2. Abandonner la culture de la fraude et du « passager clandestin »
C'est donc bien un changement culturel qui doit aussi s'opérer . Le monde de la pêche est marqué par ce qui est habituellement appelé « la course au poisson ».
Cela signifie que le poisson étant res nullius , il appartient - comme le gibier - au premier qui le capture. Toute la culture de la pêche est fondée sur ce principe : savoir trouver le poisson et être le premier à le capturer. Ce savoir jalousement gardé fait la réputation de tel ou tel patron pêcheur et la bonne fortune de ses marins payés à la part de pêche, leurs revenus dépendant très largement du succès des prises.
Cette culture s'accommodait bien d'un horizon sans limite même si, comme votre rapporteur l'a rappelé, elle a déjà pu entraîner par le passé des excès et des crises de ressource.
Dans le cadre de la politique commune des pêches ou même au niveau mondial, cette culture s'est peu modifiée voire amplifiée.
D'une part, la gestion des eaux européennes a été communautarisée et les droits historiques de pêche dans les eaux d'autres pays sont devenus des droits établis. Conforme à une bonne gestion, cette règle de fonctionnement a malheureusement diminué la conscience d'une responsabilité vis-à-vis de la ressource. Dans la bouche des pêcheurs, les abus (surpêche, engins non réglementaires, prises sous taille, rejets excessifs...) sont le plus souvent le fait de bateaux étrangers qui « ramassent tout » et n'ont pas le souci de l'avenir de notre littoral. La définition des droits et de la réglementation paraît se faire à un niveau sur lequel le pêcheur n'a aucune prise. Cette réglementation lui semble souvent injuste, incohérente ou incompréhensible. Elle est souvent fluctuante l'incitant à acheter un bateau mais lui « interdisant de travailler » et donc l'étranglant financièrement alors que d'autres sont laissés libres de « ratisser » les fonds. Le pêcheur cherche donc à en tirer le meilleur parti en mettant en premier son propre intérêt à court terme.
D'autre part, le système de quota national, même s'il fait ensuite l'objet d'une répartition entre organisations de producteurs et entre professionnels, semble accroître le phénomène de course au poisson. En forçant le trait, l'intérêt de chaque pêcheur serait de s'approprier le plus vite possible la plus grande partie du quota. Tous les interlocuteurs rencontrés dans le monde de la pêche ont regretté qu'il ne soit pas possible de gérer librement son quota en fonction de la réalité de la pêche et du marché pour en assurer une optimisation économique. Mais comment attendre le moment favorable si tout le quota a déjà été pêché par les autres ?
Ainsi, dans le système tel qu'il a existé jusqu'à récemment, il n'y a guère de cadre culturel ni d'incitation réglementaire à développer une pratique durable. Au contraire, beaucoup d'éléments conduisaient à faire porter par autrui - les autres pêcheurs, les autres pays - les efforts de gestion en tentant d'en profiter en retour. C'est ce qu'on appelle, en analyse économique, un comportement de « passager clandestin ».
Cette disposition d'esprit est aggravée par le fait que dans plusieurs pays d'Europe, mais c'est également vrai au niveau mondial, il est toujours estimé que le secteur de la pêche n'a pas besoin d'être soumis à un contrôle important. De nombreux motifs sont invoqués, le poids économique et la dimension sociale et politique du secteur étant placés en contrepoint de ressources halieutiques présumées inépuisables ou pas dans le court terme et de la protection des pêcheurs nationaux contre les pêcheurs étrangers présumés fraudeurs et pirates. Ainsi, fort de la conviction qu'exercer un contrôle trop étroit sur la pêche ne fait que désavantager ses propres pêcheurs locaux ou nationaux au profit des autres, s'est développée une culture de fraude soit au niveau local vis-à-vis du niveau national, soit au niveau national vis-à-vis des instances européennes, régionales ou mondiales.
On peut en citer de nombreux exemples comme les faits de laisser pêcher tous les poissons qui sortent d'une zone économique exclusive nationale et qui se dirigent vers celle d'une autre pays, de fermer les yeux sur des sous déclarations de capture jusqu'à plus de 50 % du quota national, de ne pas sanctionner des armateurs pratiquant la pêche pirate dans les ZEE de pays amis, de croire à la réduction de capacité de pêche nationale alors que les navires n'ont fait que changer de pavillon... La liste de ces tolérances, laisser-faire et laisser-aller pourrait s'allonger encore mais illustre suffisamment, la reprise en main nécessaire d'un secteur et le sérieux indispensable dans la gestion d'une ressource qui n'est pas sans fin.
Cette évolution n'est pas impossible, la plupart des pêcheurs y sont prêts mais ils se sentent pris dans un système et demandent à juste titre une pratique plus cohérente de la réglementation et que les règles nationales, européennes et internationales s'appliquent à tous de la même façon.