Rapport n° 503 (2007-2008) de M. Christian GAUDIN , fait au nom de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, déposé le 3 octobre 2008
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OUVERTURE
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1ère partie - La notion d'observatoire
multidisciplinaire à grande échelle est-elle
pertinente ?
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2nde partie - La coopération scientifique en
Arctique est-elle suffisante ?
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CONCLUSIONS
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ANNEXE : PRÉSENTATION DES INTERVENTIONS
PAR THÈME ABORDÉ
N° 1140 ASSEMBLÉE NATIONALE CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958 TREIZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de
l'Assemblée nationale
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N° 503 SÉNAT DEUXIÈME SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2007-2008
Rattaché pour ordre au procès-verbal
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OFFICE PARLEMENTAIRE D'ÉVALUATION
DES CHOIX SCIENTIFIQUES ET TECHNOLOGIQUES
RAPPORT
« Faut-il créer un observatoire de l'Arctique ? »
(Compte rendu de l'audition publique du 26 juin 2008) ,
PAR M. CHRISTIAN GAUDIN,
Sénateur.
Déposé sur le Bureau de l'Assemblée nationale par M. Claude BIRRAUX Président de l'Office |
Déposé sur le Bureau du Sénat par M. Henri REVOL Premier Vice-Président de l'Office |
Composition de l'Office parlementaire d'évaluation
des choix scientifiques et technologiques
Président
M. Claude BIRRAUX
Premier Vice-Président
M. Henri REVOL
Vice-Présidents
M. Claude GATIGNOL, député |
M. Jean-Claude ETIENNE, sénateur |
M. Pierre LASBORDES, député |
M. Pierre LAFFITTE, sénateur |
M. Jean-Yves LE DÉAUT, député |
M. Claude SAUNIER, sénateur |
Députés |
Sénateurs |
M. Christian BATAILLE |
M. Philippe ARNAUD |
M. Jean-Pierre BRARD |
M. Paul BLANC |
M. Alain CLAEYS |
Mme Marie-Christine BLANDIN |
M. Pierre COHEN |
Mme Brigitte BOUT |
M. Jean-Pierre DOOR |
M. Marcel-Pierre CLÉACH |
Mme Geneviève FIORASO |
M. Roland COURTEAU |
M. Alain GEST |
M. Christian GAUDIN |
M. François GOULARD |
M. Serge LAGAUCHE |
M. Christian KERT |
M. Jean-François LE GRAND |
M. Michel LEJEUNE |
Mme Catherine PROCACCIA |
M. Claude LETEURTRE |
M. Daniel RAOUL |
Mme Bérengère POLETTI |
M. Ivan RENAR |
M. Jean-Louis TOURAINE |
M. Bruno SIDO |
M. Jean-Sébastien VIALATTE |
M. Alain VASSELLE |
Audition publique ouverte à la presse - Jeudi 26 juin 2008
Faut-il créer un observatoire de l'Arctique ?
OUVERTURE
M. Christian GAUDIN
Je vous souhaite, tout d'abord, la plus chaleureuse bienvenue dans les locaux sénatoriaux de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques. L'OPECST a pour mission d'éclairer le Parlement sur les questions scientifiques importantes pour l'avenir de notre société et de nos concitoyens.
Je vous remercie, ensuite, très chaleureusement de vous être rendus disponibles et d'avoir répondu positivement à mon invitation de venir échanger sur la question de la recherche scientifique dans l'Arctique.
Puisqu'il me revient cet après-midi d'introduire nos débats, je voudrais tout d'abord expliciter ce qui ma conduit à vous réunir pour tenter de répondre à cette question « Faut-il créer un observatoire de l'Arctique ? », puis préciser l'organisation thématique de nos échanges et, enfin, leur organisation matérielle.
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Comme vous le savez, l'OPECST s'intéresse quasiment depuis l'origine aux enjeux scientifiques et environnementaux des régions polaires.
Je veux ici rappeler le travail effectué en 1989 par mon collègue député Jean-Yves Le Déaut à propos de l'exploitation des ressources minérales de l'Antarctique et qui n'a pas peu contribué au rejet de la Convention de Wellington et à l'adoption du Protocole de Madrid.
Plus récemment, j'ai eu l'occasion de me rendre en Antarctique mais aussi de publier un rapport d'audit de la recherche polaire française à la veille de l'année polaire internationale. C'était en février 2007. L'Office a également organisé l'ouverture solennelle de l'année polaire internationale au Sénat le 1 er mars de l'année dernière. Nous avons aussi le projet, conjointement avec le Collège de France et la chaire du Professeur Édouard Bard, d'organiser un colloque international de restitution et de l'année polaire en mai 2009.
Or, année polaire internationale et changement climatique obligeant, l'Arctique est de plus en plus au coeur des préoccupations.
Sans m'engager dès maintenant dans des développements scientifiques, je voudrais faire quatre remarques qui, si elles peuvent apparaître séparées l'une de l'autre comme des évidences, n'en ont pas moins, rassemblées une forte signification.
1. Le changement global affecte de façon plus importante les hautes latitudes que les zones tempérées.
2. Il y est plus visible (les glaces fondent...) et donc apparemment plus compréhensible.
3. Il y est « dramatique » car des espèces auxquelles le public s'identifie, comme l'ours blanc, sont directement menacées.
4. Il est symbolique. Zones naturelles vierges et internationales, les pôles apparaissent victimes de l'activité humaine.
Cette situation est exacerbée par deux éléments supplémentaires propres à l'Arctique :
1. La banquise permanente est susceptible de disparaître dans quelques dizaines d'années, le rythme de la fonte semblant s'accélérer.
2. L'Arctique concerne directement l'Europe et les pays développés car plusieurs pays en sont riverains et l'évolution des conditions climatiques a une influence directe sur le Gulf Stream qui joue un rôle déterminant dans nos pays.
Tout cela explique, que de manière apparemment surprenante mais en réalité très logique, l'Arctique ait pu apparaître comme une des préoccupations du très français « Grenelle de l'environnement ».
Ces éléments se conjuguent pour mobiliser l'opinion et inciter à agir, mais « comment ? » et « pourquoi faire ? », puisque les lois thermodynamiques étant ce qu'elles sont, il n'est pas possible, au moins à court terme, d'empêcher la glace de fondre !
A partir de ce constat, il me semble que deux idées ont émergé :
- Premièrement, puisque le changement climatique y est amplifié, l'Arctique est un formidable lieu d'observation et d'anticipation.
- Deuxièmement, l'Arctique étant une zone pour partie internationale, il serait souhaitable d'y travailler en collaboration, d'autant plus que, à la différence de l'Antarctique, les tensions présentes ou passées n'ont pas favorisé une structuration de la communauté scientifique.
Ces deux idées se sont mutuellement renforcées et rencontrées dans la proposition d'un Observatoire scientifique multidisciplinaire et multinational de l'Arctique.
Cette proposition a reçu un accueil très favorable en France, qui sans être riveraine de l'Arctique, n'y est pas moins présente scientifiquement. Notre pays pourrait prendre une initiative en ce sens au cours de la Présidence française de l'Union européenne.
Mais, il me semble, et c'est l'objet du débat de cet après-midi, que, pour l'instant, ce concept reste flou.
*
Je crois que pour répondre à la question de la pertinence d'un tel observatoire, il faut d'une part réfléchir à la notion d'observatoire scientifique multidisciplinaire à grande échelle. C'est l'objet de la première table ronde. Que veut dire un tel observatoire en sciences de l'univers, du vivant ou de l'homme et de la société ? Comment développer une vision globale d'un espace aussi vaste ? Avec quels moyens ? Avec quelles méthodes ?
Je pense également qu'il faut s'interroger sur la gestion et la contribution de la multidisciplinarité. Pourquoi et comment faire se juxtaposer ou dialoguer ces grands domaines scientifiques ? Une telle synthèse est-elle possible ou illusoire ?
La deuxième table ronde sera consacrée à la coopération scientifique internationale en Arctique. Où en est-on ? Y a-t-il un besoin ou au contraire un observatoire serait une structure redondante et inutile ? Le GIEC - le groupe intergouvernemental sur le climat - épuise-t-il le sujet ? Quelle est la vision des opérateurs scientifiques polaires européens ? Enfin, comment d'européenne, la coopération peut-elle devenir internationale ?
Voilà quelques premières grandes questions préliminaires.
*
Nos débats vont donc être structurés en deux tables rondes.
Chacune donnera lieu à une série de présentations d'un quart d'heure.
A la suite de ces présentations aura lieu un temps de questions et d'échanges. Je prendrai bien entendu l'initiative des questions, mais je souhaite que les échanges soient ouverts, d'une part, entre les intervenants eux-mêmes et, d'autre part, entre le public et les intervenants.
Je vous propose donc sans plus attendre de passer à la première table ronde : « La notion d'observatoire multidisciplinaire à grande échelle est-elle pertinente ? ».
Je passe la parole à M. Denis-Didier Rousseau, chercheur de l'Institut des sciences de l'univers, à l'École normale supérieure, qui va intervenir sur la notion d'observatoire dans les sciences de l'univers.
Je vous remercie.
1ère partie - La notion d'observatoire multidisciplinaire à grande échelle est-elle pertinente ?
Les sciences de l'univers
M. Denis-Didier ROUSSEAU - INSU, École normale supérieure
Monsieur le Sénateur, Mesdames et Messieurs. Je vais donc introduire la notion d'observatoire dans les sciences de l'univers. De tels observatoires ont pour mission de contribuer au progrès de la connaissance par l'acquisition des données d'observation de différentes manières. Tout d'abord, par le développement et l'exploitation de moyens appropriés à la question qui nous a été posée, ensuite par l'élaboration d'outils nécessaires à la réponse à cette question. Enfin, il s'agit également d'assurer la surveillance et la prévision des milieux naturels, de mettre en place un fichier de données techniques et des programmes en vue de l'exploitation et de la protection du milieu volcanique, terrestre et océanique.
Un observatoire en sciences de l'univers fournit donc des services liés à leur activité de recherche, ce qui, en ce moment, est tout à fait d'actualité avec les négociations GMES et GEOS. Sa mission est aussi d'assurer la formation d'étudiants et du personnel de recherche, la diffusion des connaissances, et d'avoir des activités de coopération internationale.
Les observatoires en sciences de l'univers s'appuient sur les très grands équipements et équipements scientifiques, sur des moyens plus nationaux, et sur des services labellisés au niveau de l'Institut national des sciences de l'univers (INSU) ou de certaines divisions de l'Institut. Ils s'appuient également sur des centres d'archivage et de traitement de données. Celles-ci sont générées dans le cadre des différents programmes menés par les observatoires des sciences de l'univers.
Je vais vous présenter quatre exemples d'activités d'observation menées dans le domaine de l'Arctique au sein de l'INSU, et qui correspondent aux différentes divisions existant au sein de l'Institut.
Pour commencer, la division d'astronomie et d'astrophysique. La participation de l'INSU, via le LPCE d'Orléans, au réseau de radars SuperDARN (Super Dual Auroral Radar Network) est relativement limitée puisqu'elle se borne à l'opération d'un radar situé à Stokkseyri en Islande. C'est un programme international piloté par la NSF, avec l'appui de la John Hopkins University. Le but de ce réseau est d'étudier la dynamique de l'ionosphère, qui est la partie supérieure de l'atmosphère, dans laquelle se forment les orages magnétiques et les aurores boréales, et les relations Soleil-Terre.
Suivons maintenant la Division Océan Atmosphère, qui est certainement la division la plus active dans le domaine arctique. Les intervenants suivants parleront plus tard d'autres programmes. Pour ma part, j'ai sélectionné un projet, qui est soutenu actuellement par l'INSU, le projet MALINA, dont le maître d'oeuvre est le LOV de Villefranche sur Mer. Celui-ci va démarrer dans le Haut-Arctique canadien, dans la mer de Beaufort, qui est un lieu intéressant pour l'analyse des échanges océan-atmosphère. Le but de ce travail est de rechercher et d'étudier plusieurs phénomènes. Citons l'impact de la réduction du couvert de la glace marine, de la fonte du permafrost, de l'augmentation du rejet des micro-déchets, et des flux biogéochimiques dans l'océan Arctique. Ce sont des phénomènes que l'on connaît relativement peu, et sur lesquels des études poussées vont être menées dans des conditions nouvelles en ce qui concerne la recherche sur les océans. Les mesures réalisées vont s'appuyer sur un réseau d'observation, avec des collectes d'eau à différents niveaux, effectuées par des stations dites longues, représentées ici en noir sur la carte. Celles-ci vont procéder à des prélèvements d'eau en profondeur dans les points qui sont en vert. Ces prélèvements vont s'attacher à étudier les propriétés optiques et physiques de l'eau. Vous pouvez également voir, ici représentées sous formes d'étoiles, des zones plus côtières où des automates sous-marins vont réaliser d'autres observations. Ce travail va apporter des données nouvelles qui réactualiseront celles qui existent déjà dans cette région. Ce programme est franco-canadien.
Abordons maintenant une autre division, qui est la Division des Surfaces et interfaces continentales. Cette division soutient un projet concernant les grandes zones marécageuses et de tourbières sibériennes. Il s'agit du projet dénommé CAR WET SIB, qui est piloté par l'observatoire des Pyrénées, en collaboration avec l'Université de Toronto. CAR WET SIB étudie la biogéochimie du carbone en Sibérie depuis les régimes hydrologiques des zones humides et inondées, la production, la dégradation de la végétation et la dissolution des matériaux organiques, jusqu'à l'impact du pergélisol sur les flux de CO 2 et de méthane, ainsi que les mécanismes de migration du carbone organique et des métaux. Il s'agit d'une étude clairement fondamentale car une question importante abordée par ce programme porte sur la capacité des écosystèmes nord sibériens, zone marécageuse riche en sources d'eau potable importantes, à supporter la dégradation du carbone et la formation de puits de carbone. L'évolution de ces écosystèmes est en effet induite par le changement climatique, le retrait du pergélisol et l'utilisation des ressources naturelles par les communautés humaines.
