 6,4 % dont 4 % pour la part employeurs et 2,4 % pour la part salariés. Selon les projections effectuées par le Cor, ce taux pourrait donc s'établir à 4,6 % dans le scénario le plus favorable et à 5,7 % dans le scénario le moins favorable, tout en continuant à assurer l'équilibre de l'assurance chômage.
Des marges de progression limitées
Comme de nombreux travaux l'ont montré, l'impact du niveau des cotisations sur le coût du travail et la compétitivité des entreprises est réel et doit naturellement être pris en compte dans une réflexion sur une éventuelle hausse des cotisations affectées au financement des retraites.
La France a déjà l'un des taux de prélèvements obligatoires les plus élevés d'Europe. Il est vrai aussi que ces prélèvements servent à financer des dépenses qui, dans certains pays, n'entrent pas dans la sphère des dépenses publiques, ce qui est notamment vrai pour une partie au moins des dépenses de retraite.
Dans le contexte de crise et de reprise encore très lente de la croissance, il n'apparait pas pertinent de proposer à court terme une augmentation de ces cotisations. Celle-ci risquerait en effet d'alourdir le coût du travail pour les entreprises et de diminuer leur compétitivité, ce qui pourrait avoir un effet négatif sur l'emploi.
Par ailleurs, en augmentant les cotisations, on toucherait une fois de plus les salaires et donc les actifs, alors que ceux-ci contribuent déjà très largement au système.
Enfin, comme pour les autres paramètres qui entrent en jeu dans le débat sur le financement des régimes de retraite, la question d'une meilleure visibilité sur l'évolution du niveau des cotisations mérite d'être posée. D'autres pays, l'Allemagne notamment, ont choisi de définir dans la loi un niveau de taux de cotisation maximal. Ce mécanisme présente un avantage de lisibilité, de prévisibilité et de stabilité qui mériterait d'être étudié dans le cadre d'un prochain projet de loi.
b) L'élargissement de l'assiette
L'assiette des cotisations présente comme caractéristique essentielle d'être très concentrée sur les revenus du travail et plus particulièrement sur la partie salariale de ces revenus dès lors que ceux-ci atteignent un certain montant.
Loin d'être exhaustive, cette assiette est assortie de nombreux mécanismes d'exonération, d'exemption ou de réduction dont la progression a été particulièrement rapide au cours des dernières années. C'est dans cette voie que des pistes d'économie ou d'accroissement des recettes peuvent être recherchées.
l'aménagement du dispositif d'allégement de cotisations sociales
Deux catégories principales d'allégements existent : les allégements généraux et les exonérations ciblées.
Evolution des exonérations de cotisations |
|||||||
(en milliards d'euros) |
|||||||
2004 |
2005 |
2006 |
2007 |
2008 |
2009 |
2010 |
|
Allégements généraux |
16,1 |
16,5 |
18,5 |
20,8 |
21,7 |
22,3 |
22,1 |
Exonérations heures supplémentaires |
- |
- |
- |
0,6 |
2,8 |
2,9 |
2,9 |
Exonérations ciblées compensées |
2,3 |
2,5 |
3,1 |
4,0 |
3,9 |
3,9 |
3,5 |
Total mesures compensées |
18,4 |
19,0 |
21,6 |
25,4 |
28,5 |
29,3 |
28,5 |
Exonérations non compensées |
2,0 |
2,1 |
2,4 |
2,7 |
2,5 |
2,8 |
2,9 |
Total exonérations |
20,4 |
21,1 |
24,0 |
28,2 |
31,0 |
32,1 |
31,5 |
Source : rapport de la commission des comptes de la sécurité sociale - octobre 2009 |
Ce tableau fait notamment apparaître :
- le coût très élevé de la politique d'allégement de charges sociales , supérieure à 31 milliards d'euros en 2010 ;
- l'impact prépondérant dans cet ensemble de la « réduction Fillon » (22,1 milliards d'euros) ;
- le poids de la détaxation des heures supplémentaires au titre de la loi Tepa (2,9 milliards d'euros) ;
- l'importance des mesures non compensées : ce montant atteint 2,96 milliards d'euros en 2010 ; il se rapproche de celui des mesures d'allégement ciblées et compensées.
- Un meilleur ciblage des allégements généraux de charges sociales
Dans la conclusion de son dernier rapport sur les prélèvements obligatoires des entreprises dans une économie globalisée, remis en octobre 2009 à la suite d'une demande de la commission des finances du Sénat, le Conseil des prélèvements obligatoires recommande, en matière de prélèvements sociaux, de s'interroger sur l'ensemble des dispositifs d'allègements de cotisations et d'exemptions d'assiette existants .
Il justifie la nécessité de cette réflexion par le fait qu'une baisse uniforme des taux de cotisations sociales, favorable à la compétitivité, serait possible à prélèvements constants si l'on réduisait ces dispositifs dérogatoires. Une telle mesure aurait toutefois des conséquences sur le niveau du coût du travail au voisinage du Smic, et donc sur l'emploi faiblement qualifié, qu'il convient de pouvoir apprécier.
Sur la question des allégements généraux, le rapport souligne que les différentes études menées sur ce sujet divergent et ne permettent pas de tirer des conclusions tranchées. Cependant, toutes soulignent le coût de ce dispositif et certaines font des propositions pour en limiter le champ ou l'impact.
