Rapport d'information n° 445 (2007-2008) de M. Bernard SEILLIER , fait au nom de la Mission commune d'information pauvreté et exclusion, déposé le 2 juillet 2008

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N° 445

SÉNAT

SESSION EXTRAORDINAIRE DE 2007-2008

Annexe au procès-verbal de la séance du 2 juillet 2008

RAPPORT D'INFORMATION

FAIT

au nom de la mission commune d'information (1) sur les politiques de lutte contre la pauvreté et l' exclusion ,

Par M. Bernard SEILLIER,

Sénateur.

Tome II : Auditions et déplacements

(1) Cette mission commune d'information est composée de : M. Christian Demuynck, président ; Mmes Brigitte Bout, Annie Jarraud-Vergnolle, Muguette Dini, Annie David, vice-présidents ; M. Bernard Seillier, rapporteur ; MM. Jean-François Humbert, Yannick Bodin, secrétaires ; M. Paul Blanc, Mmes Isabelle Debré, Béatrice Descamps, MM. Jean Desessard, Claude Domeizel, Guy Fischer, Adrien Giraud, Alain Gournac, Mme Odette Herviaux, MM. Benoît Huré, Serge Lagauche, Mmes Colette Mélot, Jacqueline Panis, M. Jackie Pierre, Mme Gisèle Printz, M. Charles Revet, Mmes Michèle San Vicente-Baudrin, Esther Sittler et M. André Vallet.

Déplacement en Seine-Saint-Denis - (9 avril 2008)

COMPTE RENDU DU DÉPLACEMENT EN SEINE-SAINT-DENIS

(9 AVRIL 2008)

Composition de la délégation :

MM. Christian Demuynck, président, Bernard Seillier, rapporteur, Jean Desessard, Alain Gournac et Jean-François Humbert

PROGRAMME

- Rencontre avec le Président du Conseil général.

- Visite à la communauté Emmaüs de Neuilly-Plaisance.

- Déjeuner de travail à la communauté et conférence de presse.

- Visite et entretien à la communauté ATD quart Monde de Noisy-le-Grand.

I. Rencontre avec M. Claude Bartolone, président du conseil général, en présence de Pascal Popelin, vice-président chargé de l'enfance et de la famille

M. Claude Bartolone a tenu à signaler en préambule qu'aucune politique spécifique en matière d'insertion n'était mise en oeuvre en Seine-Saint-Denis du fait de la lourdeur de la charge financière que représentent les obligations légales. M. Pascal Popelin a cité comme exemple l'augmentation du nombre de Rmistes passé de 40 000 à 48 000 entre le transfert de sa gestion au département et aujourd'hui. Il a en outre souligné les difficultés structurelles du département dans lequel près de 30 % des ménages sont dans un logement précaire, et où le revenu fiscal moyen (14 775 euros en 2005) s'élève à 86 % du revenu fiscal moyen en France et 66 % de celui de la région Île-de-France.

L'objectif que se fixe le département est donc l'efficacité maximale des politiques sociales imposées , qui doivent faire l'objet d'une action concertée avec tous les acteurs départementaux.

Sur la question de la collaboration avec les autres collectivités territoriales, M. Claude Bartolone a relevé que l'intercommunalité était peu développée en Seine-Saint-Denis et que c'était plutôt avec la région et les communes que des synergies étaient recherchées.

Pour illustrer cette collaboration, M. Pascal Popelin a pris l'exemple du revenu minimum d'insertion. Il a tout d'abord considéré que, parmi les allocataires du RMI, un tiers est directement employable, un tiers constitue le coeur de la cible des politiques d'insertion destinées à améliorer l'employabilité, et le dernier tiers recouvre une population peu susceptible de retrouver un emploi.

Il a estimé que l'effort à mener avec la région consistait en une meilleure adéquation entre les actions de formation de la région et les besoins des Rmistes du département dont l'employabilité devait être améliorée.

Avec les communes, il s'agit d'articuler les projets de ville avec les politiques d'insertion. Cela passe par un conventionnement du département avec les communes s'agissant de la prise en charge de certains allocataires par les centres communaux d'action sociale avec des objectifs renforcés en matière de suivi. Sur les 40 communes de Seine-Saint-Denis, 34 ont passé des conventions avec le département, devenu animateur de réseau.

Par ailleurs, le département a signé 9 chartes avec des entreprises (dont la SNCF, Veolia, RATP, Colas, Accor, Brinks, ADP...) pour favoriser l'insertion, notamment celle des personnes discriminées (femmes, minorités visibles...).

M. Pascal Popelin a également noté que les difficultés du département les poussaient à innover dans les méthodes utilisées. Ainsi le conseil général a-t-il mis en place une plate-forme d'aide aux particuliers réunissant les institutions, le monde associatif et les entreprises, qui a pour but de professionnaliser le secteur des services à la personne . Il s'agit notamment de mettre en valeur l'un des atouts du département, qui est la jeunesse de sa population, 29,1 % de celle-ci ayant moins de 20 ans.

S'agissant du revenu de solidarité active (RSA) , il a souligné que son expérimentation dans le département n'avait été lancée que très récemment, le 1 er mars 2008, pour une durée envisagée de trois ans, et qu'il était trop tôt pour estimer ses effets. Le département n'a retenu dans l'expérimentation que les personnes dont l'emploi correspond au moins à un mi-temps payé au SMIC, soit 78 heures hebdomadaires alors que les textes permettraient d'ouvrir le dispositif dès la première heure travaillée. La candidature du conseil général était en outre assortie de la condition selon laquelle l'État devait prendre en charge la moitié du coût complet du dispositif : surcoût de l'allocation, éventuels frais de gestion de la caisse d'allocation familiale, frais de gestion d'un fonds constitué par la prime de retour à l'emploi, projets d'accompagnement des allocataires bénéficiant du RSA, coût de recrutement de l'équipe RSA. La convention financière négociée entre le département et le Haut commissariat aux solidarités actives attribue ainsi 1,3 million d'euros à la Seine-Saint-Denis pour l'année 2008 au titre de l'expérimentation.

Sur la question de l'extrême pauvreté , il a estimé à plus de 5 000 le nombre d'enfants concernés, et à plus de 12 000 le nombre d'adultes en situation d'errance dans le département. Un service social est dédié à ce public en Seine-Saint-Denis, mais manque de moyens face à l'ampleur du problème. Il a en effet rappelé que dans 7 villes du département, le revenu fiscal moyen par foyer était inférieur au SMIC net individuel, et qu'il était à peine légèrement supérieur au seuil de pauvreté pour un adulte selon la définition européenne.

Il s'est enfin félicité de la finalisation du plan départemental d'action pour le logement des personnes défavorisées basé sur une prise en charge plus large par des associations, se substituant à l'hébergement hôtelier qui est extrêmement onéreux. Il a précisé que le dispositif d'accueil, d'hébergement et d'insertion de Seine-Saint-Denis constituant un parcours résidentiel de l'usager vers le logement autonome était composé de quatre paliers de prise en charge :

- un premier palier d'accueil et d'orientation dénommé dispositif de « veille sociale », comprenant le 115, le Samu social et les 7 accueils de jour ;

- un deuxième palier de prise en charge comprenant les centres d'hébergement d'urgence qui assurent un accueil inconditionnel et anonyme et répondent à la nécessité d'une mise à l'abri immédiate ;

- une catégorie intermédiaire de centres d'hébergement de stabilisation créée en 2007 dans le cadre du plan gouvernemental d'action renforcé pour les sans-abri (PARSA), qui vise à prendre en charge dans la durée les publics très désocialisés avec un accompagnement social renforcé ;

- et le quatrième palier se compose enfin de 20 centres d'hébergement et de réinsertion sociale pour une capacité de 780 places d'insertion, qui offrent un hébergement de plus longue durée (6 mois renouvelables) associé à la mise en oeuvre de prestations d'insertion afin de conduire les personnes accueillies vers une plus grande autonomie.

II. Visite de la communauté Emmaüs de Neuilly-Plaisance

En 1949, l'abbé Pierre fonde, dans une maison délabrée qu'il restaure à Neuilly Plaisance, la toute première communauté Emmaüs , lieu d'accueil et de rencontres pour les sans logis. Pour survivre, les membres de la communauté s'orientent rapidement vers le débarras de logements, leur permettant de récupérer et de vendre matières premières et objets d'occasion

En 1953, naît l'association dont le but est « d'agir pour que chaque homme, chaque société, chaque nation puisse vivre, s'affirmer et s'accomplir dans l'échange et le partage, ainsi que dans une égale dignité ».

Aujourd'hui la branche communautaire d'Emmaüs compte en France 120 communautés, 3 900 compagnons et collecte 2,6 millions de m 3 de marchandises, et dispose de plus de 86 millions d'euros de ressources correspondant à une solidarité financière de 56 millions d'euros.

Emmaüs a également diversifié ses activités avec une branche « action sociale et logement » qui gère environ 450 000 nuitées par an en hébergement d'urgence et social, et une branche « économie solidaire et insertion » qui collecte 570 000 m 3 de marchandises.

Lors de sa visite, la délégation de la mission a pu observer l'activité de la communauté mère d'Emmaüs à Neuilly-Plaisance et du nouveau site « Emmaüs avenir », qui est un centre de réemploi et d'économie solidaire travaillant avec la communauté, également situé à Neuilly-Plaisance.

La communauté accueille ceux que la société a marginalisés et organise, avec et pour eux, un ensemble de solidarités à partir des activités de récupération des compagnons.

Outre la maison mère de l'abbé Pierre, qui loge une partie des compagnons, la délégation a visité les locaux de recyclage et de vente de bibelots, meubles, textiles, appareils électroménagers et informatiques, donnés par les particuliers et les entreprises. Elle a pu constater qu'Emmaüs, en plus de sa mission de solidarité rendait un service à la fois environnemental (par la récupération) et social (par la revente à bas prix) à la collectivité. Comme l'ont indiqué les gestionnaires de la communauté, Emmaüs est « l'endroit où l'on peut déposer les objets dont on ne se sert plus, le numéro que l'on compose pour faire débarrasser son grenier et le bric-à-brac où dénicher les bonnes affaires ».

Les 43 compagnons de la communauté sont des hommes et des femmes accueillis au titre de « demandeurs d'aide et de soutien ». La personne accueillie dans la Communauté y reste ainsi le temps qu'elle souhaite, dans des conditions d'hébergement, d'alimentation et d'hygiène décentes, avec pour seule obligation de respecter les règles de vie en commun, et notamment de s'engager à travailler selon ses aptitudes. Ainsi la mission a-t-elle eu le privilège de partager avec les compagnons un excellent déjeuner préparé par le cuisinier de la communauté. Les compagnons vivent des ressources distribuées par la communauté et abandonnent de ce fait leurs droits au revenu minimum d'insertion.

Le centre « Emmaüs avenir » de Neuilly-Plaisance, dont le projet est bien avancé, fonctionne sur le principe que l'activité économique est un moyen d'insertion sociale et professionnelle, ainsi qu'un facteur de solidarité.

L'objet de la nouvelle structure est de valoriser les dons , et de réduire ainsi le nombre de déchets non utilisés, en créant un espace unique regroupant les aires de stationnement, les lieux de tri, les ateliers de recyclage et de revalorisation, la déchetterie pour les produits non réutilisables et certains espaces de vente.

Ce nouveau site de Neuilly-Plaisance centralise un certain nombre d'activités menées des deux communautés mères d'Emmaüs, celles de Neuilly-Plaisance et de Neuilly-sur-Marne.

Un nouveau standard téléphonique a été créé sur le site d'Emmaüs avenir, qui gère les plannings de ramassage et de livraison. Il emploie un salarié et deux compagnons qui répartissent les dons entre les communautés et règlent les problèmes d'approvisionnement et de stocks.

Parallèlement, Emmaüs a lancé deux axes de travail prioritaires concernant la formation et l'insertion.

Doté de véritables ateliers, Emmaüs avenir pourrait en effet devenir un lieu d'apprentissage des métiers du recyclage et de la revalorisation des matières premières. Le savoir-faire des compagnons pourrait ainsi être transmis à d'autres personnes en difficulté et des partenariats pourraient être engagés avec des entreprises, tel celui passé avec Gaz de France.

Un chantier d'insertion sera en outre mis en place sur les filières de récupération dans les domaines du bois, du textile, des matières premières et des anciens équipements électriques et électroniques.

III. Visite du centre de promotion familiale d'ATD Quart Monde à Noisy-le-Grand et entretien avec Mme Chantal Laureau, directrice du centre

La création du centre de promotion familiale de Noisy-le-Grand, par le père Joseph Wresinski en juillet 1956 permet de jeter les bases de ce qui deviendra le mouvement ATD Quart Monde, dont le principe fondateur est la reconnaissance du droit de vivre dignement en famille pour toute famille quelle que soit son histoire.

L'action menée par l'association ATD Quart monde aujourd'hui fait l'objet d'une convention d'aide sociale signée avec la direction départementale des affaires sanitaires et sociales pour 50 familles, et est financée pour une grande partie par une subvention de l'État, celle-ci assure l'essentiel du financement de l'action de promotion familiale pour 35 familles accueillies dans les logements de promotion familiale de première étape, ainsi que le soutien et l'insertion locale de 15 autres familles dans la phase du relogement.

Emmaüs Habitat assure le logement de premier accueil aux 35 familles et une gestion adaptée. L'engagement du bailleur social permet d'accueillir les familles les plus pauvres, qui sont prioritaires dans ce projet. Le logement proposé est un habitat stable, conventionné et donc sécurisé par l'aide personnalisée au logement.

ATD Quart Monde s'appuie sur ce double partenariat pour soutenir les familles qui sont susceptibles d'entrer dans un processus de promotion leur permettant à terme d'assumer leurs responsabilités familiales (éducation des enfants, retour à l'emploi, vie sociale et culturelle) et de locataires (paiement des loyers, nettoyage et entretien du logement, relations de bon voisinage...).

Les logements de promotion familiale de première étape permettent de recevoir 35 familles très fragilisées, l'objectif étant de leur assurer un logement stable et de sécuriser leur parcours de vie grâce à une prise en charge globale , la priorité étant donnée aux couples les plus pauvres avec de jeunes enfants.

L'action de promotion familiale de l'équipe d'animation du centre, qui comprend 21 professionnels salariés, auxquels s'ajoutent 15 professionnels intervenants, porte sur les points suivants :

- l'accès au logement . En effet, le logement est le premier pas pour la reconquête des autres droits : il est nécessaire pour l'obtention de la CMU, pour avoir un travail et pour élever ses enfants. C'est Emmaüs Habitat, société HLM, qui met les logements à disposition de l'association ATD quart Monde, laquelle assure une continuité de loyers. A la différence des CHRS, ces logements restent à disposition des familles pour une longue durée (deux ans en moyenne) jusqu'au relogement définitif ;

- le soutien au projet familial . L'intervention d'un pédopsychiatre, une pré-école communautaire, des « temps parents-enfants », sont autant de dispositifs mis en oeuvre par l'association pour renforcer la structure familiale et protéger les enfants de ces familles. Ce soutien ne disparaît pas après le départ des familles du centre, 50 d'entre elles étant actuellement prises en charge par le centre ;

- la recherche d'emploi . Outre un contrat de projet passé entre l'association et les parents, ATD a mis en place une petite entreprise solidaire qui emploie 17 personnes dans trois ateliers de nettoyage, de reconditionnement de matériels informatiques, et de rénovation de bâtiment. Cette structure permet aux adultes de percevoir un salaire, mais aussi, de renouer des liens sociaux, de retrouver confiance en eux et de se repositionner comme parents. ATD a également passé un partenariat avec C2DI, une association qui met en relation les personnes en difficulté et les entreprises ;

- l'accompagnement communautaire et culturel . Le volet culturel s'adresse ainsi aux enfants et aux adolescents de 6 à 16 ans : il se traduit par des activités quotidiennes de partage du savoir dont les supports sont la bibliothèque, le théâtre et l'atelier artistique du centre.

La délégation sénatoriale a ainsi pu constater sur place le travail engagé par l'association TAE (travailler et apprendre ensemble), et par ATD dans l'accompagnement culturel et familial.

Déplacement à Bruxelles - (17 avril 2008)

COMPTE RENDU DU DÉPLACEMENT À BRUXELLES

(17 AVRIL 2008)

Composition de la délégation :

MM. Christian Demuynck, président, Bernard Seillier, rapporteur, Jean François Humbert, secrétaire, Mme Béatrice Descamps et M. Jean Desessard

PROGRAMME

- entretien avec M. Frédéric Laloux, secrétaire d'Etat à la lutte contre la pauvreté ;

- entretien avec M. Jérôme Vignon, directeur « protection et intégration sociales » à la Commission européenne ;

- déjeuner de travail à la résidence à l'invitation de Son Excellence M. Dominique Boché, ambassadeur de France en Belgique ;

- présentation du réseau « European Antipoverty network » (EAPN), et de la plate-forme des ONG européennes du secteur social ;

- présentation du « Réseau Flamand des Associations où les pauvres prennent la parole » par M. Luc Horemans, président.

I. Entretien avec M. Frédéric Laloux, Secrétaire d'Etat à la lutte contre la pauvreté

La délégation s'est tout d'abord entretenue avec M. Frédéric Laloux , secrétaire d'Etat belge à la Lutte contre la Pauvreté, en présence de M. Dominique Boché, Ambassadeur de France en Belgique.

Le secrétariat d'Etat délégué à la lutte contre la pauvreté, rattaché au ministère de l'intégration sociale, des pensions et des grandes villes, a été créé lors de la constitution du dernier gouvernement, pour assumer au niveau fédéral des missions transversales en matière d'intégration sociale. Les Communautés sont en charge de la mise en oeuvre des politiques de prévention dans le domaine de la santé et de l'enseignement, tandis que les régions ont une mission d'accompagnement et que les communes gèrent les centres publics d'action sociale (CPAS).

Près de 15 % de la population, soit 1,5 million de personnes, vit dans des conditions précaires, qui se caractérisent le plus souvent par une situation préoccupante de surendettement.

Pour lutter contre ces phénomènes, la Belgique a mis en oeuvre, dès 1995, une politique de lutte contre la pauvreté fondée sur la consultation des personnes qui vivent dans une situation d'exclusion sociale : le « dialogue ». Cette concertation a permis d'aboutir le 5 mai 1998, à un accord de coopération relatif à la continuité de la politique de lutte contre la pauvreté, qui garantit la consultation régulière des personnes défavorisées.

Toute politique de lutte contre la pauvreté vise à rétablir les droits fondamentaux de l'homme, souvent bafoués dans le cas d'une précarité extrême, l'absence d'instruction contribuant souvent à aggraver la situation. Les personnes qui participent au « dialogue » sont donc souvent peu instruites, ce qui nécessite de la part de l'administration un effort pédagogique important. Les discussions s'achèvent, se traduisant par la rédaction d'un rapport contenant des recommandations sur les thèmes retenus.

M. Bernard Seillier, rapporteur , a fait observer que la grande loi transversale française sur les exclusions date également de 1998. Il a souligné les difficultés de mise en oeuvre des politiques transversales, qui nécessitent une véritable coordination des actions conduites par les différents ministères concernés dont l'impulsion ne peut être assurée que par le Premier ministre.

M. Frédéric Laloux a confirmé la nécessité d'un dialogue permanent avec le Premier ministre, qui s'ajoute aux échanges bilatéraux avec chaque ministre concerné. Le secrétariat d'Etat, structure légère, facilite la transversalité des politiques mises en oeuvre par les différents ministères mais aussi, la coordination des actions conduites par les régions et les Communautés.

Le dernier rapport a privilégié plusieurs thèmes : revalorisation de l'allocation de base et des faibles salaires ; lutte contre le surendettement ; politique énergétique en faveur des personnes défavorisées ; lutte contre la fracture numérique et amélioration de l'accès aux soins des plus démunis.

M. Bernard Seillier, rapporteur , a souligné la qualité des outils statistiques mis en place par l'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale (ONPES) et qui a fait l'objet d'un large débat en France.

M. Frédéric Laloux a évoqué les travaux de recherche réalisés par l'Institut national de statistiques belge, les instituts régionaux ainsi que certaines universités sur des catégories spécifiques de la population (personnes sans abri ou hébergées dans des structures collectives).

Les personnes les plus démunies, qui ne sont plus éligibles aux indemnités chômage, peuvent bénéficier du Revenu d'intégration sociale (RIS), qui a succédé au Minimex (minimum d'existence). Les actions d'insertion mises en oeuvre visent à favoriser le retour à l'emploi durable des personnes en situation de décrochage social. Pour être réintégrées dans le système d'assurance chômage, elles doivent travailler au minimum 24 mois. Les jeunes signent obligatoirement un contrat et doivent exercer une activité. En cas d'échec, il peut être proposé un autre contrat. Sur 90 000 bénéficiaires du RIS, plus de 12 000 personnes ont un emploi. La reprise d'activité est favorisée grâce au développement d'actions de formation mises en oeuvre par les CPAS et la création de petits ateliers locaux (ateliers de réparation de bicyclettes...), créateurs d'emplois.

M. Jean Desessard a souhaité savoir si le RIS était calculé en fonction des revenus du conjoint et s'il était versé aux jeunes âgés de moins de 25 ans. Il s'est également dit favorable à l'extension de la garantie locative contre les impayés de loyers.

M. Frédéric Laloux a reconnu que la Belgique était encore peu avancée dans ce domaine, même si certains CPAS offrent localement des garanties locatives ou des primes d'installations.

Le RIS, versé aux personnes âgées de 18 à 65 ans, représente pour une personne isolée, environ 680 euros par mois et pour un couple, ou une personne avec un enfant, 912 euros. Ce statut ouvre l'accès à d'autres aides complémentaires (plafonnement à 450 euros des dépenses de santé non remboursées, réduction dans les transports publics, tarification sociale pour les factures énergétiques...), ainsi qu'à des aides variables selon les CPAS.

M. Jean Desessard a rappelé que le RMI n'est pas ouvert aux jeunes âgés de moins de 25 ans, qui peuvent en revanche signer un contrat d'autonomie.

En réponse à une question de M. Christian Demuynck, président , relative au surendettement, M. Frédéric Laloux a évoqué le développement d'un système de médiation de dette entre le créancier et le débiteur géré par les CPAS sous la responsabilité des Communautés. Certaines personnes rencontrent des difficultés pour payer leurs factures d'énergie et doivent même parfois acheter à crédit les produits de première nécessité.

L'hébergement des sans-abri relève des Communautés qui disposent de maisons d'accueil ou de places réservées dans les campings. Mais il faudrait développer l'accompagnement et augmenter le nombre d'équipes mobiles qui vont à la rencontre des personnes qui dorment dans la rue.

II. Entretien avec Jérôme Vignon, directeur « protection et intégration sociales » à la commission européenne

La délégation s'est ensuite rendue à la Commission européenne pour s'entretenir avec M. Jérôme Vignon , Directeur du Service « Protection et intégration sociales ».

Ayant rappelé que les missions de la direction du Service « Protection et intégration sociales » s'inscrivent dans le cadre d'une démarche de coordination et de convergence des méthodes de travail des différents pays membres, M. Jérôme Vignon a signalé la publication d'un rapport d'évaluation des actions mises en oeuvre avant le début de la présidence française.

Regrettant la faible visibilité des sources européennes des politiques françaises de lutte contre la pauvreté et l'exclusion, M. Bernard Seillier, rapporteur , a mentionné l'existence d'un groupe de travail au sein du Conseil national de lutte contre les exclusions (CNLE) consacré au Plan national d'action pour l'inclusion (PNAI).

M. Jérôme Vignon est convenu que, les compétences de l'Union européenne étant limitées dans le domaine de la lutte contre la pauvreté et l'exclusion, la stratégie qu'elle préconise dans le cadre de la méthode ouverte de coordination (MOC) et du PNAI est encore trop méconnue. En outre, les décisions devant être prises à l'unanimité, les objectifs fixés pour une période de trois ans doivent être nécessairement consensuels.

Chaque Etat membre décline ensuite ces objectifs dans le cadre de plans nationaux d'action pour l'inclusion, qui font l'objet d'un suivi par le comité de protection sociale. L'évaluation des plans qui découlent des objectifs fixés en 2006 est actuellement en cours et doit faire l'objet d'un rapport adopté conjointement par la Commission et le Conseil.

M. Jean Desessard a souhaité connaître les critères d'éligibilité au fonds européen et les principaux pays bénéficiaires.

M. Jérôme Vignon a indiqué que la lutte contre la pauvreté et l'exclusion étant d'intérêt communautaire, tous les Etats membres sont éligibles aux fonds européens dont la vocation est de réduire les inégalités entre les territoires. Les critères d'éligibilité, négociés tous les 7 ans par le Conseil, déterminent les quotas de répartition entre les pays.

Le Fonds social européen (FSE) est principalement orienté vers les régions connaissant des difficultés d'emploi et de développement économique. A ce titre, la France bénéficie d'une trentaine de programmes opérationnels pluriannuels pour la période de 2007 à 2013. On observe une relative continuité dans l'affectation des fonds, même si des révisions à la marge peuvent intervenir entre les régions d'un même Etat membre, ce qui reflète une certaine permanence des actions conduites.

M. Jean-François Humbert s'est demandé dans quelle mesure l'arrivée de nouveaux états-membres avait affecté le niveau de l'enveloppe allouée à la France et s'il serait nécessaire de réévaluer la contribution budgétaire des Etats membres à l'Union européenne.

M. Jérôme Vignon a indiqué que Tony Blair avait pris l'engagement d'augmenter l'enveloppe du FSE afin de prendre en compte les conséquences financières de l'élargissement à 10 nouveaux pays, caractérisés pour la plupart par des taux de pauvreté plus élevés que dans les anciens pays membres.

La France, qui s'est vu attribuer une enveloppe équivalant à 4 % du PIB, a souvent des difficultés à utiliser l'intégralité des fonds. Une grande partie est orientée vers la formation des administrations de gestion et de programmation. Dans leur grande majorité, les pays de l'Union défendent une vision solidaire de l'Europe et récusent le discours de certains Etats membres exigeant l'équilibre entre contribution et subvention.

Il a regretté que les programmes mis en oeuvre dans chaque pays ne fassent pas l'objet d'un compte rendu détaillé qui serait transmis à la Commission européenne, et qui pourrait ainsi alimenter les échanges entre les pays sur les bonnes pratiques.

De façon générale, les fonds sociaux européens sont orientés vers le soutien des populations vulnérables ainsi que vers l'insertion professionnelle : un programme visant à mieux concilier vie familiale et vie professionnelle vient notamment d'être lancé.

Enfin, il a regretté les retards de la France dans le domaine de l'évaluation de la dépense sociale, cette carence étant particulièrement marquée s'agissant de la dépense sociale européenne. En outre, les contrôles financiers complexifient fortement l'octroi des fonds même si la France a pu bénéficier d'un milliard d'euros pour le programme « Progress », bras armé de la MOC, qui concerne la coopération transfrontalière et l'ingénierie sociale. Les contrôles s'effectuent généralement à deux niveaux : celui des services déconcentrés de l'Etat et celui de l'Inspection générale des finances (IGF) et de l'Inspection générale des affaires sociales (IGAS).

M. Jean Desessard a souhaité savoir s'il s'agissait d'un contrôle qualitatif s'apparentant à une évaluation ou plutôt d'un contrôle de régularité.

M. Jérôme Vignon a fait observer que beaucoup d'évaluations sont faites dans le cadre du FSE par la direction générale de l'emploi, mais les retours sont généralement limités. Les programmes « EQUAL » et « URBAN », pour lesquels les contrôles ont été plus approfondis, ont permis de constituer une base de données très intéressante en matière d'innovation sociale, notamment dans le domaine de l'égalité des chances. (Programme « EQUAL »).

Il a rappelé la publication annuelle d'un rapport du Conseil économique et social européen d'évaluation (CES) sur les expérimentations sociales en Europe qui permet de recenser chaque année les bonnes pratiques des Etats membres qui pourront faire ensuite l'objet d'une diffusion et le cas échéant d'une transposition dans l'ensemble des pays de l'Union. Ce sont généralement les pratiques coopératives entre les collectivités territoriales, la société civile et l'Etat qui, du fait des bons résultats qu'elles permettent d'obtenir, retiennent l'attention du CES européen. En France, on observe en effet que la coopération accrue entre l'Etat, les régions et les départements augmente les chances de succès des actions mises en oeuvre.

S'il existe des différences entre les politiques nationales conduites par les Etats européens, celles-ci sont fédérées autours d'objectifs ou de priorités communes. La concertation est facilitée par l'existence d'une méthode commune, d'un calendrier partagé, d'objectifs consensuels et d'indicateurs d'évaluation concertés qui permettent progressivement l'émergence d'une politique sociale européenne.

Certains pays, dotés d'une structure fédérale, ont adopté une MOC interne entre régions ( Italie ). A l'inverse, le PNAI allemand souffre de la concurrence entre les Länder et l'administration fédérale. La France se caractérise par un plan particulièrement créatif, tandis que l' Irlande a fait un travail remarquable sur l'implication des acteurs de terrain en les associant à la définition des priorités nationales et des outils statistiques d'évaluation, ce qui a eu un impact très positif sur l'efficacité des dépenses sociales.

Le Portugal , dont l'organisation est très centralisée, a développé un dispositif de coordination au niveau des cantons afin de permettre la mise en oeuvre d'une action concertée dans le domaine de la formation professionnelle et de l'action sociale.

Les Pays-Bas et l' Autriche se distinguent par la qualité de l'évaluation de l'efficacité de la dépense des crédits avec la mise en place d'un taux de consommation des crédits et de signaux d'alerte.

Grâce à une évaluation détaillée de l'efficacité de certains programmes, le Royaume-Uni , est à l'origine de bonnes pratiques notamment dans le domaine de la prise en charge des personnes âgées à domicile avec la mise en place d'un programme de prévention des chutes et des accidents domestiques. Dans un autre domaine, une étude a été réalisée sur les conséquences des arrêts maladie prolongés qui occasionnent la perte de la compétence professionnelle et se traduisent parfois par le glissement vers l'invalidité permanente. Les conclusions de cette étude ont débouché sur la création d'un programme d'aide pour les personnes volontaires, qui donne déjà des résultats très positifs.

Enfin, la Belgique , si elle se distingue par une bonne coopération entre acteurs locaux et fédéraux, est encore très en retard dans la mise en oeuvre de politiques de prévention de la pauvreté et de l'exclusion.

Le PNAI français , pour la période 2006-2008, a défini 3 priorités : retour à l'activité des personnes éloignées de l'emploi, insertion des jeunes et amélioration de l'accès au logement social. La France a mis en place une consultation des instances concernées : CNLE, Conseil national de l'insertion par l'activité économique (CNIAE) et comité interministériel. Cette consultation a abouti à une conférence de lancement en 2006 qui s'est prolongée par des séminaires locaux et la mise en place d'un comité de suivi au CNLE. Il a regretté l'absence de débat parlementaire sur le PNAI estimant néanmoins que le plan de la période 2006-2008 peut donner de bons résultats.

Il est vrai que la France dispose d'un cadre législatif relativement étoffé, d'organes de consultation nombreux et d'un système sophistiqué d'indicateurs et d'évaluation grâce à l'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale (ONPES) et à la loi organique relative aux lois de finances (LOLF).

En revanche, les politiques mises en oeuvre souffrent de certaines faiblesses : manque de suivi, objectifs souvent peu clairs, coordination territoriale insuffisante, peu d'évaluation ciblée, absence de diagnostic partagé et faible visibilité des politiques.

Les politiques d'insertion subissent également les conséquences délétères de politiques éducatives souvent mal orientées et de faibles capacités d'accueil en crèche. Une réflexion devrait être conduite pour soutenir les initiatives permettant notamment de mieux concilier vie familiale et vie professionnelle, la garde des enfants demeurant un obstacle majeur à la reprise d'activité pour les chefs de familles monoparentales.

L'expérimentation du revenu de solidarité active (RSA) , conduite actuellement par les départements dans la perspective de sa généralisation au second semestre de 2009, s'inscrit dans la droite ligne des préconisations européennes en matière d'insertion professionnelle.

Autres politiques exemplaires : l' Irlande et les Pays-Bas comptent parmi les pays qui ont obtenu les meilleurs résultats notamment en matière d'intégration des minorités d'origine étrangère.

III. Déjeuner à l'Ambassade de France en Belgique

M. Dominique Boché , Ambassadeur de France en Belgique, a fait le point sur les caractéristiques de la pauvreté en Belgique, puis a évoqué la situation des Français qui y résident.

Une grande part de la population (près de 15 %) perçoit un revenu inférieur au seuil de pauvreté européen (60 % du revenu médian), soit environ 850 euros par mois et on estime à 17 000 le nombre de personnes sans abri. On observe une grande disparité selon les régions, les Wallons étant moins exposés aux phénomènes de précarité que les Flamands.

Les Français résidents en situation de précarité (5 % à 10 % des Français installés) peuvent être accueillis, dans certains cas, par les centres publics d'action sociale (CPAS), sinon, les antennes consulaires assurent leur prise en charge.

Le système fiscal belge , parce qu'il ne tient pas compte du quotient familial et qu'il est peu progressif, est en réalité peu avantageux pour les Français résidents. En revanche, le capital et le patrimoine sont faiblement imposés.

La présence économique française est marquée par une activité de mécénat culturel et par l'action des grands groupes, Vinci (bouclage du « ring » d'Anvers), Air Liquide (activités portuaires) ainsi que Total et Suez, qui ont acquis Petrofina et Electrabel.

Le système éducatif belge se caractérise par un bon niveau linguistique et une grande capacité d'adaptation au monde du travail. 38 % des jeunes sont titulaires d'un diplôme universitaire à la fin de leurs études, contre 36 % en France. Par ailleurs, on observe de plus en plus fréquemment des jeunes en situation de décrochage scolaire, notamment en Flandres.

Enfin, la Belgique subit les conséquences des politiques récentes de lutte contre la drogue mises en oeuvre aux Pays Bas, son commerce se développant désormais à la frontière belge, notamment à Liège et à Maastricht.

IV. Présentation du réseau european antipoverty network et de la plateforme des ONG européennes du secteur social

La délégation a ensuite rencontré Mmes Claire Champeix et Elodie Fazi, chargées de mission du réseau « European Anti-Poverty Network » (EAPN) et Mme Roshan Di Puppo, Directrice de la plateforme des ONG européennes du secteur social.

- Présentation du réseau « European Anti-Poverty Network »

EAPN est un réseau indépendant qui rassemble, depuis 1990, plusieurs réseaux nationaux ou européens d'ONG ou de groupes impliqués dans la lutte contre la pauvreté. Le champ de leur réflexion balaye différents sujets tels l'accès au marché du travail, le logement, l'éducation ou les services sociaux.

Leur rôle est d'entretenir un dialogue permanent avec les institutions européennes, d'échanger des informations, de développer un réseau à travers l'Union européenne et de former de nouveaux groupes nationaux, notamment dans les nouveaux Etats membres.

L'approche du réseau est basée sur les droits et sur la participation des personnes concernées aux politiques d'intégration sociale. L'objectif est d'intégrer les politiques de lutte contre la pauvreté à la stratégie européenne de « Croissance et d'Emploi » de Lisbonne, en intervenant par exemple en faveur de l'amélioration des conditions de vie des travailleurs pauvres et de l'accès de tous à un revenu minimum.

L'existence d'un réseau permet également d'échanger les bonnes pratiques (« saft law ») et de se fixer des objectifs communs en matière de lutte contre la pauvreté. Dans la perspective de 2010, qui sera l'année européenne de la lutte contre la pauvreté, l'agenda social européen prévoit le renforcement de la méthode ouverte de coordination (MOC), de la stratégie européenne pour l'emploi et de la garantie des droits fondamentaux.

S'agissant de l' emploi , la stratégie européenne de Luxembourg a permis la mise en place d'un plan d'action favorisant la convergence des politiques. Les réflexions se sont poursuivies dans le cadre du Sommet de Lisbonne, en particulier sur la flexisécurité et l'évolution de la législation du travail.

Le revenu minimum garanti suscite également de larges débats. Le RMI est souvent cité en exemple par nos partenaires européens, malgré les défauts et la complexité de notre système de minima sociaux. Le niveau des aides octroyées est très hétérogène, puisqu'il varie pour une personne seule de 28 euros en Lettonie à 1 130 euros au Danemark. Il est généralement assorti d'un objectif de retour à l'emploi, ce qui conduit à déterminer un revenu d'équilibre, variable selon les pays, au-delà duquel la reprise d'une activité n'est plus attractive.

Le revenu de solidarité active a fait l'objet d'une étude approfondie, qui fait apparaître le risque d'un « écrémage » des personnes les plus éloignées de l'emploi, qui seront écartées de ce dispositif.

- Présentation de la plateforme sociale des ONG européennes

La plateforme sociale des ONG autorise un dialogue entre les ONG et les institutions communautaires sur les thématiques retenues pour l'agenda social européen .

Plusieurs thèmes sont inscrits à l'ordre du jour : l'égalité entre les hommes et les femmes, la lutte contre les discriminations et l'impact prévisible des changements démographiques et sociaux.

La politique sociale européenne est en fait essentiellement centrée sur l'emploi, ce qui explique la préférence pour la notion d'inclusion active qui a relégué au second plan la notion d'inclusion sociale. L'article 137 du traité sur l'Union européenne met au centre des actions sociales européennes la lutte contre l'exclusion et les discriminations, mais il faut reconnaître que les compétences sociales de l'Union sont réduites. Toutefois, la réflexion provient souvent des instances communautaires, ce qui légitime la mise en place d'un collectif d'ONG européennes pour influer sur les politiques préconisées au niveau européen.

V. Présentation du réseau flamand des « associations où les pauvres prennent la parole »

M. Luc Horemans a présenté à la délégation le Réseau flamand des « Associations où les pauvres prennent la parole », qu'il préside.

Il a souligné l'importance de la participation des personnes en situation de grande pauvreté à la construction des politiques de lutte contre l'exclusion. Le dialogue qui s'est construit, depuis 1996, a permis d'aboutir à la rédaction d'un décret de la Communauté flamande relatif à la lutte contre la pauvreté, fruit d'un consensus entre les associations et les autorités politiques locales.

En Flandre, 55 associations sont reconnues comme étant représentatives de l'expérience de la pauvreté. Chaque mesure ou plan en faveur de la lutte contre la pauvreté fait l'objet d'une consultation desdites associations. Celles-ci sont financées par les autorités flamandes, ce qui les rend particulièrement dépendantes du Gouvernement.

Enfin, au terme d'une discussion avec M. Luc Horemans distinguant les notions d'inclusion et d'intégration sociale, M. Bernard Seillier, rapporteur , a dit sa préférence pour la notion de cohésion sociale qui traduit l'idée que la société et l'individu doivent converger pour coexister.

Déplacement à Lyon - (30 avril 2008)

COMPTE RENDU DU DÉPLACEMENT A LYON

(30 AVRIL 2008)

Composition de la délégation :

MM. Christian Demuynck, Président, M. Bernard Seillier, rapporteur, Mme Brigitte Bout, vice-présidente, Mme Muguette Dini, M. Guy Fischer

PROGRAMME

- Accueil à la Préfecture par le secrétaire général de la préfecture de la région Rhône-Alpes et présentation des actions mises en oeuvre dans la région Rhône-Alpes et le département du Rhône en faveur de l'insertion.

- Visite de la maison-relais gérée par Habitat et Humanisme, « Le Bistrot des Amis » et table ronde sur la situation du logement et de l'hébergement dans le Rhône.

- Déjeuner au Conseil général à l'invitation du Président du Conseil général.

- Table ronde à la chambre de commerce et d'industrie du Rhône sur la participation des entreprises à l'insertion des personnes éloignées de l'emploi.

I. Rencontre avec le secrétaire général de la préfecture, M. René Bidal, et présentation des actions mises en oeuvre dans la région Rhône-Alpes et le département du Rhône en faveur de l'insertion, en présence de Michel DELARBRE, directeur régional du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle, Patrick LESCURE, directeur régional de l'Agence nationale pour l'emploi et Bernard CHOLVY, directeur départemental du travail, de l'emploi et de la formation professionnelle et Didier CARPONCIN, directeur des actions interministérielles.

M. René Bidal a souligné que le Préfet de région avait lancé plusieurs opérations pour améliorer l'insertion des jeunes et des personnes en difficulté sur le marché de l'emploi :

- l'opération « Motivés par l'emploi », visant des jeunes diplômés des zones urbaines sensibles (ZUS) et des zones de revitalisation rurale (ZRR) du département du Rhône, désireux de trouver un emploi mais n'y parvenant pas. La préfecture a ainsi convoqué 800 jeunes de moins de 26 ans diplômés de bac à bac + 2 pour les mettre en relation, par le biais d'une mobilisation des services de l'ANPE, avec des entreprises. L'opération repose sur le principe de la « file active », avec un suivi personnalisé de chaque jeune et une implication forte des entreprises, contactées directement par le Préfet. Chaque agence ANPE a ainsi été chargée du suivi de 50 à 60 jeunes, avec une coordination au niveau départemental pour superviser l'opération. Cette action, que le Préfet a décidé d'étendre aux autres départements de la région Rhône-Alpes, aurait déjà permis à 300 jeunes de trouver un emploi ou une formation qualifiante ;

- cette opération a été étendue récemment à mille jeunes supplémentaires, cette fois peu qualifiés mais toujours « motivés par l'emploi ». Pour ces jeunes, qui peuvent bénéficier au contrat initiative emploi ou CIE (les critères d'admission à ce contrat aidé étant fixés par le préfet de région), la préfecture travaille avec les missions locales, l'agence pour l'emploi des cadres (APEC), l'association de gestion du fonds pour l'insertion professionnelle des personnes handicapées (AGEFIPH), et utilise les plateformes de vocation de l'ANPE. Le Préfet a réuni à la fin du mois de mai des employeurs des secteurs en tension (BTP, services à la personne) pour leur remettre l'ensemble des profils des jeunes concernés par l'opération ;

- une opération s'appuyant sur le contrat d'autonomie a également été lancée. Des opérateurs, payés en fonction de leurs résultats, sont chargés de trouver des emplois à des jeunes des ZUS. Il s'agit en particulier d'atteindre des jeunes inconnus du service public de l'emploi car ne se rendant pas dans les missions locales. Le Préfet mobilise également le Conseil régional, les missions locales, les plans locaux pour l'insertion et l'emploi (PLIE) et les partenaires sociaux afin d'actionner des financements permettant de fournir des formations de base aux jeunes les moins qualifiés ou illettrés ;

- le préfet souhaite permettre à des jeunes de ZUS d'intégrer des classes préparatoires aux grandes écoles. Il a ainsi fait appel au rectorat et aux universités pour repérer ces jeunes et leur offrir des places d'internat dans les six lycées du département ayant des classes préparatoires, une convention étant signée avec chaque lycée. Les étudiants seront suivis par des tuteurs choisis parmi les autres élèves. Le rectorat a ainsi pu fournir à la préfecture une liste de 80 à 90 jeunes susceptibles d'être concernés par ce programme ;

- une action menée conjointement avec l'AGEFIPH et l'ANPE vise à obliger les employeurs à embaucher davantage de handicapés pour atteindre les 6% fixés par la loi. Les contrats aidés sont mobilisés dans cette optique. Une action similaire vise les ex-détenus.

Toutes ces opérations semblent avoir porté leurs fruits puisque le chômage a baissé de 16 % dans le Rhône contre 10 % en moyenne en France.

II- Visite de la maison-relais « Le Bistrot des Amis » gérée par Habitat et Humanisme, suivie d'une table ronde sur la situation du logement et de l'hébergement dans le Rhône

Participaient à la table ronde : Xavier Naegelen, Président ; Bernard Devert, fondateur ; Jacques Moulinier, Secrétaire général ; J.P. Bourgès, représentant l'Association « Habitat & Humanisme» ; Benoît Viannay, Président l'Association « Notre-Dame des Sans-abri » ; André Pollet, Président de la Commission de médiation ; Gérard Marquis, Délégué régional de l'Agence nationale de l'Habitat (ANAH) ; Vincent Amiot, Directeur régional et départemental de l'équipement ; Paul Ponceau, Président Rhône-Alpes et Solène Bihan, membre de la Fédération des Associations pour la Promotion et l'Insertion par le Logement (FAPIL) ; Michel Rey, représentant du Service Inter Administratif du Logement (SIAL) et de l'association Droit au logement (DAL) ; Patrice Rolland, représentant des Offices publics HLM ; Maxime Duplain (DDE) ; Joël May, Directeur de la direction départementale des affaires sanitaires et sociales (DDASS).

M. Bernard Devert , fondateur de l'Association « Habitat & Humanisme » , a évoqué quelques pistes pour faciliter le logement et l'hébergement des personnes les plus démunies :

- mobiliser des fonds privés par le développement de l'actionnariat solidaire qui permet à une personne privée d'investir pendant cinq ans dans le patrimoine foncier d'une association et de déduire 25 % de la somme investie du montant de son impôt sur la fortune ;

- favoriser la rénovation de l'habitat indigne en centre ville pour développer une offre de logements locatifs privés accessibles aux plus démunis ;

- redéfinir les critères d'accès au logement social et ses modalités de financement, afin de redéployer les moyens au profit du logement très social financés par des prêts locatifs aidés d'intégration (PLAI) accessible aux personnes les plus démunies (actuellement, 70 % de la population française peut prétendre à un logement social financé par un prêt locatif social).

- réorienter les aides fiscales vers le financement du logement locatif très social ;

- modifier la pondération des logements sociaux de type PLS et PLAI pour le décompte réalisé dans le cadre de l'article 55 de la loi SRU de manière à inciter les communes à construire davantage de logements très sociaux ;

- développer l'offre de logements d'insertion ou de transition, en mobilisant les personnes en service civil volontaire pour l'accompagnement ;

- étendre, en partenariat avec la Caisse des dépôts et consignations (CDC), aux logements locatifs sociaux de type PLAI, la possibilité d'un montage basé sur le démembrement du droit de propriété en donnant l'usufruit aux associations ou aux bailleurs sociaux (bail à construction - bail emphytéotique, dispositif en cours d'expertise par le ministère du logement et de la ville) ;

- trouver des solutions alternatives aux établissements hébergeant des personnes âgées dépendantes (Ehpad) permettant à la fois de diminuer le coût mensuel pour les personnes âgées (1 200 euros par mois en moyenne) et de limiter l'isolement : aide à la personne à domicile, cohabitation intergénérationnelle, etc.

M. Benoît Viannay, président de l'Association « Notre-Dame des Sans-abri », a rappelé que son Association, qui embauche 157 salariés, dont 61  en insertion, et recourt à 980 bénévoles, a une quadruple vocation :

- accueillir grâce au 115, aux accueils de jour (320 places), aux pôles Hygiène Santé (accueil psychologique et lits de repos) et aux vestiaires d'urgence ;

- héberger dans les CHU (362 places) et les centres d'hébergement d'insertion (357 places) ;

- accompagner, grâce à une plateforme d'orientation, un pôle d'accompagnement renforcé et un pôle familles ;

- et insérer grâce au Service d'insertion, au CHRS Jeunes, aux ateliers d'insertion et à la mission Emploi - Formation.

Pour remplir ses missions, le Foyer ND des Sans-abri bénéficie d'une subvention annuelle de 5,6 millions d'euros pour un budget global de 9,8 millions, largement alimenté par les dons et les activités marchandes (collectes, tri, etc.).

M. Benoît Viannay s'est dit favorable à :

- la mise en place de parcours adaptés à la situation des personnes isolées, des familles et des sans-abri, en prévoyant, si nécessaire, un accompagnement médical et social ;

- la création de structures d'accueil pour les grands déstructurés privilégiant l'accompagnement par des travailleurs sociaux ou des bénévoles, sur le modèle de celle créée par son association ;

- la réduction des délais (9 mois en moyenne) pour accéder à un logement autonome, afin de désengorger les centres d'hébergement d'urgence (CHU) et les centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS) ;

- la création d'un fonds de garantie des loyers ;

- le développement des structures d'accueil de jour permettant aux personnes sans abri de se reposer, se laver, s'habiller et se nourrir ;

- le soutien scolaire pour les enfants des familles en grande difficulté ;

- la transformation des logements sociaux vieillissants en logements très sociaux de type PLAI.

Puis, il a dressé un premier bilan des activités de la commission départementale de médiation (CDM) chargée d'identifier les publics prioritaires relevant du droit au logement opposable (DALO) : mise en place en février, la CDM du Rhône a déjà traité 184 dossiers sur les 600 reçus (150 dossiers par mois). La moitié des demandeurs a été considérée comme prioritaire. La CDM, qui se réunit deux fois par mois, traite 50 dossiers par réunion, soit environ 1 500 dossiers par an. Or, seulement 900 logements et une centaine de places d'hébergement peuvent être attribués actuellement par le préfet.

S'agissant des demandeurs, 44 % vivent des revenus de leur activité mais disposent de ressources inférieures à 1 100 euros par mois, 27,5 % perçoivent le RMI  et 28,5 % touchent l'API, l'AAH ou une indemnité chômage. Par ailleurs, 27 % des ménages concernés sont des familles monoparentales, 28,5 % sont des couples avec ou sans enfant et 27 % à 30 % sont des personnes isolées. Un tiers des demandeurs sont d'origine étrangère.

Sur l'ensemble des demandes examinées, 50 % ont été refusées pour diverses raisons :

- le délai « anormalement long » de réponse à la demande de logement (deux ans dans le Rhône) n'était pas écoulé ;

- certaines demandes étaient de confort ;

- certaines demandes concernaient des étrangers en situation irrégulière mais vivant avec des personnes en situation régulière (CDM en attente d'une jurisprudence ou d'une précision législative sur ce sujet) ;

- la demande d'un logement autonome ne semblait pas adaptée et la commission a préféré orienter le demandeur vers une structure d'hébergement avec accompagnement (problème spécifique posé par la sortie de l'hébergement de transition pour certaines personnes : maisons-relais à développer).

M. André Pollet, Président de la commission de médiation , a estimé nécessaire de prévoir un accompagnement dans la constitution du dossier. Il a souligné le problème que pose la requalification des demandes de logement en hébergement (5 % des cas), notamment lorsque les personnes dont la demande a été requalifiée refusent l'orientation proposée par la CDM. Il a suggéré que la commission dispose d'une plus grande autorité dans ce domaine.

M. Michel Rey, représentant du SIAL et de l'association DAL, a fait observer que les personnes qui font un recours sont généralement déjà inscrites dans le fichier des demandeurs prioritaires (10 300 inscrits à la préfecture sur 50 000 recensés) et disposent de revenus généralement inférieurs à 60 % du plafond HLM. Les personnes jugées prioritaires doivent être relogées obligatoirement dans les six mois, ce qui est particulièrement difficile dans le contexte actuel où l'offre est insuffisante. Les places mobilisables par le préfet n'excèdent pas 10 % du contingent actuel et depuis 2000, ce stock diminue régulièrement : de 2 500 en 2000, il est passé à 1 700 logements en 2006, ce qui remet en cause la tendance récente à la délégation du contingent préfectoral aux maires. Se pose aussi un problème d'équité : le contingent préfectoral va être prioritairement mobilisé au profit des personnes ayant obtenu une décision favorable de la CDM et reléguer au second rang celles qui n'auront pas déposé de recours.

En outre, il existe un décalage entre la mise en oeuvre du DALO et l'intensification de l'effort de construction : malgré la mobilisation de moyens financiers sans précédent, il faudra au moins trois ou quatre ans pour que les premiers logements soient livrés.

Par ailleurs, le coût des logements rénovés est trop élevé pour les ménages les plus démunis. Il s'agit donc de développer les relations entre bailleurs et d'organiser l'offre et les mobilités de logements à l'échelle du parc social global. Il faudra aussi mettre en place une politique courageuse de gestion des suroccupations, les personnes âgées conservant des appartements de grande taille après le départ de leurs enfants et privant ainsi les familles d'un logement adapté.

Enfin, il faut reconsidérer les effets de la décentralisation des Fonds de solidarité logement (FSL), qui entraîne la délégation des enquêtes sociales au Conseil général. Ce dernier ne peut pas être à la fois juge et partie : de l'enquête sociale découle la décision de proposer ou non un accompagnement social, financé par le Conseil général.

M. Guy Fischer a souhaité savoir si les offices publics HLM offrent, comme certaines associations, un accompagnement pour les personnes qui connaissent des difficultés passagères. Les impayés de loyers et les expulsions ne sont pas forcément traités de la même façon d'un bailleur à l'autre.

M. Bernard Seillier, rapporteur , a souhaité que les associations accompagnent les demandeurs dans leur démarche de recours devant la CDM et jouent en même temps un rôle de filtre, en fonction des situations objectives des personnes. Il s'agit également d'apaiser le sentiment d'injustice qui peut naître entre les demandeurs qui auront obtenu gain de cause et ceux qui, en attente d'un logement, n'auront pas fait de recours devant la CDM. Il s'est prononcé en faveur d'une approche régionale de la question du logement, les zones de tension étant concentrées en Île-de-France, en Provence Alpes Côtes d'Azur et dans le Nord-Pas-de-Calais.

M. Paul Ponceau, président de la FAPIL , a rappelé que sa Fédération est un réseau d'une vingtaine d'associations et d'agences immobilières à vocation sociale (AIVS) qui oeuvrent pour l'insertion par le logement des personnes démunies. Elles ont pour mission de conseiller les demandeurs de logement, d'accompagner les propriétaires dans la réhabilitation de leurs logements pour constituer un parc locatif privé socialement accessible, de mettre en relation les propriétaires et les locataires modestes, d' accompagner ces derniers dans leur démarche et leur installation dans le logement et de prévenir et gérer les situations d'impayés et d'expulsions. Les agences travaillent en partenariat avec l'ANAH et l'aide à la médiation locative (AML).

Il s'est dit intéressé par le développement d'une offre locative très sociale de type PLAI, qui pourrait se réaliser :

- soit par l'acquisition de logements avec l'aide de la Caisse des dépôts et consignations, mais les associations ont un profil de risque qui ne correspond pas aux critères requis pour un emprunt de cette importance et de cette durée ;

- soit par le mécanisme des baux glissants , qui permet à une association de sous-louer des logements à des familles en difficulté, qui bénéficient de façon corollaire d'un accompagnement social spécifique et de la prise en charge partielle du loyer par l'APL (allocation personnalisé logement). Cela suppose toutefois de disposer d'un fonds de roulement pour payer la caution et les premiers mois de loyer, ce qui est parfois difficile pour les associations ;

- soit enfin, grâce à la délégation de gestion aux AIVS de certains logements par les OPHLM. Il a évoqué à cet égard la difficulté d'obtenir à la fois, par convention avec l'Etat, un prêt PLS pour financer la construction, l'acquisition ou la réhabilitation du logement, et une subvention ANAH pour louer le bien dans le cadre d'un programme social thématique (PST).

M. Gérard Marquis, Délégué régional de l'ANAH , est convenu que ce montage, qui combine deux conventions Etat - ANAH, mériterait d'être simplifié.

M. Joël May, Directeur de la DDASS, a fait valoir la grande diversité des publics accueillis en CHU, qui nécessitent une adaptation des modes de prise en charge. La capacité d'accueil des centres est passée dans le Rhône de 777 à 1 450 places entre 2003 et 2008 grâce au Plan de cohésion sociale puis au Plan d'accueil renforcé pour les personnes sans abri (PARSA). La transformation d'une partie des places d'accueil d'urgence en places de CHRS, si elle est favorable à l'insertion des personnes hébergées, présente l'inconvénient de réduire d'autant le nombre de places disponibles pour accueillir les personnes sans domicile. Il faudra réguler l'ensemble pour fluidifier les parcours, de « la rue » au logement autonome.

M. Bernard Seillier, rapporteur , a indiqué que les montages financiers basés sur un démembrement du droit de propriété pouvaient contribuer à réduire les effets de la spéculation immobilière.

M. Bernard Devert a souligné l'intérêt du plan local de l'urbanisme (PLU) pour réguler la construction de logements très sociaux et préserver la mixité sociale.

M. J-P Bourgès, Fédération « Habitat & Humanisme » a noté que la concentration des logements dans des grands ensembles sociaux gérés par les bailleurs était contraire à la logique de mixité sociale.

M. Gérard Marquis, Délégué régional de l'ANAH , a souligné tout l'intérêt de maintenir une offre locative privée à vocation sociale, qui a l'avantage de mieux s'insérer dans le diffus, en centre ville, favorisant ainsi la mixité sociale. Les opérations de réhabilitation des quartiers dégradés (ORQUAD) dans les centres anciens y contribuent largement. Mais cela nécessite l'engagement financier des collectivités concernées dans la durée, pour réhabiliter à la fois les logements et l'environnement dans lequel ils s'insèrent.

M. Maxime Duplain, responsable du droit au logement à la DDE , a souligné la difficulté rencontrée par les communes pour mobiliser des terrains destinés à la construction de nouveaux logements sociaux. La demande de logements très sociaux étant plus forte, il s'est félicité que le Sénat ait revu à la hausse les objectifs de construction de ces logements de type PLAI, lors de l'examen de la loi DALO.

En réponse à M. Paul Ponceau qui évoquait les difficultés financières des associations pour développer l'offre de logements très sociaux, il a suggéré la création d'une caisse de garantie pour aider les associations dans leurs projets de construction ou acquisition de logements de type PLAI, à condition qu'elles puissent ensuite assumer leurs dépenses de fonctionnement.

Mme Michèle Grisard , responsable du « Bistrot des Amis » a enfin expliqué que cette maison-relais, divisée en 14 appartements, offre aussi un accueil de jour à partir de 17 heures ainsi qu'une table d'hôte cinq soirs par semaine et le lundi midi. Chaque résidant ou itinérant accueilli paie deux euros par repas.

Elle a fait valoir la souplesse et le faible coût de ce type de structure, chaque maison-relais ayant sa spécificité, selon le quartier dans lequel elle s'insère et les partenariats qu'elle mobilise. Elle a fait observer que l'accueil des familles et des enfants devrait faire l'objet d'une attention particulière, l'offre de structures adaptées étant manifestement insuffisant.

III- Déjeuner au Conseil général à l'invitation de M. Michel Mercier, président du Conseil général du Rhône

M. Albéric de Lavernée , vice-président chargé de l'insertion au Conseil général, a expliqué qu'il existait dans le Rhône 85 maisons du département permettant de suivre les allocataires du RMI, dont 54 réunissant l'ensemble des services du département. Grâce à cette territorialisation, 240 000 personnes ont été rencontrées par les services du Conseil Général, qui a souhaité utiliser l'ensemble des moyens à sa disposition pour réduire le nombre de bénéficiaires du RMI : 1.600 RMA ont ainsi été signés et un objectif de 100 % de référents pour les allocataires a été fixé (la moitié étant des personnels du département et l'autre moitié des conseillers ANPE ou des associations). Le conseil général a atteint 72 % de contractualisation pour les bénéficiaires du RMI, taux supérieur à la moyenne nationale, et a lancé une opération de « nettoyage » des listes d'allocataires. Aucun recours en justice n'a eu lieu sur les 600 radiations prononcées à l'issue de 6000 examens de situation.

Dans le Rhône, la réduction du nombre d'allocataires du RMI a ainsi été de quatre à cinq fois supérieur à la moyenne nationale. Il convient par ailleurs de noter que, dans ce département, la gestion locale du RMI implique beaucoup moins les CCAS que les associations, dont une centaine sont mobilisées, contre seulement 20 CCAS : ainsi le CCAS de Lyon n'est-il pas concerné par le dispositif. Quatre PLIE sont par ailleurs mobilisés.

La collaboration avec l'ANPE est exemplaire : cinq conseillers sont financés par le département et l'ANPE n'est payée que si elle atteint ses objectifs de placement. Les référents ANPE doivent ainsi avoir au moins dix entretiens par an avec chaque bénéficiaire du RMI. L'agence a placé 4800 allocataires en 2007, l'objectif de 60 % de placement fixés dans la convention étant ainsi atteint.

Concernant le RSA, M. Albéric de Lavernée a souligné la complexité de son mode de calcul. Le Conseil général étant déjà très engagé dans le dispositif de l'intéressement (avec 900 000 euros sur 10,4 millions de dépense RMI), ce dispositif supplémentaire n'est sans doute pas nécessaire. La nouvelle prestation concernerait en outre 80 000 personnes dans le Rhône, ce qui pose avec acuité la question de son financement.

M. Michel Mercier, Président , a rappelé que le conseil général souhaitait une meilleure communication des informations sur les allocataires dont dispose la CAF. Il a regretté que, pour le moment, la caisse ne peut effectuer que des contrôles trimestriels, voire annuels.

Le Préfet a par ailleurs regretté le processus de démembrement de l'Etat, notamment à travers la création de l'agence de cohésion sociale, les organismes créés n'obéissant en général qu'à une logique de moyens et non de projets. Les préfets doivent pouvoir continuer à agir directement pour l'insertion, en partant des individus et de leur motivation, comme le font les conseillers ANPE. Il faut aussi, selon lui, supprimer les inutiles maisons de l'emploi. Le Préfet s'est en outre félicité de la qualité du dispositif des « brigades vertes et blanches », employant des jeunes en difficulté dans les secteurs de l'environnement ou du bâtiment.

Il a ensuite souligné que l'Etat avait lancé une opération pour apprendre le français aux immigrés en situation régulière. A cet égard, le Préfet a regretté d'avoir été obligé de recourir à une entreprise privée, choisie à l'issue d'un appel d'offre, pour effectuer cette prestation, les services de la préfecture étant capable de la fournir pour un coût bien inférieur.

M. Bernard Seillier, rapporteur , a souligné l'importance de la création d'entreprises par les chômeurs et s'est interrogé sur les manières de la développer.