Le quatrième exemple d'action menée en Arctique est actuellement en cours de négociation. La quatrième division de l'INSU s'intéresse à la Terre profonde et aux ressources minérales en domaine arctique. Ce secteur est en plein essor et très prometteur, et est le fruit d'un voyage récent au Québec. Nous y avons rencontré les représentants du ministère des Ressources naturelles et de la faune du Québec (MNRF) pour mettre en place un observatoire de la mine. Son but sera d'assurer à la fois un suivi de l'exploration, de l'exploitation et de la réhabilitation du site minier Raglan de la compagnie Xstrata Nickel. Sont également concernés l'implication et l'impact des recherches de ressources minérales sur les populations locales, qui peuvent être relativement importants. J'ai encadré sur la carte une zone qui est celle la fosse d'Ungawa. Il faut savoir que sur ce site est située la mine de nickel la plus grande au monde, avec des réserves parmi les plus importantes, de l'ordre de cent millions de tonnes. L'extraction va s'étendre sur une période de quinze à vingt ans. Le contrat de coopération envisagé au niveau du suivi de l'exploitation minière représente un programme planifié sur une trentaine d'années. Il faut également savoir que cette gigantesque exploitation minière a la particularité d'être réalisée par la société qui exploite également le nickel en Nouvelle-Calédonie. Vous avez donc ici deux cas d'exploitations relativement importantes qui vont faire face à des conditions climatiques complètement différentes. Dans un cas, celui du Canada, les conditions seront celles du réchauffement et de la fonte du pergélisol. Dans le cas de la Nouvelle-Calédonie, le contexte sera celui du relèvement du niveau marin et de son impact sur l'environnement physique et biologique.
Je n'ai pas hésité, pour parler de réhabilitation du milieu, à vous présenter une toute autre forme d'exploitation des ressources minières dans le domaine arctique. Je souhaitais en effet vous montrer que sont en jeu des intérêts économiques énormes. Dans des conditions extrêmes, les compagnies minières sont prêtes à investir énormément, comme le montre le cas du site diamantifère DIAVIK. Un important gisement d'or et de diamant a été découvert dans cette région de l'Arctique canadien. L'opérateur n'a pas hésité à exploiter le gisement directement dans le lac où il se situe, en construisant autour de cette gigantesque exploitation à ciel ouvert d'immenses digues. Celles-ci attaquent directement l'environnement. L'exploitation y est réalisée par tous les temps et dans toutes les conditions. L'exploitation est d'actualité même en période hivernale : l'enneigement des lacs permet le transit d'immenses camions transportant le minerai qui y est extrait. Si cela peut paraître anecdotique, il faut néanmoins savoir que ces zones vont être affectées durablement en termes de réchauffement climatique, touchant l'exploitation mais aussi l'acheminement du minerai extrait par camions qui profitent de l'enneigement de ces lacs, ce qui n'est pas anodin. C'est la raison pour laquelle, au niveau de cette division, le suivi de la protection et de la réhabilitation du site est quelque chose de fondamental et dans lequel l'INSU est très engagé.
Il y a bien entendu d'autres recherches menées par l'INSU qui couvrent bien d'autres domaines. Nous citerons l'étude des climats anciens et très anciens, la caractérisation des masses d'air arctiques, le transport des polluants et solvants particulaires dans l'Arctique, le suivi des gaz à effet de serre. La proposition visant à pérenniser un réseau appelé ICOS a ainsi été demandée dans le cadre du programme européen ESFRI.
En conclusion, pour répondre à votre question, M. le Sénateur, sur la pertinence d'un observatoire de l'Arctique, ma réponse sera positive. Il est en effet évident que nous faisons face à une situation totalement nouvelle. Une notion nouvelle surgit aussi : celle de la disparition progressive et presque programmée de la banquise en été. Celle-ci aura un impact évident sur les populations locales. Il faut prévoir l'ouverture potentielle de nouvelles voies navigables et l'implantation de populations dans des zones nouvellement ouvertes ou accessibles, voire éventuellement la création de ports. Ceci se fera dans des zones qui seront affectées par l'érosion et par la fonte du pergélisol. Donc, pour répondre à votre question, l'INSU est totalement favorable à un observatoire multidisciplinaire. L'INSU adopte cette démarche et en fait même une priorité clairement affichée. De nombreuses collaborations existent déjà, via différents programmes, avec le Québec, le Canada, l'Europe et la Russie. Nous collaborons également étroitement avec l'Institut Paul-Emile Victor et un certain nombre d'organisations scientifiques, et des manifestations scientifiques sont prévues en 2009. Leur but sera de penser la structuration de la communauté scientifique française via l'INSU. Quant à l'échelle internationale, des contacts ont déjà été pris et seront développés prochainement. Nous aurons l'occasion d'y revenir.
M. Christian GAUDIN
Merci Monsieur Rousseau pour votre intervention. Nous reviendrons sur votre discipline lors de notre débat. Je vous propose maintenant de passer des sciences de l'univers aux sciences de la vie, et invite M. Le Maho à prendre la parole.
Les sciences de la vie
M. Yvon LE MAHO - Membre de l'Académie des sciences
Monsieur le Sénateur, mes chers collègues, Mesdames et Messieurs. Pour aborder le degré de pertinence d'un observatoire de l'Arctique, il faut déjà savoir que nous avons une communauté qui est bien organisée. Celle-ci va s'employer à renforcer par ses efforts celle des sciences de l'univers. Cependant, la notion d'un observatoire est moins évidente dans les sciences du vivant. En effet, dans les structures actuelles, les ORE (les Observatoires de recherche sur l'environnement) se limitent à des objectifs essentiellement physico-chimiques, la biologie n'apparaissant vraiment que par les aspects biogéochimiques. Il en va de même au travers du directoire scientifique. En fait, les suivis à long terme d'impact de la variabilité climatique sur les communautés animales et végétales menées dans le cadre de l'Institut polaire s'inscrivent dans les « zones ateliers » du CNRS. J'espère que cela sera pris en compte lors de la structuration au cours de la recherche scientifique.
Ce n'est pas une question évidente, encore une fois. Vous le savez bien, Monsieur le Sénateur, vous qui avez déjà été confronté à ce problème dans votre étude sur la recherche antarctique. Vous savez également que je n'ai pas l'habitude de mâcher mes mots. Pendant très longtemps, la communauté s'est attachée à suivre à long terme la population d'animaux et de végétaux au mieux dans l'indifférence. Ses travaux étaient en effet considérés comme dépassés, sans intérêt. Ceci alors que, parallèlement, un développement devenait majeur : l'apparition de disciplines comme la biologie moléculaire. Il faut bien revenir sur le contexte de l'époque. Dans un premier temps, les recherches menées dans les TAAF étaient réalisées dans le cadre d'une association Loi de 1901, les expéditions polaires françaises de la Mission de recherche des TAAF. Nous avons échappé à l'effet de mode de la biologie moléculaire qui, à d'autres endroits, a eu un effet très négatif. Le moment de la fondation de l'Institut polaire marque un changement. En effet, parallèlement aux travaux menés par nos collègues des sciences de l'univers, les suivis à long terme de populations sont désormais bien soutenus par le PEV.
Quelle est la justification de ces travaux ? Nous étudions l'impact de la variabilité climatique sur la biodiversité. Nous étudions l'impact du climat sur la biodiversité au travers de phénomènes climatiques : El Nino, El Nina, le phénomène NAO (North Atlantic Oscillation). Ces phénomènes sont désormais bien connus grâce aux collègues des sciences de la Terre, leurs conséquences pour la biodiversité restant par contre beaucoup moins bien comprises.
En allant vite et en simplifiant, je vais donc parler des enjeux de l'oscillation nord-atlantique qui a notamment fait l'objet d'études par les scientifiques français.
Nous définissons un indice (NAO) en comparant la pression au niveau de l'Islande et au niveau du Portugal, dans les Açores. La différence de pression va permettre de définir cet indice, qui est soit positif soit négatif. Celui-ci aura des conséquences écologiques très importantes. Nous observerons des conditions climatiques tempérées ou, au contraire, plus contrastées, plus sévères, variant selon les régions : ces conditions vont influencer la répartition des espèces, et particulièrement les ressources marines. La force et la fréquence des tempêtes vont varier, ce qui va déterminer l'étendue de la glace de mer et la couverture nuageuse. Or les régions arctiques ont une importance majeure du point de vue des ressources halieutiques. Comment peut-on suivre cette évolution, ce lien entre le climat et ces ressources d'un potentiel commercial majeur ? La méthode adoptée est la suivante : l'évolution de la population de morues, de harengs, de capelans est suivie de près. Des échantillons et des données sont prélevés à long terme. Nous comparons ensuite les indices de variation et la durée de l'espérance de vie afin de déterminer l'évolution des stocks de poissons, tout en suivant l'évolution des températures.
Nous établissons des corrélations à partir de ces résultats. Ainsi, on constate un effondrement de la filière du hareng représentée à gauche du tableau dans les années 60. Cet effondrement a entraîné une faillite des pêcheries. Les populations juvéniles de harengs se sont alors reconstituées. Ces dernières ont mangé beaucoup plus de capelan, un poisson qui est la nourriture de la morue. Les capelans n'étant plus en quantité suffisante pour les morues matures, ces dernières ont survécu en mangeant à leur tour les morues juvéniles. Le changement de température rendant alors beaucoup plus difficile la reconstitution des populations de morues juvéniles, il en a résulté une incapacité des stocks à se reconstituer.
Mais qu'en est-il des bases de données ? Comme vous le savez, depuis le XIX e siècle, nous conservons des échantillons biologiques dans les musées. Pour ce faire, un métier revêt une importance cruciale, celui de curateur de muséum, dont le rôle est de préserver les collections et de conserver un patrimoine destiné aux utilisateurs du monde entier. On vient du monde entier pour étudier des collections d'espèces parfois disparues. Vous comprendrez donc qu'aujourd'hui nous avons besoin de conserver également des données chiffrées : un suivi à long terme est donc nécessaire, comme le sont les moyens pour l'assurer. Il nous faudra à cet effet constituer un patrimoine qui fera le lien avec le climat, la faune et la végétation. Il nous faudra également éviter que ces données soient perdues, car elles sont en effet essentielles à la compréhension des différentes situations. La seule façon de comprendre comment peuvent se reconstituer les stocks était d'étudier les relations entre le hareng, le capelan et la morue. Cela nous a permis de calculer que les stocks de morue commencent à se reconstituer en vingt ans. Le développement des observatoires du vivant est donc complémentaire de celui de structures homologues dans les sciences de l'univers.
L'autre problème que représente l'Arctique est que nous sommes en territoire étranger. Il nous faut procéder avec tact, vérifier l'existence de réseaux d'observatoires des sciences de la vie, et, si besoin est, les renforcer et les développer. Ceci n'est pas si simple lorsque nous abordons le domaine du vivant. Les biologistes français, que je représente ici, ne sont pas en mesure d'arriver sur le terrain de l'Arctique et de prétendre en prendre le leadership. Dans ce contexte, nous nous devons de mentionner qu'il existe déjà un réseau de bases de données pour l'Arctique. J'ai pris pour exemple le Centre de synthèse de biologie évolutive, le CEES, un laboratoire d'excellence à Oslo. Ses publications témoignent que c'est un laboratoire d'importance dans le domaine de l'impact du changement climatique sur la faune et la flore. Nils Stenseth, son directeur, en a fait un tissu auquel collaborent de nombreux chercheurs français. La collaboration porte aussi bien sur l'Arctique et l'Antarctique que les régions tropicales. Des chercheurs français éminents comme Jean-Marc Fromentin sont également en lien étroit avec le CEES. Le CEES s'est véritablement imposé comme une école de biomathématique majeure. Philippe Cury, qui vient d'écrire un livre sur la gestion des ressources marines, a tissé des liens très forts avec ce laboratoire. Je le répète : c'est une école majeure pour les Français. On compte actuellement dix doctorants français dans cette équipe norvégienne !
Une suggestion à retenir : partir de ce laboratoire, qui a de nombreuses connexions, pour constituer un réseau institutionnalisé. Celui-ci n'existe d'ailleurs pas, puisque, pour l'instant, il n'existe qu'un réseau de collaborations. Il faut aussi savoir qu'ailleurs d'autres équipes travaillent sur le domaine. J'ai parlé des ressources marines, mais nous pourrions citer les laboratoires de Chizé ou de Lyon. Nous pouvons voir que nous avons là une base très solide pour constituer un réseau. Le travail, mené sous l'égide de l'IPEV, sur l'effet du changement climatique sur les manchots royaux a été fait en collaboration avec ce laboratoire d'Oslo. L'IPEV, avec son homologue allemand, joue aussi un rôle important dans ce domaine.
Nous pouvons déjà voir qu'il y existe, autour d'un centre qui pourrait être situé en Norvège, un véritable centre de vie scientifique. Il y a là matière à développer un réseau. Un objectif pourrait être de l'introduire dans un cadre européen, notamment avec l'aide de la Fondation européenne de la science. Ceci permettrait d'aboutir à la création d'un laboratoire en Arctique, qui serait connecté aux recherches faites ailleurs dans les régions tropicales, tempérées, et en Antarctique. Je vous remercie.
M. Christian GAUDIN
Je remercie M. Le Maho. Il nous faut maintenant continuer avec les sciences de l'homme et de la société, et nous allons entendre Mme Sylvie Beyries sur ce sujet.
Les sciences de l'homme et de la société
Mme Sylvie BEYRIES - CNRS, Sophia Antipolis
Monsieur le Sénateur, Mesdames, Messieurs, cher collègues. L'objectif des sciences de l'homme et de la société, dans un observatoire de l'Arctique, serait de connaître et d'anticiper, pour mieux les maîtriser, les conséquences que le réchauffement climatique actuel aura inéluctablement sur les organisations. Dans cet exposé, après avoir fait un état de la question, nous examinerons les outils qui pourraient être développés et les moyens à mettre en oeuvre pour tenter d'atteindre cet objectif.
