B. UNE STRATÉGIE QUI FAIT L'IMPASSE SUR L'ADÉQUATION ÉCONOMIQUE DES RECETTES FISCALES AUX DÉPENSES
Asymétrique dans ses effets financiers, la stratégie fiscale dessinée dans le projet de loi de programmation des finances publiques ne présente pas d'évolutions quant à la la structure des prélèvements entre les trois grands acteurs des interventions publiques . De son côté, la structure des dépenses publiques évoluerait dans le sens d'une réduction de la part des dépenses de l'Etat par rapport à celles des assurances sociales et des collectivités locales dans le total des interventions publiques .
Or, on peut, d'un point de vue économique , estimer que la nature des prélèvements ne devrait pas être indifférente à celles des dépenses publiques qu'ils sont appelés à financer .
Cette question se pose principalement à l'égard de la Sécurité sociale dont la logique assurantielle, qui ne recouvre pas la totalité des dépenses sociales mais toutefois la très grande majorité d'entre elles, pourrait inviter à une mise à niveau plus nette de ses recettes propres.
Cette remarque rejoint, sur un plan plus qualitatif, l'observation précédemment formulée d'un problème d'adéquation quantitative entre la stratégie fiscale à moyen terme et celle des dépenses publiques.
Une clarification des modalités de financement de la protection sociale et des collectivités territoriales reste à programmer.
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Étant admis qu'un projet de loi de programmation comporte de simples orientations susceptibles de bien des compromis dans leur mise en oeuvre, il faut encore examiner la crédibilité de la programmation des prélèvements obligatoires sous l'angle prospectif de la trajectoire quantitative qu'elle décrit, en ajoutant quelques considérations sur certains enjeux fiscaux pour l'avenir.
C. QUELLE CRÉDIBILITÉ ?
La programmation des prélèvements obligatoires décrit une trajectoire linéaire qui romprait si elle était constatée avec les variations habituelles du rendement fiscal. Elle semble ainsi optimiste pour le début de période et conservatrice pour la fin. Peut-être faut-il attribuer les prévisions réalisées au-delà de 2010 à la perspective ménagée par le projet de loi de programmation d'une redistribution des plus-values fiscales aux contribuables.
En outre, il est un peu regrettable que la révision des prélèvements obligatoires ne trouve pas de prolongements significatifs dans la programmation à l'horizon 2012.
1. Une trajectoire quantitative conventionnelle ?
La programmation des prélèvements obligatoires prévoit que leur évolution serait parallèle au PIB entre 2008 et 2012 , dans un contexte où le rythme de croissance de celui-ci serait particulièrement contrasté selon la sous-période envisagée. Cette trajectoire apparaît comme assez conventionnelle , ce qui conduit à appeler l'attention sur la perspective ouverte par la programmation d'une redistribution conditionnelle des « fruits » de la croissance.
Comme le rappelle le rapport annexé au projet de loi, « les recettes sont très sensibles à la conjoncture ».
Techniquement, on dit que l'élasticité des prélèvements obligatoires (rapport de la variation du niveau des prélèvements/la variation du niveau du PIB, en pourcentages) est variable . Lorsque la croissance du PIB décélère, l'élasticité est inférieure à l'unité, ce qui signifie que les recettes fiscales et sociales augmentent moins que le PIB (c'est le contraire, lorsque la croissance du PIB accélère). Même si à long terme l'élasticité des prélèvements obligatoires serait proche de l'unité, ce que rend plausible l'hypothèse implicite retenue dans la programmation, le scénario de croissance qui lui est sous-jacent semble ne pas permettre de choisir cette hypothèse avec la complète garantie qu'elle décrira exactement le cours des choses.
En particulier, s'agissant de l'année 2009, le quasi-maintien du taux de prélèvements obligatoires au niveau de 2008 dans le cadre d'une croissance en volume de 1 point du PIB (et d'une modération de l'inflation) serait tributaire de mesures nouvelles d'augmentation des prélèvements. En effet, le taux des prélèvements obligatoires pour l'année 2008 (lui-même à peu près stable par rapport à 2007) est dépendant d'un effet de ciseau au terme duquel, malgré le ralentissement économique, les rentrées fiscales resteraient bien orientées puisque résultant pour partie d'assiettes remontant à 2007, alors dynamiques. Relevons, par ailleurs, l'effet de l'inflation en 2008 qui, s'agissant des recettes de TVA, a probablement masqué les effets du ralentissement du volume de la consommation.