M. Michel Mercier, Président du Conseil général , a souligné qu'il préférait l'ANPE aux prestataires privés pour mener sa politique de retour à l'emploi des allocataires du RMI : les entreprises n'obtiennent en effet souvent de bons résultats que parce qu'elles ne prennent en charge que les personnes les plus proches de l'emploi. L'ANPE, au contraire, est obligée de traiter tous les chômeurs à égalité.

IV- Table ronde à la Chambre de commerce et d'industrie du Rhône sur la participation des entreprises à l'insertion des personnes éloignées de l'emploi

M. Bernard Seillier, rapporteur , a évoqué la question de la responsabilité sociétale des entreprises, en s'interrogeant sur leur capacité à remplir un certain rôle social tout en restant compétitives.

Selon M. Alain Berlioz-Curlet , représentant de l'union professionnelle artisanale (UPA), les entreprises ont avant tout besoin d'une offre de formations adéquate pour les personnes non qualifiées qu'elles souhaitent embaucher. Les « plateformes de vocation » de l'ANPE sont efficaces mais toutes les personnes en difficulté ne passent pas par l'agence. De nombreux jeunes arrivent ainsi directement aux structures de l'IAE avec des CV non évalués.

Les représentants de la mission locale ont souligné l'efficacité des opérations de tutorat mises en place au sein des entreprises avec l'aide de la mission locale. Le parrain n'a pas d'obligation de résultat concernant l'insertion du jeune mais doit seulement lui ouvrir son réseau relationnel. Il permet ainsi à celui-ci d'améliorer son image du monde de l'entreprise et d'en acquérir une première connaissance indispensable. La CCI, les missions locales et les entreprises accomplissent ainsi un travail « sur mesure » avec 25 à 30 jeunes par an.

M. Jean-Luc Béal , directeur des relations institutionnelles et partenariales de la CCI du Rhône, a souligné que la CCI n'avait pas souhaité créer une structure dédiée à ces pratiques d'intégration des jeunes : les chefs d'entreprises doivent rester en relation directe avec les missions locales pour préserver le dynamisme de l'opération. Il serait à cet égard souhaitable de favoriser l'investissement des cadres dans le tutorat (par exemple grâce à des mesures de maintien des seniors en entreprise).

M. Hervé Piquet-Gautier , directeur de Corallis, a évoqué le travail mené par les entreprises avec les jeunes de qualification niveau VI, ou parfois illettrés, et la mise en place dans le Rhône d'un groupement d'employeurs pour l'insertion et la qualification. Le groupement, comprenant 300 entreprises adhérentes, recrute des jeunes du territoire et s'efforce de les former et de leur garantir une certaine sécurité de l'emploi en leur permettant de passer d'une entreprise à l'autre en fonction des besoins. Il faut cependant trouver des financements pour le transport et l'alphabétisation, qui a lieu au sein même de l'entreprise.

M. Guy Debrez , directeur du groupe régional d'emploi des probationnaires, après avoir témoigné de la possibilité de réinsérer, par un suivi prolongé, les ex-détenus, a estimé que l'Etat ne devrait pas réclamer systématiquement le casier judiciaire des personnes qu'il recrute. Il a également plaidé, comme d'autres intervenants, pour une stabilité des règles législatives et réglementaires dans le domaine de l'emploi et de l'insertion.

M. Bernard Pichon , responsable « solidarité » chez EDF, administrateur de la FACE, a souligné l'efficacité des contrats aidés, tout en regrettant leur durée insuffisante, notamment en ce qui concerne les seniors.

Enfin, M. Michel Offner , président d'EGEE Rhônes-Alpes, a souligné la nécessité de sécuriser les organismes d'insertion par l'économique en remobilisant les conseils départementaux de l'IAE (CDIAE). Il a également plaidé pour une utilisation des structures déjà en place et pour des relations directes entre les acteurs de l'insertion. Il a enfin insisté sur le problème des « jeunes seniors » de 45-50 ans.

Déplacement en Côte-d'Or - (7 mai 2008)

COMPTE RENDU DU DÉPLACEMENT EN CÔTE-D'OR

(7 MAI 2008)

Composition de la délégation :

MM. Christian Demuynck, président, Jean François Humbert, et Alain Gournac.

Programme

- accueil au conseil général :

- visite du chantier d'insertion Lézardéco

- entretien avec le président du conseil général, François Sauvadet, et ses collaborateurs (expérimentation du RSA et du contrat unique d'insertion, présentation du plan départemental d'insertion).

- accueil à la préfecture :

- présentation des problèmes du logement social dans le département ;

- déjeuner de travail, à l'invitation de Mme Martine Juston, secrétaire générale de la préfecture, sur le thème de l'éducation ;

- visite du collège Marcelle Pardé, comportant un internat de réussite éducative et une classe relais pour les jeunes en difficulté ;

- visite de la société dijonnaise de l'assistance par le travail (SDAT) ;

- conférence de presse.

I. Accueil au Conseil général

A. Visite du chantier d'insertion lézardéco

La délégation a tout d'abord visité le chantier d'insertion Lézardéco , en charge de la réalisation d'une fresque dans le centre d'aide sociale à l'enfance au sein du Conseil général.

Lézardéco est un des trois chantiers d'insertion gérés par l'association Ressources, créée en 1995, pour accompagner l'insertion professionnelle de personnes éloignées de l'emploi.

Lézardéco , qui emploie, grâce à l'aide du Conseil général, huit personnes en contrats aidés (contrats d'avenir ou d'accompagnement vers l'emploi), a pour vocation la réalisation de fresques artistiques ou de trompe-l'oeil pour « embellir » des transformateurs électriques d'EDF ou des murs d'établissements publics. Les salariés, encadrés par deux professionnels de l'art et par une accompagnatrice sociale, doivent, à travers cette activité artistique, se remobiliser autour d'un projet professionnel et personnel, tout en acquérant une compétence artisanale qui pourra leur permettre d'exercer une activité dans le secteur du bâtiment et de la décoration.

Parmi les personnes en insertion, la délégation sénatoriale a notamment rencontré une femme d'origine turque ne maîtrisant pas la langue française et une jeune fille toxicomane, en voie de reconstruction dans ce chantier d'insertion.

La directrice de l'association, Mme Armelle Carasco, a souligné les difficultés rencontrées dans la gestion des contrats aidés, notamment du fait de leur manque de souplesse et de leur durée limitée. Grâce au prolongement de ses activités d'insertion dans des petites structures artisanales assurant des prestations de services, l'association s'efforce d'offrir un emploi durable aux personnes qu'elle a formées et qui arrivent en fin de contrat.

B. Entretien avec M. François Sauvadet, président du Conseil général

Ont également participé à cet entretien : Mme Dominique BLIN, directrice des services en charge de la solidarité et de l'insertion, M. Vincent MOLINAT, vice président de la fédération des chantiers d'insertion de Côte-d'Or, et une conseillère sociale.

Après la visite du chantier d'insertion, la délégation a été accueillie dans le bureau du Président du Conseil général, qui a présenté les principales actions conduites par le département dans le domaine de l'insertion et de la lutte contre la pauvreté.

Après avoir transmis à la délégation deux notes, l'une relative au contrat unique d'insertion pour lequel le département est pilote, l'autre relative au revenu de solidarité active (RSA), en cours d'expérimentation dans le pays beaunois, Mme Dominique Blin a rappelé que 7 200 personnes perçoivent le RMI en Côte-d'Or, parmi lesquelles 83 % ont signé un contrat d'insertion.

Les actions conduites par le Conseil général donnent la priorité à l'insertion professionnelle , l'accompagnement psychologique et social intervenant de façon complémentaire si nécessaire. Cette méthode semble avoir démontré son efficacité, les personnes en activité étant valorisées, ce qui les conduit alors à reléguer au second plan leurs problèmes psychologiques, accélérant ainsi leur réinsertion. Cela suppose dans certains cas la mise en place d'un binôme qui allie un référent professionnel et un travailleur social et, dans les cas les plus lourds, une prise en charge médico-sociale.

8,5 ETP, en contrat avec l'ANPE, travaillent en file active et accompagnent chacun 60 personnes en moyenne sur 12 mois. L'efficacité du dispositif doit beaucoup au partenariat existant entre le Conseil général, les organisations représentatives des entreprises, l'ANPE et les organismes de la formation professionnelle.

M. Vincent Molinat a rappelé les conditions d'une insertion durable : logement, moyens de transport, bonne santé physique et psychique et capacité à changer de secteur d'activité au cours de la vie professionnelle. L'expérimentation du RSA le montre, les parcours de réinsertion gagnent à être sécurisés pour donner un droit à l'échec.

Pour Mme Dominique Blin , le « mentorat » (terme à préférer au tutorat, utilisé dans le cadre des contrats de qualification) peut aider la personne en insertion à s'intégrer dans l'entreprise mais aussi à surmonter les obstacles ou les échecs. La formation des « tuteurs d'intégration » devrait être améliorée grâce au partenariat mis en place avec l'Association de gestion des fonds d'assurance et de formation des salariés des petites et moyennes entreprises (AGEFOS -PME), l'association nationale pour la formation professionnelle des adultes (AFPA) et les organismes paritaires collecteurs agréés (OPCA). Elle devrait être également financièrement mieux reconnue, comme pour le tutorat de qualification.

Des stages en entreprises de quinze jours sont proposés aux personnes en insertion, période pendant lesquels sont identifiées leurs compétences lors d'un bilan professionnel mais aussi leurs handicaps, qui peuvent se révéler plus facilement dans le cadre du travail. Cela permet de limiter les erreurs d'orientation et d'éviter ainsi les échecs qui peuvent en découler, mais aussi de mieux adapter la prise en charge des personnes concernées. L'entreprise partenaire ne doit en effet pas subir les conséquences d'une reprise d'activité trop précoce ou inadaptée.

Les personnes en insertion doivent également être préparées à gérer des emplois saisonniers ou le cumul d'emplois à temps partiel (cas fréquent dans le secteur du bâtiment, de la viticulture et des services à la personne). Cette faculté d'adaptation est nécessaire dans un monde du travail très instable et générateur d'une grande insécurité. Cette situation rend plus difficile l'insertion des allocataires du RMI majoritairement âgés de plus de 50 ans, tandis que les plus jeunes se réinsèrent généralement plus rapidement. Il en résulte un vieillissement préoccupant de la population en insertion.

Pour M. Vincent Molinat , un tiers des allocataires de minimum social présente un handicap social qui rend plus difficile le retour à un emploi ordinaire durable et à plein temps. Cette situation s'explique notamment par la disparition des emplois qui ne nécessitent aucune qualification (manoeuvre, bâtiment, ...).

Mme Dominique Blin a souligné les problèmes résultant de l'interruption précoce des contrats aidés, dont la durée limitée n'offre aucune souplesse. La durée de deux ans est parfois insuffisante pour réintégrer une personne dans le monde du travail. Outre l'anticipation de l'échéance du contrat, il faudrait au minimum prévoir une période d'accompagnement transitoire qui pourrait prendre la forme d'un « contrat vers l'emploi » ou d'un « contrat d'accompagnement », intégrant le cas échéant une formation complémentaire.

Pour M. François Sauvadet, président du Conseil général , les contrats de partenariats entre le département et la région doivent être renforcés et s'inscrire dans le cadre du schéma local de formation professionnelle en intégrant les personnes en insertion. Les offres de formation doivent être également mieux adaptées aux demandes des entreprises du bassin d'emploi.

La mobilité est un atout essentiel pour accéder à un emploi, surtout en milieu rural. C'est la raison pour laquelle le Conseil général, en partenariat avec les missions locales (ML) et les plans locaux pour l'insertion et l'emploi (PLIE), finance le permis de conduire des jeunes dont les ressources sont insuffisantes avec le concours d'auto-écoles classiques ou à vocation sociale.

M. Vincent Molinat s'est dit préoccupé par le recours croissant des personnes en activité aux fonds de solidarité pour le logement (FSL). Les emplois à temps partiel fragilisent la situation financière de ces personnes qui ne parviennent plus à couvrir leurs frais courants (loyer, chauffage, eau, électricité). Pour améliorer leur situation il faudrait faciliter le cumul d'emplois, dès lors que les horaires sont compatibles. Se pose aussi le problème des jeunes sans qualification âgés de moins de 25 ans, qui n'ont pas accès au RMI.

S'agissant du revenu de solidarité active (RSA), l'Etat qui a délégué au Conseil général la conduite du projet pour les bénéficiaires de l'API, finance l'expérimentation à hauteur de 50 % ainsi que l'a prévu la loi TEPA. La CAF et la MSA assurent le calcul et le versement de la prestation et l'ANPE offre aux bénéficiaires un accompagnement personnalisé.

Sur 1 000 bénéficiaires potentiels du RSA dans le périmètre de l'expérimentation, près de 380 personnes l'ont touché depuis le mois de novembre et 10 % d'entre eux ont retrouvé un emploi pérenne. Les sommes versées au titre du RSA vont de 15 euros à 467 euros par mois.

Un tiers des bénéficiaires ont signé un contrat d'avenir, un quart sont en CDI, mais souvent à temps très partiel, la majorité sont en CDD ou à temps partiel dans le secteur marchand. Le dispositif expérimental fera l'objet d'une évaluation en lien avec le Comité national d'évaluation.

II. Accueil à la préfecture

A. Entretien avec Mme Martine Juston, Secrétaire générale de la préfecture

En présence de : MM. François BORDAS, directeur départemental délégué de l'équipement et Laurent BRESSON, Service habitat et cadre de vie.

Mme Martine Juston, sous-préfète , a présenté les problèmes spécifiques que rencontrent les habitants de la Côte-d'Or les plus démunis pour se loger dans le département.

Le département, qui compte 506 000 habitants, se caractérise par sa faible densité de population (58 habitants / km2), un taux de chômage inférieur à la moyenne nationale (6,9 % contre 8,6 %) et un revenu médian plus élevé que dans l'hexagone (16 550 euros annuels contre 15 850 euros). Le parc HLM représente 13 % des résidences principales, avec un loyer moyen légèrement inférieur à la moyenne nationale (10,1 euros / m2 contre 11,7 euros / m2). La vacance globale, de 8,8 %, affecte principalement le parc privé, qui se caractérise par une part importante de logements indignes (7,5 %).

Environ 45 % de la population se concentre dans l'agglomération dijonnaise (zone 2), tandis que 60 % réside dans l'aire du SCOT dijonnais (zone 3) et 65 % dans l'aire urbaine (zone 4) qui regroupe 214 communes. Le reste du territoire est majoritairement rural, à l'exception de l'axe Dijon - Beaune. Ainsi le marché de l'habitat en Côte-d'Or peut être schématisé sous la forme de cercles concentriques autour de Dijon, caractérisée par une forte concentration de la population (150 000 habitants), allant jusqu'à l'aire urbaine beaucoup moins dense.

On observe entre ces cercles deux types de flux :

- une migration, du centre vers la périphérie, des ménages (souvent des familles de classes moyennes avec enfants) qui cherchent à acquérir un logement à des prix moins élevés qu'en centre ville ;

- un flux, de sens inverse, de personnes plus fragiles (jeunes décohabitants, ménages en recherche d'emploi, personnes isolées ou familles monoparentales...) à la recherche d'un logement locatif à prix accessible.

Cette situation résulte en premier lieu de la tension croissante observée dans le parc social . Celui-ci comporte 30 000 logements (dont 9 750 à Dijon) inégalement répartis sur le territoire : un logement sur deux est situé en quartier prioritaire au sens de la politique de la ville dans l'agglomération dijonnaise.

Le parc privé comporte 14 300 logements potentiellement indignes (7,5 % du parc), dont près de 8 000 logements vacants.

Il en résulte une situation particulièrement difficile pour les personnes les plus défavorisées . Ainsi, 450 ménages répondant aux critères de priorité du plan départemental d'action pour le logement des personnes défavorisées (PDALPD) sont annuellement en recherche de logement, dont 80 % dans l'agglomération dijonnaise. La plupart sont hébergés en centres d'hébergement et de réinsertion sociale (CHRS), en centres d'accueil pour demandeurs d'asile (CADA) ou en résidences sociales et ont été reconnus aptes à accéder à un logement autonome. 85 % d'entre eux sont également considérés comme prioritaires au sens de la loi droit au logement opposable (DALO) du 5 mars 2007. Cela justifie de fait l'augmentation de l'offre de logements locatifs sociaux financés par un prêt locatif aidé d'intégration (PLAI) ou un prêt locatif à usage social (PLUS).

Cette demande s'exprime principalement dans les quartiers fragiles de l'agglomération, qui demeurent notoirement sous-dotés : quatre communes (dont Dijon) ne disposent pas des 20 % de logements sociaux requis par l'article 55 de la loi de solidarité et de renouvellement urbain (SRU), ce qui représentent un déficit de 4 400 logements. Les communes des deuxième et troisième couronnes (zones 3 et 4) contribuent également peu à l'offre de logements sociaux, la part qu'elle représente étant respectivement inférieure à 6 % et 1 %.

Il s'agit donc d'accroître l'offre en l'orientant vers les zones les plus tendues, ce qui suppose de :

- développer l'offre de logement accessible , grâce à la délégation de compétences des aides à la pierre à la communauté d'agglomération dijonnaise et au Conseil général, qui a déjà permis, en 2007, de financer 881 logements locatifs sociaux dont 143 de type PLAI et 163 logements privés à loyers maîtrisés conventionnés par l'Agence nationale de l'habitat (ANAH). Les objectifs de 2008, sensiblement identiques, renforcent l'offre de PLAI ;

- requalifier le parc situé en quartiers prioritaires : la convention de rénovation urbaine signée entre l'agglomération dijonnaise et l'Agence nationale pour la rénovation urbaine (Anru) a programmé 300 millions d'investissements de 2005 à 2011, ciblés notamment sur les cinq zones urbaines sensibles, pour reconstruire 804 logements locatifs sociaux, réhabiliter 2 117 logements et construire 224 logements en accession sociale et 223 logements en locatif libre par l'association foncière logement ;

- permettre l'accès au logement des publics prioritaires , grâce à la mise en place de deux dispositifs complémentaires au PDALPD : une commission pour le logement des publics prioritaires (CLPP), chargée d'identifier et labelliser les publics prioritaires et de favoriser leur accès au logement, et un accord collectif départemental avec les bailleurs qui permet de ventiler annuellement le relogement de 450 ménages identifiés par la CLPP. Cela permet au comité de pilotage du PDALPD de traiter en amont les situations relevant du DALO et de limiter ainsi les recours auprès de la Commission de médiation (CDM). Celle-ci n'a reçu à ce jour qu'une cinquantaine de dossiers, parmi lesquels 19 ont reçu une décision favorable devant déboucher sur une proposition de logement. Ainsi la recherche de solution amiable est privilégiée grâce au partenariat établi avec les bailleurs, dans le cadre de l'accord collectif départemental, avant qu'il ne soit nécessaire de mobiliser le contingent préfectoral. Parallèlement, un travail de réflexion est mené concernant la prévention des expulsions locatives, les assignations ayant augmenté de 20 % en un an, y compris dans le parc social ;

- éradiquer l'habitat indigne : il s'agit d'une des priorités du PDALPD, pilotée par le Comité logement indigne, qui conduit une mission départementale de maîtrise d'oeuvre urbaine et sociale (MOUS) pour la période 2007 - 2009. Un dispositif partenarial a été mis en place pour traiter une centaine de logements par an, après les avoir identifiés et localisés.

Des progrès pourraient être attendus de plusieurs mesures :

- une amélioration de la gouvernance dans la gestion des attributions de logements sociaux entre l'Etat, les bailleurs et les collectivités territoriales ;

- une mise en cohérence des systèmes d'accompagnement qui sont multiples et concernent pourtant souvent les même familles (soutien scolaire, logement, endettement, insertion professionnelle, accompagnement médico-social...) ;

- revalorisation des aides à la pierre en fonction des nouvelles contraintes environnementales (normes HQE) ;

- développement des partenariats pour faciliter la mise en oeuvre du DALO , notamment pour l'attribution des logements ;

- développement de l'offre locative privée à vocation sociale en permettant d'étendre aux logements financés par des PLUS ou des PLAI la faculté de céder temporairement (au moins 15 ans) à un bailleur l'usufruit d'un logement moyennant une indemnité versée sous forme de rente au propriétaire, le bailleur assumant intégralement le risque locatif ;

- généralisation des centres d'accueil et d'orientation d'urgence (CAOU), qui fédèrent l'ensemble des structures d'hébergement d'urgence et fonctionnent comme guichet d'accueil unique, en charge de l'orientation des personnes sans domicile fixe ;

- amélioration de l'articulation des procédures d'accès au logement avec les aides versées par les FSL , l'accompagnement social constituant pour un quart des publics prioritaires une condition de la réussite pour l'accès au logement ;

- l'intégration des dispositifs de lutte contre la précarité face à la globalisation des situations rencontrées, les personnes cumulant souvent précarité économique, éducative, culturelle et médicale.

B. Déjeuner de travail sur l'éducation, l'orientation des jeunes et la prévention de l'échec scolaire

Déjeuner à l'invitation de Mme Martine JUSTON , secrétaire générale de la Préfecture.

Participaient à ce déjeuner : Claude VINOT, président de la commission solidarité et insertion du Conseil général ; François CAUVEZ, inspecteur d'Académie ; Pierre Regnault de la Mothe, Sous-préfet, Directeur de cabinet ; Pierre JARLAUD, président de l'association régionale des missions locales, co-auteur d'un rapport sur « la situation des jeunes en échec scolaire et professionnel en Bourgogne » ; Françoise TENENBAUM, adjointe au maire de Dijon en charge de l'illettrisme, vice-présidente du conseil régional ; Roger MERLIAUD, principal du collège Marcelle Pardé ; Serge COUDERC, animateur responsable du dispositif ACTILEC (Action Lire écrire compter) ; Daniel BOLLOTTE, inspecteur de l'Education nationale chargé de la formation et de l'orientation, responsable de la mission générale d'insertion.

Les échanges avec la délégation ont permis de mettre en évidence les éléments suivants :

- l'éducation nationale prend conscience de la nécessaire adéquation de l'offre d'enseignements aux demandes du bassin d'emploi . Cela a pu conduire le rectorat à fermer un CAP dans un secteur d'activité en perte de vitesse au profit de l'ouverture d'une filière équivalente dans un secteur en manque de main-d'oeuvre ;

- les missions locales (ML) accueillent de plus en plus de jeunes qui sortent sans aucun diplôme du système scolaire et qui présentent, pour 20 % d'entre eux, des formes plus ou moins accentuées d' illettrisme . Les ML ont développé des partenariats avec des associations spécialisées dans ce domaine, dont la méthode est fondée sur l'apprentissage des savoirs fondamentaux (écriture, lecture) de façon simultanée aux enfants et aux parents, ce qui renforce considérablement l'efficacité des actions ainsi conduites ;

- le développement des filières professionnelles offre des perspectives partiellement exploitées pour lutter contre l'échec scolaire. L'orientation tardive vers ces filières, encore trop peu nombreuses, est particulièrement dommageable pour l'insertion des jeunes et pour les entreprises appartenant à des secteurs en manque de main d'oeuvre. L'exemple de la filière viticole est particulièrement exemplaire, le lycée viticole de Beaune offrant une palette variée de formations allant de la culture de la vigne à l'oenologie, avec de réelles garanties de débouchés dans les domaines viticoles de la région.

III. Visite du collège Marcelle Pardé

La délégation s'est ensuite rendue au Collège Marcelle Pardé pour visiter l'internat de réussite éducative (IRE) et le dispositif relais pour les jeunes en difficulté.

Le collège Marcelle Pardé, situé dans le centre ville dijonnais, se caractérise par une population relativement favorisée, ayant généralement de bons résultats scolaires, et offre des enseignements optionnels (langues rares, classes musicales à horaires aménagés, ...).

Ce collège est le seul établissement public de la Côte-d'Or à disposer d'un internat. Celui-ci est ouvert aux enfants et adolescents ne bénéficiant pas d'un environnement social, familial et culturel favorables à leur développement harmonieux et leur réussite scolaire. Les élèves visés sont les jeunes résidant dans les zones urbaines sensibles et ayant obtenu de bons résultats scolaires.

Avant d'être admis à l'internat, les élèves, accompagnés de leurs parents, rencontrent le chef d'établissement afin de s'assurer qu'ils acceptent le projet d'internat et ses règles de fonctionnement. Les demandes sont ensuite examinées par la commission interne présidée par le chef d'établissement, et qui comprend, outre les conseillers principaux d'éducation, l'infirmière et l'assistante sociale rattachées au collège.

Le collège accueille ainsi 73 élèves au total, dont 7 dans le cadre du projet de « réussite éducative », qui a permis à l'établissement de bénéficier d'une subvention de l'Etat de 24 800 euros, celle-ci couvrant presque la totalité des charges liées à l'accueil des 7 élèves concernés, mais aussi permettant de financer des sorties ou des équipements ouverts à tous les internes : frais médicaux, hébergement, habillement, sorties culturelles, équipements informatiques, jeux, revues, rémunération des accompagnateurs.

Le projet de réussite éducative vise à :

- favoriser la réussite des élèves grâce à un suivi personnalisé des élèves et une aide au travail ;

- éduquer et socialiser les jeunes qui n'ont pas reçu jusqu'alors dans leur milieu familial les repères et les notions éducatives de base ;

- ouvrir les élèves à d'autres activités culturelles, sportives ou de loisirs.

Le suivi des élèves conduit parfois à la prise en charge de leurs fournitures scolaires ou de leurs vêtements, ainsi que de leurs frais médicaux, lorsque des problèmes spécifiques ont été identifiés lors du bilan de santé systématique réalisé au moment de l'admission.

Depuis le mois de janvier, le collège dispose également d'une classe relais, qui accueille, pour une durée qui peut aller de quelques semaines à une année, huit à dix élèves, provenant d'autres établissements et se singularisant par des troubles du comportement ou des problèmes de discipline. Pour certains d'entre eux, la classe relais est l'alternative au centre éducatif fermé. Pour cette raison, lorsque les difficultés relèvent du domaine pénal, le collège travaille en partenariat avec un officier de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ).

L'objectif est de résoudre les problèmes rencontrés par le jeune et de permettre à terme sa réintégration dans un établissement classique, souvent différent de celui dont il vient. Les trois-quarts des élèves accueillis dans ces dispositifs réintègrent le système scolaire, tandis que les 25 % restants en sortent définitivement, sans qu'il soit possible de connaître leur parcours.

IV. Visite de la SDAT

La délégation s'est ensuite rendue à la Société dijonnaise de l'assistance par le travail (SDAT) où elle a été accueillie par son directeur général, M. Thierry Guillochon et M. Bernard Quarretta, ancien directeur.

Fondée en 1903, la SDAT oeuvre en faveur des personnes démunies par une prise en charge globale des problèmes d'insertion : logement, insertion, travail et santé. En 2005, l'association employait 126 personnes de manière permanente, soit 115 ETP et 148 personnes en insertion, le plus souvent à temps partiel, soit 90 ETP. Ses charges annuelles d'environ 10 millions d'euros sont financées à 80 % par des fonds publics (Etat, collectivités locales, organismes HLM, CPAM ou CNASEA) et par des donations ou des fondations d'entreprise.

Elle gère de façon décentralisée plusieurs établissements à Dijon et à Beaune, avec différentes missions : accueil d'urgence ; logement longue durée en CHRS et dans une maison d'accueil pour personnes âgées marginalisées ; loisir, culture et restauration populaire dans un centre de jour avec des activités en journée et une restauration collective le midi ; formation et insertion professionnelle en partenariat avec l'ANPE ; santé dans deux antennes d'accueil médical ; insertion dans 4 CHRS et remise au travail.

SDAT Entreprise est une structure qui rassemble trois ateliers d'insertion.

La délégation a d'abord visité un atelier de sous-traitance réunissant un permanent et 30 personnes en contrats aidés qui travaillent sur le carton, l'émail et le plastique, pour répondre aux demandes d'entreprises locales : Dijon'Carton, Plasto, Urgo, Mercure Imprimerie, ...

Puis la délégation s'est rendue dans l'atelier des aides ménagères et de la blanchisserie employant 35 bénéficiaires de contrats aidés qui assurent des activités de ménage à domicile pour une clientèle à faibles revenus et effectuent des travaux de blanchisserie et de repassage.

Enfin, la délégation a visité la vêtementerie qui réunit 25 bénéficiaires de contrats aidés assurant la collecte et le tri de vêtements d'occasion, ensuite vendus à une clientèle à faibles revenus dans deux magasins dont l'activité risque d'ailleurs d'être remise en cause du fait de la concurrence économique des pays asiatiques.

La visite s'est achevée avec une conférence de pre sse sur place.

Déplacement à Copenhague - (14 et 15 mai 2008)

COMPTE RENDU DU DEPLACEMENT A COPENHAGUE

(14 ET 15 MAI 2008)

Composition de la délégation :

M. Bernard Seillier, rapporteur ; Mme Annie Jarraud-Vergnolle, vice-présidente et M. Jean-François Humbert

PROGRAMME

Mercredi 14 mai

- Arrivée à Copenhague à 19 h 50 et accueil par M. Jean-Luc Wertheimer, deuxième Conseiller à l'Ambassade de France.

- Transfert à l'hôtel Front.

Jeudi 15 mai

- Petit-déjeuner de travail à la résidence offert par Mme Bérengère Quincy, ambassadrice de France au Danemark, en présence de Mme Marie-José Caron, conseiller à l'Assemblée des Français de l'étranger.

- Entretien avec M. Steffen Westergärd à l'agence danoise pour l'emploi.

- Visite de l'établissement de réinsertion « Kofoeds skole » sous la conduite de M. Ole Meldgaard, directeur adjoint.

- Réunion au Parlement danois avec Mme Line Barfod, députée « rouge verte », membre de la commission des affaires sociales.

- Entretien au ministère du « Bien-être » avec M. Bent Nielsen, directeur de la division des prestations sociales et M. Niels Christian Rasmussen, conseiller à la division des groupes marginalisés.

- Rencontre à l'hôtel de ville de Copenhague avec M. Jakob Hougaard, maire chargé de l'emploi et de l'intégration.

I. Réception par Mme Bérengère Quincy, ambassadrice de France

La délégation sénatoriale a d'abord été reçue à la résidence pour un petit-déjeuner de travail par Son Excellence Mme Bérengère Quincy, ambassadrice de France, en présence de Mme Marie-José Caron, Conseiller à l'Assemblée des français de l'étranger. L'ambassadrice a d'abord indiqué que le Premier ministre français allait prochainement se rendre au Danemark pour plaider la fin de certaines exceptions concernant la participation du pays aux politiques européennes : non-participation à la défense européenne, clause d'opt-in dans le domaine de la justice et des affaires intérieures, non participation à l'union économique et monétaire. Le Premier ministre Rassmussen devrait organiser un référendum à l'automne à propos de ces dérogations.

M. Rasmussen dirige le pays depuis 2001 et a été réélu à une courte majorité en novembre 2007. La majorité parlementaire associe les libéraux (47) et les conservateurs (17). Faute de majorité, les deux partis ne peuvent se passer du soutien du parti populaire danois, parti d'extrême droite qui prône notamment une politique restrictive en matière d'immigration.

L'ambassadrice a ensuite brossé le tableau de l'économie danoise . Celle-ci comporte des secteurs économiques très performants et très intégrés à l'économie internationale, comme le design, les éco-industries, ou l'agroalimentaire. Le marché de l'emploi est actuellement très tendu, avec un taux de chômage inférieur à 2 % . Corollaire de ce chômage très bas, les personnes changent très souvent d'emploi. Cette situation tendue du marché du travail favorise également les grèves, comme celle qui a lieu actuellement dans la fonction publique pour soutenir des revendications salariales.

L'ambassadrice a ensuite rappelé les grands principes de la réforme du système social intervenue en 2007, avec une réduction du montant et de la durée de l'indemnisation du chômage, et des incitations plus fortes à la reprise d'un emploi. En outre, de larges compétences ont été déléguées aux communes en matière d'emploi.

Les négociations en cours dans la fonction publique, qui concernent en particulier les salaires des infirmières et des assistantes scolaires, sont caractéristiques du système danois dans lequel les règles sont fixées quasi exclusivement par des négociations entre partenaires sociaux , et seulement de manière subsidiaire par l'État. Ainsi, les personnels hospitaliers négocient-ils avec les hôpitaux, les assistantes scolaires avec les communes. Il n'existe pas de salaire minimum légal au Danemark, le seul salaire minimum étant fixé par des négociations collectives. L'État laisse les négociations se dérouler, mais peut intervenir pour fixer des règles si ceux-ci n'aboutissent pas.

Enfin, le Premier ministre a lancé une réforme des services publics, notamment dans le domaine des soins hospitaliers , un des seuls domaines où le Danemark affiche un certains retard sur d'autres pays développés.

II. Entretien avec M. Steffen Westergard, conseiller à la division de gestion des centres d'emploi de l'agence danoise pour l'emploi

M. Steffen Westergard, Conseiller à la division de gestion des centres d'emploi de l'agence danoise pour l'emploi, a d'abord présenté à la délégation sénatoriale quelques éléments chiffrés sur la population active danoise . Le taux d'activité entre 50 et 59 ans est très élevé, s'élevant à 80 %. En revanche, seules 28 % des personnes âgées de 60 à 66 ans travaillent, ce qui est considéré comme un chiffre insuffisant. Tandis que le taux de chômage général s'élève à moins de 2 % (le nombre de personnes prises en charge au titre d'une politique d' « activation » pour leur retour à l'emploi s'élève seulement à 51 800, alors que 150 000 personnes sont en congé maladie), le chômage des immigrés s'établit à 8 %. En outre, le taux estimé d'activité des immigrés n'est que de 55 à 60 %, nombre d'entre eux vivant de l'aide sociale.

Le système d'indemnisation du chômage repose essentiellement sur des caisses privées, largement subventionnées cependant par l'État. En cette période de grande tension du marché du travail, un des principaux objectifs de la politique gouvernementale est de diminuer le nombre d'absences ou de congé maladie, ainsi que les préretraites. Des réformes sont également en cours pour augmenter l'âge de la retraite, actuellement fixé à 65 ans, et qui devrait atteindre 67 ans en 2025.

Sur le plan institutionnel , l'organisation en vigueur avant la réforme de 2007 comprenait 14 régions, 56 centres d'emploi (« jobcenters ») et 275 communes. Les régions prenaient en charge les personnes affiliées aux caisses d'assurance-chômage, tandis que les communes versaient l'aide sociale aux autres personnes sans emploi. Dans la nouvelle organisation, il n'existe plus que quatre régions nationales de l'emploi, chapeautant 91 centres d'emploi, au sein des 91 nouvelles municipalités fusionnées. L'avantage du nouveau système est de diminuer la séparation entre les personnes prises en charge au titre de l'indemnisation du chômage, et celles prise en charge au titre de l'assistance sociale, l'ensemble de ces publics étant à présent reçu par les centres d'emploi municipaux, nouvelle formule. Parmi ces centres d'emploi, certains sont gérés conjointement par les municipalités et par le ministère de l'emploi, une autre partie (14 job centers), de manière expérimentale, uniquement par les municipalités. La politique de l'emploi est ainsi plus complètement décentralisée qu'auparavant. L'État reste responsable de l'encadrement du système, fixe des exigences minimales concernant la gestion des demandeurs d'emploi et évalue les résultats des différents centres d'emploi.

Un système de motivation des « job-centers » a été mis en place, avec par exemple une comparaison des performances des communes en matière d'emploi au sein de 10 catégories regroupant des communes de taille comparable. Le ministre de l'emploi fixe par ailleurs des objectifs annuels pour les centres d'emploi. Ainsi, en 2007, il s'agissait d' « activer » les personnes bénéficiaires de l'aide sociale et passives depuis plus d'un an. Les résultats ont été positifs puisque le nombre de ces personnes aurait diminué de 38 % entre le début et la fin de 2007. Un autre objectif est une meilleure intégration des personnes les plus éloignés de l'emploi, dont un tiers environ est constitué d'immigrés.

M. Steffen Westergard a ensuite présenté le système de flex-sécurité danois, fondé sur un « triangle d'or » alliant des prestations chômage élevées, un marché du travail flexible et une politique de l'emploi active. La flexibilité est notamment obtenue grâce à des préavis très courts, aussi bien du côté employeur que du côté employé. L'indemnisation des personnes affiliées à des caisses d'assurance-chômage, est au maximum de quatre ans, puis ces personnes reçoivent une aide sociale. La réforme de 2007 a tenté de redynamiser la recherche d'emploi pour faire face aux besoins de main d'oeuvre croissants des entreprises. Les chômeurs doivent rendre compte de leurs recherches lors d'un entretien trimestriel et leurs indemnités peuvent être réduites immédiatement s'ils ne respectent pas cette obligation. Des groupes de salariés en difficulté peuvent être aidés collectivement dans les entreprises. Il existe également des contrats subventionnés par les pouvoirs publics mais qui sont, contrairement au cas français, toujours à temps plein. Enfin, les demandeurs d'emploi sont classés en fonction d'un profil qui traduit leur éloignement vis-à-vis du marché du travail, le système « match ». Ils ainsi sont classés en cinq catégories correspondant à différentes politiques d'activation qui s'efforcent d'améliorer leur position.

L'aide sociale danoise permet à une personne de plus de 25 ans et ayant des enfants à charge de toucher 1.640 € par mois, 1.240 € pour une personne seule. Par ailleurs, une personne de moins de 25 ans ne vivant pas chez ses parents reçoit 800 € par mois (c'est le cas des étudiants qui reçoivent ainsi un véritable salaire étudiant). Il existe cependant un système de sanctions qui permet, par exemple pour un couple, de ne plus financer l'aide que pour une des deux personnes du couple si la recherche d'emploi n'est pas assez active.

Enfin, pour les immigrés, un programme spécial de trois ans a été mis en place avec, par exemple, des cours de danois. L'allocation reçue par l'immigré n'est alors que la moitié de l'allocation sociale normale, ceci pour l'inciter trouver un l'emploi.

III. Visite de l'établissement de réinsertion sociale « Kofoeds skole » et entretien avec M. Ole Meldgaard, directeur adjoint et responsable des relations internationales

La délégation sénatoriale a ensuite visité un centre de réinsertion sociale, la « Kofoeds skole », fondée en 1928 pour accueillir les personnes confrontées à de graves problèmes sociaux. À cette époque, les conditions étaient très différentes de celle prévalant actuellement, avec un nombre de chômeurs extrêmement élevé. L'école reçoit actuellement des chômeurs de très longue durée et des personnes en rupture sociale, avec l'ambition d'aider ces personnes à retrouver une autonomie. 4.000 personnes sont reçues chaque année , dont 45 % sont étrangères. Une partie de l'école est consacrée aux Danois d'origine groenlandaise, qui constituent une partie importante de la population des sans-abri à Copenhague. La moyenne d'un séjour est de deux ans mais certaines personnes peuvent fréquenter régulièrement le centre pendant 30 ans. L'effectif travaillant sur place est de 170 personnes : assistantes sociales, pédagogues, enseignants, conseillers de job centers, etc.

1)  Conditions d'admission

Les personnes qui pensent répondre aux critères d'admission peuvent se présenter spontanément à l'école sans passer par une municipalité. La première question qui leur est posée porte sur leurs motivations et leurs projets. Puis, un planning de leurs activités journalières est établi.

2) Activités

L'école comporte de nombreux équipements qui permettent à ses pensionnaires d'exercer des travaux et des activités variés : garage, salle de sport, salle de spectacle, instruments de musique, salle de peinture, etc. L'école a établi un système de monnaie interne, les Kofoeld dollars, qui, acquis à l'occasion de l'exercice de l'une ou l'autre activité, permettent d'acquérir divers biens de consommation courante à l'intérieur même de l'établissement. L'école assure le ramassage des vieux meubles et vêtements et leur remise en état. Les élèves de l'école effectuent des travaux en partie destinés à des clients extérieurs, aux tarifs du marché.

3) Financement

La Kofoelds skole est financée à 75 % par l'État et a signé un contrat avec la ville de Copenhague qui peut lui adresser des élèves. Elle peut également lui déléguer certaines missions d'insertion dans le cadre d'appels d'offres. L'école collabore ainsi avec la municipalité dans le cadre d'un programme de lutte contre les addictions. L'école est également financée par le fonds social européen (FSE). Les pensionnaires reçoivent par ailleurs les aides sociales sous forme d'indemnités journalières.

L'école accueille une assez forte proportion de personnes de religion musulmane. Le règlement intérieur condamne formellement toutes les formes de racisme, et l'école organise régulièrement des semaines de manifestations multiculturelles où chaque groupe est responsable des repas, de la présentation de sa culture par des manifestations, des danses...

L'école est le centre de réinsertion le plus complet au Danemark. Les Kofoeld skole sont aussi présentes dans plusieurs pays étrangers : Lituanie, Estonie, Pologne, Ukraine, Roumanie, Arménie. Cette couverture leur permet des transferts de méthodes très enrichissants.

IV. Entretien avec Mme Line Barfod, députée de la liste unitaire rouge-verte, membre de la commission sociale du parlement danois

La délégation sénatoriale a ensuite rencontrée au Parlement Mme Line Barfod, députée du parti unitaire rouge vert. Cette avocate de formation est notamment membre de la commission des affaires sociales, de la commission des collectivités territoriales, et de la commission des affaires juridiques. Selon Mme Barfod, s'il est vrai que la situation des Danois est globalement favorable en raison d'un État-providence très développé, on constate depuis plusieurs années un phénomène d'augmentation de la pauvreté dans certains quartiers et une dégradation de la situation de certaines écoles publiques. Ainsi, pour la première fois depuis longtemps au Danemark, certaines personnes sont en situation de pauvreté absolue. De même, le nombre d'expulsions et de sans-abri augmente sans cesse. Cette situation serait largement due, selon Mme Barfod, à la politique de diminution de l'aide sociale menée par le gouvernement actuel. Par ailleurs, peu d'associations interviennent pour suppléer les déficiences du gouvernement, le Danemark ayant toujours compté sur la prise en charge publique de ces problèmes.

Mme Barfod a notamment évoqué 700 familles irakiennes qui se trouvent en difficulté car elles ne remplissent pas les nouveaux critères, (c'est-à-dire 300 heures de travail au cours de la dernière année) permettant de recevoir les aides sociales pour chacun des deux membres d'une famille. D'ailleurs, les récentes mesures de coupes dans les budgets sociaux inspirées notamment par le parti populaire, visaient clairement les familles d'immigrés.

Mme Barfod a rappelé que, dans les années 70, une première vague d'immigration avait eu lieu en raison du besoin de main-d'oeuvre de l'industrie. L'intégration de cette vague d'immigration avait alors été réussie. En revanche, il est aujourd'hui difficile pour une société très homogène d'accueillir de nouveaux immigrants, les jeunes immigrés ayant beaucoup de peine à trouver un emploi ou une formation. Des émeutes ont eu lieu récemment, déclenchées par des jeunes immigrés qui ressentaient un refus de les intégrer. On a pu cependant constater que, dans la deuxième ville danoise, ces jeunes ont été rappelés à l'ordre par leurs aînés.

Mme Barfod a souligné ensuite que l'ensemble de la population avait accès aux soins médicaux au Danemark, sauf en ce qui concerne les soins dentaires, les lunettes et les médicaments. Selon elle, l'école de réinsertion Kofoeds skole est une structure efficace et qui permet aux personnes qui y sont prises en charge de se reconstruire et de reprendre confiance. Il existe au Danemark d'autres centres de ce type, dont certains autorisent la prise de drogues contrôlée.

Enfin, les entreprises commencent à s'intéresser aux personnes en marge de la société en raison de la pénurie de main-d'oeuvre actuelle. Les secteurs où les problèmes de pénurie sont importants sont les services publics, en particulier le secteur social, et certaines branches de l'industrie. Il serait sans doute souhaitable de créer des emplois à temps partiel dans certains de ces secteurs.

V. Entretien au Ministère du Bien-être avec M. Bent Nielsen, directeur de la division des prestations sociales, et M. Niels Christian Rasmussen, conseiller à la division des groupes marginalisés.

La mission s'est ensuite rendue au ministère du Bien-être, rassemblant depuis les élections de novembre 2007 les directions des affaires sociales, de l'intérieur, ainsi que de la famille. M. Bent Nielsen a d'abord présenté le système d'aides aux chômeurs et d'aides sociales.

Les aides temporaires comprennent les aides de l'assurance-chômage, les aides de l'assurance-maladie, et une aide spécifique versée si le conjoint ne contribue pas au revenu du foyer. Les aides permanentes comprennent la pension d'invalidité et l'aide « flex-job » pour les personnes ayant une capacité de travail réduite, qui constitue en fait une sorte de préretraite. La politique actuelle du gouvernement consiste à tenter de diminuer les aides permanentes en rendant les personnes de nouveaux employables et en les incitant à rechercher activement du travail.

Certaines aides sociales sont ainsi désormais versées pendant six mois, puis diminuées ensuite pour inciter au retour au travail . Bien que ces mesures fassent débat, l'opposition leur reprochant d'avoir provoqué une augmentation du nombre de pauvres, elles semblent avoir été globalement efficaces, sans qu'il faille cependant négliger, il est vrai, l'influence d'une conjoncture favorable sur ce résultat.

Il existe actuellement au Danemark un débat similaire à celui qui a lieu en France sur les critères de la pauvreté : doit-on prendre en compte la pauvreté absolue ou relative, doit on établir un budget type, étudier les privations ? Globalement, les inégalités au Danemark sont assez faibles; cependant, notamment en raison d'une hausse de l'immobilier, les écarts se sont accrus. Les retraites sociales versées par l'État sont de 1.400 € par mois, 2.000 pour un couple. La préretraite est de 2.000 € pour une personne, et de 3.400 € pour un couple et l'aide sociale pour une personne âgée de plus de 25 ans ayant des enfants à charge et de 1.600 € par mois.

M Christian Rasmussen a ensuite présenté les missions du bureau des catégories marginalisées . En comparaison avec d'autres pays, les « pauvres » au Danemark vivent relativement normalement. Le bureau des groupes marginalisés prend en charge environ 2 % de la population danoise, caractérisée par des bas salaires, la prévalence des addictions et des problèmes de santé. Il existe également 5200 personnes sans abri. Un fonds a été récemment créé pour aider les communes à loger ces personnes.

Il existe des centres d'écoute où les personnes peuvent se rendre pour exposer leurs problèmes. Le gouvernement a par ailleurs créé un conseil de 12 personnes pour introduire l'expression politique des personnes pauvres. Ce conseil comprend des experts, des anciens toxicomanes, des alcooliques, et des sans-abri. Il se réunit une fois par an et mène actuellement une étude sur la santé des personnes les plus marginalisées. Par ailleurs, des études sur la pauvreté sont faites par les universités et par des organismes de recherche ou par l'institut national des recherches sociales qui travaille sous la direction du ministère.

M. Bernard Seillier, rapporteur, ayant évoqué le débat français sur les indicateurs de pauvreté, en citant la possibilité de retenir un indicateur glissant dans le temps afin d'éliminer l'inflation, M. Rasmussen a indiqué que le gouvernement danois avait choisi de ne pas retenir un critère de pauvreté, mais plutôt d'en parler en termes de retour au logement ou de retour à l'emploi. La répartition des compétences en matière sociale entre le ministère et les communes constitue également un sujet de débat au Danemark. La législation laisse en effet de larges marges d'initiative aux municipalités, qu'il est ainsi parfois difficile de faire travailler dans le sens souhaité par l'État.

Le rapporteur a conclu en rappelant l'objectif de la mission et le contexte français, et en insistant notamment sur la spécificité des problèmes d'éducation, de formation, éditrice en France.

VI. Entretien à l'hôtel de ville de Copenhague avec M. Jacob Hougaard, maire chargé de l'emploi et de l'intégration, et son équipe technique

La délégation sénatoriale a enfin rencontré le maire de Copenhague chargé de l'emploi et de l'intégration. Il a indiqué que la municipalité s'efforçait d'atteindre les citoyens pauvres sur leur lieu d'habitation et quelle que soit leur origine ethnique. Dans la plupart des cas, on constate que les personnes souhaitent travailler mais que le réseau leur permettant d'être insérées dans l'emploi leur fait défaut. La municipalité a donc notamment créé une patrouille d'emplois , composée d'employés de centres d'emploi qui vont à la rencontre des chômeurs, en particulier des immigrés qui maîtrisent mal le danois.

Outre les nouveaux job centers, guichets uniques de la nouvelle politique de l'emploi, les municipalités font également parfois appel à des organismes privés. Ceux-ci, de même que les job centers, peuvent offrir des stages aux demandeurs d'emploi. Cependant, les municipalités privilégient à présent les stages en entreprise subventionnés, et ciblent particulièrement les jeunes immigrés . Copenhague s'est ainsi fixé l'objectif d'accroitre de 10 % le nombre de travailleurs immigrés employés dans les prochaines années.

Le maire a souligné qu'alors qu'il existait auparavant deux types de chômeurs : les chômeurs municipaux à faibles ressources, difficilement employables, et les chômeurs de niveau universitaire indemnisés par l'agence pour l'emploi, plus proches du retour à l'emploi : le nouveau traitement de tous les chômeurs par les job centers a conduit davantage d'entreprises à s'intéresser à des chômeurs peu qualifiés. D'ici trois ans, le système sera sans doute encore restructuré, avec une fusion du volet ministériel et du volet municipal de l'aide, au profit des municipalités.

Déplacement en Pologne - (21 et 22 mai 2008)

COMPTE-RENDU DU DÉPLACEMENT EN POLOGNE

(21 ET 22 MAI 2008)

Composition de la délégation :

MM. Bernard Seillier, rapporteur, Jean-François Humbert, Jean Desessard, Alain Gournac, Mme Jacqueline Panis

Programme

Jeudi 22 mai

- vol Paris-Katowice (via Francfort) ; transfert en bus de Katowice vers Cracovie, capitale de la Voïvodie de Petite Pologne

Vendredi 23 mai

- 2 h 00 Installation à l'hôtel Francuski

- 6 h 30 Petit déjeuner de travail avec M. Pascal Vagogne, Consul général de France à Cracovie, accompagné de Mme Anna Pawlowska, adjointe du conseiller pour les affaires sociales de l'ambassade de France ;

- 7 h 00 Départ en bus pour Jankowice, située à 200 km, dans la Voïvodie de Sainte Croix ;

- 9 h 45 Rencontre avec Soeur Magorzata Chmielewska et ses collaborateurs et visite des différents sites de l'association caritative « Chleb ycia » (Pain de vie) ;

- 12 h 00 Déjeuner de travail sur place avec les responsables et des membres de l'association ;

- 18 h 25 Départ de Cracovie Balice pour Roissy, via Munich.

I. Le système polonais de lutte contre la pauvreté et l'exclusion

A. Le dispositif polonais d'aide : critères, minima, prestations en nature

Dans le système polonais d'aide sociale, le terme de minimum social n'est pas employé. Le dispositif n'a pas pour objectif d'élever tous les revenus inférieurs au niveau d'un minimum social défini. En revanche, le système utilise le concept de « critère de revenu », c'est-à-dire le seuil d'intervention sociale, donnant accès aux allocations et aux prestations en nature de l'aide sociale.

1. L'aide sociale

Actuellement, conformément à l'article 8 alinéa 1 point 1 et 2 de la loi du 12 mars 2004 relative à l'aide sociale (J.O. de 2004 No 64, pos. 593 avec amendements ultérieurs), le critère de revenu a été fixé à la somme de 477 zloty (134 euros) pour les personnes seules et de 351 zloty (99 euros) par personne dans un foyer (montant net après impôt).

Les personnes dont les revenus sont supérieurs aux seuils cités ci-dessus peuvent se voir refuser l'octroi de l'aide sociale. Elles peuvent cependant bénéficier d'une aide financière remboursable, si l'aide permet de répondre aux objectifs de l'aide sociale. Enfin, dans des situations particulièrement difficiles, le remboursement ne sera pas demandé.

Conformément l'article 9 alinéa 1 de la loi précitée, les critères de revenus sont revalorisés tous les 3 ans et tiennent compte de l'analyse du seuil de l'intervention sociale effectuée par l'Institut du Travail et des affaires sociales, conformément à un arrêté du ministre de la politique sociale du 7 octobre 2005 (J.O. 05.11.1762). Suivant cette disposition, le seuil de l'intervention sociale est défini sur la base d'un panier de biens et de services, élaboré en fonction de normes minimales de consommation et d'usage de biens et services, exprimé en prix de marché durant la période analysée, puis corrigé en fonction de comportements réels de consommation de foyers types à faible revenus. Le champ de besoins indispensables à l'existence dont on tient compte pour définir le seuil de l'intervention sociale comprend: les dépenses de nourriture, le loyer, les vêtements et chaussures, l'éducation, la protection de la santé et l'hygiène, le transport, les dépenses de culture, de sport et de loisir. Les dépenses minimales dans ces catégories devraient couvrir les besoins indispensables à l'existence d'individus ou de familles. Les résultats d'analyses du seuil de l'intervention sociale sont transmis au ministre compétent en matière de protection sociale au 15 février de l'année de la revalorisation.

Tous les ans, au 15 avril date limite, le ministre présente à la « Commission tripartite des affaires sociales et économiques » (Commission tripartite de dialogue social de partenaires sociaux) l'information sur le minimum d'existence défini par l'Institut du Travail et de la Politique sociale. Si durant l'année le montant du critère de revenu d'une personne seule et celui du critère de revenu par personne au foyer est égal ou inférieur au minimum d'existence, la Commission peut demander au Conseil des Ministres de revaloriser les montants de critères de revenus.

La dernière modification revalorisation a eu lieu le 1er octobre 2006 et a été publiée par arrêté du Conseil des ministres du 24 juillet 2006 (J.O. de 2006 N° 135, pos., 950). Ainsi, les montants actuels précités sont en vigueur depuis le 1er octobre 2006 (477 zloty et 351 zloty) contre 461 et 316 auparavant.

2. Les allocations familiales

Les prestations familiales (loi du 28 novembre 2003 sur les prestations familiales, J.O. No 139, pos. 992, avec amendements ultérieurs) et l'acompte de la pension alimentaire (loi du 22 avril 2005, sur les procédures à l'encontre de débiteurs alimentaires et sur l'acompte alimentaire, J.O. N° 86, pos. 732 avec amendements ultérieurs), ne sont attribués qu'aux familles qui répondent aux critères de revenus strictement définis. Ils sont définis à partir de résultats de l'analyse du seuil de soutien aux revenus de familles, réalisée par l'Institut de travail et des affaires sociales.

Les modalités de détermination du seuil sont définies par l'arrêté du ministre du travail et de la politique sociale du 25 avril 2005 (J.O. N°80, pos 70). L'analyse tient compte de biens et de services dans les catégories suivantes : dépenses (nourriture, loyer, vêtements, chaussures, éducation, protection de la santé et hygiène, transport, culture, sport et récréation), normes de consommation de biens et de services définies par les experts et confirmées par l'analyse du niveau des dépenses des ménages, ainsi que le niveau des prix.

Actuellement, une famille peut bénéficier des prestations familiales, si son revenu moyen mensuel net par personne ne dépasse pas 504 zloty (142 euros), et pour une famille avec un enfant handicapé, 583 zloty (164 euros) par personne. Le critère de revenu donnant droit à l'acompte de la pension alimentaire est également de 583 zloty par personne, indépendamment du fait si l'enfant est handicapé ou non (montant net après impôt).

Les deux premiers critères sont revalorisés tous les 3 ans et tiennent compte des analyses de l'Institut du Travail et des affaires sociales, la prochaine revalorisation interviendra en 2009. En revanche, le critère donnant droit à l'acompte de la pension alimentaire, a été porté à compter du 1er octobre 2008 à 725 zloty (204 euros) par personne, en vertu de la loi du 7 septembre 2007 relative à l'aide aux personnes bénéficiaires de pensions alimentaires (J.O. N° 192 pos. 1378)

3. Les minima garantis par l'Etat :

- salaire minimum : défini au cours de la programmation budgétaire pour l'année suivante. Son augmentation est négociée au sein de la Commission tripartite du dialogue social.

- retraite et pension minimales financées par le Fonds des assurances sociales garanti par l'Etat : soumises à revalorisation annuelle basée sur l'indice de croissance des prix de biens et services, augmenté d'au moins 20 % du taux réel de hausse de rémunérations.

- allocations chômage : un montant unique, variant en fonction de l'ancienneté (trois catégories) et du taux de chômage dans la région de résidence (trois catégories qui déterminent la durée de versement de l'allocation). Les allocations sont revalorisées au 1er juin de chaque année en fonction de l'indice de croissance de prix de biens et services de l'année précédente. Elles ne sont pas revalorisées lorsque l'indice est resté au même niveau ou lorsqu'il était négatif.

4. Soutien aux familles en difficulté

Dans le cadre de l'aide sociale, l'accent est mis dans un premier temps sur la satisfaction de besoins vitaux de bénéficiaires (nourriture, hébergement, vêtements), surtout lorsqu'il s'agit de personnes âgées et d'enfants. Ensuite, les travailleurs sociaux entreprennent de travailler avec les personnes et les familles, afin de les aider à surmonter la précarité de leur situation. Ce travail consiste principalement à insérer et motiver ces personnes à changer leurs habitudes (par exemple, apprendre à maîtriser et optimiser les dépenses, à devenir actif dans la vie sociale et publique), ainsi qu'à retrouver sa place sur le marché de l'emploi, notamment en s'appuyant sur les offices locaux de l'administration de travail ou les employeurs.

Trois outils sont mis en oeuvre :

- Le contrat social

Conformément à l'article 108 alinéa 1 de la loi du 12 mars 2004 précitée sur l'aide sociale, dans la perspective de définir les modalités de l'aide apportée à la personne ou à la famille en difficulté, le travailleur social peut conclure un contrat social avec la personne ou la famille. Il s'agit d'un document écrit, signé avec le demandeur d'aide, définissant les droits et les obligations des deux parties, dans le cadre d'actions communes visant à surmonter les difficultés de la situation actuelle du (des) bénéficiaire(s).

Les conditions du contrat doivent être négociées afin de fixer des objectifs réalistes, dans le cadre d'un partenariat entre le client et le travailleur social. Des financements peuvent être accordés pour la réalisation des objectifs et notamment pour la formation professionnelle, le remboursement de frais de voyage pour les entretiens d'embauche, ou encore un financement complémentaire des dépenses quotidiennes, par exemple de nourriture.

- Le soutien psychologique et spécialisé

Les personnes et les familles en difficulté peuvent bénéficier gratuitement d'un soutien psychologique pour la solution de problèmes familiaux, d'autorité parentale, ou de troubles émotionnels sur le plan professionnel et social. De même, une aide des pédagogues ou de juristes est prévue.

- L'aide alimentaire

Dans le cadre du programme pluriannuel « Aide alimentaire de l'Etat », introduit par une loi du 29 décembre 2005, entré en vigueur le 31 décembre 2005 et prévu jusqu'en 2009, il existe la possibilité d'accorder une aide en nourriture aux personnes nécessiteuses.

Le programme est adressé avant tout aux enfants et adolescents mais peuvent aussi en bénéficier les familles en difficulté, en particulier les personnes seules, âgées, malades ou handicapées - lorsque, conformément à la loi, leur revenu ne dépasse pas 150 % du montant de revenus précités d'octroi de l'aide sociale. Cela signifie en pratique qu'une personne seule peut bénéficier de l'aide alimentaire lorsque son revenu est inférieur à 715,50 zoty (201 euros) et à 526,50 zoty (148 euros) au foyer. Le programme prévoit soit les prestations en nature (fourniture de repas, de produits alimentaires), soit une allocation pour l'achat de repas ou de nourriture. Enfin, les personnes bénéficiaires peuvent aussi profiter de l'aide alimentaire en provenance de l'UE, distribuée par les Centres d'aide sociale ou par le réseau de Banques alimentaires, du Comité polonais de l'Aide sociale, de la Croix Rouge polonaise et de Caritas Polska.

B. Les observatoires et la méthode ouverte de coordination (moc)

La Pologne va bénéficier dans les années 2008-2013 de programmes du FSE pour la réalisation de projets systémiques dont l'objectif serait de mettre en place des solutions modèles, notamment dans le cadre de la création de réseaux d'observatoires d'exclusion sociale dont l'objectif serait d'informer « à l'avance » de tous les changements dans les régions relevant du champ de la politique sociale. Un observatoire national ou un réseau d'observatoires seraient susceptibles d'aider en amont à entreprendre les actions à caractère stratégique face aux évolutions du marché local (par ex. marché du travail).

Tout en soutenant la méthode ouverte de coordination (MOC) comme un outil efficace de coopération européenne, dans le cadre de réflexions en cours sur sa modification, le ministère retient particulièrement la proposition de renforcer les actions visant à éliminer les barrières dans l'accès au marché du travail, en mettant l'accent sur l'adaptation d'instruments du marché du travail aux besoins individuels. On notera que cet aspect est déjà pris en compte dans les amendements préparés à la loi de 2004 « sur l'emploi et la promotion d'institutions de travail » (cf. infra), notamment en matière de standards uniformes de services dispensés sur le territoire national.

La Pologne soutient les initiatives de l'Union européenne concernant la lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale qui s'inscrivent dans les priorités nationales de la politique sociale. Dans le cadre de l'initiative d'instaurer l'année 2010 « Année de la Lutte contre la Pauvreté et l'Exclusion sociale ».

