2. La désertification des océans
Un récent article de Jeffrey Polovina et al. publié dans la Geophysical Research Letters 7 ( * ) , a mis en lumière une expansion des zones désertiques de l'océan.
Ce chercheur a procédé à une exploitation des neuf dernières années des données fournies par l'instrument SeaWiFS (Sea-viewing Wide Field-of-view Sensor), en orbite depuis 1997, sur la couleur de l'océan. Cet instrument est capable d'identifier les zones privées de végétation photosynthétique et donc désertiques car démunies du premier élément de la chaîne alimentaire. Selon ces résultats, les zones désertiques de l'océan ont progressé depuis 1998 de 6,6 millions de km² (15 %), soit douze fois la superficie de la France. La zone la plus touchée serait l'Atlantique Nord où les déserts océaniques auraient progressé de 8,3 % par an.
La taille de ces zones varie de manière saisonnière et s'accroît l'hiver.
Cette désertification s'expliquerait par le réchauffement de la couche de surface et une plus forte stratification. Il y aurait moins de mélange avec les couches froides inférieures riches en nutriments consommés par le phytoplancton au cours de la photosynthèse.
Les auteurs de l'article estiment cependant impossible de savoir si cette tendance est entièrement imputable au changement climatique et si elle se poursuivra au même rythme dans le futur.
Ces résultats peuvent aussi bien démontrer une accélération du phénomène que l'intervention d'autres facteurs comme une variabilité naturelle encore inconnue.
Cette problématique est en tout cas très importante car, agissant à la base de la chaîne alimentaire, elle pourrait avoir un impact considérable sur l'abondance des ressources halieutiques.
Elle fait l'objet de recherches approfondies au plan international, un programme conjoint au CNES, à l'ESA et à la NASA est notamment en cours d'intégration en Méditerranée (Moose 2). Il aura pour objectif de compléter les observations satellitaires optiques qui sont gênées par la couverture nuageuse et par l'atmosphère. Des bouées mesureront l'état de la vie aquatique par l'acquisition de données à long terme sur la couleur de l'océan.
3. Déplacement des espèces et déphasages chronobiologiques
Les pêcheurs le constatent de plus en plus, le contenu de leurs filets évolue sous l'impact du réchauffement. Ces variations vont au-delà des fluctuations traditionnelles habituellement constatées.
La première conséquence du réchauffement est un déplacement des espèces vers le Nord . Un nombre croissant d'espèces venues des zones subtropicales ou des eaux chaudes voit leur abondance augmenter dans nos eaux. Le cas le plus emblématique de ce phénomène est le rouget désormais très présent en Manche et même en mer du Nord.
En revanche, certaines espèces souffrent directement du réchauffement et ne trouvent plus, dans nos eaux, une zone propice à leur reproduction. Cette fois-ci, le cas le plus connu est celui de la morue dans la Manche et même dans une partie de la mer du Nord. Une température trop élevée l'empêche de se reproduire car ses oeufs meurent.
D'importantes études norvégiennes et franco-norvégiennes sur la morue du Groenland et sur la mer de Barents ont permis de coupler les évolutions de la température de l'eau, la cyclicité des oscillations de l'océan Atlantique et la chaîne alimentaire de la morue. Johannenssen et al. ont pu montrer en 2004 que depuis 1900, l'aire de répartition de la morue le long de la côte Est du Groenland était fonction de la température (plus il fait chaud plus la morue monte dans le Nord et inversement). A propos de la mer de Barents, Cury et al. ont publié un article en 2008 mettant à plat le lien entre les conditions océaniques, l'abondance du phytoplancton, du zooplancton, du capelan, du hareng et de la morue.
Les liens d'interdépendance dans l'écosystème sont également des liens temporalisés. Il faut, notamment durant les phases les plus sensibles, par exemple les premiers jours d'un alevin, que celui-ci puisse s'alimenter d'une ou de quelques proies spécifiques qui sont normalement abondantes juste au moment de la reproduction. Or, le réchauffement produit fréquemment un décalage entre l'efflorescence planctonique et le moment de la reproduction, conduisant à son échec.
Enfin, le changement climatique paraît avoir un effet amplificateur des conséquences de la surpêche . Dans plusieurs écosystèmes d' upwelling , ces 3 % de la surface des océans qui assurent 30 à 40 % de sa productivité, le réchauffement provoquerait une stratification accentuée des eaux en fonction de leur température, limiterait les brassages avec le fond et affaiblirait les alizés , caractéristiques principales de ces zones. Moins brassées, plus chaudes, les eaux de surface seraient d'autant moins oxygénées que s'y concentrerait la décomposition d'organismes. Ce mécanisme naturel accentuerait fortement la tendance à l'anoxie d'écosystèmes dévastés par la surpêche comme celui du Benguela où la disparition des prédateurs et des pélagiques laisse toute latitude aux invertébrés, méduses et gobies, de se développer. Le phénomène d'anoxie est également très fort dans les fonds puisque le phytoplancton n'est plus brouté et tombe en se décomposant. Le manque d'oxygène conduit même les langoustes à sortir de l'eau et à envahir les plages de Namibie où elles meurent desséchées.
* 7 Vol.35, L03618,2008