Audition de Mme Marie-Claire CARRÈRE-GÉE, présidente, MM. Louis-Paul PELÉ, secrétaire général, et Yann DEBOS, chargé de mission au secrétariat général du Conseil d'orientation pour l'emploi (COE) - (Mardi 27 mai 2008)
M. Christian DEMUYNCK, Président - Madame la Présidente, Monsieur le secrétaire général, Monsieur le chargé de mission, je vous remercie d'être venus aujourd'hui à notre rencontre. Notre mission poursuit trois objectifs : réaliser une évaluation pertinente des politiques menées, identifier les difficultés que les différents acteurs ont pu rencontrer et formuler des propositions d'actions.
Votre action consistant à poursuivre ce triple objectif dans le domaine des dispositifs d'aide à l'emploi, elle revêt pour nous un profond intérêt.
Il pourrait être judicieux que vous nous présentiez dans un premier temps votre travail. M. Bernard Seillier, notre rapporteur, vous posera ensuite certaines questions, et enfin nos collègues vous demanderont d'éventuelles précisions complémentaires.
Mme Marie-Claire CARRÈRE-GÉE - Je vous remercie, M. le président, de votre invitation. En introduction, je souhaiterais vous présenter le Conseil d'orientation pour l'emploi. Cette instance existe depuis deux ans. Elle repose sur le modèle du Conseil d'orientation pour les retraites, dont elle a repris le principe de réunir les partenaires sociaux, les administrations en charge des questions relatives à l'emploi (telle l'INSEE pour les données statistiques, ou l'ANPE pour l'accompagnement des demandeurs d'emploi), des personnalités qualifiées, des représentants des collectivités territoriales, ainsi que des représentants de l'Assemblée nationale et du Sénat. Notre volonté consiste donc à rassembler ces différents acteurs dans un cadre leur permettant d'atteindre ensemble des consensus sur des décisions à prendre en matière d'emploi. Les consensus sont en effet rares en France dans ce domaine, ce qui légitime l'existence de notre institution, reconnue pour ses capacités d'expertise et, par l'ensemble des partenaires sociaux et des pouvoirs publics, pour les avis qu'elle formule.
Je souhaite évoquer, dans un premier temps, avant de répondre à vos questions, la saisine gouvernementale dont nous avons fait l'objet au sujet du RSA ; saisine qui nous est parvenue en février dernier. Nous avions l'anticipée en constituant des groupes de travail dès le mois de novembre et avons bénéficié de deux journées de séance plénière, les 20 et 23 mai derniers, pour adopter notre avis sur le sujet.
Je voudrais également vous préciser les modalités de fonctionnement du COE dans la mesure où elles diffèrent de celles du Parlement. En effet, notre vocation est, profondément, de forger des consensus. Ainsi, nous fournissons, dans un premier temps, un travail de fond significatif, dans le cadre de groupes de travail qui réalisent des auditions. Puis, nous intégrons, au texte de base que nous avons élaboré, dans le cadre des séances plénières, l'ensemble des remarques des différents participants en veillant à ce qu'elles réunissent l'accord d'une majorité. Nous ne procédons ainsi que rarement à des votes formels, mais privilégions un processus de discussion et d'intégration progressive des différentes réflexions, où chacun peut être amené à moduler sa position initiale en fonction de celles des autres.
Dans le cas du RSA, notre avis a été adopté à l'unanimité. Sur ce sujet, nous nous sommes efforcés de nous pencher sur les termes contenus dans la saisine gouvernementale, ainsi que sur notre domaine d'expertise privilégié : l'emploi. A titre d'exemple, nous n'avons pas abordé le sujet de la prime pour l'emploi sous l'angle de la redistribution, mais au contraire sous l'angle du travail des femmes, notamment en couple, et du travail des jeunes.
Dans le même esprit, l'ensemble des membres du COE a conscience que l'objectif fondamental du RSA est de lutter contre la pauvreté, et que le retour à l'emploi ne constitue qu'un objectif secondaire. Nous nous sommes ainsi attachés à répondre précisément aux questions posées par la saisine gouvernementale sur l'impact souhaitable du RSA sur le marché du travail et les mécanismes d'incitation pour optimiser cet impact, afin que la qualité de l'emploi, l'accompagnement des bénéficiaires, les bi-activités et les liens avec l'assurance chômage soient du mieux possible. A défaut d'un projet gouvernemental précis sur l'ensemble de ces sujets, nous n'avons pu appuyer nos travaux que sur un livre vert et sur deux principes : chacun doit pouvoir vivre de son travail et il faut lutter contre la pauvreté par l'emploi.