Durant les années 2007-2013, il est prévu de mettre en oeuvre en Pologne de nombreuses actions visant à réduire les zones d'exclusion sociale et d'aider à la réinsertion professionnelle des personnes en danger d'exclusion. Dans ce but, nombre d'initiatives seront développées pour favoriser une coopération plus étroite entre les institutions du marché du travail et les institutions d'aide sociale et d'intégration sociale. Il est important de mettre en place de nouveaux mécanismes, et d'améliorer ceux qui existent déjà, permettant ainsi de rationaliser le système d'insertion professionnelle de chômeurs et de personnes en danger d'exclusion sociale. Cela exige un élargissement du champ de la politique active du marché du travail, en assurant notamment un niveau élevé de coordination et de cohésion d'actions entreprises, ainsi que le développement du système d'échanges d'information et d'expériences entre les institutions qui assurent cet aide. Il est aussi important d'introduire les standards uniformisés de services de l'aide sociale, ainsi que de mettre en place les programmes intégrés de formation tendant à élaborer des méthodes communes d'action dans le domaine de l'emploi et de l'intégration sociale.

C. Le soutien au retour sur le marché du travail des personnes qui en avaient été exclues

L'insertion professionnelle de chômeurs et des personnes inactives est le principal défi de la politique de l'emploi de l'Etat. Une politique efficace de lutte contre l'exclusion durable du marché du travail devrait identifier de manière précoce les besoins de clients des institutions du marché du travail et d'identifier leur potentiel professionnel. Il est aussi important de faciliter l'accès aux services des intermédiaires du marché du travail et au conseil professionnel, déterminants dans la première phase après la perte de l'emploi, ainsi qu'à une aide plus personnalisée aux travailleurs les plus en difficulté sur le marché de travail.

La Pologne a introduit durant les dernières années de nombreux instruments et mécanismes qui facilitant la réadaptation de personnes et de groupes sociaux. Les principales dispositions relatives au marché du travail sont portées par la loi relative à « la promotion de l'emploi et les institutions du marché du travail » du 20 avril 2004 (J.O. n° 99 de 2004 avec amendements ultérieurs).

1. Les jeunes et les plus de 50 ans

La loi met un accent particulier sur les problèmes de l'exclusion sociale et de la marginalisation de jeunes sur le marché du travail. L'ensemble des questions relatives à l'emploi et la réinsertion de mineurs et de jeunes travailleurs a été confié à OHP (Ochotnicze Hufce Pracy - des Groupes Volontaires du Travail, institution dépendant du ministère du travail), par ailleurs responsables de la formation et de l'éducation de jeunes. Les principales missions d'OHP sont orientées sur l'emploi pour les jeunes de plus de 15 ans qui n'ont pas terminé l'école primaire ou le collège ou qui ont cessé leur scolarité après le collège, ainsi que l'emploi de jeunes chômeurs de moins de 25 ans.

Pour faciliter l'accès de certaines personnes et familles aux services éliminant les barrières d'accès au marché du travail, les Offices de travail tant de la voïvodie (région) que des « powiats » (districts de communes), sur la base de la loi précitée offrent un large éventail de services gratuits et notamment de conseil d'orientation professionnelle. Tous les intéressés peuvent compter une aide dans le choix du métier et de l'employeur, notamment grâce à l'information sur les métiers, le marché du travail ou les possibilités de formation. Des examens psychologiques ou médicaux spécialisés sont aussi proposés permettant d'émettre une opinion sur l'aptitude professionnelle ou la formation à suivre.

Les catégories d'âge principalement concernées par ces programmes sont les jeunes de moins de 25 ans, les personnes de plus de 50 ans et les anciens détenus chômeurs - groupes les plus fragilisés sur le marché du travail. La loi précitée prévoit donc des instruments complémentaires afin d'accroître l'efficacité de l'aide dispensée. Les Offices de travail de « powiats » sont notamment tenus de proposer dans les six mois suivant l'enregistrement du chômeur, un emploi, un autre travail assurant un revenu à l'intéressé, un stage ou une formation professionnelle, ou bien un travail dans le cadre des travaux d'intervention ou de travaux publics.

2. Les femmes et l'égalité de traitement

Par ailleurs, au centre des préoccupations du ministère du travail et de la politique sociale demeurent toutes les actions visant à diminuer le niveau de pauvreté de femmes, due principalement à taux inférieur d'activité professionnelle, aux arrêts de travail notamment liées à la maternité, à la discrimination sur le marché du travail, au différentiel de salaire avec les hommes, et à l'exercice de métiers à faible revenu ou à temps partiel, ce qui influe directement sur le niveau de salaire.

La Pologne s'est dotée d'un système de suivi d'égalité de sexes - le « Système national de suivi de l'égalité de traitement des femmes et des hommes ». Les rapports sont disponibles en version électronique et papier. L'un des chapitres présente le rapport d'experts « Conditions de vie et pauvreté » qui outre les conclusions, comporte aussi les informations sur la méthodologie appliquée, les données sur le revenu des ménages, la relation entre la pauvreté et les niveaux des salaires, ainsi que l'influence de transferts sociaux sur la pauvreté. Toutes les données sont chiffrées pour les hommes et les femmes, et tiennent comptent des indices proposés par la présidence portugaise. Ce projet est mené en Pologne depuis 2005, il a d'abord été financé par sur fonds PHARE, et il est poursuivi actuellement dans le cadre du FSE.

Dans le cadre des campagnes médiatiques nationales le ministère du travail et de la politique sociale encourageait les femmes à devenir actives professionnellement (programme TV « Le femme débrouillarde » réalisé dans le cadre du projet « Femme, Famille, Travail - campagne médiatique »). Pour les femmes plus âgées, discriminées à double titre - en raison de l'âge et du sexe - une campagne a été lancée intitulée : « 45 ans et plus recherchées : engagement, fiabilité, expérience » (3 spots TV et panneaux publicitaires). Une autre forme de soutien était réalisée dans le cadre de la campagne dont l'objectif était d'informer les femmes sur leurs droits sur le lieu de travail (« Mes droits au travail »).

Par ailleurs, le ministère du travail et de la politique sociale offre aux femmes souhaitant devenir entrepreneur une aide complète sous le sigle « Réalisée en entreprenariat » (ligne verte, site interactif, deux spots TV et radio, films d'information et documentaires présentés par la télévision publique) dans le cadre du projet « Qu'il est bien d'être une femme entrepreneur ! ». Pour les personnes qui souhaitent concilier vie professionnelle-vie familiale, des campagnes de soutien et d'information ont été réalisées : « Entre famille et travail - formes souples d'emploi » (trois spots TV et panneaux publicitaires) et « Partenariat dans la famille - une chance pour les femmes actives professionnellement ». Les deux derniers projets font indirectement la promotion de la loi sur le télétravail votée par le parlement en 2007.

Le ministère a préparé par ailleurs un projet de loi « sur la famille », dont l'objectif est de modifier les textes existants faisant obstacle aux femmes dans l'accès au marché du travail. Il s'agit principalement de questions relatives à la conciliation vie professionnelle-vie familiale. Le ministère mène également aussi de nombreux projets anti-discriminatoires dont l'objectif est de sensibiliser la société aux stéréotypes fondés sur le sexe et de renforcer le rôle social des femmes, avec objectif de contribuer à l'élimination de la pauvreté parmi les femmes.

II. Présentation de la fondation Chleb ycia

Afin d'appréhender de façon plus concrète le système polonais de soutien aux plus démunis, la mission commune d'information a décidé de se rendre auprès de la fondation Chleb ycia. Créée à l'automne 2002, elle doit son existence à Soeur Magorzata Chmielewska, directrice de la branche polonaise de la communauté du Pain de vie, fondée en 1976 par un couple de jeunes Français, Pascal et Marie-Annick Pingault.

Ses activités sont les suivantes :

- participer à l'éducation des enfants et des jeunes issus de familles rurales en difficulté. Des bourses sont attribuées et des cours du soir sont offerts aux élèves de collèges et de lycées ;

- organiser des formations professionnelles et créer des emplois, aussi bien pour les habitants des maisons de la fondation que pour ceux des villages alentour ;

- participer à la vie quotidienne des maisons et de leurs habitants. Les membres de cette communauté ouvrent en effet des maisons pour les personnes sans abri, où ils vivent à leurs côtés.

La fondation travaille très activement dans la voïvodie de Sainte-Croix, à 200 km de Cracovie, en Pologne, où la communauté a ouvert trois maisons -quatre autres ont été crées à Varsovie- fréquentées par des populations provenant de l'ensemble du pays.

Cette région de Voïvodie est particulièrement pauvre. 54 % de sa population est issue d'un milieu rural, le taux de chômage y est l'un des plus élevés de Pologne et le niveau d'études un des plus bas. Plus de 1.000 personnes ont été accueillies dans ces structures en 2007.

Soeur Magorzata Chmielewska est une personne très populaire en Pologne, où elle est souvent comparée à l'abbé Pierre, pour son caractère chaleureux et très direct. Reconnue par tous pour la force de son engagement et son courage, elle a reçu de nombreuses récompenses, dont le prix Totus, sorte de prix Nobel de l'Eglise polonaise.

III. Visite de la fondation par la délégation

La délégation s'est d'abord entretenue avec Soeur Malgorzata Chmielewska, qui a présenté l'organisation et l'activité de sa fondation, ainsi que les difficultés auxquelles elle devait faire face.

Elle a, en premier lieu, décrit l'état de précarité des populations en milieu rural. Si le climat et la qualité des sols sont favorables à un développement de l'agriculture, de nombreuses limites continuent de le freiner, comme l'importance des contraintes sanitaires, le manque d'investissements ou la relative faiblesse des subventions européennes. Cinq hectares sont nécessaires à une même personne pour vivre correctement de l'agriculture ; or, c'est la surface moyenne de chaque unité économique -regroupant la femme et les enfants de l'exploitant-. Le secteur primaire, s'il offre beaucoup de travail, ne permet donc pas de nourrir correctement les familles.

Puis Soeur Malgorzata Chmielewska a fait état des difficultés de financement de sa fondation. Son budget est composé à 40 % de subventions de l'Etat, le reste provenant de ressources propres constituées notamment de la commercialisation des produits issus des ateliers, ainsi que de la vente de vêtements de seconde main. Elle a souligné l'ambivalence des objectifs de la fondation, dont le but n'est évidemment pas le profit, mais qui doit cependant réunir assez de ressources pour être pérennisée. Le taux de couverture des différents ateliers est variable, à ce titre : si le produit des ventes de celui de confiture et de conserverie permet de couvrir plus de 100 % des dépenses occasionnées par leur fabrication, ce taux tombe à 60 % pour l'atelier de couture, et même à 30 % pour celui de menuiserie, en raison du coût élevé des matières premières.

Elle a insisté sur l'importance de la formation dans la démarche de la fondation. En Pologne, a-t-elle expliqué, les écoles -même celles débouchant sur des diplômes à visée professionnelle- ne proposent pas de formations de nature technique. Une très grande majorité des personnes accueillies par la fondation sont donc dépourvues de toute formation de ce type. A travers l'activité qu'elles vont exercer dans l'un des divers ateliers, va leur être procurée une formation qualifiante, à la fois théorique et pratique, leur permettant d'obtenir, à terme, un certificat de travail et d'être ensuite bien accueillies sur le marché du travail. En amont, la fondation subventionne les études de 500 élèves dont les familles sont trop pauvres pour les scolariser ; elle espère à terme doubler ce chiffre.

La délégation a ensuite entendu le témoignage d'une jeune femme qui, grâce à la rémunération de son travail au sein de l'atelier de couture, a pu scolariser ses enfants depuis cinq ans.

Puis la délégation a visité les différents sites, bâtiments et ateliers d'activité de la fondation.

Sur le site principal, elle s'est d'abord rendue dans l'atelier de menuiserie. Utilisant des machines-outils chinoises ainsi, comme matière première, que des planches de bois sec achetées à des prix élevés dans des scieries locales, l'atelier cherche à travailler en collaboration avec les agences pour l'emploi. Il produit divers meubles, crucifix et objets en bois de qualité, qui sont revendus à un prix relativement élevé pour le marché local.

La visite de l'atelier de couture a permis d'observer la vétusté des machines utilisées, provenant de dons. L'absence de matière première à proximité impose à la fondation de l'acheter par correspondance, via Internet. La délégation a pu relever la grande qualité des pièces de broderie produites, fabriquées selon des méthodes traditionnelles et soumises à un contrôle qualité. Toute concurrence avec les produits textiles chinois étant exclue, la fondation s'est orientée vers des marchés de niche, les broderies étant revendues pour la plupart dans des boutiques haut de gamme de la capitale polonaise.

La visite de l'atelier confiture et de conserverie a été l'occasion pour Soeur Malgorzata Chmielewska de souligner les importantes contraintes sanitaires que la fondation a rencontrées avant de pouvoir commencer son activité. Fabriquées selon des recettes artisanales, à partir de fruits et légumes cultivés sur place ou achetés à l'extérieur, les confitures et conserves sont également commercialisées dans des boutiques de luxe des grandes villes.

Enfin, la délégation a visité les bâtiments d'habitation, où sont hébergées les personnes sans domicile fixe, âgées ou malades accueillies par la fondation.

Puis elle a été conviée à un déjeuner de travail préparé par des membres de la fondation, qui a été l'occasion de poursuivre les échanges avec Soeur Malgorzata Chmielewska et ses principaux collaborateurs.

Audition de M. Bruno TARDIEU, délégué national et de Mme Véronique Davienne, déléguée nationale adjointe d'ATD Quart Monde - (29 janvier 2008)

M. Christian DEMUYNCK, Président - Je vous remercie de votre présence et vous souhaite la bienvenue. Je vous remercie également d'avoir répondu à notre invitation aussi rapidement. Dans le cadre de cette mission commune d'information sur les politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion, nous souhaitons pouvoir entendre tous les acteurs préoccupés par ces problèmes.

Sachez que vous êtes les premières personnes auditionnées par la commission. Je suggère que, dans un premier temps, vous présentiez l'association ATD Quart Monde, puis que vous nous parliez des projets que vous avez menés et des résultats que vous avez obtenus. Ensuite, je laisserai la parole à M. Bernard Seillier, rapporteur, afin qu'il puisse vous poser quelques questions. Enfin, les sénatrices et les sénateurs qui le souhaitent pourront exprimer leurs interrogations.

M. Bruno TARDIEU - L'association ATD Quart Monde qui existe depuis cinquante ans, a été fondée en France par le père Joseph Wrezinski, lui-même né dans la misère et qui a beaucoup lutté pour avoir accès à des études et devenir prêtre. En 1956, il s'est installé dans un des camps construits par l'Abbé Pierre, à Noisy-le-Grand, et, avec les habitants de ce camp, a créé l'association ATD Quart Monde. Cette association est donc à l'initiative de gens défavorisés, auxquels se sont joints par la suite des gens issus d'autres milieux. L'idée consistait à construire des liens pour refuser l'indignité que représente la misère.

Notre intervention est construite de manière à vous proposer des repères et à vous exposer quelques-unes de nos actions. Vous savez peut-être que nos actions se déroulent en France, sur une trentaine de lieux, mais aussi à travers le monde. Elles se positionnent sur les champs civique et politique. Ainsi, dès l'origine de l'association, le père Joseph Wrezinski estimait que l'objectif n'était pas seulement d'agir avec les populations, mais aussi de repenser la civilisation. En effet, la grande pauvreté touche plus largement aux questions des droits de l'Homme et de la démocratie.

Nous vous avons apporté un récent ouvrage intitulé Relever la misère , une pensée politique née de l'action, qui rassemble quelques-uns des textes fondamentaux du père Joseph Wrezinski. Cet ouvrage donnera lieu à un colloque qui se déroulera à Sciences Po au mois de décembre et qui réunira de grands chercheurs. En effet, le père Joseph Wrezinski a apporté de nouvelles notions, dont nous tenterons de dire quelques mots au cours de notre exposé.

Mme Véronique DAVIENNE - Nous avons été très enthousiasmés par le lancement de cette mission d'information, car il nous semble utile de repréciser des repères dans le cadre de la lutte contre l'exclusion et la grande  pauvreté. Notre pays s'est déjà donné des repères, que le mouvement ATD Quart Monde à contribué à construire, du fait de son engagement auprès des populations les plus abandonnées.

Je mentionnerai une série de travaux que le Sénat a suivis de près, en commençant par le rapport Wrezinski sur la précarité économique et sociale, présenté au Conseil économique et social en 1987. Ce rapport définit, entre autres, la notion de grande pauvreté. Afin de ne pas rester dans une approche subjective de la grande pauvreté, le Conseil économique et social a adopté cette définition.

En 1995, le rapport de Mme Geneviève Anthonioz sur l'évaluation des politiques publiques de lutte contre la grande pauvreté nous a permis d'obtenir un repère sur l'indivisibilité du droit. Ensuite, je citerai la loi d'orientation relative à la lutte contre la grande pauvreté, qui date de 1998 et qui a inspiré une série de lois annexes, telles que la loi sur la CMU, la loi sur la protection de l'enfance, ou, plus récemment, la loi sur la participation ou la loi sur le droit au logement opposable.

Cette loi d'orientation et les lois qui l'ont suivie nous proposent un repère très important, celui du droit commun. En 2003, le rapport Robert, présenté au Conseil économique et social, qui s'intitule L'accès de tous au droit de tous par la mobilisation de tous , ajoute au repère du droit commun le repère de la mobilisation nécessaire de tous et de la responsabilité de chacun dans la lutte contre la grande pauvreté.

Plus récemment, sur le plan international, ont été définis les principes directeurs de l'extrême pauvreté et des droits de l'Homme, soutenus par la France et adoptés par la sous-commission de la promotion et de la protection des droits de l'Homme lors de sa 56 e session en août 2006. Actuellement, ces principes directeurs, soumis au Conseil des droits de l'Homme, posent le repère de la responsabilité de l'État dans le combat contre la stigmatisation des pauvres et dans la promotion d'une image équilibrée et juste des personnes qui se trouvent en situation d'extrême pauvreté.

M. Bruno TARDIEU - Nous avons choisi de décrire plus précisément ces repères, le premier étant apporté par la définition de la grande pauvreté par le père Joseph Wrezinski. Je me permets de vous lire cette définition fondamentale, qui établit un lien entre la précarité et la grande pauvreté :

« La précarité est l'absence d'une ou de plusieurs sécurités, notamment celle de l'emploi, permettant aux personnes et aux familles d'assurer leurs obligations professionnelles, familiales et sociales et de jouir de leurs droits fondamentaux. L'insécurité qui en résulte peut être plus ou moins étendue et avoir des conséquences plus ou moins graves et définitives. Elle conduit à la grande pauvreté quand elle affecte plusieurs domaines de l'existence, qu'elle devient persistante, qu'elle compromet les chances de réassumer ses responsabilités et de reconquérir ses droits par soi-même dans un délai prévisible. »

Plus loin, le rapport affirme, pour la première fois dans le monde, que la grande pauvreté est une violation de tous les droits de l'Homme. La France a été le premier pays à avancer une telle définition, qui fait maintenant référence à l'ONU et dans de nombreux pays du monde et établit une continuité entre la précarité et la grande pauvreté. C'est le même processus qui lie le fait de perdre une sécurité et le fait d'en perdre plusieurs, et finalement de « perdre pied ».  Tout ce qui éloigne les plus pauvres du reste du monde populaire risque de contribuer à faire durer la misère. Les personnes qui vivent la pauvreté ne connaissent que séparation et mise à l'écart. C'est la raison pour laquelle il nous apparaît comme fondamental de créer le lien entre ceux qui vivent la précarité et ceux qui vivent la grande pauvreté.

Dans un autre contexte, M. Amartya Sen, prix Nobel d'économie, définit ce processus par le cumul et la durée des précarités, et par la perte de plusieurs droits fondamentaux. L'être humain perd alors tous ses liens avec le reste de la société, au point de ne plus pouvoir assumer ses responsabilités. Tous les droits humains, qu'ils soient politiques, économiques et culturels sont alors violés. De ce repère, nous pouvons déterminer un repère politique pour l'action publique, que représente le repère de cohérence. La spirale positive conduisant au rétablissement des droits fondamentaux permet, au contraire de la spirale négative, de retrouver l'exercice du droit.

Ainsi, il ne suffit pas de donner un logement à une famille sans abri que nous pouvons accueillir dans un de nos centres, puisque 80% des personnes accueillies retournent dans un foyer d'hébergement. Il s'agit de fournir, non seulement un logement, mais aussi une appartenance et de soutenir la scolarisation des enfants. Au final, si nous leur consacrons suffisamment de temps, les personnes en difficulté retrouvent leurs responsabilités, leur vie citoyenne et se sortent de la misère. Il est important de concevoir une politique multisectorielle cohérente, garantissant des sécurités dans tous les domaines fondamentaux de la vie.

Le fait de sacrifier le principe de cohérence, en privilégiant les interventions de spécialistes dans un seul domaine, sectionne la vie des gens, les chosifie et ne leur permet pas de prendre leurs responsabilités et de libérer leurs énergies. Pour activer cette énergie, il faut travailler sur tous les domaines de la vie.

Mme Véronique DAVIENNE - Je vous présente le repère du droit commun, tel que nous le comprenons. Ce droit ne doit pas être confondu avec le droit humanitaire, qui intervient en cas d'urgence mais ne peut servir de repère. Le droit commun garantit les mêmes droits pour tous, en raison de l'humanité commune des personnes.

Il est évident que toutes les personnes n'ont pas accès à ce droit avec la même facilité. Les personnes les plus éloignées du droit devront pouvoir bénéficier d'une attention particulière et de moyens renforcés. Pour être effectif, ce repère doit être mis en oeuvre en fonction des attentes et du vécu des personnes, et non en fonction des dispositifs. Il nous appartient d'adapter nos moyens, en termes de diversité et d'intensité, et non de demander aux personnes de s'adapter aux moyens. En effet, certaines personnes risquent de sortir du champ d'application du droit. Par exemple, les programmes TRACE, au moment où ils ont été introduits dans la loi d'orientation de 1998, étaient destinés en priorité aux jeunes de niveau 5 bis et 6. Or, un jeune illettré, à qui l'on avait attribué le niveau 7, s'est vu refuser l'accès au programme concerné car il ne répondait pas aux critères de sélection.

Quels sont les risques de ne pas retenir ce repère du droit commun?

D'abord, la catégorisation des personnes engendre des droits catégoriels pour des types de population et crée l'isolement et la division entre les personnes. Ainsi, les gens ne se rencontrent plus car ils ne rentrent pas dans le champ d'application du droit. Ce processus introduit à terme le désespoir, dans le sens où les étapes de la réinsertion peuvent être perçues comme des impasses. Il induit également la perte de confiance en l'État, qui doit être garant du droit commun, et constitue un danger pour la cohésion sociale et pour la démocratie.

J'évoquerai l'exemple de l'hébergement, lorsque celui-ci n'est pas coupé du droit au logement. Notre centre d'hébergement et d'action sociale situé à Noisy-le-Grand représente un centre d'hébergement qui accueille des familles déconstruites par une errance plus ou moins longue. Notre action consiste dans un premier temps à ce que l'accueil dans cet espace s'effectue dans des conditions extrêmement proches de celles du logement de droit commun. Nous travaillons à des actions de promotion familiale, qui nécessitent un fort engagement dans le soutien des familles, pour qu'elles récupèrent leurs droits. Notre souhait est d'aller vers une sortie obligatoire du centre et une entrée dans un logement de droit commun. Les familles peuvent passer un an comme quatre ans dans ce centre, dans l'attente de cet accès au logement. Nos statistiques prouvent en effet que 87% des familles accèdent à un logement de droit commun de manière durable. Nous évitons ainsi le passage d'un centre d'hébergement à un autre.

Nous pouvons espérer que, grâce à la loi pour le droit opposable au logement, la situation évoluera dans ce sens. Effectivement, il convient de se dégager de la logique consistant à vouloir accorder le minimum aux personnes pauvres. Nous ne devrions pas accepter que les gens en difficulté aient des conditions de vie que nous n'accepterions pas pour nous-mêmes.

Ce raisonnement, que je viens d'appliquer à la question du logement pourrait concerner, de la même manière, les structures d'insertion par l'activité économique, qui constituent soit une étape vers le marché de l'emploi, soit un « cul-de-sac ». Les familles se trouvent alors enfermées dans un réseau qui ne débouche plus du tout sur le marché de l'emploi et n'offre pas de perspectives. De plus, les entreprises ne conçoivent pas que ces personnes puissent intégrer des fonctions en leur sein.

M. Bruno TARDIEU - Mme Véronique Davienne vient de décrire une situation que le père Joseph Wrezinski a été le premier à qualifier d'exclusion sociale. Il est en effet fondamental de se rendre compte que le sujet ne concerne pas seulement les pauvres, mais aussi la relation entre les pauvres et les autres. Comment les institutions peuvent-elles intervenir face à cette question sociétale?

Comme l'a affirmé Mme Véronique Davienne en introduction de son propos, les principes directeurs nomment très précisément la responsabilité des États dans la critique et le combat de la stigmatisation des pauvres. Nous assistons aujourd'hui à la réapparition de campagnes présentant les personnes pauvres comme des profiteurs ou des personnes désireuses de rester dans leurs conditions. Or, l'État, garant des minorités, a la responsabilité de dénoncer et de résister lui-même à ces tentations.

Pour lutter contre l'exclusion sociale, il faut également se fier au repère d'exhaustivité et refuser l'écrémage qui entérine la fatalité de l'exclusion des plus faibles. Le fait d'afficher les chiffres de réduction de la pauvreté relève du courage politique. En revanche, les obligations de résultats à court terme peuvent s'accompagner de la tentation de ne s'occuper que des personnes ayant des chances de se sortir de leur situation. Il a ainsi été considéré comme une bonne stratégie de s'occuper en priorité des populations charnières. Or, cette efficacité apparente détruit les repères éthiques fondamentaux et conforte l'idée selon laquelle il existera toujours de l'exclusion sociale. Proposer des politiques totalement différentes en fonction des individus divise également les familles et les quartiers, en retirant au milieu populaire son sens de la solidarité.

En outre, le repère de la liberté est extrêmement important dans le cadre de la lutte contre l'exclusion sociale. Effectivement, nous constatons que s'établit une méfiance entre les institutions et les populations. Or, ce n'est pas en décidant  que nous parviendrons à rétablir la confiance et le dialogue. De l'absence de compréhension et de confiance émane une tentation de la part des institutions de tout décider. Cette attitude enfonce les personnes dans la déresponsabilisation, les empêche d'exercer leur citoyenneté et de contribuer à enrichir la réflexion. Un excès d'aides sociales s'accompagne de la privation des libertés fondamentales. Par exemple, une mise sous tutelle trop précipitée des enfants, sans dialogue préalable avec leurs parents, accentue la déresponsabilisation, de même qu'une prise de décision en matière de formation ou d'emploi décrétée unilatéralement. Le contrôle de la vie privée n'est pas la bonne méthode pour donner le droit à un soutien. Ainsi, le récent décret relatif à l'évaluation du rythme de vie des allocataires des minimas sociaux ne peut aller que dans le sens de l'atteinte à la vie privée.

Un membre d'ATD Quart Monde a découvert récemment que son immeuble, situé dans une cité très démunie en Normandie, allait être détruit sans qu'il y ait eu la moindre consultation dans le quartier. Sa réaction a été la suivante : « Cela ne m'étonne pas. C'est tous les jours que l'on ne nous fait pas confiance. » Le fait de rétablir la confiance constitue un préalable essentiel  pour les institutions comme pour les populations. Pour atteindre cet objectif, nous devons nous fier aux repères de la réciprocité, de la co-citoyenneté  et du croisement des savoirs.

Dans beaucoup d'institutions, des enseignants, des policiers, des juges, des travailleurs sociaux, des banquiers ou des postiers, qui souhaitent servir indifféremment tous les publics, voient trop souvent leurs efforts échouer. Ainsi, paradoxalement, les plus pauvres ont le moins accès au soutien, alors qu'ils en auraient le plus besoin. Bien souvent, dans les familles très pauvres, l'école et le travail social sont perçus comme des ennemis, alors qu'ils devraient être les premiers alliés de ces populations. Parmi les causes de ce paradoxe, nous observons l'absence de fréquentation et de connaissance mutuelles. La faiblesse politique des populations pauvres diminue leur liberté de parole et de pensée. La frustration des institutions et des professionnels à soutenir ces populations les amène souvent à accuser les populations de cet échec.

Néanmoins, l'expérience de cinquante années dont bénéficie l'association ATD Quart Monde peut permettre de créer un échange entre les populations et les professionnels, entre les citoyens très pauvres et les autres. Cette impasse n'est donc pas une fatalité. Un partenariat fécond est possible et, grâce à ce partenariat, les rapports successifs présentés au Conseil économique et social ont apporté des notions nouvelles. Nos conseillers se sont penchés conjointement sur le cas de ces populations dans la grande pauvreté, en particulier au travers des politiques publiques menées.

En outre, nous avons formalisé ces démarches de co-réflexions grâce à un principe de croisement des savoirs, avec des militants spécialistes de la grande pauvreté et des professionnels. De même, il est possible d'agir pour que les enfants et les jeunes puissent se débarrasser de représentations respectives destructrices. La participation réelle des populations est nécessaire à la réussite des politiques publiques, dont les recherches sont souvent vouées à l'échec. Il faut éviter que les politiques sociales ne deviennent des menaces pour les populations. Nous pouvons témoigner du fait que les formations que nous proposons rencontrent de plus en plus de succès. Ainsi, les écoles de formation des agents territoriaux, les IUFM, les écoles de travailleurs sociaux et les écoles de police  nous sollicitent de plus en plus pour obtenir ces formations.

En revanche, la perte du repère de réciprocité provoque des injonctions de participation des populations pauvres. La loi de 2002 propose que les populations participent, mais cette participation doit se réaliser dans la réciprocité et non seulement dans le cadre d'une consultation individuelle. Les uns et les autres doivent être capables de repenser les pratiques et les politiques. Les pouvoirs politiques doivent être garants du fait que les populations pauvres soient libres de leur parole, représentées par les associations de leur choix, et libres de comprendre les enjeux afin de contribuer aux politiques.

Je vous remercie.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Je souhaiterais poser une première question relative à vos derniers propos. Vous restez discret sur le sujet de la réciprocité de l'engagement. Pouvez-vous nous préciser les différentes modalités de votre engagement et les méthodes utilisées auprès des populations les plus défavorisées? Je pense que le partage de vie est tout à fait essentiel dans votre démarche et il serait intéressant que vous nous en disiez davantage à ce sujet. Notre commission a, en effet, pour objectif de mettre en lumière des valeurs sûres et de bonnes pratiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion. Il me semble que le recueil de la parole des populations nécessite une forme de partage de vie. Pouvez-vous développer cette idée en nous faisant part de votre expérience?

Mme Véronique DAVIENNE - Dès ses origines, le mouvement ATD Quart Monde a été composé de différents types de membres :

- D'abord, les familles très pauvres elles-mêmes, qui ont choisi de nous rejoindre dans cette mobilisation commune.

- Ensuite, les alliés. Il s'agit de personnes enracinées dans la société, refusant une société qui marginalise les personnes très pauvres.

- Enfin, les volontaires permanents. Ils s'engagent au service de ces personnes et mènent une vie simple. En effet, dans les différents pays où nous nous trouvons, nous vivons avec le salaire moyen des populations.

De plus, le mouvement propose un espace de rassemblement permettant aux personnes qui mènent une vie difficile de se reconnaître mutuellement et de se soutenir. Un jour, une femme a déclaré que le mouvement ATD Quart Monde lui « donnait des ailes ».

Ces espaces de rassemblement, que représentent les universités populaires du Quart Monde, sont des espaces de formation réciproque et de prise de parole et offrent la possibilité de déculpabiliser les gens par rapport à leur misère. Cette femme s'est donc aperçue que sa condition relevait d'un dysfonctionnement de la société et cette prise de conscience lui a donné le courage de reprendre sa vie en main. Les familles se soutiennent énormément entre elles, pour peu que leur soit offert un espace leur permettant de se rencontrer autour d'activités positives.

En outre, nous dénombrons les personnes à la rue sans tenir compte du nombre de personnes hébergées par d'autres. L'espace de rassemblement, qui est un espace privé et non un espace public, constitue également un lieu d'accueil pour des familles qui refusent de laisser d'autres familles dehors. Une de nos responsabilités est de le faire savoir.

M. Bruno TARDIEU - Notre mouvement rassemble environ 400 volontaires permanents dans le monde. La radicalité d'un engagement permet aux gens très pauvres d'affirmer eux-mêmes le refus de leur situation et de devenir eux-mêmes agents des droits de l'homme pour les autres. Cette perception très originale du père Joseph Wrezinski consistait à faire prendre conscience aux gens qu'ils possèdent une responsabilité dans la lutte contre la misère pour eux-mêmes et pour les autres.

En outre, je souhaiterais saluer l'intuition du père Joseph au sujet de nos alliances. Notre mouvement possède un réseau d'alliés provenant de tous les domaines professionnels. Ainsi, comme l'affirmait le père Joseph Wrezinski, nous sommes convaincus que « la pauvreté se résoudra dans la société ou ne se résoudra pas ». Nous résistons à la tentation que connaissent les associations aujourd'hui, lorsqu'elles pensent que la lutte contre la pauvreté est uniquement leur affaire. Il nous paraît également fondamental que l'État se positionne sur le sujet et offre un espace public aux personnes très pauvres.

Dans les dernières années de sa vie, le père Joseph Wrezinski a été à l'initiative d'une journée de refus de la misère et a prononcé cette phrase emblématique, gravée au Trocadéro: « Là où les hommes sont condamnés à vivre dans la misère, les droits de l'homme sont violés. S'unir pour les faire respecter est un devoir sacré. »

Aujourd'hui, notre association réunit 20 000 personnes et il est très important qu'à tous les niveaux, notamment dans les classes, la logique d'exclusion soit dénoncée. Il faut parvenir au refus systématique de l'abandon du plus faible, tant au niveau professionnel qu'au niveau des citoyens. Pour nous, cet objectif constitue un repère absolu. Par exemple, lorsque j'ai enseigné à New-York, je me suis efforcé de faire en sorte que les plus pauvres fassent oeuvre de participation, suscitant la curiosité du quartier. Ainsi, dans les quartiers les plus pauvres, les gens aspirent à refuser la logique de l'écrémage.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Je pense effectivement que nos sociétés ne proposent que des solutions techniques pour faire face à la situation. Or, il impossible de résoudre des problèmes humains sans réfléchir à un profond changement du comportement humain, qui peut notamment s'exprimer à travers un engagement personnel.

Ensuite, nos sociétés sont mues par une volonté de s'enrichir toujours davantage. Or, il me semble que cet enrichissement permanent ne peut constituer un régulateur pour la société. Comment trouver une régulation souple et non purement administrative ou oppressive, si ce n'est à travers un mode de vie partagé? En effet, la richesse la plus importante, que représente la cohésion sociale de l'humanité, ne peut exister sans la mise en oeuvre d'une réciprocité préalable.

Je suis convaincu qu'un changement de comportement collectif ne peut être imposé par les lois et qu'il faudra puiser des solutions dans des expériences vécues d'engagement personnel. A cet égard, je citerai ce propos de Franz Kafka: « Nos sociétés meurent de ne plus croire aux miracles mais uniquement aux modes d'emplois. »

Nos sociétés, si elles souhaitent échapper à l'engrenage de l'exclusion, ne doivent pas seulement déverser de l'argent.

M. Bruno TARDIEU - Je suis convaincu que mon engagement n'aurait pas duré si le père Joseph Wrezinski, lui-même né dans la misère, ne nous avait pas permis de partager le miracle que les très pauvres vivent eux-mêmes. En effet, la clé m'ayant permis de dépasser ma peur des gens très pauvres, ou de ma propre culpabilité de ne pas être né dans la pauvreté, a été la découverte du courage, de la sagesse et de l'inventivité de ces personnes. Les gens très pauvres, du fait de leur aspiration à transmettre leur pensée et à apporter leur sagesse, possèdent la clé de l'humanisation de notre société. Ils recèlent un potentiel énorme en eux dans lequel notre société ne sait pas puiser.

Notre mouvement citoyen a délibérément fait le choix de la mixité sociale, éprouvant le besoin d'apprendre et de vivre ensemble. Pour nous, la réciprocité est une expérience féconde et ne relève pas uniquement d'une question de générosité. Le père Joseph Wrezinski reconnaissait l'importance du rôle de la loi, mais estimait qu'elle ne suffisait pas à créer un repère commun. Ainsi pouvons-nous interpréter ses propos: « La misère est l'oeuvre des hommes; seuls les hommes peuvent la détruire. »

En outre, l'État providence, qui s'est donné pour mission de soutenir les plus faibles, devra aussi réfléchir à soutenir les communautés et le lien social. En effet, le fait de ne s'employer qu'à soutenir les plus faibles revient à les stigmatiser. En ce sens, les politiques spéciales destinées à des gens spéciaux se retournent toujours contre eux.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Néanmoins, pouvez-vous imaginer que des textes législatifs puissent soutenir un engagement individuel dans le genre d'initiative que vous avez évoqué précédemment ? La lutte contre l'exclusion et contre la pauvreté passe fondamentalement par l'amélioration du vivre ensemble. Mais comment permettre aux pauvres d'accéder aux droits de tous et aux riches de renoncer volontairement à des situations acquises ?

Mme Véronique DAVIENNE - Il me semble que l'État pourrait indiquer plus fortement quels sont ses choix prioritaires.

M. Bruno TARDIEU - L'engagement individuel constitue un choix spontané et nous devrions réfléchir davantage à un système susceptible de le développer. D'ailleurs, si la possibilité du service civil obligatoire n'avait pas existé, je ne sais pas si j'aurais rejoint l'équipe des volontaires de l'association.

De la même manière que vous encouragez des initiatives telles que la nôtre, il faut faire en sorte que les jeunes se rencontrent et dénoncer l'existence de ghettos sociaux. Par exemple, les politiques en matière de logement devraient permettre aux gens de différentes conditions d'habiter ensemble. De même, il peut y avoir des villes où les jeunes issus de milieux différents se fréquentent dans les écoles. Or, nous assistons à une ségrégation sociale par le logement. Face à cette situation, l'État possède la responsabilité importante de lutter contre le « tout économique ». Ainsi, l'accès au logement se trouve régi par la loi du marché, qui ignore cette possibilité de vivre ensemble.

Le rapport Attali préconise que les enfants apprennent à coopérer ensemble dans les écoles et cette idée me semble très importante dans le sens où elle peut contribuer à reconstruire des valeurs de pratiques de réciprocité. Notre réflexion est actuellement très limitée en raison de la prégnance d'une philosophie consistant à penser que les associations vont s'occuper des plus faibles. Or, notre association n'adhère pas à cette idée et continuera à mener des actions avec les plus faibles. Il me semble contreproductif d'encourager uniquement l'engagement associatif, car il convient de soutenir également l'engagement individuel des instituteurs ou des infirmières qui se rendent dans les quartiers populaires. Ainsi, nous avons rencontré récemment une infirmière qui était très mal perçue car elle accueillait au sein de son établissement des gens du voyage que l'hôpital ne voulait pas soigner.

Il appartient à l'État de dénoncer cette ambiance générale de stigmatisation. C'est pourquoi nous sommes heureux de pouvoir exprimer aujourd'hui cette perte de repères du droit commun.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - C'est dans cet esprit que nous avons souhaité vous auditionner en premier et je vous remercie d'avoir répondu à notre sollicitation. La commission avait en effet besoin de bénéficier de la solidité de votre appui pour mieux comprendre le concept d'humanité de la société. J'ai une dernière question à vous adresser, avant que le Président n'accorde la parole aux autres membres de la commission. L'État a modifié le service militaire pour des raisons militaires sans se préoccuper de son efficacité sociale. J'ai signé récemment la pétition pour la restauration d'un service civil obligatoire, dont j'ai compris que le coût serait prohibitif. Toutefois, je reste persuadé que le service civil constitue un moment clé de l'existence, autorisant notamment des jeunes à s'impliquer dans des opérations bénévoles dans des pays très éloignés.

M. Christian DEMUYNCK, Président - Je vous remercie, mon cher collègue. Certains d'entre vous souhaitent-ils poser des questions ?

Mme Brigitte BOUT - Vous avez dit que 87% des personnes suffisamment accompagnées peuvent accéder à un logement lorsqu'elles sortent de vos foyers. Aussi je constate qu'il existe un espoir d'améliorer leur situation. En France, quelle a été l'évolution du nombre des volontaires de l'association et à quelle échelle avez-vous réussi à faire régresser la pauvreté ?

Mme Véronique DAVIENNE - Actuellement, cent volontaires d'ATD Quart Monde se trouvent sur le territoire français et nous avons accueilli cette année dix-sept nouveaux bénévoles. Il ne faut pas espérer que nos cent volontaires réduisent significativement la pauvreté. En revanche, ils permettront à des personnes très pauvres de reprendre espoir et d'être entendues. En outre, chaque volontaire permanent se trouve lui-même transformé par la rencontre avec les populations en difficultés.

Nous réunissons des milliers d'alliés à travers le territoire. Ils représentent tous un levier de transformation de la société.

Mme Brigitte BOUT - Je fréquente depuis plusieurs années des mouvements tels que le vôtre, participant au fonctionnement de bibliothèques de rues ou à d'autres initiatives similaires. Nous sommes confrontés à un problème de société, concernant notamment le mode d'attribution des logements par exemple. Nous éprouvons des difficultés à faire accepter par les organismes d'HLM d'accueillir des familles très pauvres, celles-ci bénéficiant de revenus minimum.

Mme Véronique DAVIENNE - J'ai récemment rencontré un bailleur immobilier de la région parisienne qui m'a affirmé ne pas tenir compte de la solvabilité des candidats pour l'attribution de logements. Je ne suis pas sûre que les personnes en difficulté n'aient pas accès au logement en raison de leur manque de ressources. En ce sens, il serait intéressant de savoir qui leur refuse cet accès lors des commissions d'attribution.

Le préjugé selon lequel les familles très pauvres vont causer une nuisance à leur voisinage  est en effet assez répandu. Or, il suffit de rencontrer les gens pour s'apercevoir du contraire. Le vivre ensemble est essentiel. Pour que la mixité sociale soit choisie et non subie, les quartiers populaires doivent être rendus plus attrayants. La construction des ZEP a constitué une tentative d'améliorer les quartiers populaires, mais n'a pas été honorée à la hauteur des ambitions. L'État pourrait aussi appliquer la pratique des loyers différenciés.

M. Bruno TARDIEU - Effectivement, nous rencontrons beaucoup de gens qui se voient refuser un logement social en raison de l'insuffisance de leurs ressources. Or, le système du logement social doit justement ouvrir l'accès au logement à tous. La semaine dernière, j'ai été choqué d'entendre dire que, dans un quartier, la société souhaite une « épuration ». Ainsi, les gens les plus en difficultés ne bénéficient plus du droit commun et le grand public ne peut pas adhérer au principe de l'exhaustivité si les institutions n'y adhèrent pas elles-mêmes.

M. Christian DEMUYNCK, Président - Je souhaiterais intervenir en tant que maire d'une ville de Seine-Saint-Denis. Vous avez raison de dire que les sociétés d'HLM refusent, de manière systématique, de mettre des logements à disposition de personnes possédant de faibles ressources. C'est pourquoi nous devons réfléchir à la manière dont l'État pourrait intervenir pour trouver des logements à ces personnes en difficulté.

J'aimerais que vous puissiez détailler la nature de votre intervention au sein de la cité de Noisy-le-Grand. Comment parvenez-vous à réinsérer les familles ?

Mme Véronique DAVIENNE - Je vous propose de venir visiter cette cité pour mieux vous rendre compte de nos méthodes. Notre action repose d'abord sur un fort engagement de la part de nos volontaires. Ensuite, l'association a pris le parti délibéré d'aider en priorité les familles en plus grande difficulté, en veillant toutefois à maintenir un équilibre pour que la cité ne devienne pas un ghetto.

Il s'agit d'une cité de promotion familiale, sociale et culturelle. Lorsque, par exemple, les enfants sont placés dès l'arrivée de la famille, l'engagement de l'association consiste à faciliter le retour des enfants. Nous proposons également des actions autour de la petite enfance, grâce à un espace de soutien de grande qualité dans lequel les parents viennent avec leurs enfants. Ils peuvent ainsi se dégager de leurs soucis et prendre du temps avec leurs enfants. Cet espace permet aussi aux familles de se soutenir, d'exprimer leurs difficultés et leurs inquiétudes comme le font toutes les familles. Nous constatons que souvent les familles très pauvres n'ont pas accès aux services de la petite enfance car elles n'y sont pas très bien admises.

Les actions culturelles sont très importantes dans le sens où la culture représente le lieu de la liberté pour les familles. Nous faisons en sorte que les enfants aient envie d'apprendre en leur dispensant des activités de théâtre, de peinture ou de lecture. En outre, dans le foyer pour les adultes, il y a une vie commune animée, grâce notamment aux volontaires qui habitent le quartier, et les logements appartiennent au parc Emmaüs. Enfin, la vie sociale permet aux familles de regagner leurs droits.

La force de l'association réside dans un soutien mutuel au sein de l'équipe. Le but est d'éviter que les volontaires ne se découragent d'accompagner ces familles en proie à un passé difficile. Certaines d'entre elles pourront sortir de leur situation en quatre ans, tandis que d'autres retrouveront une vie normale en quelques mois seulement. Aucune contrainte de temps n'est imposée aux volontaires et aux familles. Nous partons des souhaits exprimés par les familles et de leurs aspirations, puis nous établissons un contrat dans lequel des engagements réciproques sont pris. Nous ne proposons pas de projet préétabli avec des étapes à réaliser obligatoirement, considérant que ce genre de méthode est infructueux. De plus, les familles ont la sécurité de savoir qu'elles ne seront pas abandonnées.

Nous travaillons à partir de l'engagement et de la volonté des gens et bénéficions de temps à consacrer aux personnes en difficulté.

M. Bruno TARDIEU - J'ajouterai que, sur le même principe, nous avons créé une entreprise solidaire. Nous tenons à ce que les employeurs ne soient pas les mêmes personnes que les travailleurs sociaux, pour ne pas produire d'amalgame. Nous tenons au principe fondamental de la liberté des gens et ne décidons pas à leur place, afin de ne pas bloquer leurs énergies. Nous avons réalisé la première entreprise d'insertion en France dans laquelle la moitié de l'équipe est constituée de gens qui ont l'habitude de travailler et ont effectué volontairement la démarche de venir dans cette entreprise, tandis que l'autre moitié se trouve très éloignée du travail. Nous ne nous inscrivons pas dans la logique selon laquelle il convient de recevoir une formation avant de pouvoir travailler. Ainsi, les gens viennent travailler d'abord et, pour réaliser leurs tâches, ils ont la nécessité d'apprendre. Nous prenons le risque du vivre ensemble, alors que, selon nous, de nombreuses interventions d'urgence ne constituent que des manières de ne pas vivre ensemble. C'est pourquoi l'entreprise se nomme « Travailler et apprendre ensemble ».

Nous avons mis en place une seconde entreprise à Madagascar, donnant lieu à une nouvelle génération d'entreprises d'insertion. Notre projet du travail et du vivre ensemble est très ambitieux. J'ai pu observer, aux États-Unis, des entreprises de très haut niveau qui se donnent le même genre de moyens, dans le cadre de projets informatiques par exemple. Pourquoi ne nous donnons nous pas ces moyens pour aider les gens très pauvres ?

Le père Joseph disait qu' « il faut le meilleur pour les plus pauvres ». C'est dans cet esprit qu'a été conçue la cité de Noisy-le-Grand.  De même, lorsque nous avons réalisé notre action à New-York, nous avons apporté les meilleurs ordinateurs et non du vieux matériel, de manière à ce que les gens sentent que nous les croyions dignes de concevoir l'avenir comme nous et d'inventer l'avenir avec nous. Nos méthodes sont un peu moins instrumentales et un peu plus humaines.

M. Christian DEMUYNCK, Président - Je vous remercie de vos réponses à nos questions. Nous en aurions beaucoup d'autres à vous poser. Aussi je suggère que nous vous rendions visite à Noisy-le-Grand.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Je pense que notre objectif est atteint. Votre intervention nous a permis de situer notre travail à un bon niveau.

Audition de Mme Agnès de FLEURIEU, Présidente de l'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale - (29 janvier 2008)

M. Christian DEMUYNCK, Président - Madame la Présidente, je vous souhaite la bienvenue dans cette commission. Je vous suggère que vous nous présentiez dans un premier temps l'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale, avant de nous proposer une synthèse de vos observations. J'attribuerai ensuite la parole au rapporteur puis à mes collègues.

Mme Agnès de FLEURIEU - Je suis présidente de l'Observatoire de la pauvreté et travaille, par ailleurs, depuis plusieurs années au Conseil général des Ponts et Chaussées sur la question du logement. J'ai été aussi secrétaire générale du Haut-comité pour le logement des personnes défavorisées et secrétaire générale du Conseil de l'intégration.

L'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale existait auparavant au sein de la DREES et a été confirmé dans son existence au moment de la loi de juillet 1998 relative à la lutte contre les exclusions, afin de promouvoir une connaissance objective et statistique de la pauvreté, permettant d'établir des constats partagés. Il ne dispose pas de moyens identifiés en tant que tels. La distinction entre les études demandées par la DREES et les études spécifiquement demandées par l'Observatoire est parfois difficile à effectuer. Ses principales forces et richesses sont ses membres, répartis au sein de trois collèges de sept membres. Le premier collège réunit l'ensemble des statisticiens publics, le second est composé de chercheurs et d'universitaires et le troisième de personnalités qualifiées, qui, pour la plupart, occupent des responsabilités associatives, mais ne représentent pas leur association au sein de l'Observatoire. Ce troisième collège nous permet d'effectuer des allers-retours entre la « vraie » vie  et la connaissance statistique ou macro-économique que nous essayons d'établir.

Une série de travaux et de rapports réalisés par l'Observatoire est disponible. Dans le prochain rapport, qui paraîtra dans quelques semaines, nous observons la nouvelle tendance en matière de pauvreté avec un certain décalage, du fait du temps nécessaire pour le recueil et le traitement des sources de données. Ainsi, bien que nos observations sur le long terme soient justes, nous ne bénéficions pas d'un dispositif nous permettant d'observer la situation en temps réel. Nous constatons que, globalement, le niveau de vie de notre société, comme celui de l'ensemble des sociétés européennes, s'élève, et que le nombre de personnes qui se trouvent au-dessous du niveau de pauvreté n'augmente pas. En revanche, l'intensité de la pauvreté s'accroît considérablement. Ainsi, nous ne comprenons pas comment les personnes situées dans les deux premiers ou peut-être les trois premiers déciles pourraient se loger, se nourrir ou se soigner dans des conditions normales. Cette tendance est observée dans toute l'Europe, notamment en raison des modifications du modèle salarial et de l'évolution du marché du travail. Une fraction de gens s'éloigne tout à fait de la société, dont le niveau de vie s'élève.

Nous considérons que 8 millions de personnes vivent avec moins de 815 euros par mois et que 3 millions de ces personnes sont en situation de grande pauvreté. Nos chiffres concernent les revenus individuels. Or de nombreuses personnes sont isolées, alors que nous savons que, dès lors que les personnes vivent à deux, elles peuvent mieux faire face à leur situation. Parmi les personnes isolées, nous trouvons des veufs ou des veuves, des jeunes, et bien sûr des femmes seules avec un enfant. Récemment, Mme Boutin m'a demandé de présider deux des sous-groupes logement des États généraux du logement en Île-de-France. Dans ce cadre, j'ai pu observer que, pour les deux premiers déciles, les ménages isolés vivent avec une somme comprise entre 550 et 600 euros par mois, tandis que les ménages comprenant quatre personnes vivent avec 1 000 ou 1 200 euros par mois.

Un certain nombre des mesures, qui sont envisagées ou ont été mises en oeuvre dans le passé, sont efficientes pour les personnes les plus proches du seuil de pauvreté. Nous estimons, par exemple, que le revenu de solidarité active (RSA) a des effets bénéfiques pour ces personnes. En revanche, l'accompagnement à l'accès au logement ou au droit est extrêmement important pour les personnes les plus éloignées du seuil de pauvreté. Or, il manque des dispositifs relatifs au volet accompagnement et des financements dans la durée pour ce même volet.

S'agissant du logement, l'augmentation constante de l'exigence en termes de normes entraîne un phénomène permanent de surenchérissement du coût de la construction. Le loyer devient donc de plus en plus élevé, alors que les aides personnelles au logement ne peuvent pas augmenter dans le même temps. Les forfaits de charges sont encore moins ajustés et de plus en plus de gens se trouvent confrontés à des difficultés liées à leurs ressources pour accéder au logement. Ainsi, même si le nombre de logements était suffisant, la construction neuve demeurerait un produit cher. Une partie des ménages n'aurait pas les ressources suffisantes pour s'y maintenir sans une aide financière complémentaire.

Dans le prochain rapport, nous essayons également de comprendre la trajectoire des personnes. Or, s'il existe beaucoup d'outils permettant d'obtenir des informations statiques, appréhender la trajectoire des personnes constitue, en revanche, un travail beaucoup plus complexe. Nous rédigerons aussi une partie sur la relation entre le droit et la pauvreté, en adoptant un point de vue historique, puis un point de vue plus classique sur l'accès au droit. Pour accéder à des dispositifs de droit les concernant, les personnes les plus en difficulté ont besoin de dispositifs d'accompagnement. Par ailleurs, je retiens de nos travaux en cours sur les États généraux du logement en Île-de-France que les bénéficiaires prioritaires de la loi DALO sont au nombre de 118 000, tandis que le contingent préfectoral est d'environ 10 000 personnes.

M. Christian DEMUYNCK, Président - Je vous remercie, Madame la Présidente. Pensez-vous que la diminution du chômage a une influence sur la diminution de la pauvreté ?

Mme Agnès de FLEURIEU - Nous constatons des relations extrêmement nettes entre la diminution du chômage et la diminution du nombre d'allocataires du RMI. Or, parallèlement, émerge le phénomène du temps partiel subi. Ainsi, nous observons un lien incontestable entre la durée du travail ou le type de contrat de travail et la pauvreté. J'ai mené une action de médiation auprès de l'association Médecins du Monde, lorsqu'elle a installé ses premières tentes. A cette occasion, j'ai vu que des wagons de la Gare de l'Est étaient loués pour trois euros la nuit à des travailleurs, comme par exemple à des employés de restaurant qui habitaient en grande couronne et dont les horaires atypiques ne leur permettait pas de rentrer chez eux. A cet égard, j'ai été informée du fait que les récentes réflexions de la Commission européenne intégraient clairement cette problématique des travailleurs pauvres.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Vous avez évoqué le statut peu commun de l'Observatoire, qui représente un acteur très important dans la mise en oeuvre de la loi d'orientation de la lutte contre l'exclusion de 1998. Il permet effectivement un pilotage de la recherche et de la collecte, et sert d'intermédiaire entre le statisticien professionnel et les gouvernements chargés de la définition de la politique. Une des missions de la commission consiste à soutenir cette référence actuelle, en insistant pour le renforcement de ses moyens. Son budget vient effectivement en émargement du budget de la DREES.

Ensuite, je souhaiterais connaître les indicateurs susceptibles de nous aider à mieux piloter nos politiques. Je sais que l'Observatoire a déjà défini onze indicateurs prioritaires dans le rapport 2005-2006. Néanmoins, pourriez-vous nous orienter dans la mise à jour d'indicateurs efficaces pour réorienter les politiques publiques ?

A cet égard, je me souviens que Dominique de Villepin avait demandé au Conseil national de lutte contre l'exclusion la définition d'indicateurs d'efficacité. Or, comme l'a rappelé l'association ATD Quart Monde, il convient d'éviter la tentation des gouvernements d'identifier des indicateurs de régression de la pauvreté. Cette démarche engendre l'effet pervers de sélectionner les personnes sur lesquelles il est possible d'agir le plus facilement, afin d'obtenir des résultats satisfaisants au niveau statistique. Autrement dit, il y a une corrélation entre les indicateurs, la recherche d'efficacité politique et le problème de fond d'une recherche de cohésion sociale. Mais existe-t-il des indicateurs qualitatifs de bien-être d'une société qu'il faudrait développer ?

Mme Agnès de FLEURIEU - Si vous me le permettez, je ne raisonnerai pas en termes d'indicateurs. Il existe dans l'appareil statistique national et au niveau des collectivités territoriales énormément de données pertinentes, mais qui ne sont jamais croisées. Par exemple, sur la question du logement, le Gouvernement mène, depuis des années, une politique d'offre, en se fondant uniquement sur une évaluation numérique des revenus des gens qu'il faut loger. L'Observatoire essaie de croiser certaines données mais doit effectuer encore de nombreux progrès sur ce point.

Ensuite, il existe une multitude d'observatoires et d'observations. Ainsi, l'observatoire national des ZUS a pour champ d'étude l'exclusion urbaine, tandis que nous nous intéressons à l'exclusion dans sa globalité. Nous devrions réfléchir à la mise en place de regroupements donnant plus de poids à notre mission dans ces domaines. En outre, depuis plusieurs années, nous a été demandé un indicateur synthétique nous permettant de rendre compte du phénomène de la pauvreté. Or, les membres de l'Observatoire étaient défavorables à cette demande, estimant que la pauvreté représente un phénomène multidimensionnel. Nous pensons qu'il faut observer une dizaine d'indicateurs simultanément pour obtenir un résultat le plus proche possible de la réalité.

S'agissant de l'objectif chiffré de réduction de la pauvreté, et au choix d'un indicateur ancré dans le temps, il apparaît comme positif que cette indicateur soit un indicateur de pauvreté absolu. Néanmoins, nous nous apercevons qu'il se réduit lui-même d'année en année. C'est pourquoi un certain nombre d'associations considère comme étant illégitime de se fixer un objectif de réduction de la pauvreté à partir de cet indicateur.

Il nous paraît essentiel de pouvoir établir un tableau nous permettant de repérer les situations en train de se dégrader et de les signaler au responsable des politiques publiques. Nous nous apercevons, par exemple, que le cumul des réformes de retraites a eu de mauvaises répercussions sur les personnes seules qui n'avaient pas travaillé durant l'ensemble de leurs anuités. Ces personnes se rendent, en effet, de plus en plus dans les accueils d'aide alimentaire et ne parviennent plus à payer leur loyer et leurs charges. Nous tentons d'établir notre tableau grâce au collège des personnalités issues du monde associatif, notre souhait étant d'améliorer nos observations pour qu'elles aient une utilité plus immédiate.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Je constate que l'Observatoire est le seul organisme à pouvoir travailler sur cet objectif.

Mme Agnès de FLEURIEU - Lorsque nous observons des phénomènes de pauvreté, nous nous demandons quelles sont les limites de notre jugement sur les inégalités. Une partie des associations et des membres du CNIS ayant travaillé sur le rapport sur les inégalités considèrent que les seuls indicateurs valables sont ceux qui rendent compte des inégalités. Néanmoins, l'Observatoire pense que, malgré son importance, il ne faut pas seulement travailler sur la question des inégalités.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Pourrions-nous imaginer que l'Observatoire devienne l'institution de référence sur la question de la pauvreté et l'exclusion ?

Mme Agnès de FLEURIEU - J'ai omis de dire que l'Observatoire n'est pas lui-même producteur de statistiques et doit donc s'appuyer sur des statistiques publiées par d'autres organismes. Ce système engendre un problème de coordination et de communication. Je pense que notre lien avec le CNLE est important, car du fait de sa composition, le CNLE peut effectuer une promotion de l'Observatoire de manière continue. En outre, le regroupement et la fusion de plusieurs instances d'observation est une piste envisageable et doit s'accompagner d'une réflexion à propos des outils à mettre en oeuvre.

Je suis convaincue que la richesse de l'Observatoire provient du mélange des cultures, ouvrant sur un débat et une connaissance partagée. Néanmoins, la communication autour de ses travaux reste difficile, bien qu'ils soient bien évidemment utilisés par des associations et des chercheurs. J'ajoute que nous avons créé une Lettre de l'Observatoire, disponible en version électronique, pour témoigner de nos travaux.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Pensez-vous que l'Observatoire puisse acquérir une légitimité en devenant une référence à un niveau européen ?

Mme Agnès de FLEURIEU - Il me semble que la France est le seul pays à bénéficier d'un observatoire aussi clairement identifié. Nous travaillons sur les indicateurs mis en place au sein de l'Union européenne et participons aux travaux de recherche européens. Je trouve que l'idée de créer un observatoire européen est une excellente idée, d'autant que l'Europe est de plus en plus confrontée à des phénomènes migratoires. Nous aurions intérêt à observer la situation de façon commune, pour enrichir notre réflexion sur le développement de l'emploi, la flex-sécurité et le niveau de vie. Ces préoccupations commencent d'ailleurs à être prises en compte au niveau de la commission de l'Union européenne.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Cette question de la pauvreté est en effet un problème politique majeur. En outre, paradoxalement et en comparaison aux organismes de statistiques officiels, la viabilité des publications de l'Observatoire est incontestable, du fait de la diversité de ses membres.

Mme Agnès de FLEURIEU - Nous travaillons effectivement dans le souci de rendre compte le mieux possible de la situation.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - C'est pourquoi il faudrait réellement travailler sur la valorisation de la qualité de votre travail.

M. Christian DEMUYNCK, Président - Mes chers collègues, souhaitez-vous poser des questions ?

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Aviez-vous tous connaissance de l'existence d'un observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale?

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE - J'en avais effectivement eu connaissance. Il serait intéressant de comprendre les critères de sélection de vos indicateurs, qui sont, comme vous l'avez indiqué précédemment, très difficilement évaluables, dans la mesure où la pauvreté constitue un phénomène multiforme.

