2. Réduire l'impact sur les milieux naturels
La réduction de l'impact sur les milieux naturels où sont implantées les cages d'aquaculture est un second défi à relever. Ce sont en fait toutes les méthodes d'élevage qui doivent être améliorées pour y parvenir.
Les excès de nutriment dans l'eau et les sédiments sont un premier chantier . Pour y remédier peuvent être mis en oeuvre : une diminution des apports en nutriments, un changement d'alimentation, une réduction des densités, voire la mise en place d'élevages fermés avec recirculation . Complexes et onéreux, ces derniers sont certainement l'avenir de l'aquaculture, au moins en eau douce, car ils garantissent une complète maîtrise du processus. En eau de mer, les réflexions se portent également sur le choix des sites pour assurer une bonne dispersion des déchets jusqu'à l'installation des élevages en haute mer où toute pollution serait éliminée par les courants. Une voie de recherche importante est également la polyculture de différentes espèces, par exemple de mollusques filtreurs à côté des cages de poissons ou encore des combinaisons avec d'autres activités de pêches où des récifs artificiels qui permettraient de fournir un habitat à une plus grande densité de poissons bénéficiant de l'excès de nutriments.
L'utilisation excessive d'antibiotiques a également été identifiée comme la cause de l'accroissement des résistances bactériennes dans les zones d'élevage provoquant dans un premier temps une diminution de la biodiversité en raison du développement des maladies, puis l'abandon même de l'élevage, les souches devenant trop résistantes. Ici, la solution réside dans une approche préventive visant à éviter la survenance des maladies par un environnement et une alimentation appropriée, une vaccination, une surveillance renforcée et peut-être des systèmes de traitement isolé.
D'autres problèmes plus spécifiques devront également faire l'objet de prise en compte comme l'utilisation de nouveaux habitats pour la crevetticulture afin d'éviter la destruction des mangroves dont les conséquences sont dramatiques sur la biodiversité et les littoraux tropicaux. Il en sera de même des excès liés à la conchyliculture soit qu'elle provoque une diminution de la biomasse phytoplanctonique, une diminution des naissains naturels ou un excès de déchets.
3. Réduire ou éliminer les prélèvements sur les espèces sauvages
Enfin, la réduction ou la quasi disparition des prélèvements sur les espèces sauvages passera en premier lieu par un choix d'espèces plus conforme à cette priorité, elle impliquera l'élevage d'espèces omnivores ou herbivores dont les rendements sont nettement supérieurs bien que souvent de valeur moindre .
Pour les espèces carnivores, des recherches importantes doivent être menées pour réduire encore plus la part de farine et l'huile de poisson dans l'alimentation . Pour l'instant, il est très difficile d'y parvenir car les poissons d'élevage perdent les qualités nutritionnelles (teneur en graisse, acides gras...) qui font leur intérêt, s'ils ne sont pas nourris d'une quantité minimale d'éléments halieutiques. Sans cela, ils perdent également leurs qualités gustatives et dans certains cas l'apparence de leur chair. A ces problèmes s'ajoutent le risque accru de maladies pendant l'élevage et à plus long terme de dénaturation d'animaux carnivores devenus herbivores, à l'instar des bovins mangeant des farines animales.
Pour trouver une substitution aux farines et huiles de poisson, M. André Gérard de l'Ifremer a pu relever que les farines et huiles animales avaient d'abord eu la préférence des pisciculteurs. Les farines animales présentent un bon profil en acides aminés mais elles contiennent aussi des lipides de mauvaise qualité pour le poisson et trop de matière minérale d'origine osseuse. Les huiles animales sont elles trop riches en acides gras saturés. Elles ont été progressivement abandonnées et sont interdites depuis 1996. Elles sont encore utilisées en Asie .
Les aquaculteurs se sont donc tournés vers les sources végétales . Les plantes peuvent fournir des acides aminés semblables aux farines de poisson mais dans des proportions différentes. Il faut donc dans la plupart des cas les mélanger pour obtenir un profil adapté à l'alimentation des poissons. De plus pour éviter les facteurs antinutritionnels agissant sur la digestion ou qui perturbent les fonctions hormonales, un tri ou un traitement spécifique doit être effectué. Enfin, comme les poisons métabolisent très mal les glucides, à la différence des crevettes, il est fait appel aux tourteaux ou au gluten. Au total, le coût de ces substituts se révèle proche de la farine de poisson. L'élément positif est qu'au niveau expérimental un taux de remplacement de 75 % peut être atteint avec la truite ou le bar sans conséquences détectables sur la croissance ou la qualité de la chair, à comparer avec le taux de remplacement compris actuellement entre 30 et 50 %. L'utilisation de farine végétale devrait aussi permettre de diminuer la quantité de mercure qui se trouve concentrée dans certaines farines.
Pour remplacer les huiles de poisson, les huiles végétales sont très adaptées, la part d'huile de poisson pouvant être réduite entre 2 et 4 % seulement durant l'élevage. L'huile végétale a également l'avantage de diminuer très sensiblement les concentrations de polluants lipophiles qui se concentrent dans la chaîne alimentaire marine comme les dioxines et les PCB. Cependant, cette alimentation modifie la teneur en Oméga 3 de la chair car les poissons les incorporent par leur alimentation et ne les synthétisent pas. Il est donc indispensable de leur fournir en fin d'élevage une alimentation riche en huile de poisson.
Parallèlement aux travaux sur les aliments, sont recherchés des lignées de poissons qui accepteront mieux cette nourriture modifiée et qui seront plus adaptées à l'aquaculture intensive.
La motivation n'est d'ailleurs pas seulement écologique, la ressource en farine et huile de poisson est limitée puisque les débarquements ne progresseront pas à l'avenir. La ressource ira donc à l'usage le plus rentable et le plus rémunérateur . On peut supposer que l'usage de ces farines pour nourrir poules ou cochons sera abandonné au profit de l'aquaculture car il n'est pas indispensable pour les animaux terrestres. Mais il n'est pas impossible qu'il devienne plus rentable de transformer ces petits pélagiques et les déchets de poissons en produits finis destinés directement à la consommation humaine du type des Surimis ou en anglais « Fisch-grade-fisch ».
L'enjeu de ces recherches est donc quadruple :
- soulager les stocks sauvages et préserver les milieux naturels,
- abaisser le coût de l'alimentation,
- garantir la sécurité alimentaire des consommateurs,
- garantir la qualité organoleptique des aliments.