Au cours du Quaternaire, les hommes ont dû s'adapter, à plusieurs reprises, à des changements climatiques majeurs. Chacun de ces changements a entraîné de profondes modifications dans les modes d'organisation. Comprendre les influences des changements climatiques des organisations économiques, sociales et sur les mouvements des populations constitue une des problématiques centrales des études préhistoriques et anthropologiques.
Les phénomènes climatiques sont les éléments d'une histoire évolutive. Ainsi, il y a trente-cinq mille ans disparaissait totalement et définitivement une espèce humaine en Europe : les Néanderthaliens. Cette disparition est souvent mise en relation avec l'arrivée rapide, de l'ordre de quelques siècles, d'un épisode climatique froid, ceci cumulé, bien évidemment, à d'autres facteurs.
Autre exemple, il y a environ douze mille ans, la culture magdalénienne disparaît ou se transforme radicalement alors qu'un réchauffement climatique contraint les rennes qui sont au coeur de l'économie de subsistance à remonter vers le nord. Au moment où ont eu lieu ces bouleversements, ce sont des fractures, des déchirements, des drames ou des catastrophes, qui ont marqué la vie de ces hommes.
Par la suite, les processus de sédentarisation, l'émergence de la ville et de l'état et plus près de nous la révolution industrielle se sont accompagnés d'un contrôle croissant sur le milieu naturel. Simultanément, se développe l'idée d'une déconnection entre l'homme et son milieu naturel. Aujourd'hui encore, certaines parties du monde qui offrent des conditions souvent extrêmes, connaissent un mode d'exploitation du territoire par petits groupes. Dans des biotopes comparables à ceux de la fin du Pléistocène, ils ont construit des systèmes socio-économiques fondés sur cette même étroite dépendance avec l'environnement.
Entre 60 et 75 degrés de latitude nord, la biomasse végétale change considérablement et l'on passe très progressivement de la taïga à la toundra. Ces biozones présentent chacune des particularités : les contrastes saisonniers et les ressources végétales ne sont pas les mêmes, ce qui n'est pas sans implication sur les systèmes de subsistance. L'exploitation de toutes les ressources disponibles et nécessaires à la survie oblige à une mobilité à travers un territoire dont les richesses apparaissaient comme complémentaires. Cette mobilité est un élément clé de l'organisation économique et sociale. Malgré la force des contraintes qu'impose cet environnement difficile, en même temps que des réponses similaires sont apportées, il y a toujours une place pour des choix culturels qui permettent à chaque groupe d'afficher son identité. Je développerai en exemple le cas de la Sibérie, mais nous aurions pu tout aussi bien parler des groupes qui vivent dans le Grand Nord canadien ou occupent le Groenland.
Dans tous les cas, qu'il soit sauvage ou domestique, le renne est au coeur du système sibérien. Ce grand mammifère est le seul à être biologiquement et éthologiquement adapté aux écosystèmes arctique et péri-arctique. Pour assurer sa subsistance, le renne explore des territoires différents en fonction des conditions climatiques : grandes migrations des troupeaux sauvages qui descendent vers le sud en hiver pour remonter vers le nord à la belle saison ou encore, transhumance des troupeaux domestiques qui avancent régulièrement guidés ou suivis par les hommes.
Comme le renne, pour survivre dans ces régions, les hommes se sont adaptés morphologiquement, biologiquement et culturellement. Aujourd'hui, alors même qu'une partie des populations est théoriquement sédentarisée, on observe toujours une présence forte des pratiques nomades. Les cycles de nomadisation varient selon les saisons et les latitudes. Cependant, il n'y a pas un état nomade ou un état sédentaire ; il y a une large palette de degrés entre ces deux états, qui traduisent à la fois une capacité d'adaptation et de résistance.
Les systèmes autochtones mis en place sont extrêmement efficaces mais leur équilibre est particulièrement fragile. La moindre modification d'un des paramètres entraîne des changements importants sur la totalité du système. En Arctique, en raison des conditions extrêmes, les conséquences du moindre phénomène sont démultipliées. Pour toutes ces régions, les profonds changements apportés par les évolutions économiques, techniques ou politiques du XX e siècle ont créé des ruptures et/ou des dysfonctionnements importants.
Dans nombre de cas, les systèmes ont dû être repensés et réorganisés plusieurs fois en moins d'un siècle. Les Dolganes, par exemple, étaient et restent des chasseurs/éleveurs de renne. Avec la soviétisation, une partie de la population a été sédentarisée. Les comptoirs administratifs isolés ont fonctionné pendant un demi-siècle grâce à des soutiens étatiques : ravitaillement par camion, bateau ou hélicoptère. Après l'abandon du communisme et les problèmes économiques inhérents, l'approvisionnement des villages devient aléatoire, en particulier l'hiver. C'est une organisation fondée sur la complémentarité entre sédentaires et nomades qui s'est mise en place et qui permet aux uns et aux autres de subsister. Les éleveurs-chasseurs de rennes ont établi leurs circuits de nomadisation passant à proximité des villages, en particulier l'hiver et assure ainsi un ravitaillement en viande. En échange, personnes âgées et enfants sont pris en charge par le village.
Ces cultures fragiles n'ont jamais montré de véritables résistances aux changements, mais plutôt de réelles capacités adaptatives et d'anticipation.
En termes de flux migratoire, la Sibérie a toujours intégré les mouvements engendrés par les changements liés, majoritairement, au climat. Une des différences entre les changements climatiques du passé et celui auquel nous sommes confrontés aujourd'hui serait la rapidité de mise en place du phénomène (les résultats, très récents, obtenus dans le cadre du programme international NorthGrip amènent peut-être à reconsidérer cette dernière hypothèse).
Face à des modifications environnementales, plusieurs options se présentent :
1- Les changements sont très lents, de l'ordre du millénaire - c'est-à-dire peu perceptibles à l'échelle humaine - la population s'adapte, ce qui ne va pas, bien entendu, sans changements culturels importants. On ne passe pas du statut de chasseur en forêt à celui d'éleveur ou agriculteur de steppe sans changements culturels fondamentaux. Les évolutions étant graduelles, très lentes, il n'y a pas de choc culturel visible.
2- Lorsque les changements sont rapides et ponctuels, les populations vont se déplacer vers des environnements au plus proche, ce qui leur permet de garder le même mode d'organisation. Un exemple, depuis environ cinq ans, en Extrême Orient sibérien, dans un environnement de montagnes et de plateaux percés de fleuves et de vallées avec des couloirs forestiers, les premiers symptômes du changement climatique ont amené une augmentation de la pluviométrie en hiver. Les températures hivernales et le vent transforment le manteau neigeux en une carapace de glace. En hiver, le renne se nourrit en grattant la neige avec son sabot. En revanche, il lui est impossible de casser la glace. Ce phénomène a obligé les pasteurs à modifier leurs circuits de transhumance vers des zones protégées, en fonction de leurs connaissances du paysage.
3- Si le phénomène s'installe, ce qui apparaît dans des régions plus au sud (50 à 55 degrés de latitude nord) où le réchauffement est perceptible depuis une quinzaine d'années, les rennes sont les premiers à en ressentir les effets. Aujourd'hui, dans ces régions, le taux de mortalité des rennes augmente d'année en année. Pour conserver leurs troupeaux, qui assurent majoritairement alimentation et vêtements, les nomades sont obligés de se déplacer vers des espaces toujours plus élevés en altitude ou dans des zones plus froides et ceci même en hiver. Il s'agit donc de changer les circuits sur l'année et non juste sur une saison. Que va-t-il advenir si l'animal doit remonter vers le nord pour trouver des conditions adaptées à son éthologie ?
Cette question est à mettre en parallèle avec ce que nous évoquions précédemment, la disparition du renne en France a la fin du Paléolithique qui semble aller de pair avec la fin de certaines cultures. Est ce que cela signe la disparition de certaines cultures autochtones ? On peut légitimement se poser la question suivante : comment peuvent s'adapter des groupes à une disparition de l'animal partenaire qui est au coeur de leur économie de subsistance et sur lequel s'est construite une vision du monde ?
Pour revenir aux mouvements migratoires, lorsque le réchauffement se prolonge et/ou s'amplifie, de proche en proche les populations peuvent parcourir des distances importantes. De manière très schématique, si les migrants arrivent dans des zones non peuplées, situation de plus en plus rare, il n'y a pas de problèmes majeurs. En revanche, si les zones sont peuplées, on se trouve face à deux cas de figure :
- soit les populations locales sont repoussées peu à peu : c'est le cas des Dolganes, éleveurs de renne, qui ont été poussés par les Evenks des zones septentrionales, eux aussi éleveurs de rennes. Dans ce cas, où les cultures sont proches, il n'y a eu que peu d'assimilation, comme le montrent les études sur la génétique des populations.
- soit les groupes cohabitent, c'est le cas des Evenes de la zone la plus méridionale poussés par les Iakoutes les plus septentrionaux (traditionnellement éleveurs de chevaux). Le contexte écologique était tel que ces derniers ont dû se reconvertir à l'élevage du renne, abandonnant le cheval ; corrélativement, les écarts culturels entre Evenes et Iakoutes dans ces zones se sont atténués.
Le risque est donc de voir ces populations se normaliser, ce qui aboutirait, à terme, à un appauvrissement d'expressions culturelles.
Jusqu'à présent, quelle que soit la zone, arctique ou péri-arctique, dans laquelle on se trouve en Europe, en Asie ou en Amérique, les populations vivant encore traditionnellement ont apporté des réponses adaptatives locales aux modifications climatiques. Elles ont su modifier leurs pratiques en même temps que se modifie l'environnement. La présence d'un barrage entraîne en aval un réchauffement des eaux et une transformation des qualités de la glace. Pouvoir circuler en toute fiabilité sur le fleuve gelé suppose une réadaptation des connaissances pour une nouvelle forme d'évaluation du risque. Si le mouvement s'installe, c'est véritablement une remise en question globale à laquelle ces populations seront confrontées, ce qui risque d'aller de pair avec des situations conflictuelles.
A partir des ces constatations, et pour anticiper tous ces changements, il semble raisonnable et efficace de se fonder sur les connaissances locales. Dans l'équilibre actuel, les modes de vie permettent de répondre à l'ensemble des besoins. Cependant, quel est le degré de liberté que l'environnement impose au système existant ? Corrélativement, quels sont les choix possibles sur la taille des groupes, le degré de mobilité ?
En travaillant sur les cartographies des évolutions récentes, fournies notamment par l'imagerie aérienne et satellitaire, des croisements peuvent être envisagés entre l'analyse des évolutions des paysages et les solutions mises en place par les populations et leur perception de ces phénomènes. Nous pouvons travailler sur des paramètres tel que : le recul de la banquise et des glaciers, les rigueurs de l'hiver, le changement des cortèges floristiques et fauniques, l'évolution des pathologies, la modification de l'alimentation des rennes...
Les études génétiques des populations et la linguistique nous donnent des indications sur les courants migratoires du passé à une échelle historique ; avec l'aide de l'imagerie satellitaire on pourrait s'interroger sur les itinéraires qui ont été empruntés ? Pourquoi ces choix ? Y en a-t-il d'autres possibles ?
Des réponses à ces questions permettraient d'établir des modèles prédictifs permettant d'anticiper les migrations «climatiques » ? Des zones ateliers, choisies en fonction des paramètres géographiques, économiques, écologique ou autres ... doivent être identifiées. Autour de ces zones, il faut continuer à développer et élargir les programmes pluridisciplinaires déjà existants, programmes fondés sur des chercheurs parfaitement intégrés au sein de populations locales. Cette dernière notion est fondamentale, car les chercheurs travaillant aujourd'hui sur et dans ces régions ont déjà effectué nombre de missions de terrains. Quelle que soit leur ampleur, ils perçoivent déjà les changements dus aux modifications climatiques et la manière dont les groupes les ont intégrés. Connaissant les modes de pensée des populations impliquées, il leur est facile d'adapter les questionnements en fonction des spécificités de chaque groupe. La majorité de ces chercheurs ont, dans leurs notes, les premiers éléments de réponses aux questions adaptatives liés au réchauffement ; même si ce n'est pas leur thématique de recherche c'est sans doute pour cette dernière raison que ces informations sont totalement sous-exploitées.
Ces confrontations, transdisciplinaires (ethnologie, anthropologie biologique, histoire, archéologie, génétique, biochimie, géographie...) doivent être organisées dans un cadre institutionnel qui permettrait de croiser les informations, de donner une cohérence à l'ensemble, de rebâtir de nouveaux programmes appuyés sur les résultats précédents
Toute cette réflexion pourrait se dérouler dans le cadre d'Ateliers de réflexion prospective (ARP), structure dépendante de l'Europe et qui peut avoir des partenaires internationaux, financé par l'ANR. Les ARP ont pour objet de relier tous les partenaires potentiels d'un projet de recherche dans le but d'échanger et de diffuser des connaissances, d'analyser des besoins, de stimuler la réflexion sur des problématiques précises. Dans ce type d'appel d'offre, l'ANR ne finance qu'un seul projet qui doit en fédérer plusieurs avec des budgets qui peuvent-être préaffectés. C'est le fonctionnement proposé pour l'appel d'offre ARP. "Adaptation de l'agriculture et des écosystèmes anthropisés au changement climatique", problématique comparable à celle dont nous débattons aujourd'hui.
Pour conclure, les spécificités environnementales des régions arctiques, par leur caractère extrême, sont contraignantes. Elles offrent des conditions particulièrement favorables pour étudier la part des choix proprement culturels dans les stratégies d'adaptation aux contraintes.
