4. Dérivés de gré à gré : ne pas renoncer à une approche européenne de la compensation et de l'information
a) Des engagements internationaux précis mais des risques réels de déséquilibre
Le G 20 a pris des engagements très clairs sur les produits dérivés OTC lors du sommet de Pittsburgh :
- dès lors que les contrats sont standardisés, les produits correspondants devront être échangés sur un marché réglementé ou une MTF (plate-forme électronique) et passer par une chambre de compensation ;
- les autres produits dérivés de gré à gré devront être soumis à des exigences en capital plus élevées ;
- le CSF jouera un rôle central dans le suivi de ces mesures, la prévention des abus de marché (manipulations de cours et délits d'initié) et le cantonnement du risque systémique.
Déclaration des dirigeants lors du sommet du
G 20 de Pittsburgh
« Tous les contrats de produits dérivés de gré à gré normalisés devront être échangés sur des plates-formes d'échanges ou via des plates-formes de négociation électronique et compensés par des contreparties centrales d'ici la fin 2012 au plus tard . Les contrats de produits dérivés de gré à gré doivent faire l'objet d'une notification aux organismes appropriés (« trade depositories »). « Les contrats n'ayant pas fait l'objet de compensation centrale devront être soumis à des exigences en capital plus élevées . Nous demandons au CSF et à ses membres d'évaluer régulièrement la mise en oeuvre de ces mesures et déterminer si elles sont suffisantes pour améliorer la transparence sur les marchés de produits dérivés, atténuer les risques systémiques et assurer une protection contre les abus des marchés. » |
Le groupe de travail approuve cette démarche , notamment le principe d'une augmentation des normes de fonds propres pour les dérivés non standardisés, mais réitère ses inquiétudes sur la constitution progressive d'un monopole américain sur tous les maillons de la chaîne de traitement de ces produits (cf. supra ), avec la « complicité » passive des banques d'Europe continentale 123 ( * ) .
Il craint également que le « consensus transatlantique » sur la réglementation, mis en exergue par M. Charlie McCreevy et qui se renforce depuis l'été 2009, n'aboutisse finalement, comme sur d'autres sujets (les normes comptables en particulier), à un simple alignement sur des règles et standards conçus par les autorités de marché américaines et une organisation professionnelle privée, dominée par les intervenants anglo-saxons (l'ISDA en l'espèce).
Certes, le marché des dérivés OTC est mondial, le renouveau de la coopération entre autorités en témoigne et il ne s'agit pas de constituer des lignes de fracture artificielles ni d'ériger l'Europe en « forteresse réglementaire ». Pour autant, une approche réellement « transatlantique » suppose aussi un équilibre entre les intérêts des deux parties , et donc que ce marché ne soit pas in fine dominé par les seules banques d'investissement américaines.
En outre, le groupe de travail est conscient que la standardisation intégrale des dérivés de gré à gré serait sans doute un objectif irréaliste , car leur utilisation à des fins de couverture peut justifier une approche « sur mesure » et donc bilatérale et contractuelle. La standardisation généralisée peut aussi indirectement conduire à favoriser la spéculation.