L'avis formulé par le COE affirme en premier lieu que le projet du RSA est vertueux pour notre pays, d'abord dans son principe même. Il nous pousse ainsi à appréhender l'univers du chômage de manière renouvelée en tenant compte notamment de phénomènes comme le sous-emploi ou le découragement à la reprise d'un emploi, et nous incite ainsi à traiter du travail au-delà de sa dimension institutionnelle, par-delà le prisme des statuts. Il donne, par ailleurs, un nouvel élan aux politiques en matière d'insertion professionnelle.
Nous estimons que plusieurs conditions doivent être remplies pour que le RSA honore ses objectifs. En premier lieu, il est nécessaire que ce projet soit mené en parallèle et de manière coordonnée avec les entreprises consistant à fusionner l'ANPE et l'ASSEDIC, à réformer la formation professionnelle et la sécurisation des parcours. En second lieu, le COE estime que le RSA n'est qu'une des solutions pour répondre au problème du retour à l'emploi, dans la mesure où celui-ci n'est pas d'ordre monétaire, mais s'explique par un manque d'emploi disponible et une inadéquation entre la qualification demandée et celle proposée, entre la demande et l'offre de travail.
S'il peut favoriser l'accès ou le retour à l'emploi de personnes qui en sont exclues depuis longtemps, le RSA devra, cependant, veiller à ne pas cautionner l'évolution du marché de l'emploi vers des emplois faiblement rémunérés et de courte durée.
Afin d'exposer les conditions nécessaires, selon nous, à une mise en place vertueuse du RSA, j'évoquerai tout d'abord le sujet de la bi-activité. Nous considérons à ce sujet que si le remplacement prévu de la PPE et des différents mécanismes d'intéressement par le RSA devait réellement être mis en place, il rendrait l'activité des femmes vivant en couple moins favorable qu'elle ne l'est aujourd'hui. C'est dans ce contexte que nous avons proposé au gouvernement d'étudier la mise en place de différents dispositifs susceptibles de limiter ce risque, tels qu'une prime à la bi activité ou le maintien d'une part de la PPE pour les personnes pouvant être défavorisées par une telle réforme.
Nous avons émis des recommandations semblables au sujet des jeunes de moins de 25 ans éligibles à la PPE et qui ne pourraient logiquement pas prétendre au RSA. L'emploi des jeunes constituant un enjeu majeur pour notre société, nous considérons que toutes les mesures qui pourraient favoriser leur insertion professionnelle doivent être étudiées avec attention. Dans le même temps, il ne nous paraît pas légitime de priver les jeunes salariés d'une prestation dont bénéficieraient tous les autres salariés. C'est pourquoi nous avons proposé la mise en place de mesures compensatrices et réaffirmé la nécessité de traiter de ce sujet dans le cadre d'une politique globale de l'emploi des jeunes, qui ne saurait se réduire à la question du RSA.
Nous nous sommes ensuite interrogés sur la manière la plus adaptée pour éviter que le RSA, en favorisant le retour de certaines personnes vers des emplois à temps partiel, ne contribue cependant à dégrader la qualité de l'emploi sur le marché du travail. Dans ce contexte, nous avons étudié différentes pistes de travail. Concernant la configuration elle-même de la prestation, nous avons évoqué la mise en place d'un RSA dit « coudé » qui permettrait au bénéficiaire de l'allocation d'obtenir un gain d'autant plus élevé qu'il se rapprocherait d'un emploi à temps plein. Le RSA constituerait ainsi une incitation à travailler à temps plein, plutôt qu'à travailler un peu, même si nous avons parfaitement conscience que les salariés ne sont pas maîtres de la durée de leur travail.
L'autre piste que nous avons évoquée consiste à instaurer un RSA dit « à deux étages ». Le premier étage serait lié à la reprise du travail et serait d'un niveau supérieur à l'intéressement actuel, mais temporaire. Le second étage serait, pour sa part, pérenne. Ces deux propositions, RSA « coudé », et RSA « à deux étages », pourraient être associées.
Je souhaiterais préciser à cette occasion que notre conception du RSA « coudé » se distingue radicalement de celle du MEDEF qui est, pour sa part, favorable à une prestation financièrement soutenable pour les finances publiques, mais qui consisterait à payer davantage les premières heures de travail.