Mme Agnès de FLEURIEU - Certains de nos indicateurs ont été établis en fonction de l'indicateur de pauvreté monétaire. L'indicateur européen tient compte de la part des ménages dont le revenu est inférieur de 60% au revenu médian. Pour leur part, les membres de l'Observatoire ont considéré pendant des années la part des individus vivant dans un ménage dont le revenu est inférieur à 50% du revenu médian. Nous pensons aujourd'hui qu'il est intéressant de continuer à comparer les deux indicateurs.

Ensuite, l'intensité de la pauvreté, que j'ai évoquée au début de mon intervention, tient compte de l'écart séparant les gens proches du seuil de pauvreté et ceux situés dans les premiers déciles.

Le taux de pauvreté de la population à l'emploi consiste à dénombrer les personnes qui se trouvent en dessous du seuil de pauvreté mais possèdent un emploi.

Le taux de difficulté des conditions de vie, plus difficile à estimer, est construit à partir d'une grille nous servant à recueillir des données qualitatives. Or nous nous sommes aperçus que ces rubriques étaient définies par des personnes ne vivant pas ces situations. Pa conséquent, nous estimons comme étant pertinente la demande portée par ATD Quart Monde de mieux associer les personnes vivant les situations de pauvreté à l'élaboration des instruments qui doivent en rendre compte.

D'autres indicateurs concernent les minimas sociaux, parmi lesquels un indicateur mesurant le phénomène de persistance dans le RMI. Ainsi, nous savons que le fait de rester plus de trois ans bénéficiaire du RMI possède une signification.

Enfin, nous nous appuyons sur des indicateurs de non-accès aux droits fondamentaux, estimant le taux de renoncement aux soins pour des raisons financières, le taux de sortants du système scolaire à faible niveau d'études ou le taux de demandeurs d'emploi non-indemnisés que nous voyons augmenter.

Nous tenons également compte du nombre de demandes de logement social non satisfaites après un an et des inégalités de revenus.

Parallèlement à nos indicateurs, les indicateurs de la LOLF ont pour objectif de mesurer l'efficacité des politiques de lutte contre l'exclusion. De plus, il existe plus de cent indicateurs européens offrant la possibilité de comparer les politiques européennes et de quantifier des objectifs pour obtenir des résultats. J'ajouterai que nos indicateurs sont davantage des indicateurs de constat ou d'état que des indicateurs d'objectifs ou d'évaluation.

M. Christian DEMUYNCK, Président - Si vous n'avez pas d'autre question à formuler, je vais clore la séance. Je vous remercie, Madame la Présidente, pour toutes ces informations.

Audition de M. Arnaud VINSONNEAU, adjoint au directeur général, chargé des relations institutionnelles, de M. Bruno GROUÈS, conseiller technique, et de Mme Jeanne DIETRICH, chargée de mission au pôle « lutte contre les exclusions », de l'Union nationale interfédérale des oeuvres et organismes sanitaires et sociaux (Uniopss) - (5 février 2008)

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Pour cette première audition de la mission commune d'information sur les politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion, nous accueillons M. Arnaud Vinsonneau, adjoint au directeur général et chargé des relations institutionnelles, M. Bruno Grouès, conseiller technique, et Mme Jeanne Dietrich, chargée de mission au pôle « lutte contre les exclusions » de l'Union nationale interfédérale des oeuvres et organismes sanitaires et sociaux (Uniopss).

Pouvez-vous nous indiquer quelle est la vision de l'Uniopss sur la situation de la pauvreté et de l'exclusion en France ? Nous aimerions, par ailleurs, connaître les axes qui, selon vous, sont aujourd'hui déterminants et sur lesquels nous pourrions émettre des préconisations utiles à notre société. Pouvez-vous, à travers votre expérience, les diagnostics et les outils que vous avez réalisés nous guider dans notre réflexion ?

M. Arnaud VINSONNEAU - Je tiens tout d'abord à remercier la mission d'avoir bien voulu auditionner l'Uniopss. Etant donné l'ampleur des sujets à aborder, j'aimerais savoir quel temps de parole m'est imparti.

Mme Brigitte BOUT, Présidente - Nous garderons du temps pour vous poser des questions à la suite de votre intervention. Vous disposez d'un temps de trois quarts d'heure pour vous exprimer.

M. Arnaud VINSONNEAU - Je me propose, d'abord, de vous présenter l'Uniopss, de manière à vous situer notre organisation. Je me chargerai de cette introduction. Puis je passerai la parole à M. Bruno Grouès et à Mme Jeanne Dietrich, en charge du pôle « lutte contre les exclusions » au sein de notre structure.

L'Uniopss représente une union d'associations. Elle a été créée en 1947 et comprend 110 grands adhérents nationaux, dont des organismes de lutte contre les exclusions comme la Fnars, le Secours Catholique, le Secours Populaire et le Fonds Social Juif Unifié, mais aussi des organisations agissant dans le domaine de l'action sociale et de la santé. Nous avons la volonté d'avoir une vue transversale sur les politiques publiques. De fait, notre champ d'action dépasse largement celui de la lutte contre les exclusions.

A ces 110 adhérents nationaux s'ajoutent 22 unions régionales. Au total, nos associations gèrent, aux niveaux national et local, environ 20 000 établissements et services sanitaires, sociaux et médico-sociaux.

Notre mission consiste à favoriser la culture du débat au sein de ces unions nationales, grâce au partage de nos expériences et de nos diagnostics sur la situation des politiques publiques. Mais nous cherchons aussi à être une force de proposition pour faire évoluer les dispositifs. En d'autres termes, nous essayons de constituer un pont entre les pouvoirs publics et les associations.

A ma connaissance, nous sommes aujourd'hui le plus grand rassemblement d'oeuvres et organismes privés à but non lucratif en France. Bien sûr, nous avons à coeur, dans les positions que nous défendons, de prendre en compte les publics fragiles, et aussi d'être des représentants d'associations, gérant leurs structures de manière désintéressée et rassemblant à la fois des professionnels et des bénévoles.

Je donne la parole à M. Bruno Grouès afin qu'il nous présente le collectif « Alerte », très mobilisé dans la lutte contre la pauvreté.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Je me permets de préciser, pour ceux qui le connaîtraient dans le cadre d'autres fonctions, que le président de l'Uniopss est M. Dominique Balmary.

M. Arnaud VINSONNEAU - En effet. M. Balmary a succédé à M. Jean-Michel Bloch-Lainé à la tête de la présidence de l'Uniopss lors du Congrès de Nantes de novembre 2007.

M. Bruno GROUÈS - Comme l'a indiqué M. Arnaud Vinsonneau, l'Uniopss regroupe aujourd'hui presque toutes les associations et fédérations nationales de lutte contre l'exclusion. Les seules à ne pas en faire partie sont « ATD » et « Solidarités Nouvelles face au Chômage » qui, sans figurer parmi nos adhérents, travaillent néanmoins avec nous quotidiennement.

Parler de la création du collectif « Alerte » m'oblige à remonter un peu plus de vingt ans en arrière, aux années 1984 et 1985, pendant lesquelles a eu lieu l'émergence d'un nouveau public que nous avons nommé les « travailleurs pauvres ». Leur prise en compte a provoqué la création du premier programme de lutte contre la pauvreté : les « crédits pauvreté-précarité ».

Mais les associations de lutte contre l'exclusion se sont rendu compte très vite qu'il leur était possible de gagner en efficacité en coordonnant leurs actions. Elles ont alors demandé au président de l'Uniopss de l'époque, M. François Bloch-Lainé, de procéder à leur rassemblement pour leur permettre d'avoir une politique commune plus cohérente et de mieux dépenser les crédits qui leurs étaient alloués.

C'est ainsi qu'en 1985, l'Uniopss a décidé de créer la commission « lutte contre la pauvreté », réunissant une quarantaine d'associations nationales engagées dans le domaine de l'exclusion comme le Secours Catholique, le Secours Populaire, la Fnars, ATD Quart Monde, Médecins du Monde et l'Armée du Salut.

Depuis 20 ans, ces associations, extrêmement fidèles à l'Uniopss, se réunissent une fois par mois pour partager leurs réflexions dans le domaine de la lutte contre la pauvreté. Leurs rencontres régulières nous ont amenés à beaucoup réfléchir, mais aussi à intervenir dans le secteur législatif, notamment au moment de l'élaboration des grandes lois qui ont structuré notre champ d'action comme celles relatives à la CMU, au RMI et à la SRU.

C'est en 1994 que M. Edouard Balladur, Premier Ministre, a pris la décision de faire de la lutte contre la pauvreté une grande cause nationale. Cinq associations se sont alors vues décerner ce label « grande cause nationale » ; des structures qui travaillaient, depuis presque dix ans, au sein de la commission « lutte contre la pauvreté », raison pour laquelle elles ont demandé au Premier Ministre, et obtenu de sa part, que l'ensemble de la commission de l'Uniopss soit récompensé.

A l'époque, le label « grande cause nationale » permettait de recueillir du gouvernement d'énormes moyens financiers pour mener des opérations de communication en direction du grand public. Ainsi, d'un seul coup, l'Uniopss s'est retrouvé dotée de ressources importantes pour communiquer sur le sujet de la lutte contre la pauvreté. Pour ce faire, elle s'est adjoint les services d'une agence de communication dont l'une des premières priorités a été de rebaptiser la commission afin de lui octroyer un nom plus évocateur pour le grand public. C'est ainsi que la commission « lutte contre la pauvreté » est devenue le collectif « Alerte », un nom encore utilisé, en particulier lorsque nous nous adressons aux médias ou au grand public.

Parmi les principales et différentes actions qu'« Alerte » a pu réaliser, notons le travail accompli autour de la loi d'orientation de lutte contre l'exclusion, un texte ayant connu une première version épurée en 1979 puis une version définitive en 1998. Il s'agit d'un des exemples les plus significatifs des nombreuses interventions que nous avons effectuées dans le domaine législatif.

En 2005, après 10 ans de fonctionnement, le bilan d' « Alerte » a été établi : un bilan positif. Il nous a permis, notamment, de prendre conscience qu'avec notre travail, nous avions suffisamment pesé sur la création des lois pour obtenir de bons textes législatifs dans le domaine de la lutte contre la pauvreté. Malgré tout, nous avons dû nous rendre à l'évidence que la pauvreté n'avait pas reculé. Nous nous sommes alors demandé comment il était possible d'avoir de bonnes lois, mais pas de réduction de la misère. Il nous était difficile de répondre à cette question. Nous avions parié sur l'utilité de l'Etat et de la loi pendant presque 20 ans. Or, malgré tous nos efforts, nous n'avions pas réussi à faire éclater le noyau dur de la pauvreté.

Nous nous sommes alors, bien entendu, remis en question et avons essayé de repérer les dysfonctionnements éventuels. L'un d'entre eux était que les associations se focalisaient trop sur le travail de réparation, intervenaient en aval de la formation de la pauvreté et pas assez sur ses causes.

Aujourd'hui, nous amorçons une réflexion pour envisager un travail en amont et donc lutter contre les causes de la pauvreté. Nous sommes persuadés qu'il s'agit du bon niveau pour intervenir. Mais que se trouve-t-il en amont ? Les causes de la pauvreté sont multiples. Elles représentent, par exemple, toutes les formes de ruptures familiales. Toutefois, nous en avons cerné une, majeure, dans le système économique : le chômage.

C'est pourquoi nous nous sommes tournés vers les partenaires sociaux, aussi bien les représentants des employeurs (MEDEF, CGPME, UPA, etc.) que ceux des salariés. Voilà maintenant presque quatre ans que nous réfléchissons avec eux à la manière de lutter contre l'exclusion !

Aujourd'hui, nous ne vous présenterons pas, malheureusement, de solutions. Mon introduction a pour seul but de vous conduire à percevoir l'état d'esprit dans lequel nous travaillons.

Avec votre permission, j'aborderai les quatre domaines clés qui structurent nos réflexions et nos actions : le RSA, le logement, l'emploi et la santé.

Tout d'abord, je tiens à signaler que nous partageons l'objectif général du Revenu de Solidarité Active, consistant à favoriser le travail et à rémunérer davantage les personnes qui exercent une activité professionnelle par rapport à celles qui n'en ont pas. Nous sommes favorables à ce principe.

En revanche, nous sommes extrêmement préoccupés par le risque d'une « dualisation des pauvres ». Aujourd'hui, il n'existe qu'un seul revenu minimal : le RMI. Mais nous voulons mettre en garde contre le danger de voir progressivement s'instaurer des revenus minimaux différenciés en direction des personnes, selon qu'elles travaillent ou non. Nous contestons l'idée - très forte dans l'opinion publique - selon laquelle une personne exerçant une activité serait plus méritante qu'une autre qui ne serait pas en mesure de le faire. Nous craignons qu'à terme, le revenu de base des personnes sans emploi finisse par ne plus être revalorisé.

Nos associations ont identifié deux raisons principales pour lesquelles les personnes sans emploi se retrouvent dans cette situation. Le manque de qualification en est une. Tous les rapports montrent qu'en France, la formation est très difficilement accessible pour les personnes situées en bas de l'échelle sociale, leur rendant d'autant plus difficile l'accès à l'emploi.

La seconde raison est d'ordre psychologique. Pour certaines personnes, la vie a tout simplement été trop dure et leur état de santé psychique les rend inaptes à travailler.

J'insiste sur le fait qu'il serait très grave de voir s'instaurer deux revenus minimum d'existence en raison d'un soi-disant mérite qui, en réalité, n'en est pas un. Nous remarquons pourtant que les bénéficiaires du RMI ont beaucoup perdu en pouvoir d'achat au cours des dernières années par rapport à ceux qui touchent le SMIC, ce dernier ayant fait l'objet, lui, de fortes hausses. Nous n'insinuons nullement que le revenu minimum doive être égal au SMIC, juste qu'il faudrait l'indexer sur une valeur indiscutable. Mais maintenant que le RMI est à la charge des Départements, l'Etat, par crainte de déplaire aux Conseils Généraux, hésite sans doute beaucoup à l'augmenter.

Notre souhait principal concernant le RSA réside dans la mise en place de l'indexation du RMI, de manière à ce que ces bénéficiaires ne perdent plus de pouvoir d'achat.

M. Arnaud VINSONNEAU - Je souhaite confirmer notre attachement à voir le montant du RMI être toujours fixé au niveau de l'Etat et non pas à l'échelle des territoires. Nous sommes très inquiets de voir qu'un public s'est beaucoup précarisé au cours des dernières années, celui des jeunes de moins de 25 ans. Pendant longtemps, l'Uniopss a soutenu l'idée de ne pas accorder le RMI à cette catégorie de population, afin de ne pas la placer dans une logique d'assistance. Mais, aujourd'hui, la déstructuration des milieux familiaux laisse bien souvent ces personnes sans solution. Que des jeunes puissent, à notre époque, se retrouver sans rien dans la rue est indigne pour un pays aussi riche que le nôtre.

La décision de ne pas accorder le RMI aux jeunes de moins de 25 ans pouvait sans doute se comprendre en 1988. Mais aujourd'hui, l'augmentation du nombre de jeunes en rupture avec leur cercle familial et laissés sans solution nous laisse penser qu'il est nécessaire de reconsidérer le dispositif pour les aider.

M. Bruno GROUÈS - Je vais maintenant aborder la question du logement. Je tiens à préciser, en préambule, que nous sommes extrêmement attachés à la loi Dalo. Les associations l'ont demandé pendant longtemps et ont beaucoup travaillé à son élaboration. Nous savons que le manque d'habitations rendra difficile son application. Mais la loi aussi représente un moyen de contraindre les pouvoirs publics à construire des logements.

Je passe la parole à Mme Jeanne Dietrich afin qu'elle développe notre position sur les commissions de médiations.

Mme Jeanne DIETRICH - Notre premier souci est de mettre en place les commissions de médiation dans les départements, lesquelles n'existent pas sur certains territoires d'après les associations.

Notre deuxième préoccupation consiste à doter ces commissions de médiation des moyens humains nécessaires à leur bon fonctionnement. Il faut s'assurer que les fonctionnaires spécialistes du logement siègent bien parmi elles.

Nous nous interrogeons, par ailleurs, sur les critères qui seront appliqués dans ces commissions de médiation. Face à la pénurie de logement, nous craignons qu'ils soient modifiés en fonction de l'offre de logements. Nous souhaiterions que le dispositif réponde aux besoins des personnes. Nous voulons être sûrs que les personnes prioritaires sont bien considérées comme telles.

M. Bruno GROUÈS - Concernant ces problèmes de logements, je souhaite insister sur le fait que les associations supportent de plus en plus difficilement ce que vivent les sans-abri et qu'elles sont en train de fortement se mobiliser à ce sujet.

Le 15 décembre dernier, les Enfants de Don Quichotte ont tenté d'installer des tentes sur les berges de Notre-Dame, avant d'être délogés par la police. Immédiatement après, le 18 décembre, le Premier Ministre M. François Fillon a reçu les associations s'occupant du logement et de l'hébergement des sans-abris - dont l'Uniopss qui les regroupe - pour définir une nouvelle politique en la matière, afin que plus personne ne soit contraint de vivre dans la rue. Cette volonté, comme vous le savez, correspond à un engagement du Président de la République.

Le Premier Ministre a confié, au Député M. Etienne Pinte, la mission d'établir des propositions dans ce domaine. Nous avons beaucoup travaillé avec lui, y compris pendant la période des fêtes, pour préparer ce rapport.

Le Premier Ministre a réuni les associations le 29 janvier dernier pour annoncer ses décisions. Il nous a témoigné de sa volonté de faire de la politique du logement et de l'hébergement un chantier national prioritaire du gouvernement pour la période 2008-2012. Nous nous sommes évidemment réjouis de cette annonce. Mais la présentation des mesures budgétaires, s'élevant à hauteur de 250 millions d'euros pour 2008, a mis un terme à notre satisfaction.

Je ne vous cache pas que la somme de 1,7 milliard d'euros demandée par les associations pour lutter contre la pauvreté est élevée. Il existe des associations très compétentes et sérieuses quand il s'agit de procéder à des évaluations et, selon elles, un investissement de 1,7 milliard d'euros la première année, suivi d'un effort continu pendant cinq ans, permettrait d'éradiquer totalement le problème des sans-abri en France et d'avoir une politique digne, permettant l'accès à un toit pour tous.

Comme vous le savez, les associations ont été très déçues de la réunion qu'elles ont eue avec le Premier Ministre et elles sont en train de préparer une mobilisation nationale, prévue le 21 février 2008. Je travaille à l'Uniopss depuis vingt ans je n'avais encore jamais connu de mouvement de ce type. Je ne peux pas vous dire les formes qu'il prendra. Mais j'observe que les associations sont très déterminées à agir. Nous ne supportons plus que des personnes souffrent et meurent dans la rue alors que nous vivons dans un monde de surabondance. Cette situation est intolérable et il faut tout faire pour qu'elle n'existe plus.

S'agissant de l'habitat, nous sommes en faveur d'une répartition plus équitable des logements sociaux sur l'ensemble du territoire français. Il nous apparaît anormal que des communes concentrent le logement social alors que d'autres en abritent peu. C'est pourquoi nous sommes très attachés au quota fixé par la loi SRU, imposant aux communes d'avoir au moins 20 % de logements sociaux sur leur territoire, de manière à permettre la mixité sociale.

Toutefois, nous proposons également que chaque nouveau programme immobilier de plus de 10 logements intègre un quota de 20 % minimum de logements à loyers accessibles. Cette mesure serait obligatoire pour toutes les communes, à l'exception de celles ayant déjà plus de 40 % de logements sociaux sur leur territoire. Il n'y a que de cette façon que nous pourrons atteindre une mixité sociale dans l'ensemble du pays.

Pour conclure sur le sujet du logement, je souhaite rappeler les quatre principes fondamentaux qui structurent notre action :

- Personne ne doit subir la contrainte de vivre dans la rue.

- L'Etat doit être garant de l'accès et du maintien dans un logement décent.

- Le logement doit rester la finalité de tous les dispositifs d'hébergement.

- L'accompagnement social doit être systématiquement proposé aux personnes concernées.

Sur la base de ces principes, il nous apparaît que quatre conditions et treize engagements sont nécessaires pour résoudre le problème du logement en France. Nous demandons au Premier Ministre que chacun de ces engagements soit tenu.

Je souhaite développer maintenant le troisième point de mon intervention, touchant aux conséquences de l'absence d'emploi. Vous avez sans doute lu dans la presse qu'après 14 mois de collaboration, « Alerte » et les partenaires sociaux se sont mis d'accord sur l'adoption d'un texte commun, rendu public le 13 décembre dernier, sur l'accès des personnes en situation de précarité à un emploi permettant de vivre dignement. Nous avons effectué des travaux pour déterminer comment il est possible à des personnes défavorisées d'accéder à un poste qui ne soit pas un emploi de travailleur pauvre. Je tiens à souligner deux évidences : l'accès à un emploi est crucial, mais il est essentiel également que cet emploi soit de qualité.

Je ne vous résumerai pas le document de neuf pages sur lequel le Medef, la CGPME, la FNSEA, l'UPA, la CGT, la CFDT, la CFTC, l'UNSA et les 38 associations membres d'« Alerte » ont signé. Cet engagement commun montre combien la société est enfin devenue mûre pour réfléchir aux conditions à mettre en oeuvre pour améliorer l'accès à l'emploi, indépendamment des considérations politiques et des intérêts particuliers des uns et des autres. Il serait un peu long de vous lire l'ensemble de nos recommandations. Mais sachez que nous avons établi plusieurs constats communs.

Je me contenterai de mentionner néanmoins une de ces propositions : la reconnaissance par les entreprises de leur responsabilité sociétale. J'ai choisi de citer cette préconisation, car la question est d'actualité et fait débat. Malgré nos différences, nous sommes parvenus à échanger sur le sujet et, dans ce texte commun, les signataires témoignent de leur souhait d'augmenter la responsabilité sociétale des entreprises.

Dans ce document, nous mettons l'accent également sur l'importance de l'échec scolaire et donc la nécessité d'améliorer la formation et de lutter contre l'illettrisme. Les partenaires sociaux aimeraient sincèrement que ce combat devienne une priorité, l'illettrisme représentant un frein à l'insertion. Ce fléau touche plus de 10 % de la population française, un taux considérable. Il est d'autant plus difficile à repérer que les populations concernées le cache.

Vous serez en mesure de consulter ultérieurement les détails du texte élaboré en commun par « Alerte » et les partenaires sociaux. Toutefois, sachez que nous avons décidé de poursuivre nos travaux au cours de la prochaine année en les axant sur deux thèmes principaux :

- La manière de lutter contre la pauvreté. Ce sujet peut sembler très général. Mais il est nouveau que des patrons et des syndicats de salariés en discutent ensemble. Jusqu'à récemment, ce genre de débat était rare.

- L'identification des moyens à mettre en place pour permettre la participation des personnes défavorisées aux décisions qui les concernent. L'un des grands problèmes est que nous décidons pour les pauvres. Il suffit de nous observer aujourd'hui dans cette pièce pour le comprendre. Nous sommes réunis ici pour parler de la pauvreté, mais aucun d'entre nous n'est pauvre. Nous devons parvenir à modifier ce schéma. Ce défi s'impose aussi à l'Uniopss, aucun pauvre ne faisant partie des conseils d'administration d'associations. De la même façon, nous pouvons nous demander quelle place ils ont dans les syndicats.

Je laisse maintenant la parole à Mme Jeanne Dietrich qui va parler des contrats aidés et du contrat unique d'insertion.

Mme Jeanne DIETRICH - Merci. La plupart des associations avec qui nous travaillons nous ont fait part de leur très vive inquiétude concernant la réduction du volume des contrats aidés. L'argument principal pour justifier cette baisse tient à l'embellie économique. Or, les associations évoluant dans le domaine de la lutte contre l'exclusion savent pertinemment que les embellies économiques ne profitent pas au public cible des contrats aidés.

M. Arnaud VINSONNEAU - Je me permets d'ajouter que nous sommes confrontés à des politiques de l'emploi très instable, avec un développement du nombre de contrats aidés pendant une période, suivi d'une baisse dans une autre période. Or, pour les associations qui mettent en oeuvre des projets dans la durée, il est très difficile d'avoir à faire à une chute drastique du nombre de contrats aidés.

Avant les dernières élections présidentielles, il avait été question d'accroître le nombre de contrats aidés. Pourtant, quelques mois plus tard, nous avons constaté une baisse de ce nombre. Ce genre de scénario se produit quel que soit le gouvernement. Je ne tiens pas ici à lancer un débat politique sur le sujet. Par contre, je souhaite dénoncer ces mouvements alternatifs d'augmentation et de baisse du nombre de contrats aidés, lesquels pénalisent les associations qui s'engagent sur la durée aux côtés des publics en situation de précarité. Il est nécessaire de parvenir à mettre un terme à ce phénomène, très destructeur localement.

Mme Jeanne DIETRICH - Par ailleurs, il nous semble assez paradoxal d'afficher la volonté de mettre les personnes au travail tout en réduisant le nombre de contrats aidés, pourtant essentiels pour donner une activité aux gens.

Je citerai un autre exemple afin d'étayer mon propos. Il a été question de sanctuariser le volume des contrats aidés dans le secteur de l'Insertion par l'Activité Economique (IAE). Or, nous représentons des associations qui n'appartiennent pas toutes au secteur de l'IAE, mais n'en mènent pas moins des actions efficaces en matière d'insertion par le biais des contrats aidés ; ces derniers leur étant nécessaires pour poursuivre leur mission.

S'agissant du contrat unique, nous n'avons pas encore pris une position tranchée sur le sujet, même si certaines volontés se dégagent clairement de nos réflexions. Nous souhaitons notamment :

- un contrat de droit commun et incluant tous les droits connexes qui y sont liés ;

- un contrat le plus simple possible ;

- un contrat permettant de moduler les durées hebdomadaires de travail (avec des durées basses, de 2 à 10 heures, jusqu'à 35 heures) ;

- un contrat adaptable dans sa durée et non figé à 24 mois maximum comme aujourd'hui.

M. Bruno GROUÈS - Pour résumer, nous privilégions un contrat unique, simple mais suffisamment souple pour s'adapter aux besoins de chacun.

Je vais maintenant aborder notre dernier point, relatif à ce qui touche à la santé. La création de la Couverture Maladie Universelle a représenté une grande avancée, même si toutes les personnes qui bénéficient de l'Allocation Adultes Handicapés (AAH) et du minimum vieillesse ne peuvent pas en profiter. Or ce public n'est pas marginal. Il constitue plus d'un million de personnes.

De la même façon, il existe aujourd'hui des personnes en dessous du seuil de pauvreté mais qui ne bénéficient pas de la CMUC. C'est pourquoi nous demandons que le seuil de la CMUC soit porté au niveau du seuil de la pauvreté. Il nous paraît normal que toutes les personnes en situation de pauvreté puissent accéder à des soins gratuitement et donc être en mesure de se faire soigner.

Une grosse incompréhension entoure l'AME (Aide Médicale Etat). Son coût a été, en effet, dès le départ, sous-estimé en termes budgétaires. J'ignore si cette sous-évaluation a été volontaire ou non. Toujours est-il que, par la suite, les gouvernements se sont inquiétés de l'explosion de la dépense d'AME, laquelle n'est pas due à une augmentation importante des personnes en situation irrégulière, mais bien à une mauvaise estimation budgétaire des besoins.

Les associations, présentes sur le terrain, ont, par ailleurs, témoigné de la grande difficulté qui subsiste pour accéder à l'AME. Elles constatent que peu de personnes utilisent cette aide, en raison, en grande partie, de l'obligation d'avoir une domiciliation. Médecins du Monde, par exemple, connaît très bien ce sujet. Les associations souhaitent donc que l'AME soit fondue dans la CMU, de manière à ce qu'il n'y ait plus de distinction entre les catégories de populations et que la CMUC soit étendue à l'ensemble des personnes situées en dessous du seuil de pauvreté.

Je soulignerai enfin la grande utilité des Permanences d'Accès aux Soins de Santé (PASS) dans les hôpitaux, du moins quand elles fonctionnent. Car si certaines PASS correspondent bien aux instructions ministérielles et à la définition normalement prévue qui est la leur, d'autres existent davantage sur le papier que dans la réalité. Or nous avons besoin de développer ces PASS, très utiles pour les personnes en situation de pauvreté.

Mme Brigitte BOUT, Présidente - Merci beaucoup pour vos explications. J'avais des questions à vous poser. Mais vous y avez déjà répondu. Je passe la parole à M. Adrien Giraud.

M. Adrien GIRAUD - Merci Madame. Mes chers collègues, j'ai écouté avec beaucoup d'attention ce qui a été évoqué. Il subsiste néanmoins une grande interrogation : les médecins peuvent-ils soigner un malade sans connaître le diagnostic de sa maladie ? Il me semble que la réponse est négative. Vous avez parlé de pauvreté. Mais quelle est-elle réellement ? J'aimerais que vous m'expliquiez clairement ce que représente la pauvreté.

J'ai l'impression que nous créons nous-mêmes la pauvreté. J'entends que toutes ces aides distribuées ne suffisent plus, qu'il existe plusieurs centaines d'associations, pas assez de logements, etc. Or combien de logements ne sont pas occupés dans les parcs HLM en raison de non paiements de loyers ?

Les offices HLM ne veulent plus mettre de logements à disposition car les loyers ne sont pas payés. Ils préfèrent les fermer plutôt que de les donner aux pauvres. Nous pouvons construire davantage de logements sociaux, mais les nouvelles habitations seront retirées aux pauvres car ceux-ci ne seront pas en mesure de régler leurs loyers. N'est-il pas nécessaire, par conséquent, d'agir sur les véritables causes de la pauvreté ?

Ici, des gens touchent le minimum vieillesse, le RSA ou le RMI, et sont, malgré tout, perçus comme pauvres. Chez moi, à l'île de Mayotte, des personnes vivent avec deux euros par jour. Sont-elles considérées comme pauvres ? Elles sont, pourtant, autant françaises que les individus vivant dans l'hexagone.

Vous sollicitez des contrats de droit commun. Or les contrats qui s'appliquent aujourd'hui sont de droit français. Le droit commun correspond au droit en vigueur dans la rue.

Vous avez mentionné le fait que les riches décident pour les pauvres alors que ceux-ci aimeraient le faire pour eux-mêmes. Dans l'hexagone, et contrairement à ce qui se passe à Mayotte où les habitants déterminent leur avenir, ce sont les universitaires ou le corps administratif qui choisissent à la place des pauvres. J'insiste donc pour que les causes de la pauvreté soient recherchées.

Enfin, vous avez abordé les systèmes de soins réservés aux personnes pauvres, notamment l'aide médicale de l'Etat. Dans l'île de Mayotte, le mécanisme est le suivant : un malade doit se rendre à la pharmacie centrale de l'hôpital où lui est donné, non pas une boîte, mais le nombre exact de comprimés dont il a besoin. Voilà une aide médicale qui ne pèse pas sur les comptes de la Sécurité Sociale.

Pour conclure, malgré les vingt années d'existence de l'Uniopss, la pauvreté n'est toujours pas jugulée. Aussi que devons-nous en penser ?

Mme Brigitte BOUT, Présidente - Je vous remercie pour votre intervention. J'invite chacun à poser ses questions. Je passe donc la parole à Mme Isabelle Debré.

Mme Isabelle DEBRÉ - J'aimerais vous poser beaucoup de questions. Mais puisque le temps nous manque, je me contenterai de vous en soumettre une seule, choisie au hasard. Votre souhait est d'imposer la présence de 20 % de logements sociaux dans tous les programmes de construction de plus de 10 logements. Or je ne vois pas comment un tel projet peut se mettre en oeuvre.

Par ailleurs, plutôt que de toujours parler de construction, il serait bien d'évoquer les logements déjà bâtis. Aujourd'hui, des centaines de logements privés sont dépourvues de locataires. Au regard de cette situation, il conviendrait peut-être de se demander si les locataires n'ont pas été trop protégés jusqu'à présent, au détriment des propriétaires, conduisant ces derniers à ne plus vouloir louer, par peur de ne pas être payés ou de voir leurs biens dégradés.

Une réflexion est menée en ce moment même par la Ministre du logement, Mme Christine Boutin, sur la garantie contre les impayés de loyer. Cette garantie existe déjà dans le cadre du FLS que je préside. J'en parle d'autant plus facilement que, dans ma commune, il y a bien plus de 20 % de logements sociaux.

Une autre réflexion traverse le gouvernement et certains parlementaires, concernant l'assurance obligatoire ou volontaire. C'est sur cette base qu'il faut réfléchir. J'en parle en connaissance de cause. Dans ma commune, il n'est, en effet, plus possible de construire en l'absence de réserves foncières.

Il faut arrêter de se focaliser sur le manque de constructions pour chercher à optimiser l'offre par rapport à la demande de logements, cet optimum étant loin d'être atteint dans la région parisienne. Mon collègue M. Alain Gournac partagera sans doute mon avis. Pour les Franciliens de petite couronne, il est de plus en plus difficile de construire.

Mme Brigitte BOUT, Présidente - Merci. Je passe la parole à M. Alain Gournac.

M. Alain GOURNAC - Je vous remercie. Je souhaiterais que nous puissions parler de la vraie pauvreté. Je suis d'accord pour que nous luttions contre elle. Mais il faut cesser de vouloir donner des ressources à ceux qui ne se trouvent pas dans une situation de vraie pauvreté.

Je suis maire du Pecq, une ville où je connais une famille qui reçoit des aides depuis toujours, notamment pour la halte garderie. Je me suis rendu à son domicile, riche de deux téléviseurs à écran plat, de trois téléphones portables et d'une voiture, non mentionnée dans son dossier au CCAS. Or il s'agit de personnes que la Ville fait vivre. C'est pourquoi je tiens tant à ce que nos aides soient réservées pour combattre la vraie pauvreté. Il faut absolument cesser de soutenir ceux qui tentent de nous mentir et de profiter du système. Sinon, nous ne parviendrons jamais à améliorer la situation.

S'agissant de l'illettrisme, celui-ci pose de réelles difficultés à ceux qui en souffrent dans les gestes de la vie quotidienne. Vous avez indiqué qu'il frappe 10 % des Français, un taux encore plus élevé si nous tenons compte de toutes les personnes qui savent mal lire et mal écrire. Il est impératif d'agir dans ce domaine.

Enfin je souhaite mettre en avant le cas d'une femme d'ambassadeur qui s'est rendu à la clinique Hartmann de Neuilly-sur Seine pour passer un scanner. Cette personne n'a pas eu à payer cet acte médical car son argent se trouve à l'étranger. Comment la France peut-elle accepter pareille situation ? J'en ai honte.

Je souhaite donc que nous battions pour vaincre la vraie pauvreté.

Loin de moi l'idée de vouloir nier la présence de personnes pauvres sur le territoire. Mais je ne supporte pas que des gens abusent du système en place sans produire le moindre effort.

Pour en revenir à la famille citée ci-avant, nous avons proposé à plusieurs reprises, au père et mari, d'effectuer des travaux de jardinage. Or il a toujours refusé tout emploi, prétextant des problèmes de santé. Je le clame de façon forte. II faut absolument que cette commission se mobilise pour lutter contre cette pauvreté voulue et scandaleuse.

M. Jean-François HUMBERT - Je vous ai écouté avec grande attention, comme à chaque fois que nous assistons aux travaux de ces missions d'information. Un point en particulier a retenu mon esprit. J'espère ne pas me tromper. Mais j'ai cru comprendre qu'après 20 ans de collaboration, vous et vos associations ont constaté que les résultats en matière de lutte contre la pauvreté ne sont pas très probants. Vous nous avez fait part de votre souhait de réorienter vos actions, de redéfinir les pistes et les méthodes pour permettre aux personnes dans le besoin, grâce à vos efforts communs, de sortir de la pauvreté. J'entends bien ce que vous dites. Mais encore faut-il que nous puissions, les hommes politiques et les associations, nous mettre d'accord sur un cadre rénové pour agir.

L'objet des missions d'information est de voir comment il est possible de faire évoluer la législation existante pour tenter d'apporter des solutions aux problèmes actuels et ne pas se retrouver encore, dans 20 ans, face à ce constat - pardonnez-moi l'expression - cruel. Il n'existe pas de formule miracle et il n'y a pas besoin de tout confier aux mêmes, au détriment des autres.

Nous savons que beaucoup de personnes travaillent, aussi bien du côté des hommes politiques que des associations. Mais il faut bien admettre que la pauvreté continue à augmenter. La question consistant à savoir comment il est possible de réduire la pauvreté. Or vos réponses, à travers ces auditions et ces rencontres, ne se sont pas accompagnées de solution pour remédier à ce problème. J'aimerais avoir votre sentiment sur le sujet.

Mme Brigitte BOUT, Présidente - Merci beaucoup. Je passe la parole à Mme Annie Jarraud-Vergnolle.

Annie Jarraud-VERGNOLLE - Je connais bien l'Uniopss. J'ai eu beaucoup de contacts avec votre organisation, ayant travaillé pendant longtemps dans le secteur médico-social. J'ai notamment dirigé des structures d'insertion par l'activité économique. Au regard de mon expérience, je me permets d'exprimer aujourd'hui toute l'admiration que je porte à votre travail.

Les thèmes que vous avez mis en avant soulèvent en moi plusieurs questions et j'aimerais les partager avec l'ensemble des collègues de cette commission.

J'aborderai tout d'abord ce qui relève de la prévention des jeunes en difficulté. Au fil des années, plusieurs mesures ont été mises en place : la circulaire 44 de 1979 qui a abouti à la création des CAVA, le programme PAC en 1992, le programme Trace en 1998, les stages de dynamisation pour les jeunes sans qualification, etc. Toutes ces mesures, même si elles se sont avérées ponctuelles, ont permis à des jeunes très éloignés de l'emploi ou en proie à de graves problèmes cognitifs de pouvoir être accompagnés dans le cadre d'une démarche d'insertion. Or, l'ensemble de ces dispositifs n'existe plus.

J'aimerais ensuite parler de la notion de temps. Dans l'ensemble de ces systèmes, notamment le dispositif de l'IAE (entreprises d'insertion, chantiers d'insertion), la notion de temps a une valeur importante. Or, celle-ci, très souvent, n'est pas respectée en raison de la durée du mandat politique. Les résultats se doivent d'être toujours plus concrets et rapides. Or les gens en difficulté ne sombrent pas dans les problèmes du jour au lendemain, mais tout au long de leur vie quotidienne. Permettre à ces gens de remonter la pente nécessite d'effectuer un travail en profondeur, dans une durée plus longue que celle d'un mandat politique.

Ma troisième remarque porte sur la notion de coût évité. En 1992, M. Claude Alphandéry avait remis au Premier Ministre un rapport sur le secteur de l'insertion par l'activité économique. Il avait mesuré, à travers ce document, le coût évité, par l'investissement gouvernemental, dans le cadre des politiques d'insertion pour les publics en difficulté. Il serait important d'établir des passerelles entre ce secteur et le secteur médico-social, notamment concernant les services de prévention spécialisée comme la FNORS ou le CHRS.

De la même façon, il serait sans doute nécessaire que le travail de lutte contre l'exclusion ne s'établisse plus par rapport à des politiques sectorielles et limitées dans le temps, de manière à ce que ce secteur créatif et inventif puisse trouver sa place, au même titre que le champ médico-social. Car aujourd'hui le secteur de la lutte contre l'exclusion est aussi précaire que les personnes dont il s'occupe.

Mme Brigitte BOUT, Présidente - Merci beaucoup pour toutes ces questions. M. Bruno Grouès, je vous remercier de prendre le temps nécessaire de répondre à chacune d'entre elles.

M. Bruno GROUÈS - Nous sommes conscients d'avoir à réfléchir sur les causes de la pauvreté, en lien avec tous les représentants de la société (associations, partenaires sociaux, hommes politiques). Il est invraisemblable que nous ne parvenions pas à provoquer une baisse du nombre de pauvres, la France étant un pays très riche.

Monsieur le Sénateur, je suis désolé de vous dire que nous ne savons pas encore comment il est possible d'éradiquer la pauvreté aujourd'hui en France. Voilà presque 20 ans que nous nous penchons sur le sujet, en collaboration avec 40 associations nationales spécialistes de la matière. Je ne peux que souligner le caractère multiforme de la pauvreté. Ses causes sont multiples, rendant notre travail d'autant plus difficile. Mais, comme je vous l'ai indiqué, nous avons à coeur de mener notre mission pour améliorer la situation.

Mme Brigitte BOUT, Présidente - Nous luttons tous, chacun dans notre secteur, contre cette pauvreté depuis 20 ans. Pour prolonger la question de M. Giraud qui a demandé si nous ne fabriquons pas les pauvres, j'aimerais savoir si la typologie des pauvres évolue ou si elle demeure constante.

M. Bruno GROUÈS - Vous soulevez là un des problèmes essentiels qui ralentit notre travail. La pauvreté, en effet, évolue et change de forme. Au cours des dernières années, il s'est produit, par exemple, une recrudescence de la pauvreté chez les personnes seules, les mères isolées suite à des ruptures conjugales, les jeunes de moins de 25 ans ou encore les travailleurs à temps très partiel. Il est important de savoir que le taux de rotation des érémistes est très élevé. Il y a donc des entrées et des sorties dans la pauvreté. Mais un noyau dur de pauvres subsiste.

Enfin, il faut bien reconnaître que le phénomène des banlieues constitue un drame national, une véritable catastrophe dont il est difficile de mesurer l'ampleur.

Concernant le logement, je partage le discours de Mme Isabelle Debré et souligne l'importance de bénéficier d'une garantie sur les risques locatifs. Nous soutenons cette mesure, très profitable, depuis longtemps et sommes, d'ailleurs, très vigilants pour que le système, conçu actuellement par la Ministre du logement, réponde à nos aspirations. A ce stade, il mérite encore des améliorations.

Nous considérons la garantie contre les risques locatifs comme une voie royale pour aller dans le bon sens. Vous avez eu raison de dire que de nombreux propriétaires ne veulent plus louer par peur de ne pas être payés ou de voir leurs logements dégradés. Ils accepteront beaucoup plus volontiers de mettre leurs logements à disposition si une garantie leur est apportée, laquelle permettra, par ailleurs, aux locataires de ne pas avoir à apporter plusieurs cautions pour accéder à un logement. Comme vous le savez, ce sujet revient souvent dans l'actualité. L'accès au logement en France est extrêmement difficile.

Malgré tout, la mise en place de cette formule n'empêchera pas la nécessité de devoir construire. Je suis conscient que nous construisons déjà beaucoup en France. 500 000 nouveaux logements y ont vu le jour en 2007. Mais un problème se pose : la part de logements sociaux accessibles aux personnes modestes est bien trop faible. C'est la raison pour laquelle autant de gens ne réussissent pas encore à se loger et que le nombre de sans-abri reste élevé.

Mme Isabelle DEBRÉ - Je me permets d'insister sur la première partie de ma question. Pourriez-vous m'expliquer comment vous comptez réussir à imposer 20 % de logements sociaux dans tout programme de construction de plus de 10 logements ?

M. Bruno GROUÈS - Je ne suis pas un spécialiste du logement. Mais les experts ayant travaillé sur le sujet vous diront qu'il est possible d'imposer ce quota dans les communes dont le nombre d'habitants dépasse un certain seuil. Cette solution est la seule qui permettra d'atteindre une mixité sociale sur l'ensemble du territoire. M. Etienne Pinte, un très bon connaisseur du logement, nous a confirmé cette hypothèse. Il a néanmoins précisé que, les programmes immobiliers comportant en moyenne 30 habitations, il lui paraît insuffisant d'appliquer la mesure aux constructions de plus de 10 logements.

Nous pouvons faire preuve de flexibilité et partir sur une base, non pas de 10, mais de 20 logements. Toutefois, si nous mettons la barre trop haut, il n'y aura pas de logements sociaux. Le principe qui nous tient à coeur est de faire en sorte que tout programme de construction contienne un pourcentage de logements sociaux.

Mme Isabelle DEBRÉ - Est-il nécessaire d'adopter une loi pour cela ?

M. Bruno GROUÈS - Absolument. Ce dispositif devrait passer par la loi.

M. Arnaud VINSONNEAU - Le Préfet aurait un pouvoir de substitution au cas où un Maire ne respecterait pas la loi.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Un débat a eu lieu sur le sujet dans le cadre de la loi Dalo. Un amendement proposé par M. Nicolas About ressemblait beaucoup à votre proposition. Mais il n'a pas été voté. Plusieurs grands débats ont tourné autour de cette disposition, notamment sur le caractère opératoire, juridique et technique d'un tel dispositif.

Pour être sûr que nous nous comprenions bien, j'aimerais que vous précisiez si cette obligation de construire s'appliquerait à toute les communes ou uniquement à celles qui n'ont pas déjà atteint le seuil des 20 % de logements sociaux.

M. Bruno GROUÈS - La proposition émise par les associations concerne l'ensemble du territoire, hormis les communes ayant au moins 40 % de logements sociaux sur leurs territoires. Nous savons très bien qu'il sera difficile de la faire adopter. Mais il s'agit du seul moyen de disséminer le logement social et d'éviter de reproduire les quartiers catastrophiques que nous connaissons tous.

Je préfère ne pas en dire plus, car je ne suis pas un spécialiste du logement et touche vite à mes limites en la matière.

Nous partageons, bien sûr, le refus de M. le Sénateur Paul Blanc de cautionner les fraudes et les abus. Ces situations sont inacceptables et nos associations ne les soutiendront jamais. Néanmoins, je tiens à préciser que de nombreuses études sur le sujet ont révélé que les fraudeurs ne constituent qu'un très faible pourcentage des personnes recevant des allocations. Nous ne nions pas leur existence. Nous notons juste que leur proportion est très faible.

A propos de la prévention des jeunes en difficultés, je me joins aux appréciations de Mme Annie Jarraud-Vergnolle au sujet des CAVA. Ceux-ci étaient très utiles et je ne comprends pas pourquoi ils ont été supprimés. Sans doute coûtaient-ils trop cher ? Leur disparition est très dommageable. Ils répondaient extrêmement bien aux problèmes rencontrés.

Le programme TRACE a très bien fonctionné également. Mais il a, malheureusement, été supprimé lors d'un changement de majorité politique. Ce dispositif permettait un travail d'accompagnement, l'une des clés de la réussite et de la prévention en direction des jeunes en difficulté. Cet exemple met d'ailleurs, de nouveau, en évidence, les soucis causés par les alternances politiques. Il arrive souvent que des mesures soient remplacées par d'autres, alors que les premières étaient parfaitement adaptées et efficaces. Ce problème renvoie à la notion de temps sur laquelle vous avez insisté tout à l'heure.

Je termine mon propos en répondant à M. Jean-François Humbert. Monsieur le Sénateur, vous avez parfaitement raison de dire que le constat est cruel. Les pauvres sont encore là. Nous avons échoué collectivement dans notre mission de réduire la pauvreté. Je me félicite de la tenue de cette commission. Mais je n'ai malheureusement pas de solution miracle à vous proposer. Je partage votre appel à établir un cadre rénové nous offrant la possibilité d'agir ensemble.

En conclusion, je vous invite à consulter les documents que nous avons réalisés.

M. Jean-François HUMBERT - Je me permets de réagir à cette dernière remarque puisqu'elle me concerne. Il existe la possibilité d'innover au niveau des collectivités territoriales. N'attendons pas toujours de l'Etat, de la haute Fonction Publique ou des associations les solutions aux problèmes posés !

J'ai, par exemple, à la tête d'une collectivité régionale, contribué à la création de 10 000 emplois marchands en six ans. Nous sommes parvenus à placer en entreprises des personnes jusqu'alors au RMI ou au chômage. Parmi ces 10 000 emplois créés, 8 500 sont toujours d'actualité.

Des solutions existent donc. Mais il faut cesser d'en chercher une uniforme et faire confiance à l'initiative locale ou territoriale dans un cadre général. Il ne s'agit évidemment pas d'opérer illégalement mais de considérer qu'il est plus simple, pour un demandeur d'emploi, de remplir un papier de 1 page plutôt qu'un dossier de 10 pages. Ces mesures très simples ont peut-être une dimension provinciale. Mais il y a encore un peu de bon sens en province.

M. Arnaud VINSONNEAU - Je suis provincial et me retrouve dans vos propos. Nous sommes tout à fait favorables à l'initiative locale, comme notre histoire le démontre amplement. Notre seul souci est d'avoir un minimum de droit garanti au niveau national, de manière à laisser des marges de manoeuvres aux acteurs locaux.

J'insiste sur le sujet car, concernant le RMI, la tendance est de confier à chaque collectivité le soin d'en déterminer le montant. Cette solution n'est pas acceptable. Nous ne sommes pas jacobins et pensons même qu'une collectivité locale peut décider de verser plus que le montant national. Mais il est nécessaire qu'un socle de droit soit garanti à l'échelon national. Laissons des marges de manoeuvres aux acteurs de terrain dans un cadre garantissant à l'ensemble des concitoyens de jouir d'un minimum de droits.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Je me permets de vous poser une dernière question. Les 250 millions d'euros annoncés par le Premier Ministre s'ajoutent-ils aux crédits prévus par la loi de finance de 2008 pour l'hébergement ?

M. Bruno GROUÈS - Oui. Cette somme s'ajoute à celle programmée par la loi.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Nous parvenons donc à un total de 1,25 milliard d'euros. Les 1,7 milliard d'euros que vous demandiez correspondent-ils aussi à une somme supplémentaire par rapport aux crédits prévus ?

M. Bruno GROUÈS - Oui, tout a fait.

Mme Brigitte BOUT, Présidente - Nous vous remercions de vos réponses et de cette analyse de la situation de la pauvreté en France. Vos propos ne sont malheureusement pas très optimistes. Mais nous allons essayer, tous ensemble, d'y voir plus clair. Merci beaucoup.

Audition de M. Patrick DUGOIS, délégué général d'Emmaüs France - (5 février 2008)

Mme Brigitte BOUT, Présidente - Nous accueillons maintenant M. Patrick Dugois, délégué général d'Emmaüs France. Nous nous excusons de vous accueillir avec du retard. Mais le sujet suscite la passion.

M. Patrick DUGOIS - Je souhaite commencer mon intervention en vous présentant le mouvement Emmaüs de manière synthétique. Je vous donnerai des documents en fin de séance. Ils vous permettront d'en savoir encore plus sur notre organisation.

Pour la plupart des gens, Emmaüs est associé à deux choses : les communautés et l'Abbé Pierre dont nous avons fêté l'anniversaire de la mort il y a quelques jours.

L'origine de notre organisation renvoie à quatre dates-clés :

- 1949 : l'Abbé Pierre, alors parlementaire, met en place une structure à Neuilly-Plaisance, dont le modèle s'apparente à celui d'une auberge de jeunesse. Cette structure deviendra notre toute première communauté.

- 1954 : la France assiste au fameux appel de l'Abbé Pierre et la révolte qui s'en est suivie pour demander davantage de logements.

- 1963 : Emmaüs International est constitué après que l'Abbé manque de mourir dans un naufrage en Amérique du Sud.

- 1985 : Emmaüs France est créé.

Emmaüs International contrôle l'ensemble du mouvement et représente 400 groupes dispersés dans des régions d'Europe, d'Afrique, d'Asie et d'Amériques. 250 d'entre eux sont localisés sur le territoire français, considéré comme étant le lieu historique du mouvement, celui où il existe le plus grand nombre de groupes. Emmaüs France est constitué de 15 000 personnes environ : 4 000 compagnons accueillis dans les communautés, 3 500 salariés et 8 000 bénévoles.

Le mouvement n'est pas structuré sur le modèle d'une ONG traditionnelle. Il s'est construit, en effet, à partir du terrain avant de se réorganiser à travers le temps. Il comprend trois branches principales :

- La branche « communautaire ». Elle regroupe 119 communautés qui accueillent 4 000 compagnons et 80 salariés (accompagnants sociaux, chauffeurs, cuisiniers, etc.). Cette branche vit essentiellement en « ramassant » des objets, activité qui offre la possibilité aux particuliers de donner des meubles ou toutes sortes de fournitures à la communauté à travers les « brics ».

Cette activité permet de proposer des occupations, dont certaines n'exigent que très peu de qualifications, de la part des compagnons. Elle permet aussi aux « bobos » - j'insiste sur les guillemets - d'acheter des objets insolites et à nombre d'autres personnes de s'équiper à peu de frais.

- La branche « logement et action sociale ». Elle comprend une cinquantaine de groupes que nous appelons les « SOS famille ». Ceux-ci sont répartis dans les départements et accueillent des familles qu'ils aident à surmonter leurs difficultés en leur apportant un accompagnement dans la gestion de leur budget. Les « SOS famille » fonctionnent sur la base d'un système de prêts remboursables. En 2007, elles ont traité la situation de 1 500 familles. Leur travail s'effectue en interaction avec les assistantes sociales des CCAS, des services sociaux des Départements ou encore d'autres associations.

Plusieurs organisations importantes que vous connaissez bien font partie de cette branche. Il s'agit tout d'abord de la Fondation Abbé Pierre, spécialisée dans le logement et le mal logement, et à l'origine du rapport présenté le 1er février dernier, lequel analyse la situation du logement aujourd'hui.

Une autre association constituant cette branche est Emmaüs Paris, premier organisme de logement pour les personnes en très grande difficulté à Paris. Elle comprend des CHRS, des CHU et des accueils de jour.

Enfin, depuis plus de 50 ans, cette branche englobe Emmaüs Habitat, une société d'HLM en charge de gérer 13 000 logements.

- La troisième branche, plus récente, date des années 80 et se compose de 63 groupes représentant 3 000 salariés. Elle a accompagné la mise en place et le développement du mouvement de l'insertion par l'activité économique par le biais de plusieurs entreprises dont la plus importante s'appelle « Le Relais » et emploie 1 000 salariés. L'ensemble formé par les communautés d'Emmaüs et Le Relais constitue le premier acteur français en matière de retraitement des vêtements et des tissus (67 % du recyclage du textile en France). Le réseau Emmaüs est aussi l'un des premiers collecteurs dans le domaine des déchets électroménagers, via un éco-organisme alimenté par un système de taxe.

Par rapport à ces trois branches, Emmaüs France fait office de holding, même si ce terme n'est pas exact d'un point de vue capitalistique. Il assure la cohérence de l'ensemble en les amenant à travailler sur des problématiques communes.

Au-delà des activités de ces branches, le mouvement Emmaüs se caractérise surtout par ses valeurs. Nous respectons beaucoup le travail effectué dans d'autres réseaux comme ATD, Secours Populaire et Secours Catholique. Mais Emmaüs présente quelques particularités, présentes nulle part ailleurs.

La première d'entre elles concerne l'accueil inconditionnel. Lorsqu'une personne se présente dans une communauté, elle est reçue pour une journée comme pour la vie. Aucune condition de durée n'est imposée. Pareil accueil n'existe pas dans d'autres dispositifs d'insertion. De même, toute personne accueillie n'a pas à nous présenter ses papiers d'identité et n'est pas non plus questionnée sur les évènements de sa vie passée.

Pour autant, nous ne nous soustrayons pas aux lois de la République. Nous collaborons avec les autorités si une commission rogatoire impose qu'une personne ayant commis un délit soit présentée à la justice. De la même façon, lorsque la police ou la gendarmerie nous sollicite pour des recherches, nous lui procurons les informations dont nous disposons. Pour le reste, l'accueil est inconditionnel. Il s'agit d'une des très grandes forces du mouvement, laquelle n'est pas sans poser des difficultés et des débats puisqu'elle suppose l'accueil des sans-papiers.

M. Jean DESESSARD - Je me permets de vous interrompre un instant. L'association La Mie de Pain située dans le 13e arrondissement de Paris dépend-elle de vous ?

M. Patrick DUGOIS - Non, nous n'avons aucun lien avec elle.

Je continue ma présentation. La valeur cardinale d'Emmaüs fixée par l'Abbé Pierre consiste à redonner de la dignité aux personnes par le travail. Toutefois, ne nous méprenons pas. Une telle attitude ne signifie pas que nous plaçons obligatoirement une personne en difficulté sur un poste de travail, comme nous pourrions l'imaginer dans une entreprise.

Chaque communauté détient des chefs de cours, chargés d'organisent le travail logistique tel que les arrivages. Toutefois, une personne qui nous rejoint dans un très mauvais état de santé pourra passer plusieurs mois, voire plusieurs années, à effectuer un travail purement symbolique, jusqu'à ce qu'il soit capable de faire autre chose. Il nous paraît indispensable de respecter les personnes et leur rythme de vie. Le travail constitue notre principe de base. Mais nous savons bien que certains individus ne seront jamais très rentables.

Notre mouvement cherche à lutter contre la misère et donc à proposer immédiatement des solutions en matière d'accueil, d'hébergement d'urgence, de logement, de travail, soit au sein des communautés, soit au travers de chantiers d'insertion par l'activité économique, d'innovation sociale. Il agit beaucoup dans le but de réduire les causes de la misère et s'est donné comme rôle d'interpeller, notamment les élus. Sur ce point, l'Abbé Pierre était presque dans un rapport de provocation, en demandant à la société de se réveiller et de prendre en charge les valeurs du partage.

Le mouvement accueille 4 000 compagnons. Parmi eux, certains sont sans-papier. D'autres ont eu à faire à la justice et effectuer des peines de prison. Nous recevons régulièrement des lettres de prisonniers nous demandant un travail et un logement pour bénéficier d'une sortie conditionnelle, ce qu'offrent les communautés. Nous ne pouvons pas, néanmoins, satisfaire les besoins de tout le monde et nous touchons là sans doute l'une des contradictions du mouvement. Nous voulons assurer l'accueil inconditionnel. Mais nous butons sur des limites pour le faire.

La typologie des personnes accueillies a beaucoup évolué au fil des années. Le mouvement est en proie aujourd'hui à des problématiques pour lesquelles il n'a pas de réponses adaptées. Par exemple, nous ne savons pas bien recevoir les familles en situation d'exclusion. Or, leur nombre ne cesse d'augmenter. Certaines communautés ont commencé à organiser cet accueil. Mais celui-ci s'avère compliqué et les équilibres internes s'en trouvent bousculés.

Nous commençons aussi à accueillir des jeunes aux prises avec des problèmes de drogue ou d'alcool. Ces jeunes ont souvent été placés sous le contrôle des Départements, mais leur suivi n'a pas été assuré.

Nous ouvrons nos portes également à un certain nombre d'étrangers.

Le mouvement Emmaüs ne porte pas spécialement de revendications. Sa logique consiste plutôt à faire prendre comprendre à la société des enjeux que représente l'exclusion, l'absence de logements et le manque d'hébergements d'urgence. Des gens continuent à mourir dans la rue et pas uniquement l'hiver. Le plus grand nombre de morts se produit durant l'été : entre 200 et 350, soit environ un mort par jour, selon nos estimations. Le nombre de décès dans la rue ne fait pas l'objet, malheureusement, de publication de la part des pouvoirs publics.

De notre point de vue, cette situation n'est pas normale. Il n'est pas possible de traiter un problème sans accepter de le regarder en face. Je parle avec beaucoup de prudence, mais ce manque de données s'apparente pour nous à de la rétention d'informations. Lorsqu'une personne meurt dans la rue, immédiatement, via les services de DDASS ou des DRASS, un rapport est effectué. Ces informations existent donc et nous avons demandé leur publication. Nous ne cherchons pas à dramatiser une situation. Mais nous voulons faire bien comprendre qu'en l'absence de lucidité, nous n'avancerons pas.

Combien de personnes vivent dehors ? Par définition, nous ne pouvons pas le savoir. Certains vivent dans la rue ou dans des garages, d'autres dans des forêts comme celle de Vincennes, les seuls endroits où ils peuvent trouver la paix. Nous menons notre combat auprès des 28 associations sans aucune volonté de porter quelconque revendication. Nous ne doutons pas de la bonne volonté du Premier Ministre d'agir. Mais nous pensons que l'ensemble des pouvoirs publics sous-estime la situation et ne prend pas assez en compte la souffrance qu'implique la vie dans la rue.

Un de mes collègues travaillant beaucoup avec les SDF m'a tenu les propos suivants : « un SDF que vous voyez dans la rue est un SDF qui va bien car il vit encore à l'air libre. Lorsqu'un SDF va mal, il descend dans le métro, puis dans ses galeries et ne remonte plus à la lumière. » .

Un SDF ayant vécu dans la rue pendant un mois pourra être remis d'aplomb au bout de 2 à 6 mois (contre 2 à 6 ans s'il est resté dehors pendant 10 ans). Il est nécessaire de comprendre à quel point il est coûteux d'agir quand on a laissé les choses se faire. Nous plaidons en faveur des politiques de prévention car il existe des dysfonctionnements évidents et il conviendrait de les régler.

Il serait bien, par exemple, dans le domaine de la psychiatrie, de raccourcir les séjours, d'accompagner autrement, d'éviter les enfermements longs, etc. L'humanisation de la psychiatrie découle d'un bon principe. Mais une difficulté se pose en la matière : des lits ont été supprimés et les personnes malades remises à l'extérieur se retrouvent aujourd'hui dans nos centres d'hébergement.

Il est, par ailleurs, demandé à Emmaüs Paris d'ouvrir un centre d'hébergement d'urgence dans les locaux d'anciens hôpitaux parisiens où les mêmes personnes seraient hébergées, mais ne seraient pas entourées de psychiatres. Les dysfonctionnements, d'un point de vue humain, sont très difficiles à vivre et relèvent d'une mauvaise organisation des pouvoirs publics. Quant à leur coût, nous ne disposons pas d'évaluation. Mais il est sans doute important.

Il existe pourtant des possibilités d'intervention. A une époque, la société abritait des organisations collectives qui permettaient de socialiser les personnes. L'armée en faisait partie. Elle a désormais recours à des contrats de professionnalisation à la fin desquels aucun suivi n'est assuré. Doit-elle effectuer ce suivi ou pas ? Il ne me revient pas d'en discuter. Mais il faut savoir que certaines personnes ne savent pas se débrouiller seules et se retrouvent dans la rue quand leurs contrats ont pris fin.