Propositions récemment formulées
- abaisser le seuil de sortie des allégements généraux La Cour des comptes puis la mission d'information commune de l'Assemblée nationale sur les exonérations de cotisations sociales ont recommandé un abaissement du seuil de sortie des allègements généraux à respectivement 1,3 Smic (9,2 milliards de gains chiffrés en 2007) ou 1,4 Smic (6 milliards). Il s'agirait par là également de modifier la pente des allègements et donc le coût des hausses de salaires, avec toutefois le risque d'un renforcement possible de l'effet de trappe à bas salaire ; - limiter le bénéfice des allégements généraux à certaines entreprises Une autre piste consisterait à accorder le bénéfice des allègements généraux en fonction de la taille des entreprises : la Cour recommandait ainsi en 2007 de recentrer ce dispositif sur les PME, pour le limiter aux entreprises dont l'effectif se situe en-deçà d'un certain seuil de salariés, moins de cinquante salariés (gain de 6,7 milliards) voire moins de vingt salariés (9,6 milliards). La mission d'information commune de l'Assemblée nationale proposait de les réserver aux seuls cinq cents (4 milliards d'euros) ou mille premiers emplois (3,2 milliards) ; - réexaminer les exonérations ciblées Les exonérations ciblées de cotisations sociales devraient faire l'objet d'un réexamen au regard de leur coût et de leur efficacité sur l'emploi. Ainsi, l'aide exceptionnelle à l'embauche à destination des entreprises de moins de dix salariés, mise en place dans le cadre du plan de relance du 4 décembre 2008, ne devrait pas être pérennisée, ni étendue à d'autres catégories d'entreprises ; - relever les contributions sur les exemptions d'assiette
Les contributions sur les éléments
exemptés d'assiette pourraient par ailleurs être relevées,
notamment s'agissant de l'épargne salariale et des contributions
à la prévoyance complémentaire, productrices de fortes
inégalités entre entreprises, salariés et ménages.
Le taux du forfait social (4 %) pourrait être revalorisé
(gain de 1,2 milliard avec un taux à 10 %) tout en maintenant
un niveau d'assujettissement inférieur au taux normal, et son assiette
étendue à certains compléments de
rémunération non couverts.
|
Estimant indispensable que la réflexion sur les allégements de charges sociales puisse aboutir à des propositions concrètes, la commission des affaires sociales a proposé, lors du vote de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2010, que le calcul des allégements généraux soit désormais annualisé .
En effet, le Conseil des prélèvements obligatoires l'indique clairement : « en matière de prélèvements sociaux, le calcul des allègements généraux pourrait être annualisé, afin d'éviter les pratiques de certains employeurs qui versent des rémunérations sur plus de douze mois, permettant à un salaire de bénéficier pendant onze mois d'allègements au niveau maximal alors que la rémunération annuelle, lissée sur douze mois, serait nettement supérieure.
« Cette pratique est très répandue dans le secteur financier, l'immobilier, le conseil et l'assistance, et l'édition. A l'inverse elle est rare dans l'industrie ou dans le secteur sanitaire et social. Un meilleur encadrement permettrait des gains de l'ordre de 2 à 3 milliards d'euros, dont le coût serait essentiellement supporté par les secteurs protégés, et favoriserait ainsi les secteurs exposés en finançant une baisse uniforme des taux. La faisabilité technique reste toutefois à étudier, afin d'en limiter les coûts de gestion supplémentaires pour les entreprises et pour les Urssaf. »
Le ministre des comptes publics, Eric Woerth, avait alors écarté, en séance publique, le vote d'une telle mesure au motif qu'une mission venait d'être confiée à l'inspection générale des finances sur ce sujet.
Le rapport issu des travaux de cette mission n'a pas encore été rendu public bien qu'il soit achevé depuis plusieurs mois. Les membres de la Mecss ont toutefois pu interroger son auteur et prendre connaissance de ses principales conclusions. Il en ressort que toutes les formules d'évolution proposées, notamment par le rapport de la Cour des comptes, auraient un impact négatif difficilement chiffrable, mais certain, sur l'emploi d'au moins 400 000 postes. La seule piste d'économie jugée envisageable est précisément celle qu'avait retenue la commission des affaires sociales à l'automne dernier, c'est-à-dire le principe de l'annualisation du calcul des exonérations de charges. L'adoption d'une telle mesure permettrait une économie évaluée à 2 milliards d'euros .
- Une évaluation systématique des exonérations ciblées
Le montant des exonérations de charges ciblées et compensées devrait s'élever à 3,5 milliards d'euros en 2010.
L'annexe 5 au projet de loi de financement fournit le détail de ces exonérations et en mesure l'enjeu financier.
- mesures visant à promouvoir l'apprentissage, la qualification et les stages (quatre dispositifs) ; - mesures destinées à favoriser l'emploi de publics en difficulté : jeunes et titulaires de minima sociaux (trois dispositifs) ; - mesures ciblées sur les services à la personne (cinq dispositifs) ; - dispositifs propres à l'emploi dans le secteur agricole (sept dispositifs) ; - exonérations ciblées sur certains territoires (zones de revitalisation rurale ou urbaine, zones franches urbaines, Dom) (neuf dispositifs) ; - exonérations ciblées sur certains secteurs d'activité (hôtels, cafés, restaurants, jeunes entreprises innovantes, marins salariés) (six dispositifs) ; - exonérations applicables aux travailleurs non salariés non agricoles (six dispositifs). (Source : annexe 5 au PLFSS pour 2010) |
Depuis 2009, le montant total de ces exonérations a cessé de progresser, ce qui traduit un souci de plus grande rigueur à leur égard. Auparavant, année après année, les crédits budgétaires destinés à assurer la compensation de ces dispositifs d'exonération étaient insuffisants. La sous-dotation a même atteint plus de plus d'un milliard d'euros par an entre 2006 et 2008. Elles alimentaient, pour une très large part, la dette de l'Etat vis-à-vis de la sécurité sociale.
