F. LES SUJETS DE DÉBAT

1. La préférence des Etats pour un moteur européen : un impact à relativiser

Selon les informations communiquées aux rapporteurs, il semble bien que le choix de faire réaliser le moteur par un consortium européen, plutôt que de privilégier le motoriste nord-américain Pratt & Whitney, a été le résultat d'un souhait exprimé par les Etats dans un objectif de souveraineté.

Les rapporteurs savent que l'industriel a demandé à ce moment de sortir le moteur du contrat unique et de le classer dans la catégorie dite des équipements fournis par les gouvernements (GFE : governement furnished equipment). Cela a été refusé par les gouvernements, car contraire à l'approche commerciale instituant, face aux Etats, un industriel unique responsable.

Ce point, souvent mis en avant par l'industriel, doit cependant être relativisé.

Tout d'abord, les Etats, s'ils ont effectivement exprimé le souhait que le moteur soit européen, étaient fondés à le faire. En tout état de cause, il y a eu faute de l'industriel d'accepter ce souhait sans demander des contreparties en termes de calendrier, de prix et de maîtrise d'oeuvre du programme. Est-ce que cela a été demandé ? Est-ce que cela a été refusé ? Sur ce point, les rapporteurs n'ont aucune preuve.

Ensuite, l'industriel n'a pas fait la démonstration de façon convaincante que le moteur était sur le chemin critique 15 ( * ) de l'avion. Il est en effet probable, comme on l'a vu ci-avant, que même en l'absence de retard sur le système propulsif et à spécifications inchangées l'avion aurait du retard.

Enfin, le retard du FADEC n'est que la conséquence indirecte du choix d'un consortium de motoristes européens. Les difficultés ont résulté non de ce choix, mais du cumul entre un contrôle insuffisant du consortium par EADS, une absence de leadership au sein du consortium, et la défaillance d'un des membres de celui-ci.

2. L'exigence d'une certification civile : une contrainte lourde, mais utile

L'exigence de certification civile - qui ne s'applique que dans les situations où l'avion se comporte comme un avion civil - est une contrainte lourde, puisqu'elle entraîne :

- les problèmes de certification du FADEC ;

- des risques de retard d'autres éléments de l'avionique ;

- une partie de l'augmentation de la masse à vide de l'appareil (contraintes liées en particulier à la résistance en cas de crash et au type de sièges de soute), qui pourrait à son tour poser des difficultés pour la certification civile.

On rappelle que l'EASA ( European Aviation Safety Agency - Agence européenne de sécurité aérienne) est l'instance légale définissant les règlements européens pour la certification civile des avions, des moteurs et des hélices. Le processus de qualification militaire demande de répondre aux exigences militaires spécifiques au client militaire.

La certification civile a pour objet de permettre à un aéronef d'emprunter sans dérogation les couloirs aériens civils (actuellement, les C160 Transall empruntent ces couloirs, mais avec des dérogations, qui dans quelques décennies pourraient être plus difficiles à obtenir). L'exigence de certification civile de l'A400M ne concerne pas ses fonctions purement militaires. Dans le cas des logiciels, dont la certification est, en ce qui concerne l'A400M, souvent problématique, la certification civile implique de fournir une documentation relative aux modalités d'élaboration du logiciel, qui doit être intégralement « traçable ».

Deux thèses s'affrontent au sujet de la certification civile de l'A400M.

a) Selon les industriels : une contrainte excessive

Selon les industriels, cette exigence de certification civile correspondrait à une contrainte excessive.

Selon EADS, il s'agit d'une première pour un avion de transport militaire. Ainsi, même si l'on exclut les avions ukrainiens Antonov An-70 et Antonov An-124, aucun des principaux avions de transport militaire ne fait l'objet d'une certification civile. En particulier, tel n'est pas le cas du C160 Transall, du Boeing C-17 Globemaster III, du Lockheed C-141 Starlifter, du Lockheed C-5 Galaxy. La seule exception est le Lockheed C130 J Hercules, concurrent direct de l'A400M pour le transport tactique, mais qui n'est pas intégralement certifié civil : c'est un simple complément de certification civile, attribué par la FAA ( Federal Aviation Administration ), qui vient s'ajouter à la qualification militaire.

Dans le cas du système propulsif, dont on a vu que le retard provient des difficultés à constituer la documentation nécessaire à la certification du FADEC, Safran considère que sur un programme militaire classique, la réalisation d'une telle documentation ne serait pas nécessairement un point bloquant pour le premier vol de l'avion.

EADS estime par ailleurs que l'exigence d'une certification civile est l'une des causes des possibles retards de divers systèmes, comme le système de gestion des missions militaires (M-MMS), le système de localisation de l'avion par GPS (GADIRS) ou le système de contrôle de la soute (LMC). Un interlocuteur des rapporteurs a indiqué que, dans le cas du GADIRS, la certification civile était par nature impossible, le GPS militaire étant crypté par les Etats-Unis, ce qui empêcherait de satisfaire à l'exigence de traçabilité.

* 15 Le chemin critique est une succession de tâches telles que tout retard sur l'une d'entre elles compromet le délai final du projet.

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