b) Les propositions du groupe de travail
Considérant les nombreux enjeux du marché des dérivés de gré à gré, le groupe de travail défend les principes suivants :
- standardiser les contrats de dérivés OTC autant que cela est possible , selon des modalités communes aux Etats-Unis et à l'Europe (ce qui n'est actuellement le cas ni pour l'échelle des coupons fixes ni pour le traitement des restructurations de dette). La procédure de confirmation électronique et rapide des ordres doit également être généralisée afin de renforcer la fiabilité et la sécurité juridique des ordres, qui sont fréquemment passés oralement (et enregistrés) compte tenu de l'exigence de réactivité ;
- ne pas se focaliser sur les seuls CDS , mais étendre le triptyque « standardisation-compensation-information » aux autres catégories de dérivés de gré à gré, tels que les dérivés sur taux et devises qui représentent des montants notionnels largement supérieurs ;
- promouvoir la création d'une chambre de compensation pour la zone euro , localisée dans la zone euro et assurant un traitement via le système Target II 124 ( * ) de la BCE. Compte tenu du retard pris sur les acteurs américains et du risque que les parts de marché déjà acquises ne deviennent durablement captives, une telle chambre devrait être constituée à brève échéance, soit par création d'une structure ex nihilo , soit - de préférence - par regroupement ou partenariat entre acteurs existants, tels LCH.Clearnet et Eurex ;
- mettre en place, sous l'égide du CSF ou de l'OICV, des standards mondiaux de gouvernance des chambres de compensation , qui traduisent leur rôle de quasi « service public financier » et reflètent la diversité sectorielle ou géographique de l'ensemble des participants ;
- constituer une base de données européenne sur les dérivés standardisés , qui serait une alternative à la Trade Information Warehouse de la DTCC (cf. supra ). A défaut, il est impératif que le CSF ou l'OICV défende et fasse respecter un principe d'accès libre et non-discriminatoire à l'information , en tant que bien public participant de la stabilité financière ;
- garantir que la directive « Abus de marché » du 28 janvier 2003 125 ( * ) et la directive du 29 avril 2004 126 ( * ) permettront bien de couvrir tous les produits dérivés négociés sur un marché réglementé ou organisé, en particulier les CDS et les dérivés corrélés aux titres d'un émetteur coté , et non pas uniquement ceux dont le sous-jacent est une action cotée. Il existe en effet une forte incertitude sur le champ de la directive « Abus de marché » 127 ( * ) , alors que selon plusieurs analyses, les CDS ont vraisemblablement été utilisés durant la crise pour des manipulations de cours ou délits d'initié de grande ampleur. S'il se révèle difficile de corriger une interprétation restrictive, la directive devra être rapidement amendée pour que son champ soit le plus extensif possible ;
- il est enfin temps que la Commission européenne propose une directive sur les infrastructures de post-marché , perspective qu'elle avait écartée au cours des dernières années au profit d'une autorégulation des acteurs par des codes de bonne conduite, avec un succès mitigé 128 ( * ) . Une meilleure harmonisation du régime des dépositaires , en particulier la clarification des responsabilités de surveillance et de restitution des fonds, permettrait d'assurer une plus grande protection des clients. L'harmonisation de la compensation et du règlement-livraison faciliterait quant à elle l'interopérabilité entre structures et une réduction des coûts globaux de transaction pour les utilisateurs des bourses.
Le groupe de travail estime qu'il est également nécessaire d'approfondir la réflexion européenne et internationale concernant les produits dérivés sur l'énergie et les matières premières (« commodities »), avant d'envisager une réglementation harmonisée qui permette de limiter les effets déstabilisants de la spéculation et d'encourager les pratiques de couverture de risque. La vigilance est en particulier de mise sur les futures contractés dans une optique spéculative par les agents dits « commerciaux », qui n'ont pas d'intérêt sur le sous-jacent et privilégient un dénouement en numéraire. A cet égard, l'AMF pourrait renforcer son dialogue avec la CFTC, l'autorité américaine qui supervise ce type de produits.
De même, il est indispensable de clarifier la nature juridique des quotas de CO 2 et de mettre en place un véritable cadre européen de régulation de ces instruments. L'importance croissante de ce marché dans les relations économiques crée en effet de nouvelles opportunités d'abus et requiert d'emblée une approche harmonisée.
* 123 Nombre d'établissements européens, et en particulier français, recourent en effet aux contreparties centralisées américaines pour compenser des dérivés de crédit en euros ou dont le sous-jacent est domicilié dans la zone euro.
* 124 Plate-forme unique de règlement-livraison interbancaire des titres et paiements en euros.
* 125 Directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2003 sur les opérations d'initiés et les manipulations de marché, dite directive « Abus de marché ».
* 126 Directive 2004/72/CE de la Commission du 29 avril 2004 portant modalités d'application de la directive 2003/6/CE du Parlement européen et du Conseil en ce qui concerne les pratiques de marché admises, la définition de l'information privilégiée pour les instruments dérivés sur produits de base, l'établissement de listes d'initiés, la déclaration des opérations effectuées par les personnes exerçant des responsabilités dirigeantes et la notification des opérations suspectes.
* 127 Celle-ci vise les « instruments financiers », parmi lesquels les produits dérivés dont elle établit une liste : contrats à terme, options, futures , instruments dérivés sur produits de base, swaps sur taux d'intérêt, devises et actions, mais pas sur le risque de défaut (soit les CDS).
* 128 Notamment sur la comparabilité des services et des prix ou sur la séparation comptable des activités d'infrastructures des dépositaires centraux et des activités concurrentielles.