Ces contraintes ne dictent pas tout, loin s'en faut, du comportement des humains. Le subit changement climatique offre sans aucun doute une occasion précieuse de voir les capacités d'innovation à l'oeuvre. Les sciences humaines ont non seulement leur place dans un Observatoire de l'Arctique, mais elles peuvent y tenir un rôle pivot, créant le lien entre toutes les sciences pour que les résultats obtenus prennent une forme utilisable par et pour toutes les sociétés humaines.
Merci.
M. Christian GAUDIN
Je remercie Madame Beyries. Nous avons donc une compréhension des regards portés par chaque discipline. Je vais maintenant demander à Edouard Bard de nous parler de multidisciplinarité pour mieux comprendre le réchauffement climatique.
L'enjeu de la multidisciplinarité pour comprendre le changement climatique
M. Edouard BARD - Professeur au Collège de France
Monsieur le Sénateur, Mesdames et Messieurs, chers collègues. Mon rôle est de vous parler du rôle de la multidisciplinarité dans notre compréhension du réchauffement climatique. Nous allons insister sur des notions qui peuvent paraître connues, mais sur lesquelles il est important de revenir. Quand on parle du changement climatique, nous parlons de modifications d'un système particulièrement complexe. Celles-ci ne se limitent pas à l'atmosphère mais à un ensemble de compartiments. Ceux-ci sont liés les uns aux autres par des échanges de matière, essentiellement de l'eau, et d'énergie, en particulier sous forme de chaleur. Par exemple, l'atmosphère est connectée aux océans et à la biosphère, incluant la végétation sur les continents. Le système climatique est perturbé de l'extérieur par des phénomènes d'origine soit naturelle soit anthropique.
Nous sommes donc en présence d'un système véritablement complexe, qu'il faut appréhender globalement pour bien comprendre l'impact du changement climatique. Il me semble important de souligner ces points importants qui justifient pleinement l'approche pluridisciplinaire.
Une des conséquences de cette complexité réside dans les interactions entre ces différentes enveloppes ou compartiments, qui ont des constantes de temps très différentes. Une façon de l'illustrer est de considérer la conséquence des émissions de gaz carbonique anthropique. A l'aide de modèles mathématiques, nous pouvons par exemple simuler un arrêt ou une diminution de l'injection de carbone fossile dans l'atmosphère par l'industrie humaine. La conséquence est bien évidemment la stabilisation de l'effet de serre, à l'échéance d'un siècle ou de quelques siècles. Mais la modélisation montre aussi que l'augmentation de la température mondiale perdure pendant plusieurs siècles. Cette inertie du climat peut avoir des conséquences sur le niveau de la mer, au travers de la dilatation des océans et de la fonte du Groenland, de l'Antarctique et des glaciers continentaux. Autant de phénomènes lents qui vont durer encore de nombreux siècles. Nous devons faire avec des constantes de temps qui sont très variables, et qui rendent le système global difficile à prévoir.
Il est important de souligner l'inquiétude des scientifiques en ce qui concerne la zone arctique. En effet, les études montrent, à la fois grâce aux observations récentes et aux simulations par ordinateur, que c'est bien l'Arctique qui va être le plus affecté - avec un réchauffement qui sera du double, voire du triple par rapport au reste du monde.
Pourquoi la zone arctique est-elle plus affectée que le reste du monde ? Ce problème est lié à des rétroactions positives, c'est-à-dire, en langage commun : des cercles « vicieux » amplifiant le réchauffement initial. Le recul de la glace de mer, qui agit comme un miroir géant, entraîne, lorsqu'elle recule, une diminution de la réflexion des rayons du soleil. Ce recul augmente en retour l'absorption du rayonnement solaire par les océans, ce qui contribue à amplifier le réchauffement. Nous pouvons mettre en évidence cette amplification en étudiant le réchauffement des dernières décennies. Mais elle agit aussi sur des échelles de temps étalées sur des dizaines, voire des centaines de milliers d'années.
Par ce rappel de quelques faits importants, je voulais illustrer la complexité de notre système climatique. Cette illustration montre aussi qu'un scientifique, seul et unique, ne peut pas appréhender et comprendre la complexité de la « machine » climatique. C'est ce qui montre l'absolue nécessité d'une multidisciplinarité et d'une étroite collaboration entre les spécialistes des différents champs disciplinaires. Celles-ci sont vitales pour comprendre et prévoir le changement climatique, en particulier dans une zone arctique qui malheureusement sera touchée de plein fouet par le réchauffement mondial.
Un Observatoire de l'Arctique pourrait donc être très utile, notamment si l'on y favorise la collaboration entre les disciplines connexes, qui parfois n'interagissent pas assez entre elles. Pour mieux comprendre les interactions des compartiments du système climatique, il faut favoriser les interactions entre les scientifiques impliqués : les dynamiciens et chimistes de l'atmosphère, les océanographes et les biologistes marins, les glaciologues et les paléoclimatologues... Les spécialistes du cycle du carbone et du cycle de l'eau devront aussi contribuer à notre compréhension du système terrestre dans sa globalité. Encore une fois, nous avons tout à gagner en continuant ce type de recherche pour comprendre les interactions entre les différentes composantes du système climatique. Une collaboration est donc absolument fondamentale entre ces différents secteurs de recherche.
J'aimerais conclure sur ce point : nous avons pu nous mettre d'accord sur l'organisation d'un colloque sur ces sujets importants, notamment le devenir de la zone arctique. Il se tiendra l'année prochaine et sera composé de deux journées, l'une au Sénat et l'autre au Collège de France. Nous y aborderons les aspects scientifiques et politiques du problème. Je vous remercie de votre attention.
Débat
M. Christian GAUDIN
Je remercie tous les intervenants. Nous allons donc maintenant aborder la phase d'échanges.
Je voudrais demander aux représentants des domaines monodisciplinaires leurs avis sur les conditions d'une interaction entre les disciplines. Comment peut-on envisager de qualifier ou de calibrer un observatoire en termes de périmètre ? Il a été évoqué à plusieurs reprises un périmètre européen, composé d'interventions au niveau de certaines structures. Comment envisager la mise en place d'une observation pluridisciplinaire et la capacité à interagir entre ces sites ?
M. Yvon LE MAHO
Nous ne pouvons pas être excellents dans toutes les disciplines, chaque laboratoire a en effet une ligne de force principale. Un suivi des évolutions des populations n'est pas suffisant, nous devons aussi pouvoir les interpréter. A cet effet, il est nécessaire d'élaborer des modèles mathématiques, c'est pour cette raison qu'une bonne partie de mon équipe est présente à Oslo. Il nous faut donc des moyens pour nous déplacer. Nous pourrions réfléchir à ce qui a été accompli dans le cadre de Concordia et l'appliquer aux activités dans le cadre de l'Arctique. Rien ne remplace le fait de se déplacer dans d'autres laboratoires, d'abord pour apporter sa propre expertise, et ensuite pour bénéficier d'autres recherches.
Mme Sylvie BEYRIES
Je suis d'accord. Il est important de savoir ne pas perdre de temps et d'argent, et d'avoir des questions extrêmement ciblées. La pluridisciplinarité est un système dans lequel chaque discipline est l'une des articulations du système. Il faut penser en termes de réunions thématiques avec, pour chacun, des réponses sur la question posée.
M. Yvon LE MAHO
L'approche pluridisciplinaire ne doit pas consister à aller chercher une autre équipe en lui disant : « Vous avez une réponse à ma question ». Il s'agit plutôt d'élaborer ensemble les questions et les réponses. Nous ne devons pas poser, chacun de notre côté, notre propre question. Il s'agit d'obtenir un soutien financier pluridisciplinaire sur les questions posées, comme avec l'ANR. Mais celle-ci n'a pas les moyens nécessaires pour faire fonctionner un réseau comme un observatoire, ou bien nous devrons renforcer les outils existants, et les associer. Ce sont des financements à long terme et ils sont, pour l'instant, très clairement insuffisants.
M. Denis-Didier ROUSSEAU
Au niveau des missions pratiques d'observation, nous ne partons pas de zéro. Il y a déjà une structuration existante à l'INSU sous forme de réseaux d'observation. Elle est présente dans la démarche des chercheurs travaillant ensemble depuis de nombreuses années, et il existe des actions incitatives déjà programmées à cet effet. Le véritable problème est, comme le soulignait M. Le Maho, que ces actions sont limitées. Des moyens sont disponibles mais, effectivement, l'ANR n'est pas en mesure de permettre de faire perdurer financièrement le fonctionnement de tels réseaux d'observation. L'INSU a déjà une certaine pratique de ces incitations à l'observation mais ses sources de financement propres sont très limitées.
M. Edouard BARD
Il est nécessaire de faire un inventaire des forces existantes, pays par pays. Afin de mieux collaborer au niveau international, nous devons aussi faire l'inventaire des institutions qui financent ces laboratoires. Ceci permettra d'avoir une vue d'ensemble des forces en présence autour de l'Arctique, dans tous les domaines et pour tous les pays. Nous devons ensuite faire en sorte que des institutions internationales pouvant générer des réseaux de collaborations, disposent de ressources suffisantes. Et que celles-ci puissent être impliquées dans ce projet, pour ensuite répartir les ressources au niveau des institutions nationales.
Mme Sylvie BEYRIES
Il faut souligner que les financements sont extrêmement difficiles à trouver.
M. Christian GAUDIN
La complémentarité des sciences humaines dans une approche multidisciplinaire vis-à-vis des climatologues a été évoquée plus tôt.
M. Edouard BARD
Nous avons compris que le changement climatique aura un impact sur les sociétés humaines. Cet impact produira aussi des conséquences néfastes sur le climat. En particulier, le réchauffement devrait entraîner des modifications du cycle du carbone dans les océans et sur les continents, notamment les sols cultivés. Globalement, ces conséquences conduiront à augmenter encore la teneur atmosphérique en gaz à effet de serre. C'est ce que l'on appelle une rétroaction positive car il s'agit d'une amplification de la perturbation initiale. Le réchauffement devrait donc empirer et cette amplification aura donc un effet négatif à l'échelle de notre planète.
M. Christian GAUDIN
A l'intention de celui ou celle qui souhaiterait poser des questions, je rappelle que c'est un échange ouvert, donc n'hésitez pas à intervenir.
M. Gérard JUGIE
Merci Monsieur le Sénateur. Je souhaiterais revenir sur un certain nombre d'arguments présentés par Edouard Bard en faveur de la coordination européenne. Vous êtes parvenu, M. le Sénateur, à réunir autour de cette table l'essentiel des partenaires qu'il faut coordonner et impliquer pour la méthodologie à mettre en oeuvre. Afin d'obtenir des moyens pour un éventuel observatoire, il me paraît judicieux de segmenter la démarche pour qu'elle soit applicable aux différentes disciplines. Il est reconnu que l'INSU a une forte expérience dans ce domaine, et dispose d'un recul beaucoup plus important que d'autres disciplines. Après les discussions que nous avons pu avoir, il semble en premier lieu nécessaire de définir précisément l'objet de l'observation. Nous devrons ensuite en définir les paramètres descriptifs pour enfin mettre à disposition d'une large communauté les observations recueillies. L'expérience de milieux confinés comme les milieux polaires a permis à ces communautés diverses de mettre au point une méthodologie. Elles l'ont ensuite appliquée à d'autres champs disciplinaires, par exemple, dans les sciences du vivant où la France occupe les premiers rôles. Je pense également que ce type de méthodologie peut être appliqué au niveau des sciences de l'homme et de la société. Au-delà du simple constat du changement climatique, il existe toute la partie concernant son impact sur l'homme à considérer, et toutes les disciplines ont leur place dans ce travail. Dans les actions à mettre en oeuvre, pour une discipline donnée, au niveau national, puis international, il semble crucial de retenir les mêmes méthodologies avant d'aller chercher les moyens nécessaires. Ceci permet de poser comme condition préalable le liant qui est essentiel pour répondre à la multidisciplinarité.
M. Robert DELMAS
Je travaille actuellement comme expert pour le ministère de la Recherche, mais j'ai précédemment été chercheur au laboratoire de glaciologie de Grenoble, et aussi dans le domaine de l'atmosphère et de la chimie atmosphérique. J'ai connu ce moment où il y eu beaucoup de développements dans le domaine des pluies acides et de la chimie de l'atmosphère, et je suis convaincu qu'il y a encore beaucoup de réseaux d'observation qui sont actifs. Il me semble de bon sens de les contacter. Dans un autre domaine, celui des plantes, de la faune et la flore et des micro-organismes, une révolution s'est réellement produite. Des pans entiers de la science classique ont été cassés. Les scientifiques Tchèques ont par exemple su conserver des informations sur les micro-organismes, grâce à des chambres froides où sont conservées des collections, provenant notamment de l'Arctique. Ce travail est effectué en Bohême du Sud. Je pense que des collègues tchèques seraient intéressés à participer aux activités d'observation qui pourraient se mettre en place dans l'Arctique.
J'avais une question sur les domaines de la faune et la flore : que va-t-on observer et quels seront les indicateurs pertinents ? Il me semble que la biodiversité est l'une des grandes questions. En ce qui concerne les poissons, nous disposons de prélèvements sur les pêches, mais le problème est loin d'être résolu pour d'autres domaines.
M. Yvon LE MAHO
Définissons déjà un certain nombre de problèmes. Partons par exemple des espèces invasives, en se basant sur les travaux de la station de Paimpont. Que cela soit dans le domaine des plantes ou des insectes, nous constatons qu'avec le changement climatique une espèce invasive apparaît à un endroit où elle ne vivait pas jusque-là. Un préalable est de mettre en évidence que ce phénomène est lié au changement climatique. Nous pouvons ensuite réétudier les conséquences du développement et de l'extension de ces espèces invasives sur les plantes ou les insectes endémiques.
Il nous est impossible, dans notre discipline, de suivre toutes les espèces. Nous procédons de la même manière qu'en archéologie préventive. Chizé suit quand même l'ensemble des populations, mais n'essaie de comprendre l'ensemble des interactions que sur un nombre limité d'espèces, les unes après les autres.
