D. LES MONTANTS CONSACRÉS AU LIVRE NUMÉRIQUE SONT TRÈS FAIBLES ET EN QUASI-TOTALITÉ ORIENTÉS VERS LA BIBLIOTHÈQUE NATIONALE DE FRANCE
La nécessité d'accroître les moyens consacrés au livre numérique a été soulignée par les rapports ayant abordé le sujet, comme le montre le tableau ci-après.
Les propositions relatives au renforcement des moyens consacrés au développement du numérique (2007-2009)
Rapport |
Proposition |
(1) Mission "Livre 2010" (juin 2007) |
Proposition 24 Favoriser la numérisation de contenus sous droits et la numérisation en région par une extension des aides du CNL |
(2) Mission d'audit de modernisation IGF/IGAAC (juillet 2007) |
Il convient d'impliquer l'ensemble des acteurs de la chaîne du livre dans le projet BNUE. Certes, la BnF, initiatrice du projet, doit assurer un rôle central, mais les moyens dévolus au projet BNUE sur le budget de l'actuel CNL -demain l'ANL- doivent permettre également de développer la numérisation des fonds en provenance des éditeurs privés, notamment pour les ouvrages sous droits si la concertation le permet, et d'associer au projet l'ensemble des réseaux de bibliothèques, en particulier universitaires et de lecture publique, en tant qu'institutions de ressources documentaires et de diffusion. |
(4) Rapport de Bruno Patino sur le livre numérique (2008) |
Poursuivre et élargir la politique de soutien aux livres numériques menée par le Centre National du Livre, dont le rôle est essentiel pour tester les réactions du marché, aider à la numérisation des fonds éditoriaux et proposer au public une offre élargie de livres numériques. |
Source : d'après les rapports concernés
Pourtant, alors que l'objectif politique affiché depuis 2007 est de consacrer plus de 15 millions d'euros par an au développement du numérique, les sommes effectivement consacrées à cette politique sont inférieures à 10 millions d'euros par an.
1. Un financement assuré par le CNL, grâce à l'extension en 2007 de l'assiette d'une taxe affectée
Le financement du numérique est assuré par le CNL.
On rappelle que le CNL est très majoritairement financé par deux taxes affectées, pour un montant de l'ordre de 35 millions d'euros par an (porté à environ 45 millions d'euros à compter de 2010) :
- une taxe sur le chiffre d'affaires des éditeurs (environ 10 millions d'euros) ;
- une taxe sur les appareils de reproduction ou d'impression, instituée, sous sa forme originelle, par l'article 22 de la loi de finances pour 1976 17 ( * ) et régie par les articles 1609 terdecies et suivants du code général des impôts (environ 25 millions d'euros, portés à 35 millions d'euros à partir de 2010).
Le produit de cette dernière taxe, initialement assise sur les seuls appareils de reproduction, a été à peu près doublé par la loi de finances rectificative de décembre 2006 avec son extension aux imprimantes, afin de permettre le financement des opérations de numérisation de la BnF.
La réforme de 2006 a structurellement accru le produit des taxes affectées au CNL de plus de 10 millions d'euros, comme l'indique le graphique ci-après.
Les taxes affectées au Centre national du livre
(en millions d'euros)
Source : Centre national du livre
Les taxes affectées au Centre national du livre Le régime des taxes affectées au Centre national du livre (CNL) est défini par les articles 1609 undecies et suivants du code général des impôts. L'article 1609 undecies prévoit que sont perçues deux taxes, affectées au CNL : une « taxe sur l'édition des ouvrages de librairie » et une « taxe sur les appareils de reproduction ou d'impression » : - la taxe sur l'édition des ouvrages de librairie, due par les éditeurs, repose sur les ventes de ces ouvrages, imposées à un taux de 0,2 % (article 1609 duodecies ) ; - la taxe sur les appareils de reproduction ou d'impression, due par les fabricants, repose sur les ventes d'appareils de reproduction ou d'impression, imposées à un taux de 2,25 %, porté à 3,25 % par l'article 52 de la loi n° 2009-1674 du 30 décembre 2009 de finances rectificative pour 2009 (article 1609 terdecies ). |
Le produit de la taxe sur les appareils de reproduction ou d'impression est en partie reversé à la BnF, pour le financement de son projet Gallica 2.