C'est pourquoi nous sommes en faveur d'un principe de continuité au sein des organisations. Nous souhaitons que les gens ne soient pas renvoyés à la rue si nous ne savons pas où ils vont et dans quel état ils se trouvent. Notre ignorance en la matière coûte très cher, aussi bien humainement qu'économiquement.

Je n'en dirai pas davantage sur les combats à mener dans le domaine de l'hébergement d'urgence. Je ne m'étendrai pas non plus sur le sujet du logement, l'analyse de la Fondation Abbé Pierre étant simple en la matière : jamais autant de logements n'ont été construits, mais ils ne sont pas accessibles à ceux disposant de peu de moyens.

Je souhaite maintenant aborder une demande du mouvement Emmaüs dans le cadre du Grenelle de l'Insertion. Nous voudrions, en effet, que soit reconnu le modèle communautaire sur lequel est basée notre organisation. Il faut se rendre compte que, dans la société, des personnes ne peuvent pas subir les contraintes apportées par la mondialisation, laquelle demande aux gens d'être de plus en plus efficaces.

Jusqu'à l'avant-guerre, il existait des processus collectifs de socialisation dans le monde paysan, auquel était intégré l'idiot du village ou la personne improductive. Or de tels espaces ne sont plus présents. Il est demandé aujourd'hui aux personnes faibles d'entrer dans le modèle économique dominant. Nous ne contestons pas ce dernier, mais nous souhaitons que d'autres schémas soient reconnus pour permettre à la société d'accepter l'innovation sociale. Certaines personnes ne pourront jamais se prendre en charge ou s'assumer, soit parce qu'elles ont été abîmées par la vie, soit parce qu'elles n'ont jamais eu les ressorts pour le faire.

Plutôt que d'apporter à chacun une réponse personnelle à travers, par exemple, un contrat aidé, nous proposons la mise en place d'une réponse collective socialisante, permettant à certains de faire plus et à d'autres moins. Le modèle communautaire se caractérise par une position juridique particulière puisque les compagnons ne sont, ni salariés - ils ne relèvent pas du droit du travail, selon un arrêt de la cour de cassation de 1994 -, ni bénévoles. Nous avons demandé, à travers le Grenelle de l'Insertion, la reconnaissance du modèle communautaire. Nous croyons en l'avenir d'un système alternatif.

Un autre combat que nous essayons de mener vise à limiter l'endettement. Bien sûr, notre pays ne ressemble pas à l'Angleterre où l'endettement est très fort. Toutefois, il existe en France des politiques marketing extrêmement agressives de la part de certaines entreprises en direction des personnes en grande difficulté. Ces sociétés ne sont pas responsables. Nous comprenons bien qu'elles ambitionnent de réaliser des affaires. Mais lorsqu'un dysfonctionnement apparaît au travers d'une situation d'endettement, il appartient toujours à la puissance publique ou des associations, et pas à ces entreprises, de les régler.

Nous demandons l'instauration d'un principe de responsabilisation, par exemple au travers d'un système de bonus-malus consistant à favoriser les entreprises ne générant pas trop de dossiers de surendettement et à pénaliser les autres, celles faisant preuve d'irresponsabilité. Ne pas adopter cette mesure reviendrait à verser une prime aux irresponsables et à favoriser des problèmes sociaux considérables et coûteux pour la collectivité.

Nous souhaitons que les avantages soient régulés. Nous ne sommes pas des juristes. Mais nous pensons qu'il existe là un champ d'action qui mérite d'être étudié.

Emmaüs représente un mouvement entrepreneurial alimenté par le recyclage. Nous avons obtenu la création d'une taxe sur le recyclage du textile. D'autres solutions pourraient être trouvées pour protéger l'environnement. Elles permettraient, pour une partie d'entre elles, de créer des emplois pour les personnes défavorisées. Je pense notamment au recyclage des cartouches, reposant sur un modèle économique scandaleux puisque les entreprises gagnent de l'argent sur la cartouche et non sur l'imprimante. Elles trouvent un intérêt dans un dispositif qui, d'un point de vue environnemental, n'est pas viable. Il est sans doute possible de réserver une partie des emplois concernant le recyclage à des personnes en contrats d'insertion.

Enfin, Emmaüs constitue un mouvement très porté sur l'innovation. Par exemple, la Fondation Abbé Pierre comporte des boutiques sociales proposant des accueils de jour et offrant la possibilité de se doucher ou d'écrire du courrier.

Nous tentons aussi de remettre en place des pensions de famille, de manière à faire de l'accueil de proximité et à apporter un accompagnement social à des personnes en difficulté. Certaines de nos communautés déposent des brevets dans le domaine du logement et de l'habitat.

Nous croyons utile d'améliorer les politiques en matière d'exclusion, afin de ne plus les vivre uniquement comme un poids, mais aussi comme des espaces économiques. Pour cela, il y aurait besoin de règles spécifiques. Nos compagnons ne pourront jamais, en effet, avoir la productivité demandée dans le système économique actuel. Mais sans doute est-il possible, pour certains emplois non délocalisables, de mettre en place des réglementations un peu plus protectrices.

Mme Brigitte BOUT, Présidente - Merci beaucoup pour la présentation de votre organisation qui, il est vrai, est très innovante. Ce système de communautés n'existe pas uniquement chez Emmaüs. Je suppose qu'il y a des questions. Je donne la parole à M. Paul Blanc.

M. Paul BLANC - Tout d'abord, je tiens à vous remercier pour vos analyses tout à fait pertinentes. J'aimerais émettre une remarque concernant la psychiatrie. Non seulement les malades mentaux ont été mis dehors Mais en plus, les services infirmiers et de psychiatrie chargés de les accompagner après leur sortie ont totalement failli à leur tâche. J'ajouterai que les 35 heures n'ont pas été d'une aide dans ce domaine.

Par ailleurs, connaissez-vous l'origine urbaine ou rurale des SDF ? J'ai l'impression, mais peut-être suis-je dans l'erreur, que les marginaux ou les SDF vont tous s'agglomérer dans les villes. Cette situation illustre peut-être un problème d'aménagement du territoire. Depuis la loi de 1993, tous les problèmes ont été concentrés dans les villes où ils finissent par exploser. J'aimerais avoir votre opinion sur ce sujet.

Mme Brigitte BOUT, Présidente - Je passe la parole à M. Charles Revet.

M. Charles REVET - Merci. Dans le passé, en milieu rural, la personne qui était confrontée à des problèmes participait à la vie de l'exploitation ou s'engageait dans un métier autre qu'agricole et finissait par faire sa vie. Sans doute à cause de réglementations et de carences en matière de responsabilité, il n'en est plus de même aujourd'hui alors que, parfois, il suffirait de peu de choses pour qu'une personne en difficulté reparte sur de bons rails.

Il nous faut essayer de combattre ce développement de la pauvreté et des SDF. J'aimerais savoir si vous avez effectué une analyse sur les causes générales de l'exclusion. Il vaut mieux prévenir que guérir et il serait plus utile d'agir en direction des personnes avant que celles-ci ne se retrouvent en état de détresse.

Mme Brigitte BOUT, Présidente - Je passe la parole à M. Jean Desessard.

M. Jean DESESSARD - Merci. Vous avez parlé de l'accueil inconditionnel, méthode pratiquée dans vos centres. Sans doute, par ces mots, avez-vous voulu faire allusion à l'amendement, non voté, d'une loi demandant l'accueil des personnes en situations régulière. J'ai mentionné La Mie de Pain car cette organisation offre cet accueil inconditionnel qu'il convient de maintenir, si j'ai bien compris vos propos.

Des questions se posent sur le RMI, en particulier sur sa mission d'insertion, laquelle représente la possibilité de vivre dans la société actuelle, soit de se loger, de se nourrir, de s'habiller, indépendamment du fait de suivre une formation ou non.

J'aimerais donc avoir votre opinion sur le fait que le RMI s'accompagne de conditions en termes d'insertion. Aujourd'hui, les personnes ayant entre 18 et 25 ans peuvent obtenir une allocation, à condition de suivre une formation.

Ensuite, vous avez évoqué les 500 000 logements construits par an.

M. Bernard SEILLIER - 435 000 à ce jour.

M. Jean DESESSARD - L'objectif était de construire 500 000 et non 435 000 logements par an. Toutefois, la production actuelle est importante. Je ne cherche pas à nier la réalité. J'ai d'ailleurs dit à mes collègues de droite que même la gauche n'avait pas fait autant pour la construction de logements. Je reconnais donc que des efforts ont été entrepris.

Parmi ces 435 000 logements, 100 000 devraient concerner des logements sociaux de différentes catégories. Mes collègues de droite expliquent qu'il n'est pas grave de construire des logements non sociaux, en raison de la mobilité résidentielle que cette production occasionne. Autrement dit, les personnes qui auraient les moyens suffisants iraient dans de nouveaux logements et libéreraient ainsi des places de logement social.

Or cette mobilité résidentielle ne semble pas émerger. Est-ce dû à un trop grand nombre de demandes de logements ou bien les personnes manquent-elles de moyens pour se loger ? L'Uniopss a mis en avant la nécessité d'augmenter le nombre de logements sociaux. Je reste, pour ma part, persuadé que le système atteindra sa limite si les salaires ne sont pas revalorisés. Il n'est pas possible qu'une société comme la nôtre abrite 25 % à 30 % de sa population dans du logement social pour la seule raison que celle-ci ne gagne pas assez d'argent.

Vous avez indiqué enfin que les personnes travaillant au sein d'Emmaüs ne sont, ni salariées, ni bénévoles. Cela veut-il dire que vous êtes favorables à un statut nouveau et unique pour toutes les personnes en situation d'insertion ? Cet emploi aidé correspondrait-il à un SMIC mensuel, à du bénévolat indemnisé ? S'accompagnerait-il de cotisations auprès de l'Urssaf ? Les personnes paieraient-elles des charges sociales ?

Merci de nous apporter quelques précisions sur votre proposition de modèle communautaire.

Mme Brigitte BOUT, Présidente - Merci. Je passe la parole à Mme Annie Jarraud-Vergnolle.

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE - Je vous remercie. Ma question prolonge celle posée par mon collègue sur le statut communautaire et de celui des personnes considérées comme étant ni salariées, ni bénévoles. Ce statut s'apparente-t-il à celui des salariés en CAT ou à celui qui a existé dans le cadre des CAVA ? J'aimerais savoir s'il existe un encadrement législatif dans ce domaine.

Emmaüs représente, en effet, un mouvement porté par l'innovation, avec des branches bien déterminées et encadrées au niveau législatif comme le logement social ou l'insertion par l'économie. Vous avez parlé de votre volonté de mettre en place des politiques de prévention. Or, pour le moment, votre travail consiste à réparer les maux de la société. Comment concevez-vous la politique de prévention à votre niveau ?

Enfin, vous avez cité l'exemple de la psychiatrie. Nous connaissons tous le modèle italien ou Basaglia. Dans notre cas, les problèmes ne peuvent s'expliquer par l'apparition des 35 heures puisqu'ils l'ont précédée. Votre public a souvent besoin d'un soutien psychologique. J'aimerais savoir comment et avec qui vous travaillez pour fournir ce soutien.

Mme Brigitte BOUT, Présidente - Merci beaucoup. Je passe la parole au rapporteur M. Bernard Seillier.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Merci. Je partage très largement les valeurs que vous avez exposées. Je suis tout particulièrement sensible à votre demande de reconnaissance juridique des communautés et j'espère que le haut commissaire qui pilote le Grenelle de l'Insertion écoutera votre requête.

Je m'occupe du dossier des « lieux à vivre » depuis longtemps. Votre démonstration sur le sujet est tout à fait probante et claire. Il est question ici, en effet, de personnes qui ne sont pas capables de se prendre en charge elles-mêmes, mais vivent très bien dans des communautés organisées, soit provisoires, soit définitives.

Une personne, située près d'Avignon, est restée dépendante de la drogue pendant 36 ans avant de s'en sortir finalement, grâce une aide de l'environnement communautaire représentée par l'association Voisins et citoyens en Méditerranée ; structure ayant développé un réseau de lieux à vivre sur le territoire du Sud de la France. J'espère donc que votre demande pourra aboutir.

Ma question porte sur l'hébergement des personnes vivant dans la rue. Je n'ai pas été interrogé, dans les fonctions qui sont les miennes au CNLE, par M. Etienne Pinte avant qu'il ne rende son rapport. Mais j'ai pu constater qu'il existe une grande différence entre la volonté affichée par le Premier Ministre de faire de la lutte contre l'exclusion une priorité et les chiffres annoncés pour atteindre cet objectif. La somme de 1,7 milliard d'euros sollicitée par les associations correspond à plus du doublement des crédits actuels. Je suis tout à fait d'accord sur le principe de cette hausse. Humainement, sur le plan de la politique de civilisation défendue par le Président de la République, elle est indispensable. Mais concrètement, comment utiliserez-vous les fonds s'ils vous sont accordés ? J'imagine que vous avez un plan d'action.

Mme Brigitte BOUT, Présidente - Merci de vos questions. Je laisse M. Patrick Dugois y répondre.

M. Patrick DUGOIS - Au-delà des bonnes volontés et des moyens alloués, il est très difficile de répondre à ces questions. C'est pourquoi je ferai preuve de modestie.

Concernant le fait que les SDF seraient concentrés en ville, honnêtement je ne sais pas quoi dire. Il existe de toute évidence des phénomènes urbains qui aggravent les problèmes. Au niveau de l'aménagement des villes, tout a été entrepris pour ne pas offrir de place aux SDF. C'st ainsi qu'ont été construits des bancs sur lesquels il leur est impossible de s'allonger. Il existe une vraie volonté de ne pas accepter les SDF dans l'espace urbain.

D'après ce qu'expliquent les spécialistes, il existe, malheureusement, autant de personnes en difficulté en milieu rural qu'en ville. Mais les solutions à leurs problèmes ne s'expriment pas de la même façon et sont sans doute moins visibles, le rapport à l'espace, le coût du logement ou d'un abri étant différents. Je ne crois pas, pour autant, que la détresse soit moins forte à la campagne qu'en ville.

La cause principale et identifiée de la mortalité des SDF représente la violence. Dans une maison, vos affaires sont à l'abri. Dans la rue en revanche, vous ne disposez d'aucun espace privé, ce qui a des conséquences, notamment sur la sexualité. Peut-être en-il autrement en milieu rural ? Mais je n'ai pas de chiffres, ni d'études à vous communiquer sur le sujet.

Nous considérons que notre rôle consiste à lutter contre la misère et, en même temps, à prévenir ses causes. Mais nous n'avons pas prise sur les politiques de prévention, laquelle ne peut fonctionner que si la société dans son ensemble agit sur des leviers identifiés pour améliorer les choses. Des chercheurs ont effectué une enquête sur les SDF et leur travail montre qu'il existe des moments clés conduisant les personnes à la rue : la perte d'un emploi, la fin des allocations chômages, un décès, un divorce, etc. Il s'agit de ce que nous appelons communément les « accidents de la vie ».

Pour autant, tous les gens subissant des accidents de la vie ne deviennent pas nécessairement SDF. Il existe très souvent des prédispositions à devenir un sans-abri. 60 % des SDF représentent des personnes ayant fait l'objet de placement (DASS, foyers...) ou ayant connu des drames familiaux dans l'enfance. Ces personnes ont en eux une fragilité.

Dans une société stable, marquée par le plein emploi, une personne fragile confrontée, par exemple, à une activité professionnelle insupportable peut démissionner et changer d'employeur, en raison de l'abondance du travail. Dans la société actuelle, une telle attitude n'est plus possible. Il est très facile aujourd'hui de se retrouver à la rue. Tout peut aller très vite pour celui victime d'un moment de faiblesse ou d'une perte d'emploi suite à une dépression grave.

Je pourrais vous citer le cas récent d'un cadre commercial qui, dans une période de deux ans, a été licencié, puis a divorcé avec sa femme avant d'échouer dans un petit studio, puis dans la rue.

Selon un sondage de l'association Emmaüs, 49 % des Français craignent de devenir SDF. La lutte contre la pauvreté représente un investissement collectif. Dans une société qui n'assure pas la protection de tous, il est très difficile que les personnes osent et innovent. Les chiffres de créations d'entreprises sont excellents. Néanmoins, le manque de filet de sécurité fait fondamentalement partie des freins à la prise de risque.

Au-delà de l'aspect humain, s'occuper des pauvres constitue un investissement économique. Sans protection, les personnes qui aimeraient innover ne le feront pas par crainte de devenir SDF. Aujourd'hui, dans une société où les liens collectifs et familiaux ont éclaté, un simple dysfonctionnement peut être fatal. Il est de l'intérêt de la société, y compris d'un point de vue économique, d'inventer un nouveau modèle. La cohésion globale n'est pas une charge. Il s'agit d'un investissement.

Concernant l'accueil inconditionnel, il est vrai que nous nous sommes battus pour obtenir l'amendement auquel vous avez fait référence, par crainte d'avoir des relations difficiles avec les personnes au moment de l'accueil. Demander des papiers, notamment à une personne en situation régulière, n'est pas une tâche simple.

Les politiques migratoires sont décidées collectivement par les représentants de la nation. Nous donnons notre point de vue en tant que citoyens à un certain moment, mais la décision d'accueillir quelqu'un sur notre territoire ne nous appartient pas. Par contre, nous ne pouvons pas nous permettre de laisser à la rue toute personne en situation régulière. Nous ne voulons pas porter la responsabilité de la politique migratoire. Ce n'est pas notre métier.

Pour passer à un autre sujet, seulement 30 % des bénéficiaires du RMI sont inscrits à l'ANPE. Ce pourcentage me scandalise. Pourquoi n'organisons-nous pas, de manière automatique, l'inscription des érémistes à l'ANPE ? Ce processus a des conséquences graves car celui qui ne se présente pas à l'ANPE ne peut bénéficier d'allocation et de tout l'accompagnement professionnel. Nous proposons, dans le cadre du Grenelle de l'Insertion, que les érémistes soient inscrits automatiquement à l'ANPE.

Aujourd'hui, 30 % des SDF travaillent. Pour eux, vivre dans la rue et être présentable le matin pour se rendre au travail constitue une vraie performance. Certes, certains érémistes abusent de la situation. Mais il faut bien comprendre - et je le dis aussi à titre personnel - que lorsque vous êtes en situation de détresse, vous ne vous trouvez pas dans les dispositions de signer un contrat. Vous tentez de survivre. Les SDF ne connaissent pas l'avenir. Un SDF ne sait jamais s'il pourra se rendre à un rendez-vous fixé le lendemain. Il lui est impossible de se projeter dans le temps. Il vit dans l'heure qui suit.

Enfin j'aimerais insister sur la nécessité de combattre l'idée selon laquelle un érémiste est nécessairement un feignant. Il serait utile d'organiser, dans le cadre des politiques d'insertion, ce qui a été mis en place autour de la prévention routière, de l'alcool ou de la cigarette. Autrement dit, il conviendrait de lancer une grande campagne nationale qui expliquerait ce qu'est un exclu et comme il est tombé dans la détresse, de manière à changer le regard de la société sur lui. De cette façon, les exclus comme les inclus seront aidés.

Sur ce point, je citerai un dernier exemple. Nous avons établi un partenariat avec Gaz de France. Un de nos brics se trouve au sein du centre de recherche de cette entreprise, localisé à proximité du Stade de France. Lorsque les cadres supérieurs rencontrent les compagnons, ils s'aperçoivent que ces derniers ne sont pas des feignants. Un SDF ayant passé la nuit dans un dortoir d'hébergement, sans avoir dormi la plupart du temps, se présente à 7 heures 30, chaque matin, au travail. Il leur est demandé d'avoir une force qui ne sera jamais exigée d'un salarié dit normal. Aussi je maintiens que des représentations terribles subsistent dans l'imaginaire collectif, concernant les SDF.

En matière de logement, il manquait environ un million d'habitations en France. Ce manque est en train d'être comblé et nous ne pouvons pas contester cette réalité. La problématique n'en est pas résolue pour autant. La logique selon laquelle un individu passerait d'un centre d'hébergement à un logement social puis à un logement intermédiaire correspond à un système inexistant dans les faits. Le marché du logement social est découplé et il est nécessaire de le « recoupler » pour gagner en fluidité, et de traiter chacun des maillons de la chaîne. Or, actuellement, le maillon de l'hébergement d'urgence est saturé.

Les places de stabilisation constituent une bonne disposition. Elles permettent de continuer à accueillir les personnes en difficulté jusqu'à ce qu'elles trouvent un logement. Ces personnes restent, par contre, beaucoup plus longtemps chez nous, ce qui freine notre capacité d'accueil.

Si la politique pour construire des logements en grand volume a été bien menée, elle l'a été de manière aveugle, car construite à travers des outils de fiscalisation. De nombreux logements financés par les lois Robien et Borloo sont vides et, à terme, cette situation posera un problème. Je peux vous communiquer, par la Fondation Abbé Pierre, la liste des villes abritant ces logements et les volumes. Concernés. Il suffit d'observer la courbe des revenus et le coût des logements pour constater que ceux-ci ne s'accompagnent pas de loyers accessibles. L'offre n'est pas adaptée à la demande.

Pourtant, il est possible de régler certains problèmes très rapidement en mobilisant le parc privé. 2 millions de baux changent de mains chaque année. Ainsi, nous proposons de mettre en place des dispositifs en partie compensés par les pouvoirs publics, via la sous-location par des associations.

Une autre piste intéressante pour les élus locaux consiste à agir sur le logement insalubre. Avec le droit opposable au logement, il est en effet préférable d'améliorer les logements insalubres plutôt que de trouver de nouveaux logements.

Selon le mouvement Pact Arim, il existe environ 1,8 million de logements insalubres en France, dont 600 000 réellement indignes. N'oublions pas que nous ne parlons pas, en la matière, d'un stock mais d'un flux qui se reconstitue à chaque instant. Il donc nécessaire d'investir d'importants moyens afin d'améliorer la situation. Agir ainsi permettrait notamment de générer des économies puisque le coût initial serait, à terme, amorti à travers les taxes. De mémoire - les chiffres sont à vérifier - les recettes fiscales de l'ensemble du secteur du logement représentent 56 milliards d'euros et la politique du logement, 43 milliards d'euros. Autrement dit, l'ensemble des recettes de l'industrie du logement excède de 13 milliards d'euros l'ensemble des dépenses relatives à la politique du logement.

Mme Brigitte BOUT, présidente - Nous allons être obligés de vous demander de conclure. Nous vous laissons disposer des cinq dernières minutes.

M. Patrick DUGOIS - Pour conclure, j'aimerais aborder la question suivante : serions-nous réellement en mesure d'éradiquer la pauvreté en France en disposant des 1,7 milliard d'euros demandés ? Les associations ne veulent pas répondre à cette question et il subsiste une incompréhension entre le gouvernement et nous. Les associations effectuent un travail d'interpellation et de prise en charge. Mais c'est aux pouvoirs publics d'agir.

Par exemple, il devait être construit 9 000 places en maisons relais. Or, à ce jour, le nombre de places réalisées s'élève à 3 000. Le programme devait s'achever à la fin de l'année 2007. Il ne l'a pas été. Il nous a été dit que nous ne serions pas capables de consommer les crédits alors que cette consommation doit revenir aux pouvoirs publics.

Ainsi, les 1,7 milliard d'euros demandés étaient provisionnés pour financer plusieurs chantiers : traiter la question du logement indigne, répondre à l'accroissement de la capacité d'accueil des centres d'hébergement d'urgence lié aux places de stabilisation et mise en place d'un plan de rénovation des centres d'hébergement, plusieurs d'entre eux, indignes, devant être modernisés.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - J'ai observé, à travers la presse, qu'il existe une incompréhension réciproque entre le gouvernement et les associations. La réaction unanime de ces dernières m'a, par ailleurs, beaucoup impressionné.

Par ailleurs, j'aimerais avoir la ventilation de la demande par écrit.

M. Patrick DUGOIS - Elle vous sera communiquée. Nous avons prévu d'organiser une manifestation sur le sujet le 21 février 2008, dans toute la France, pour tenter d'ouvrir à nouveau les négociations.

Pour conclure, j'aimerais répondre à la question relative au statut des communautés. Aujourd'hui, nous nous trouvons dans un dispositif proche de celui des CAVA. Nous sommes soumis à une instruction fiscale puisque nous ne sommes assujettis, ni à l'impôt sur les sociétés, ni à la TVA. Plusieurs facteurs expliquent cette situation : absence de publicité ou encore utilisation d'objets de réemploi. Il s'agit de la règle des 4P que vous connaissez bien. Nous ne sommes pas, non plus, soumis aux taxes sur les salaires puisque les compagnons ne sont pas des salariés. Mais nous cotisons pour les caisses de retraite sur la base de 25 % du SMIC.

Suite à un différent, la Cour de cassation a prononcé clairement que la relation entre un compagnon et la communauté ne ressort pas d'un contrat de travail mais bien d'une appartenance à un collectif autour d'un projet commun. Nous demandons donc la création d'un statut précis pour les communautés, permettant de fixer les règles en matière de fiscalité et de cotisations sociales. Ce statut devra indiquer clairement que nous ne nous inscrivons pas dans le droit du travail, la personne qui contribue à un projet étant hébergée et nourrie et obtenant une compensation financière symbolique chaque semaine.

Mme Brigitte BOUT, Présidente - Merci beaucoup de vos explications. Nous aurons sûrement l'occasion de recevoir des documents de votre part ou de vous les demander s'il nous en manque.

M. Patrick DUGOIS - Voici le bilan économique et social de l'année 2005. Le mouvement ayant été perturbé l'année dernière, nous n'avons pas encore les chiffres de 2006 à disposition. Vous trouverez, dans ce document, de nombreuses données utiles.

Voici enfin le dernier numéro de notre lettre d'information.

Mme Brigitte BOUT, Présidente - Merci beaucoup.

M. Patrick DUGOIS - C'est moi qui vous remercie pour votre attention et celle que vous portez aux plus démunis.

Audition de M. Daniel ZIELINSKI, délégué général, et de Mme Béatrice LONGUEVILLE, déléguée générale adjointe de l'Union nationale des centres communaux et intercommunaux d'action sociale (UNCCAS) - (5 février 2008)

Mme Brigitte BOUT, Présidente - Nous accueillons maintenant M. Daniel Zielinski, délégué général, et Mme Béatrice Longueville, déléguée générale adjointe de l'Union Nationale des Centres Communaux et intercommunaux d'action sociale (UNCCAS).

Je vous invite à nous présenter brièvement vos missions, puis à nous exposer les différentes évolutions de la lutte contre la pauvreté et l'exclusion constatées dans notre société. Plusieurs questions m'interpellent. Le maintien du système de solidarité français représente-t-il un défi ? L'UNCCAS organise-t-elle une évaluation des actions des CCAS en vue de partager les bonnes pratiques ?

M. Daniel ZIELINSKI - Je vous prie tout d'abord d'accepter les excuses de notre président M. Patrick Kanner et de la première vice-présidente en charge des politiques de lutte pour l'inclusion et contre l'exclusion, Mme Gisèle Stievenard, qui ne peuvent être présents aujourd'hui. A quelques semaines des élections municipales, nos élus locaux connaissent un emploi du temps très chargé, demandant toute leur mobilisation.

Nous sommes très heureux de vous rencontrer. Etant donné le peu de temps dont nous disposons pour échanger, je ne reviendrai pas sur les missions les plus basiques de l'UNCCAS. Nous pourrons vous communiquer ultérieurement des documents en la matière. Aujourd'hui, nous tenons plutôt à insister sur ce qui a changé sur le terrain dans les actions mises en oeuvre par les CCAS dans le domaine de l'exclusion.

Je souhaite tout de même présenter brièvement notre organisme. L'UNCCAS regroupe aujourd'hui 3 400 centres communaux et intercommunaux d'action sociale. Les quelques 5 100 collectivités locales que nous recouvrons représentent plus de 40 millions d'habitants. Nous sommes, par ailleurs, l'unique union des CCAS. Nous serons donc votre interlocuteur privilégié pour toutes les questions relatives aux CCAS.

L'UNCCAS a beaucoup travaillé sur la loi de cohésion sociale et la mise en application de celle-ci a entraîné de grands changements pour nous. L'une des grandes avancées que nous avons obtenue concerne la simplification de la création de centres intercommunaux d'action sociale. Chaque année, 100 centres intercommunaux d'action sociale à géométrie variable sont créés. Ceux-ci peuvent aussi bien représenter 8 communes que 32 et un nombre d'habitants allant de 5 000 à plusieurs dizaines de milliers. Cette simplification témoigne d'une évolution de grande ampleur, même s'il est encore difficile de savoir ce qu'elle a apporté concrètement. Nous espérons obtenir des analyses précises en décembre prochain lors de notre bilan annuel des Journées de Périgueux.

Depuis la loi de cohésion sociale, les Etablissements Publics de Coopération Intercommunaux (EPCI) ont intégré une nouvelle compétence d'action sociale. La création d'un CIAS peut, de prime abord, sembler très compliquée pour les élus locaux de petites communes. Or, notre objectif étant d'avoir un meilleur travail intercommunal en milieu rural, cette évolution de l'EPCI nous apparaît très intéressante et importante. Nous allons organiser une enquête avec l'Association des communautés de France pour analyser l'impact de cette modification.

De plus, la loi de cohésion sociale nous permet aux citoyens d'être plus égaux entre eux. Comme vous le savez sans doute, certaines communes peuvent avoir, en effet, des politiques très différentes en matière d'aides facultatives.

Celles-ci méritent d'être observées de près puisqu'elles correspondent à de la gestion pure de la part des collectivités locales, ces dernières décidant elles-mêmes des publics à cibler tout comme des outils (financiers ou en nature) à mettre en place. C'est pourquoi nous avons effectué une enquête au niveau des centres communaux et intercommunaux de l'ensemble du territoire pour examiner ces aides facultatives. Cette enquête nous permettra de visualiser l'évolution des pratiques.

Les aides facultatives regroupent les secours, les aides et les prêts. Elles s'accompagnent de plusieurs critères d'attribution que nous avons repérés et étudiés. Nous avons pu alors constater que certains d'entre eux ont subi des changements assez profonds. Par exemple, il n'est plus question de tenir compte du statut de la personne. Ce qui importe aujourd'hui sont les ressources de cette dernière. Auparavant, certaines aides étaient données automatiquement aux bénéficiaires du RMI. Ce n'est plus nécessairement le cas. Beaucoup de CCAS ont modifié cette pratique.

Par ailleurs, la manière dont se calcule l'accès aux aides facultatives peut être très sophistiquée et basée sur toutes sortes de critères (unités de consommation, quotient familial, reste à vivre, etc.). Il nous semble important de repérer comment les collectivités locales se sont équipées de ces outils pour apporter des réponses en matière d'aides facultatives.

Un problème important nous préoccupe. Il concerne l'image d'« aidant d'urgence » qui reste attitrée aux CCAS. Nous avons du mal à nous défaire de notre ancienne appellation - les bureaux d'aide sociale - et de tous les stéréotypes qui lui sont attachés. Beaucoup trop de personnes pensent encore que les aides sont fixées à la tête du client, qu'il suffit de consulter le maire pour obtenir automatiquement un soutien et que nous n'effectuons pas de travail de prévention. Or, concrètement, comme vous le constaterez en lisant nos documents, un travail en profondeur est effectué.

Evidemment, je n'irai pas jusqu'à dire que le travail est identique sur tous les territoires. Tous ne se basent pas sur les méthodes préconisées. Mais le rôle de l'UNCCAS est justement de faire en sorte que les CCAS signent des engagements. Nous voulons « tirer vers le haut » les CCAS, notamment en matière de calculs d'attribution d'allocations des aides facultatives. C'est le chemin dans lequel nous nous sommes engagés lors du congrès de Grenoble, même si nous ne pouvons pas imposer des méthodes de travail.

Afin d'agir plus efficacement en amont comme en aval, nous cherchons à mieux connaître nos publics. L'analyse des besoins sociaux (ABS) est devenue obligatoire dans le cadre de nos collectivités locales. Mais nous devons former les élus, les professionnels et les bénévoles afin qu'ils utilisent au mieux cet outil qui, en plus d'être statistique, est aussi prospectif. Sur ce point, nous collaborons déjà avec un certain nombre de Départements. M. Martin Hirsch nous a d'ailleurs demandé d'étudier les compatibilités de quelques Conseils généraux ayant déjà effectué une ABS.

J'ajouterai une dernière remarque concernant les notions de secours, d'aide et de prêt. Bien souvent, les aides facultatives témoignent d'un travail autour d'un projet d'insertion de la part des communes. Le secours correspond, quant à lui, au secours d'urgence. Les prêts, eux, s'ils existent déjà, ont été démultipliés, notamment à travers le microcrédit social. A ce propos, nous avons signé une convention d'expérimentation de microcrédit social avec la Caisse des Dépôts et de Consignations.

N'hésitez pas à me prévenir si vous avez des questions sur cette première partie de notre exposé.

Je laisse maintenant la parole à Mme Béatrice Longueville qui va vous parler plus en détail de l'analyse des besoins sociaux.

Mme Béatrice LONGUEVILLE - L'analyse des besoins sociaux correspond à l'article R123-1 du code de l'action sociale et a été mise en place depuis un peu plus d'une dizaine d'années. Bien que ce dispositif soit obligatoire, il nous est très difficile de savoir qui a mené réellement une ABS à ce jour. En effet, sur le terrain, une confusion entre ABS et rapport d'activité demeure. Il existe pourtant une grande différence entre eux, le rapport d'activité représentant un bilan des actions effectuées et non une démarche prospective.

Les Chambres régionales des comptes se saisissent aujourd'hui plus volontiers du dispositif. Mais il existe encore des lieux où il n'est pas mis en oeuvre. La décentralisation a des avantages certains. Toutefois, il y a encore un trop grand cloisonnement entre les différents acteurs de terrain et notre travail consiste à tenter de le réduire.

Comme l'a rappelé M. Daniel Zielinski, l'UNCCAS a dégagé des crédits pour permettre aux CCAS de s'emparer de cette démarche prospective et nous travaillons actuellement pour aider un grand nombre d'entre eux à s'emparer de la question. Ils peuvent concerner de toutes petites communes comme de très importantes puisque l'ABS est obligatoire, quelle que soit la taille du territoire.

Au-delà des chiffres, nous avons mis en place plusieurs outils au niveau de différents départements. Notre but n'est pas de chercher à photographier l'action des CCAS au travers de leurs champs d'investigation et d'intervention. Nous voulons mener un travail à l'échelle de l'ensemble de la population, même s'il ne concerne pas directement le domaine de compétence des CCAS. Je pense, par exemple, à ce qui touche à la petite enfance et à l'insertion.

Ainsi, comme je vous l'ai indiqué, nous avons déployé des outils dans plusieurs départements et nous consolidons peu à peu les données en notre possession. Pour répondre à la question de Mme Brigitte Bout, nous souhaitons vivement développer tout le potentiel de l'ABS et en faire un outil d'évaluation des politiques publiques. Encore une fois, notre démarche consiste à aller au-delà de la simple photographie des besoins d'un territoire et à tenter de réunir les divers partenaires (publics, associatifs, caritatifs) engagés dans les actions.

A cet endroit, je rappelle que les associations à vocation caritative jouent un rôle de service public. Il est donc important qu'elles puissent, elles aussi, s'exprimer sur les besoins qu'elles ont identifiés. Tous les acteurs doivent pouvoir se prononcer car, même s'ils ont une vision subjective de la situation, celle-ci correspond à une réalité du territoire.

La principale difficulté que nous rencontrons est que, bien souvent, les acteurs que nous cherchons à faire se rencontrer au niveau d'un territoire, ne se connaissent pas. Ils s'inscrivent toujours dans une logique de clientèle qui freine le travail collaboratif. Par ailleurs, quand ils se connaissent déjà, il ne leur vient pas toujours à l'idée de se retrouver. De fait, la mission que nous nous sommes fixée consiste à favoriser les connexions entre eux. Avec l'ABS nous avons fait le pari de leur permettre de mieux travailler ensemble dans le domaine des politiques publiques.

Je vous ai présenté l'ABS comme un moyen d'interroger les chiffres et comme une aide au travail en partenariat. Mais il se révèle aussi être une façon d'effectuer des préconisations en termes d'actions. Il est nécessaire de comprendre que les collectivités ont des habitudes fortement ancrées dans leur histoire. Il leur est souvent difficile de se défaire de cet héritage. Pourtant, elles se doivent d'engager une démarche prospective, même si cela signifie pour elles la remise en cause de certains réflexes.

Ce travail, comme vous vous en doutez, n'est pas simple. Les communes ont souvent du mal à accepter que nous repérions de nouvelles poches de pauvreté. Par exemple, nous savons que les quartiers dans lesquels des familles monoparentales n'accèdent pas aux équipements de petite enfance est un indicateur important à prendre en compte, en particulier pour revoir et améliorer l'accès aux équipements. Or, certaines communes ne l'acceptent pas. Elles ne sont pas prêtes à entendre qu'il existe d'autres façons de lire la pauvreté.

Par ailleurs, le recensement des pratiques des techniciens et des élus permet d'apporter un éclairage sur la diversité des pratiques professionnelles. Ce travail est surtout profitable aux acteurs de terrain qui peuvent alors s'inspirer des actions des autres acteurs, qu'ils appartiennent au secteur public ou relèvent du domaine associatif.

Lorsque nous effectuons des ABS, nous nous rendons compte que chaque acteur se situe dans un domaine réservé. Notre tâche, très difficile, consiste justement à faire en sorte que chacun s'accorde sur un diagnostic commun, lequel est amené à se prolonger dans le futur. Non seulement la démarche doit être pérennisée dans le temps, mais il faut aussi pouvoir vérifier plus tard - en principe tous les ans - que les actions préconisées se sont traduites dans la réalité et évaluer leurs résultats.

Dans certains territoires où nous ne travaillons que depuis deux ou trois ans, il a vraiment fallu sensibiliser les élus sur le fait que l'ABS constitue une obligation permettant de se doter d'indicateurs. Or, comme vous le savez, la culture de l'évaluation n'est pas une habitude française.

Enfin, si, jusqu'à présent, nous raisonnions au niveau de territoires communaux et intercommunaux, il convient maintenant de réfléchir à une échelle plus large. L'objectif est d'envisager sans nécessairement de bases juridiques, tels que le pays ou encore le bassin d'emploi. Aujourd'hui les populations se déplacent essentiellement en fonction de l'offre de logements et de leurs ressources. Autrement dit, elles migrent suivant ce qui leur coûtera plus ou moins cher. La prospective ne peut plus se réduire à l'échelon du territoire communal.

Afin d'illustrer mon propos, je citerai l'exemple d'une Communauté de commune de la deuxième couronne de Rennes qui a mis en place des politiques en matière de logement très ambitieuses. Pourtant, elle subit la concurrence de Rennes qui vient d'adopter de nouvelles politiques dans le domaine du logement et attire les populations. Ce cas montre qu'il est sans doute nécessaire d'englober l'action des grandes agglomérations et celles de leurs couronnes.

Je conclurai mon propos en rappelant qu'il n'est pas possible de faire de l'ABS un outil d'évaluation des politiques publiques si nous ne disposons pas de suffisamment d'années d'expérience pour cibler les actions prioritaires en fonction des ressources locales ; d'où l'obligation de pénétrer le champ de décision des élus qui choisissent ce qui est réalisable ou non sur leur territoire en fonction des moyens financiers qui sont les leurs, et donc d'aborder les problématiques de fiscalité locale.

Nous ne pouvons ignorer que les priorités se déterminent en grande partie en fonction des ressources locales.

M. Daniel ZIELINSKI - Comme vous pouvez le constater, l'avantage de l'ABS réside dans sa transversalité. Le dispositif permet de ne pas découper les publics mais, au contraire, de les croiser par le biais des indicateurs. Ainsi, nous pouvons repérer la raison pour laquelle un problème de logement se pose. L'ABS constitue une aide à la décision pour les élus. Elle doit permettre de mettre en oeuvre un plan pluriannuel et d'établir un lien avec les parlementaires.

Nous avons repéré, dans nos CCAS, l'arrivée de nouveaux publics pauvres : des personnes venant de perdre leur emploi, des veuves touchant des pensions de réversion, des jeunes n'étant pas bénéficiaires des minima sociaux. Nous devons nous demander si nos outils sont disponibles et accessibles à ces personnes. Jusqu'à présent, selon beaucoup de CCAS, il n'en est rien. Une personne qui travaille n'a pas le droit, par exemple, de se rendre à l'épicerie sociale, même si le niveau de son salaire ne l'autorise pas à subvenir à ses besoins.

Il a donc fallu nous interroger sur ces publics. Tout d'abord, il est nécessaire de pouvoir les comptabiliser. Dans la commission de M. Martin Hirsch, le travailleur pauvre se définit sur la base d'indicateurs croisés. Mais il est souvent difficile de repérer ces derniers. C'est pourquoi nous collaborons avec des statisticiens pour distinguer ce « travailleur pauvre » et ainsi pouvoir mieux réagir, quelle que soit la taille de la collectivité locale. Ce n'est qu'une fois ce travail achevé que nous pouvons réfléchir à la mise en place d'outils d'aides facultatives adaptés et éventuellement ouverts à de nouveaux publics.

Par ailleurs, j'aimerais répondre aux critiques émises sur un rapport publié récemment, lequel remet en question les aides facultatives en proposant de les regrouper au sein d'un même département. Je vous invite à consulter l'enquête que nous avons produite sur le sujet, afin de constater, par vous-mêmes, comment sont allouées ces aides. Mais, concrètement, trois mots sont essentiels pour nous : proximité, rapidité et individualisation.

Tout d'abord, il est simple de comprendre combien il est avantageux d'agir au niveau des territoires, à proximité des gens. Si un problème se pose dans une commune, il suffit, en effet, d'en informer le Maire, lequel en fera part ensuite aux CCAS qui envisageront, à partir des renseignements fournis, les moyens les mieux adaptés à la situation. Le processus est simple. Il le serait beaucoup moins s'il fallait consulter plusieurs intermédiaires comme la CAF ou le département, voire même attendre qu'une commission se réunisse.

La proximité suppose d'être très réactifs et de pouvoir apporter des réponses très rapidement. Prenons, par exemple, le cas d'une famille n'ayant pas réglé sa facture d'électricité. Même si nous sommes en lien avec les correspondants de Solidarité Energie et d'EDF, nous devons réagir très vite pour trouver une solution et éviter ainsi à cette famille de plus avoir d'électricité.

L'individualisation des dossiers permet de se pencher sur le cas spécifique d'une personne au sein d'une famille et d'envisager toutes les problématiques qui lui sont liées.

Je m'arrêterai là en ce qui concerne les aides facultatives. Vous aurez de plus amples détails sur le sujet en consultant notre enquête. Je me permets juste d'ajouter que 80 % des personnes ayant accès à ces aides sont titulaires de minima sociaux et que 20 % d'entre elles ont une activité professionnelle.

Je vais maintenant parler de la domiciliation des personnes sans logement stable, laquelle fait partie de nos champs d'action. Grâce à nous notamment, la loi a progressé dans ce domaine. Plusieurs associations ont accusé les CCAS de ne pas assurer cette domiciliation. Mais il est nécessaire de rappeler que ces structures avaient besoin d'avoir des éclaircissements sur cette loi, auparavant imprécise sur l'étendue de la responsabilité des CCAS.

Depuis, notre Conseil d'administration a annoncé sa volonté de s'engager fortement sur le sujet. Toutefois, ce travail, si nous voulons qu'il soit bien réalisé et qu'il réponde, de manière adéquate, aux besoins aux personnes, nécessite une importante mise à disposition de personnel.

Je m'attarderai un peu plus sur les suivis des demandes d'aides sociales légales : RMI et CMU. Nous avons constaté une augmentation du nombre de partenariats entre les Conseils généraux et les CCAS. Au niveau interne, nous nous sommes équipés de statuts spécifiques pour pouvoir créer des unions départementales de CCAS et pouvoir ainsi offrir un interlocuteur élu au président du Conseil général.

Jusqu'à présent, nous étions confrontés parfois à des situations difficiles, avec des CCAS réunis par le Conseil général et dans lesquels un chef de service expliquait ce que devait accomplir chacune des collectivités locales. Dès lors, il nous fallait être doté, nous aussi, des outils pour pouvoir apporter une réponse politique, et ces outils représentent aujourd'hui les unions départementales qui favorisent le travail commun par l'intermédiaire de conventions signées entre les Conseils généraux et les collectivités locales. Chacun des acteurs cherche à comprendre si un partage des publics est possible et tente de garder un oeil sur les pratiques des autres.

Par exemple, dans les départements du Pas-de-Calais et du Nord, l'accent a été mis sur la formation de référents érémistes employés par les Conseils Généraux et mis à disposition des CCAS. Là encore, nous avons dû réfléchir en amont sur le rôle des uns et des autres, de manière à pouvoir travailler ensemble. Dans le cas du Pas-de-Calais, une autre réflexion portant sur les intercommunalités s'est engagée.

Abordons maintenant la lutte contre l'exclusion financière dont l'un des volets constitue le secteur du microcrédit social. Je vais laisser Mme Béatrice Longueville s'exprimer sur le sujet. Je tiens toutefois, avant de lui céder la parole, à faire remarquer que ce dispositif n'est pas totalement nouveau, les prêts existant depuis plusieurs années au sein de certains CCAS. Néanmoins, le travail effectué en la matière a permis de mettre au point des cahiers des charges et de réfléchir sur leur rôle en termes d'accompagnement.

A ce propos, ce matin, la Banque Postale, lors d'une rencontre, nous a fait part de son souhait d'approfondir ses relations avec nous pour développer le microcrédit social. Cette voie est prometteuse. En effet, comme vous le savez sans doute, certains publics franchissent plus facilement la porte d'un bureau de poste que celle d'une banque.

Nous avons, par ailleurs, signé un accord de coopération avec la Caisse des Dépôts et Consignations dans le cadre de plusieurs expérimentations. Je laisse Mme Béatrice Longueville vous en parler plus en détail.

Mme Béatrice LONGUEVILLE - Le premier point à noter est que le microcrédit social interpelle essentiellement les professionnels du crédit dans leurs pratiques. Il est souvent plus rapide et plus efficace, en effet, d'accorder une aide d'urgence correspondant à un besoin immédiat lors d'une situation d'urgence. L'avantage du microcrédit est qu'il s'accompagne d'un accompagnement et d'un suivi des accidents de parcours. Il constitue un moyen d'interroger le projet de la personne, mais aussi de questionner les pratiques des professionnels.

La montée en puissance du microcrédit est plus lente que ce que nous avions imaginé, car son développement nécessite de se rapprocher du monde bancaire. Or, permettre à un travailleur social de faire son choix entre plusieurs acteurs bancaires en lui permettant d'avoir accès au droit commun bancaire interroge de nouvelles pratiques d'insertion, d'un point de vue social ou professionnel. Nous attendons beaucoup des projets que la Caisse des Dépôts et Consignations soutienne sur certains territoires, lesquels devraient nécessairement nous amener à remettre en perspective les pratiques d'aides facultatives des CCAS.

Il ne suffit pas de remplacer l'aide financière ou un secours par du microcrédit. En effet, il faut pouvoir accompagner les personnes dans la durée. Même si ce sujet de fond peut apparaître en ce moment comme un effet de mode, il interrogera sur le besoin de mettre en place de nouvelles formes d'accompagnement. Vous savez que l'aide financière représente une façon de contrôler des usagers sur un territoire. Avec le microcrédit social, il n'en est rien. Celui-ci est basé sur une autre logique consistant à maintenir une certaine distance entre la personne et les CCAS et à donner à celle-ci une place au sein d'un projet.

M. Daniel ZIELINSKI - Nous ne voudrions pas établir un catalogue lapidaire de nos actions. Je m'excuse d'être succinct sur certains thèmes. Mais le temps nous manque pour être plus disert.

Mme Brigitte BOUT, Présidente - Rassurez-vous. Nous sommes tous des élus locaux et avons connaissance de ces problématiques. Mais il est intéressant d'entendre que le Département du Pas-de-Calais fait preuve d'innovations, étant Sénateur de cette région. Toutefois, il est très intéressant d'entendre également ce qui se déroule dans d'autres régions.

Mme Béatrice LONGUEVILLE - Je souhaite attirer votre attention sur le cas du public adolescent, des jeunes adultes déscolarisés qui n'accèdent, ni à l'emploi, ni à des formations, sont peu mobiles et souffrent de problèmes de santé. Tous les acteurs que nous avons pu réunir (Education Nationale, ANPE, missions locales, etc.) nous font part de leur difficulté à déterminer le nombre de ces jeunes, lesquels témoignent d'un manque de cohésion sociale sur un territoire.

Personne ne s'approprie suffisamment ce champ d'intervention qui mériterait d'être l'objet d'un travail transversal. Ce public, en effet, pose de nombreuses questions, portant aussi bien sur l'accès au soin que sur la mobilité. Dans certains milieux ruraux, il n'existe pas, par exemple, de centre de lutte contre les conduites addictives.

Le manque de mobilité peut s'expliquer aussi par le fait que ces enfants ont appris de leurs parents que l'emploi se trouve nécessairement à proximité du lieu de vie et que tout déménagement est impossible pour eux. Je reconnais que ce public n'est pas le plus massif. Mais il interpelle néanmoins les travailleurs sociaux et les élus.

M. Daniel ZIELINSKI - Bien qu'il ne s'agisse pas d'une compétence pleine et entière des CCAS, l'accès aux soins nous intéresse de plus en plus. Nous avons identifié un manque de lien entre la ville et l'hôpital. Le rapport de M. Gérard Larcher sur les hôpitaux soulève cet état de fait dans le cas des personnes âgées, mais aussi pour les personnes en exclusion. Par exemple, une personne souffrant de la maladie d'Alzheimer peut être conduite aux urgences, puis renvoyée chez elle sans être entrée dans aucun service social.

A Nice, nous menons un travail au niveau des dispensaires, proche de celui entamé dans le cadre des Programmes Régionaux pour l'Accès à la Prévention et aux Soins (PRAPS). Nous avions mis en place ces programmes avec la FNARS et la Fédération hospitalière de France. Ils n'ont pas bien fonctionné. Pourtant, il existe un véritable manque dans ce domaine.

Comme je vous l'ai indiqué plus tôt, l'ambition de l'UNCCAS était d'orienter ses membres vers les bonnes pratiques et des expérimentations intéressantes. L'un des 15 engagements pris au Congrès de Grenoble consiste justement à améliorer le lien entre le sanitaire et le social.

Toutefois, nous menons d'autres missions :

- Informer les personnes sur leurs droits et la manière d'y accéder.

- Lutter contre l'illettrisme. Dans ce domaine, des conventions ont été signées avec la Région Rhône-Alpes et avec le Département de la Côte d'Or. Celui-ci s'est engagé dans le programme Actilec permettant d'apprendre à lire, écrire et compter.

- Favoriser l'accès à la culture et au sport pour tous au travers, notamment, de partenariats conclus avec l'Agence Nationale de Chèques Vacances.

- Développer des actions en faveur des personnes âgées ou en situation de handicap. Nous sommes très présents pour intervenir auprès de ces publics, car nous sommes aussi des gestionnaires de structures sociales et médico-sociales. Les réflexions que nous avons sur les services à la personne concernent automatiquement les personnes en situation de précarité.

Mme Valérie Létard s'est montrée déçue par certaines des actions de solidarité que nous organisons au moment de Noël ou du Nouvel An, leur reprochant leur manque d'innovation. Pourtant, un grand travail est effectué sur le terrain au travers d'opérations intergénérationnelles ou d'opérations auxquelles participent les personnes âgées. Personnellement, il me semble important de souligner qu'énormément de CCAS organisent des activités au moment de Noël sur tout le territoire.

Mme Béatrice LONGUEVILLE - Je souhaite m'attarder sur le sujet de la petite enfance. Aujourd'hui, encore trop de familles continuent à faire appel à plusieurs modes d'accueil pour des raisons financières et de disponibilité. Or il serait préférable de les inciter à solliciter un mode d'accueil unique. La CNAF a développé différentes structures collectives pour ce faire. Mais il serait bienvenu de réfléchir à la mise en place d'une offre globale faisant intervenir les assistantes maternelles, les équipements collectifs et tous les dispositifs intermédiaires, ainsi que d'améliorer l'accès à l'information. Les familles qui accèdent aux équipements collectifs sont surtout celles témoignant d'un bon niveau culturel et d'un bon niveau de ressources. Il ne s'agit pas de communiquer beaucoup, mais de communiquer mieux en direction des familles les moins aisées. Dans le cadre de la loi de cohésion sociale, plusieurs collectivités se soucient désormais de favoriser l'accès aux équipements à destination de la petite enfance. La lutte contre la précarité passe aussi par l'instauration de systèmes d'information adaptés aux publics en difficulté.

M. Daniel ZIELINSKI - Comme vous pouvez le constater, la lutte contre les exclusions nécessite d'agir aussi en direction de la petite enfance et des personnes âgées. Les élus nous le répètent souvent au quotidien. Avec le retrait de la CNAV et des investissements d'accompagnement de la CNAF, nous assistons à une montée en puissance des collectivités locales au niveau des politiques d'aides à domicile et d'accompagnement des personnes sans ressources. Cette évolution risque de déséquilibrer l'ensemble du système. L'équilibre des comptes de la CNAF s'est fait au détriment des comptes d'autres partenaires cette année.

Le dernier volet que nous aborderons se situe à un échelon européen. La semaine dernière, nous avons aidé à créer un réseau européen des élus dans le domaine de l'action sociale locale. Il existait déjà des réseaux de villes, comme le Conseil des Communes et Régions d'Europe. Mais ces dispositifs n'avaient pas, à proprement parler, de sensibilité sociale. La Commission européenne nous avait fait part de son intérêt à travailler avec des élus de l'action sociale. Mais elle n'avait pas envie de collaborer avec nous en raison de notre statut d'Union nationale. C'est pourquoi nous avons créé une union européenne d'élus d'action sociale locale, dont l'objectif ne se limite pas à favoriser l'échange des bonnes pratiques, mais consiste aussi à se positionner comme l'interlocuteur de la Commission européenne pour toutes les réflexions portant sur les politiques menées.

En ce moment, par exemple, nous travaillons sur la question des services sociaux d'intérêt général. Jusqu'à présent, les élus d'action sociale ne pouvaient pas exprimer leur avis ou émettre des propositions sur ce sujet auprès de la Commission européenne. Ils peuvent le faire maintenant au travers de cette union.

De la même façon, nous essayons de participer davantage aux plans nationaux d'actions pour l'inclusion. Le CNLE a créé un groupe de travail sur ce thème et nous essayons de voir comment il nous est possible d'apporter une contribution, même modeste, aux travaux menés.

Mme Brigitte BOUT, Présidente - Merci beaucoup. Avez-vous des questions ?

M. Jean DESESSARD - Mon intervention sera rapide. D'après ce que j'ai compris, vous vous inscrivez à un niveau de prospective nationale. Vous avez donc certainement mis en place de nouvelles méthodes. Vous avez, par ailleurs, manifesté votre souhait de « tirer vers le haut » l'ensemble des CCAS. J'aimerais savoir, concrètement, comment vous comptez vous y prendre et si l'ensemble de vos méthodes et de vos propositions sont expliquées sur Internet.

M. Daniel ZIELINSKI - Notre site Internet explique nos méthodes. Mais ne il peut suffire. Il est nécessaire de s'appuyer sur les unions locales ainsi que sur des programmes de formation et de sensibilisation pour former efficacement les acteurs de terrain.

Pour mieux me faire comprendre, je vais reprendre l'exemple des analyses des besoins sociaux. Nous nous déplaçons dans les départements depuis maintenant trois ans, afin de rassembler les CCAS volontaires et les faire participer à une journée de sensibilisation à l'ABS. Y sont conviés aussi bien les élus que les professionnels et les bénévoles. Ces journées de sensibilisation ont pour but de leur montrer ce que l'ABS peut leur apporter et à travers quels outils.

Nous sommes conscients, par ailleurs, que la mise en place d'une ABS a un coût, parfois trop élevé pour les petites collectivités locales rurales. C'est pourquoi nous avons travaillé avec la Caisse des Dépôts et Consignations pour élaborer des « chèques conseil » susceptibles d'apporter une aide financière.

Il suffit de consulter les 15 engagements issus du congrès de Grenoble pour comprendre que l'UNCCAS souhaite devenir de plus en plus une force de proposition. Il appartient aux territoires de décliner, à partir de chaque proposition, des méthodes de travail adaptées pour aider les professionnels et les élus des territoires à avancer.

Par ailleurs, les prochains et nouveaux mandats électoraux nous seront profitables. Ils donneront l'occasion, en effet, à chacun de se reposer des questions sur le sens à donner à l'action sociale au sein d'une commune, de faire le tour des actions existantes et de repérer les idées pertinentes.

Pour en revenir à notre site Internet, la page la plus consultée est celle qui concerne la banque sociale d'expériences sociales locales. Elle recense des initiatives mises en place dans certaines régions et classées selon les publics et les politiques sociales. Ainsi, devant un cas de femme victime de violence, un élu peut consulter le site Internet et se renseigner sur les dispositifs mis en oeuvre dans d'autres communes dans pareille situation. Ce réseau se veut très pragmatique.

Mme Béatrice LONGUEVILLE - Rappelons que l'action sociale ne constitue pas toujours le premier métier des élus. Nous ne le leur demandons pas d'ailleurs. Mais, si un élu demeure un élu, un responsable de l'action sociale se doit, en revanche, de réunir un certain nombre de compétences. C'est pourquoi nous avons mis en place des programmes et des conventions de partenariat de formation des élus. Il est nécessaire de réaliser que nous ne pourrons progresser sur le terrain des pratiques sociales qu'en faisant évoluer les niveaux de compétence des agents. Aujourd'hui, le personnel territorial représente, à 80 %, des agents de catégorie C et, à 5 %, des agents de catégorie A. Un travail d'encadrement est donc nécessaire.

Par ailleurs, la moyenne d'âge des effectifs avoisine 45 ans. Les équipes seront donc amenées à se renouveler prochainement. Sur ce point, l'ABS nous donne l'occasion d'interroger les pratiques de formation et celles du recrutement.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Je suis, depuis longtemps, témoin de la vitalité des CCAS sur le terrain. Je souhaite attester aussi du dynamisme de votre équipe nationale et de la qualité de vos journées de formation auxquelles j'au toujours eu du plaisir à participer. Enfin, j'aimerais souligner la grande chance des CCAS d'avoir une approche transversale et complète sur les différents volets de la politique de lutte contre la pauvreté et l'exclusion.

Nous avons pu constater, en vous entendant, que vous êtes présents dans tous les secteurs (générations, conditions, situations, fragilités). Cette remarque m'amène à vous poser une question. Votre expérience a dû vous permettre d'identifier les axes d'une politique de prévention susceptible de prévenir la pauvreté et l'exclusion. Avez-vous des projets de travail dans ce domaine ? La prévention est au coeur des débats aujourd'hui. Tout le monde en parle. Mais comment pouvons-nous l'aborder ?

M. Daniel ZIELINSKI - Deux points nous apparaissent essentiels. Le premier peut sembler anodin. Mais il revêt une grande importance. Il s'agit de la connaissance des besoins et des territoires. C'est pour cette raison que nous insistons tellement sur l'ABS.

Les publics ne sont pas fixes. En raison de l'évolution de l'offre de l'emploi ou du vieillissement de la population, de nouveaux publics émergent continuellement sur les territoires. Avoir une bonne connaissance des publics demande de pouvoir rapidement repérer les besoins et les personnes pour réagir très vite.

Il n'est pas pertinent, par exemple, de fixer un plan d'action sur 6 ans. C'est pourquoi le changement du mode d'allocation des aides facultatives que nous avons opéré m'apparaît comme étant une avancée majeure. En effet, il montre bien que nous avons su nous adapter aux situations, notamment lorsque nous avons repéré des personnes salariées avec un reste à vivre inférieur à celui de certaines personnes allocataires de minima sociaux.

Le second point touche aux ABS. Il est impératif de faire en sorte que les différents partenaires parviennent à mieux travailler ensemble. Le Conseil général est le premier partenaire avec lequel nous avons commencé à collaborer, ce qui semble logique au regard de la décentralisation. Pourtant, dans un premier temps, les Départements nous ont fait comprendre que, en tant que grands responsables de l'action locale, ils n'avaient plus besoin de consulter les communes. Or, nous savons bien que l'intervention communale est primordiale pour l'ensemble des politiques. Au bout d'un an, certains Départements ont commencé à revenir sur leur position et ont engagé un travail avec nous, notamment par le biais de conventions.

De fait, nous avons choisi de scinder en plusieurs parties les publics pour permettre à chacun de prendre connaissance du travail des autres en matière d'aides facultatives et d'accompagnement. L'ABS nous permet de distinguer les publics, de les connaître mieux et plus rapidement, et donc d'agir plus vite.

Un autre exemple concerne l'implication des CAF et des CRAM dans les politiques vieillesses. En lien avec la CNAV, nous avons prévu de faire se rencontrer les CRAM, possesseurs de schémas régionaux d'information sur les personnes âgées et sur l'évolution des publics, et les Départements. De la même façon, nous demandons à avoir accès aux statistiques des CAF pour les utiliser en fonction de nos propres besoins. Le fait de travailler à partir de leurs données permet d'économiser un travail, déjà intégré.

Il est nécessaire que nous nous réunissions plus souvent. Jusqu'à présent, les Départements, les collectivités locales, les CRAM et les CAF ne se rencontraient pas et n'échangeaient pas entre eux.