Nous avons également souhaité traiter de l'accompagnement professionnel ainsi que de ses contreparties financières. Du fait de la suppression des statuts, le RSA bénéficiera à des personnes se trouvant dans des situations radicalement différentes. Il pourra ainsi concerner les personnes actuellement au RMI ou à l'API, des personnes ne travaillant pas, n'ayant jamais travaillé ou n'étant pas en mesure de le faire, mais aussi les bénéficiaires actuels de la PPE, ou des personnes travaillant à temps plein depuis plusieurs années et n'ayant pas de problèmes à s'insérer professionnellement. L'ensemble de ces personnes serait donc toutes concernées par le même système d'aide à l'emploi mal rémunéré. C'est pourquoi nous sommes, pour notre part, favorables à un accompagnement systématique des personnes sans emploi par le service public de l'emploi.
Chaque bénéficiaire du RSA devra, selon nous, faire l'objet d'un diagnostic préalable, réalisé par une personne compétente dans le domaine social et l'autre dans le domaine professionnel. Au regard de ce diagnostic, les personnes sans emploi et ne relevant pas, dans un premier temps, d'un accompagnement professionnel, devraient pouvoir bénéficier d'un accompagnement d'ordre social et médical classique géré par les conseils généraux. Le repérage professionnel initial est ainsi, à nos yeux, nécessaire pour ces différentes catégories de personnes. Par ailleurs, certaines personnes, qui seront sans doute nombreuses, relèveront d'un suivi à la fois professionnel et social, tandis que d'autres auront droit à un accompagnement professionnel pur et seront donc suivis par le service public de l'emploi. Nous considérons ainsi que ce service public de l'emploi doit à la fois s'occuper des demandeurs d'emploi classiques mais aussi des personnes bénéficiaires du RSA.
Enfin, il ne nous semble pas nécessaire d'imposer un suivi aux personnes disposant d'un emploi mais ne connaissant pas de problèmes en matière d'insertion.
Les bénéficiaires du RSA devront donc être l'objet d'un suivi systématique et s'inscrire dans un système de droits et de devoirs suivant la même logique que celle qui est appliquée aux demandeurs d'emploi dans le cadre de l'assurance-chômage.
Je me tiens maintenant disponible pour répondre à vos questions, et vous rappelle que l'avis a été adopté par la COE, même si la CGT a refusé de s'associer à cette démarche, comme l'un de ses représentants vous l'expliquera par la suite.
M. Christian DEMUYNCK, Président - Merci Mme la présidente pour cet exposé brillant, clair et concis.
M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Le COE suscite ma curiosité. Je présume que vous pratiquez l'auto saisine, et prenez l'initiative d'orienter vos travaux dans certaines directions. A ce titre, j'aimerais savoir quels sont vos axes de travail actuels ?
Mme Marie-Claire CARRÈRE-GÉE - Depuis sa création, le COE a effectivement beaucoup travaillé, dans le cadre soit d'une auto saisine, soit d'une saisine gouvernementale. Nous avons, par exemple, produit un rapport sur les aides publiques, un autre sur le financement de la protection sociale, un autre, en mai 2007, sur la sécurisation des parcours professionnels. Depuis ma nomination à la présidence du COE, notre rythme de travail s'est accéléré. Ainsi, depuis l'automne dernier, nous avons mené nos travaux exclusivement dans le cadre de saisines gouvernementales. Le gouvernement a ainsi considéré que notre capacité à forger des consensus pouvait être mobilisée avec profit dans le cadre des différents chantiers de travail qu'il a initiés dans le domaine social. Nous avons ainsi traité des mécanismes de conditionnalité des aménagements de charges, de la réforme de la formation professionnelle à la suite des annonces du Président de la République, et enfin du RSA.
Nous souhaitons désormais nous saisir de sujets suscitant l'intérêt de l'ensemble des membres du conseil et dont nous considérons qu'ils présentent un potentiel important pour parvenir à de nouveaux consensus susceptibles de déboucher sur des propositions pratiques, concernant notamment l'orientation des jeunes, la discrimination ou l'emploi des seniors.
M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Avez-vous déjà rendu un avis sur la formation professionnelle ?
