C. DÉLÉGUER DES COMPÉTENCES AUX COMMUNES ET RENFORCER LEURS MOYENS
1. Doter les communes d'une véritable fiscalité
Le nouveau statut d'autonomie de 2004 (art. 53 de la loi organique) permet à la Polynésie française d'instituer des impôts ou taxes spécifiques aux communes, y compris sur les services rendus. Le taux de ces impôts et taxes ainsi que les modalités de leur perception sont décidés par délibération du conseil municipal dans le respect de la réglementation instituée par la Polynésie française. Cette disposition caractérise néanmoins le manque flagrant d'autonomie fiscale des communes polynésiennes.
Aussi l'ordonnance du 5 octobre 2007 permet-elle aux communes de la Polynésie française, sur le fondement du troisième alinéa de l'article 53 de la loi organique du 27 février 2004, de percevoir le produit des redevances pour l'enlèvement des ordures ménagères et des redevances d'occupation du domaine public. Elle leur permet, en outre, de mettre en oeuvre un stationnement payant à durée limitée sur la voirie communale.
Toutefois, les communes ne disposent que d'une très faible marge de décision en matière de recettes, si bien qu'elles ne disposent pas de ressources propres suffisantes pour exercer au mieux les compétences qui leur sont attribuées par la loi.
Dans une analyse de la structure des ressources communales réalisée en 2006 sur les vingt communes polynésiennes comptant plus de 3.000 habitants, M. Jacques Basset, président de la chambre territoriale des comptes de Polynésie française identifie trois grandes catégories de recettes 56 ( * ) :
- les recettes de transfert, versées par la Polynésie française et par l'État, qui représentent deux tiers du total des ressources des communes (FIP, dotations, subventions) ;
- les produits fiscaux, qui ne représentent qu'un quart des recettes réelles de fonctionnement et qui correspondent essentiellement aux centimes additionnels que les communes ont la possibilité de percevoir ;
- les produits de l'exploitation et du domaine, qui représentent 10 % du total des ressources et sont constitués par les sommes versées par les usagers des services publics communaux.
La faiblesse de leurs ressources propres place les communes polynésiennes dans une situation contraire au principe de libre administration des collectivités territoriales. Ainsi, selon M. Jacques Basset, « tant qu'elles n'auront pas de ressources propres suffisantes, qu'elles pourront augmenter ou diminuer en fonction de la politique qu'elles décideront de mettre en oeuvre, les communes ne seront pas vraiment sorties de la tutelle ».
Vos rapporteurs ont observé des situations contrastées au sein des nombreuses communes visitées. En effet, dans les communes où le tourisme est particulièrement développé, 70 % des recettes communales sont constituées par des ressources de transfert. Mais ce pourcentage peut atteindre 90 % dans les communes des Iles australes, des Marquises et des Tuamotu Gambier.
Ainsi, M. Gaston Tong Sang, maire de Bora Bora (Iles sous le Vent), a estimé que les recettes de transfert représentaient 70 % des ressources de sa commune, les ressources propres s'élevant donc à 30 % du budget communal, soit un niveau équivalent à celui de Papeete. M. Oscar Temaru, maire de Faa'a (île de Tahiti), a indiqué que la part des ressources propres dans le budget de sa commune atteignait 25 %.
En revanche, les élus de Rangiroa (Tuamotu) ont indiqué à vos rapporteurs que les ressources propres ne représentaient que 15 % du budget de la commune. Les activités économiques du secteur privé étant essentiellement concentrées dans certaines communes des Iles du Vent et des Iles sous le Vent, certaines municipalités de la presqu'île de Tahiti disposent également de ressources propres très faibles. Ainsi, Mme Béatrix Lucas, maire de Taiarapu-Est, a indiqué que la part des ressources propres dans le budget de sa commune n'atteignait pas 10 %, soit une part plus faible qu'à Tubuai, dans les Australes, où cette part s'élève à 14 %.