Nous avons été frappés dans la communauté par certaines attaques. Un article est paru dans L'Express sur les laboratoires d'excellence. C'est un bon point pour l'IPEV, mais il est tout de même ahurissant que nos laboratoires figurent dans la rubrique des disciplines agro-alimentaires ! L'explication est qu'il n'y a pas de département de la biodiversité au ministère de la Recherche.
M. Robert DELMAS
Il faudrait déjà évaluer ce qui est fait au niveau international par les quatre grands programmes qui travaillent sur le changement climatique, au niveau de la biodiversité, des mécanismes physiques, des cycles biogéochimiques et des sciences de l'homme et de la société. Des études poussées ont été menées depuis vingt ans dans chacun des domaines. Nous en venons désormais à donner la priorité aux recherches se situant aux interfaces entre les différentes disciplines et domaines connexes pour essayer de tout couvrir et de bien comprendre le fonctionnement du système au niveau planétaire.
Je voudrais faire une remarque sur les structurations. En effet, l'ANR finance plutôt des opérations et des structures « one shot », ainsi que le faisait dans le passé le FNS. Il est à cet égard crucial de recommander le développement du corps des physiciens, très important pour pouvoir disposer du personnel nécessaire permettant d'assurer le suivi des observations. Nous savons qu'il est demandé aux chercheurs de publier et de fournir rapidement des résultats. Mais, afin de disposer d'une possibilité d'étude sur le long terme, il semble vital de renforcer le corps de physiciens de l'observation. Il est habilité à accueillir du personnel assurant les observations.
M. Christian GAUDIN
M. Le Maho, sur le sujet des laboratoires d'excellence, je n'ai pas de réponses dans l'immédiat.
M. Yvon LE MAHO
La structuration actuelle de la recherche n'a pas évolué au niveau des disciplines. Vous verrez par exemple qu'il existe peu de laboratoires d'excellence dans le domaine de la biodiversité. Je trouve qu'il y a là une véritable carence.
Mme Joëlle ROBERT-LAMBLIN
Je voulais revenir sur les problèmes de la population du Groenland qui, à l'origine, est une population de chasseurs de mammifères marins. L'arrivée d'une population allochtone aura un impact absolument considérable. Cette nouvelle population va développer la région, notamment dans le domaine minier. Le rapport de force entre populations risque de changer. On compte actuellement 57 000 habitants au Groenland. Mais avec les divers projets de développement à venir (traitement de l'aluminium, exploration des champs pétrolifères, etc.), la population groenlandaise n'aura pas la capacité de résister à l'afflux important d'une population étrangère. Cette dernière, en venant occuper les nouveaux emplois, risque de bouleverser complètement l'équilibre existant. Il nous semble donc très important de continuer à observer la population du Groenland oriental pour récolter des indicateurs bien différenciés. Il faudrait dépasser le cadre de l'ANR pour assurer un suivi, avec un poste sur place qui donnerait la possibilité d'échanger des données avec les autres collègues de la communauté scientifique.
M. Jean-Claude DUPLESSY
Observer, c'est bien, comprendre, c'est mieux. Derrière ce raisonnement se fonde le constat que l'observation est toujours un effort considérable. Ceci implique, cependant, que soit menée au préalable une réflexion très approfondie pour définir ce qui doit être observé, les différents indicateurs, et l'ampleur des paramètres. Nous devons effectuer un travail de réflexion construite avant de passer à un programme pluri-multidisciplinaire. Celui-ci serait extrêmement bénéfique. C'est-à-dire qu'il va falloir dès maintenant préparer le dialogue entre des communautés qui n'ont pas l'habitude de discuter ensemble.
Lancer un programme d'observation impliquera une hausse du budget. Si l'on souhaite que cet argent soit utilisé au mieux, il est important de créer des bases de données fiables et impartiales. Tous doivent pouvoir y accéder. Ceci implique également de prévoir du personnel sur place pour interpréter les données en relation avec le reste des programmes scientifiques, afin de valoriser les résultats. Ce qui implique de passer par des organismes de recherche dans toute la France. Avec un mot d'ordre : préparer une réflexion pluridisciplinaire de manière à avoir le soutien de toute la communauté française. Celle-ci doit pouvoir travailler aux collaborations éventuelles avec d'autres pays, de façon à valoriser au mieux les quelques euros injectés dans cette entreprise.
M. Yvon LE MAHO
Un point que nous n'avons pas abordé est la coïncidence entre cette démarche scientifique et l'évolution dans la société, y compris dans les entreprises. Total a financé des études lorsque se sont produites des marées noires. Le même groupe nous a récemment demandé de faire un état zéro des populations animales d'oiseaux marins dans la mer de Barents. Ceci a été effectué en collaboration avec des Norvégiens et des Russes. Je voulais souligner qu'à l'époque soviétique, ceci aurait été impossible. Nous rencontrons quand même quelques difficultés, mais le point est que nous menons actuellement une collaboration avec les Russes dans l'Arctique.
M. Yves FRENOT
Je suis d'accord sur le fait qu'il est nécessaire de mener une réflexion sérieuse sur les raisons d'être d'une observation. Ceci posé, l'un des grands principes de l'observation est l'accumulation de données à long terme, dans tous les domaines. Il faut mettre à disposition, stocker et sauvegarder ce patrimoine constitué par ces données de manière à pouvoir les utiliser à tout moment. Et ceci porte également sur des questions qui n'avaient pas été prévues à l'origine. Nous pourrions citer de nombreux exemples de cette absolue nécessité. En particulier, sur les bases de données des populations dans l'hémisphère sud, où des données sur le suivi des populations ont été récoltées à l'époque. Aujourd'hui, nous sommes fort contents de les avoir pour pouvoir relier certaines évolutions des populations avec celles des ressources trophiques de la mer. Nous devons donc garder aussi une part d'imagination et de liberté dans l'acquisition des données à long terme. Nous sommes vraiment ici dans de la recherche fondamentale, qui ne comporte pas forcément d'applications directes. Mais il peut s'avérer très utile d'accumuler un vaste champ de données. Plusieurs intervenants ont montré que l'on ne pouvait pas toujours tout suivre et tout enregistrer : nous devons en effet choisir les bons paramètres. J'insisterai également sur un aspect qui a été souligné. Je veux parler du suivi des changements climatiques et de leur compréhension, de l'impact du changement climatique sur la biodiversité, sur les écosystèmes et sur les populations. Ces deux volets me semblent bien évidemment étroitement liés. Nous avons besoin de données pour savoir ce qui se passe au niveau des écosystèmes et des populations elles-mêmes. S'il y a en effet des rétroactions, les protocoles de mesure seront en conséquence différents. Nous verrons probablement deux communautés scientifiques qui travailleront en connivence, mais pas forcément avec les mêmes outils.
2nde partie - La coopération scientifique en Arctique est-elle suffisante ?
M. Christian GAUDIN
Pour cette deuxième table ronde, je suggère de débuter par l'intervention de M. Duplessy. La réponse est bien sûr très attendue au regard de ce qui a pu être évoqué dans le cadre de l'observation multidisciplinaire.
Les problèmes scientifiques liés aux changements climatiques en Arctique et le regard du GIEC ?
M. Jean-Claude DUPLESSY - CNRS, Membre du GIEC
Merci, Monsieur le Sénateur. Pour illustrer cette question avec le GIEC, j'ai pensé qu'il était utile de définir son travail en deux points. Le GIEC a un rôle important et décisif. Il est constitué d'experts désignés par les gouvernements de chaque pays et a une mission claire. Elle consiste à établir un rapport qui est ensuite rendu public. Ce document porte sur l'évolution du climat, sur les progrès accomplis au fil des années par la communauté scientifique pour comprendre le changement. Ce qui comprend la recherche fondamentale et les processus fondamentaux, mais aussi tous les impacts que ce phénomène peut avoir sur les hommes et l'environnement.
La vocation du GIEC, dans ces conditions, n'est pas de coordonner les actions scientifiques et les observations de terrain. Ceci relève de la compétence de programmes qui sont généralement nationaux et internationaux. L'expérience nous a montré qu'ils sont financés par des organismes de recherche nationaux avec des injections tout à fait homéopathiques de crédits par des organismes internationaux.
Je voulais aborder quelques-uns des problèmes scientifiques qui se posent en Arctique, et qui sont des exemples qui montrent le travail qu'il y a à faire ici.
Le premier, vous l'avez signalé, Monsieur le Sénateur, est l'amplification polaire des changements climatiques. Regardons la moyenne des températures pour la période 2001-2005, à comparer avec la période 1955-1980. Nous pouvons constater qu'il y a un réchauffement assez général de la planète. Les endroits les plus marqués sont évidemment les zones de hautes altitudes, pour lesquelles le réchauffement est d'environ du double de celui du reste du monde.
Le second aspect concernant l'Arctique est l'extraordinaire variabilité de la glace de mer, qui disparaît de temps en temps en été. Nous pouvons constater l'extension minimale de la glace de mer observable dans les zones arctiques.
Deux exemples pour souligner la couverture minimale de la glace : nous pouvons voir, pour la période 1982-2007, qu'il y a une réduction considérable de cette couverture dans l'Océan Arctique. Par ailleurs, la calotte glaciaire du Groenland va vraisemblablement fondre au cours des prochains siècles et contribuer à l'élévation du niveau des mers.
Première observation, qui résulte d'observations satellitaires : cette fonte est relativement restreinte dans la partie centrale du Groenland. Par contre, toute la périphérie se caractérise par des pertes de masse. Elles proviennent soit de la fonte directe sous l'influence du réchauffement, soit de la décharge d'icebergs, amplifiée à l'heure actuelle. Tout ceci constitue un champ d'étude important, bien évidemment, pour comprendre la dynamique de cette calotte glaciaire.
Un quatrième problème scientifique concerne toute la partie des pergélisols. 24 % des terres de l'hémisphère nord sont effectivement occupés par des sols gelés en permanence. Ceux-ci sont susceptibles de fondre et d'accroître les émissions de gaz à effet de serre. Une illustration du problème que nous pouvons voir sur cette photographie : nous voyons ce brave monsieur faisant brûler du méthane provenant d'une tourbière. Les lacs du Nord de la Sibérie rejettent une quantité significative de méthane. Il y a déjà des programmes établis en coopération qui montrent que ces émissions de méthane contribuent considérablement à l'effet de serre depuis une trentaine d'années.
Je voudrais vous montrer ici les résultats d'une étude de modélisation. Celle-ci souligne l'importance de la production extrêmement brutale de gaz à effet de serre, dans le cas d'un réchauffement du pergélisol. Ce sont des simulations faites à partir de modèles - elles ne valent que ce que vaut le modèle. Mais il y a cependant quelque chose de fondamentalement vrai : elles concordent avec certaines observations. Le réchauffement du pergélisol, au début, ne provoque pas grand-chose puis se propage à l'intérieur du pergélisol. Mais à mesure que ce dernier se réchauffe, les bactéries se mettent à travailler, et les réactions chimiques d'oxydation in situ provoquent un fort réchauffement de la zone où elles se produisent. On constate que la température augmente alors de l'ordre de 31° C. Le pergélisol est condamné à fondre, il se produit par la suite une véritable explosion de l'activité bactérienne, qui se met à brûler le carbone des sols. C'est ainsi que, en quelques siècles, la totalité du carbone est brûlée, avec bien évidemment une émission de gaz carbonique et, en parallèle, des émissions de méthane.
Il y a là une espèce de bombe à retardement : avant que le phénomène ne devienne vraiment macroscopique, tant que l'activité bactérienne reste faible, les émissions de gaz à effet de serre sont modestes. Mais dès le moment où l'activité bactérienne s'est emballée, il est impossible de revenir en arrière et c'est tout le carbone du pergélisol qui est oxydé rapidement.
Un cinquième point, déjà abordé, concerne la circulation océanique. Nous devons être conscients que la région nordique constitue une zone critique pour la circulation des océans. Cette circulation thermohaline est gouvernée essentiellement par la température et la salinité des eaux de surface, qui déterminent la densité de l'eau de mer. L'Atlantique Nord transporte vers les hautes latitudes des eaux superficielles chaudes et salées qui se refroidissent en hiver et plongent pour former les eaux profondes de l'océan mondial. Ces plongées contribuent à enfouir le gaz carbonique émis dans l'atmosphère par les activités humaines dans les abysses mais l'efficacité de cette pompe diminuera si les eaux se réchauffent. Lorsque l'on mesurait la pression partielle de gaz carbonique dans l'eau de mer, dans les années 1990, l'Atlantique Nord jouait le rôle de puits de gaz carbonique. Aujourd'hui, ce mécanisme d'épuration est en train de s'atténuer.
Je voudrais dire un mot sur les leçons du passé. Lors de la dernière période interglaciaire, qui était une période un peu plus chaude que la nôtre, nous avions une température d'eau chaude à peu près similaire. Le sud de la calotte glaciaire groenlandaise avait fondu et il ne restait plus que la moitié de celle-ci. Le résultat a été l'augmentation du niveau des mers de l'ordre de deux à trois mètres, ce qui est loin d'être négligeable. Ce que nous souhaitons vous montrer, c'est que si la température de l'Atlantique Nord monte de trois degrés, les eaux profondes se réchaufferont sensiblement - par le mécanisme de plongée déjà décrit - et les eaux, un peu plus chaudes, seront entraînées par la circulation océanique. Vous pouvez le voir sur cette courbe, qui est issue d'une simulation donnée par des modèles, mais contrôlée par des données. Ce réchauffement se propage par les eaux de l'océan Atlantique dans une profondeur de deux ou trois kilomètres jusqu'à l'Antarctique. C'est-à-dire que nous avons ce que l'on appelle une télé-connexion entre le réchauffement arctique, qui va voyager sur dix mille kilomètres pour réchauffer l'Antarctique. Cette eau chaude va se trouver en contact avec un cercle de banquise, et toucher la calotte glaciaire dans l'hémisphère Sud. On mesure que celle-ci recule de dix mètres par an lorsque la température de l'eau s'est réchauffée d'un degré.