Mme Marie-Claire CARRÈRE-GÉE - A la suite des annonces du Président de la République, nous avons tenu le rôle de première instance de concertation sur ce sujet, dans le contexte particulier de la renégociation de l'ANII 2003 qui doit intervenir à l'automne. Il est ainsi apparu utile que l'ensemble des acteurs de la formation professionnelle, d'ailleurs tous représentés au Conseil, qu'il s'agisse des Régions, de l'Etat ou des partenaires sociaux, commencent à déterminer la méthode qui devrait guider la réforme et ses ambitions. Je me dois de reconnaître que l'ensemble de ces acteurs n'a d'abord pas manifesté une volonté très affirmée de rentrer dans une logique où réforme de la formation professionnelle ne serait pas l'affaire des seuls partenaires sociaux. Nous sommes cependant parvenus, sur ce sujet également, à formuler un avis unanime, avant de passer le relais à un autre groupe de travail présidé par M. Pierre Ferraci (notre ancien rapporteur au sein du COE) et dans lequel les Régions sont mieux représentées. Ce groupe de travail pourra prolonger notre travail de manière à l'approfondir et à ce qu'il soit plus abouti. Cet avis a été rendu public. Vous pouvez le consulter sur notre site internet.
M. Bernard SEILLIER, rapporteur - J'ai participé ce matin à une table ronde dans le cadre du Grenelle de l'insertion, au cours de laquelle l'un des participants a révélé que, selon la feuille de route mise en place par le gouvernement, les demandeurs d'emploi devaient bénéficier en priorité des crédits et des mécanismes de la formation professionnelle. Dans ce domaine, c'est la dimension technique qui sera déterminante dans la réalisation des objectifs affichés.
M. Paul BLANC - Le taux de chômage des travailleurs handicapés est aujourd'hui proche de 20%. Or les entreprises sont souvent prêtes à les accueillir. Malheureusement, par manque de formation professionnelle, nous ne parvenons pas à se faire rencontrer la demande et l'offre de travail pour personnes handicapées. Les Régions ne mettent pas en place les formations spécifiques nécessaires aux travailleurs handicapés. Par ailleurs, les offres d'emplois exigent des niveaux de qualification dont très peu d'handicapés disposent. Pensez-vous traiter cette problématique ?
Mme Marie-Claire CARRÈRE-GÉE - Nous y sommes tout à fait prêts. Nous avons d'ailleurs évoqué ce sujet en rendant notre avis sur le RSA. Sa mise en place, en visant à simplifier l'ensemble des dispositifs sociaux, pose la question du maintien de l'AAH.
Nous considérons en effet que les travailleurs handicapés représentent un sujet très spécifique et que certains d'entre eux pourraient être lésés par cette réforme. C'est pourquoi nous nous sommes prononcés contre l'abandon de l'AAH. En revanche, si le RSA constitue un support efficace pour proposer un véritable accompagnement professionnel, les travailleurs handicapés ne devront pas en être exclus.
Nous devrons traiter ce sujet de manière plus approfondie, dans la mesure où le handicap est souvent le premier prétexte à la discrimination.
M. Guy FISCHER - Je voudrais revenir sur le dispositif du RSA dans la mesure où il sera sans doute le sujet central de toutes les discussions à venir. Savez-vous précisément quels types de populations pourraient en bénéficier ? Dans un département comme le Rhône, environ 30 000 personnes pourraient y avoir accès si seuls les bénéficiaires du RMI et de l'API devaient en bénéficier (entre 60 000 et 80 000 s'il fallait ajouter à ces derniers les titulaires de l'ASS et de la PPE, ainsi que les personnes ne travaillant pas).
Il me paraît également difficile de faire comprendre au grand public des notions aussi compliquées que celle d'un « RSA coudé ».
Je considère, par ailleurs, comme étant indispensable de mettre en place un véritable accompagnement humain pour les futurs bénéficiaires du RSA. Enfin, je redoute les problèmes financiers que pourra causer la mise en place du RSA. M. Martin Hirsch a indiqué que ce dispositif pourrait permettre à certaines personnes de recevoir plus de 1 000 euros. Avez-vous abordé ces différents sujets de manière approfondie?
Mme Marie-Claire CARRÈRE-GÉE - Le RSA est souvent présenté comme un dispositif particulièrement simple, dans la mesure où il entraîne la suppression de plusieurs minima sociaux comme la PPE, un dispositif particulièrement complexe. Toutefois, s'il est simple dans son architecture, il ne sera pas si aisé à appréhender pour ses bénéficiaires.