Mme Béatrice LONGUEVILLE - J'aimerais conclure cette audition en abordant la notion de « diagnostic partagé » qui est, selon moi, fondamentale. Il existe aujourd'hui un nombre considérable de sources d'informations non partagées et ne faisant pas l'objet de débats. Pourtant, la confrontation, lorsqu'elle est envisagée sous un angle positif, entraîne le plus souvent une compréhension partagée. C'est pourquoi je considère comme étant impératif de favoriser les lieux d'échanges de données. Il ne suffit pas d'avoir tenu une permanence pour connaître les besoins de son territoire et de ses populations.

Concernant la question posée par M. Bernard Seillier, rapporteur, sur les axes prioritaires à mettre en oeuvre, je pense qu'il faut être extrêmement vigilant concernant les actions à mener auprès de certains publics en risque de rupture et bénéficiant des minima sociaux. Un travail de prévention est sans aucun doute nécessaire à ce niveau.

Il convient, dans un premier temps, de repérer les quartiers en tension. Nous savons déjà que la présence de zones où cohabitent des personnes aux salaires très bas et d'autres aux salaires très élevés annonce des crises aigues. Il nous est possible de repérer ces lieux grâce aux ABS et nous avons d'ailleurs déjà éclairé plusieurs élus sur ces risques dont ils n'avaient pas forcément conscience.

Soulignons enfin que les phénomènes de décohabitation (jeunesse déscolarisée, vieillesse isolée, familles en monoparentalité...) sont largement absorbés par le volume des constructions d'habitations. Aussi faut-il faire attention aux politiques de logement que nous pouvons mener. Si le coût du logement n'est pas étudié de près, la situation risque de se détériorer. Les ABS font partie de ces outils permettant d'apporter des éclairages aux élus, lesquels peuvent alors agir en partenariat.

Chaque partenaire d'un territoire occupe des champs d'investigation différents. Mais il y a de l'intelligence chez chacun. Faisons donc en sorte que tout le monde travaille ensemble.

Mme Brigitte BOUT, Présidente - Je vous remercie d'avoir développé la notion de partenariat partagé qui me paraît effectivement très importante. Nous vous remercions de votre intervention. Nous aurons certainement l'occasion de vous interpeller de nouveau pour d'autres renseignements.

Audition de Mme Henriette STEINBERG, Secrétaire nationale du secours populaire - (12 février 2008)

M. Jean-François HUMBERT, président - Un certain nombre de mes collègues ont rencontré quelques difficultés pour se rendre à Paris et nous rejoindre, en raison de la grève des contrôleurs aériens. Je tiens à excuser l'absence de notre rapporteur, M. Seillier et de notre président, M. Demuynck, que je remplacerai aujourd'hui.

Je vais donner la parole à Mme Steinberg. Elle nous présentera le Secours populaire et nous parlera de la manière dont il est organisé, par exemple des relations qu'entretient la structure nationale avec les structures régionales, départementales ou locales. Mme Steinberg nous exposera également son point de vue sur le sujet qui nous réunit aujourd'hui, celui de l'exclusion et de la pauvreté.

Je souhaiterais vous rappeler, Mme Steinberg, que chacune des auditions de cette commission fait l'objet d'une prise de notes et que, par conséquent, vos propos seront répercutés auprès de tous les membres de la mission commune d'information sur les politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion.

Suite à votre exposé, je vous poserai quelques questions.

Mme Henriette Steinberg - Tout d'abord, je vous remercie de recevoir le Secours populaire, que je m'efforcerai de représenter au mieux.

Cette association a fêté son soixantième anniversaire il y a deux ans et compte aujourd'hui 1 million de donateurs, personnes morales et physiques, qui contribuent, par leur générosité, à l'expression de la solidarité. De plus, nous recensons 67 000 collecteurs-animateurs sur le territoire français en 2006 et nous pensons que ce chiffre devrait se situer, à la fin de l'année 2007, autour de 80 000. Il s'agit d'une association nationale reconnue d'utilité publique depuis 1985 et agréée d'éducation populaire depuis 1983. Depuis une dizaine d'années, elle est complémentaire de l'enseignement public. Elle est composée de l'union de membres qui font partie de fédérations, au nombre de 98, et disposant elles-mêmes de la personnalité morale et juridique. En outre, 670 comités figurent dans nos comptes combinés, et sont eux-mêmes regroupés dans des fédérations. Nous disposons également de 1 300 permanences d'accueil et de solidarité, qui sont des lieux dans lesquels nous recevons des personnes en difficulté, auxquels s'ajoutent 4 000 antennes implantées dans des entreprises ou dans des lieux collectifs. Ces antennes ne sont pas investies de la personnalité morale et juridique, mais sont liées à l'une de nos instances déclarées.

Le Secours populaire a pour objectif et pour démarche de peser sur les conséquences des drames ou des catastrophes, qu'ils soient du fait de la nature ou de l'homme, qu'ils concernent une personne ou des milliers. L'association mène une activité de solidarité en France et dans le reste du monde. Nous suivons ainsi, dans une soixantaine de pays, un peu moins de 150 projets. Notre solidarité s'exprime à la fois par un soutien moral, par un soutien matériel, en apportant des produits alimentaires ou des livres, et par un soutien financier lorsqu'il s'agit, pour un groupe, d'acquérir des biens indispensables pour sortir d'une situation tragique. Nous n'intervenons pas dans des situations d'urgence, mais après les catastrophes, pour que les victimes puissent reprendre en main leur destin.

Notre démarche s'est développée depuis des décennies en France et dans le monde. En France, le Secours populaire a été l'une des premières associations à bénéficier d'un contrat de recherche européen en 1988, pour réaliser une enquête portant sur la pauvreté et la précarité.

Nous avons également été parmi les premiers à affirmer qu'il n'existe pas de différence fondamentale entre des personnes en situation précaire et chacune ou chacun d'entre nous. Il suffit, en effet, parfois de peu de choses pour que la vie bascule irréversiblement en l'absence de réseaux et de relais.

En outre, nous sommes convaincus qu'il est beaucoup plus difficile de rétablir la situation d'une personne ayant déjà sombré que d'empêcher sa chute. C'est pourquoi le Secours populaire a tissé des liens sur l'ensemble du territoire national pour contribuer à faire en sorte que les personnes en situation de fragilité ne se sentent pas seules. Le fait de pouvoir trouver quelqu'un à qui l'on puisse faire part, sans risque de jugement ni de critique, d'une situation qui rend honteux, nous paraît primordial. Ainsi, pour nous, l'aspect moral représente une des composantes essentielles du soutien dans la lutte contre la pauvreté, contre la précarité et contre l'exclusion.

Nous n'ignorons pas les difficultés spécifiques liées à chacune des situations ou à chacun des États dans lesquels se trouvent les personnes. Cependant, nous savons également qu'il est facile de basculer dans la segmentation, méthode pratiquée par l'organisation administrativo-financière de notre pays, laquelle a tendance à « couper les personnes en rondelles ». Il nous semble, en effet, que le système de seuils ne tienne pas compte des cas particuliers, si bien que les personnes bénéficiant de certains avantages n'osent plus prendre la moindre initiative, de peur de perdre leurs avantages. De plus, les dispositifs sont à l'origine de cas de figures desquels il ne faut absolument pas s'éloigner. C'est pourquoi nous pensons que le système actuel, tel qu'il est organisé et conçu, ne facilite pas la vie des gens. Par exemple, dans le cas des personnes victimes d'un handicap, l'Etat ne construit pas les accès en fonction des personnes les plus vulnérables, mais en fonction des personnes les plus méritantes à pouvoir les franchir. Or, il nous semble que nous gagnerions à bâtir, à partir des richesses et des capacités des uns et des autres, des éléments de droit commun.

Nous pensons, par ailleurs, que le système crée des difficultés supplémentaires pour les personnes précaires. Par exemple, les distributeurs de billets de banques ne permettent pas d'obtenir des billets de cinq euros, mais une somme minimum de vingt euros. De même, il serait important que les gens puissent entrer dans un sas pour retirer leur argent, pour des raisons de dignité. De façon générale, la vie des personnes concernées n'est pas assez appréhendée en lien avec elles-mêmes, si bien que, même en faisant preuve de la meilleure volonté, nous parvenons à des résultats à l'inverse de ceux auxquels nous souhaitons parvenir.

En outre, le système européen ne garantit pas la pérennité de l'accès à des produits alimentaires dans des conditions minimales et crée, par conséquent, une situation d'insécurité. Mesurons-nous réellement le degré d'insécurité que peuvent connaître des personnes qui se demandent si elles pourront nourrir leurs enfants tous les jours de l'année ? Mesurons-nous les dégâts moraux engendrés par une telle situation ? Il me semble que ces aspects sont très sous-estimés.

Le Secours populaire s'efforce, au contraire, de construire un accueil, une relation ou un soutien tenant compte de l'intégralité de la personne. Nous sommes convaincus du fait qu'emmener un enfant en vacances, ou permettre à une personne sans domicile stable de partir une journée à la mer, aboutit à créer les conditions d'un nouveau départ. Il s'agit, en effet, de procurer un nouveau souffle à ces personnes et de les amener à porter un regard différent sur celles qui les entourent. Ces actions contribuent ainsi très directement à donner aux gens le sentiment qu'ils participent à la vie des hommes et n'en sont pas exclus. Dans le même état d'esprit, nous ne nous limitons pas, lorsque nous mettons en place des systèmes d'accompagnement scolaire, à l'apprentissage des leçons. Nous pensons qu'il est aussi indispensable d'emmener les enfants au théâtre, au cinéma ou au stade que de les faire réciter leurs leçons.

Notre démarche s'articule autour des trois actions suivantes : nourrir, construire et soigner. Bien évidemment, nous n'abordons pas ces trois verbes dans un sens restrictif.

M. Jean-François HUMBERT, Président - Comment caractérisez-vous le phénomène de la pauvreté et de l'exclusion aujourd'hui ? En tant qu'acteur de terrain, avez-vous le sentiment que nous sommes confrontés à une aggravation du phénomène ?

Mme Henriette STEINBERG - Je constate effectivement une aggravation du phénomène, que nous avons fait chiffrer au travers d'une enquête réalisée au début de l'automne. Suite à cette enquête, nous avons publié un article dans le journal de notre association. Le phénomène de la pauvreté est assez complexe à caractériser et ne doit pas uniquement être défini en fonction de critères monétaires. En effet, ce phénomène est multidimensionnel et multifactoriel.

Nous mesurons son aggravation au fait que, dans nos permanences d'accueil et de solidarité, reviennent, environ depuis deux ans, les personnes âgées. Nous allions auparavant à leur rencontre car la question de la solitude nous semblait importante. Or, à l'heure actuelle, il ne s'agit plus uniquement de régler ce problème. Nous rencontrons, en effet, des personnes qui ne perçoivent pas une retraite suffisante pour assurer, dans des conditions minimales, leur besoins.

En outre, nous constatons une aggravation de la situation des foyers monoparentaux. Ainsi, il n'est pas rare de recevoir des mamans qui n'ont plus de nourriture pour leurs enfants. Nous avions déjà reçu auparavant des signaux d'alarme concernant les mamans d'enfants très jeunes. Celles-ci manquaient de produits d'hygiène. Nous leur en avons donc facilité l'accès.

Nous observons l'aggravation de la situation physique des enfants, avec des cas d'obésité dans certains milieux particulièrement pauvres. Pour nous, il s'agit d'un indicateur fort de pauvreté que nous rencontrons dans des pays du tiers-monde.

Nous voyons aussi arriver dans nos permanences d'accueil des travailleurs pauvres, par exemple, des jeunes couples dont les deux membres travaillent, mais dont la rémunération n'est pas régulière. Leurs ressources ne leur permettent pas de subvenir à leurs besoins.

Ces phénomènes se rencontrent dans l'ensemble du territoire. Ainsi, nous avons souhaité que l'ordre du jour de notre prochain congrès soit consacré à la pauvreté en milieu rural. Nous observons, en effet, une augmentation de la pauvreté sur ces territoires, qui touche également les néo-ruraux. Cette population pensait que la vie serait moins chère dans les campagnes. Mais elle a vu sa situation s'aggraver.

M. Jean-François HUMBERT, Président - Vous considérez que, malgré la mise en place d'une politique nationale et locale en direction des publics les plus en difficulté, la situation s'est aggravée. Quel est votre sentiment sur ces politiques ? Quels sont, selon vous, les sujets qui ont été pris en compte, et ceux qui l'ont moins été ?

Mme Henriette STEINBERG - Je ne peux répondre à cette question. En revanche, un constat nous paraît certain : le système des seuils, dont nous ne pouvons sortir sans perdre des avantages, est incohérent. En outre, il concerne les plus fragiles. Ainsi, une jeune personne qui sort de prison rencontre plus de difficultés que lorsqu'elle est incarcérée. Elle n'a pas d'accès aux hébergements et n'a le droit à un soutien que pendant une période limitée, à condition de se faire homologuer dès sa sortie. Les conditions dans lesquelles se trouvent les personnes les plus fragiles ont pour conséquence que, chaque fois qu'ils essaient de se sortir de leur situation, ils ne la voient, au contraire, qu'empirer.

Pour remédier à cela, il convient de consulter les personnes en difficulté, confrontées à des problèmes de façon permanente et quotidienne. Il doit, en effet, exister des moyens de prendre en compte la vraie vie des gens, et non le modèle défini dans les textes.

M. Jean-François HUMBERT, Président - Je souhaiterais vous poser une question plus précise, qui vous surprendra ou peut-être vous choquera. Mme Lagarde a annoncé la création d'un livret A spécifique pour les personnes en difficulté. Connaissez-vous ce nouveau système et que pensez-vous d'une telle mesure ?

Mme Henriette STEINBERG - Je n'ai pas eu connaissance de cette mesure. En revanche, nous avons été interrogés, la semaine dernière, sur l'extension du livret A à l'ensemble du réseau bancaire. Notre opinion sur le sujet est très claire. Nous pensons, en effet, que tout système stigmatisant pose question. Ainsi, les avantages accordés aux personnes à faible revenu ne doivent pas leur porter préjudice, en faisant l'objet de nouveaux contrôles.

M. Jean-François HUMBERT, Président - A votre avis, les nouvelles mesures prises en faveur de la famille et de l'enfance sont-elles pertinentes ?

Mme Henriette STEINBERG - Théoriquement, lorsqu'une famille dispose de très peu de moyens, et court le risque de perdre son logement, nous avons l'impression qu'il est plus facile de lui enlever les enfants pour les placer dans des structures que de lui donner les moyens de conserver son logement. Or, il nous semble que la priorité absolue consisterait à faire en sorte que les familles puissent générer des ressources dans des conditions dignes.

M. Jean-François HUMBERT, Président - Que pensez-vous du dispositif du RSA, qui vise à sécuriser les parcours de réinsertion ? Avez-vous perçu des progrès depuis la mise en place de ces mesures ? Permettent-elles de surmonter les effets de seuil ?

Mme Henriette STEINBERG - Le RSA ne permet pas de surmonter les effets de seuils, dans la mesure où il institue lui-même un seuil. Il garantit ainsi un salaire de 817 euros pour une personne bénéficiant du RMI et qui reprendrait une activité. Or, Ipsos a récemment interrogé les gens pour connaître le niveau de ressources en dessous duquel ils considèrent qu'une personne est pauvre. Ils ont répondu que cette somme minimale représente, selon eux, 1 016 euros.

S'agissant des familles en difficulté, il est illogique de financer leur hébergement dans des hôtels pour des sommes très importantes, pour le simple motif qu'elles ne parviendraient pas à payer leur loyer.

M. Jean-François HUMBERT, Président - Il serait intéressant de considérer la situation telle qu'elle se présente dans les régions voisines de l'Ile-de-France. Ainsi, il me semble que le seuil de pauvreté dépend aussi du coût de la vie dans chacune des régions.

Mme Henriette STEINBERG - A cet égard, j'ai eu l'occasion, en travaillant sur la pauvreté en zone rurale, de m'apercevoir que, même dans une ville comme Pauillac, loin d'être connue pour sa pauvreté, le comité n'est pas parvenu à régler la situation de deux personnes sans domicile. J'ai rencontré ce problème au sein de plusieurs fédérations dans lesquelles je me suis rendue au cours des derniers mois. Par exemple, nous tentons actuellement de régler une situation difficile dans la ville d'Angoulême.

Je pense, par ailleurs, que l'objectif consistant à vouloir diminuer d'un tiers la pauvreté en cinq ans est ambitieux et intéressant, mais qu'il ne faut pas négliger, pour autant, les deux tiers de la population qui restera pauvre.

M. Jean-François HUMBERT, Président - Êtes-vous favorable à la création d'un revenu minimum d'existence et, ne pensez-vous pas que le fait de ne pas inciter les personnes à retravailler serait un obstacle à leur reprise en main ?

Mme Henriette STEINBERG - Je ne suis pas du tout favorable à la création d'un revenu minimum d'existence. En effet, le problème de la pauvreté ne se pose pas uniquement en termes financiers. De plus, nous pensons très clairement que le travail et les ressources en découlant constituent la condition indispensable à mode de vie acceptable. Nous ne percevons pas le RSA comme étant un équivalent du revenu minimum d'existence, dans le sens où il a le mérite d'être lié à une activité. Nous ne sommes donc pas opposés à ce dispositif qui encourage les gens à reprendre un travail, mais plutôt au phénomène des seuils. Il est important de prendre en considération les éléments connexes à la situation de la personne, lesquels risquent de se modifier lorsque cette personne change de statut.

M. Jean-François HUMBERT, Président - Souhaitez-vous dire quelques mots à propos d'un sujet que nous n'aurions pas évoqué ?

Mme Henriette STEINBERG - En termes de priorités, il nous semble nécessaire de créer les conditions permettant de porter un regard différent sur la vie des enfants. Il convient de faire en sorte que tous les enfants soient sécurisés dans leur parcours, en tenant compte des facteurs pouvant fragiliser leurs parents. Or, nous n'avons pas la conviction que les efforts nécessaires soient réalisés dans ce sens. Par exemple, lorsque dans une classe, il est décidé d'organiser un voyage scolaire, et que les parents doivent contribuer financièrement à ce projet, il est important de vérifier que tous les enfants pourront partir. De même, le fait qu'un enfant ne puisse pas avoir de chaussures de gymnastique, ou que personne ne s'inquiète de le voir avec des chaussures percées, pose problème. Ces exemples prouvent que ne sont pas prises en compte les situations réelles des personnes.

C'est pourquoi nous sommes extrêmement attentifs aux départs en vacances des enfants. Nous pensons qu'il faudrait davantage travailler sur ces questions.

M. Jean-François HUMBERT, Président - Je vous remercie, Mme Steinberg.

Mme Henriette STEINBERG - Je vous ai, par ailleurs, apporté des documents portant, en particulier, sur des questions relatives à l'enfance, mais aussi le dernier numéro de notre magazine Convergence, qui s'intitule « Les précaires paient cher la hausse de l'énergie », et quelques autres de nos publications. Le regard des personnes concernées et leur mobilisation pour peser elles-mêmes sur la situation sont, à notre sens, des données essentielles. C'est pourquoi nous faisons reposer notre campagne de collectes de fonds pour le fonctionnement de l'association sur la mobilisation de personnes qui ont déjà bénéficié du soutien du Secours populaire. Nous sommes, en effet, convaincus que toute personne peut apporter une aide, même si elle ne possède pas d'argent. Elle peut, en effet, collecter pour d'autres et ainsi avoir le sentiment d'avoir la même vie que chacun.

Mme Brigitte BOUT - Je suppose que le Secours populaire est membre de l'Uniopss ?

Mme Henriette STEINBERG - Nous faisons effectivement partie de l'Uniopss depuis 1965.

Mme Brigitte BOUT - Quelle est votre spécificité par rapport aux autres membres de l'Uniopss ?

Mme Henriette STEINBERG - Le Secours populaire est d'abord une société généraliste de solidarité, c'est-à-dire qu'elle n'a pas identifié un champ d'intervention particulier. Au contraire, nous intervenons sur l'ensemble des facteurs qui portent conséquence sur la vie des personnes, en France ou dans le reste du monde. Nous nous préoccupons d'agir strictement sur les conséquences de la pauvreté, laissant à d'autres organisations la liberté d'analyser ou non les causes des situations. Nous faisons pour cela appel aux personnes de toutes origines et de toutes confessions. L'association est indépendante dans ses ressources et dans sa construction, et nous choisissons nous-mêmes nos dirigeants.

M. Jean-François HUMBERT, Président - Je vous remercie pour cette intervention. Nous consulterons attentivement les documents que vous nous avez apportés.

Audition de M. André GACHET, président de la Fédération des associations pour la promotion de l'insertion par le logement (Fapil) - (12 février 2008)

Présidence de Mme Brigitte BOUT, vice-présidente.

M. André GACHET - La Fédération des associations pour la promotion de l'insertion par le logement (Fapil) est née en 1988. A son origine, elle était composée de quatre associations, lesquelles avaient le sentiment d'exercer de nouveaux métiers autour de l'accompagnement social et de la gestion locative adaptée. Certaines associations membres de la Fapil possèdent une double appartenance, en fonction de leurs affinités. Aujourd'hui, notre structure compte une centaine d'adhérents sur l'ensemble du territoire. Un début d'organisation régionale se met actuellement en place, suivant le modèle de régions telles que Rhône-Alpes et l'Ile de France, qui bénéficient déjà d'une telle organisation. Se met en place également une organisation régionale dans les régions PACA et Languedoc Roussillon, ainsi que dans le Nord.

Les associations membres de la Fapil exercent leurs activités dans quatre domaines :

Leur premier champ d'intervention consiste à proposer un accueil et à développer une meilleure connaissance du terrain, avec la mise en place de permanences d'accueil et la gestion de dispositifs tels que des observatoires locaux liés à la politique locale de l'habitat ou d'autres dispositifs en lien avec les collectivités ou l'Etat.

Leur second champ d'action réside dans l'accompagnement des personnes, dont l'accompagnement social lié au logement ou d'autres activités telles que les ateliers de recherche locaux, les actions collectives, les permanences à caractère juridique, etc.

Le troisième champ concerne la gestion locative adaptée, à laquelle participent les agences immobilières à vocation sociale. Cette activité regroupe également un système de sous-location associative et la gestion des aires d'accueil des gens du voyage, ainsi que d'autres dispositifs plus spécialisés.

Enfin, les associations membres de la Fapil interviennent dans la production de PST ou de PLAI. Elles proposent également des solutions « sur mesure » telles que des hôtelleries sociales familiales.

Ces associations possèdent la caractéristique commune de s'engager auprès des personnes, mais aussi auprès des collectivités. Ainsi, dans la charte de la Fapil, il est stipulé que chacune des associations pratique son activité en prenant place dans les dispositifs locaux.

La Fapil est une fédération généraliste qui travaille avec d'autres fédérations aux niveaux national et européen. Aujourd'hui, suite à la loi sur le droit au logement opposable, nous sommes en train de recenser les outils qui se sont constitués au fil des années.

M. Jean-François HUMBERT - Je souhaiterais obtenir quelques précisions sur la création de la Fapil en 1988. S'agit-il d'un regroupement d'associations ou d'une association créée « ex-nihilo » ?

M. André GACHET - Les associations de Paris, Grenoble et Lyon existaient déjà avant 1988 et se sont rencontrées autour de thématiques qu'elles envisageaient au travers de la même approche. A la fin des années quatre-vingt, se posait par exemple la question du logement des travailleurs immigrés isolés dans les hôtels meublés, dans le sens où aucun acteur n'oeuvrait sur ce terrain. Seules quelques associations commençaient à intervenir sur ce champ, pour récupérer des hôtels meublés, les transformer et créer de nouvelles formes de locations. Ensuite, a été créée la première agence immobilière à vocation sociale.

La fédération suit l'évolution de la demande et des besoins qui s'expriment de manière renouvelée au fil des décennies. Aujourd'hui, nous observons une modification importante de la demande qui n'est pas nécessairement visible ou prise en compte. Nous constatons ainsi, dans tous nos lieux d'accueil, une paupérisation des salariés dont les revenus sont faibles et qui connaissent des difficultés pour accéder au logement. De plus, la demande s'accroît du fait que les familles ne vivent pas aussi longtemps qu'autrefois dans le même logement. A cela s'ajoute le fait que l'allongement de la durée de la vie produit des mobilités auparavant inexistantes. Nous commençons également à détecter, dans nos lieux d'accueil, le phénomène de la mobilité de solidarité, qui implique que des personnes âgées se rapprochent de leurs enfants ou inversement.

S'agissant des personnes les plus en difficulté, nous constatons, depuis 1995, une augmentation importante de la demande d'urgence. A cet égard, ressort une féminisation de la demande et une demande familiale qui n'existait pas auparavant. Cette situation est liée en partie à une demande d'asile qui a évolué. Nous devons effectuer un travail plus approfondi dans le domaine de la connaissance de cette situation, en améliorant nos outils.

Parmi les autres fortes interrogations actuelles, nous pouvons citer celles liées à la santé mentale. Les manifestations du mal logement se sont dans le même temps modifiées. Aujourd'hui, une partie des ménages ne possèdent pas leur propre logement. Nous considérons en effet qu'un logement doit respecter ces trois conditions : il doit d'abord permettre à une famille d'y vivre, ensuite donner la possibilité de recevoir pour créer du lien social, et enfin, faire l'objet d'un contrat. Dès lors que l'une des trois conditions n'est pas présente, on parle d'exclusion par le logement ou de mal logement.

L'absence de logement entraîne, dans la majorité des cas, le recours au dépannage familial ou amical. Malheureusement, ce phénomène est peu visible. C'est pourquoi nous préférons au mot « héberger » le mot « dépanner », considérant que ce mode d'existence est extrêmement précaire. En effet, il est difficile pour deux familles de vivre ensemble dans un logement prévu pour n'en héberger qu'une seule. En outre, nous savons que la durée moyenne de l'hébergement aujourd'hui est de deux ans et que, dans certaines agglomérations, 25% des demandeurs de logements HLM sont dépannés par la famille ou des amis. Par conséquent, cette situation doit être considérée avec sérieux, mais pose encore un problème de légitimité pour le demandeur, eu égard à son inscription territoriale. La demande est ainsi parfois considérée comme abusive alors qu'elle ne l'est pas réellement.

Enfin, nous observons des manifestations extrêmes du mal logement comme la renaissance des bidonvilles depuis l'an 2000. Les bidonvilles sont, en particulier, associés à la population « rom » issue d'Europe de l'Est. A ce propos, une série d'outils a été créée que nous avons encore des difficultés à utiliser. Ce problème est très difficile à résoudre, dans le sens où il est particulièrement difficile de convaincre la communauté locale de proposer des endroits spécifiques pour accueillir ces populations. Les communes craignent également un effet d'appel d'air, idée contre laquelle nous essayons de lutter. En effet, nous considérons que les problèmes contre lesquels nous n'agissons pas ont beaucoup de chances de s'étendre, alors que l'inverse n'est pas certain. Je vous renvoie, à ce sujet, à l'ouvrage intitulé L'Histoire de la France sociale au 19 e siècle, qui comporte un passage traitant du phénomène de l'appel d'air. Le problème de l'appel d'air concerne toutes les actions de lutte contre la pauvreté depuis toujours.

Mme Brigitte BOUT, Présidente - Que pensez-vous du dispositif juridique mis en place à travers la loi Dalo ?

M. André GACHET - Je pense que la loi sur le droit au logement opposable représente une opportunité de faire évoluer la situation. Toutefois, il conviendra d'éviter deux écueils, dont celui de la stigmatisation des publics. Nous devrons ainsi veiller à ne pas utiliser d'expressions telles que « le public Dalo », dans le sens où le droit au logement est opposable pour tout le monde. La stigmatisation du logement social est certainement l'un des premiers problèmes que les collectivités locales et l'Etat doivent combattre. Ensuite, il ne faudra pas que les dispositifs d'application de la loi ne deviennent des dispositifs de sélection des ménages éligibles.

Par ailleurs, la loi soulève des enjeux importants, tels que la cohésion des dispositifs d'intervention et de l'ensemble des moyens préexistants, avec une obligation de résultat dont l'Etat et les collectivités sont garants.

Je citerai l'exemple du maintien au logement des ménages menacés d'expulsion locative, qui découle d'une des préconisations du comité de suivi. Elle permettrait en effet d'éviter l'augmentation du nombre de demandeurs. S'agissant des menaces d'expulsion des ménages, trois cas de figures se présentent :

Dans le premier cas, le coût du loyer est devenu trop élevé en raison d'une perte de revenu, et l'adéquation entre les ressources et le paiement du loyer ne peut plus se réaliser. Une seule solution peut alors être envisagée : le changement de logement. Il s'agira alors simplement d'assurer la transition entre le moment où l'impossibilité de payer le logement se présente et le moment où le ménage quitte le logement. Il faudra veiller à ne pas aggraver le coût social pouvant résulter de la situation.

Dans le second cas, le ménage pourrait payer le loyer, mais s'est trouvé, à un moment donné, aspiré dans la spirale de la dette.

Dans le troisième cas, l'expulsion interviendrait parce que le locataire est devenu invivable pour son voisinage.

Comment est-il possible d'agir dans ces trois cas ?

Dans les deux premiers cas, nous pouvons utiliser des outils déjà existants, tels que des dispositifs de logement temporaire comme la sous-location. Nous pouvons également avoir recours à la mise entre parenthèses du bail jusqu'à ce que la dette soit comblée. Ainsi, avec l'accord du propriétaire, l'association devient locataire du logement et fait en sorte, par un travail d'accompagnement social, de ramener la dette à zéro. Aujourd'hui, nous utilisons d'allocation de logement temporaire pour agir de cette façon. Cette allocation forfaitaire est versée aux associations. Or, pour qu'un tel dispositif puisse davantage fonctionner, il faudrait lui accorder plus de moyens financiers, en tenant compte de l'économie qui pourrait alors être réalisée.

Dans le cas d'une expulsion pour trouble au voisinage, nous disposons déjà d'un outil. En effet, un article de la loi contre les exclusions donne la possibilité, pour un bailleur social, de déplacer la personne. Or, ce texte n'a jamais utilisé, hormis par les associations qui sont aussi des logeurs.

Pour parvenir à trouver une solution, nous devons toujours travailler en partenariat. Si nous souhaitons effectuer un réel travail de prévention locative aujourd'hui, un métier serait à inventer ou à réinventer : le métier d'agent de relogement. Il nous faut avoir une vision décomplexée du problème de l'expulsion locative, pour démentir l'idée selon laquelle l'association serait nécessairement du côté du locataire et non du propriétaire.

Prévenir l'expulsion locative, c'est procurer un avantage à chacune des parties concernées, au bailleur comme au locataire.

Mme Brigitte BOUT, Présidente - Vous insistez sur la nécessité d'avoir de la cohésion entre les différentes actions menées et de valoriser le travail en partenariat. Comment travaillez-vous avec vos partenaires ?

M. André GACHET - En matière de partenariat et de mise en cohérence des dispositifs, nous devons nous appuyer sur le socle que constituent le plan départemental d'action pour le logement des personnes défavorisées et le plan local d'urbanisme. En effet, des outils de connaissance et de mise en cohérence existent déjà. Il est certain que les dispositifs nécessitent des efforts humains, avec des hommes et des femmes ayant envie de les faire fonctionner.

Mme Brigitte BOUT, Présidente - Certes, le rôle des acteurs de terrain est primordial. Mais il faut aussi interpeller les services payeurs, tels que les Conseils généraux.

M. André GACHET - C'est pourquoi il est important que les décisions soient prises de manière conjointe par les différents acteurs et ce, en fonction des mêmes objectifs. Aujourd'hui, les instances locales possèdent les moyens de faciliter le fonctionnement des dispositifs. Lorsque l'un d'entre eux fonctionne, il faut parfois le revitaliser après quelques années, car les acteurs peuvent changer. Il faut également faire circuler une information lisible et compréhensible par tout le monde.

Depuis 1998, nous avons créé à Marseille et à Lyon, à l'intérieur des palais de justice, aux côtés des tribunaux d'instance et en lien avec les magistrats, des lieux d'accueils traitant de la question de l'expulsion locative. Ces permanences sont tenues par des travailleurs sociaux de la Caisse d'allocation familiale. En outre, une avocate du barreau local et des intervenants sur le logement qui appartiennent à notre association interviennent dans ces accueils. Notre objectif consiste à apporter trois compétences à des personnes en difficulté: le droit, l'accès aux droits sociaux et des informations sur le logement. Les acteurs de ces lieux ont d'abord découvert leurs compétences réciproques, régies par des règles. Par conséquent, de même que nous développons le service aux particuliers, nous accroissons notre connaissance du réseau professionnel existant. Cette démarche collective et cette addition de métiers possède donc davantage de chances d'intéresser d'autres partenaires.

Je suis aujourd'hui convaincu que les outils préexistants suffisent et qu'il n'est pas besoin d'en inventer de nouveaux.

Mme Brigitte BOUT, Présidente - Je remarque que n'existe pas de turn-over dans le domaine du logement. Ainsi, les personnes, lorsqu'elles s'installent, restent dans leur logement.

M. André GACHET - Cette situation est liée à la crise du logement que nous vivons aujourd'hui, crise, par ailleurs, paradoxale dans le sens où le nombre de constructions ne s'est jamais autant accru. Pour les ménages les moins riches, le logement accessible représente une très faible part de l'offre locative. De plus, dans le logement social, le turn-over a diminué de manière très importante. De ce fait, il faudrait qu'une production forte de logements sociaux soit proposée, avec un nombre de PLAI doublé, ou que les loyers soient réglementés. Sans cela, l'écart se creusera encore davantage.

Le logement privé représente aujourd'hui 70% des financements publics pour le logement. Une partie de ces financements ne s'accompagne pas de contreparties sociales. Or nous pensons que l'argent public doit contribuer à une évolution sociale. Nous mobilisons aujourd'hui des logements du parc privé, en signant des accords avec les propriétaires sur une base morale ou sur une base économique, avec l'apport d'une garantie complémentaire, d'une prime régionale ou départementale ou d'un système d'assurance fort.

Mme Brigitte BOUT, Présidente - Il faut aussi apporter un minimum de garanties aux propriétaires qui auraient l'intention d'avoir des locataires.

M. André GACHET - Je partage tout à fait votre point de vue. Il faut que les deux parties, le locataire comme le propriétaire, soient sécurisés. Néanmoins, l'ampleur des besoins est telle que, dans nos villes, le phénomène du dépannage, que j'ai évoqué précédemment, a des conséquences sur la vie quotidienne des gens. Or ce phénomène est invisible car il n'est pas considéré comme un problème lorsque sont prises en compte les demandes de logement.

Mme Brigitte BOUT, Présidente - Je vous remercie de cet échange.

Audition de Mme Nicole MAESTRACCI, présidente et de M. Hervé de RUGGIERO, directeur général de la Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale (Fnars) - (12 février 2008)

Mme Brigitte BOUT, Présidente - Notre mission a pour objectif de réfléchir sur les causes de la pauvreté et de l'exclusion. Nous souhaiterions que, dans un premier temps, vous nous présentiez brièvement votre fédération. Nous vous poserons ensuite quelques questions. Je vous prie d'excuser le président et le rapporteur de cette commission, aujourd'hui empêchés.

Mme Nicole MAESTRACCI - Je vous remercie de nous recevoir. Permettez-moi de me présenter. Je suis magistrat et présidente de la Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale. M. Ruggiero, lui, est le directeur général de cette fédération qui recouvre la plupart des champs de l'exclusion.

La Fnars a été créée en 1956, à une époque où n'existaient pas de centres d'hébergement, par un certain nombre d'associations caritatives telles que le Secours catholique, Emmaüs, Aurore, l'Amicale du nid et l'Armée du Salut, autour de l'accueil des sortants de prison et des prostituées. Pendant ses premières années d'existence, la Fnars a beaucoup construit, en lien avec les pouvoirs publics, des politiques publiques et, en particulier, la mise en place des premiers centres d'hébergement pour personnes en difficulté.

Elle fédère aujourd'hui 850 associations, parmi lesquelles des associations très connues et de petites associations locales ou régionales. Ces associations gèrent environ 75% des centres d'hébergement, qui peuvent aussi oeuvrer dans le domaine de la réinsertion sociale.

Elle regroupe également la moitié des ateliers chantiers d'insertion, financés à l'aide des contrats aidés et accueillant les personnes les plus éloignées de l'emploi, mais également près de la moitié des centres d'accueil pour les demandeurs d'asile. Cette fédération apporte aux associations membres un certain nombre de services, en termes de veille juridique, de formations et d'informations diverses, dans un domaine très complexe qui évolue extrêmement vite. Elle a également, pour objectif, d'attirer l'attention des pouvoirs publics nationaux, locaux et européens sur des questions concernant les personnes les plus en difficulté.

Notre fédération s'est, dans un premier temps, plutôt développée autour de la revendication de moyens, alors qu'elle s'est orientée davantage, au coures des dernières années, vers des propositions de politiques publiques. A cet effet, nous avons tenus des états généraux en 2006 et en 2007, qui nous ont permis de diffuser un certain nombre de propositions concrètes sur l'évolution de la prise en charge des personnes les plus en difficulté. Nous travaillons également, au travers de conventions passées avec les pouvoirs publics, notamment avec la direction générale de l'action sociale, la direction générale de la santé et la direction de l'administration pénitentiaire, autour de l'animation d'un réseau. Nous diffusons, de cette manière, un certain nombre d'informations de façon très rapide.

Nous avons, par ailleurs, travaillé sur le sujet de l'hébergement d'urgence à la suite de la crise du canal Saint Martin. Les pouvoirs publics nous avaient alors demandé de contribuer à la résolution de la crise. A Paris, mais aussi dans d'autres villes de province, nous avons rencontré les associations concernées, de même que les travailleurs sociaux, afin d'effectuer un diagnostic social concernant personnes qui vivaient sous les tentes, et de proposer des solutions. Nous avons, par la suite, organisé, bénéficiant du soutien du gouvernement, une conférence de consensus autour de la question des sans-abris, celle-ci ayant eu lieu au mois de décembre dernier. Puis, nous avons été reçus par le Premier Ministre, lequel a invité le député des Yvelines, à proposer des solutions concrètes à partir des conclusions de cette conférence et des préconisations émises par le comité de suivi de la loi sur le droit au logement opposable. Le Premier Ministre a, par ailleurs, indiqué que les conclusions d'Etienne Pinte avaient été reprises et acceptées par le gouvernement. Nous sommes aujourd'hui en train de travailler sur la mise en oeuvre de ces mesures, tout en regrettant que les moyens associés à ce plan ne soient pas à la hauteur de nos espérances.

Mme Brigitte BOUT, Présidente - Je vous remercie beaucoup pour cet exposé très précis. Avez-vous perçu récemment une augmentation de la pauvreté ou une évolution des catégories de la population touchées par ce phénomène ?

Mme Nicole MAESTRACCI - Il est difficile de répondre à cette question, dans la mesure où nous manquons de données croisées à ce sujet. Les informations dont nous disposons aujourd'hui émanent de l'Insee ou du rapport de l'Observatoire de la pauvreté. Elles montrent une baisse de la pauvreté monétaire au cours des dix dernières années, mais ces chiffres ne témoignent pas de la réalité de la situation des personnes. Il faut, en effet, tenir compte d'autres critères, tels que l'effort déployé pour construire du logement, celui-ci étant beaucoup plus important aujourd'hui qu'il ne l'était il y a dix ans. Ainsi, une personne se situant au-dessous du seuil de pauvreté ne peut pratiquement plus se loger, sauf dans un logement de type PLAI. Lorsqu'une personne atteint un revenu médian, équivalent à 1 300 euros pour une personne seule, le taux d'effort est souvent supérieur à 50%. Dans le même temps, le maintien de la pauvreté monétaire s'est accompagné d'une baisse du « reste à vivre ». Nous souhaitons que soient définis des indicateurs plus fins et plus précis de la pauvreté monétaire. Nous avons d'ailleurs eu un débat avec le gouvernement sur ce sujet, lorsque le Président de la République a confié à M. Martin Hirsch la mission de réduire la pauvreté de 30% dans les cinq ans à venir.

Il convient de corriger, en le croisant avec d'autres données, l'indicateur actuel, qui fait état, entre 2000 et 2005, d'une diminution de 27% de la pauvreté monétaire. Les autres données peuvent représenter le taux d'effort nécessaire pour se loger ou la précarité de l'emploi, avec des temps partiels subis qui rendent la situation des personnes beaucoup plus difficile qu'elle ne l'était auparavant. De même, le coût des transports dans la région parisienne constitue une des raisons pour lesquelles les personnes préfèrent continuer à bénéficier des minimas sociaux plutôt que de travailler.

Pour répondre à votre question concernant les catégories de personnes, nous recevons aujourd'hui, dans nos centres d'hébergement, des personnes qui travaillent mais qui vivent en-dessous du seuil de pauvreté. De plus, les systèmes d'indemnisation, devenus extrêmement complexes, laissent de côté un certain nombre de personnes. Ainsi, les jeunes âgés de 18 à 25 ans ont beaucoup plus de chances de se retrouver au chômage s'ils sont issus d'une zone sensible. Si ces jeunes ne bénéficient pas de la solidarité familiale, ils plongent très rapidement dans une situation de pauvreté importante. Les centres d'hébergement ont ainsi récemment constaté qu'ils accueillaient environ 20% de jeunes de 18 à 25 ans, alors que cette tranche d'âge ne correspond qu'à 9% de la population générale. Ce phénomène de la surreprésentation de ces jeunes dans les centres d'hébergement est tout à fait nouveau. Il constitue une préoccupation majeure.

Nous sommes également de plus en plus confrontés à des problèmes de santé importants. Ainsi, plus une personne est pauvre, plus elle se soigne tardivement et rencontre des problèmes d'accès à la CMU. De plus, un certain nombre de médecins refusent de recevoir les patients bénéficiant de la CMU, accroissant ainsi les difficultés des personnes. De même, les problèmes psychiatriques s'aggravent du fait de la crise de la psychiatrie publique, 800 postes en psychiatrie s'avérant vacants aujourd'hui. La psychiatrie de secteur s'occupe prioritairement des psychotiques et des personnes les plus en difficultés, alors que les personnes sans-abri et présentant des troubles du comportement sont de moins en moins pris en charge.

En outre, nous accueillons un nombre croissant de personnes âgées qui, si elles n'ont pas cotisé suffisamment, se retrouvent seules ou ne bénéficient pas de la solidarité familiale, sont confrontées facilement à des situations de précarité.

Par ailleurs, la grande précarité engendre des problèmes d'addiction, à l'alcool ou à la drogue.

Pour conclure sur le sujet, nous demandons de disposer d'un Observatoire national de la pauvreté qui soit doté de moyens et nous permette d'évaluer correctement les besoins de la population. Il nous semble que cette demande, entendue par le Premier Ministre, constitue un préalable indispensable à toute politique publique de lutte contre la pauvreté. Jusqu'à présent, les politiques se sont surtout préoccupées des situations d'urgences, et nous n'avons pas assez d'éléments de connaissance satisfaisants et suffisants pour agir de manière cohérente.

Mme Brigitte BOUT, Présidente - Un des objectifs de notre commission consiste effectivement à mieux comprendre les causes de cette situation.

Mme Isabelle DEBRÉ - Je souhaiterais poser une question très précise. Vous avez affirmé que certains médecins refusent de recevoir les bénéficiaires de la CMU. Or, il conviendrait d'en chercher les causes. Ne croyez-vous pas qu'il faudrait, malgré tout, responsabiliser les personnes, pour qu'elles s'engagent à venir aux rendez-vous fixés par les médecins ?

Mme Nicole MAESTRACCI - Nous sommes confrontés à un véritable problème de santé publique à l'égard des personnes très précarisées et je pense que, lorsqu'une personne se trouve dans une situation difficile, elle a plus de difficultés à honorer les rendez-vous qu'une personne bien intégrée. Il nous faut aller au-devant de ces personnes et nous donner les moyens d'établir une relation de confiance avec elles. Je suis convaincue que la société doit trouver les moyens de les responsabiliser intelligemment. Néanmoins, je partage en partie votre point de vue, car notre système de santé, fondé sur une médecine libérale, permet assez peu de travailler en réseau et d'accompagner les personnes dans leur démarche.

Mme Isabelle DEBRÉ - Effectivement, nous ne pouvons pas vouloir à la fois un système de santé fondé sur la liberté d'installation et la liberté individuelle des médecins et un système de santé publique qui protège les individus et l'ensemble de la société. Il nous faudra, par conséquent, effectuer des choix dans ce domaine.

M. Yannick BODIN - Je partage l'avis de Mme Maestracci selon lequel il est difficile, pour les gens les plus en détresse dans notre société, d'avoir le sens des responsabilités.

Il me paraît, par ailleurs, important de souligner l'émergence, depuis quelques temps, de la notion de travailleurs pauvres. Pendant longtemps, une personne pauvre a représenté une personne sans revenu. Or, aujourd'hui, de plus en plus de personnes qui travaillent, parfois même à temps plein, sont pauvres, ayant besoin de plus de ressources pour financer leur logement, leurs biens, etc.

Je souhaiterais en savoir davantage sur la fréquentation des centres d'hébergement d'urgence, au sujet desquels la télévision nous donne chaque soir une information qui démentit celle de la veille. Il semblerait que certains SDF ne veulent pas fréquenter ces centres d'hébergement, les jugeant insalubres ou insécurisés. Quelle vraie lecture pouvons-nous avoir de cette situation ? Quels problèmes y a-t-il au niveau de l'hébergement d'urgence ?

Enfin, je suis très préoccupé par la question de l'hébergement à long terme des femmes battues. Comment est prise en charge la situation de ces femmes en difficulté à l'heure actuelle ?

Mme Nicole MAESTRACCI - Notre système d'hébergement d'urgence et d'insertion est assez complexe, dans le sens où certains centres d'hébergement traitent des situations d'urgence et inversement. D'ailleurs, nous avons proposé au gouvernement une unification des cadres juridiques à partir d'un référentiel précis. Ensuite, la direction générale de l'action sociale a beaucoup de difficultés à connaître les moyens d'hébergement dont elle dispose. Effectivement, nous ne possédons pas une vision précise du dispositif d'hébergement. Le nombre de places disponibles dans les centres d'hébergement varie en fonction des régions. Nous disposons de suffisamment de places en termes quantitatifs, mais pas en termes qualitatifs. Nous avons ainsi créé des places sans analyser les besoins et les situations des personnes. Par exemple, peu de lieux sont adaptés à des jeunes. Ensuite, dans la mesure où nous avons conservé des lieux d'hébergement collectifs tels que des dortoirs, les personnes préfèrent, du fait du manque d'intimité, rester dans la rue. Les personnes sans-abri ne veulent pas obtenir ce type de réponses qu'ils savent provisoires. Elles ont, au contraire, besoin de continuité et de référents prêts à les accompagner dans leur parcours d'insertion. Par conséquent, la polémique que nous avons pu observer cet hiver résulte de cette situation.

Lorsqu'à la suite de la crise soulevée par l'association des Don Quichotte a été mise en place une cellule de suivi, avec des travailleurs sociaux recevant les personnes vivant sous les tentes, nous nous sommes aperçus que cet accueil correspondait à un besoin. Par exemple, les personnes auxquelles nous avions attribué un logement ressentaient une angoisse considérable à l'idée de vivre seules, après avoir erré pendant plusieurs années. En l'absence de référent, la solution trouvée pour ces personnes risque, dans la majorité des cas, d'échouer. Or, jusqu'à présent, les politiques d'urgence se sont préoccupées essentiellement des mises à l'abri. Il faut que la personne entre dans le cadre du dispositif en étant accompagnée par une équipe de travailleurs sociaux référente, et soit suivie dans la durée. Ce suivi peut parfois durer deux ans, mais garantit que la personne ne retournera pas à la rue. D'une certaine façon, ce travail de réinsertion coûtera moins cher à la société en termes de financements, mais aussi apportera plus de sécurité et de lien social.

Au regard des actions menées par d'autres pays européens, nous nous sommes rendu compte que nous pouvions nous améliorer dans ce domaine. En effet, les pouvoirs publics ont dépensé énormément d'argent pour les sans-abri, avec une augmentation importante de 25% des crédits consacrés à résoudre les situations d'urgence entre 2000 et 2005. Paradoxalement, dans le même temps, nous avons observé que de plus en plus de personnes vivaient dans la rue. En outre, notre système d'urgence sociale s'est beaucoup inspiré de l'urgence médicale, alors qu'elle en est radicalement différente. Il est, en effet, très rare que nous puissions guérir les problèmes sociaux en urgence. Aujourd'hui, nous avons conscience que cette politique, ayant uniquement consisté à mettre les gens à l'abri, échoue nécessairement. Il faut lui substituer une logique d'insertion qui nécessite du temps.

S'agissant des femmes victimes de violences, nous avons acquis du savoir-faire et disposons de nombreuses structures, créées par les associations adhérentes à la Fnars. Aujourd'hui, le problème principal est posé par le conjoint. Certes, la loi prévoit l'éviction du conjoint violent. Mais il convient de s'occuper de lui et pas seulement de l'héberger. Cet aspect avait été mis en évidence lors de la mission dirigée par le psychiatre M. Roland Coutanceau. Si nous ne nous occupons à la fois, et en même temps, des femmes victimes de violences et de leurs conjoints, les violences risquent de se reproduire. Le phénomène de la répétition est, en effet, caractéristique du domaine des violences familiales. Ainsi, nous observons que certaines femmes victimes de violences reviennent chez leur mari, parce que nous ne nous sommes pas occupés suffisamment des deux conjoints. Un énorme travail reste à accomplir dans ce domaine.

La plupart des départements sont dotés de structures de bonne qualité, avec des professionnels possédant un réel savoir-faire. En revanche, le travail sur les conjoints devrait être approfondi, ce qui nécessite la mise en place de programmes particuliers. En effet, certains hommes sont dans le déni tandis que les femmes sont dans la victimisation. Il convient d'éviter les schémas trop théoriques sur ces questions, notamment lorsque des enfants se trouvent au coeur de ces situations. Néanmoins, il me semble constater une évolution dans la prise en compte de ces problèmes.

Mme Brigitte BOUT, Présidente - Je souhaiterais également que nous évoquions le champ de l'insertion. Quel est votre point de vue sur le dispositif du RSA ?

Mme Nicole MAESTRACCI - Notre fédération a une idée plus globale de l'insertion, dépassant le strict périmètre du champ de l'hébergement. Nous ne considérons l'hébergement que comme un des outils, et non pas le seul outil, permettant d'assurer l'insertion. Aujourd'hui, du fait de la crise du logement, nous accueillons souvent, dans nos centres d'hébergement, des personnes suffisamment insérées dans le système pour ne plus avoir besoin d'un accompagnement social. Ces personnes, représentant 30% de notre effectif, restent dans les centres d'hébergement pour la seule raison qu'elles n'ont pas accès au logement.

Nous développons actuellement l'idée selon laquelle nous devrions créer des services assurant un accompagnement social, quelle que soit la situation d'hébergement ou de logement de la personne. Ainsi, nous devrions pouvoir accompagner une personne anciennement SDF, depuis son hébergement dans une chambre d'hôtel jusqu'aux premiers mois pendant lesquels il accèdera à un véritable logement. Or, aujourd'hui, les systèmes de financement impliquent que l'accompagnement social soit lié, la plupart du temps, à l'hébergement. Nous souhaitons aller vers une continuité de l'accompagnement et ne pas nous occuper seulement de la situation d'hébergement de la personne.

Par ailleurs, nous avons mis l'accent sur l'insertion par l'activité économique, avec la mise en place de chantiers d'insertion. Les associations intermédiaires et les entreprises d'insertion sont plutôt inscrites dans d'autres réseaux que dans le nôtre. Nous essayons de développer les chantiers d'insertion avec le souci de proposer un accompagnement éducatif dans la durée. Or, les personnes sont accueillies dans les chantiers pendant la durée des contrats aidés, et au-delà de cette période, l'équipe de travailleurs sociaux n'intervient plus auprès de la personne.

S'agissant du RSA, nous avons participé à la commission « Familles, vulnérabilité, pauvreté ». Nous partageons le point de vue selon lequel le dispositif actuel est tellement complexe qu'un certain nombre de personnes n'ont pas intérêt à travailler. Il me semble que le dispositif n'a pas beaucoup de cohérence.

En revanche, nous pensons que la mise en oeuvre du RSA pose deux difficultés :

La première difficulté résulte du fait que le RSA est limité aux bénéficiaires du RMI et aux bénéficiaires de l'API. Il ne concerne donc pas les jeunes, les travailleurs pauvres et les personnes en contrat aidés qui vivent en-dessous du seuil de pauvreté. Or, ce dispositif n'est intéressant qu'à condition de simplifier le système administratif et de lui permettre d'avoir une vocation universelle. Ainsi, il faudrait que toute personne qui travaille, mais ne parvient pas à dépasser le seuil de pauvreté, bénéficie d'une compensation.

Ensuite, à partir du moment où nous garantissons aux employeurs une compensation de salaire pour permettre à ce dernier d'atteindre le seuil de pauvreté, le risque est de voir l'ensemble des employeurs proposer des salaires extrêmement faibles ou des temps partiels subis.

Cependant, ce dispositif n'en est qu'à sa mise en place et il conviendra de l'évaluer par la suite. Il possède le mérite de tenter de simplifier le système. En tant que présidente de la Fnars, je suis à la tête de l'un des groupes du Grenelle de l'Insertion, chargé de s'interroger sur les parcours d'insertion. A cette occasion, je mesure notre difficulté à réfléchir autrement qu'en termes de catégories administratives. Ensuite, je constate un déficit de pilotage et de coordination de l'ensemble des dispositifs d'insertion, gérés par les missions locales, le service public de l'emploi, l'AFPA et tous les autres dispositifs de formation professionnelle. Par ailleurs, un ciblage très important a lieu en direction des chômeurs indemnisés et l'attention portée aux personnes non indemnisées, comme les personnes en fin de droits, les personnes âgées, les jeunes ou les personnes ayant des problèmes de santé, est très faible. Ces personnes sont confrontées à des difficultés d'accès aux programmes de formation, alors qu'un certain nombre de crédits consacrés à la formation professionnelle ne sont pas dépensés.

Je constate que le système du RSA, tel qu'il a été mis en place, ne permet pas de sortir d'une réflexion basée sur des catégories.

En outre, nous essayons de mettre en place un contrat unique d'insertion, offrant la possibilité de mettre un terme à la multiplicité des contrats aidés, tels qu'ils existent aujourd'hui. Ce contrat nécessiterait que nous fassions confiance aux travailleurs sociaux de terrain, qui, disposant une enveloppe globale, pourront adapter le contrat en fonction des besoins de chaque personne en termes de formation, de temps de travail ou de durée du contrat. Le contrôle des tutelles ne s'effectuera pas a priori, mais a posteriori, en fonction d'une évaluation du parcours de la personne.

L'instauration du contrat unique d'insertion pose certaines questions d'ordre juridique auxquelles nous réfléchissons actuellement. Il nous semble que ce contrat pourra constituer une alternative intéressante à la situation actuelle.

Mme Brigitte BOUT, Présidente - Je vous remercie pour cet exposé très complet, qui laisse, malgré tout, beaucoup d'espoirs.

Mme Nicole MAESTRACCI - Nous vous avons apporté une documentation comprenant notre rapport d'activité, le dossier de presse de la conférence de consensus, le rapport du jury de la conférence de consensus, le livre des états-généraux et les treize engagements des vingt-six associations qui ont travaillé dans le cadre de la commission Pinte.

Table ronde consacrée à l'insertion professionnelle - (19 février 2008)

M. Jean-François HUMBERT, Président - Mesdames et Messieurs, je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation. Nous ouvrons cette réunion par une table ronde consacrée au thème de l'insertion professionnelle. Je laisserai le soin à M. Bernard Seillier, rapporteur, de présenter les intervenants et d'animer la discussion.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Je vous remercie, M. le Président, et tiens à souligner l'importance de cette mission commune d'information, à laquelle participent trois commissions (la commission des affaires sociales, la commission des affaires culturelles et la commission des affaires économiques), notre ambition étant d'effectuer un bilan des politiques de lutte contre la pauvreté et de l'exclusion en France.

Notre travail s'inscrit dans le cadre des activités parlementaires de contrôle de l'exécutif. Il pourra nous permettre d'émettre des propositions pour réorienter certaines actions et mettre en avant des points insuffisamment développés à ce jour.

Je considère que la loi de 1988 instituant le RMI s'est traduite par un important développement, à la fois quantitatif et qualitatif, de la législation des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion. Les textes se sont ensuite multipliés, de même que les institutions oeuvrant dans ce domaine.

Il apparaît que le manque de formation des jeunes et leur mauvaise orientation expliquent en grande partie leur pauvreté et leur exclusion, même s'ils n'en sont pas, bien entendu, les seules causes. Néanmoins, il nous a semblé important de concentrer notre réflexion sur ces deux thèmes. J'ai eu l'occasion de rencontrer certains d'entre vous dans le cadre d'un groupe de travail du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion (CNLE) et j'ai jugé indispensable de faire bénéficier cette mission de l'ensemble de vos expériences et de vos réflexions. Vos témoignages nous seront très utiles dans notre travail.

Par ailleurs, j'indique que les auditions font l'objet de retranscriptions intégrales, lesquelles seront indexées au rapport.

Je laisse la parole maintenant à M. Patrick Chauvet, chef du bureau de l'orientation, de l'adaptation scolaire et des actions éducatives.

M. Patrick CHAUVET, chef du bureau de l'orientation, de l'adaptation scolaire et des actions éducatives - Tout d'abord mon propos s'inscrira en amont de tout ce qui touche à l'insertion professionnelle.

J'ai en charge le bureau de l'orientation à la direction générale de l'enseignement scolaire, dont l'activité consiste, en particulier, à préparer les jeunes à leur orientation scolaire et à les accompagner dans leurs choix de carrières professionnelles.

Le travail que nous menons est en train d'évoluer. Auparavant, il résidait principalement dans l'animation du réseau des centres d'information et d'orientation (CIO), en lien avec les conseillers d'orientation et les directeurs de ces centres. Or aujourd'hui, le Ministre de l'Éducation nationale et la direction générale de l'orientation scolaire expriment de plus en plus la volonté que la préparation à l'orientation soit assurée par les établissements scolaires eux-mêmes. Nous assistons, par conséquent, à un changement de représentation de la part des acteurs de terrain.

Cette évolution a commencé à voir le jour à travers la création, dans les classes de troisième, d'options facultatives de découverte professionnelle. Ces options doivent permettre aux jeunes d'avoir une première approche de la vie professionnelle en leur faisant connaître des métiers. Elles ont tendance à se développer et nous souhaiterions faire en sorte que tous les collèges aient la possibilité de les proposer aux jeunes.

Dans le même esprit, il a été décidé, par le précédent Ministre de l'Éducation nationale, d'instaurer des entretiens d'orientation en classe de troisième, de manière à ce que chaque élève noue, avec son professeur principal, un premier dialogue sans aucun rapport avec les résultats scolaires. Ces rendez-vous représenteront l'occasion de parler avec le jeune de ses projets ou de ses ambitions. Nous tenons à ce que les familles y participent, leur présence étant requise pour qu'elles se sentent impliquées dans le devenir du jeune, lequel n'est pas nécessairement conditionné par son milieu social. Notre objectif est qu'un dialogue soutenu ait lieu entre le professeur principal, le jeune et sa famille. C'est par ce biais que le centre d'orientation pourra travailler de manière plus approfondie.

Le Ministre de l'Éducation nationale, lors des journées de partenariat avec les entreprises, a annoncé le lancement d'un nouveau dispositif : le parcours de découverte des métiers et des formations. Ce parcours pourrait démarrer dès la classe de cinquième et se poursuivre tout au long de la scolarité du jeune, possibilité lui étant offerte de visiter des entreprises et de bénéficier de cessions d'information sur des métiers. Il aurait l'obligation, en classe de quatrième, de visiter un lycée et, à partir de la classe de troisième, d'effectuer un stage en entreprise.

Les connaissances qu'il aurait acquises par ces différentes mesures pourraient être approfondies au contact des enseignants, de chefs d'entreprise ou de spécialistes de métiers et de formations. Les étapes suivies par le jeune dans son parcours de découverte des métiers et des formations pourraient être retracées au fur et à mesure dans un document pédagogique. Ainsi, l'Onisep travaille actuellement à la création d'un web classeur. La volonté du Ministre de l'Éducation nationale est de poursuivre ce parcours au lycée en permettant à des jeunes inscrits en classe de première de visiter des établissements d'enseignement supérieur. Dans ce dispositif, les entretiens d'orientation sont confirmés et se voient complétés par un entretien d'orientation en classe de première. En 2008 et en 2009, un entretien d'orientation aura lieu pour les élèves en classe de terminale. Le but est que le jeune puisse exprimer ses ambitions à chaque étape de son parcours.

Cette mesure vaut également pour les élèves de lycées professionnels désireux de prolonger leurs études. Il est prévu, par ailleurs, que tous les nouveaux arrivant dans ce genre d'établissements soient accueillis, de manière systématique, au travers d'un entretien.

Le dispositif voulu, associant la connaissance du monde extérieur, des entreprises et de la vie active, mobilise l'ensemble des acteurs de l'établissement scolaire. Il s'accompagnera d'un système d'orientation active, tourné vers les jeunes lycéens et ayant pour finalité de mieux assurer leur passage entre le lycée et le monde de l'enseignement supérieur. Le souhait de la direction générale de l'enseignement scolaire est que les parcours d'ouverture sur la vie active soient pris en compte par l'équipe pédagogique des établissements et que le jeune ait le sentiment de participer lui-même à la construction de son projet dans le cadre d'une orientation plus positive.