La priorité est aujourd'hui non seulement de prévoir un niveau de dotation budgétaire correct mais surtout d'évaluer précisément l'utilité et l'efficacité de chacun de ces dispositifs.
A cet effet, une application rigoureuse des règles de bonne gouvernance contenues dans la loi de programmation des finances publiques pour les années 2009 à 2012 est nécessaire . Celles-ci visent en effet, d'une part, à ne plus créer de mesure dérogatoire sans la gager par la suppression ou la limitation d'une autre mesure, d'autre part, à réexaminer chacun des dispositifs d'exonération ou d'exemption d'assiette en vigueur, au regard de son coût et de son efficacité.
La loi n° 209-135 du 9 février 2009 de programmation des finances publiques pour les années 2009 à 2012 définit plusieurs règles de bonne gouvernance et d'encadrement des dépenses fiscales et des niches sociales, qui figurent aux articles 10 à 12. L'article 10 fixe le principe de l'interdiction de l'adoption de mesures nouvelles qui auraient pour conséquence la diminution des ressources affectées au budget de l'Etat ou à la sécurité sociale. Cette contrainte s'apprécie sur l'ensemble de la période de programmation afin d'éviter les effets amplificateurs liés au cycle économique mais sous réserve d'un suivi attentif dans le cadre du bilan annuel de mise en oeuvre de la loi de programmation. L'article 11 pose une règle de gage : toute création ou extension d'une niche fiscale ou sociale devra être compensée par la suppression ou la diminution d'une autre de ces niches pour un montant équivalent. Cette règle s'apprécie pour l'ensemble des changements législatifs intervenus en cours d'année, dans le domaine fiscal, d'une part, dans le champ social, d'autre part. Par ailleurs, les dispositifs institués pendant la période de programmation ne seront valables que pendant les quatre années qui suivront leur entrée en vigueur.
L'article 12
prévoit que, chaque
année, avant le 15 octobre, le Gouvernement présente au
Parlement un objectif annuel de coût des niches fiscales et sociales,
ainsi qu'un bilan des dispositifs créés, modifiés ou
supprimés au cours de l'année qui précède. Par
ailleurs, dans les trois années suivant l'entrée en vigueur d'une
nouvelle mesure, le Gouvernement devra présenter au Parlement un rapport
d'évaluation de l'efficacité et du coût de la mesure
considérée. Enfin, avant le 30 juin 2011, tous les dispositifs
actuellement en vigueur devront avoir été évalués.
|
Le résultat de ces travaux d'évaluation devra permettre de réduire le champ global des exonérations et niches sociales.
La remise en cause des « niches sociales »
Comme le souligne régulièrement la Cour des comptes dans ses rapports, les meilleurs prélèvements sont ceux qui ont l'assiette la plus large et des taux bas . En matière sociale, il est particulièrement souhaitable que les prélèvements portent sur l'assiette la plus large possible afin d'éviter notamment une trop forte concentration sur les seuls salaires, qui conduit automatiquement à pénaliser l'emploi.
- La multiplication des « niches sociales »
L'article L. 242-1 du code de la sécurité sociale pose le principe de l'universalité de l'assiette des cotisations sociales en indiquant que « sont considérées comme rémunérations toutes les sommes versées aux travailleurs en contrepartie ou à l'occasion du travail, notamment les salaires ou gains, les indemnités de congés payés, le montant des retenues pour cotisations ouvrières, les indemnités, primes, gratifications et tous autres avantages en argent, les avantages en nature, ainsi que les sommes perçues directement ou par l'entremise d'un tiers à titre de pourboire ».
Cette règle connaît toutefois de nombreuses exceptions que l'on peut répartir en deux catégories :
- les éléments de rémunération exclus de tout prélèvement social, comme les titres restaurant, les chèques vacances dans les entreprises de plus de cinquante salariés, l'aide financière pour les services à la personne ou les avantages versés par les comités d'entreprise ;
- les éléments de rémunération exonérés de cotisations sociales mais soumis à la CSG et à la CRDS : intéressement, participation, abondement à un plan d'épargne, contribution des employeurs à la retraite supplémentaire ou à la prévoyance complémentaire, contribution patronale aux chèques vacances dans les entreprises de moins de cinquante salariés, etc.
L'ensemble de ces niches sociales représente désormais une assiette très significative et un manque à gagner réel pour la sécurité sociale.
Le tableau ci-après fournit le détail de ces montants, en précisant notamment la moindre recette estimée pour la sécurité sociale en 2010.