Ces quelques dixièmes de degré d'élévation produits pendant la dernière période interglaciaire ont contribué à réduire environ de moitié la calotte glaciaire du Groenland et celle de l'Antarctique de l'Ouest. Voici ce nous nous pouvons donner comme ordres de grandeur. Nous constatons aujourd'hui que l'Antarctique de l'Ouest est attaqué par le réchauffement.
Conclusion : ces zones arctiques sont actuellement, comme elles l'ont toujours été, particulièrement sensibles aux changements climatiques. Il y aura des répercussions au niveau régional, mais aussi sur l'ensemble de la planète. Nous pouvons ainsi aussi observer que le cycle du carbone, via la circulation océanique et les transformations affectant les tourbières et les sols gelés en permanence, va avoir un impact sur de nombreux éléments du système climatique. Citons les neiges, les glaces et la végétation, et les télé-connexions à grande distance. Une hypothèse déjà formulée par le passé, mais qui nous semble réaliste et qui est peut-être en train de s'amorcer dès maintenant.
Il paraît évident, vu ce que nous avons dit, qu'un Observatoire de l'Arctique peut paraître une chose utile. Ce que j'ai voulu souligner ici, c'est qu'il y a un ensemble de conditions favorables au plan opérationnel qui existe. Nous avons des équipes françaises qui ont prouvé qu'elles savaient traiter ce genre de problèmes. Plus intéressant encore : les collaborations internationales qui se sont amplifiées seront utiles pour bâtir un Observatoire de l'Arctique à vocation internationale. Elles seront également utiles pour établir un programme scientifique contribuant à ces observations. La communauté scientifique française bénéficie des compétences de l'INSU et des moyens de l'IPEV pour l'organisation scientifique. Je pense qu'il est important d'établir une base de données qui permettra à tout le monde de mener ces observations. Mais il importe également de faire en sorte que, pour le bien du contribuable français, ces observations soient valorisées. Je voudrais souligner que l'INSU a largement fait preuve de ses compétences polaires. Je vous remercie.
La coordination européenne en Arctique : quelles perspectives ?
M. Gérard JUGIE - CNRS, Directeur de l'IPEV
S'il fallait faire bref, nous dirions pour commencer que la coopération scientifique sur l'Arctique est reconnue comme insuffisante, mais je vais m'attacher à développer une vision plus positive et constructive. Je vous propose de vous apporter un éclairage sur la dimension internationale. Quelles perspectives adopter après les exposés que nous venons de suivre ? Nous avons montré ensemble le caractère d'intérêt général revêtu par ces zones, mais nous allons voir le degré d'intérêt de poursuivre cette notion d'Observatoire spécifique pour l'Arctique.
Je pense utile de rappeler que, si les deux pôles ont la même couleur, ils présentent cependant des différences fondamentales. Les deux schémas qui vont suivre rappellent qu'au nord, nous avons à faire à une mer fermée, encerclée par d'importants pays riverains. Ceux-ci ont un rôle primordial à tenir dans ces débats. Notons que cette zone ne dispose pas d'un statut privilégié, contrairement à l'Antarctique et ceci constitue une des difficultés majeures. Je vous rappelle en effet que l'Arctique représente à peu près la même surface que la zone Antarctique régie, elle, par un traité international. Ce traité fixe des obligations aux opérateurs qui y travaillent. Sur ce grand continent, la population n'est que passagère, essentiellement constituée de scientifiques. Ce qui est bien différent en Arctique, pour les raisons qui ont été évoquées tout à l'heure - essentiellement des raisons politiques. Aller faire des travaux dans cette zone implique de collaborer avec les pays riverains.
Cette règle n'est pas de mise en Antarctique, puisque nous avons mission de collaborer dans un cadre international. Toute opération en Arctique nécessite d'emblée d'avoir une approche politique du système. Par ailleurs, pour la première fois depuis longtemps, les Russes, afin de souligner la notion de souveraineté, engagent des manoeuvres militaires lourdes en Arctique. Je pense que, à moyen terme, l'Arctique peut devenir une zone de conflit potentielle en termes économiques.
Il est donc essentiel d'adopter un autre système de coordination, puisque la situation est différente de celle de l'Antarctique. Votre rapport, Monsieur le Sénateur, avait déjà pointé le déséquilibre national, en France, entre l'Arctique et l'Antarctique. Notre pays engage plus de moyens dans la recherche en Antarctique, à savoir deux gros tiers pour l'Antarctique et un petit tiers pour le Nord. Il sera peut être judicieux, à court ou moyen terme, de rééquilibrer cette tendance.
Je vous rappellerai également que peu de choses existent à l'heure actuelle en termes de coordination de la recherche en milieu arctique. Il existe certes des initiatives, mais qui sont pour le moment peu connues et isolées, et n'ont pas le soutien suffisant au niveau politique. Elles ne sont pas suffisamment écoutées, en particulier dans le cadre européen. Cependant, il faut souligner les travaux qui ont été effectués depuis plus de deux ans par les différents organismes nationaux, qui ont été soutenus et ont obtenu les félicitations de l'Union européenne. Un recensement complet de toutes les forces en matière d'infrastructure au niveau européen a été entrepris, y compris celles de la Russie. Il existe une logique adaptée, puisqu'il faut prendre en compte aussi bien les considérations de terrain que les moyens logistiques, aériens et navals.
Cette initiative a réussi à attirer autour du noyau dur européen, soit les dix-neuf pays européens actifs en matière polaire, des pays significatifs, comme les pays sud-américains, les États-Unis et la Russie.
Les travaux ont été articulés autour de cinq groupes du Conseil de l'Arctique qui ont travaillé sur les cinq sujets suivants :
- changement climatique et modification de l'écosystème ;
- système de l'Arctique ;
- effets corrélatifs liés à l'activité humaine ;
- connaissance de la vie arctique ;
- connaissance de l'évolution climatique et des effets cumulatifs.
Pendant longtemps les travaux du Conseil de l'Arctique ont été négligés dans l'Hexagone. Nous y avons participé marginalement, au niveau de l'Institut polaire. Récemment, la tendance a été infléchie puisqu'une délégation interministérielle a assisté à une réunion du Conseil de l'Arctique. Il faut aborder le sujet du Nord avec la même cohérence et la même méthodologie que celles qui ont été adoptées pour le Sud. Il n'y a nul besoin de réinventer le système : il s'agit avant tout d'aborder politiquement le Nord de la même manière que cela a été fait pour le Sud.
Je vais illustrer mon propos en vous décrivant le réseau des stations polaires arctiques. Nous pouvons observer l'abondance de stations polaire russes, un réseau important sur la partie Alaska et sur la partie canadienne. On retrouve cette même abondance au niveau du Spitzberg. Tout ce réseau de stations et de sites n'est aucunement lié ou organisé pour travailler ensemble. Il n'y a aucune norme véritable, que ce soit en sciences de l'univers ou en sciences de la vie. Une première notion essentielle serait de pouvoir organiser cet ensemble.
Un modeste exemple est fourni par la France et l'Allemagne, qui ont pris le parti de la collaboration plutôt que d'avoir chacune leur station. Les deux pays ont engagé au Spitzberg à la fois un programme scientifique et un programme d'observation. Nous aboutissons parfois à une situation ridicule dans laquelle il est possible de compter une dizaine de nations présentes dans un périmètre restreint. Vous obtenez alors dix mesures des températures, dix mesures de la qualité de l'air, .... Il est absolument nécessaire de mettre fin à ce genre d'incohérences. La France pourrait servir de catalyseur en proposant une solution raisonnable à un problème général et travailler à réunir les observatoires. Ceci constituerait un premier pas essentiel.
L'étape suivante est dans la lignée de ce qui a pu être effectué par la Fondation européenne de la science afin d'essayer d'organiser et de recenser les activités au niveau des opérateurs. Ce travail a été complété par une évaluation des différentes politiques, et nous avons pu constater qu'en matière de biodiversité, les outils étaient similaires.
L'organisation européenne est très dense, elle rassemble un grand nombre de pays européens. Nous pouvons mentionner aussi bien les pays scandinaves que l'Allemagne et la France ou des pays du Sud. A cet égard, nous avons l'espoir de voir le Portugal se joindre à ce consortium pour l'Année polaire, élément intéressant pour la future politique.
L'ensemble des vingt-sept agences gouvernementales et des ministères doivent se coordonner au niveau polaire. La partie concernant un observatoire doit s'inscrire dans ce schéma, puisqu'elle correspond à cette méthodologie.
Le cliché suivant montre la richesse du système et sa complexité. Nous avons essayé, avec Paul Egerton, de rassembler ici toutes les plateformes qui existent à l'heure actuelle. Vous avez la plateforme russe qui est très bien organisée, puis la plateforme scandinave, celle du Spitzberg, celle du Groenland, celle de l'Alaska et enfin celle du Canada. Cet ensemble fonctionne de façon fragmentée et ne présente ni cohérence ni coordination. Si nous voulons vraiment mener une réflexion politique sur l'avenir de l'Arctique, il est nécessaire de passer du système existant de plateformes séparées pour aller vers une plateforme générale et coordonnée.
Ce genre d'études ne devrait pas se concevoir uniquement pour l'Arctique. Il faudrait que les deux systèmes soient complémentaires, bipolaires, les données du Nord enrichissant celles du Sud et vice-versa, le tout dans un système cohérent.
Une autre suggestion, qui n'a rien de révolutionnaire, vise à ce que nous engagions une coordination intra-européenne. Cette dernière constitue la première marche préalable à la construction d'un dialogue et d'un partenariat international. Nous devons harmoniser les partenariats et les infrastructures européennes de façon à ce que chacun sache ce que le voisin fait. Enfin, l'objectif majeur est de rendre accessible la plus grande quantité de données : c'est la condition sine qua non pour comprendre la rétroaction. Sans transmission de données standardisées, chacun continuera à travailler de son côté.
Je demande maintenant que l'on donne la parole à Paul Egerton.
M. Christian GAUDIN
Nous passons donc la parole à Paul Egerton qui a la gentillesse de s'exprimer en Français.
M. Paul EGERTON - Directeur de l'European Polar Board
Monsieur le Sénateur, Mesdames et Messieurs, chers collègues. Nous avons souligné dans ce rapport le besoin d'harmonisation de la recherche dans la région arctique, dans le contexte du développement de la politique de recherche européenne. Le réchauffement a un impact direct et évident sur la population de ces régions. Ce rapport montre le nombre important de stations dans la ceinture arctique, et énumère les partenariats avec des pays comme les Etats-Unis, le Canada et la Russie.
Je souhaiterais souligner les avantages significatifs d'une plus grande coordination des programmes de la communauté scientifique. Et aussi ceux de la mise à disposition du public du plus grand nombre d'informations sur le réchauffement climatique en Arctique et en Antarctique.
L'initiative créant un observatoire de l'Arctique établirait le cadre politique pour une mise en place d'instruments scientifiques de compréhension du changement climatique.
A ce titre, la notion de multidisciplinarité est extrêmement importante. Elle est essentielle pour mettre en place des partenariats internationaux et une observation sur une couverture géographique la plus large possible.
Nous préconisons à cet effet l'intégration des programmes de recherche. Sur ces recommandations, un accord au sein de l'Union européenne pour harmoniser les stratégies de coopération devrait être mis en place. Le tout dans un contexte international, en chiffrant les investissements et les infrastructures.
Nous souhaitons mettre en place, pour cette année polaire internationale, un certain nombre de données pour comprendre clairement le processus du changement climatique et son impact sur la société. Une telle initiative servira à créer les structures appropriées et des partenariats internationaux fructueux.
M. Christian GAUDIN
Merci à vous, cher Paul Egerton. Nous allons poursuivre en évoquant les coopérations européennes et internationales.
Coopération européenne et coopération internationale : l'exemple de DAMOCLES
M. Jean-Claude GASCARD - CNRS, UMPC
Merci Monsieur le Sénateur. Mesdames, Messieurs, chers collègues, je vais présenter de manière très brève le projet intégré européen concernant l'Arctique. Celui-ci concerne en particulier le devenir de la banquise arctique, soumise au problème du réchauffement climatique. L'un des mots clefs de ce projet européen est le vocable « intégré ». Essentiellement parce qu'il est multidisciplinaire et apparaît indispensable pour réunir les expertises nécessaires afin de répondre à un certain nombre de questions urgentes concernant l'Arctique et la banquise soumise au stress du réchauffement climatique.
Le projet DAMOCLES est une réponse à un appel d'offre de l'Union européenne demandeur de propositions sur des systèmes d'observation et de prévision des événements climatiques extrêmes. Nous allons donc baser notre propos sur l'évolution actuelle de la banquise arctique, considérée comme un événement climatique extrême et majeur.
DAMOCLES est un acronyme : Developing Arctic Modeling and Observing Capabilities for Long-term Environmental Studies. Il est ici question de modélisation et d'observation ; nous ne pouvons pas nous contenter d'observer, nous devons également assimiler des données pour modéliser. Ces dernières sont assez complexes et font partie des nombreuses variables caractérisant aussi bien l'atmosphère que les océans. Il s'agit d'accroître nos capacités à établir des prévisions à long terme.
A l'origine de DAMOCLES se trouve le besoin de trouver les composantes optimales d'un système de prévision permettant de comprendre l'évolution actuelle de l'Arctique. Celui-ci nous permettra d'améliorer nos capacités de prévision. Il a été montré que l'Arctique ne fonctionne pas de manière isolée. Les liens entre l'Arctique et le système terrestre sont très forts.
