B. M. RENÉ CARRON, PRÉSIDENT, ET M. JACQUES LENORMAND, DIRECTEUR GÉNÉRAL DÉLÉGUÉ DE CRÉDIT AGRICOLE SA
M. Jean Arthuis, président , a rappelé que la loi n° 2008-1061 du 16 octobre 2008 de finances rectificative pour le financement de l'économie a instauré une société de prise de participation de l'Etat (SPPE) et une société de financement de l'économie française (SFEF), susceptibles de bénéficier de la garantie de l'Etat pour un montant de, respectivement, 40 milliards d'euros et 320 milliards d'euros. Le Crédit agricole a su faire face à son besoin de recapitalisation, et a, semble-t-il, surmonté les difficultés connues aux Etats-Unis par sa filiale Calyon. Quelle analyse le Crédit agricole fait-il de la crise actuelle ? Pourquoi a-t-il contribué à la première tranche de titres super-subordonnés souscrits par la SPPE, et ne prévoit-il pas de contribuer à la deuxième ? Prévoit-il de sortir rapidement du dispositif ? Le plan de financement de l'activité française améliore-t-il effectivement le financement de l'économie ? Le problème concerne-t-il actuellement surtout l'offre ou plutôt la demande de crédit ?
En réponse, M. René Carron, président de Crédit agricole SA , a estimé que la crise est très profonde, et provient de l'insuffisance de la régulation, en particulier aux Etats-Unis. Le groupe Crédit agricole a été transparent sur la manière dont il a été touché par la crise et, en juin 2008, a augmenté son capital de 5,9 milliards d'euros. En effet, s'il n'avait pas besoin de réaliser une telle augmentation, il a considéré que celle-ci deviendrait plus difficile par la suite. A l'automne 2008 a été engagée une vaste réorganisation. Le groupe dispose aujourd'hui de 64 milliards d'euros de capitaux propres, et son ratio Tier-1 s'établit à 8,5 %. Il est présent dans 70 pays, et, avec le Crédit Lyonnais, représente 29 % de la banque de détail en France. Le plan de financement de l'économie française a permis d'améliorer la fluidité du marché interbancaire et d'accroître la capitalisation des banques. En ce qui concerne les garanties que l'Etat peut accorder à la SFEF, alors que le plafond est de 320 milliards d'euros, seulement 16 milliards d'euros de garanties ont été attribués pour des prêts aux banques.
M. Jean Arthuis, président , a demandé à M. René Carron si, selon lui, ce montant de 16 milliards d'euros sera dépassé.
M. René Carron a considéré que l'enveloppe ne sera pas totalement utilisée. Cependant, il n'est pas en mesure d'affirmer si le montant total des garanties accordées par l'Etat sera de l'ordre de 25, 30 ou 40 milliards d'euros. Le Crédit agricole a contribué à titre de précaution à l'émission des 10,5 milliards d'euros de la première tranche de titres super-subordonnés souscrits par la SPPE, mais n'a pas besoin de contribuer aux émissions de la deuxième tranche, sa capitalisation étant forte, en particulier grâce aux caisses régionales.
M. Jean Arthuis, président , a demandé quelle a été la part des caisses régionales dans l'augmentation de capital réalisée en juin 2008.
M. René Carron a indiqué qu'elle a été de 57 %. Le groupe Crédit agricole et les caisses régionales distribuent, respectivement, 17 % et 14 % de leurs résultats. En 2008, l'encours de crédits du groupe Crédit agricole a augmenté d'environ 7 %, ce qui ne doit pas masquer une baisse à la fin de 2008 et au début de 2009. Au 15 janvier 2009, les dossiers de clients du Crédit agricole adressés au médiateur du crédit étaient au nombre de 843, sur un total d'un million de dossiers par an pour les PME et les TPE.
M. Jean Arthuis, président , s'est interrogé sur le montant des pertes américaines de la banque de financement et d'investissement Calyon.
M. René Carron a estimé ces pertes à 6 milliards d'euros.
M. François Marc a souhaité savoir si les fluctuations des valeurs boursières du secteur bancaire résultent désormais essentiellement de la manière dont les marchés perçoivent le soutien que lui accordent les pouvoirs publics. Par ailleurs, le Crédit agricole, qui ne distribue que 17 % de ses bénéfices, doit-il se rapprocher de la « règle des trois tiers » évoquée par le Président de la République et M. Serge Dassault, selon laquelle les bénéfices des entreprises doivent se diviser à parts égales entre les salariés, les actionnaires et les investissements ? Quelle est la stratégie du Crédit agricole face aux débiteurs en difficulté ?