(en milliards d'euros) |
||
Dispositifs |
Assiette exemptée |
Cotisations équivalentes |
Participation financière et actionnariat salarié |
17,6 |
3,2 |
dont : participation |
7,6 |
|
intéressement |
6,7 |
|
plan d'épargne en entreprise (PEE) |
1,5 |
|
stock-options |
1,8 |
|
Protection sociale complémentaire en entreprise |
17,4 |
3,1 |
dont : prévoyance complémentaire |
13,5 |
|
retraite supplémentaire |
3,7 |
|
plan d'épargne retraite collective (Perco) |
0,2 |
|
Aides consenties aux salariés |
5,9 |
1,8 |
dont : titres restaurant |
2,7 |
|
chèques vacances |
0,4 |
|
avantages accordés par les comités d'entreprise |
2,7 |
|
Cesu préfinancé |
0,2 |
|
Indemnités de rupture |
3,8 |
0,9 |
dont : indemnités de licenciement |
3,4 |
|
indemnités de mise à la retraite |
0,5 |
|
Total |
44,8 |
9,1 |
Source : annexe 5 du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010 |
Ces niches sociales connaissent un fort développement comme le souligne l'annexe 5 du PLFSS pour 2010 : « Les dispositifs d'exemptions d'assiette se caractérisent par un dynamisme qui se prolonge durablement après la phase de montée en charge. La mise en place des exemptions d'assiette a permis d'inciter les employeurs à l'essor initial de ces dispositifs. Bien après leur création, ils continuent d'évoluer encore nettement plus rapidement que l'assiette des cotisations quand bien même sont prévues au niveau de chaque entreprise des clauses de non-substitution avec des éléments de rémunération existants, lesquelles jouent surtout à court terme. »
Le tableau ci-après fournit le taux d'évolution annuel moyen des principales mesures d'exemptions d'assiettes en comparaison de celui de la masse salariale. Il témoigne de la très grande dynamique de ces dispositifs.
Evolution des principales exemptions d'assiette entre 2000 et 2007 |
||||
Dispositifs |
Montant en millions d'euros |
Taux d'évolution annuel moyen |
||
Pour 2000 |
Pour 2005 |
Pour 2007 |
||
Participation |
5 027 |
7 164 |
8 527 |
7,8 % |
Intéressement |
3 789 |
5 851 |
7 595 |
10,4 % |
Plans d'épargne salariale |
956 |
1 335 |
1 504 |
6,7 % |
Total épargne salariale |
9 772 |
14 349 |
17 626 |
8,8 % |
Titres restaurant |
1 483 |
1 978 |
2 326 |
6,6 % |
Retraite supplémentaire
|
n.d. |
12 800 |
15 115 |
8,7 % |
Masse salariale |
358 812 |
423 898 |
463 386 |
3,7 % |
Source : annexe 5 du PLFSS pour 2010 |
Outre leur fort développement et le fait que celui-ci s'effectue en partie au détriment des formes traditionnelles de rémunération assujetties à l'ensemble des prélèvements sociaux, quelques autres caractéristiques de ces dispositifs méritent d'être évoquées. Ainsi, ils ne sont pas équivalents aux exonérations de charges sociales en matière de droits des salariés ; en effet, les sommes exclues de l'assiette des cotisations ne sont pas retenues pour le calcul des meilleures années et donc du montant des pensions de retraite. Par ailleurs, à la différence des exonérations de charges sociales, les exemptions d'assiette sont plus concentrées sur les grandes entreprises que sur les petites.
- L'instauration d'un forfait social
Conformément aux recommandations exprimées par la commission des affaires sociales dès la loi de financement de la sécurité sociale pour 2007 et par la Cour des comptes dans son rapport sur la sécurité sociale de septembre 2007, l'article 13 de la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 a institué une nouvelle contribution, dite forfait social, à la charge de l'employeur sur l'ensemble des éléments de rémunération qui sont soumis à la CSG mais exclus de l'assiette des cotisations de sécurité sociale.
Ce principe était néanmoins assorti de quatre exceptions afin d'exclure de l'assiette du forfait social :
- les avantages résultant de l'attribution de stock-options ou d'actions gratuites, soumis à des contributions spécifiques depuis la loi de financement pour 2008 ;
- les contributions des employeurs destinées au financement de prestations complémentaires de prévoyance, déjà assujetties à une contribution spécifique de 8 % ;
- les indemnités versées à l'occasion de la rupture du contrat de travail ;
- la participation de l'employeur au financement des chèques vacances dans les entreprises de moins de cinquante salariés (par souci de cohérence et d'équité avec le régime applicable aux chèques vacances dans les entreprises de plus de cinquante salariés, où ceux-ci ne sont pas soumis à la CSG et sont en conséquence exclus du forfait social).
A contrario , sont passibles du forfait social :
- les sommes versées au titre de l'intéressement, du supplément d'intéressement et de l'intéressement de projet ;
- les sommes versées au titre de la participation et du supplément de réserve spéciale de participation ;
- les abondements de l'employeur aux plans d'épargne d'entreprise (PEE et Perco) ;
- les contributions des employeurs au financement des régimes de retraite supplémentaire.
Initialement fixé à 2 %, le taux du forfait a été doublé dans la loi de financement pour 2010. Son rendement est estimé à un peu moins de 800 millions d'euros pour 2010 .
Ce montant correspond à une assiette un peu inférieure à 20 milliards, soit la moitié à peine de la totalité des assiettes actuellement exemptées de cotisations sociales .
Selon l'évaluation qui était annexée au PLFSS pour 2010, une telle augmentation ne devrait pas porter atteinte au dynamisme des avantages consentis aux salariés, notamment du fait du différentiel encore très important avec le taux de droit commun appliqué aux salaires, soit 30,4 % de cotisations patronales de base.
Par ailleurs, malgré cette hausse, la part des prélèvements de sécurité sociale sur la totalité des rémunérations (salaires et épargne salariale) reste inférieure à ce qu'elle était il y a dix ans, compte tenu de la forte progression de la part de l'épargne salariale dans la rémunération totale des salariés .