Il est vrai que le RSA opère une réelle simplification en supprimant les quatre dispositifs actuels (RMI, API, PPE et intéressement) très complexes. La certitude qu'aura le bénéficiaire de voir son revenu augmenter pour chaque heure de travail supplémentaire contribuera à sa compréhension, même si les droits connexes au dispositif que fourniront les collectivités locales nuanceront cette simplification.
L'estimation du nombre potentiel de bénéficiaires du RSA est rendue compliquée par l'imprécision des données que nous a transmises l'administration. Ce nombre dépendra de la prestation retenue, des financements additionnels engagés ainsi que du seuil de sortie du RSA.
Nous savons en revanche que 8,9 millions de personnes bénéficient aujourd'hui de la PPE, environ 400 000 de l'API, 400 000 de l'ASS, et 1 million du RMI.
Dans le cadre du scénario qualifié de « moins généreux », où la pente de la courbe décrivant le niveau des revenus très de l'activité en fonction du nombre d'heures travaillées est de 60 %, le nombre de ménages bénéficiaires du RSA serait de 3,1 millions (5 millions si cette pente s'établissait à 70%).
M. Guy FISCHER - Quel serait alors le montant de l'allocation?
Mme Marie-Claire CARRÈRE-GÉE - Tout dépend du scénario qui sera retenu et de la pente de la courbe évoquée précédemment. Nous pouvons, en revanche, dès aujourd'hui, avoir la certitude que le RSA représente un système permettant aux personnes qui quittent le RMI et retrouvent un emploi de bénéficier de revenus immédiats et stables.
Avec une courbe obéissant à une pente de 60%, une personne travaillant dans le cadre d'un quart-temps de 35 heures gagnerait environ 700 euros par mois (725 euros avec une courbe dont la pente serait de 70%). Dans le cas d'un mi-temps, la prestation (et non pas le revenu final) atteindrait 600 euros.
M. Guy FISCHER - Ne risque-t-on pas dans ce cas de préférer donner une prestation à un nombre plus élevé de personnes ?
M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Si j'ai bien compris, il s'agirait dans ce cas de privilégier la position patronale, laquelle soutient la reprise d'emploi même à temps partiel. A l'inverse, le COE propose d'inciter financièrement les personnes à avoir un travail à temps plein.
Mme Marie-Claire CARRÈRE-GÉE - Il est difficile de parvenir dans le même temps à lutter contre la pauvreté et pour l'emploi. Si la priorité réside dans la lutte contre la pauvreté, il faudra alors favoriser les personnes travaillant 4 à 5 heures par semaine et pour de faibles rémunérations. Si, à l'inverse, la priorité consiste à favoriser l'emploi, l'effort le plus soutenu doit porter sur le travail.
Il faudra donc opérer un choix entre ces deux objectifs.
Mme Gisèle PRINTZ - Je ne comprends pas précisément la signification de la notion de pente. Merci de me la préciser.
Mme Marie-Claire CARRÈRE-GÉE - Le principe du RSA est, dans le cas de revenus faibles, de garantir à chacun un revenu cible qui représente la somme du RMI et d'un pourcentage du cumul de ce RMI et du salaire. Il est vrai que cette notion de pente est d'un abord compliqué. Mais la règle qu'il est possible de retenir est que chaque personne qui dispose de très faibles revenus a droit au minimum au RMI, majoré d'une certaine proportion de ses revenus d'activité.
M. Guy FISCHER - Le RSA ne risque-t-il pas d'institutionnaliser la précarité ?
Mme Marie-Claire CARRÈRE-GÉE - Des études théoriques mais aussi pratiques ont été réalisées en France, ainsi qu'à l'étranger, sur des modèles proches du RSA. A cette aune, les résultats apparaissent positifs puisque, là où le dispositif a été mis en place, le nombre de personnes à rejoindre le marché du travail augmente. En revanche, le système, lorsqu'il s'inscrit dans un cadre familial, ne semble pas particulièrement inciter les femmes à travailler.
Les études théoriques laissent espérer un nombre supérieur de personnes sur le marché du travail, mais avec une durée moyenne du travail moins importante. Toutefois, cet effet ne semble pas confirmé par les études pratiques réalisées aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne.
Enfin, les études théoriques comme pratiques convergent sur leur constat que le RSA a un effet de modération sur les salaires, même si, individuellement, chaque bénéficiaire du dispositif ayant une activité professionnelle voit son niveau de rémunération s'améliorer.