En réponse à cette dernière question, M. Jacques Lenormand , directeur général délégué de Crédit agricole SA, a indiqué que l'on n'observe pas, à ce stade, d'augmentation significative des créances sensibles, douteuses ou litigieuses.
M. René Carron , président de Crédit agricole SA, a estimé que, du fait des problèmes financiers multiples apparus aux Etats-Unis, la Bourse est devenue « folle », ce qui perdurera selon lui tant que les autorités américaines n'auront pas clarifié la manière dont elles entendent se débarrasser des créances douteuses. Du fait de son statut mutualiste, le Crédit agricole n'a pas vocation à suivre la « règle des trois tiers ». Les caisses régionales sont souvent le « premier acteur de la cité » après les collectivités territoriales, comme le montre leur implication dans le sport, le théâtre ou la musique.
M. Aymeri de Montesquiou a demandé des précisions sur les modalités de cette implication.
M. René Carron a indiqué qu'il s'agit essentiellement d'actions de mécénat. Le Crédit agricole est ainsi le deuxième mécène du Louvre, et le premier du musée Guimet.
M. Jean Arthuis, président , a considéré que le Crédit agricole a été protégé des excès de l' « hyper-financiarisation » par son statut mutualiste et que ses difficultés se résument à celles rencontrées par Calyon aux Etats-Unis.
M. René Carron a considéré que les pertes américaines du Crédit agricole proviennent non d'erreurs qui auraient été commises, mais des insuffisances de la régulation, qui l'ont empêché de disposer d'informations fiables. Personne ne prévoyait, il y a un an, que Lehman Brothers ferait faillite. Par ailleurs, dès lors que l'on décide de faire de la banque d'investissement, il est inévitable de payer les traders conformément aux usages de la profession.
M. Jean Arthuis, président , a estimé que les pertes américaines du Crédit agricole s'expliquent aussi par un manque de vigilance de sa part.
M. Jean-Jacques Jégou s'est interrogé sur la signification de certaines notations « triple A ».
M. Pierre Bernard-Reymond a souhaité connaître l'analyse de M. René Carron sur la crise actuelle.
En réponse, M. René Carron a considéré que la crise financière trouve son origine dans le fait que les Etats-Unis ont recouru à la titrisation pour contourner les règles prudentielles. Il s'agit donc non de refonder le capitalisme, mais seulement de préciser les règles et de veiller à ce qu'elles soient effectivement appliquées. Par ailleurs, l'importance croissante d'un « savoir parcellisé », notamment avec le développement des mathématiques financières, a fait perdre de vue les questions fondamentales : à quoi sert une banque ? Est-il possible d'avoir durablement un retour sur investissement de 20 % alors que le produit intérieur brut augmente de 2 % ? Quelle est l'utilité pour les Etats de faire des efforts importants de réglementation, si la principale économie mondiale, les Etats-Unis, n'en fait pas ? Ne faut-il pas davantage « récompenser » les clients et les actionnaires fidèles ?
Mme Nicole Bricq a souhaité savoir si le rapprochement des activités de gestion d'actifs de la Caisse d'épargne et de la Société générale est une conséquence de la crise. Par ailleurs, comment prévoit-on de mettre en oeuvre les préconisations faites par M. Georges Pauget, président de la Fédération des banques françaises, dans son rapport sur la rémunération des opérateurs de marché, remis le 11 février 2009 à Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi ? Le Crédit agricole respectera-t-il son engagement d'accroître son encours de crédit ?
En réponse, M. René Carron a indiqué que si le rapprochement en cours des activités de gestion d'actifs de la Caisse d'épargne et de la Société générale ne résulte pas de la crise, celle-ci l'a accéléré. Ce rapprochement concernerait non seulement les clients des réseaux du Crédit agricole et de la Société Générale, mais aussi ceux de LCL (ex-Crédit Lyonnais) et du Crédit du Nord. Dans les prochains mois, les rapprochements entre banques seront plus fréquents que les prises de contrôle de banques entre elles, du fait des incertitudes qui subsistent en matière de bilans. En ce qui concerne les engagements pris au sujet de l'augmentation de l'encours de crédits, le Crédit agricole fera tout pour les satisfaire, même s'il ne s'agit pas de commettre les mêmes erreurs qu'aux Etats-Unis, en prêtant à des clients non solvables.