Face au dynamisme de la progression des assiettes exemptées et aux besoins de la sécurité sociale, singulièrement des régimes de retraite, la question du réaménagement des niches sociales parait plus que jamais justifiée. Au-delà même de la pertinence des objectifs qui ont conduit à la création de ces dispositifs, ceux-ci doivent pouvoir être revus et mis à contribution dans le but d'accroître les recettes de la sécurité sociale.
L'ensemble des revenus doit participer de manière proportionnée au financement de la protection sociale.
L'institution du forfait social revêt de ce point de vue un caractère décisif. Il pourrait présenter d'ailleurs les avantages d'un « bon impôt » à savoir une assiette large et un taux bas.
Il est en effet regrettable que l'intégralité de l'assiette actuellement exemptée de charges sociales et non soumise à un prélèvement spécifique ne soit pas soumise à ce forfait social, ce qui est le cas par exemple de certaines aides directes aux salariés.
Plusieurs pistes pourraient ainsi être envisagées :
- un élargissement de l'assiette du forfait social ;
- un relèvement du taux de ce forfait, dont le montant reste réduit par rapport au taux de cotisation de droit commun ;
- un relèvement du taux spécifique applicable aux attributions de stock-options et d'actions gratuites ;
- une remise à plat de la taxation des indemnités de rupture ;
- la taxation des retraites chapeau.
Le régime de retraite supplémentaire dit « chapeau » est défini à l'article L. 137-11 de la sécurité sociale. Il s'agit d'un régime de retraite à prestations définies : l'employeur, seul contributeur au régime, s'engage sur un montant donné de prestations. Le droit à prestations est toutefois conditionné à l'achèvement de la carrière du bénéficiaire dans l'entrepris e. La loi du 21 août 2003 portant réforme des retraites a clarifié les règles sociales et fiscales applicable à ces régimes, confirmant notamment que les contributions des employeurs au financement de ces régimes étaient exonérées, sans plafond, de CSG et de cotisations sociales. En contrepartie cependant, elle a instauré une contribution à la charge de l'employeur et affectée au Fonds de solidarité vieillesse (FSV) dont le taux était compris entre 6 et 12 % en fonction du choix de l'employeur sur le mode de prélèvement (à l'entrée ou à la sortie). La comparaison avec le régime applicable aux contributions des employeurs aux autres régimes de retraite supplémentaire (exonération de cotisations sociales plafonnée, assujettissement à la CSG, à la CRDS et au « forfait social ») a néanmoins justifié que de nouvelles mesures soient prises dans le but de corriger cet écart. Ainsi, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2010 a doublé les taux de la contribution spécifique et supprimé la possibilité de créer de nouveaux régimes gérés en interne. |
Sans aller jusqu'au jugement sans appel de la Cour des comptes pour laquelle les niches fiscales et sociales « ont démontré le caractère obsolète, injuste et inefficace et qui privent l'Etat et la sécurité sociale de ressources importantes », la poursuite d'une remise en cause progressive des niches sociales est une nécessité car elle doit permettre de mobiliser de façon plus équitable des ressources indispensables pour la sécurité sociale .
c) La mobilisation de nouvelles ressources
Plusieurs pistes peuvent là encore être explorées. Elles conduiraient à affecter spécifiquement aux régimes de retraite l'augmentation de prélèvements existants ou bien la création de nouvelles recettes.
Une mise à contribution des inactifs par un réexamen des avantages dont ils bénéficient
Un certain nombre de « niches » fiscales et sociales bénéficient spécifiquement aux retraités.
Principales niches fiscales dont bénéficient les retraités |
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Mesure |
(en millions d'euros) |
Abattement de 10 % sur les pensions et retraites |
2 670 |
Exonération des majorations de pension pour enfants |
580 |
Abattement en faveur des personnes âgées ou
invalides
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250 |
Exonération de taxe d'habitation en faveur des personnes âgées, handicapées ou de condition modeste |
1 250 |
L'un des plus importants avantages accordés aux retraités résulte du taux réduit de CSG sur les pensions.
Il s'agit de la CSG et de la CRDS pour les retraités domiciliés fiscalement en France et de la cotisation d'assurance maladie pour les retraités domiciliés fiscalement à l'étranger et affiliés à un régime français d'assurance maladie. Seuls les retraités dont la cotisation d'impôt est supérieure ou égale au seuil de recouvrement, c'est-à-dire seuls les retraités imposables , doivent s'acquitter de ces contributions, selon le barème suivant : - CSG au taux fort de 6,6 % pour les retraités qui paient l'impôt sur le revenu - CSG au taux faible de 3,8 % pour les retraités qui ne paient pas d'impôt sur le revenu mais qui paient la taxe d'habitation - aucune CSG pour tous les autres - CRDS au taux normal de 0,5 % pour les retraités imposables Le taux de CSG applicable aux revenus d'activité est de 7,5 %. Au 31 décembre 2009, la proportion des retraités du régime général assujettis à ces prélèvements est la suivante : - 49 % sont soumis au taux fort de CSG - 14 % sont soumis au taux faible de CSG
- 37 % ne s'acquittent d'aucune CSG
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Plusieurs modalités d'alignement peuvent être envisagées, notamment une hausse de la CSG pour les seuls retraités imposables, ce qui permettrait d'épargner les petites retraites. Une telle mesure rapporterait environ 2 milliards d'euros.
Une telle convergence s'inscrirait dans la logique de la CSG qui doit rester « le prélèvement universel » qu'elle est censée être depuis sa création.