Les conclusions sont ainsi difficiles à interpréter, d'autant que le marché du travail français ne présente pas les mêmes caractéristiques que les marchés du travail américain et anglais, ces derniers offrant beaucoup de petits boulots.
Le défi est majeur, pour la nation française, de ramener sur le marché du travail les millions de personnes qui en sont éloignées, même lorsqu'il s'agit pour elles d'avoir un emploi relativement précaire. Le RSA doit permettre de l'atteindre. Mais il doit être configuré de telle sorte que les effets pervers que nous venons d'évoquer soient limités. Dans cet esprit, les employeurs ne devront pas, selon nous, savoir que le salarié bénéficie du RSA, afin de limiter leur tentation d'instrumentaliser la solidarité nationale à leur profit en maintenant les niveaux de rémunération bas. Cette démarche a ainsi une vertu. Elle protège la vie privée du bénéficiaire ainsi que le cadre des négociations salariales.
M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Je croyais que les départements participaient au financement du RSA. Dans quelles conditions verseraient-ils alors leur participation?
Mme Marie-Claire CARRÈRE-GÉE - Nous n'avons pas été saisis de cette question. Je peux simplement vous dire qu'un projet à l'étude prévoit la mise en oeuvre du système par les CAF par le biais de déclarations trimestrielles, à l'image du RMI. Mais rien n'est décidé concrètement dans ce domaine.
Je souhaite corriger ce que j'ai dit tout à l'heure. Ainsi le RSA, pour un quart-temps, représente en fait 300 euros pour une courbe avec une pente de 60%, sommes à laquelle il convient de rajouter le salaire. Si le gouvernement décide de retenir cette option (courbe avec une pente de 60%), alors la somme de 1 000 euros, soit le niveau du SMIC, constituera le seuil au-delà duquel le versement du RSA s'interrompra. Dans le cas d'une courbe avec une pente à 70%, ce seuil serait de 1 333 euros pour une personne seule sans enfant. Le calcul est plus complexe dans le cas des couples biactifs avec enfants.
M. Guy FISCHER - Le service public de l'emploi pourra-t-il confier, dans le cadre d'appels d'offres, des missions aux entreprises privées ?
Mme Marie-Claire CARRÈRE-GÉE - Des missions pourront, en effet, être confiées à des entreprises, ainsi qu'à des associations. Mais il faudra mettre en oeuvre effectivement l'accompagnement systématique que j'ai évoqué précédemment. Il s'agit d'une condition indispensable. L'objectif majeur est que l'ensemble des personnes, pour l'instant éloignées du marché du travail, soit désormais pris en charge par le service public de l'emploi. Une simple incitation monétaire, sans le concours à d'autres outils, ne pourrait pas leur permettre de rejoindre effectivement ce marché. C'est pourquoi il est nécessaire de mener un double diagnostic : social et professionnel.
Si nous additionnons l'ensemble des bénéficiaires des différentes prestations appelées à être remplacées par le RSA, nous obtenons 11 millions de personnes. Toutefois, le nombre de personnes potentiellement concernées par le dispositif varie en fonction des scénarios susceptibles d'être retenus. Il est souvent cité le nombre de 5 millions de bénéficiaires potentiels, sans que nous puissions précisément déterminer s'il s'agit de ménages ou de personnes individuelles. Nous devrons veiller à ce que cette incertitude soit éclaircie au moment de l'élaboration du projet de loi.
Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE - Je voudrais savoir si les minima sociaux continueront à exister pour les personnes se trouvant dans l'impossibilité de travailler comme, par exemple, des femmes enceintes de jumeaux.
Mme Marie-Claire CARRÈRE-GÉE - Le nouveau dispositif s'appellera RSA. Il remplacera l'ensemble des dispositifs existants : RMI, API et autres. Il existera un « RSA zéro » qui correspondra aux montants cumulés du RMI et de l'API actuels et constituera ainsi le revenu minimum garanti. La partie du revenu additionnel, lié à la quantité de travail et donc au salaire, sera nommée le « RSA chapeau ».
Nous nous sommes demandé si le RSA est susceptible d'inciter les gens à diminuer leur quantité de travail. La réponse pourrait être positive concernant les personnes qui ne souhaitent pas travailler le mercredi par exemple. Mais ce type de cas resterait marginal. De même, une forme d' « optimisation de la gestion de la prestation sociale » par l'employé comme par l'employeur, par un recours à une partie de travail non déclaré, pourrait exister, comme l'exemple d'autres prestations sociales nous l'a montré.