Parmi les communes de plus de 3.000 habitants, le produit fiscal variait en 2006 de 3 % (commune de Tumaraa) à 47 % (commune de Papeete) des recettes de fonctionnement. Sur 20 communes de plus de 3.000 habitants, M. Jacques Basset, président de la chambre territoriale des comptes de Polynésie française, n'en recense que 4 disposant de ressources fiscales supérieures à 25 % de leurs recettes de fonctionnement.
Toutefois, le développement des ressources propres des communes polynésiennes apparaît difficile en raison de la quasi-absence de bases d'imposition dans nombre d'entre elles . A l'exception des communes accueillant des activités industrielles, commerciales ou touristiques importantes, la mise en place d'une fiscalité propre n'aurait guère d'objet.
Aussi M. Michel Buillard, député-maire de Papeete, considère-t-il qu'une nouvelle répartition des ressources fiscales du pays est préférable à la création de nouvelles taxes.
M. Bruno Sandras, député-maire de Papara (Iles du Vent), a en revanche considéré que le pouvoir fiscal devait être en partie transféré aux communes. Il a ainsi expliqué que les fermes perlières pourraient être assujetties à une taxe en raison de l'utilisation du domaine maritime public communal
2. Vers l'amélioration des conditions d'attribution des aides de la collectivité aux communes ?
L'article 17 de la loi organique n° 2007-1719 du 7 décembre 2007 tendant à renforcer la stabilité des institutions et la transparence de la vie politique en Polynésie française a notamment modifié les conditions dans lesquelles la Polynésie octroie des aides aux communes. L'article 157-2 nouveau de la loi organique n° 2004-192 du 27 février 2004 portant statut d'autonomie de la Polynésie française, prévoit une nouvelle procédure d'attribution des aides.
* Avant l'introduction de la nouvelle procédure de l'article 157-2 de la loi organique , l'assemblée de la Polynésie française votait une enveloppe globale de crédits de paiement destinés aux communes par secteur d'intervention (chapitre 903 « partenariat avec les collectivités »).
Les aides financières octroyées individuellement aux communes faisaient ensuite l'objet d'un arrêté pris en conseil des ministres.
En 2007, les communes ont reçu, toutes subventions d'investissement confondues, une aide financière de 38 millions d'euros, soit environ 30% de la participation de la Polynésie française au FIP.
Ces subventions ont concerné les domaines suivants :
- construction de bâtiments (bâtiment scolaire, salle de sport, atelier) ;
- électrification ou extension du réseau électrique ;
- réfection des routes ;
- acquisition de matériel (excavateur, citerne, tracto-pelle, véhicules, bateaux de liaison, broyeur de végétaux, bus de transport etc).
Ces subventions ont représenté entre 50 et 90 % des investissements réalisés.
Il convient de noter que la Polynésie française est aussi intervenue directement (sans octroi de subvention) pour le compte des communes dans de nombreux secteurs, notamment pour les équipements structurants.
* La mise en oeuvre de la procédure consultative de l'article 157-2 de la loi organique
Par délibération n°2008-30 /APF du 24 juin 2008, l'assemblée de la Polynésie française a modifié le règlement intérieur de l'assemblée afin d'y intégrer les modalités d'organisation et de fonctionnement de la commission de contrôle budgétaire et financier.
La commission a été mise en place par arrêté n°89 /2008/APF du 31 juillet 2008 et a organisé cinq réunions depuis sa création.
L'assemblée de la Polynésie française n'a pas encore fixé les conditions et les critères d'attribution des aides financières aux personnes morales.
* La question des marchés publics
L'article 49 du statut organique de 2004 dispose que la Polynésie française fixe les règles applicables à la commande publique des communes , de leurs groupements et de leurs établissements publics.
L'article 15 de la loi organique n° 2007-1719 du 7 décembre 2007 tendant à renforcer la stabilité des institutions et la transparence de la vie politique en Polynésie française a réécrit l'article 49 du statut afin de préciser que la collectivité fixe ces règles « dans le respect des principes de liberté d'accès, d'égalité de traitement des candidats, de transparence des procédures, d'efficacité de la commande publique et de bon emploi des deniers publics ».