Ce projet suppose une évolution du CIO et du rôle des conseillers-psychologues, destinés à devenir un apport qualitatif auprès des enseignants. Le cahier des charges de la formation des maîtres, tel qu'il a été publié en 2006, prévoit explicitement, dans les missions des enseignants nouvellement recrutés, un volet relatif à l'orientation. Il s'agit de faire en sorte que les professeurs acquièrent la capacité d'accompagner les jeunes dans leurs parcours et de développer leur ambition.

En matière d'aide à l'orientation, nous avons, par ailleurs, développé des dispositifs d'affectations au travers d'une application informatique, permettant d'identifier plus facilement les jeunes ne disposant pas d'accès aux établissements et d'organiser leur prise en charge. Grâce à cet outil, tous les acteurs jouant un rôle dans l'accès aux formations bénéficieraient, en temps réel, d'une visibilité sur la situation et le parcours des jeunes.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Quelle est l'organisation de votre bureau?

M. Patrick CHAUVET - L'adaptation concerne l'action auprès des handicapés. Les actions éducatives, elles, sont consacrées au domaine périscolaire.

Mme Marie-Véronique SAMAMA-PATTE, chef du bureau de la formation professionnelle initiale - Je travaille au sein de la sous-direction des formations professionnelles, laquelle est rattachée à un service de formation et s'occupe de tout ce qui a trait aux diplômes et à la formation professionnelle. Un bureau a en charge, en lien avec le monde professionnel, la construction des diplômes professionnels, un autre la formation continue des adultes, un troisième la réglementation et les examens, un dernier, celui placé sous mon autorité, en partenariat avec le Ministère du Travail et de l'Insertion, la formation professionnelle initiale dans les lycées professionnels et l'apprentissage pour des jeunes rencontrant des difficultés particulières.

Nos objectifs, réaffirmés par la loi de 2005, consistent à avoir, pour une classe d'âge, 100% de diplômés de niveau 5, 80% de diplômés du baccalauréat et 50% de jeunes inscrits en enseignement supérieur. Lors de mon intervention dans le cadre du CNLE, j'ai souligné la présence de mesures pour tous, par exemple la rénovation des programmes et un partenariat avec les entreprises, et de dispositifs spécifiques tournés vers les publics en ayant le plus besoin.

Aujourd'hui, je souhaiterais développer cette notion de mesures pour tous, puis centrer mon intervention autour d'un système singulier que représente la mission générale d'insertion.

Préalablement, je tiens à revenir sur la notion de qualification. Avant le sommet de Lisbonne de 2000, une personne sans qualification correspondait à une personne sortie du système éducatif après le collège ou après une première année de CAP ou un BEP. Aujourd'hui, est considéré comme qualifié un individu ayant au moins un diplôme du cycle secondaire, à savoir un CAP, un BEP ou un baccalauréat. L'objectif assigné au niveau européen est que 85% des jeunes de 20 à 24 ans soient titulaires d'un diplôme ; le taux des jeunes sans qualification s'établissant à 17% aujourd'hui.

La rénovation de la voie professionnelle, annoncée à la rentrée 2007, comporte trois séries de mesures :

- la rénovation des enseignements généraux : BEP et baccalauréat professionnel ;

- la possibilité de passer le baccalauréat professionnel en trois ans ;

- le développement du concept « le lycée des métiers ».

Concernant le baccalauréat professionnel, il sera toujours possible de l'acquérir au travers d'un cursus de formation d'une durée de quatre ans. Le CAP, quant à lui, est préservé. Nous souhaitons maintenir, en effet, la pluralité des offres de formation tout en proposant des passerelles entre elles.

Le fait de permettre aux jeunes d'obtenir un baccalauréat professionnel en trois ans impose de se demande si la valeur de ce diplôme n'est pas remise en cause, étant entendu qu'il s'agit d'un diplôme d'insertion. Or je rappelle à ce sujet que les diplômes de l'éducation nationale sont conçus en fonction de référentiels d'activités professionnelles et de certification. Les diplômés ont, par conséquent, acquis des compétences terminales. Les jeunes qui passeront leur baccalauréat en trois ans possèderont donc bien les mêmes compétences que ceux mettant 4 ans pour l'avoir aujourd'hui.

Le concept « le lycée des métiers » montre que certains lycées professionnels et polyvalents sont engagés dans une démarche de label qualité, les obligeant à respecter un cahier des charges. Ces établissements doivent fonctionner en réseaux, accueillir différents types de publics (élèves, apprentis, stagiaires de la formation continue), valider les acquis de l'expérience, offrir des dispositifs en faveur de l'insertion et nouer des partenariats avec le monde économique et les collectivités territoriales. Le recteur labellise ces établissements au terme d'un processus d'audit.

La mission générale d'insertion représente un dispositif prenant en charge les jeunes de plus de 16 ans, confrontés à un risque de décrochage scolaire ou en rupture avec le système scolaire depuis moins d'un an et sans solution de formation. Nous proposons plusieurs actions pour aider ces jeunes. Tout d'abord, nous procédons à leur repérage, un travail mobilisant l'équipe éducative et basé sur des entretiens de re-motivation, puis la mise en place d'un accompagnement auprès des jeunes, à qui nous suggérons ensuite de suivre des modules d'enseignement général ou technologique adaptés à leurs besoins.

Nous essayons, dans la mesure du possible, de faire en sorte que le jeune demeure dans son établissement d'origine. Notre action peut aussi simplement consister, au travers d'un entretien, à repositionner le jeune par rapport à son projet professionnel.

La mission générale d'insertion intervient seulement quand aucun des dispositifs préexistants n'a fonctionné. Nous observons d'ailleurs que l'amélioration des solutions proposées par le système entraîne une décroissance sensible de l'activité de la mission. A l'issue d'un premier accompagnement, 75% de jeunes retournent en formation, contre 65% au terme d'une action.

Pour conclure mon propos, j'indiquerai que nos partenaires européens sont engagés dans les mêmes réflexions que nous, notamment par le biais d'un cluster consacré à l'inclusion sociale et dont le travail a consisté surtout à mesurer les conséquences d'un départ prématuré de l'école. Lors du dernier conseil européen des ministres en charge de l'éducation nationale, beaucoup d'entre eux se sont montrés très intéressés par les solutions avancées par la France pour réduire la pauvreté et l'exclusion par le biais de la formation.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Merci beaucoup de votre intervention. Je vous propose de poursuivre l'audition. Je passe la parole maintenant à M. Jean-Marie Lenzi, chargé de mission auprès du délégué interministériel à l'orientation.

M. Jean-Marie LENZI, chargé de mission auprès du délégué interministériel à l'orientation - Il n'existe pas de délégation interministérielle à l'orientation aux sens juridique et administratif. De plus, il n'y a plus de délégué interministériel depuis le 1 er janvier.

Je souhaiterais apporter mon témoignage sur le travail réalisé pendant un an par une équipe constituée d'une dizaine de personnes aux profils complémentaires : responsables du Ministère de l'Emploi comme M. François Hiller, universitaires, membres de l'éducation nationale, administrateurs généraux et administrateurs civils.

Pendant près d'un an, toutes ces personnes ont confronté leurs points de vue sur le sujet de l'orientation pour, d'une part, produire un schéma national pour l'orientation, dont certaines mesures ont été reprises dans le programme de la législature actuelle, et, d'autre part, un rapport à la fin de l'année, contenant quelques idées nouvelles. Après quoi, le délégué interministériel a cessé ses fonctions.

Je rappelle que la délégation interministérielle a été instituée dans un contexte social marqué à la fois par la révolte des banlieues et la crise du CPE. Cette crise a fait ressortir le cas problématique des étudiants qui poursuivent des études dont les débouchés ne sont pas à la hauteur de leurs espérances. Le délégué avait donc pour mission de construire un schéma d'orientation et d'insertion professionnelle des jeunes. Il s'est axé sur deux priorités : améliorer l'employabilité des jeunes et favoriser l'égalité des chances.

S'agissant de l'employabilité des jeunes, son travail a démontré que notre système est très inégalitaire et n'offre pas les mêmes chances d'insertion professionnelle à tout le monde. En réalité, l'insertion dépend beaucoup des spécialités et des domaines de formation. Ainsi, si, parmi la population active, le taux de chômage des jeunes est de l'ordre de 23% en moyenne, celui des jeunes diplômés dans le domaine de la santé s'établit à 2% et à 6% pour les jeunes issus des écoles d'ingénieur, entre 7 et 9% pour les titulaires de BTS et d'un baccalauréat professionnel industriel, et à 12% pour les diplômés de second cycle en sciences humaines.

Il se dénombre également un fort taux de chômeurs parmi les jeunes de niveau bac +1 ou parmi les non diplômés ou peu diplômés. Ce taux s'établit à 20% parmi les jeunes ayant le niveau bac mais n'ayant pas acquis ce diplôme, à 14% parmi les jeunes ayant décroché un CAP - ce dernier pourcentage variant selon les types de CAP -, à 31% parmi les jeunes ayant suivi un CAP ou un BEP sans l'obtenir.

C'est pourquoi il est fondamental de connaître la nature des filières proposant le plus de débouchés et les exigences qu'elles impliquent. Dans le cadre du schéma national pour l'orientation, nous avons proposé de mettre en place certaines mesures telles que la découverte professionnelle ou l'orientation active, expérimentée en 2006 et en 2007. Néanmoins, un travail de clarification et d'objectivation de l'information sur les débouchés demeure à accomplir. En effet, il ne faut pas négliger que les étudiants issus d'un milieu défavorisé et qui ne s'insèrent pas dans la vie professionnelle à la suite de leur formation ne représentent pas un bon exemple pour leur entourage.

Outre à améliorer l'information, nous avons travaillé à mesurer l'aptitude du système d'orientation à prévenir l'échec scolaire. Notre dispositif, reposant sur une forte exigence en matière de performance scolaire, est vécu comme un système d'exclusion progressive. Malgré nos efforts destinés à rendre plus positive l'évaluation des jeunes, les grands paliers d'orientation sont encore basés sur une évaluation des aptitudes des élèves réalisée en fonction de leurs résultats scolaires. De plus, l'accès aux grandes écoles s'opère sur des critères très sélectifs et dans un cadre académique.

Le dispositif de découverte professionnelle a pour objectif d'inciter les enseignants à s'intéresser davantage à la découverte des métiers et au devenir des jeunes en dehors de leur discipline. Le système canadien, par exemple, valorise beaucoup plus la découverte du monde professionnel des jeunes âgés de 12 à 15 ans que le nôtre, le but étant de dédramatiser les situations d'échec scolaire. Ce genre de mesure pourrait contribuer à prévenir les sorties du système scolaire de jeunes sans qualification, ces sorties tenant à la fois à des handicaps scolaires très précoces et à des démotivations aggravées par un milieu familial et social défavorable.

Selon la lettre de mission de l'actuel Premier ministre, l'équipe du délégué interministériel devait avancer des propositions pour améliorer l'organisation du système d'orientation. Il nous semble, à cet effet, nécessaire d'examiner la fonction du conseil par rapport à celle de l'enseignement. Aujourd'hui, les professeurs sont peu sensibilisés au travail des conseillers en orientation et il en résulte que ces derniers sont parfois trop directifs. Or, en réalité, ce sont les professeurs, durant les conseils de classes, qui décident de l'orientation des élèves. Nous préconisons, par conséquent, de rapprocher les conseils d'orientation des équipes pédagogiques.

Ensuite, nous nous posons des questions sur la formation des conseillers d'orientation, beaucoup l'estimant emprunte de psychologie. Dans d'autres pays, comme la Finlande par exemple, le conseiller d'orientation professionnelle intervient auprès d'un psychologue.

Par ailleurs, le manque de liaison entre les établissements scolaires et les organismes d'insertion nous préoccupe beaucoup. A cet égard, il apparaît aujourd'hui que, même si les missions locales sont bien réparties sur le territoire, l'institution ne se révèle pas suffisamment cohérente. A Nantes, par exemple, des plates-formes professionnelles ont été mises en place autour des établissements scolaires pour accompagner les jeunes dans la période des six premiers mois suivant leur sortie de l'école. Ces plates-formes mettent en avant le rôle des lycées professionnels en leur permettant de dialoguer davantage avec les autres intervenants issus des missions locales, les organismes consulaires ou les milieux associatifs.

Enfin, nous nous intéressons aux réseaux d'accueil et d'information. Il en existe environ 18 sur l'ensemble du territoire et leur présence, disséminée, soulève le manque d'optimisation de l'organisation des guichets. Il serait bon de les rapprocher et les maisons de l'emploi constituaient une piste intéressante pour y parvenir.

Par ailleurs, se pose le problème de manque de cohérence de l'ensemble des informations relatives aux formations, aux métiers et aux carrières. Une de nos pistes de travail pour remédier à cette situation consistait à vouloir améliorer les systèmes d'information en ligne, comme avaient commencé à le faire Centre Inffo et l'Onisep à travers leurs sites Internet. Il serait judicieux d'instaurer un système de références contrôlé par les pouvoirs publics et non relié à un objectif commercial.

Au niveau européen, nous avons fait partie d'un réseau de correspondants pour l'orientation tout au long de la vie. J'ai constaté, à cette occasion, que nous sommes mal informés des expériences mises en oeuvre dans nos pays voisins. Il conviendrait de passer à une phase d'échange de pratiques, en nous intéressant à celles réellement comparables. Par exemple, il est beaucoup question aujourd'hui des plates-formes d'information téléphonique. Or, à notre connaissance, seuls les Anglais disposeraient de ce type de système.

M. Jean DESESSARD - Dans le cadre institutionnel actuel, il est évident que les régions et les collectivités constituent des partenaires indispensables pour organiser l'information relative aux formations.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Vos propos démontrent qu'il s'agit de distinguer le scénario du droit commun du scénario social à caractère plus curatif. Les missions locales ne représentent évidemment pas des lieux de droit commun, mais des lieux consacrés à l'insertion des jeunes en difficulté. Elles proposent, en effet, un accompagnement très important qui s'étend parfois sur de longues périodes.

Je donne maintenant la parole à Mme Pascale Schmit, chef par intérim de la mission insertion des jeunes à la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle.

Mme Pascale SCHMIT, chef par intérim de la mission insertion des jeunes à la délégation générale à l'emploi et à la formation professionnelle - Mon propos consiste avant tout à vouloir partager avec vous le bilan du plan de cohésion sociale.

Le réseau des missions locales comprend 485 structures, fonctionnant à l'aide d'un mode de financement tripartite auquel participent les collectivités locales, le Conseil régional et l'Etat. Chaque année, il reçoit environ 1 million de jeunes, dont 470 000 nouveaux jeunes. Parmi ces derniers, 71 000 résidents en zones sensibles.

685 000 jeunes accueillis pas les missions locales ont nécessité au moins une intervention au cours des cinq derniers mois. Je précise, par ailleurs, que les missions locales ont 25 ans d'existence.

Je vous indiquerai ensuite quels sont les différents outils de politique publique susceptibles d'être mobilisés par les missions locales dans le cadre du contrat d'insertion dans la vie sociale (CIVIS).

A travers la loi de cohésion sociale de janvier 2005, l'Etat reconnaît, pour la première fois, le rôle des missions locales dans l'accompagnement de tout jeune ayant entre 16 ans et 25 ans. Celles-ci sont maintenant considérées comme des membres concourant au service public de l'emploi et, à ce titre, elles sont garantes de l'accompagnement des jeunes jusqu'à ce qu'ils obtiennent un emploi durable au travers du CIVIS.

Le plan de cohésion sociale représente un plan quinquennal ayant atteint la moitié de son existence. C'est la raison pour laquelle il me semble important de vous en transmettre les résultats. Aujourd'hui, plus de 0,5 million de jeunes ont bénéficié de ce dispositif. Nous avions fixé à l'origine que les jeunes de niveau 5 bis et 6 seraient prioritaires. Ils constituent aujourd'hui 50% des jeunes accueillis par les missions locales.

80% de ces jeunes n'ont pas obtenu le baccalauréat et sont confrontés à une grande difficulté d'accès au marché du travail.

M. Jean DESESSARD - Pourtant, il me semble que les secteurs des métiers de la restauration et du bâtiment recrutent de manière importante, sans exiger de leurs candidats d'avoir le diplôme du baccalauréat.

Mme Pascale SCHMIT - Aujourd'hui, 225 000 jeunes sont sortis du CIVIS. Parmi eux, 42% ont obtenu un emploi durable, à savoir un contrat à durée déterminée de plus de six mois ou un contrat à durée indéterminée. Au total, 110 000 des 225 000 jeunes ont quitté le dispositif après avoir obtenu un emploi. Le parcours moyen du CIVIS s'étend sur une durée inférieure à 18 mois et nous sommes amenés à gérer en même temps environ 240 000 à 270 000 jeunes. 1/3 d'entre eux sont en situation d'emploi pendant leur parcours, bénéficiant de contrats de faible durée. En revanche, seuls 8% à 10% des jeunes accèdent à la formation professionnelle pendant le parcours CIVIS.

Globalement, les résultats obtenus suite à la mise en place des contrats d'insertion dans la vie sociale ne sont pas négligeables.

Nous rencontrons, de manière récurrente, une grande difficulté à sécuriser les parcours et à éviter les ruptures de parcours en raison de reprises d'emplois purement « alimentaires ». C'est la raison pour laquelle nous avons créé l'allocation CIVIS, afin de donner la capacité aux référents des missions locales et des permanences d'accueil, d'information et d'orientation (PAIO) de dispenser une aide financière à des jeunes soumis au risque d'interrompre leurs parcours. Aujourd'hui, 40% des jeunes inscrits dans un parcours CIVIS bénéficient de cette allocation et reçoivent en moyenne 320 euros.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Avez-vous mesuré une différence de qualité d'insertion entre les jeunes ayant bénéficié de l'allocation et ceux qui n'y ont pas eu accès ?

Mme Pascale SCHMIT - Nous dispensons l'allocation aux jeunes rencontrant des difficultés financières. En revanche, les jeunes n'en bénéficiant pas sont parfois domiciliés chez leurs parents et n'éprouvent pas nécessairement les mêmes besoins. Ils ne sont donc pas soumis à la même probabilité d'échec. Nous avons demandé à la Dares d'examiner la situation et celle-ci, après études, a conclu que le parti pris de dispenser une allocation est réellement utile.

Aujourd'hui, nous disposons d'une évaluation qualitative du dispositif à travers des monographies de parcours. Les missions locales nous ont transmis, à ce sujet, des travaux très riches d'enseignements, lesquels montrent une longévité des parcours pour les jeunes confrontés à des situations de réelle précarité. Nous sommes aujourd'hui convaincus que la sécurisation financière a été génératrice de stabilité.

Sur le tableau que je vous ai distribué, apparaît l'ensemble des outils de politique publique que peuvent mobiliser une mission locale ou une PAIO. Parmi eux se trouvent les dispositifs permettant d'accéder à l'emploi pendant le parcours, l'ensemble des actions de formation financées par les collectivités territoriales, les actions de formation de l'AFPA ou les actions financées par l'Unedic, les actions d'accompagnement, et enfin la mobilisation de prestations de placement dans l'emploi.

La palette des dispositifs publics se révèle actuellement assez large. Or, nous souhaitons nous assurer de la complémentarité de ces outils et de leur suffisance pour couvrir les besoins. En résumé, il s'agit d'être en mesure de mobiliser le bon outil pour un jeune au bon moment. C'est en ce sens que nous avons travaillé pour aboutir à la signature des contrats d'objectifs et de moyens relatifs à l'insertion professionnelle des jeunes. Ces contrats sont à négocier au niveau des régions et des représentants des collectivités territoriales, ce qui nous permet d'inventorier l'offre de la politique publique. Aujourd'hui, 14 contrats d'objectifs et de moyens ont été signés en métropole, et nous avons constaté que les politiques publiques répondaient au souci de proposer une palette d'outils la plus complémentaire possible.

S'agissant des outils de la politique publique pour l'accès à l'emploi durable, nous bénéficions, jusqu'à présent, d'un vecteur d'insertion avec le dispositif de soutien pour l'emploi des jeunes. Vous n'êtes pas sans savoir que ce contrat a effectivement permis l'insertion, dans un emploi durable, de jeunes à faibles niveaux de qualification, mais qu'il a également provoqué des effets d'aubaine assez importants. Cette conséquence est liée à la relation directe entre le jeune et l'employeur, aucune intervention des prescripteurs de la politique publique n'ayant lieu entre eux. Nous avons donc souhaité abroger ce dispositif, pour améliorer la lisibilité de la politique publique et permettre aux prescripteurs de garantir aux publics qui en ont le plus besoin un accès aux CDI.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - S'agissant de l'orientation des jeunes, vous avez souligné l'importance de l'implication des professeurs pour qu'un processus vivant d'accompagnement vers l'emploi puisse se mettre en place. Mais comment le contact des enseignants avec le monde professionnel a-t-il été imaginé ?

Ensuite, vous n'avez pas évoqué le phénomène de l'indécision des jeunes dans leur choix d'orientation. Comment envisageriez-vous une forme d'incitation à un choix, qui ne soit pas «traumatisante» ou trop directive pour les jeunes ? J'imagine, par exemple, l'instauration d'un système de bourses d'études ou de prêts d'honneur proposés aux étudiants en échange d'un engagement.

M. Patrick CHAUVET - Votre première question a porté sur le rôle dévolu aux enseignants et à l'équipe pédagogique dans l'orientation des jeunes. Or, dans le cadre des entretiens d'orientation en classe de troisième, il a fallu mobiliser 30 000 professeurs principaux. Les nouveaux maîtres bénéficient d'une formation adaptée aux problématiques d'orientation et nous avons comme objectif que, par la suite, l'ensemble des enseignants en tienne compte. Nous souhaiterions que les réflexions en matière de formation soient imaginées au niveau local et prises en charge, en particulier, par les conseillers d'orientation.

En outre, nous engageons les corps d'inspection à évaluer les enseignants sur leur capacité à s'ouvrir au champ de l'orientation.

Mme Marie-Véronique SAMAMA-PATTE - Pour compléter les propos que j'ai tenus précédemment, je tiens à préciser que les lycées des métiers constitueront des plates-formes qui permettront de transmettre aux jeunes une image réelle et concrète de la profession. Cette sensibilisation doit avoir lieu dès les classes de collège, par exemple à travers la visualisation d'un film ou une activité interactive.

M. Jean-Marie LENZI - Il est fondamental de considérer les étapes de parcours de l'orientation en fonction de l'âge des jeunes. Comme vous l'affirmez, il ne faut pas négliger le jeune public, notamment les élèves en classe de cinquième, qui se sentent beaucoup plus libres pour exprimer leur choix. La question que se posent les jeunes inscrits en troisième serait plutôt de savoir ce qu'ils peuvent faire. Quelques années plus tard, ils se demanderont surtout ce qu'ils ont intérêt à faire. Les choix à effectuer varient en fonction des âges.

Nous devons nous interroger sur la part respective de la formation strictement professionnelle dispensée par l'employeur par rapport à la formation initiale reçue. Par exemple, la fonction publique recrute sans savoir ce que les personnes vont devenir. Le stage va, par la suite, permettre de les orienter professionnellement. Aussi il conviendrait de réfléchir à la mise en place d'un sas de prise en charge de la formation professionnelle par l'employeur.

Ensuite, notre système est fondé sur le principe de parcours sans interruption et sur le principe de l'excellence scolaire. Il culpabilise les personnes soucieuses d'interrompre leurs études, notamment les jeunes âgés de 16 à 17 ans. Le système anglais, lui, au contraire, valorise cette tendance, offrant aux individus la possibilité de passer par un sas de prise en charge. A cet égard, le système du service civil volontaire pourrait être mieux utilisé.

Mme Marie-Véronique SAMAMA-PATTE - Je souhaiterais revenir sur le sujet de la rénovation du baccalauréat professionnel, où il est prévu de donner la possibilité aux jeunes, non autorisés à atteindre ce niveau d'études, d'obtenir le diplôme du baccalauréat professionnel. Dans le cadre du cursus scolaire, l'idée sous-jacente à la création du concept de lycées des métiers est de développer la découverte de champs professionnels pour permettre aux jeunes d'accéder à plusieurs baccalauréats professionnels.

Mme Pascale SCHMIT - Il me semble que l'intervention de M. le rapporteur soulève deux questions distinctes. L'une consiste à savoir comment il est possible de démystifier le monde de l'entreprise. L'autre concerne plus particulièrement l'allocation d'autonomie pour les jeunes. Le traitement de ces questions diffère en fonction du niveau des jeunes.

S'agissant de l'allocation d'autonomie, nous semblons redouter un versement systématique de cette allocation. Est-il, en effet, opportun de déclencher une aide financière lorsque celle-ci n'est pas attendue par le jeune ?

Ainsi, certains jeunes désireux d'être accompagnés dans leur recherche d'emploi ne demandent pas nécessairement un soutien financier. De ce point de vue, les missions locales et une partie des acteurs de la politique publique pensent que l'allocation représente un outil facilitant le parcours du jeune. En ce sens, elle peut être perçue comme une incitation à l'accès à l'emploi. En outre, il ne faut pas oublier que l'allocation est inférieure au revenu reçu par le travail.

L'objectif du CIVIS consiste à accompagner les jeunes qui éprouvent des difficultés à braver le marché du travail et à les inciter à se mesurer à la réalité du monde professionnel. Nous observons, en effet, que la confrontation avec le monde de l'entreprise représente, pour certaines personnes, une véritable angoisse. Plus nous démystifions la réalité professionnelle, plus le jeune se sent soulagé et plus le contact avec l'entreprise devient fructueux.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Je me demande s'il est possible d'imaginer des systèmes intermédiaires permettant de tenir compte de l'indétermination des jeunes quant à leur choix d'orientation.

M. Charles REVET - Je constate que la situation des jeunes ne cesse de se dégrader, au regard des chiffres transmis par Mme Pascale Schmit. Or, le constat actuel n'est-il pas la conséquence d'une orientation trop tardive ? Il ne me semble pas, par exemple, que l'objectif consistant à amener le plus de jeunes jusqu'au baccalauréat soit très pertinent.

Ensuite, je me demande si nous ne devons pas inclure, dans le cadre du parcours de formation dispensé aux jeunes, l'apprentissage de la gestion d'un budget familial.

Enfin, il me semblerait intéressant de pouvoir transposer des lieux d'accueil similaires aux maisons familiales et rurales dans les banlieues difficiles.

M. Jean DESESSARD - Monsieur le Président, je tiens à exprimer quatre observations positives, concernant les propos tenus lors de cette table ronde. D'abord, la généralisation de dispositifs d'orientation professionnelle me semble constituer une piste intéressante pour améliorer la situation des jeunes.

De même, il me paraît important d'assurer la sécurisation sociale des jeunes au travers de l'allocation CIVIS. Ensuite, vous avez préconisé la mise en place d'une formation générale, polyvalente et citoyenne, puis appelé à une meilleure préparation à l'insertion professionnelle et à l'employabilité. J'ajouterai que la sécurisation scolaire, à travers la valorisation des élèves, permet de préparer l'entrée dans le monde professionnel.

Par ailleurs, je regrette que les auditions n'aient pas donné lieu à davantage de comparaisons entre notre système national et les dispositifs en vigueur dans d'autres pays. J'aurais aimé en savoir plus notamment sur les modèles canadiens et finlandais, ce dernier bénéficiant, d'après ce que j'ai pu lire, d'un taux de réussite scolaire bien supérieur à ce qu'il est en France.

J'aurais voulu savoir également les raisons pour lesquelles le système éducatif français n'est pas davantage réactif par rapport au monde de l'emploi. Ainsi, certains directeurs d'entreprises, en particulier dans les métiers de la restauration et du bâtiment, cherchent désespérément à recruter des jeunes.

Vous avez évoqué les difficultés sociales des jeunes, sans parler, toutefois, des problèmes rencontrés par ces derniers avec l'école elle-même. Or, il me semble que certains établissements expérimentent de nouvelles formes de pédagogies très intéressantes. Malheureusement, ils demeurent encore très marginaux.

Nous savons, par ailleurs, que beaucoup de jeunes étudiants choisissent de s'engager dans un cursus d'études en psychologie. Il faut savoir réintégrer ces jeunes ayant opté pour cette démarche, de manière à les aider à trouver un emploi par la suite. Il serait intéressant également d'analyser les raisons pour lesquelles les jeunes n'expriment pas le souhait de s'orienter vers certains métiers.

Le rôle de l'éducation nationale, face aux difficultés d'insertion des jeunes, serait de faire part de certaines préoccupations à d'autres ministères.

M. Jean-François HUMBERT, Président - Répondre à vos questions nécessiterait d'organiser une réunion supplémentaire. Si vous le souhaitez, vous pourrez nous transmettre vos avis et remarques complémentaires par écrit. Toutefois, les interrogations de M. Charles Revet sont précises et il est possible de satisfaire dès maintenant la curiosité de ceux qui les ont posées.

M. Patrick CHAUVET - M. le sénateur, vous semblez estimer que la préparation des jeunes à leur orientation est trop tardive. La mise en place des parcours d'orientation a pour vocation de remédier à ce problème. L'orientation doit faire l'objet d'une préparation en amont, mobilisant les différents acteurs du monde éducatif et du monde professionnel. Nous envisageons ainsi un autre mode d'approche des problématiques d'orientation, visant à anticiper ce processus.

M. Jean-Marie LENZI - Il est vrai qu'au niveau national, nous n'effectuons pas suffisamment d'enquêtes d'opinion auprès des jeunes. A l'échelon régional, des instances de coordination pour la formation professionnelle réunissent à la fois le Ministère de l'Éducation nationale, le Ministère de l'Emploi, la Région et les partenaires sociaux. Au niveau local, les échanges entre les différents acteurs de terrain, qu'il s'agisse des personnels des établissements, des CIO ou de la chambre des métiers, demandent à être développés.

Par ailleurs, il manque des informations objectives sur les métiers, ainsi qu'un travail sur les représentations et l'image des métiers, lesquels nécessiteraient un rapprochement entre les professionnels et les responsables des établissements scolaires au niveau des bassins d'emploi. Un métier comme celui de boucher, par exemple, demeure peu attractif.

Mme Pascale SCHMIT - Nous avions remarqué, à travers la mise en place du contrat de professionnalisation, que seulement 10% des jeunes présentaient un niveau inférieur au niveau 5. Notre objectif consistait donc à accompagner les jeunes bénéficiant du CIVIS jusqu'à l'obtention de leur part d'un contrat de professionnalisation, à une période durant laquelle les entreprises rencontraient des difficultés de recrutement. Au cours de l'année 2006, nous avons réalisé un travail d'accompagnement en matière de formation, en fonction de l'offre des entreprises.

Le bilan de ce travail a été très mitigé, dans le sens où nous avons reçu très peu d'offres d'emploi de la part des entreprises et que la plupart d'entre elles exigeaient des niveaux de qualification élevés. C'est pourquoi nous devrions tenir compte davantage des niveaux de recrutement des entreprises lorsque nous accompagnons les jeunes vers un projet professionnel. Nous avons, par ailleurs, un réel travail à mener avec les entreprises.

M. Jean-François HUMBERT, Président - Je vous remercie de vos interventions. Nous travaillerons dans les semaines à venir à partir des enregistrements de ces auditions et vous adresserons, par écrit, des questions complémentaires.

Audition de Mme Pierrette CATEL, chargée de mission au Conseil national des missions locales - (19 février 2008)

M. Jean-François HUMBERT, Président - Je vous prie de bien vouloir nous excuser de notre retard. Nous allons vous laisser organiser votre exposé comme vous l'entendez.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Mme Pierrette Catel connaît les missions locales, dans la mesure où elle représente souvent le conseil des missions locales au CNLE, mais aussi l'ANPE. Les réseaux d'aides de l'accès à l'emploi sont au coeur des préoccupations de cette commission, la pauvreté et l'exclusion provenant souvent d'une difficulté à accéder à l'emploi.

Je souhaiterais que vous nous fassiez bénéficier de votre expérience et de votre approche méthodologique dans les deux réseaux des missions locales et de l'ANPE.

Mme Pierrette CATEL - Je parlerai davantage des missions locales que de l'ANPE, dans la mesure où je suis venue aujourd'hui représenter le conseil national des missions locales. Bien évidemment, si vous souhaitez me poser des questions spécifiques à l'ANPE, j'y répondrais bien volontiers.

Dans le cadre des réflexions actuelles sur les sujets de l'insertion sociale et professionnelle des personnes en grande précarité, je pense qu'il convient impérativement de rester vigilant. De la sorte, nous éviterons le phénomène du stop and go. Au cours de ces dernières années, un certain nombre de dispositifs ont été mis en oeuvre, puis interrompus, pour être remplacés par d'autres dispositifs. Par exemple, dans le domaine de l'insertion des jeunes, le dispositif TRACE commençait à donner des résultats, lorsqu'il a été remplacé par le CIVIS. Changer un dispositif entraîne une rupture de la mobilisation des acteurs. En effet, la connaissance et l'appropriation des mesures par les professionnels nécessitent du temps.

Le réseau des missions locales représente 488 structures réparties sur l'ensemble du territoire, proposant une intervention auprès des jeunes dans presque 4 000 lieux d'accueil. Chaque mission locale représente le siège d'une offre de services dispensée dans différentes permanences. En 2006, les missions locales ont accueilli 1,2 millions de jeunes. Certains d'entre eux trouvent rapidement l'information dont ils ont besoin et ne reviennent pas à la mission locale. D'autres jeunes, en revanche, vont se fidéliser et bénéficier du droit à l'accompagnement que représente le CIVIS.

Ce dispositif consiste à accompagner le jeune en tenant compte de la globalité de son parcours, pour l'aider à trouver des solutions à l'ensemble de ses différents problèmes. Nous travaillons donc à la fois sur le volet social et sur le volet de l'insertion professionnelle. Pour cette raison, les missions locales ont souvent été amenées à inventer elles-mêmes des solutions lorsqu'elles n'existaient pas sur leur territoire. Par exemple, certaines missions locales en milieu rural ont été obligées d'innover dans certains domaines, en l'absence de partenaires et d'infrastructures.

Le réseau témoigne d'une difficulté à capitaliser les bonnes pratiques et à les partager. Nous souhaitons donc réfléchir à une meilleure structuration du réseau des missions locales, en particulier pour que le réseau d'animation national puisse entrer davantage dans le cadre de ses missions. Nous assistons actuellement à une réorganisation importante, au niveau régional, des services de l'emploi, en particulier à travers la fusion de l'ANPE et l'UNEDIC. C'est pourquoi nous éprouvons un réel besoin d'organiser l'offre de services des missions locales, avec une animation au niveau régional. Cette préoccupation est l'un des champs sur lesquels nous devons travailler dans les mois qui viennent, de façon à ce que l'offre de services puisse s'imbriquer dans celle du nouvel opérateur.

J'aimerais mettre l'accent sur un certain nombre de progrès que les missions locales se proposent d'accomplir, en réponse à la lettre de mission que Mme la Ministre de l'Économie et de l'Emploi nous a adressée récemment. Mme Christine Lagarde nous a demandé de formuler des préconisations visant à réduire les écarts en matière d'emploi entre les ZUS et le reste du territoire. Nous avons rédigé trente-cinq préconisations, qui lui ont été présentées il y a une dizaine de jours, et ont été reçues très favorablement. Nous allons, par conséquent, constituer un groupe de travail pour examiner la mise en oeuvre possible de ces suggestions.

Avant de vous les présenter, je souhaiterais vous indiquer que nous sommes plutôt satisfaits des résultats obtenus pour l'année 2006, même s'ils ne seront jamais suffisants. Il faut toujours garder à l'esprit quel est le type de jeunes que nous accompagnons dans les missions locales. Plus de 50% de ces jeunes ont un bas niveau de qualification et sortent du système scolaire sans diplôme. De plus, ils souffrent souvent de phénomènes d'illettrisme extrêmement prégnants. Ces jeunes ne connaissent pas le monde de l'entreprise. Leurs parents sont souvent dans une situation de pauvreté ou s'approchant de la pauvreté, et sont au chômage depuis plusieurs années. Ces jeunes n'ont donc pas encore conscience de la valeur du travail et ne savent pas comment la mettre en pratique dans leur parcours.

L'accompagnement des missions locales va donc justement permettre aux jeunes de découvrir des métiers et des secteurs d'activité, mais aussi de prendre contact avec la réalité du monde professionnel. A cet égard, je tiens à saluer le rôle des parrains dans ces actions d'insertion. Le développement du parrainage, qui constitue l'une de nos trente-cinq préconisations, engendre des bénéfices collatéraux importants. Ainsi, le parrain qui aide le jeune à se familiariser avec le monde de l'entreprise, va, dans le même temps, changer son regard sur ce dernier. Les parrains, qui ne sont pas formés pour rencontrer les jeunes, sont, en effet, souvent étonnés du bas niveau de qualification et de connaissances générales de ces jeunes. Par conséquent, ce type de rencontre représente une avancée non négligeable dans la lutte contre l'exclusion et contre les discriminations.

Le mois prochain, nous aurons connaissance des résultats exacts du nombre de jeunes entrés dans le cadre du CIVIS. Nous estimons qu'un jeune sur cinq, soit 100 000 jeunes en tout, a obtenu un emploi durable en sortant du dispositif. Même si les résultats semblent faibles, le dispositif est relativement performant et nous ne souhaiterions pas qu'il pâtisse du phénomène du stop and go, mais, qu'au contraire, il soit amélioré.

M. Jean DESESSARD - Dans quelle mesure le dispositif permet-il au jeune de trouver un emploi ?

Mme Pierrette CATEL - Le jeune sortant du système scolaire à 16 ans n'est pas préparé à travailler. Même si les offres d'emploi étaient suffisantes, elles ne correspondraient pas nécessairement à son profil. Ainsi, beaucoup de régions se trouvent confrontées à une inadéquation entre l'offre et la demande. En Seine-Saint-Denis, par exemple, l'économie est en train de se développer. Mais les jeunes sortis du système scolaire sans qualification ne sont pas prêts à intégrer les entreprises du département. Le droit à l'accompagnement offre justement la possibilité de combler les écarts entre l'offre et la demande en matière d'emploi, en proposant des formations adaptées ou en permettant aux jeunes d'effectuer des stages en entreprise.

Les stages ont pour vocation de faire évoluer les représentations des jeunes à l'égard de certains métiers. Par exemple, dans le secteur du bâtiment, l'action majeure des parrains consiste à démontrer aux jeunes que leur représentation des métiers est fausse.

En outre, au cours de l'année 2006, 487 000 jeunes ont accédé à l'emploi ou à une formation durant une courte période. Ces phases d'emploi ou de formation contribuent à redynamiser la démarche d'accès vers un emploi durable, dans le cadre du dispositif. En outre, vous devez savoir que les parcours CIVIS peuvent être longs ; leur durée moyenne est de dix-huit mois. Les jeunes doivent, en effet, accomplir un long parcours entre le moment où ils arrivent à la mission locale et le moment où ils sortent du dispositif. Pour favoriser l'intégration des jeunes, nous effectuons un travail important de mise en relation avec les entreprises, et permettons aux jeunes de se créer un livret de compétences professionnelles. Nous disposons, en ce sens, d'outils de plus en plus performants. Ainsi, dans le cadre du partenariat avec l'ANPE, nous mettons en place des plates-formes de vocations permettant de valider des compétences professionnelles à partir de tests d'habileté. Les jeunes n'ayant pas de qualifications doivent alors démontrer leur capacité à intégrer directement certaines fonctions.

Je souhaiterais, à présent, revenir sur les préconisations que j'ai évoquées au début de mon intervention. Nous les avons classées par objectifs, dont le premier consiste à favoriser les contacts entre les jeunes et les missions locales. Nous nous sommes, en effet, aperçus de la nécessité d'aller à la rencontre des jeunes pour leur faire connaître et fréquenter la mission locale.

M. Jean DESESSARD - Dans ma commune, je constate que les missions locales ont des difficultés à accueillir et à prendre en charge l'ensemble des jeunes qui se présentent. Ainsi, je ne comprends pas la raison de votre démarche consistant à aller chercher d'autres jeunes qui ne fréquentent pas habituellement les structures, alors que la capacité d'accueil de ces dernières est limitée.

M. Paul BLANC - De quelle manière procédez-vous pour mettre en oeuvre cette préconisation ?

Mme Pierrette CATEL - Nous suggérons aux missions locales de travailler le plus possible avec l'ensemble des acteurs sociaux, les différentes branches de l'éducation nationale et les associations. Il faut, en effet, que les jeunes puissent connaître la mission locale, avant d'accéder à ses services. Les structures peuvent, par exemple, organiser des journées portes ouvertes en direction des collèges, permettant aux jeunes d'identifier le lieu et de se créer des repères. Ce travail de tissage de lien doit se développer et être porté par un discours politique. A cet égard, il faut que le secteur social s'organise pour accroître la lisibilité de l'offre de services.

Il est également fondamental de travailler avec les familles. En outre, dans le cadre de la prévention de la délinquance et de la récidive, les missions locales se rendent dans les établissements pénitentiaires pour préparer la sortie des jeunes. Ces jeunes bénéficient de la possibilité de préparer la signature du CIVIS, pour une mise en oeuvre dès la sortie de prison. Nous préconisons de mener ces actions sur l'ensemble du territoire.

De plus, nous devons améliorer la qualité de l'orientation professionnelle, ainsi que son accès, le plus en amont possible, en partenariat avec les CIO et les établissements scolaires.

Nous sommes également très soucieux de valoriser, le plus tôt possible, les compétences des jeunes déjà acquises dans le cadre familial. Ainsi, même si le jeune ne possède pas de diplôme ou de qualification, il peut néanmoins faire preuve de certaines compétences ou de savoir-faire. A cet effet, les plates-formes de vocation jouent un rôle très important dans la détection des compétences.

Nous préconisons, par ailleurs, de mieux lutter contre l'illettrisme, en formant les conseillers à repérer certains cas qui ne sont pas visibles immédiatement. Ainsi, les jeunes illettrés ont souvent développé d'autres compétences qui masquent leurs lacunes, en particulier des compétences orales.

Un autre de nos objectifs consiste à lever les freins à l'élaboration de projets à l'insertion, tout en accordant du temps à ces parcours CIVIS. Nous menons ainsi une action visant à favoriser les changements de comportement et l'acquisition de codes sociaux. Les conseillers ont observé certaines attitudes caractéristiques de jeunes qui fréquentent les missions locales :

Ainsi, ceux-ci viennent aux actions par les copains, mais sans projet professionnel. Il leur est difficile de s'inscrire dans une action sur la durée, étant impatients d'obtenir des résultats ou des aides. Ils confondent les termes volonté et velléité, les verbes assumer et revendiquer. Ils connaissent les normes, mais ne les intériorisent pas. Par exemple, ils ne se lèvent pas le matin s'ils sont sortis la veille. Ils n'acceptent plus le travail de type normalisé, mais le travail individualisé. Ils opposent une force d'inertie, d'attente et d'immobilisme. Ils recherchent des repères, sans en accepter les bornes. Ils n'intègrent pas la notion de hiérarchie et les normes relationnelles sociales y afférent. Ils font un amalgame entre force et pouvoir, maturité et expression de la violence physique. Ils ont un langage vulgaire, voire obscène, qui devient un langage courant. Ils ne mettent plus de sens derrière les mots et ne voient donc pas la nécessité d'en changer. Ils remplacent les valeurs et normes de comportements sociaux, plus spécifiquement professionnelles, par celles de la bande ou du quartier. Ils ont une image, un look et une apparence inadéquats, portant des casquettes, des capuches ou des piercings. Ils refusent d'adapter cette apparence, car cela est assimilé à une perte d'identité. Ils résistent mal à une réponse négative à l'une de leur demande, quel qu'en soit l'objet, car elle est assimilée à un rejet.

Pourtant, lorsque les jeunes arrivent dans les missions locales, leur premier souhait est de travailler. Notre action s'inscrit donc réellement dans une aide aux parcours d'insertion et dans un accompagnement renforcé pour les inciter à changer de comportements.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Quel lien existe-t-il entre ces préconisations et les offres de services proposées par les missions locales ?

Mme Pierrette CATEL - Il s'agit de préconisations particulières, qui mettent l'accent sur certaines bonnes pratiques que nous souhaitons développer, en allant au-delà de l'offre de services habituelle de la mission locale.

Notre troisième objectif consiste à vouloir lever les freins à l'insertion sociale, et à mettre à disposition les « coups de pouce » nécessaires. A cet égard, je vous parlerai plus précisément du FIPJ. Depuis la mise en place du Plan de cohésion sociale, les missions locales bénéficient d'un fonds, le Fonds de l'Insertion Pour les Jeunes. Celui-ci voit son chiffre diminuer tous les ans, alors qu'il permet d'adapter le « coup de pouce » au jeune qui en aurait besoin. En fonction du parcours du jeune et du moment où il se situe dans ce parcours, de nouveaux problèmes peuvent émerger. Par exemple, un jeune, qui doit entrer en alternance, n'a pas anticipé, la plupart du temps, le fait qu'il devra se déplacer vers un lieu de travail ou résider sur ce lieu de travail, avoir l'obligation de bouger et d'avoir une double ou triple résidence. Cependant, dans la plupart des territoires, les moyens de transport sont insuffisants et les jeunes ne possèdent pas la capacité cognitive pour se repérer dans les offres de transport. De plus, il n'existe presque plus d'internats, et les employeurs se trouvent eux-mêmes confrontés à des difficultés du logement. Par conséquent, le jeune, au moment même où il sera mobilisé dans un parcours, aura besoin du « coup de pouce ».

Si vous portez votre attention sur le compte-rendu de l'expérimentation du RSA, vous constaterez que, dans ce cadre aussi, la plupart des gens ont eu besoin du « coup de pouce » ponctuel avant de trouver des solutions pérennes à leurs difficultés.

M. Paul BLANC - Votre discours a-t-il été tenu auprès de Mme Christine Lagarde ?

Mme Pierrette CATEL - Nous considérons effectivement qu'il est nécessaire de tenir ce discours auprès de Mme Christine Lagarde.

Dans le dossier que je vous ai apporté, vous trouverez des documents antérieurs à nos préconisations. Nous avons ainsi organisé des groupes de travail thématiques entre les missions locales, pour capitaliser les bonnes pratiques et les rendre opérationnelles sur l'ensemble du territoire.

De ce travail sont ressorties trente-deux propositions pour le logement des jeunes, dont vous pourrez prendre connaissance en consultant le dossier. Certaines de ces propositions ne sont pas coûteuses et nécessitent des aménagements législatifs. Je pense, par exemple, à des possibilités de colocation, dans le secteur public ou dans le secteur privé, que la loi ne permet pas pour le moment. Ainsi, certaines personnes qui ne veulent pas quitter leur logement alors qu'il est devenu trop grand pour eux, seraient en capacité, si la loi le leur permettait et s'ils y étaient incités, de louer une partie de leur habitation à des jeunes. Nous sommes convaincus que ce type de solutions ferait changer la société, dans la mesure où il permettrait de faire évoluer le regard porté sur les jeunes.

Nous constatons, en effet, que la population jeune est touchée, de manière drastique, par le chômage, du fait d'une discrimination s'apparentant à un fait de société. C'est pourquoi nous devons mettre en oeuvre tous les moyens permettant de changer ce regard, en demandant notamment à la société civile de réaliser des efforts en ce sens.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Y a-t-il d'autres points sur lesquels vous souhaiteriez attirer notre attention ?

Mme Pierrette CATEL - J'aimerais attirer votre attention sur les problèmes de santé des jeunes, et sur la nécessité de réfléchir à la mise en place d'un système permettant à tous les jeunes de disposer d'une mutuelle complémentaire santé. La plupart des jeunes que nous recevons ont des problèmes dentaires extrêmement graves. De même, les risques d'obésité, d'anorexie, de tabagie, d'alcoolisme ou d'addictions diverses sont importants pour cette population particulièrement fragilisée. Celle-ci rencontre, non seulement des problèmes de santé physique, mais également des problèmes de mal-être. Une étude récemment réalisée par le CETAF, que je vous transmettrais si vous le souhaitez, montre que les jeunes issus de milieux défavorisés sont beaucoup plus touchés par ces problèmes de mal-être que d'autres. C'est pourquoi nous avons signé une charte pour la santé des jeunes, qui doit être mise en oeuvre sur l'ensemble du territoire.

Notre dernière préconisation concerne l'accès à l'entreprise et consiste à multiplier les passerelles vers l'entreprise. A cet égard, l'insertion par l'activité économique, et tout particulièrement les chantiers d'insertion, nous paraît constituer une mesure adaptée à notre public. Ainsi, un jeune, travaillant au bénéfice du maintien ou de la rénovation du patrimoine va participer à la vie civile et, par-là même, le regard porté par la collectivité locale sur lui va changer.

Nous signons également des accords avec les entreprises, dans l'optique de créer un réel partenariat et de mettre en place des actions solidaires et de citoyenneté. Les entreprises ne se contentent pas de nous confier des offres d'emploi. Elles participent aussi, par exemple, à des actions de parrainage ou à des réflexions sur la mobilité. Nous avons ainsi réalisé une enquête pour savoir comment les entreprises perçoivent la mobilité des jeunes et son impact sur l'économie de l'entreprise, au niveau du recrutement ou du turn-over .

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Dans la nouvelle carte des organismes et des institutions du secteur public de l'emploi, les missions locales semblent avoir à défendre leur savoir-faire et leur rôle. Percevez-vous une menace relative à l'avenir des missions locales ?

Mme Pierrette CATEL - Au CNML, nous ne pensons pas que le devenir des missions locales soit menacé. En revanche, le réseau des missions locales semble vivre le « syndrome du bouc émissaire », comme le vivent beaucoup de conseillers de l'ANPE. En effet, les usagers des missions locales ou de l'ANPE expriment une demande précise, qui consiste à vouloir trouver du travail, et remettent en cause la capacité des conseillers à répondre à cette demande. Or, le rôle des conseillers n'est pas de donner du travail, mais de mettre en contact les différents acteurs. Le « syndrome du bouc émissaire » engendre de l'incertitude et du stress pour les conseillers.

En outre, les missions locales représentent des structures vulnérables, dans le sens où elles constituent l'émanation d'une volonté locale de trouver des solutions locales répondant à des besoins locaux. De ce fait, il n'existe pas de visibilité partagée des résultats obtenus par ces missions. Ainsi, certaines évolutions, bien que vécues par le jeune, sont imperceptibles de l'extérieur et ne seront donc pas valorisées. Par exemple, lorsqu'un conseiller parvient à aider un jeune à trouver un logement, il va s'agir pour lui d'une « victoire », compte tenu de la difficulté actuelle à se loger. Or, ce travail ne sera pas reconnu par la collectivité, et il appartient, par conséquent, aux pouvoirs publics de lui apporter une visibilité. Il est vrai qu'à certains moments, cette reconnaissance a été ressentie, notamment lors de la mise en place du plan de cohésion sociale et du CIVIS. Par ailleurs, il semble que ce travail soit tout de même reconnu à un niveau local, notamment par les ANPE, conscientes de la valeur ajoutée des missions locales dans l'insertion des jeunes. Les ANPE confient ainsi aux missions locales l'accompagnement de certains jeunes, dont seulement 33% sont indemnisés.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Estimez-vous que la fusion des agences locales de l'ANPE et des Assedic contribuera à renforcer ce « syndrome du bouc émissaire » ?

Mme Pierrette CATEL - Je pense que cette fusion avantagera plus les Assedic que l'ANPE. En effet, les salariés de l'ANPE craignent la création d'un organisme unique dans lequel ils devront devenir polyvalents et acquérir les compétences d'un conseiller. Néanmoins, il faut se rappeler que, depuis sa création, cette institution a connu de nombreuses mutations qu'elle est parvenue à assumer. J'estime, par conséquent, que le changement actuel devrait s'effectuer sans grandes difficultés, d'autant plus que l'ANPE et les Assedic s'y sont préparés. Des guichets uniques existent déjà et ils fonctionnent parfaitement.

Je vous ai, par ailleurs, apporté notre bilan d'activité de l'année 2006. Ce document est assez détaillé et vous y trouverez des informations sur les profils des jeunes reçus dans les missions locales. J'ai également omis de vous dire que nous possédons un outil de saisie informatique nommé « Parcours 3 », tout à fait performant, permettant d'obtenir des éléments de statistiques très précis sur les profils des jeunes. Chaque mission locale bénéficie de cet outil, puis transmet les informations à un entrepôt régional qui, à son tour, les transmet à un entrepôt national.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Cet instrument statistique a été conçu pour être pragmatique, et a été élaboré progressivement grâce à la participation d'acteurs de terrain.

Mme Pierrette CATEL - Cet outil est également évolutif, dans le sens où il ne cesse de s'améliorer. Par exemple, lorsqu'un jeune vient entamer des démarches pour trouver un logement, nous disposons de treize critères pour définir le type de logement recherché. Le logiciel nous offre également la possibilité d'indiquer l'aire géographique dans laquelle le jeune pourra effectuer sa recherche.

En outre, j'attire votre attention sur le fait que, parmi les solutions innovantes mises en place sur le territoire, nous observons une constante : ces solutions sont, pour la plupart d'entre elles, d'ordre associatif et, par conséquent, extrêmement précaires d'un point de vue financier. En effet, les municipalités sont confrontées à la difficulté consistant à continuer à financer, chaque année, la même association, alors qu'il en existe d'autres ou que certaines se créent. C'est pourquoi des solutions, qui devraient se pérenniser, deviennent fragiles ou parfois disparaissent. Ce système me semble particulièrement préoccupant.

M. Paul BLANC - Je voudrais vous dire que j'ai senti, à travers vos propos, votre passion pour ce métier, et je tiens à vous en féliciter. Toutefois, je constate que les auditions de ce soir font ressortir un problème majeur : celui de la grande faillite de l'Éducation nationale. Ainsi, tous les dispositifs qui ont été mis en place sont destinés à combler les insuffisances de l'Éducation nationale.

Mme Pierrette CATEL - Il existe effectivement un lien entre les dispositifs d'insertion et le système éducatif de notre pays.

M. Jean-François HUMBERT, Président - Je vous remercie.

Audition de M. Jean-Baptiste de FOUCAULD, Président de Solidarités nouvelles contre le chômage - (26 février 2008)

Présidence de M. Jean-François HUMBERT, secrétaire

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Je suis heureux d'accueillir M. Jean-Baptiste de Foucauld, Président de Solidarités nouvelles contre le chômage. Nous bénéficions, au sein du CNLE, de la perspicacité de ses analyses, et de son observation clairvoyante de notre société.

M. de Foucauld siège également au Conseil national d'orientation de l'emploi, et partage bien d'autres responsabilités. Nous sommes ainsi amenés à le fréquenter régulièrement dans les couloirs du Sénat à divers titres. Au nom de toutes les personnes ici présentes, je vous remercie d'avoir accepté notre invitation.

Cette Mission d'information commune sur les politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale rendra son rapport entre la fin du mois de mai et le courant du mois de juin. Ainsi, le futur Grenelle de l'insertion pourra bénéficier de nos travaux avant l'émission de ses propres conclusions.

Dans notre esprit, l'objectif consiste à réaliser un tour d'horizon des politiques menées depuis 1988, de les examiner et de perfectionner celles déjà mises en place. Nous devons surtout tenter d'analyser les moyens de prévenir les mécanismes de pauvreté. Pour cette raison, votre analyse, M. de Foucauld, nous sera très précieuse. A plusieurs reprises, vous avez étudié le fonctionnement et l'évolution de notre société avec une pertinence qui, personnellement, m'a beaucoup séduit. Vous avez ainsi abordé tous les aspects du sujet : la modification de la temporalité, les nombreux partenaires - qui figure dans votre livre Une société en quête de sens -, la matrice des problèmes de l'emploi, fondés sur la combinaison entre les sept acteurs et les sept leviers.

Votre fine analyse est à la hauteur de la difficulté et de la complexité de notre société. Celle-ci, trop souvent, se contente de raisonnements superficiels, univoques ou très sommaires. Ainsi, la plupart des théories évoquent un seul élément, parcellaire, un unique levier ou un unique acteur. Le plus souvent, l'entreprise serait, à elle seule, la cause de tous les problèmes. En réalité, les acteurs qu'il s'agit d'étudier sont multiples.

Nous souhaitons donc recueillir, auprès de vous, les analyses et conseils que vous pourriez aujourd'hui donner aux législateurs, afin que notre société reconnaisse et applique ses valeurs fondamentales. Ces dernières devraient être intrinsèques à son bon fonctionnement. Nous pensons essentiellement aux valeurs de cohésion sociale, dans leurs dimensions non pas seulement marchandes, mais aussi, et surtout, humaines. Je vais à présent vous céder la parole, ainsi que l'orientation de notre réflexion.

Je vous remercie de me donner l'occasion de dire quelques mots au sujet de la pauvreté, de l'exclusion et du chômage. J'ai, en effet, consacré beaucoup de temps à ces thèmes, du fait de leur nature très vaste.

J'ai ainsi prévu d'aborder une dizaine de points, selon moi, importants. Je n'entrerai pas dans la description en détails des politiques, sujet sur lequel d'autres seraient beaucoup plus compétents que moi. Je me contenterai d'aborder qu'une partie du problème. Mais je vous propose une présentation relativement large, sur la base des sujets que je souhaite évoquer.

Tout d'abord, je souhaiterais dire un mot sur les raisons qui me permettent de m'exprimer dans cette enceinte et la légitimité que j'aie à le faire.

Il est à noter que la réalité sociale est difficile à appréhender. En effet, lorsque nous nous livrons à son examen, nous ne pouvons le faire qu'à partir d'un regard : le nôtre, celui lié à notre propre position sociale et à notre propre expérience. De fait, nous ne pouvons pas appréhender toutes les composantes de la réalité sociale. Nous ne la percevons jamais en entier. Nous ne voyons qu'une partie de sa sphère.

Il faut donc être conscient des lacunes du regard que nous portons. Personnellement, je m'exprime sur la base des travaux que j'ai menés au Commissariat au plan et à l'Inspection des finances, lieu où sont traitées également les questions sociales. J'ai ainsi pu travailler sur les clauses sociales dans les marchés publics. Le code des marchés permet, en effet, la mise en place de formules susceptibles d'aider les personnes à retrouver un emploi, même si ces formules ne sont pas souvent utilisées.

Je m'exprimerai donc sur la base de cette expérience, mais également au nom de celle que j'ai acquise dans les conseils et les commissions, notamment celle que vous présidez, M. le rapporteur. Grâce à l'audition de nombreux acteurs, il est possible d'acquérir une culture globale, transversale, et nécessaire à l'examen des problématiques multidimensionnelles des processus d'exclusion.

Je parlerai donc en partant de ces expériences mais aussi, et surtout, en partant de celle que nous menons, avec un certain nombre d'amis, au sein de cette association que vous avez bien voulu citer.

Solidarités nouvelles contre le chômage est une association née en 1985. Elle présente deux caractéristiques. Premièrement, elle met à disposition du demandeur d'emploi un binôme d'accompagnateurs. Ces derniers, pendant une période de temps non déterminée, l'aideront dans ses recherches, l'écouteront, partageront sa souffrance, en particulier morale. Tous les mois, ils se retrouveront au sein d'un groupe de solidarité chargé de soutenir ceux qui aident et de réguler leur mode d'accompagnement.

En effet, la relation d'aide constitue une relation difficile. Elle exige de se situer, ni sur le terrain de l'assistance, ni sur celui de l'autoritarisme. Ces deux dangers sont ceux qui menacent le plus les accompagnateurs.

Si cet accompagnement n'aboutit pas à un emploi pour le demandeur, nous créons l'emploi nous-mêmes, grâce à la collecte de dons et au partage des revenus. Un partage financier s'ajoute donc au partage de temps que représente l'accompagnement. Nous subventionnons ainsi l'embauche des personnes dans une association, pour une durée d'un ou deux ans. La conséquence est que nous mutualisons le revenu et le temps pour aider les personnes ayant du mal à trouver du travail.

Cette expérience est, pour moi, très importante. Depuis vingt-deux ans, je n'ai jamais cessé d'accompagner les demandeurs d'emploi. Mon action m'a permis de poser sur le chômage et l'exclusion un regard différent de celui d'un homme confronté à aucune difficulté sociale. Ceux qui vivent le chômage se découragent, se sentent plus jugés qu'aidés et n'ont plus confiance dans la société. Nous ne sommes pas suffisamment conscients du caractère moralement dévastateur dû à l'insuffisance quantitative d'emplois et de ses effets délétères sur l'ensemble du tissu social.

De plus, les entreprises proposent un certain nombre d'emplois qui demeurent vacants. Toutefois, leur nombre ne suffirait pas à couvrir celui des chercheurs d'emploi. Ces deux aspects concourent à créer des phénomènes d'incompréhension mal régulés. Ainsi, la souffrance sociale relative au chômage ne génère pas de réflexes de solidarité, contrairement aux autres catastrophes sociales. Le chômage, phénomène complexe et anxiogène, délie le lien social là où, au contraire, il devrait créer de la solidarité.

Cette réalité me conduit à une première remarque. Les problématiques sociales ne sont jamais vraiment portée par ceux qu'elles concernent. En effet, les demandeurs d'emploi ne s'organisent pas et ne font pas entendre de voix collective. Ils sont isolés et s'abstiennent de contribuer à la co-construction des politiques qui devraient les aider. Il existe, à ce niveau, un déficit de démocratie, déficit aujourd'hui à la base de nos sociétés. Nous avons ainsi d'importants progrès à réaliser pour co-construire les politiques avec ceux à qui elles sont destinées. De ce point de vue, la méthode du Grenelle de l'insertion me paraît bonne. Vous savez que, dans les trois ateliers prévus, un collège des usagers est instauré. Celui-ci m'apparaît comme une véritable innovation. Cependant, je crains que, dans le cadre de France-Emploi, nous n'ayons pas tiré toutes les conséquences liées au besoin d'associer les usagers à la gestion, au plus haut niveau, de l'institution.