Mme Giselle PRINTZ - Existera-t-il des procédures de contrôle ?
Mme Marie-Claire CARRÈRE-GÉE - Le RSA a vocation à être pérenne. Les personnes dont les revenus seront inférieurs au seuil de 1 000 euros ou 1 300 euros selon le scénario retenu auront droit à ce complément de revenu, au même titre qu'ils peuvent aujourd'hui bénéficier de la PPE. Le nombre d'individus qui bénéficieront du RSA sera cependant très probablement inférieur à celui des bénéficiaires actuels de la PPE.
Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE - Quel sera le niveau plancher des minima sociaux appelés à être remplacés par le RSA ?
Mme Marie-Claire CARRÈRE-GÉE - Nous ne le savons pas dans la mesure où les modalités futures de revalorisation de cette prestation nous sont inconnues. Pour répondre cependant à votre question, ce niveau plancher sera proche de celui du RMI actuel.
Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE - Les personnes qui ne peuvent pas travailler bénéficieront-elles du même niveau de revenu avec le RSA qu'avec le RMI ?
Mme Marie-Claire CARRÈRE-GÉE - Cela devrait effectivement être le cas. Seul le nom de la prestation changera. Mais je rappelle à nouveau qu'un diagnostic à la fois social et professionnel devra être mis en place dans le sens où nous disposons d'une occasion historique de réussir dans notre lutte pour l'insertion, là où avec le RMI nous avons collectivement échoué. Dans le même temps, nous avons l'opportunité de dépasser les cadres institutionnels et statutaires actuels, si contraignants, et selon lesquels il est plus important de donner une prestation à une personne que d'améliorer sa situation en lui donnant droit à un suivi adapté, dont de nombreuses personnes sont même privées.
M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Je voudrais savoir si le COE interprète la notion d'emploi de manière orthodoxe en la liant fortement au contrat de travail classique, ou si, au contraire, il souhaite la traiter de manière plus extensive en considérant les activités caritatives et humanitaires, également utiles à la cohésion sociale.
Mme Marie-Claire CARRÈRE-GÉE - Nos travaux n'ont pas précisément traité ce sujet. Cependant, certains membres du COE sont sensibles à ces sujets, à l'image de M. Jean-Baptiste Foucault qui était notre rapporteur sur le dossier du RSA. Concernant ce dispositif, nous avons adopté une approche globale et considéré que l'activité et l'emploi ne se réduisent pas à l'emploi salarié à temps plein classique. Le RSA devrait contribuer, par ailleurs, à reconnaître ces formes alternatives d'activités.
M. Christian DEMUYNCK, Président - Je souhaiterais savoir si vous avez identifié, dans le cadre des analyses comparatives que vous menez, des systèmes qui fonctionnent de manière efficace à l'étranger, et dont nous pourrions nous inspirer.
Mme Marie-Claire CARRÈRE-GÉRÉE - La situation du marché du travail est particulière à chaque pays dans la mesure où elle est conditionnée par un grand nombre de données qui lui sont propres.
Cependant, nous devons reconnaître que la France n'est pas la plus performante en ce domaine et que des progrès profonds doivent y être réalisés en matière de formation initiale, d'orientation et d'accompagnement, avec la mise en place du service public de l'emploi. Le RSA doit nous permettre de professionnaliser cet accompagnement au bénéfice des demandeurs d'emploi qui en ont profondément besoin.
En France, le montant des dépenses liées à la politique de l'emploi, en tenant compte des allègements de charges et des contrats aidés, est très élevé. Nous considérons que les crédits affectés au RSA ne devraient pas se traduire par une diminution du nombre de contrats aidés. La face monétaire du RSA ne doit pas nous amener à négliger les autres dimensions de la politique de l'emploi.
Nous ne réalisons pas nos propres études sur les différents marchés de l'emploi. Mais celles dont nous disposons nous montrent le niveau relativement faible de nos performances, notamment en termes de mobilité, sur le marché de l'emploi.
M. Christian DEMUYNCK, Président - Je vous remercie, Madame la présidente.
Mme Marie-Claire CARRÈRE-GÉRÉE - Je mets à votre disposition un exemplaire de notre rapport afin que vous puissiez le diffuser.