IV. AUDITIONS DU 3 MARS 2009
A. M. CHRISTIAN NOYER, GOUVERNEUR DE LA BANQUE DE FRANCE
M. Jean Arthuis, président , a rappelé que cette audition s'inscrit dans le cadre du suivi effectué par la commission sur la crise financière et la mise en oeuvre du dispositif de financement de l'économie française. Il a questionné M. Christian Noyer sur quatre sujets.
D'abord, quel devrait être, aujourd'hui, le rôle du Fonds monétaire international (FMI) ? Un élargissement des missions de cette institution est-il souhaitable, et ces missions doivent-elles se limiter au suivi et à la prévention des risques systémiques, ou intégrer une compétence de prescription ?
Ensuite, que penser des préconisations formulées, fin février 2009, par le groupe d'experts mandaté par la Commission européenne, et présidé par M. Jacques de Larosière, sur la supervision financière en Europe ? En particulier, la création de deux nouvelles instances a été envisagée : d'une part, pour la supervision « macroprudentielle », un conseil européen du risque systémique, qui serait placé sous l'égide de la Banque centrale européenne (BCE) ; d'autre part, au plan « microprudentiel », un système européen de supervision financière, qui résulterait de la transformation des actuels comités techniques dits « de niveau 3 » (pour les marchés, pour les banques, et pour les assureurs et institutions de prévoyance).
Par ailleurs, quelles suites donner aux propositions émises par M. Bruno Deletré dans son rapport sur l'organisation et le fonctionnement de la supervision des activités financières en France, remis en janvier 2009 à la ministre de l'économie, des finances et de l'emploi ? Ce rapport, notamment, tend à privilégier une fusion entre la commission bancaire et l'Autorité de contrôle des assurances et des mutuelles (ACAM), pour constituer un pôle prudentiel intégré de régulation au sein d'une autorité dotée d'un collège unique. L'Autorité des marchés financiers (AMF), quant à elle, serait consacrée comme pôle « déontologique », et verrait sa compétence élargie aux conditions de commercialisation de l'ensemble des produits financiers. Cette compétence devrait-elle comprendre la réglementation de la commercialisation du crédit à la consommation, voire du crédit en général ?
Enfin, alors que les banques centrales sont chargées de veiller à la stabilité des prix des biens et des services, serait-il opportun de leur confier une mission similaire visant le prix des actifs ?
M. Christian Noyer, Gouverneur de la Banque de France , a souligné que toutes ces questions sont précisément celles que les banques centrales et autres autorités de supervision se posent à l'heure actuelle.
En ce qui concerne le rôle du FMI, il a plaidé pour une répartition équilibrée des compétences avec le Forum de stabilité financière internationale (FSF), sous réserve que cette dernière instance parvienne à mieux représenter l'ensemble des économies, au-delà du seul G7 qu'elle reflète aujourd'hui. Le FSF permettrait d'apporter des solutions rapides et efficaces aux problèmes posés. En revanche, le FMI doit assumer, en propre, deux compétences : en premier lieu, la détection des risques systémiques existant dans les différentes économies du monde et, le cas échéant, la demande aux autorités compétentes d'y remédier par les mesures appropriées de régulation ; en second lieu, l'examen des politiques macro-économiques de chaque Etat, afin de repérer d'éventuels déséquilibres constitutifs de risques majeurs. Ce type d'examen, en l'état actuel des statuts du Fonds, n'est possible que sur la base du volontariat de chaque Etat. C'est ainsi, par exemple, que la France a fait procéder à l'examen de la stabilité de son système financier. M. Christian Noyer a préconisé de donner à cet examen un caractère systématique et obligatoire. Pour le reste, il a estimé qu'une recommandation « forte » du FMI s'apparente d'ores et déjà à une forme de prescription, eu égard à la pression politique qu'elle représente pour le pays destinataire.
S'agissant des propositions du groupe d'experts présidé par M. Jacques de Larosière, il s'est déclaré « très favorable » à la création des deux nouvelles entités envisagées. D'une part, un conseil européen du risque systémique pour la supervision « macroprudentielle » permettrait, selon lui, d'améliorer l'efficacité de la politique de stabilité financière au niveau européen et, concomitamment, de renforcer l'influence de l'Europe au plan international. Il a jugé pertinent un adossement de cette structure à la BCE. En effet, les banques centrales sont désormais couramment perçues comme devant jouer un rôle en matière de stabilité financière. Il a indiqué que le conseil des gouverneurs de la BCE a mené une réflexion sur ce thème ; il reste à la traduire au niveau institutionnel. Les statuts de la Banque de France pourraient d'ailleurs opportunément se trouver complétés, en ce sens, par le législateur.
D'autre part, sous l'aspect « microprudentiel », il a souscrit à la proposition d'un système européen de supervision financière. Cependant, il a estimé que la crise récente a mis en évidence des faiblesses dans la régulation, davantage que dans la supervision proprement dite.