Valeur d'un point de CSG sur les revenus de remplacement : 2,21 milliards d'euros Valeur d'un point de CSG sur les revenus du patrimoine et de placement : 1,13 milliard d'euros (Chiffres 2010 - Rapport de la commission des compte de la sécurité sociale, octobre 2009) |
L'instauration d'un prélèvement spécifique
A plusieurs reprises au cours des derniers mois a été évoquée l'idée de créer un nouveau prélèvement. Celui-ci serait avant tout destiné à contribuer au financement des besoins accrus des systèmes de retraite liés à l'effet du « baby-boom » et aux départs massifs en retraite qu'il entraîne. Il serait donc institué de manière temporaire.
Afin de rééquilibrer les efforts entre les différents contributeurs et de renforcer l'équité générale du système, un prélèvement sur les revenus du capital pourrait, dans ce cadre, être mis en place. Il s'ajouterait aux divers prélèvements existants.
Prélèvements sociaux : 12,1 % CSG de 8,2 % CRDS de 0,5 % CSA (journée de solidarité) de 0,3 % contribution de 2 % taxe additionnelle RSA de 1,1 % Fiscalité prélèvement libératoire de 18 % ou impôt sur le revenu
Répartition actuelle du produit des
prélèvements sociaux
Produit total (estimation 2010) : 13,6 milliards d'euros Cnam et branche maladie des autres régimes : 6,7 milliards Cnaf : 1,2 milliard Cnav : 700 millions FSV : 1 milliard FRR : 1,5 milliard CNSA : 450 millions Cades : 800 millions
FNSA : 1,2 milliard
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Dans les conditions actuelles, c'est-à-dire en léger retrait par rapport aux rendements connus en 2007 ou 2008, avant la crise financière, un relèvement d'un point du taux global de ces prélèvements pourrait apporter une ressource un peu supérieure à 1,1 milliard d'euros . Ce relèvement pourrait consister, par exemple, à augmenter le taux spécifique de CSG applicable à ces revenus, en le portant à 10 %.
Au-delà, surtout si l'on souhaite mettre en place un prélèvement à caractère temporaire, d'autres pistes peuvent être envisagées, comme une contribution additionnelle à l'impôt sur le revenu pour des contribuables ayant un revenu particulièrement élevé . Une telle solution a d'ailleurs été retenue par le passé, dans les années quatre-vingt par exemple, dans le but de réduire, de façon transitoire, le déficit public.
De la même façon pourrait être envisagée l'instauration d'une surtaxe temporaire sur les bénéfices de certaines catégories d'entreprises.
Choisir une autre assiette ?
Comme de nombreux travaux l'ont prouvé, il n'existe pas d'assiette « miracle » c'est-à-dire une assiette large et dynamique croissant à un rythme supérieur à celui de la richesse nationale ou même de la masse salariale.
Depuis la fin des années quatre-vingt, le partage de la valeur ajoutée entre le taux de marge des entreprises et les rémunérations reste extrêmement stable , deux tiers allant au travail et un tiers au capital. Cette tendance, que l'on retrouve dans la plupart des autres pays européens, signifie qu'il n'existe pas de recette miracle qui pourrait fournir à long terme une évolution plus dynamique que la masse salariale. Aussi la taxation de la valeur ajoutée et celle de la masse salariale ne peuvent évoluer que de la même façon, c'est-à-dire comme le Pib.
La réflexion menée sur la taxation de la valeur ajoutée est née du fait que, pendant cinq ans, au début des années quatre-vingt, la masse salariale a progressé moins vite que le Pib, ce qui a pesé sur les recettes de la sécurité sociale et a notamment conduit à la création de la CSG. Cette situation historiquement datée ne peut être envisagée aujourd'hui car aucun élément économique n'autorise à penser qu'elle se reproduira.
Actuellement, les rémunérations constituent l'assiette principale, celle des cotisations mais également, en grande partie, celle de la CSG. Or, sur le long terme, on observe qu'il n'y a pas de recette ayant une meilleure dynamique que les prélèvements sur les rémunérations, ce qui plaide en faveur du maintien de cette assiette à titre principal.
Dans le débat actuel, l'alternative aux cotisations sociales prend trois formes : la cotisation sur la valeur ajoutée (CVA), la TVA et la CSG qui ne répondent pas tout à fait aux mêmes objectifs :
- la cotisation sur la valeur ajoutée permet de conserver une cotisation patronale mais en restructurant cette cotisation afin de la réorienter vers les secteurs à plus forte valeur ajoutée ;
- la TVA ou la CSG reposent sur des assiettes profondément différentes.
- la cotisation sur la valeur ajoutée
Formulée dès 1974, cette option, qui consiste à créer un prélèvement assis sur la valeur ajoutée produite par les entreprises vise à mieux répartir la charge de la protection sociale et à réduire les coûts salariaux. Mais elle comporte aussi un risque réel de pénalisation des investissements et de transferts de charges massifs entre assurés sociaux.
Le débat a été relancé en 2006, diverses instances ayant été chargées d'approfondir la réflexion sur cette cotisation ainsi que sur d'autres sources de financement. Les conclusions de ces travaux ont, dans l'ensemble, fait apparaître de nombreuses réserves.