Nous pouvons déjà répondre à certaines de ces questions : il est avéré que l'Arctique évolue vers un nouvel équilibre, que nous ne connaissons pas encore. Mais il y aura certainement de moins en moins de glace en été, comme c'est le cas dans l'océan Antarctique où toute la glace de mer qui se forme en hiver fond en été. A l'origine de DAMOCLES, nous sommes partis sur la base d'un record d'extension minimum de la glace de mer mesuré en septembre 2005. C'est le moment du retrait maximum de la banquise à la fin de l'été. Dans le concentré de littérature sur les dix années écoulées, nous pouvons ressortir des textes précis qui montrent que des records ont été battus tous les ans. En 2007, l'été le plus récent, nous observons encore un recul considérable d'environ un million et demi de kilomètres carrés par rapport au record précédent atteint en 2005. Ceci représente trois fois la surface de la France. Conséquence directe : au lieu de renvoyer dans l'espace 80 % du rayonnement solaire incident, ce dernier est absorbé sur une surface de plus d'un million et demi de kilomètres carrés. Ce phénomène représente donc un bouleversement considérable. Tellement considérable, d'ailleurs, qu'il nous a surpris par son ampleur. Les deux brise-glace en opération en Arctique dont le Fedorov, parti de Saint-Pétersbourg, et le Polarstern, parti de Bremerhaven, n'ont rencontré qu'une faible résistance pour progresser dans des zones habituellement prises dans les glaces.
Cette surprise confirme les écarts entre les observations et les prévisions qui nous sont données par un certain nombre de modèles. Ecarts qui ont pu varier de deux millions de kilomètres carrés d'une année sur l'autre en ce qui concerne l'étendue de la banquise. Cette variabilité interannuelle constitue l'une des choses les plus difficiles à prévoir. Sur le long terme, ce phénomène semble un peu plus aisé à prévoir.
L'extension de la glace est le paramètre le plus frappant. Mais il y en a beaucoup d'autres. Voyons ce diagramme qui concerne la mobilité de la glace. Vous pouvez noter ce que les modèles prédisent. Nous pouvons ainsi voir la trajectoire de Tara, ce bateau qui a été immobilisé dans la glace dérivante en septembre 2006, et qui a été deux fois plus vite que prévu. Le navire s'est retrouvé en septembre 2007, un an après son départ, à 500 kilomètres des côtes du Spitzberg. Ceci montre une mobilité beaucoup plus importante de la banquise. On peut ici la comparer à celle du FRAM (une dérive similaire entreprise il y a plus d'un siècle) en trois ans. Un autre paramètre d'importance est celui de l'épaisseur de la glace, qui a varié pratiquement du simple au double. En 2007, nous en étions en moyenne à 1 mètre 50 d'épaisseur de glace au lieu de 3 mètres dans les années 70. Quatrième paramètre : nous avons l'habitude de caractériser les glaces par leur âge, pour distinguer celles qui résistent à la fonte de l'été, appelées glaces pérennes ou pluriannuelles. Les observations par satellite nous permettent de les distinguer les unes des autres de par leur texture, leur rugosité et leur salinité. Les glaces de mer exposées en été à une fonte partielle offrent un aspect structurel complètement différent après la fonte estivale. Les scattéromètres et les diffusiomètres des satellites rendent comptent de cet effet très important. Ceci nous a permis de suivre l'évolution de la glace de mer, qui disparait beaucoup plus rapidement que prévu. C'est désormais la glace pluriannuelle ou pérenne qui est exposée à la fonte de l'été, qui est menacée et risque de disparaître. Signe inquiétant : elle ne s'est pas renouvelée en 2005. Nous avons comparé les données du diffusiomètre de Quickstat sur ces dix dernières années avec celles de l'ERS des années précédentes pour caractériser l'évolution de la glace. Ces diagrammes représentent une sorte d'électrocardiogramme de l'Arctique : nous y voyons le cycle saisonnier de cette glace pérenne dont nous ne voyons pas le renouvellement au cours de l'été 2005. Ces quatre paramètres concernant la glace témoignent tous de changements profonds.
Pour aller plus en détail dans ces observations et pour comprendre ce qui se passe dans la glace, dans l'atmosphère et l'océan, nous avons effectué des sondages simultanément à travers ces trois milieux, de mille mètres d'altitude à mille mètres de profondeur dans l'océan. Pour disposer de bases de données fiables et pérennes, nous devons avoir des éléments comme Tara, ou comme le brise-glace russe dont je parlais tout à l'heure.
Pour comprendre DAMOCLES, il faut voir qu'une douzaine de pays en Europe, à laquelle s'ajoutent maintenant la Russie et la Biélorussie, contribuent très fortement au programme. Tous les pays scandinaves sont également impliqués. Quels sont les objectifs spécifiques de DAMOCLES ?
Il s'agit de travailler sur les processus. Ces derniers sont trop nombreux pour pouvoir être listés ici. Mais tout est focalisé sur la formation de la glace de mer et les processus associés qui vont permettre de prévoir les changements climatiques liés à des conditions extrêmes.
Nous devons définir les composantes optimales pour un système de veille pour effectuer ces prévisions.
Nous travaillerons ensuite sur les impacts d'un régime qui concerne non seulement l'Arctique, mais également d'autres aspects sur lesquels nous reviendrons.
Tout ceci va mobiliser des moyens importants et des grosses unités en matière océanographique. Il nous faudra définir une stratégie expérimentale qui est résumée sur ce schéma compliqué. Celui-ci comporte deux grands ensembles. Un premier sur lequel nous fixons des capteurs sur la glace dérivante pour observer les courants et les vents. Il en va de même pour la salinité de l'eau de mer et l'humidité dans l'air. Il nous faut être très inventifs pour créer des systèmes autonomes. Nous prenons pour exemple ces robots qui vont collecter des informations sous la glace. Nous faisons donc face à un énorme chantier dans ce domaine.
Nous essayons aussi de mettre en place des réseaux de sonars mobiles équipés de flotteurs qui se déplacent sous la glace. Le satellite Cryosat, qui va être lancé l'année prochaine, va mesurer avec son altimètre la partie émergée de la banquise.
Comment ce projet peut-il s'intégrer dans une logique d'observatoire à long terme ? J'ai presque envie de procéder par contre-interrogation. Comment pourrait-il ne pas s'intégrer dans une logique de laboratoire à long terme ?
Pour illustrer la manière dont le travail se fait et expliquer la logique du projet, nous comptons huit modules au total. Les premiers concernent l'atmosphère, l'océan et les glaces, l'assimilation des données, le travail sur les processus propres aux lieux. Ceci implique également des modèles. Mais il importe aussi d'avoir du recul par rapport à ces données. Nous devons également développer, dans le cadre d'un consortium de cette ampleur, un système de management des données, et faire circuler ces dernières entre les différents modules. Il existe aussi un module qui concerne les développements technologiques. Les deux modules restants sont l'expertise des éléments recueillis et l'éducation - au sens scolaire - afin de décider la façon selon laquelle nous pouvons apporter cela dans nos écoles. Il existe donc un échange de communications important à ce sujet. Cet ensemble s'intéresse également aux écosystèmes marins. Nous allons donner un exemple. En dehors des ours polaires et autres animaux du cercle marin, nous nous intéressons aux migrations de diatomées. Celles-ci sont des éléments caractéristiques du phytoplancton. Elles provoquent notamment des interactions sur le pompage du carbone.
Nous avons aussi évoqué les dommages collatéraux que la fonte de la banquise, le réchauffement de l'océan et le changement dans l'atmosphère ont pu inéluctablement produire. Il y a là un lien qui montre l'interconnexion de l'Arctique avec les autres océans.
La deuxième question posée concernait la coopération avec les autres programmes non-européens dans le domaine de l'Arctique. Le consortium européen DAMOCLES avec toutes ses composantes opère une sorte de coopération avec la Russie et la Biélorussie. Ce premier pays faisait au départ partie du projet DAMOCLES. D'autres possibilités d'extension ont émergé, offertes par la Commission européenne pour engager d'autres laboratoires de Russie pour mener un travail intégré en son sein. Le processus est identique pour les Etats-Unis, puisqu'il y existe un programme appelé SEARCH, plus ambitieux que DAMOCLES. Nous avons lancé au niveau de la Communauté européenne une initiative qui s'appelle SEARCH FOR DAMOCLES, qui renforce la coopération avec les Etats-Unis. Si le programme scientifique s'est avéré très facile à écrire, il a par contre été plus compliqué de négocier, de signer les contrats et d'aboutir à une collaboration entre chercheurs américains et européens. Nous avons abouti, en dernier ressort, à signer des accords de type MoU « memorandum of understanding » avec les Etats-Unis et la Chine. Une année nous a été nécessaire pour lancer cette machine.
Il a été effectué il y a peu un voyage à Shanghai, en Chine au « Polar Research Institute of China ». Celui-ci s'engage dans une coopération majeure cette année en Arctique. Un brise-glace sera mis à disposition, sur lequel seront embarqués sept représentants de DAMOCLES.
Une très forte coopération avec le Canada a été également tissée, avec le réseau Arctinet, qui sera repensé à Québec à la fin de l'année pour le 400 e anniversaire de la fondation de la ville. Seront présents, avec les Canadiens, tous les spécialistes de l'Arctique et des changements climatiques en cours. Une coopération avec les Japonais est également mise en place, notamment par l'entremise de Jamstec, qui s'occupe des problèmes technologiques, mais aussi des aspects scientifiques. Reste à aider tous ces complexes scientifiques et consortiums à développer leurs actions de manière efficace.
A cet égard, le consortium européen DAMOCLES va très certainement contribuer à renforcer les liens avec les Etats-Unis, avec la Chine, avec le Canada. Il y a cependant un énorme travail de coordination à effectuer. Chaque pays a ses habitudes, différentes de celles des autres. Nous avons à faire à des administrations qui ont des habitudes différentes, cette dimension culturelle intervenant en surcroît du travail scientifique.
Les scientifiques sont néanmoins enchantés puisqu'ils peuvent se retrouver autour de plateformes qui leur permettent de travailler ensemble. Merci.
Débat
M. Christian GAUDIN
Nous allons maintenant poser des questions en rapport avec les sujets qui ont été évoqués, avant d'en venir aux conclusions. M. Duplessy, en tant que membre du GIEC, êtes-vous satisfait des données qui vous ont été fournies ?
M. Jean-Claude DUPLESSY
Il semble important, en relation avec les processus du GIEC, que tout résultat soit préalablement validé de manière épistémologique préalablement à toute publication. Avant toute remise de rapport aux différents gouvernements, le GIEC doit recueillir l'aval de la communauté scientifique. Il n'y aucun chercheur en état de se passer des nouvelles informations sur l'Arctique. Un Observatoire s'avèrera donc d'une grande importance, le GIEC reprendra pour ses rapports toutes les données qu'une telle structure sera en mesure de fournir.
M. Christian GAUDIN
Je passe la parole à Monsieur Jugie pour qu'il aborde de la coopération avec la Russie et les autres pays déjà évoqués. Et notamment les Etats-Unis.
M. Gérard JUGIE
Sur la question posée, je dois dire qu'il n'existe pas à mon sens une réponse simple. Il faut garder présent à l'esprit qu'à l'origine, il y a eu un travail de réflexion de l'Académie des sciences américaines, qui a réellement formulé l'idée de la notion d'un observatoire. Derrière ce concept, rappelons qu'existent depuis dix ans des groupes chercheurs qui se penchent sur ces considérations scientifiques et sociétales. Lorsqu'à l'époque, nous avions demandé aux opérateurs polaires européens de reprendre cette idée, nous avons reçu un accueil assez fort. Ces derniers ont le sentiment que le travail sur l'Arctique ne pourra être fait qu'en étroite collaboration. La valeur d'un réseau repose sur de nombreux paramètres tels que sa dimension ou la taille de sa maille. Un fait encourageant - suite au travail de Paul Egerton - a été de disposer, pour la première fois, d'un inventaire physique, y compris d'un inventaire de la part des collègues russes. Ceci constitue un encouragement très fort de la part de deux pays majeurs du pourtour arctique, et peut fournir la première partie de la réponse.
Un fait évident est qu'il existe une volonté au niveau européen, qui se place à deux niveaux. Nous ne devons pas oublier qu'en Europe collaborent les pays scandinaves, qui ont un lien direct avec l'Arctique, et des pays comme l'Allemagne, la France, la Grande-Bretagne. Ceux-ci ont une activité forte en Arctique, et opèrent au deuxième niveau. Le fait que nous puissions bénéficier d'un mouvement européen complet est secondé par la volonté d'autres pays européens d'agir dans le bon sens. Par ailleurs, la valeur de nos missions scientifiques, qu'elles soient transposées au niveau politique ou au niveau sociétal, doit être amplifiée ou portée par les politiques. Sans cela, nous n'aboutirons qu'à collecter des données certes intéressantes au niveau scientifique, mais insuffisantes pour passer au niveau des actions.
M. Paul EGERTON
L'accueil qui nous a été réservé par les Américains a été très fort, notamment au niveau de la NSF (National Science Foundation). Ils sont intéressés par l'idée de développer une plateforme commune pour l'Arctique. Ils ont également proposé d'organiser une nouvelle session de recherche afin d'organiser l'utilisation du réseau de plateformes européennes. En raison de l'arrière-plan politique, la relation avec la Russie est un peu plus compliquée. Nous avons eu des réponses positives de la communauté scientifique russe. Mais le gouvernement russe conçoit l'Arctique en termes de ressources naturelles et le voit comme une région stratégique militairement. Le problème est donc ici beaucoup plus compliqué, puisqu'il est érigé en problème de sécurité nationale.
M. Christian GAUDIN
Je m'adresse à Jean-Claude Gascard : quelle a été la durée du programme Damoclès ? Prévoyez-vous d'y donner une suite ?