M. Jean Arthuis, président , a fait observer que la notion de « fonds propres », au sein de l'Union européenne, est différemment entendue d'un Etat à l'autre. M. Christian Noyer , confirmant ce point, a indiqué que les critères mis en oeuvre aux Etats-Unis d'Amérique, en ce domaine, correspondent à une version « moyenne » des définitions retenues parmi les Etats européens. Il a précisé que la conception française était « plus rigoureuse » que cette moyenne. Mais seule une définition harmonisée des fonds propres autoriserait des comparaisons internationales véritablement pertinentes.
Puis il a relevé les quatre enjeux essentiels qui, d'après lui, s'attacheraient à la mise en place d'un système européen de supervision financière. Il s'agit de la médiation entre superviseurs, de la désignation d'un superviseur chef de file pour les groupes, de l'adoption de standards de supervision unifiés, et de la mise en oeuvre de pouvoirs de gestion des crises. Il a noté que la supervision exercée par la Réserve fédérale américaine, avec son architecture décentralisée, s'avérait relativement proche du modèle proposé par le groupe d'experts présidé par M. Jacques de Larosière.
Abordant ensuite les recommandations du rapport de M. Bruno Deletré, il s'est déclaré, de manière générale, « très ouvert ». Néanmoins, il lui apparaît comme une condition « sine qua non » que les réformes qui pourraient être introduites sur cette base ne conduisent pas à éloigner l'autorité de supervision de la banque centrale. En effet, il a souligné qu'actuellement, les équipes chargées de la supervision financière se trouvent fortement intégrées au sein de la Banque de France. Cette situation, dans la pratique, permet l'échange rapide d'informations ; par exemple, à l'été 2007, elle a rendu possible une anticipation de l'éclatement de la crise financière. Il a donc souhaité qu'on ne la remette pas en cause.
Quant à l'évolution des compétences de l'AMF, il a reconnu l'opportunité de regrouper les fonctions de réglementation et de surveillance en matière de protection des épargnants et des investisseurs. En revanche, il a douté de l'opportunité d'attribuer à l'AMF la totalité des compétences assurant la défense des consommateurs dans le domaine du crédit. En effet, les procédures de lutte contre le surendettement, aujourd'hui en partie confiées à la Banque de France, requièrent une implantation territoriale dont l'AMF, en l'état de son organisation, ne dispose pas.
Enfin, sur la possibilité pour les banques centrales de veiller à la stabilité du prix des actifs, il a indiqué que la difficulté réside dans la détermination ex ante d'un prix d'équilibre pour les actifs, et dans sa pondération, en l'absence d'indice équivalent à ceux relatifs aux biens et services. Fixer un objectif de stabilité des prix, pour les actifs, s'avère donc sensiblement plus délicat qu'en matière de biens et de services. Toutefois, dans l'hypothèse de la formation d'une « bulle » en ce domaine, il a précisé qu'il appartient aux banques centrales de prendre en compte la situation (comme le fait l'Eurosystème à travers son « pilier monétaire ») et de faire prendre, à l'égard des établissements de crédit notamment, des mesures prudentielles adaptées.
M. Jean Arthuis, président , a fait observer que de telles mesures, pour être efficaces en France, devraient être appliquées parallèlement dans l'ensemble des pays européens. A défaut, la délocalisation des établissements visés suffirait à les rendre vaines. Par ailleurs, il a suggéré que la Banque de France procède à la notation des établissements financiers, en fonction de la soutenabilité de leurs opérations.
Mme Nicole Bricq s'est interrogée sur le caractère réalisable de l'engagement souscrit par les établissements de crédit, dans le cadre du dispositif de financement de l'économie, d'augmenter leurs offres de crédit, en 2009, à hauteur de 4 % par rapport à 2008. Par ailleurs, elle a souhaité connaître les avantages et inconvénients que présenterait un partage des bilans bancaires entre « bonne banque » et « mauvaise banque » (« bad bank »), cette dernière catégorie concentrant les actifs réputés « toxiques ».
Sur le premier point, M. Christian Noyer a indiqué que si, entre janvier 2008 et janvier 2009, la progression du crédit a atteint un niveau satisfaisant (à hauteur de 7,9 % en moyenne pour l'ensemble du système bancaire), il en va différemment de l'évolution enregistrée entre décembre 2008 et janvier 2009, proche de zéro. A ce rythme, il existerait un risque que l'engagement d'une hausse de 4 % de l'offre de crédit ne soit pas tenu. Dans cette période caractérisée par l'incertitude, même si les établissements financiers ont adopté un comportement particulièrement prudent, la situation résulte cependant moins d'un déficit d'offre, de leur part, que d'une faiblesse de la demande des consommateurs. En outre, la prise en compte des risques par les établissements prêteurs, en les conduisant à augmenter le niveau de leurs provisions, a induit un renchérissement des crédits proposés, lequel peut contribuer à dissuader les emprunteurs potentiels. Néanmoins, la détente des conditions de crédit devrait améliorer la situation et permettre aux banques de tenir leur engagement.