Celles-ci sont principalement au nombre de trois :
- une réelle complexité
Le conseil d'analyse économique 59 ( * ) a ainsi notamment mis en évidence le problème de la complexité de la formule et les difficultés de sa mise en oeuvre. Il a estimé que la CVA ne devrait s'appliquer qu'à la valeur ajoutée nette afin de ne pas taxer l'amortissement. Mais la conséquence d'un tel choix serait que la cotisation reviendrait en fait à alourdir l'impôt sur les sociétés. Or, celui-ci atteint déjà dans notre pays un niveau supérieur à la moyenne européenne. Il ne serait donc pas souhaitable de l'augmenter, en particulier au moment où l'Allemagne, de son côté, réduit significativement cet impôt, même si certains experts estiment qu'il existerait une légère marge d'augmentation acceptable.
- des risques de fuites et de transferts mal maîtrisés
Le conseil d'orientation pour l'emploi, dans son rapport 60 ( * ) , a montré que deux arguments généralement avancés en faveur de la CVA peuvent être contestés :
- le premier consiste à souligner la baisse tendancielle de la part des salaires au sein de la valeur ajoutée et l'accroissement concomitant du poids des profits qui justifierait que ceux-ci soient davantage taxés qu'ils ne le sont actuellement. Or, sur le long terme comme sur le court terme, le partage salaire-profit au sein de la valeur ajoutée apparaît extrêmement stable ;
- le second argument est celui selon lequel une assiette reposant sur la valeur ajoutée aurait un effet favorable sur l'emploi dans la mesure où elle transférerait une partie des charges sociales sur les profits. Cette analyse est sans doute exacte à court terme et la mise en place d'une CVA pourrait conduire à créer quelques dizaines de milliers d'emplois supplémentaires. A long terme, en revanche, il apparaît difficile de vouloir taxer l'assiette la plus mobile qui a toutes les chances de pouvoir s'évader.
Enfin, outre les complexités administratives liées à un tel changement, il est important de souligner que le ratio masse salariale sur valeur ajoutée est très variable d'une entreprise à l'autre et d'un secteur économique à l'autre . L'institution d'une CVA créerait ainsi des gagnants, mais aussi des perdants, y compris au sein d'une même branche économique, ce qui aboutirait à des transferts difficiles à maîtriser entre entreprises.
- un impact négatif sur l'emploi
Sur un plan économique, le remplacement des cotisations sociales par la CVA aurait un effet positif sur l'emploi à l'horizon de deux ou trois ans, mais dans des proportions modiques, de l'ordre de quelques dizaines de milliers d'emplois seulement. A moyen et long terme, les effets seraient très différents, le capital étant plus mobile que le travail, puisqu'on pénaliserait l'investissement, ce qui diminuerait l'accumulation de capital et donc la croissance ainsi que, par voie de conséquence, les salaires. Une taxation frappant le facteur le plus mobile rendrait donc vain ce changement d'assiette en termes d'emploi et produirait même des effets négatifs sur la croissance et le niveau de vie, dans le cadre d'une économie ouverte.
Au total, en pesant sur l'outil de production situé en France et en ne taxant pas les importations, les différentes études concluent que la CVA ne peut être une solution valable au regard des critères susceptibles de qualifier un « bon prélèvement ».
- la TVA sociale
Le principe de la TVA sociale est de substituer une fraction de TVA à des cotisations sociales payées par les entreprises, c'est-à-dire d'augmenter le taux de celle-là en contrepartie d'une réduction de celles-ci.
- les avantages habituellement attendus de la TVA sociale
Pour ses partisans, elle présente essentiellement deux avantages :
Un rendement élevé : la TVA est aujourd'hui la première recette fiscale de l'Etat, avec un rendement net attendu de 124,7 milliards d'euros en 2010. Cela signifie qu'une hausse de quelques points de la TVA peut valablement contribuer au financement d'une baisse non cosmétique des cotisations patronales de sécurité sociale.
En outre, pour ses promoteurs, ce rendement aurait l'avantage d'être obtenu de façon plus indolore qu'un prélèvement direct sur les salaires.
Un moyen d'améliorer la compétitivité des entreprises : la TVA sociale entraîne une baisse du coût du travail grâce à la diminution des cotisations patronales, ce qui permet de diminuer les écarts de coûts dans les prix de revient constatés dans les comparaisons avec les entreprises d'autres pays.
Elle a également pour conséquence de taxer à un niveau plus élevé les produits importés et, à l'inverse, de détaxer davantage les produits exportés. Elle permet donc d'améliorer la compétitivité des entreprises, de rendre moins attractifs les produits importés, de faciliter les exportations et surtout, elle constitue un moyen de lutter contre les délocalisations et de favoriser l'emploi grâce à un coût du travail réduit.
Enfin, en taxant davantage les importations, la TVA sociale a le mérite de faire participer les produits importés au financement de la sécurité sociale.
- de réelles interrogations
Malgré ses avantages, la TVA sociale n'en suscite pas moins de réelles interrogations, tant sur un plan économique que du point de vue de sa mise en oeuvre pratique.
Des effets économiques incertains : les nombreux travaux, études et modélisations menés conduisent généralement à remettre en cause l'avantage comparatif attendu de la TVA sociale mais aussi et surtout à pointer un réel risque inflationniste.
L'instauration de la TVA sociale reviendrait à mettre en place une forme de dévaluation déguisée et, comme pour toutes les dévaluations, elle ne présenterait qu'un avantage à court terme , les problèmes de compétitivité de l'économie demeurant dès cette première période passée.