Autrement dit, l'élasticité des prélèvements obligatoires en 2008 devrait être significativement supérieure à l'unité (1,5).
En revanche, il est sans doute un peu optimiste d'imaginer que les prélèvements obligatoires pourraient, spontanément, suivre le PIB en 2009. C'est d'ailleurs ce que suggère le rapport économique, social et financier (RESF) annexé au projet de loi de finances pour 2009. Selon lui, les recettes fiscales ralentiraient, et connaîtraient un rythme de progression inférieur à la croissance économique, mais finalement d'assez peu.
CONTRIBUTIONS DES PRINCIPAUX IMPÔTS À L'ÉVOLUTION SPONTANÉE DES RECETTES
Niveau 2007
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Contribution
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Contribution
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|
Impôt sur le revenu |
49,1 |
1,4 % |
0,8 % |
Impôt sur les sociétés |
50,8 |
1,4 % |
0,1 % |
TVA |
131,5 |
1,8 % |
1,7 % |
TIPP |
17,3 |
0,0 % |
0,0 % |
Autres recettes fiscales |
18,0 |
0,8 % |
- 0,1 % |
Recettes fiscales nettes |
266,7 |
5,4 % |
2,4 % |
Source : MINEFE
Ainsi, selon le RESF, le rythme de croissance des principales recettes fiscales serait divisé par plus de 2 entre 2008 et 2009, passant de + 5,4 % à + 2,4 %.
Il serait ainsi inférieur au rythme de croissance du PIB, l'élasticité des prélèvements obligatoires déclinant de 1,5 à 0,8.
Le graphique, ci-dessus, qui représente les variations de l'élasticité des recettes fiscales par rapport à la croissance montre que celles-ci peuvent atteindre une amplitude considérable dans les phases de ralentissement économique.
La prévision pour 2009 est très éloignée des points bas de 1993 et 2003, ce qui ne suffit pas à l'invalider mais, du moins, conduit à lui reconnaître un caractère plutôt volontariste.
A l'inverse , les perspectives d'évolution des prélèvements fiscaux dans la deuxième partie de la programmation , quand la croissance économique excède le potentiel, sont « prudentes » . Il est, en effet, vraisemblable qu'alors l'élasticité fiscale soit supérieure à l'unité.
Il est évidemment difficile d'apprécier si, au total, l'hypothèse de croissance des prélèvements parallèle au PIB se vérifiera.
En revanche, il est probable qu'elle n'aura pas la constance que la projection retrace. Ainsi, le solde public devrait être nettement plus heurté, en ses évolutions, que dans la trajectoire proposée.
Cette perspective, qui correspond au mécanisme de stabilisation automatique de la conjoncture économique par l'impôt (voir infra ), aura des incidences sur la variation de la dette publique, qui devrait augmenter davantage en début de période pour se replier plus nettement par la suite, à supposer que la croissance économique soit effectivement celle qui est anticipée dans la programmation.
Ces incertitudes conduisent à porter l'attention qu'il convient à la perspective implicite contenue dans l'article 9 du projet de loi de programmation d'une baisse des prélèvements obligatoires si leur produit venait à excéder le seuil fixé dans la programmation .
Dans l'hypothèse où le taux de pression fiscale serait dépassé, des mesures nouvelles pourraient intervenir pour le reconduire au niveau projeté.
Étant rappelé que cette hypothèse est envisageable au vu des élasticités fiscales constatées dans le passé, il faut voir cette éventualité comme un point d'indétermination de la programmation .
Si les recettes fiscales excédentaires devaient être « rendues » aux contribuables, cela signifierait que les fruits conjoncturels d'une activité « riche en produits fiscaux » ne seraient pas utilisés pour réduire le besoin de financement public.
A ce propos, il faut rappeler que la programmation n'envisage pas de compenser les moins-values fiscales afin de laisser jouer les stabilisateurs automatiques, de sens contraire, en cas de ralentissement économique.
Tel n'est pas le choix retenu dans l'hypothèse inverse, la programmation laissant ouverte la possibilité de ne pas laisser jouer les stabilisateurs automatiques, de sens contraire, résultant alors d'un surcroît de croissance.