M. Jean-Claude GASCARD
La vocation de DAMOCLES figure dans son titre et dans son acronyme. Il est conçu pour le long terme. Nous devons à l'issue de ce premier exercice remettre nos conclusions à la Commission européenne et à tous les groupes qui y participent dans le cadre de la coopération internationale. Nous allons alors voir ce que nous sommes capables de faire sur le long terme pour répondre aux questions posées. Tout ceci n'aurait pas de sens si nous n'y donnons pas de suite. Nous en sommes pour l'instant à mi-chemin, le programme durant quatre ans. Les conclusions seront rendues à Bruxelles au plus tard au début de 2010. Nous remettons chaque année un rapport d'activité, ceux-ci étant expertisés par Bruxelles. Les experts soulignent effectivement le fait que, Damoclès et l'année polaire s'arrêtant, la question de la suite à leur donner est posée. Il existe déjà des projets qui découlent de l'exercice de Damoclès.
Nous pouvons par exemple évoquer l'un d'entre eux, dénommé Acobar. Celui-ci vient de débuter, à l'issue de négociations qui viennent de se terminer. Acobar est un programme planifié sur trois ans, destiné avant tout à soutenir les développements en haute technologie. Un autre programme existant est conduit par des biologistes norvégiens, appelé Artic Typic Points, portant sur le caractère irréversible des dégâts subis par les écosystèmes. Je ne peux avancer ici qu'il sera financé.
Pour donner des suites aux différents projets engagés dans la perspective de l'utilisation de Damoclès, un programme Damoclès 2 n'est pour l'instant pas en projet. Il pourrait certes être envisagé de manière un peu différente, mais il y a aura en tout cas très certainement des suites. Notamment parce que l'Europe prendra l'initiative, et aussi parce qu'il y aura une prise en charge à un autre niveau. Nous en sommes avec nos collègues à une phase critique, au sommet de la vague. Il nous reste encore deux ans ; nous sommes déjà capables de répondre aux questions clefs. Quant à la définition des composantes optimum, nous en sommes à une phase de travail expérimental qui aboutira l'année prochaine. Celle-ci sera essentielle pour définir le cadre dans lequel ces études sur l'Arctique vont se poursuivre.
M. Jean-Louis ETIENNE
Merci Monsieur le Sénateur de m'avoir invité à ce colloque, réunissant d'éminents scientifiques français spécialistes de l'Arctique. Je ne reviendrai pas sur la nécessité de créer un observatoire que je trouve extrêmement pertinent. Il faut cependant replacer cette notion d'observatoire dans le contexte politique actuel.
Il faut souligner deux choses importantes. D'une part, il est urgent d'enrayer l'érosion de la banquise arctique : depuis dix ans, nous n'arrêtons pas de la voir se rétrécir à une vitesse impressionnante. Ceci est bien sûr lié au réchauffement climatique.
D'autre part, le développement économique de l'Arctique va s'amplifier. Je voudrais faire une remarque sur ce point. On dit que le développement de l'exploitation du gaz et du pétrole sur les plateaux continentaux est favorisé par le réchauffement climatique. C'est faux, la glace résidera toujours au moins dix mois sur douze sur l'océan Arctique et restera un obstacle. C'est le cours du pétrole qui justifie les gros investissements en Arctique, comme celui de Shtokman, le grand gisement gazier russe de la mer de Barents. Le début de la production est prévu pour 2014. Il est évident que l'avenir de l'Arctique est lié au coût des matières premières et à celui du pétrole. Il est dit ensuite que la navigation va se développer sur les passages du Nord-Ouest et du Nord-Est. Mais ces voies navigables seront toujours encombrées de glace huit mois sur douze. De plus ce sont des zones côtières difficiles, très découpées, mal cartographiées. Elles sont isolées, et en cas de problème technique il n'y a aucune assistance possible. Actuellement, rien ne justifie que les armateurs construisent des bateaux à coques renforcées, proches des brise-glace, pour gagner seulement quelques journées de navigation. Les armateurs sont intéressés par la voie la plus courte, la route la plus directe, celle qui va du Spitzberg au détroit de Behring en passant pas le pôle Nord. Elle permet de s'affranchir des côtes du Canada et de la Russie, et à part la glace, il n'y a aucun obstacle à la navigation. La navigation avec des coques renforcées deviendra alors intéressante quand, dans quelques décennies, la glace pluriannuelle aura disparu.
Je voulais aussi repositionner ce projet d'observatoire dans le calendrier actuel. Nous avons aujourd'hui deux opportunités intéressantes. D'une part, l'Année Polaire Internationale est une opportunité forte. La précédente s'était conclue par la signature du Traité sur l'Antarctique, l'aboutissement d'une magnifique coopération internationale. Aujourd'hui la communauté scientifique s'accorde sur le degré d'urgence face à la situation en Arctique, et cette API est l'occasion de mettre en place des mesures de protection. La deuxième opportunité calendaire est la présidence française de l'Union européenne. Elle est pour les scientifiques et les parlementaires français l'occasion d'inciter le gouvernement à soutenir des actions à l'échelle de l'Europe. Lors de la reconduction du Traité de l'Antarctique en 1989, la France s'était illustrée par une décision audacieuse, en ne ratifiant pas la Convention de Wellington, ce qui a conduit au moratoire qui protège l'Antarctique jusqu'en 2048. Nous avons à nouveau une opportunité à saisir pour l'Arctique. Le témoignage des gens qui vivent dans ces régions montre que nous devons agir vite. Nous étions il y a peu sur la côte ouest du Groenland : un pêcheur nous a affirmé que cela faisait huit ans qu'il n'y avait plus de glace l'hiver. Les témoignages des autochtones sont au moins aussi forts - sinon plus - que les mesures que l'on peut y faire.
Le phénomène majeur qui touche l'Arctique est la disparition progressive de la banquise pluriannuelle, ce qui aura des répercussions climatiques et écologiques à l'échelle planétaire. Le traitement qu'il faut apporter aujourd'hui passe par la réduction mondiale des émissions de gaz à effet de serre. La fonte de la banquise arctique n'est pas un problème qui concerne seulement les pays de la circonférence polaire, mais tous les pays du monde. La banquise joue un rôle majeur sur l'équilibre climatique de la planète, si bien qu'on devrait lui accorder un statut patrimonial, la déclarer «zone d'intérêt commun« pour la planète, en faire le témoin de notre capacité à juguler les émissions de gaz à effet de serre. C'est également un projet politique relativement neutre, universel, car il ne porte pas atteinte à la liberté des Etats d'exploiter leurs ZEE... bien que sur cette question, il conviendrait de mettre en place des contraintes de protection pour cet écosystème fragile. Il est inconcevable de ne pas agir ; ne passons pas à côté de l'opportunité offerte par l'Année Polaire Internationale.
M. Jean-Claude DUPLESSY
Monsieur le Sénateur. Je m'étonnais que nous ayons très peu entendu parler de satellites aujourd'hui. Jean-Claude Gascard y a fait référence en mentionnant toutes les informations que nous pouvions obtenir des diffusiomètres. Je me demandais les raisons pour lesquelles le CNES n'a pas été consulté. Je pensais qu'il était du rôle de la communauté scientifique d'approcher le CNES pour poser des questions spécifiques. Ou alors y a-t-il d'autres opportunités et hypothèses pouvant être faites en dehors de l'observation satellitaire ?
M. Christian GAUDIN
Je n'ai pas pour l'instant d'éléments de réponse mais vous soulevez là un point majeur.
M. Gérard JUGIE
Nous considérons que le CNES et l'Agence spatiale européenne appartiennent à la catégorie des grands opérateurs. Il est incontestable que les agences spatiales et océanographiques doivent être impliquées dans cette réflexion globale sur l'Arctique.
M. Paul EGERTON
Le système de financement de la recherche dans le domaine polaire est extrêmement fragmenté au niveau national. Les sources sont disparates et multiples. Nous pouvons donc imaginer de quoi il en ressort au niveau européen. L'enjeu doit être de suivre une règle commune. Une deuxième difficulté réside dans la pérennité des observatoires et dans les financements non-pérennes. Si un observatoire doit être créé, nous devons d'abord en définir l'objet et les missions, même si ces derniers ne doivent pas être figés dans le marbre.
Pour le moment, l'Union européenne ne dispose pas d'un cadre d'action. Nous constatons une fragmentation des stratégies concernant l'environnement polaire en Europe qui vaut aussi bien pour l'Antarctique que pour l'Arctique. Nous devons essayer de bâtir une stratégie de recherche en milieu polaire au niveau de l'Europe.
Mme Sylvie BEYRIES
Ceci pose aussi la question d'un archivage de la documentation polaire. Il faudrait une structure pour la regrouper, et la gérer.
M. Gérard JUGIE
L'IPEV a versé au Muséum national d'histoire naturelle ses archives polaires. Pendant une période, une partie était restée à IPEV et l'autre au Muséum, mais il faut reconnaître que leur localisation à Brest les rendait peu accessibles en termes de consultation. Nous avons donc décidé de tout concentrer, avec son accord, au Muséum national d'histoire naturelle.
Mme Sylvie BEYRIES
Pour les sciences de l'homme et de la société, seul un regroupement de la documentation permettrait qu'elle soit pleinement exploitée.
M. Yves FRENOT
Pour apporter une réponse à cette question très précise de l'archivage, nous devons également parler de ce qui se passe en amont. Avant la publication et la documentation se posent les problèmes de l'archivage et de la centralisation des données récoltées par ces observatoires. Mais aussi ceux de leur vérification, de leur mise à disposition, et surtout de leur sauvegarde en tant que patrimoine issu de la recherche. Ceci a effectivement un coût, problème qui n'est pas résolu dans tous les cas. Nous pouvons dire que, généralement, chaque communauté s'organise à travers les réseaux d'observatoires existants pour gérer elle-même ces données. Mais, malheureusement, ceci ne peut pas toujours être le cas. Prenons l'exemple de l'Antarctique qui illustre bien la situation. Un programme de l'Année Polaire Internationale a été mis en oeuvre pour répertorier la biodiversité marine dans cette région (projet CAML), et en parallèle un autre programme (SCAR MarBIN) a été associé pour centraliser toutes les données acquises par CAML d'une façon moderne et efficace afin d'en assurer la pérennité. Ce programme a été financé uniquement par la Belgique, à hauteur de trois millions d'euros. Mais malheureusement ce pays nous a informés qu'il ne pourra pas continuer à supporter seul ce financement. Lorsque l'on développe un observatoire, où que ce soit, il se pose fatalement la question de l'utilisation de ces données et de leur gestion à long terme.
CONCLUSIONS
M. Christian GAUDIN
Merci pour vos différentes remarques. Nous allons maintenant aborder les conclusions de cette audition publique. Je tenais à remercier chacun des intervenants pour la richesse de cet échange. Mon souci est de faire le lien entre les deux tables rondes. Nous avons vu lors de la première partie que cette approche multidisciplinaire était tout à fait intéressante dans le cadre du suivi de l'évolution de l'Arctique. Lors de la seconde table ronde, nous avons évoqué la façon dont la communauté échange et comment s'opère une concertation, sans doute différente au Nord et au Sud.
Je voudrais revenir sur la façon dont je suis arrivé à m'intéresser à ces sujets. Personnellement, j'y suis arrivé dans le cadre de mon travail de législateur. J'ai été une première fois appelé à parler de l'Antarctique au travers de ma mission de rapporteur sur la transposition du Protocole de Madrid au Sénat. C'est à cette occasion que j'ai découvert l'importance du continent Antarctique. Grâce à cette loi, j'ai été amené à m'intéresser à cette dimension scientifique et aux activités multidisciplinaires que j'ai pu observer au Sud. Ceci au terme d'une mission en Antarctique, de cinq semaines, sur place.
Ce voyage s'est traduit par le rapport d'audit sur la position et la situation de la France dans la recherche polaire, qui est arrivé à la veille d'un débat international. Lors de la préparation, dans le cadre de l'audition, et des discussions que nous avons conduites, nous avons privilégié la rencontre entre personnes. Mais nous nous sommes aussi rendus dans les principaux pays concernés par la dimension scientifique aux pôles : la Russie, les grands pays européens. Lors de chacune de ces missions, nous avons privilégié la rencontre avec, d'une part, les scientifiques, et, de l'autre, les organismes et les politiques.
Ceci nous a paru tout à fait intéressant, et j'ai voulu à nouveau travailler dans cette mise en relation, puisqu'elle apparaît pour le Nord, pour l'Arctique, très adaptée. Nous avons parlé de l'évolution des observations en Arctique, et des incidences du réchauffement. Nous avons également évoqué la dimension économique. Il paraît évident que l'approche scientifique est sans aucun doute à privilégier. Le contact avec la communauté scientifique évolue. Il est évident que les pays qui sont présents aux deux pôles connaissent les travaux de cette communauté. Ceci indique que la voie du renforcement de la concertation permettra d'aboutir à l'observation multidisciplinaire et devrait permettre d'accomplir des avancées significatives. C'est dans cette voie que je vais poursuivre, car c'est un sujet qui m'intéresse. Je pense que la représentation nationale se doit de s'intéresser à ces considérations.
Je voudrais à nouveau vous remercier pour avoir contribué à la définition de la méthodologie du cahier des charges. Je voudrais dire aussi à quel point la relation avec les scientifiques m'est tout à fait précieuse pour poursuivre ce programme.
Je peux vous assurer que le pouvoir exécutif s'intéresse au premier chef au phénomène. Grâce à la présidence de l'Union européenne par le Président de la République, nous allons avoir la possibilité de transmettre des messages forts au niveau international. Je vais donc poursuivre dans ce sens : dans 48 heures, je pars pour le Spitzberg. Ce sera pour moi l'occasion de découvrir la proximité du second pôle. Je souhaite avant tout privilégier le dialogue avec la communauté scientifique et montrer qu'un Observatoire est un lieu important pour le Parlement. Il l'est pour porter ce genre d'outils au ministère de l'Enseignement supérieur et de la recherche. Ce dernier et le ministère de l'Ecologie, de l'énergie, du développement durable et de l'aménagement du territoire (Medad) sont d'ailleurs intéressés par le travail que nous pouvons accomplir.
Je vous remercie encore pour votre participation. Nous aurons très prochainement l'occasion de nous revoir.
Fin de la séance.