Celle-ci dépend en effet bien plus de la capacité à innover et à améliorer la productivité. De même, vis-à-vis des pays émergents, le décalage de compétitivité est tel que cette mesure ne pourrait changer que peu de choses par rapport à leur avantage actuel. Peut-on enfin être assuré d'un changement de comportement des consommateurs à l'égard des produits importés du seul fait qu'ils deviendraient plus onéreux ?
- un risque inflationniste avéré
L'effet inflationniste est d'abord certain pour les produits importés.
En outre, si les entreprises ne répercutent pas les baisses de charges dans leurs prix, surtout lorsqu'elles voudront profiter de cette opportunité pour reconstituer leurs marges, les prix TTC s'accroîtront.
Enfin, les effets de la TVA sociale seront limités en cas de hausse des salaires. Or, celle-ci pourrait apparaître rapidement, soit du fait de la baisse des charges et d'un transfert au moins en partie de celle-ci vers les salaires, soit en raison du surcroît d'inflation lié à la hausse du taux de TVA. Dans ce cas, le coût du travail ne se réduira pas et les effets en termes de baisse des prix et de hausse de l'emploi ne se produiront pas.
Il convient également de souligner qu'en France, très nombreux sont les revenus (Smic, salaires de la fonction publique, retraites, minima sociaux), prestations ou autres avantages qui sont indexés sur la hausse des prix, ce qui ne pourra, là encore, que contribuer à limiter l'impact positif sur l'emploi attendu de la TVA sociale.
- des expériences étrangères en nombre limité et peu probantes
Les expériences étrangères ne sont, à cet égard non plus, pas entièrement probantes. Le Japon a pratiqué des hausses de TVA en 1997 qui se sont révélées désastreuses. Au Danemark et en Allemagne, le bilan de l'instauration d'une TVA sociale doit être examiné au regard des caractéristiques propres de chacune de ces deux économies, assez différentes de la nôtre. En outre, les décisions sont intervenues à chaque fois dans un contexte conjoncturel particulier .
En Allemagne, notamment, l'instauration d'un point de TVA sociale s'est faite à un moment où les entreprises avaient reconstitué leurs marges et pouvaient sans trop de difficulté répercuter dans leurs prix la baisse des charges d'assurance chômage dont elles ont bénéficié.
- des obstacles pratiques majeurs
Le premier de ces obstacles tient au niveau de fraude à la TVA , déjà élevé en France, et incontestablement supérieur à celui qui touche les cotisations sociales. Par ailleurs, on observe actuellement un fort développement de ce phénomène de fraude sur tout le territoire de l'Union européenne.
La manière d'organiser le transfert de points de cotisations patronales vers des points de TVA pourrait également poser de réelles difficultés dans le cas des salariés pour lesquels les entreprises bénéficient d'exonérations de cotisations sociales.
Pour l'ensemble de ces raisons, la Mecss a déjà émis de fortes réserves sur l'instauration d'une TVA sociale 61 ( * ) .
- recourir à la CSG
La création de la CSG a permis à notre pays de disposer, à l'instar de ses partenaires européens, d' un outil de financement moderne et dynamique, avec une assiette large et un taux proportionnel, compensant les défauts de l'impôt sur le revenu, notamment son excessive personnalisation.
A l'origine, la CSG était essentiellement assise sur les revenus du travail et se substituait largement à des cotisations maladie. Par la suite, elle a été étendue aux revenus du capital.
L'objectif, lors de la création de la CSG en 1991, était en particulier de faire participer les retraités au financement de l'assurance maladie . Cette même logique a été poursuivie lorsqu'il a été procédé à l'élargissement de l'assiette de la CSG, à son affectation à d'autres objets et à l'institution de la CRDS.
La CSG conserve toujours un degré élevé d'efficacité. En effet, la concurrence fiscale très vive entre les pays de l'Union européenne exerce une pression à la baisse sur les coûts salariaux. Les Etats membres se trouvent dès lors incités à réduire les cotisations sociales et à recourir à la TVA ou à des recettes nouvelles, comme la CSG.
Une hausse de la CSG ne conduirait toutefois pas aux mêmes problèmes économiques que l'augmentation de la TVA . En effet, elle pèserait sur le revenu des ménages, mais n'aurait pas d'impact macro-économique sur les salaires. La problématique serait plus proche de celle que l'on analyse en matière d'impôt sur le revenu.
La CSG a en outre l'avantage d'être prélevée immédiatement à la source et de présenter une assiette touchant directement les principaux intéressés par les dépenses.
Dans le contexte de la réforme des retraites, on pourrait envisager un transfert de cotisations d'assurance maladie vers les régimes de retraite, en gageant ce transfert par une légère augmentation de la CSG au profit de la branche maladie , dont le caractère universel des dépenses pourrait justifier cet accroissement de la fiscalisation de ses ressources.
Une telle augmentation de la CSG ne pourrait toutefois se faire qu'à la condition de l'adoption d'un plan de financement des retraites à moyen terme complet, crédible et de nature à réellement rétablir l'équilibre des comptes, ainsi qu'à une action plus efficace de maîtrise des dépenses de la branche maladie.
* 59 Avis du conseil d'analyse économique sur le projet d'élargissement de l'assiette des cotisations sociales employeur - 27 juillet 2006.
* 60 Avis du conseil d'orientation pour l'emploi sur l'élargissement de l'assiette des cotisations de sécurité sociale - 20 juillet 2006.
* 61 Rapport d'information de la Mecss n° 66 (2007-2008), Protection sociale : trouver la ressource juste, promouvoir les bons usages.