A l'initiative de la commission de la culture, de l'éducation et de la communication et de notre collègue Michel Thiollière, le taux de la taxe a été accru par l'article 52 de la loi n° 2009-1674 du 30 décembre 2009 de finances rectificative pour 2009, qui l'a porté de 2,25 % à 3,25 %. Selon les informations alors données en séance publique par notre collègue Catherine Dumas, qui défendait l'amendement, il s'agissait de porter le produit de la taxe de 22 millions d'euros à 32 millions d'euros. Cette disposition a été adoptée avec un avis favorable du Gouvernement, dont la commission des finances avait sollicité l'avis.
2. Des moyens qui ne sont pas à la hauteur des ambitions affichées
a) Les objectifs affichés : 10 millions d'euros par an pour la BnF et 5,5 millions d'euros par an pour les éditeurs
La contribution annuelle du CNL au financement de Gallica 2 est souvent présentée comme égale à environ 10 millions d'euros par an. Tel est le montant indiqué par M. Jean-Noël Jeanneney, ancien président de la BnF, dans une tribune récemment publiée dans le quotidien Le Figaro , dont il sera question ci-après 18 ( * ) , ainsi que par M. Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication, lors d'une récente audition par la commission des affaires culturelles et de l'éducation de l'Assemblée nationale 19 ( * ) .
A cela s'ajoute le fait que le CNL doit normalement attribuer 5,5 millions d'euros par an (soit 4 millions d'euros de plus qu'actuellement) en faveur du développement de l'offre numérique des éditeurs 20 ( * ) . Il s'agit d'une préconisation du rapport précité de la mission d'audit de modernisation IGF/IGAAC de juillet 2007 21 ( * ) , reprise par le plan livre de novembre 2007. Cet objectif a été récemment confirmé par M. Frédéric Mitterrand devant la commission des affaires culturelles et de l'éducation de l'Assemblée nationale 22 ( * ) .
b) Les financements actuels : moins de 10 millions d'euros par an au total, dont 1,5 million d'euros pour les éditeurs
Le montant effectif est cependant inférieur. Ainsi, selon les informations transmises par le ministère de la culture et de la communication, le CNL doit verser en 2009 8 millions d'euros à la BnF dans le cadre du projet BNUE (ou Europeana), qui comprend Gallica 2. De même, M Bruno Racine, président de la BnF, a déclaré lors de son audition par la commission de la culture, de l'éducation et de la communication, le 7 octobre 2009, que « l'ensemble des frais afférents [aux opérations de numérisation de la BnF], y compris le stockage, s'élèvent à 6 ou 7 millions d'euros par an, financés via le Centre national du livre (CNL) ».
Les opérateurs privés ne perçoivent quant à eux qu'environ 1,5 million d'euros par an.
Ainsi, selon le PAP 2010, depuis 2007 le CNL a « renforcé son soutien en priorité (...) au financement de la politique numérique notamment à la bibliothèque numérique Gallica 2, mise en oeuvre par la Bibliothèque nationale de France, et au secteur privé des éditeurs et distributeurs (en 2008, 7,3 millions d'euros, dont 1,47 million d'euros aux opérateurs privés ) ». Le rapport précité de MM. Patrick Zelnik, Jacques Toubon et Guillaume Cerutti retient, pour la même année 2008, des chiffres légèrement différents, mais du même ordre de grandeur : « les interventions du CNL ont représenté un montant de 35 millions d'euros en 2008, dont environ 7 millions d'euros consacrés à sa politique numérique. Sur ce montant, 5,8 millions ont été affectés à la bibliothèque nationale de France pour la numérisation des oeuvres patrimoniales et 1,3 millions aux éditeurs pour la numérisation des oeuvres sous droit ».
c) Avant l'emprunt national et la récente augmentation du taux de la taxe sur les appareils de reproduction ou d'impression, le ministère de la culture et de la communication jugeait que la poursuite du financement de la numérisation de la BnF n'était pas assurée
Avant l'emprunt national et l'augmentation du taux de la taxe sur les appareils de reproduction ou d'impression par la loi n° 2009-1674 du 30 décembre 2009 de finances rectificative pour 2009, qui en a accru le produit de 10 millions d'euros, le ministère de la culture et de la communication estimait que les moyens du CNL étaient inférieurs de 12 millions d'euros à ce qui lui serait nécessaire pour mener l'ensemble de ses missions (relatives ou non au numérique) 23 ( * ) , et indiquait explicitement que si les recettes du CNL n'étaient pas accrues, celui-ci cesserait de financer Gallica 24 ( * ) .