Sur le second point, il a exposé que le partage des bilans bancaires devrait en théorie faciliter le refinancement de l'économie, en neutralisant les actifs dits « toxiques », qu'il a distingués des simples actifs manquant de liquidité. Toutefois, la mesure se heurte à la difficulté de valoriser ces actifs. En effet, la fixation d'un prix trop bas sanctionnerait les établissements financiers pour leurs erreurs de gestion mais, en devenant une référence comptable, risquerait d'entraîner un effet déstabilisant pour l'ensemble du système. A l'inverse, un prix trop élevé reviendrait indirectement à faire subventionner les établissements financiers par le contribuable. Au surplus, il a estimé que le recours au modèle de la « bad bank » n'apparaît pas nécessaire en France, y compris dans le cas du groupe Natixis.
M. Joël Bourdin a demandé s'il existe une définition précise du caractère « systémique » d'un risque économique ou financier. D'autre part, il a estimé que le FMI doit remplir son rôle de surveillance des économies avec une plus grande régularité, sans discrimination entre grands pays développés et pays émergents.
M. Christian Noyer a indiqué que la notion de risque « systémique » n'a guère d'autre définition que celle de risque « pour le système », apprécié selon l'ampleur du choc que causerait sa réalisation sur l'économie considérée dans sa globalité. Ainsi la faillite de la banque américaine Lehman Brothers, en septembre 2008, a-t-elle déclenché une crise financière globale à la suite d'un « choc de défiance ».
M. Jean Arthuis, président , a fait remarquer que la croissance excessive d'un établissement bancaire peut être envisagée comme un risque systémique. M. Christian Noyer a reconnu que le développement de la taille des établissements financiers constitue un enjeu important en termes de régulation. Il a rappelé que le droit européen l'encadre en conséquence.
Concernant le FMI, il a considéré que le rôle fondamental de l'institution, consistant à surveiller l'équilibre des balances des paiements et à inciter les Etats à corriger leurs déséquilibres économiques majeurs, a été exercé avec constance. Cependant, il a admis qu'un rééquilibrage dans la représentation des Etats membres pourrait modifier sa pratique dans le sens d'une plus grande indépendance de vue.
M. Serge Dassault s'est interrogé sur l'éventualité que la France, en raison du niveau de son endettement public et des prévisions de baisse des recettes fiscales, fasse l'objet de recommandations du FMI. Il a souhaité connaître l'état des analyses au sujet des modalités de sortie de la crise actuelle.
M. Christian Noyer a indiqué que, la balance française des paiements n'étant que très légèrement déficitaire, des recommandations du FMI ne sont pas à redouter. L'institution, à ce jour, a seulement préconisé des réformes structurelles qui, globalement, ont été mises en oeuvre. Quant aux anticipations de sortie de crise, il a indiqué que, compte tenu des mesures de l'ensemble des plans de relance nationaux, des politiques monétaires des derniers mois, et de la désinflation constatée, il est espéré une stabilisation au second semestre 2009, ou au plus tard dans le courant de l'année 2010, si les Etats-Unis, dans l'intervalle, sont parvenus à résorber leurs propres difficultés.
M. Jean-Pierre Fourcade a fait observer que le Royaume-Uni, n'appartenant pas à la zone euro, peut jouer des variations de la valeur de sa monnaie comme d'un instrument d'atténuation des effets de la crise. Par ailleurs, il s'est inquiété des écarts de taux constatés au sein de cette zone, entre les émissions de dette souveraine, d'un Etat à l'autre. Cette situation, à terme, ne comporte-t-elle pas des risques pour la stabilité de l'euro ? Enfin, remarquant que le déficit commercial de la France retient davantage l'attention des analystes que son déficit des paiements, il a souhaité savoir si la Banque de France, sur ce second aspect, disposait d'éléments de comparaison avec les autres pays européens.
M. Christian Noyer a tout d'abord précisé que le Royaume-Uni, à l'instar des Etats-Unis, se contente de laisser le marché fixer le taux de change de sa monnaie. S'agissant du déficit des paiements, il a indiqué que les enjeux de refinancement de l'économie se situent au niveau européen, et non national. Le cas français, en ce domaine, ne soulève pas de problème particulier. Enfin, il a estimé que l'hypothèse de l'effondrement d'une économie nationale au sein de la zone euro n'est pas un scénario envisageable ; au besoin, il appartiendrait aux autorités européennes de prendre les mesures de soutien requises par la situation critique d'un pays.