M. Jacques Lenormand , directeur général délégué de Crédit agricole SA, a indiqué que le Crédit Agricole prévoit de réduire globalement les bonus d'un montant compris entre 30 % et 50 %. En réponse à une question de M. Jean Arthuis, président , il a précisé qu'il n'est pas envisagé de supprimer totalement les bonus. Ceux-ci rémunèrent non seulement les traders, mais aussi, en particulier, les courtiers, qui ne spéculent pas. Le Crédit agricole prévoit de continuer de distribuer des bonus, mais aussi de les « lisser » sur une période de trois ans, la troisième année voyant le versement d'un solde déterminé en fonction de la pérennité des performances observées.
M. René Carron , président de Crédit agricole SA, a estimé que le Crédit agricole a été relativement protégé, par son statut mutualiste, des excès constatés dans le secteur financier en matière de rémunération. Depuis 2006 le Crédit agricole n'a pas eu de plan de stock-options. M. René Carron n'a jamais bénéficié de bonus, de stock-options ou d'intéressement aux bénéfices.
M. Philippe Adnot s'est interrogé sur la réalité de cette protection dans le cas de la banque Calyon.
En réponse, M. René Carron a une nouvelle fois déclaré que dès lors que l'on a décidé de faire de la banque d'investissement, il est nécessaire de rémunérer les traders conformément aux usages de la profession.
M. Joël Bourdin a demandé à M. René Carron s'il est, comme lui, favorable à la mise en place d'un « fichier positif » recensant l'ensemble des encours des crédits aux particuliers.
M. René Carron lui a indiqué que, jusqu'à présent, le monde associatif ne souhaite pas la mise en place d'un tel « fichier positif », et que, selon ses informations, les expériences étrangères ne sont pas concluantes.
M. Aymeri de Montesquiou s'est interrogé sur le paradoxe selon lequel les Français ont réduit leurs dépenses dans l'immobilier et l'automobile, alors que celles-ci sont restées soutenues pour les achats de Noël ou les sports d'hiver.
En réponse, M. René Carron a indiqué ne pas voir de contradiction entre ces différents phénomènes, le dynamisme de certains types de dépenses devant cependant rapidement s'essouffler. Le retournement observé dans l'immobilier est consécutif à la forte augmentation des prix suscitée par la croissance de l'endettement : désormais, les ménages attendent que les prix et les taux d'intérêt diminuent. Dans le cas de l'automobile, le problème est plus structurel, les personnes de moins de 35 ans considérant moins qu'auparavant la voiture comme un moyen de reconnaissance sociale.
M. Albéric de Montgolfier s'est demandé s'il faut davantage rémunérer les agents du « back office », afin de revaloriser leurs fonctions et d'améliorer le contrôle du « front office ». Par ailleurs, risque-t-on une deuxième crise financière, se diffusant à partir du crédit à la consommation aux Etats-Unis, et dans ce cas, les banques françaises sont-elles exposées ?
En réponse à la seconde question, M. René Carron a considéré qu'il s'agit effectivement d'un risque. Les banques françaises seraient peu concernées de manière directe. Cependant, l'impact serait important sur l'activité économique des Etats-Unis, et donc sur celle de la zone euro. Si le Crédit agricole n'avait pas été directement touché par la crise des subprimes, le cours de ses actions serait de 13 euros au lieu de 8,5 euros, ce qui représente un écart modeste, si l'on prend en compte le fait qu'avant la crise, ce cours était de l'ordre de 30 euros.
M. Jacques Lenormand a estimé que les limites du contrôle du « front office » proviennent non d'une rémunération trop faible des agents du « back office », mais de la séparation insuffisante entre « back office » et « front office ».
M. Jean Arthuis, président , a estimé que les banques qui ont réalisé des acquisitions par emprunt, ou LBO (« leveraged buy-out »), doivent désormais accepter d'alléger les contraintes financières imposées aux entreprises concernées. Il s'est interrogé sur ce qu'il est possible de faire contre les « Etats non coopératifs » en matière bancaire.
M. René Carron a indiqué que le Crédit agricole veille d'ores et déjà à ne pas imposer de contraintes financières excessives aux entreprises concernées par un LBO. M. Jacques Lenormand a précisé que les clients du Crédit Agricole en Suisse et au Luxembourg sont majoritairement étrangers, et proviennent en particulier de l'Asie, du Golfe persique et des Etats-Unis.
En conclusion, M. René Carron a indiqué que la communauté financière française a très mal vécu les critiques faites aux banques. Le système bancaire français est l'un de ceux qui ont le mieux résisté. Il faut que chacun contribue à préserver la confiance.
M. Jean Arthuis, président , a estimé que « la confiance doit être au service de la relance ».