M. Jacques Witkowski, alors secrétaire général du haut commissariat, indiquant à vos rapporteurs que la collectivité avait souhaité porter de 45.000 à 230.000 euros le seuil à partir duquel les obligations de publicité et de mise en concurrence doivent s'appliquer aux marchés publics des communes, a précisé que le haut commissaire s'était opposé à cette modification.
Mme Marie-Christine Lubrano, magistrat au tribunal administratif de Papeete, a souligné les risques que présenterait la fixation par la collectivité de seuils très élevés pour l'application des procédures de mise en concurrence, au moment où les communes vont devoir procéder à des équipements importants pour assumer leurs compétences.
La question foncière en Polynésie française La situation de la Polynésie française au regard du droit foncier comporte de nombreux obstacles au développement économique et à la mise en place d'une fiscalité locale : - défaut de cadastrage, le cadastre de Tahiti n'étant pas achevé ; - absence de partage des terrains indivis, résultant de successions non réglées sur plusieurs générations ; - nombreux litiges et actions d'expulsion à l'encontre des occupants sans droit ni titre, qui tentent d'acquérir la propriété par usucapion (occupation trentenaire). Ainsi, Mme Tamatoa Bambridge et M. Philippe Neuffer relèvent que « La question foncière est aujourd'hui au coeur du débat de la société multiculturelle de Polynésie française. Le code civil s'applique officiellement dans toute la Polynésie française depuis 1945 puisqu'il n'y a plus, comme en Nouvelle-Calédonie, de distinction entre les citoyens français régis par le code napoléonien et les sujets français (statut civil particulier) régis par un code spécial. Toutefois, sur le plan foncier, l'application du code civil depuis le XIXe siècle, loin d'aboutir à une incorporation des normes traditionnelles a, au contraire, participé à la constitution d'un pluralisme culturel et juridique important. » 57 ( * ) En outre, dans certaines communes, comme Nuku Hiva (Marquises) la collectivité détient 70 % des terrains. Les élus ont expliqué à vos rapporteurs que dans le cadre du statut de 1984, l'État rétrocéda l'ensemble de son domaine au territoire, qui devait ensuite en céder 50 % aux communes afin de constituer leur domaine public. Mais le territoire ne procéda jamais à ce transfert de propriété, la disposition relative à la cession de 50 % du domaine du territoire aux communes ayant même été supprimé dans le statut de 1996. M. Serge Samuel, procureur général près la cour d'appel de Papeete, a indiqué à vos rapporteurs que les procédures judiciaires en matière foncière pouvaient s'étendre sur 5 à 6 ans. Soulignant que l'augmentation du prix des terrains dans certaines îles favorisait l'émergence de revendications de propriété, il a précisé que la construction d'un dispensaire était suspendue à Bora Bora, le terrain communal étant revendiqué par d'anciennes familles royales. M. Olivier Aimot, premier président de la cour d'appel de Papeete a expliqué qu'en Polynésie française, le lien coutumier avec la terre avait été supprimé en raison d'une application précoce du code civil, ce qui nourrissait aujourd'hui des contestations, alors qu'à Wallis et Futuna et en Nouvelle-Calédonie les règles antérieures avaient été adaptées. Il a rappelé que l'article 17 de la loi n° 2004-193 du 27 février 2004 complétant le statut d'autonomie de la Polynésie française instituait à Papeete un tribunal foncier compétent pour les litiges relatifs aux actions réelles immobilières et aux actions relatives à l'indivision ou au partage portant sur des droits réels immobiliers. L'organisation et le fonctionnement de ce tribunal devaient être définis par une ordonnance qui n'a jamais été publiée . M. Olivier Aimot a précisé que les affaires foncières représentaient actuellement la moitié du contentieux général du tribunal de première instance, avec un stock de 600 dossiers et 180 nouvelles affaires par an, et 25 % des affaires devant la cour d'appel. Expliquant que le tribunal de première instance rendait 130 à 140 décisions en matière foncière par an, il a souligné que la loi n° 96-609 du 5 juillet 1996 portant diverses dispositions relatives à l'outre-mer avait créé une commission de conciliation obligatoire en matière foncière . Lorsque le tribunal de première instance est saisi directement, il renvoie l'affaire à la commission. Si, dans un délai de six mois à compter de sa saisine, la commission n'a pu recueillir l'accord des parties, celles-ci peuvent saisir le tribunal ou reprendre l'instance. Le tribunal de première instance est informé de l'ouverture ou du succès, même partiel, d'une procédure de conciliation. |
3. Corriger les disparités entre les communes
Il apparaît indispensable de corriger les disparités de ressources entre les communes, dont les plus isolées cumulent les difficultés : population peu nombreuse et marquée par un exode vers Tahiti, absence d'activités économiques du secteur privé, difficultés pour assumer les compétences telles que l'adduction en eau potable, l'assainissement, le traitement des déchets.