* 17 Loi n° 75-1278 du 30 décembre 1975.
* 18 « Je me souviens que j'avais obtenu, sur injonction de l'Élysée à la Rue de Valois, en 2006, le principe d'une enveloppe d'une dizaine de millions d'euros qui suffisait à assurer la présence généreuse de la France dans cette grande entreprise européenne [Europeana] » (Jean-Noël Jeanneney, « BnF et Google : l'insupportable tête-à-queue », Le Figaro, 26 août 2009).
* 19 Le ministre a en effet évoqué « l'enveloppe de dix millions d'euros que le Centre national du livre met à disposition de la Bibliothèque Nationale de France pour la numérisation de ses fonds patrimoniaux » (audition devant la commission des affaires culturelles et de l'éducation de l'Assemblée nationale, 7 octobre 2009).
* 20 Selon les informations transmises par le ministère de la culture et de la communication : « Dans le cadre du Plan livre présenté par la ministre de la culture et de la communication lors du conseil des ministres du 14 novembre 2007, le CNL est chargé (...) de renforcer, pour un montant de 4 millions d'euros supplémentaires, les aides à la numérisation des fonds des éditeurs privés, dans le but d'accompagner le passage de ce secteur à l'économie numérique, comme y appelle le rapport Patino. Ces moyens permettront d'amorcer le passage d'une numérisation industrielle de masse à une numérisation sélective et de qualité, cette dernière étant plus coûteuse car techniquement plus complexe. Ils permettront aussi de soutenir de manière significative, au-delà des aides à la numérisation, les projets de plateformes interprofessionnelles de diffusion numérique auxquels travaillent notamment le Cercle de la librairie (Electre) et le Syndicat national des libraires (portail de la librairie indépendante) ».
* 21 « Il convient d'impliquer l'ensemble des acteurs de la chaîne du livre dans le projet BNUE. Certes, la BnF, initiatrice du projet, doit assurer un rôle central, mais les moyens dévolus au projet BNUE sur le budget de l'actuel CNL -demain l'ANL- doivent permettre également de développer la numérisation des fonds en provenance des éditeurs privés, notamment pour les ouvrages sous droits si la concertation le permet, et d'associer au projet l'ensemble des réseaux de bibliothèques, en particulier universitaires et de lecture publique, en tant qu'institutions de ressources documentaires et de diffusion ».
* 22 « Je souhaite que le fonds d'aide du Centre national du livre, soit 1,5 million d'euros destinés à soutenir la numérisation et la diffusion numérique des éditeurs et e-distributeurs, soit abondé à hauteur de quatre millions d'euros, afin d'aider les professionnels à proposer une offre légale attractive » (audition devant la commission des affaires culturelles et de l'éducation de l'Assemblée nationale, 7 octobre 2009).
* 23 Selon les informations transmises par le ministère de la culture et de la communication, « au total, ce sont (...) plus de 12 millions d'euros de recettes supplémentaires qui sont nécessaires [au CNL] pour mener à bien ses missions renforcées : 3 à 5 millions d'euros pour atteindre les 30 millions d'euros nécessaires au maintien des missions actuelles du Centre ; 6 millions d'euros pour les nouvelles actions du Plan livre (dont 1,5 million d'euros pour les librairies, 4 millions d'euros pour la numérisation des fonds des éditeurs privés et le soutien des plateformes interprofessionnelles et 0,5 million d'euros pour les études) et 3 millions d'euros dans l'hypothèse où le CNL devrait assumer sur ses propres ressources le soutien aux organismes interprofessionnels ».
* 24 « Ne pas corriger l'insuffisance des recettes actuellement constatées par rapport aux prévisions aurait le double inconvénient d'alimenter la morosité des éditeurs et des libraires et d'imposer la fin du programme de soutien par le CNL du chantier de numérisation patrimoniale de la BnF au titre de Gallica ».