Le Fonds intercommunal de péréquation (FIP), qui représente environ 40 % des ressources de fonctionnement des communes, semble constituer un instrument adapté pour réaliser cette correction. Cependant, ses critères de répartition actuels, fondés sur la population des communes et leurs charges respectives, ne permettent pas de compenser les inégalités.
De nombreux maires rencontrés par vos rapporteurs ont souhaité que le taux de participation de la Polynésie française au FIP soit porté à 20 % du produit des impôts perçus par la collectivité.
Selon les indications fournies à vos rapporteurs par le secrétariat d'État à l'outre-mer, le Gouvernement envisage, dans le cadre de la réforme de la dotation globale de développement économique (DGDE), de créer une dotation spécifique pour les communes.
En effet, lors d'un déplacement en Polynésie française en juillet 2008, le secrétaire d'Etat à l'outre-mer, M. Yves Jégo, a annoncé le dépôt avant la fin du premier semestre 2009 d'un projet de loi organique donnant des moyens nouveaux et sûrs aux 48 communes de Polynésie 58 ( * ) . Il a précisé qu'il s'agissait notamment de transférer aux communes une partie de DGDE mise en place après l'arrêt des essais nucléaires français en 1996, qui représente aujourd'hui 18 milliards de francs Pacifique.
Devant les maires ou leurs représentants réunis au haut commissariat de la République par M. Jégo, M. Gaston Tong Sang, président de la Polynésie française, a précisé qu'il s'agirait de 17 % de ces 18 milliards de francs Pacifique, soit environ 3 milliards de francs Pacifique (soit 25,1 millions d'euros).
Parallèlement, M. Gaston Tong Sang a proposé que la totalité des taxes foncières, soit près de 2 milliards de francs CFP (16,7 millions d'euros) soit reversée aux communes.
M. Yves Jégo a déclaré qu'il s'agissait de faire en sorte qu'à l'avenir « les communes sachent sur quoi elles peuvent compter à coup sûr », sans dépendre comme par le passé du bon vouloir du gouvernement de Papeete.
En outre, une réflexion sur l'évolution du fonds intercommunal de péréquation est en cours.
Vos rapporteurs soulignent que ce renforcement des moyens alloués aux communes doit en premier lieu corriger les fortes disparités de ressources qui les affectent aujourd'hui.
* 56 Analyse issue du discours prononcé par M. Jacques Basset le 11 mai 2006 lors du congrès des communes de Polynésie française, à Raiatea.
* 57 Tamatoa Bambridge, Philippe Neuffer, Pluralisme culturel et juridique en Polynésie française : la question foncière, revue HERMES, n° 32-33, 2002, p. 307.
* 58 Voir la dépêche AFP du mardi 22 juillet 2008, Polynésie : projet de loi organique pour donner plus de moyens aux communes.