De la même manière, il me semble que l'aide aux associations, qui s'efforcent, difficilement, d'organiser un accueil pour les demandeurs d'emploi, de défendre leurs droits si nécessaire, ou de créer des emplois dans le cadre d'une économie sociale et solidaire, fait défaut. Ces associations ne sont pas soutenues. Le mouvement national des chômeurs et des précaires a ainsi tenu à signer une convention pour financer sa tête de réseau, qui se trouve en voie de renouvellement. Même s'il est difficile de parler ainsi, j'ai souvent reproché au CNLE de ne pas considérer le MNCP. Vous n'êtes pas surpris que je vous interpelle sur ce point.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Pardonnez-moi de vous interrompre. Je m'attendais à cette remarque. L'apparente réticence du syndicat que vous mentionnez à solliciter le MNCP m'avait conduit à ne pas en convier le représentant. Mais vous pourrez dire à M. Lion qu'il est invité à la prochaine réunion du CNLE.

M. Jean-Baptiste de FOUCAULD - Il ne s'agit pas d'agir contre les syndicats, mais avec eux. Les demandeurs d'emploi ne font plus partie des syndicats. Un constat s'impose : le monde du travail n'est plus unifié. Nous devons donc travailler à le rassembler ; d'où la nécessité, pour celles et ceux qui sont « du mauvais côté », de pouvoir s'exprimer et que leur expression soit structurée et collective.

Ma deuxième remarque porte sur le risque d'exclusion. Celui-ci forme l'une des composantes de nos sociétés modernes, soucieuses d'autonomie, de liberté et d'individualisme. Il n'implique pas une remise en cause des principes d'autonomie et de liberté. Toutefois, nous devons prendre conscience que ces principes font courir un risque d'exclusion qu'il faut mesurer.

Le risque d'exclusion est particulier et ne peut être couvert comme le sont les risques inhérents aux aléas de l'existence. Nous pouvons nous assurer contre les méfaits de l'âge ou contre ceux liés à la maladie. Bien sûr, nous pouvons compenser l'exclusion par une indemnisation. Mais le problème demeurera tant que nous n'agirons pas à sa source. La société tout entière doit ainsi s'organiser pour prendre en compte ce risque. L'exclusion peut être définie comme le fait d'être rejeté, contre son gré, de l'échange, au sens large du thème (économique, social, symbolique, amical). Dans nos sociétés, l'individu à qui il manque des qualités requises, qui peine à satisfaire aux normes, a tendance à se voir rejeté de l'échange social. De fait, il convient que la société crée un devoir de solidarité, un devoir d'intérêt pour celles et ceux qui ne trouvent, ni facilement, ni naturellement, leur place dans la société. Cette réflexion renvoie à la montée en puissance de la responsabilité sociale de chacun face à ces problèmes, mise en avant par la loi contre les exclusions de 1998.

Bien entendu, la solidarité ne se décrète pas. A cet égard, j'estime nécessaire de recréer des obligations mutuelles, les obligations vis-à-vis d'autrui faisant défaut à notre société. De ce point de vue, le projet de service civique obligatoire - avec tout ce qu'il peut impliquer en termes de mixité sociale, d'innovations et de dévouement envers la collectivité -, a trop été laissé dans l'ombre, même s'il a été porté par de nombreux candidats à l'élection présidentielle, y compris par celui qui l'a emportée.

Ce projet pose de nombreux problèmes. Celles et ceux, dont je fais partie, qui ont pris position en sa faveur dans le journal La Vie n'ont peut-être pas mesuré toutes les réactions négatives qu'il a pu susciter auprès des syndicats ou des mouvements de jeunesse. Aujourd'hui, il devrait faire l'objet d'un travail préparatoire, méthodologique et expérimental, de manière à ce qu'il soit prêt pour la prochaine législature. Il n'est pas trop tôt pour démarrer une réflexion collective, laquelle a été menée, jusqu'à présent, par le monde associatif, et à laquelle doit participer maintenant la classe politique. Tout un travail de construction est à mener.

Ce risque d'exclusion est, bien entendu, accru par ce qu'il convient de nommer « les déséquilibres du capitalisme en voie de mondialisation ». Le capitalisme constitue une machine dynamique, mais elle est toujours en état de déséquilibre. Il s'agit de l'une de ses caractéristiques naturelles.

Ce déséquilibre a tendance à changer de sens. Ainsi, au lendemain de la guerre, les dirigeants et les salariés étaient en position de force face aux consommateurs qui subissaient les effets d'une forte inflation, et par rapport aux actionnaires, plus ou moins bien rémunérés. Aujourd'hui, la donne a changé : l'actionnaire demande des rendements de plus en plus élevés et les entreprises cherchent de plus en plus à accroître leur rentabilité.

Le consommateur, de son côté, souhaite bénéficier de prix bas et de produits de bonne qualité. Ses intérêts sont opposés à ceux de l'actionnaire. Il existe donc une pression continue sur le manager et les salariés, laquelle concourt à cette volonté de diminuer la quantité de travail. En effet, le travail, qui devrait être une ressource de développement de l'être humain, finit par apparaître comme un coût, une pénalisation.

A cet endroit réside un déséquilibre du système, qu'il n'est pas aisé de corriger dans une économie de marché, et qui apparaît comme un facteur d'exclusion. Car ce sont les « maillons faibles » de notre société qui sont éliminés en priorité. Aussi, je ne suis pas certain que nous devrions condamner la mise en place d'un impôt sur les sociétés progressif en fonction du taux de rentabilité de leurs fonds propres. Nous convenons tous du fait que le capital doit avoir un rendement normal et régulier. Mais nous faisons actuellement face à un excès de financiarisation. Selon moi, la réalité montre qu'il est essentiel de s'orienter vers un actionnariat et une consommation responsables et équitables. J'ajouterai que la globalisation elle-même crée, en quelque sorte, une interdépendance croissante entre les phénomènes et rend plus difficile la possibilité de mener des actions sélectives.

Au début de ma carrière, à ma sortie de la direction du Trésor Public, les marchés de capitaux étaient cloisonnés. Il en était ainsi du marché du crédit, du marché agricole, du marché du logement, etc. A cette époque, nous pouvions jouer sur de nombreux paramètres différents et mener des actions ciblées, consistant, par exemple, à développer le logement tout en ralentissant les hausses de loyers. Aujourd'hui, nous n'avons plus qu'un ou deux leviers à notre disposition pour agir. Les taux d'intérêt agissent de façon uniforme, partout, pour le meilleur comme pour le pire, si bien que nous avons beaucoup de difficultés à les maîtriser. Nous avons trop globalisé les leviers d'actions. C'est pourquoi je pense qu'une réflexion doit être menée pour faire évoluer le mode de fonctionnement actuel du système capitaliste. Nous ne pouvons pas traiter de questions relatives à l'exclusion sans nous interroger sur ce sujet.

Un autre facteur d'accroissement du risque d'exclusion est difficile à évoquer. Il s'agit du décalage entre la machine à fabriquer des désirs, très puissante dans notre société, et les moyens de satisfaire ces mêmes désirs.

Les moyens pour résorber ce décalage sont limités. Dans les années 1960, la productivité du travail augmentait de 5% à 6 % par an. Tous les ans, il y avait donc 5% à 6% de produits supplémentaires à distribuer. Aujourd'hui, la hausse de productivité atteint entre 1,5% et 2% dans les bonnes années. Dans les années 1960, la population était tellement habituée à voir ses désirs freinés que, plus tard, elle a été agréablement surprise par cette haute productivité. Aujourd'hui, la situation s'est inversée : les citoyens, habitués à voir leurs désirs satisfaits, n'ont pas toujours les moyens de les assouvir.

Se crée alors un écart, un effet de ciseau psychologique, entre la machine à fabriquer des désirs - stimulée par l'arrivée de nouveaux produits techniques et technologiques très coûteux, par la publicité et le système politique lui-même (gauche et droite confondues) - et les moyens de les satisfaire.

Nous sommes, en permanence, dans une situation de porte-à-faux. A cette situation s'ajoute la contrainte écologique, susceptible de générer des conflits, notamment entre les demandes sociales (nombreuses, multiples et toutes légitimes) d'une part, et la normalisation des besoins écologiques (tout aussi légitimes), d'autre part. Chaque fois que nous créons des normes, les personnes les plus défavorisées sont celles qui rencontrent le plus difficultés à les respecter. Bien sûr, nous pouvons observer une convergence entre la croissance écologique et la croissance sociale. Mais une divergence en la matière s'observe également.

De fait, je perçois la société actuelle comme une société marginalisée, constituée, non plus de classes, mais de zones : les jeunes vivent dans les banlieues, dans un ailleurs, dans un « autrement » où il existe une anomie sociale, fondée sur des normes contestables d'un point de vue démocratique. De plus, si une partie de la société, frustrée, peine financièrement en fin de mois, une autre partie (les créatifs culturels ayant réussi), elle, se dit heureuse.

Enfin naît également une société quelque peu cynique, en voie de dérapage ; d'où la nécessité de recréer de l'unité entre ces différentes zones et donc de recentrer nos développements vers l'essentiel.

Notre développement et notre croissance sont bien trop dirigés vers le superflu et le gaspillage. Ils ne portent pas vers l'essentiel, un objectif pourtant primordial. Nous devons prendre conscience du fait que nous ne pourrons pas garantir une véritable solidarité - une solidarité effective - sans aller vers une certaine forme de sobriété.

La sobriété créative et solidaire constitue notre horizon. En effet, nous ne pourrons pas améliorer la situation actuelle par un appel constant à la richesse. Le mot d'ordre de sobriété créative et solidaire n'implique pas de se diriger vers un phénomène de décroissance, mais de trouver un développement compatible avec notre obligation de relever les défis climatiques et écologiques qui se posent à nous, nos potentialités techniques et nos besoins sociaux les plus fondamentaux. Nous avons ainsi un important travail à réaliser pour mieux définir nos valeurs. A ce titre, je trouve très intéressant l'idée d'avoir mis en place une commission dont l'objectif consiste à mener une réflexion sur les indicateurs de richesse, laquelle s'inscrit dans la suite des travaux de M. Patrick Viveret.

Dans un de mes ouvrages, j'avais abordé, de manière assez provocante, le thème d'abondance frugale en développant l'idée selon laquelle, si chacun a droit à une forme d'abondance essentielle à son développement, il ne saurait, pourtant, espérer posséder toutes les formes d'abondance. J'aime définir la démocratie comme ce qui permet à chacun de donner le meilleur de lui-même. Pour donner le meilleur de soi, chacun doit posséder, mais pas n'importe quel objet. Que chacun puisse accéder à ce qui lui est essentiel, tel est l'objectif d'une véritable démocratie et cet objectif implique, à mon sens, la mise en équilibre de trois besoins, lesquels ne sont pas correctement équilibrés dans le fonctionnement de notre système économique :

- Le besoin professionnel, soit le besoin de travailler pour être reconnu par les autres, prendre sa place dans la société et avoir un revenu décent.

- Le besoin relationnel, revenant à donner, recevoir et rendre et ce, en l'absence de toute norme. Car nous donnons et recevons proportionnellement à ce que nous pouvons donner.

- Le besoin spirituel. Nous sommes aujourd'hui dans une société en perte de repères et nous avons besoin de temps pour nous construire en tant que personne, pour donner le meilleur de nous-mêmes.

Ainsi, il nous faut redéfinir notre mode de développement pour le recentrer sur l'essentiel. Ce chantier, à première vue, m'apparaît comme l'une des conditions essentielles pour lutter en profondeur contre les exclusions.

Par ailleurs, la politique de sobriété créative et solidaire que je viens d'évoquer passe par un niveau de redistribution sociale à la fois élevé et bien orienté. Si nous voulons réussir ce pari, il nous faut vivre avec un taux de 45% de prélèvements obligatoires. En effet, nous ne pouvons pas baisser les prélèvements obligatoires et prétendre, dans le même temps, savoir faire face à tous les besoins. Personnellement, je n'y crois pas. La révision à la baisse des taux d'imposition n'est d'ailleurs plus d'actualité. Pourtant, il n'y a pas si longtemps, un homme politique parlait de rupture, avec une baisse de 6 points des prélèvements obligatoires. Son discours a bien changé. Le pacte social avec les Français est ancré dans cette obligation, pour nous, de vivre avec un taux de 45% de prélèvements obligatoires, que nous pouvons mieux utiliser et de manière différente par rapport à aujourd'hui.

En effet, nous pouvons prélever autrement l'impôt, de façon plus juste, en le reliant moins au travail et davantage aux revenus. Je ne suis pas d'accord avec les baisses d'impôts instituées depuis de longues années et pas seulement par l'actuel gouvernement. Il faut prélever mieux, moins sur le travail et plus justement sur les revenus, pour nous orienter vers un plein emploi de qualité.

De plus - et il s'agira de ma septième remarque -, je pense que la France ne veut pas du modèle libéral pur et dur, à l'américaine, s'accompagnant d'un blocage du salaire minimum en valeur nominale pendant de longues années et d'une forte dérégulation du marché du travail. La France n'est pas non plus capable d'imiter le modèle social-démocrate, dans la mesure où elle ne possède pas les structures nécessaires à son fonctionnement : des prélèvements importants, des partenaires sociaux nombreux, qui, sans lien avec l'État, mettent l'emploi en priorité dans leurs revendications, soutiennent les demandeurs d'emploi par des services très bien dotés, mais de façon quelque peu contraignante.

La France ne peut adopter aucun de ces deux modèles. Elle repose sur un système centré autour d'un Etat individualiste, lequel, s'il n'était pas gênant dans la période des Trente Glorieuses, ne fonctionne plus actuellement.

Nous avons donc à trouver un nouveau modèle social et économique, celui du plein emploi de qualité que nous propose l'Europe. Mais ce modèle est très coûteux. Il implique de soutenir l'initiative sous toutes ses formes. Il nécessite un service public de soutien des chômeurs très bien organisé et mieux financé encore, de récolter des sommes pour la recherche, la formation et l'enseignement - qui ne fonctionne pas très bien en France -, et pour des contrats aidés, de façon à proposer un travail d'intérêt général aux personnes qui n'en trouvent pas.

Comme ce modèle est très coûteux, nous devons avoir conscience que nous ne pourrons pas organiser le plein emploi de qualité sans avancer les sommes nécessaires. Cet argent doit provenir des prélèvements obligatoires, par exemple. Mais son déblocage nécessite, par ailleurs, que d'autres fonctions sociales soient reléguées, en termes de priorités et de crédits, au second plan, et ce tant que le plein emploi ne sera pas rétabli.

Si nous raisonnons sur le long terme, avec la volonté d'investir dans une société qui se restructure et reconstitue la valeur du travail, nous avons le devoir de lutter contre la pauvreté, en priorité par un retour à l'emploi de qualité. Actuellement, le débat autour de l'emploi et de la pauvreté oppose deux courants. Le premier est constitué par ceux désireux d'aider les personnes pauvres en leur donnant un supplément de revenu, le second, par ceux dont le souhait est d'aider les personnes pauvres en leur donnant plus de travail qu'elles n'en ont. Cette opposition met en évidence un dilemme moral. Il me semble, en effet, que notre priorité collective consiste à redonner du travail à un maximum de personnes. Or cette volonté implique, non seulement la suppression des aides au revenu, mais aussi et surtout d'accroître la base productive, celle-ci constituant le progrès social de demain.

De ce point de vue, que dire des chantiers actuellement en cours ?

Pour moi, les chantiers emplois, actuellement ouverts, le sont de façon raisonnable. Il existe un travail collectif intéressant, que je n'avais pas ressenti depuis longtemps. En effet, le fait d'avoir ouvert, dans le même temps, tous les grands chantiers, en donnant une impulsion à ce projet, sans pour autant faire preuve de dogmatisme, en laissant les acteurs s'exprimer, sans toutefois laisser cours à d'interminables réflexions, me paraît présenter une réelle avancée. Je retiendrai trois des propositions nées de ces chantiers :

- Promouvoir une nouvelle politique salariale. Elle pourrait se mettre en place par le conditionnement des allégements de charges à des accords de salariaux. En l'absence de ces derniers, les entreprises verraient leurs allégements de charges réduits de 10%, selon l'avis du Conseil d'orientation de l'emploi. En contrepartie, les évolutions du salaire minimum iraient à leur vitesse minimale. En effet, s'il suffisait d'augmenter le salaire minimum pour régler tous les problèmes, nous le saurions déjà. Une augmentation moins rapide du salaire minimum implique la constitution d'une autre dynamique salariale en incitant les employeurs à négocier au niveau des salaires ou, le cas échéant, à engager une discussion avec les syndicats pour leur offrir des contreparties, avec une hausse des moyens accordés à la formation ou à l'investissement. Une nouvelle donne de politique salariale peut ici être esquissée.

- La réforme du service public de l'emploi et de la formation professionnelle constitue un deuxième grand enjeu. Parviendrons-nous à l'instaurer ? Nous l'ignorons. Mais l'ouverture de cette réforme représente une bonne idée. Je pense également que le travail conduit lors du Grenelle de l'insertion repose sur une démarche sérieuse. Nous déplorons malheureusement que deux grands sujets n'aient pas été traités dans le cadre de ce chantier : l'aide à la création d'entreprise et le temps choisi.

Concernant l'aide à la création d'entreprise, je suis favorable à l'instauration d'un capital initiative. Toute personne doit avoir le droit de jouir, à un moment de sa vie, d'un capital initiative sur la base d'un projet validé. Ceux qui ne prennent pas d'initiative financent ainsi ceux qui en prennent et bénéficient ainsi des initiatives des autres. C'est là une forme de solidarité créative.

Pouvoir choisir son temps de travail est essentiel pour l'équilibre humain dont j'ai parlé tout à l'heure. Il s'agit de donner davantage de travail à ceux qui travaillent à temps partiel sans le vouloir, mais aussi d'offrir un autre équilibre de vie, dans le cadre d'un parcours sécurisé, à ceux qui, oeuvrant à plein temps, sont soucieux de travailler moins. Ce projet peut aller dans le sens du développement durable. Nous aurions tort de ne pas le traiter, de renoncer à l'idée d'avoir un temps de travail choisi organisé par l'entreprise.

Le Revenu de solidarité active (RSA) présente des aspects très intéressants. Toutefois, il est difficile aujourd'hui de le mettre en oeuvre. Le problème consiste à savoir si le RSA va permettre une requalification sociale progressive, ou, au contraire, légitimer des emplois à temps partiel mieux rémunérés, mais continuant à enfermer leurs détenteurs dans une certaine précarité. Pour ma part, je considère que cette affaire n'est pas « jouée », si vous me permettez cette expression. Le Conseil d'orientation de l'emploi aura un avis à donner sur cette question. Je serai le rapporteur de ce groupe de travail.

De plus, le RSA coûte très cher et, à mes yeux, son développement ne doit pas se traduire par une diminution du nombre de contrats aidés. Ces derniers ont un rôle important à jouer dans le cadre du retour au plein emploi et de la lutte contre l'exclusion, à condition qu'ils représentent des contrats de qualité, offrant un travail à temps plein et une formation. J'ignore comment sera traité ce dilemme. Mais je suis convaincu que cette question se trouve au coeur de votre réflexion.

Une autre tentation doit être évitée, celle d'instaurer un contrat unique d'insertion. Si, en soi, ce contrat représente une bonne idée, il faut prendre garde à l'envie des structures de l'insertion par l'activité économique de vouloir se réserver le bénéfice de ce type de contrat. Car, si nous restons dans l'esprit de la loi de 1998, la lutte contre l'exclusion concerne tous les acteurs. Ainsi, toute association faisant un effort en matière d'insertion doit pouvoir bénéficier d'un contrat aidé. Je suis favorable à ce que nous soyons beaucoup plus exigeants qu'auparavant dans les domaines de l'accompagnement et de la formation. Mais je ne voudrais pas que nous professionnalisions l'insertion à l'extrême. Si l'insertion a besoin de professionnels, elle doit pouvoir concerner tout le monde, ce qui m'amène à parler des indicateurs.

J'anime un groupe de travail du CNIS autour du thème « chômage, emploi et précarité », sur lequel vos collègues du Parlement réfléchissent également. Il me paraît nécessaire d'éviter la « fétichisation » des indicateurs, source d'exclusion. En France, le taux de chômage a pris une telle importance que nous élaborons des politiques dont la vocation première est d'agir davantage sur les indicateurs plutôt que sur le chômage réel. Nous exprimerons quelques idées sur le sujet dans le cadre du groupe de travail que j'ai mentionné.

Voici certaines d'entre elles :

Tout d'abord, l'indicateur parfait n'existe pas. Tout indicateur est imparfait, au sens où il traduit certaines données et en cache d'autres, et peut être affecté par des circonstances momentanées.

Par ailleurs, nous avons tendance à considérer qu'il faut trois indicateurs pour analyser une situation. En effet, l'utilisation d'un seul indicateur risque de « fétichiser » celui-ci, surtout au regard du débat médiatique que nous connaissons. Avec deux indicateurs, il est possible, avec l'un, d'avancer une réalité et, avec l'autre, de dénoncer celle-ci. En revanche, le suivi de trois indicateurs permet de penser qu'au moins deux d'entre eux expriment une tendance. Dans sa dernière enquête trimestrielle, l'INSEE a donné les trois indicateurs suivants :

-Le nombre de chômeurs au sens du BIT. Il s'agit des personnes qui n'ont pas travaillé une seule heure, mais qui font des recherches d'emploi actives et sont disponibles (2,2 millions de personnes au 3ème trimestre 2007).

- Le chômage au sens de l'ALE. Il touche 600 000 personnes et concerne celui ou celle qui ne travaille pas, qui n'est pas disponible et ne se consacre pas à des démarches très actives du fait d'un découragement.

- Le sous-emploi. Il est subi par 1,2 millions de personnes, celles qui travaillent, mais qui voudraient travailler plus et vivent au-dessous du minimum vital.

Tout le monde conviendra que le taux de chômage de 5% souhaité par le Président de la République concerne celui mesuré par le BIT. Il faudrait donc songer à analyser les deux autres indicateurs, de manière à les affiner au regard des trois dimensions du chômage. La problématique est la même s'agissant de la pauvreté. Actuellement, il existe un débat, auquel participent notamment l'INPES et des personnalités telles que Martin Hirsch, pour savoir comment il est possible de chiffrer la pauvreté.

Avant d'aborder mon neuvième point, je souhaiterais ouvrir une parenthèse pour parler du chômage des jeunes. Je n'insisterai pas longtemps sur le problème, malgré sa gravité. Le marché de l'emploi est fermé aux jeunes. Leur taux de chômage est deux fois plus élevé que la moyenne. En 2002, nous avons élaboré un rapport, dans le cadre d'une commission créée à la demande du Parlement, sur l'autonomie des jeunes. Ce document préconise la création d'un véritable service public de l'orientation en faveur de la révision du système des bourses. Cette révision permettrait un report dans le temps des sommes non utilisées par celles et ceux qui n'aiment pas l'école et qui ont tendance à se diriger immédiatement vers l'activité professionnelle. Ce système ouvrirait le droit à un revenu contractuel à l'autonomie, soit le droit de bénéficier d'un revenu à condition d'avoir un contrat.

Si une partie de ce programme a été réalisée, la situation n'a fondamentalement pas avancé. Selon moi, les jeunes auraient des raisons de faire montre de davantage de violence à l'égard de la société. La pression sociale de la consommation pèse sur eux de manière particulièrement forte et ils sont à un âge où le désir explose assez naturellement. Ne pas trouver de travail, se sentir exclu, et pourtant professionnellement mature, représente une situation très difficile à vivre.

A ces divers titres, je pense que nous manquons, en France, d'une réelle politique de la jeunesse.

En neuvième et avant-dernier point, je vous ferai part de mon espoir dans le futur. J'ai, en effet, des raisons d'espérer des avancées et une résolution des problèmes que j'ai soulevés. Tout débat politique mis à part, je pense que nous sommes plus lucides qu'auparavant sur l'exclusion et la pauvreté. Nous pouvons en parler plus librement et les partenaires sociaux ont pris conscience de la problématique, peut-être parce qu'ils sont membres du CNLE et peuvent entendre les propos de celles et ceux qui défendent légitimement les salariés dans l'entreprise et les administrations.

Par ailleurs, le Conseil économique et social a mené tout un travail sur le sujet et un accord a été signé entre les associations regroupées au sein d'ALERTE et les partenaires sociaux, notamment pour la mise en place de groupes de travail. Nous en sommes arrivés à un moment où la cristallisation collective peut se produire autour du sujet et aboutir à offrir de meilleurs emplois. D'un point de vue psychologique, cette situation me semble comparable à celle de la période 1983-1985, lorsque la France a tourné le dos à l'inflation. Cette politique a été une réussite collective et des réussites de cette nature peuvent se reproduire aujourd'hui, étant donné la prise de conscience actuelle du problème de la pauvreté et de l'exclusion.

Enfin, notons que de nombreuses institutions ont été instaurées pour lutter contre ces phénomènes. Mais elles peuvent paraître pléthoriques et des esprits quelque peu simplificateurs pourraient avoir tendance à les rassembler. Je pense notamment au Conseil d'orientation de l'emploi, à la commission sur les retraites, à la commission de la lutte contre les exclusions, à la commission sur la santé, etc.

S'agissant du Plan, sa formule, consistant à travailler durant six ou neuf mois sur des sujets relatifs à la santé ou à l'emploi, n'est plus satisfaisante. Il n'est plus possible de traiter de questions aussi complexes en si peu de temps. Il faut travailler dans la durée, en continu ; une nécessité à laquelle est confronté le Conseil d'orientation de l'emploi et des retraites. En effet, il est utile de pouvoir bénéficier d'un temps nécessaire pour permettre l'appropriation de sujets très complexes.

Sur le plan institutionnel, nous avons réalisé des progrès. Ainsi, notre gouvernance en matière de retraite s'est grandement améliorée. Mais il manque une mise en cohérence de tous les autres ensembles. Cet enjeu est central. Il nous faut choisir une direction et nous y tenir.

Merci à tous pour votre attention.

M. Jean-François HUMBERT, Président - Merci, M. de Foucauld. J'ai été tout à fait séduit par votre intervention. Je l'affirme devant mes collègues qui vont, pour leur part, vous poser des questions. Je vous avoue également que vous avez déjà répondu à la plupart des questions que nous avions préparées. Je préfère donc donner la parole à mes collègues participants. Je passe tout d'abord la parole à notre rapporteur.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Merci, M. le Président. Personnellement, je suis séduit par les théories de M. Jean--Baptiste de Foucauld depuis longtemps. Vous alimentez la réflexion sur le sujet en ouvrant des pistes au coeur même de la problématique, sans dogmatisme, ni solution toute faite. Au contraire, vos analyses vont au fond des choses.

Vous avez fait référence à une commission dans laquelle siégeait M. Viveret.

M. Jean-Baptiste de FOUCAULD - Oui. Il s'agit d'une mission ancienne. Je ne crois pas qu'elle existe encore.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - J'en parle car cette mission a eu un rôle fondamental. M. Viveret avait tenu des réflexions de grande qualité, que j'avais reprises à mon compte lors de la Conférence nationale de lutte contre la pauvreté au Conseil économique et social. Je m'étais également référé aux propos de Patrick Boulte, l'un de vos proches au sein de Solidarités nouvelles contre le chômage.

Cosignataire de l'appel en faveur de la création du service civique obligatoire que vous avez cité, je m'interroge, néanmoins, sur la méthodologie à adopter pour mettre en place ce service. Il s'agit d'un point que nous devons creuser. Il est incontestable que la professionnalisation des armées a relevé d'une décision incontournable. Mais en l'instaurant, nous avons perdu de vue que le service militaire créait de la mixité et de la cohésion sociale, donnait le sentiment aux conscrits de participer à la construction d'une cohésion et à l'organisation de la solidarité. A ce sujet, je souhaiterais savoir si vous avez pensé à d'autres pistes expérimentales, susceptibles de faire bouger les lignes. Existe-t-il d'autres secteurs, d'autres approches favorisant ce type d'initiatives ?

Par ailleurs, j'ai soumis l'idée de recevoir prochainement le Général Valentin. Il s'occupe de « Défense deuxième chance » et fait partie de ces personnes qui s'inscrivent dans l'approche expérimentale, chargées de ré-impliquer socialement des jeunes en difficulté.

En outre, un débat se tient actuellement pour savoir s'il faut maintenir la pléthore d'institutions que vous avez signalées ; mais vous avez a priori répondu à nos questions. Je tâcherai donc de modérer mes propres interrogations sur la valeur ajoutée attendue d'une possible fusion de ces organisations. Dans l'immédiat, ne dépensons pas d'énergie à mettre en place cette fusion. Certaines actions sont plus urgentes que d'autres à mener.

Je diffuserai volontiers votre rapport auprès de la Commission sur l'autonomie des jeunes. J'ai été tout à fait convaincu par vos propos concernant l'absence de perspectives d'emplois et d'insertion dans la société offertes pour les jeunes. Cette réalité dénote une pathologie assez grave, dans la mesure où ce processus doit logiquement s'opérer de façon naturelle. Si nous ne pouvons pas dire que la société actuelle a un problème avec les jeunes, j'ai, malgré tout, l'impression que ces derniers, qui ont de tout temps représenté l'espoir et l'avenir d'une société, sont aujourd'hui délaissés.

En conclusion, je souhaiterais savoir si vous connaissez d'autres expériences, françaises ou étrangères, susceptibles de satisfaire cette intégration.

M. Jean-Baptiste de FOUCAULD - Pour répondre à votre question, je vous citerai une expérience réalisée au Québec où a été accompli un véritable travail collectif pour préparer la loi contre la pauvreté. Les Québécois ont d'ailleurs inventé le concept de Produit intérieur doux, à opposer au Produit intérieur brut. Les Canadiens ne manquent pas d'humour. Je crois qu'un colloque se tiendra sur le sujet, en région parisienne, à la fin du mois de mars. Vous pourrez vous y rendre si vous en avez le temps.

S'agissant du service civique obligatoire, il me semble nécessaire de mettre en place une sorte de Grenelle pour réfléchir au sujet. Le journal La Vie a lancé un appel et réunit des associations autour de cette démarche. Cependant, des personnalités du monde associatif et des jeunes se sont élevés contre ce projet. Quant aux syndicats, ils ont perçu, dedans, une entreprise de travail forcé et de prélèvement des emplois. Au demeurant, celles et ceux qui s'opposent au service civique obligatoire ne se sont pas officiellement exprimés. Il n'est donc pas utile de mettre en oeuvre ce projet tant qu'un réel débat n'aura pas été tenu sur ses enjeux. De ces derniers, nous pouvons voir émerger plusieurs scénarios possibles, concernant le volume, la durée et la rémunération de ce service civique obligatoire.

Dans un premier temps, la question posée est la suivante : ce projet doit-il concerner uniquement les jeunes ou l'ensemble de la société civile ? Je me souviens d'avoir tenu un débat sur le sujet avec Bruno Julliard, à Saint-Denis ; débat au cours duquel il s'est positionné assez nettement contre le service civique obligatoire, sauf s'il concerne toute la population. Pour lui, si seuls les jeunes étaient stigmatisés, la proposition découlerait sur un mouvement de protestation étudiante.

Ensuite, il s'agit de déterminer un coût. Actuellement, il semble que l'ACSE ne dispose plus de beaucoup d'argent. De fait, le projet élaboré à la suite de la crise des banlieues n'est même pas financé. Nous pourrions expérimenter un certain nombre d'actions, comme, par exemple, l'initiation d'un dialogue avec les jeunes dans les quartiers. Mme Fadela Amara devrait proposer quelques idées en la matière.

A mes yeux, un travail collectif doit être accompli sur la base d'une méthode fédérative. La mise en place d'un service civil civique obligatoire ne pourra avoir lieu qu'au travers d'un débat politique fort et peut-être même d'un référendum, compte tenu de la nature de cette obligation. Si ce projet n'aboutit pas, je reprendrais les mots de M. Massé : « Il est plus important de faire un plan que d'avoir un plan. » Cette phrase très profonde véhicule l'idée que la démarche importe parfois autant que le résultat. Celle-ci permettrait de prendre conscience du manque de cohésion sociale dans notre société et d'entendre les arguments exposés par les différents acteurs de ce dossier, en faveur ou en défaveur de la création de ce service civique obligatoire.

Sur ce point, un véritable message doit être transmis au pouvoir actuel.

M. Jean-François HUMBERT, Président - Je donne la parole à Mme Odette Herviaux.

Mme Odette HERVIAUX - J'ai également été passionnée par votre exposé. En revanche, un point m'interpelle. Dans les comptes rendus, que j'ai pu lire, des auditions précédentes, j'ai constaté que différentes problématiques abordées sont récurrentes : le logement, l'accueil d'urgence, la santé, l'insertion et la formation. Ces problématiques apparaissent dès qu'il est question de pauvreté. Or les représentants politiques que nous sommes ont les moyens d'intervenir sur elles.

Par contre, ils sont désarmés pour créer des emplois de qualité, dont le développement est nécessaire pour solutionner les problèmes. Parmi les exclus, nous voyons émerger de plus en plus de travailleurs pauvres. Avez-vous des préconisations, des idées pour nous aider à inciter le monde économique à proposer des emplois de qualité ?

M. Jean-Baptiste de FOUCAULD - De nombreuses actions peuvent être menées dans le domaine des politiques de l'emploi. Mais il faut d'abord que l'État montre l'exemple en proposant des contrats aidés à plein temps, lorsque l'employeur et l'employé en sont d'accord. Par ailleurs, la formation doit être incluse dans le temps de travail, rémunérée, être longue et qualifiante pour toutes les personnes qui en ont besoin.

Des initiatives peuvent être engagées dès à présent. Le Plan Borloo avait démarré sur une base positive en promouvant des contrats aidés à plein temps. Mais, au cours de l'année 2006, il a considéré comme étant préférable de proposer deux contrats de 26 heures plutôt qu'un contrat de 35 heures. De fait, les subventions aux associations pour les contrats d'accompagnement vers l'emploi ont été calculées sur une base de 26 heures. Aujourd'hui, la tendance se poursuit dans ce sens. Nous préférons offrir deux emplois à mi-temps, plutôt qu'un emploi à plein temps. Nous privilégions ainsi la création de trois emplois sans formation plutôt que deux avec formation.

Il est compréhensible que nous ayons opté pour cette démarche peu avant une échéance électorale. Mais si nous nous entêtons à procéder de cette manière pendant une vingtaine d'années, il ne faudra pas s'étonner que les citoyens concernés par ces contrats aidés ne croient plus en la pertinence des politiques d'emploi.

Par ailleurs, je ne suis pas en faveur de la loi sur l'emploi et le pouvoir d'achat. Comme nous l'avons indiqué au sein de Solidarités nouvelles contre le chômage, cette loi est beaucoup trop coûteuse par rapport à ce qu'elle rapportera et il est dommage qu'aucun effort n'ait été entrepris pour inciter les employeurs à augmenter le temps de travail des personnes oeuvrant à temps partiel par le biais de textes législatifs. Offrir la possibilité de passer d'un contrat à temps partiel à un contrat à temps plein est prioritaire, plus prioritaire que la mise en place des heures supplémentaires. Je rappelle que 1,4 millions de travailleurs se trouvent dans une situation de sous-emploi. Or ces travailleurs n'ont pas besoin d'avoir accès à des heures supplémentaires, mais à des heures de travail, tout simplement. Il aurait été possible de négocier avec le patronat dans ce sens.

Enfin, les moyens d'action politique ne doivent pas nécessairement revêtir la forme de lois. Observez la façon dont sont conduites les politiques suivies dans le cadre de la LOLF. Incontestablement, les élus ont un rôle à jouer. L'emploi représente une suite de petits sujets traités en cohérence et menés à bien, les uns après les autres. Aucune grande mesure n'est susceptible de traiter le problème du chômage en une seule fois. Malgré tout, la seule existence du Conseil d'orientation de l'emploi relève, pour moi, du domaine positif, dans la mesure où les réflexions peuvent s'y dérouler sans qu'elles aboutissent nécessairement à une décision. Trop souvent, les personnalités politiques sont amenées à effectuer des choix, sans avoir eu le temps préalable de la réflexion. Prendre le temps de la discussion, en amont des décisions, est essentiel dans la conduite politique. En cela réside le travail d'une commission comme celle-ci.

M. Jean-François HUMBERT, Président - Merci. Je passe la parole à M. Desessard.

M. Jean DESESSARD - Je vous remercie de votre exposé. Vous avez pris le temps d'évoquer l'ensemble du projet. J'ai deux questions à vous poser. Tout d'abord, un débat a lieu autour du revenu des jeunes. Les réseaux, que vous avez soutenus, ont instauré la mise en place du RMI, de concert avec tous les acteurs et institutions de l'époque. Or, aujourd'hui, le RMI n'est pas accessible aux jeunes de 18 à 25 ans. Quelle est votre position sur le sujet ?

Ma deuxième question concerne le revenu universel citoyen, sur lequel je souhaite également connaître vos positions.

M. Jean-Baptiste de FOUCAULD - Il s'agit d'un vaste sujet. Je serai assez bref sur le revenu universel. Je n'y suis pas favorable. Tout don implique un don en retour. Une contrepartie est nécessaire à toute action, proportionnelle à ce qui a été donné et à ce que la personne peut rendre. Je suis en faveur de conditionnalité proportionnelle. Or, le revenu d'existence implique l'inconditionnalité. Nous franchissons ici la limite de l'hybris : l'homme ne saurait vivre entièrement dans la gratuité. Il a besoin de donner, de recevoir, de rendre. Vous avez sûrement lu les travaux d'Alain Caille sur l'anthropologie du don. Il explique que ce « donner, recevoir, rendre », opposé au « prendre, refuser, garder », est à la fois libre et obligé, intéressé et désintéressé. Il n'y a quasiment aucun exemple de prestation sans contrepartie : les allocations familiales permettent d'éduquer les enfants, les allocations chômage permettent de chercher du travail, etc. Nous avons tenu de nombreux colloques sur le sujet, dont la nature entraîne des désaccords irrémédiables.

Sur le plan financier, malgré les économies qu'il induirait, ce type de revenu provoquerait un surcoût. Or, si nous peinons déjà à assurer nos retraites, comment, par miracle, pourrions-nous accorder un revenu d'existence ? Je ne vois pas de quelle manière nous pouvons légitimement prétendre financer les retraites et, dans le même temps, nous diriger joyeusement vers la mise en place d'un revenu universel d'existence. De plus, le financement du revenu d'existence suppose une base productive forte. Or, dans sa nature même, ce revenu peut avoir pour effet de réduire cette base productive. Il existe donc une contradiction dans les termes. Mais je sens, M. Desessard, que je ne vous ai pas convaincu.

S'agissant du revenu des jeunes, je m'en tiens aux propositions faites lors de notre commission pour favoriser l'autonomie de ces derniers. Dans un premier temps, nous devons donner aux travailleurs sociaux la possibilité de faire bénéficier les jeunes peu qualifiés, en difficulté, ou sans couverture chômage, de ce que nous avons nommé un revenu contractuel d'accès à l'autonomie. Le jeune signe un contrat et, en retour, reçoit une prestation d'un montant équivalent à celui du RMI pendant un temps à définir. Il est nécessaire d'engager des actions pour instaurer un système de ce genre, non pas pour tous, mais pour celles et ceux qui connaissent des situations difficiles. Les programmes TRACE et CIVIS ont cette vocation, mais ils sont très compliqués. Pourtant, j'estime que les travailleurs sociaux ont besoin d'un outil opérationnel dans les quartiers.

Je m'exprime devant vous à titre personnel. Car j'ignore quelle sera la position du Conseil d'orientation de l'emploi. J'estime qu'il est urgent d'entreprendre quelque chose. Si nous avions véritablement appliqué le principe du RMI en mettant en place des réciprocités proportionnelles pour permettre aux personnes de s'insérer, nous aurions pu étendre sans difficulté ce contrat aux jeunes. Nous nous serions inscrits dans une logique de droits et de devoirs équitablement organisés. Mais, comme nous n'avons pas très bien su gérer ce contrat, il est aujourd'hui difficile d'agir. C'est pourquoi nous devrions refonder ce RMI.

Vous avez affirmé que Solidarités nouvelles contre le chômage a soutenu la création du RMI. C'est exact. Mais nous avons surtout soutenu son principe. Nous aurions rédigé la loi sur le RMI d'une autre manière. Ce texte est, en effet, d'une savante ambiguïté. Les partisans de l'article 1 évoquent le droit au revenu et les partisans de l'article 2 pensent que toute personne qui s'engage bénéficie d'un droit. Nous étions plutôt favorables à l'article 2.

M. Jean-François HUMBERT, Président - Je vous ai donné la parole momentanément, M. Desessard. Je vous sais habituellement très loquace. Souhaitez-vous la reprendre ?

M. Jean DESESSARD - Puisque M. le Président m'y autorise, je prends à nouveau la parole. M. de Foucauld, vous êtes un membre actif de Solidarités nouvelles contre le Chômage. Je souhaite signaler qu'il existe aussi Solidarités face au Logement, une organisation proche de la vôtre.

M. Jean-Baptiste de FOUCAULD - Il s'agit en effet d'une petite soeur, créée par des membres de Solidarités nouvelles contre le chômage.

M. Jean DESESSARD - Souhaitez-vous nous faire part d'une brève réflexion sur ce point ?

M. Jean-François HUMBERT, Président - Une brève réponse serait la bienvenue.

M. Jean-Baptiste de FOUCAULD - Dans les années 1990-1992, lorsque je travaillais au Commissariat au Plan, les experts pensaient que le problème du logement était résolu. Nous nous demandions même si nous n'allions pas utiliser autrement le 1% logement. Des difficultés demeuraient, bien sûr, mais globalement, la situation était devenue satisfaisante. J'ai donc été très surpris par la montée en puissance de ce problème, liée selon moi à la dégradation du lien social : autonomie des personnes, séparations de tous ordres, instabilité croissante des ménages. Ainsi, nous n'avons pas su distinguer l'impact de la baisse du lien social sur le logement.

Actuellement, le débat consiste surtout à savoir s'il faut un toit ou un emploi d'abord. A l'instar des spécialistes de la question du logement, je suis favorable à l'expérimentation du droit au logement opposable, sans pour autant me bercer de trop d'illusions sur son application. Deux réalités s'imposent : sans toit, il est difficile de trouver un emploi et sans emploi, il est difficile de garder un toit. J'aurais peut-être dû parler davantage de ce sujet. Mais n'en étant pas un spécialiste, j'ai préféré ne pas l'évoquer. Le plein emploi de qualité, celui qui induit une bonne couverture sociale, implique que le droit au logement soit effectif.

M. Jean-François HUMBERT, Président - M. le rapporteur, avez-vous d'autres questions ?

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Vous avez évoqué les problèmes liés au manque d'éducation et de formation initiales. Avez-vous des conseils, des suggestions à avancer sur ce point ? Vous avez écrit également que « la capacité du système éducatif conditionne ultérieurement, et d'une certaine manière, le problème de l'emploi ». Nous sentons bien aujourd'hui que nous approchons de près cette problématique.

Je ne veux pas parler de réforme structurelle. Mais comment est-il possible d'aborder la transmission du savoir, de la relation entre professeur et élève, notamment à l'école primaire et au collège, pour ouvrir la voie à cette nouvelle société que vous évoquez ?

M. Jean-Baptiste de FOUCAULD - Tout d'abord, l'accès à la formation des demandeurs d'emploi représente un problème conséquent. A travers notre association, je constate à quel point il est difficile, pour bon nombre de gens, de se réorienter professionnellement ou même d'améliorer une de leurs compétences. Pour cela, il faut trouver la bonne structure, les bons financeurs qui sont multiples. A cet égard, notez que nous sommes souvent amenés, dans notre association, à apporter une aide dans le cadre de certains plans de financement. Recourir à une association bénévole pour ce faire me semble anormal. J'espère donc que les travaux en cours au sein du Conseil d'orientation de l'emploi permettront de faire évoluer cette situation.

Un chantier important est à mener sur le terrain de la formation. Cette dernière, en effet, n'est pas toujours orientée vers les zones où les besoins s'expriment le plus. Un élément m'a marqué dans le système danois de « flex-sécurité ». J'en ai pris connaissance dans le rapport de M. Robert Boyer : au terme d'une année, lorsque quelqu'un est toujours au chômage, il est quasiment obligé de suivre une formation longue et rémunérée. Les Danois ont constaté que, quelque temps avant que ce couperet ne tombe, comme par miracle, les gens retrouvent du travail. Pour les autres, ceux qui n'en ont pas retrouvé, ils reçoivent une formation qualifiante, qui, en général, conduit à un poste rémunéré.

Sur le même sujet, j'ai lu, il y a quelque temps, un rapport d'évaluation de l'AFPA montrant que le taux de placement des personnes quittant cette institution, après y avoir reçu une formation, est extrêmement faible.

M. Jean DESESSARD - Ne voudriez-vous pas nous le transmettre ?

M. Jean-Baptiste de FOUCAULD - Ce taux est de 55 %.

M. Jean DESESSARD - Ce taux ne me paraît pas faible.

M. Jean-Baptiste de FOUCAULD - Les formations AFPA devraient conduire à un taux de placement de 80%. Solidarités nouvelles contre le chômage n'a pas les moyens d'une puissance publique. Mais 60% à 65% des personnes qui passent par notre structure trouvent un emploi. Je peux comprendre que le taux de placement des personnes fréquentant les ateliers chantiers d'insertion soit de 30%, car il concerne les publics les plus difficiles. Mais les personnes prises en charge par l'AFPA ne présentent pas ce profil.

Revenons sur le manque de formation initiale. N'ayant pas d'enfant, je n'ai pas pu suivre précisément les évolutions de notre système éducatif. Mais, lorsque nous avions travaillé sur le dossier de l'autonomie des jeunes, j'avais été frappé de voir combien les problèmes d'orientation sont très mal traités. Nous avions alors demandé la création d'un service public de l'orientation multi-partenarial et local, permettant aux jeunes, dès 12 ou 13 ans, d'envisager les orientations susceptibles de s'offrir à eux. De plus, nous avions soumis l'idée de laisser les jeunes, pour qui l'école ne convient pas, partir sur le marché du travail, tout en leur permettant de conserver un capital bourse en cas de retour sur les bancs de l'école.

Enfin, je préfère laisser à d'autres personnes le soin de répondre à la question relative à la relation entre le maître et l'élève.

M. Jean-François HUMBERT, Président - Je voudrais, au nom de cette Mission et de ses membres, vous remercier très sincèrement pour votre brillante prestation. Nous nous permettrons de faire appel à vous de nouveau, par écrit, si nous venions à découvrir qu'un point n'a pas été traité aujourd'hui. Mais, compte tenu de la clarté de votre exposé, je ne suis pas certain que nous ayons besoin de vous solliciter encore. Merci encore pour votre intervention.

Audition de M. Bernard MORIAU, responsable de missions de Médecins du Monde - (26 février 2008)

M. Jean-François HUMBERT, Président - Monsieur Moriau, merci de nous rejoindre. Vous êtes ici devant la Mission d'information sur les problèmes de pauvreté et d'exclusion. Nous sommes un certain nombre à être présents. D'autres personnes vont nous rejoindre. Sachez que nous sommes en période d'interruption de session parlementaire en raison des élections municipales. Habituellement, le Sénat ne travaille pas à temps plein en cette période. Ainsi, seuls les sénatrices et sénateurs volontaires sont aujourd'hui présents. D'autres ont été retenus dans leurs départements, et je me permets de vous présenter leurs excuses.

Nous allons dès à présent vous donner la parole, car nous souhaitons vous entendre aujourd'hui sur certains sujets qui ont dû vous être indiqués. Je vous donne immédiatement la parole. M. le rapporteur interviendra ensuite pour vous faire part de questions plus précises.

M. Bernard MORIAU - Je vous remercie vivement d'auditionner notre association.

Tout d'abord, je voudrais vous présenter rapidement l'association Médecins du Monde. Elle intervient en France depuis 1986 et regroupe environ 2 000 bénévoles au niveau de la France. Son effectif salarié représente 5% de l'ensemble de la mission en France. Nous intervenons dans 28 villes, disposons de 21 centres d'accueil et d'orientation, qui sont des cabinets médicaux et des centres de soins chargés d'accueillir toutes les personnes qui le désirent, avec des professionnels de la santé, des secteurs social et paramédical.

Par ailleurs, nous avons environ 80 missions mobiles, qui s'occupent du public des personnes sans domicile fixe, des roms, des prostituées, des gens vivant dans les squats ou fréquentant les technivals. En somme, ces missions se rendent là où les autres ne vont pas.

Je vais vous présenter quelques chiffres en appui de mon introduction. Ils portent sur les différents plafonds sociaux. Il est nécessaire d'avoir ces données assez techniques à l'esprit :

- Le plafond de la CMU est actuellement de 606 euros.

- Le plafond chèque santé, qui est en vigueur depuis le premier janvier 2008, s'établit à 727 euros.

- Le seuil de pauvreté, calculé sur une base de 60% du revenu médian de l'année 2005-2006, est de 813 euros.

La loi sur la CMU a été votée depuis presque 10 ans et à l'époque, nous souhaitions que le seuil de la CMU soit fixé au niveau du seuil de pauvreté. Notre demande, qui reste constante, est que le nombre de personnes bénéficiaires de la CMU complémentaire soit aligné sur le nombre de personnes vivant au-dessous du seuil de pauvreté, soit 7 136 000 personnes actuellement.

Notre deuxième souhait est que l'aide à l'acquisition de la complémentaire santé soit allouée à ceux dont les revenus sont compris entre celui équivalent au seuil de pauvreté et le SMIC. Dans nos centres, nous constatons que 100 % de nos patients vivent en dessous du seuil de pauvreté, et qu'une immense majorité d'entre eux vit en dessous du seuil de la CMU et de l'AME. Nous rencontrons également, notamment à Montpellier et Ajaccio, de nombreux bénéficiaires de l'allocation adulte handicapé, ou, comme à Bordeaux, de l'allocation minimum vieillesse. Du fait du reste à charge important (384 euros en moyenne) et du prix de l'acquisition d'une complémentaire santé, ces personnes ne peuvent accéder à une prise en charge à 100 %.

Actuellement, la CMU complémentaire est délivrée pour un an. Or, le 22 janvier, le Ministre du Budget et des comptes publics, M. Éric Woerth, a annoncé que la CMU complémentaire ne serait plus délivrée que pour trois mois afin « d'effectuer un contrôle plus poussé de la réalité des ressources des demandeurs. » :

Cette position pose plusieurs problèmes.

Actuellement, la CMU complémentaire n'est pas accessible facilement. Contrairement à ce qu'a affirmé M. Woerth, elle n'est attribuée en urgence que si un médecin ou un travailleur social réussit à convaincre la CPAM de l'urgence des soins à apporter. En règle générale, les délais pour d'ouverture d'une CMU complémentaire varient d'un mois à trois mois. Son acquisition est rendue difficile, par ailleurs, par le fait qu'elle implique la présentation d'un nombre important de pièces justificatives, sans compter qu'un assuré changeant de département s'expose à des mois de délai supplémentaire pour son obtention, alors même il s'agit d'un dispositif national.

Enfin, les fraudes constatées à la CMU sont minimes. Comme l'a indiqué M. Woerth, elles sont essentiellement le fait de sur-facturations des professionnels.

A ce jour, un million de personnes ne bénéficient pas de la CMU complémentaire. Ce chiffre est constant dans le temps et c'est pourquoi l'ensemble des associations a réclamé - une requête encore d'actualité - le lancement d'une grande campagne d'information sur le sujet. En effet, de nombreuses personnes ignorent encore leurs droits. Parmi les 6 millions de Français ayant droit à la CMU complémentaire, moins de 5 millions en profitent en réalité. Comme le rappelle le communiqué de presse signé par six associations et cinq cabinets de médecins, ces Français n'ont pas de droits ouverts à la CMU. Selon une enquête menée par le fonds CMU, la raison en serait qu'ils n'auraient pas une bonne compréhension générale des systèmes et exprimeraient un découragement important à l'égard des administrations. Selon nous, le projet de délivrer la CMU pour une durée de trois mois ne provoquera que des économies à court terme. En effet, 6 mois plus tard, les personnes qui n'auront pas eu accès à la CMU complémentaire pour se faire soigner à temps seront sans doute hospitalisées, sur la base de coûts mal financés qui seront sans commune mesure avec les économies réalisées par le projet.

13% des consultations effectuées en 2006 par les équipes de Médecins du Monde dans ses centres de missions et ses unités mobiles (qui réalisent aujourd'hui des recueils de données) en France ont abouti à un retard dans l'accès aux soins. Pour 11% des consultations, des soins urgents se sont imposés. Autrement dit, une personne sur quatre se trouvait soit dans une situation de soins urgents, soit dans une situation où l'accès aux soins lui avait été accordé avec retard.

Ce problème majeur n'a toujours pas trouvé de solutions depuis huit ans. Pourtant, divers systèmes ont été mis en place. A cet endroit, je citerai en exemple le dispositif d'aide à l'acquisition de la CMU complémentaire de Mme Guigou. Ce dispositif avait comme objectif de permettre à 2,2 millions de personnes vivant au-dessous du seuil de ressources nécessaires pour obtenir la CMU et sous le seuil de pauvreté de pouvoir bénéficier d'une assurance complémentaire. Au 31 juillet 2007, suite à sa mise en place, seulement 200 000 personnes sur les 2,2 millions attendues bénéficiaient d'une attestation d'aide au paiement. Le système peine à se mettre en oeuvre, puisque à peine 10 % des bénéficiaires potentiels le sollicitent.

Ainsi, depuis le 3 janvier 2008, un nouveau dispositif a été créé pour faciliter les démarches des personnes désireuses de demander l'octroi d'une complémentaire santé. Il s'appelle le chèque santé et est basé sur le niveau de revenu plafond pour bénéficier de la CMU, augmenté de 20 %. Autrement dit, pour les personnes dont les ressources sont comprises entre 728 euros et 813 euros, rien n'est prévu.

Enfin, il est à souligner que l'instauration nouvelle de franchises pénalisera fortement les usagers ayant des revenus situés entre le montant du plafond de la CMU et le seuil de pauvreté.

Concernant l'aide médicale soutenue par l'Etat, nous sommes consternés de constater que, depuis 2002, il y a un acharnement législatif à vouloir supprimer cette aide aux personnes étrangères se trouvant sur le sol français de manière irrégulière. En effet, depuis 2002, nous avons assisté à :

- L'instauration d'un ticket modérateur pour les bénéficiaires de l'AME (2002), la publication d'un décret d'application étant aujourd'hui évoquée à ce sujet.

- L'instauration d'une obligation d'apporter la preuve de résider sur le territoire français depuis au moins trois ans (2003).

- La création d'une commission médicale régionale visant à vérifier que les avis des médecins inspecteurs de santé publique sont valables et non complaisants concernant les demandes de droit au séjour pour raisons médicales (2004).

- La publication de deux décrets multipliant les obstacles pour l'accès à l'Aide Médicale Etat (2005). Afin de réduire leurs effets, M. Xavier Bertrand, Ministre de la Santé, devra publier une circulaire d'application radicalement opposée aux décrets.

- La circulaire sur l'arrestation des sans-papiers dans les lieux de soins (2006).

- La tentative de suppression du droit de séjour pour raisons médicales (2006).

- La violation du secret médical, par la demande faite au MISP de donner au préfet la liste des traitements requis par les demandeurs du droit au séjour pour raisons médicales (2007).

- La publication de fiches sur l'Intranet du Ministère de la Santé, contenant des informations partielles et partiales sur l'offre de soins dans les pays d'origine des migrants (2007).

- La procédure de domiciliation unique pour tous les bénéficiaires du CMU, mais non pour ceux de l'AME. Si cette centralisation est bénéfique aux bénéficiaires de la CMU, nous pouvons déplorer qu'elle ne soit pas appliquée aux bénéficiaires de l'AME (2007).

- Les étrangers n'ont désormais plus le droit à la paternité -contrairement aux Français - puisque le lien du sang prévaut désormais sur les filières de l'adoption, de la famille recomposée et de la prise en charge d'un enfant (2007).

L'ensemble des associations du collectif ALERTE, et bien d'autres encore, réclament la fusion de l'aide médicale d'État dans le dispositif CMU. Dans son avis, adopté au cours de la séance du 18 juin 2003, le Conseil économique et social a proposé d'envisager la disparition de l'AME au profit d'une CMU élargie. En mai 2007, dans la synthèse du rapport sur la gestion de l'aide médicale d'Etat, la mission conjointe de l'IGF et l'IGAS a écrit que la dépense moyenne par bénéficiaire reste contenue, cette dernière demeurant assez proche de celle d'un assuré social. En effet, les bénéficiaires de l'AME reçoivent entre 1 800 euros et 2 300 euros et un assuré du régime libéral perçoit un peu moins de 1 800 euros. L'écart des sommes s'explique principalement par un recours plus prononcé à l'hôpital public (70% de dépenses hospitalières), en raison d'un accès encore difficile à la médecine libérale. Par ailleurs, il existe une sur-représentation de certaines pathologies de types VIH, tuberculose, hépatite C, ainsi qu'une proportion plus importante d'accouchements et une durée moyenne de séjour plus élevée, notamment pour les soins urgents.

Par ailleurs, la mission a conclu que les dépenses facturées par la CNAMS à l'Etat correspondent finalement à l'aide médicale État.

Concernant le temps nécessaire pour obtenir la CMU ou AME après en avoir fait la demande, nous demandons à ce qu'il ne soit pas supérieur à 30 jours. Notre centre de soins et d'accueil de Marseille témoigne qu'actuellement la plupart des demandes de CMU sont traitées par le centre de Sécurité sociale de Kléber, le centre le plus important de Marseille, situé dans un quartier défavorisé, près du centre de Médecins du Monde.

En 2006, la saturation du centre de Sécurité sociale de Kléber était immense, avec des délais de traitement des dossiers d'ouverture aux droits s'établissant à deux mois en moyenne, durée maximum prévue par les textes. En cas d'urgence, l'ouverture aux droits peut être accélérée par le biais du pôle social de Médecins du Monde. De même, le délai d'obtention d'une Carte vitale est, en théorie, d'un mois selon la CPAM. En réalité, il est d'environ 6 mois. Or, s'ils ne peuvent montrer de Carte vitale, les bénéficiaires de la CMU, même s'ils présentent une attestation papier, essuient souvent des refus de tiers payant par les professionnels de santé.

A Paris, le Lotus-Bus, bus intervenant auprès des prostituées, rencontre fréquemment des femmes chinoises qui attendent depuis plus de quatre mois leur attestation CMU ou AME.

Nous souhaitons vérifier que tous les allocataires du RMI bénéficient également, directement, réellement et automatiquement de la CMU. Nous formulons cette demande conjointement avec l'UNIOPSS et le groupe ALERTE. Publiée en octobre 2007, une enquête de la DRESS a révélé que seulement 89 % des allocataires du RMI ont déclaré, en 2006, avoir bénéficié de la CMU complémentaire.

Si certaines de ces personnes, qui jouissent déjà d'une complémentaire santé (35%), n'éprouvent pas nécessité d'avoir la CMU, d'autres (26%) n'auraient pas effectué la démarche pour l'obtenir ou l'aurait interrompue avant son terme. Ces pourcentages sont possibles, car l'accès à la CMU complémentaire est un droit pour les personnes bénéficiaires du RMI, mais un droit non automatique. En effet, ces derniers peuvent ne pas retourner le document indiquant leur choix quant à l'organisme santé complémentaire. A cet égard, l'UNIOPSS et Médecins du Monde proposent que si ce choix n'est pas effectué par la personne concernée dans un délai raisonnable, l'organisme procédant à l'ouverture des droits au RMI désigne par défaut un organisme inscrit à la gestion de la CMU complémentaire ou encore un organisme du régime obligatoire.

S'agissant du refus de soin, moins de 5% des professionnels de santé refusent d'apporter des soins aux bénéficiaires de l'AME et CMU, quels que soient leurs secteurs d'activité. Médecins du Monde a mené une enquête téléphonique auprès de 725 médecins généralistes dans dix villes, afin de mesurer le taux de refus de soins aux bénéficiaires de l'AME et de la CMU. Il apparaît que, parmi les médecins interrogés, quatre sur dix refusent de donner des soins à un bénéficiaire de l'aide médicale d'Etat et un sur dix d'apporter des soins aux détenteurs de la CMU. Toutefois, ces chiffres varient selon les secteurs. Ainsi, les médecins du secteur 2 refusent deux fois plus souvent de recevoir les bénéficiaires AME et CMU que ceux du secteur 1, quel que soit le type de couverture du malade.

Cette enquête confirme celle que nous avons menée en 2002 et 2005. Le 19 décembre 2006, le Ministre de la Santé, lors de la réunion destinée à créer le comité de suivi des refus de soins, a annoncé que chaque caisse locale aura à recenser les 5% de professionnels de la santé recevant le moins de bénéficiaires de la CMU. Dans cette perspective, il a invité la DRESS à conduire une étude pour comparer le nombre de bénéficiaires de la CMU effectivement reçus par les professionnels de la santé dans un même bassin géographique. De cette manière, il est possible d'identifier les professionnels de santé refusant les soins aux patients détenant la CMU et d'entamer un dialogue avec eux via les délégués à l'Assurance maladie ou les ordres des professionnels de santé.

Deux réunions du comité de suivi ont eu lieu les 15 février et 29 mars 2007. Cette structure poursuit ses travaux depuis le 19 février 2008, à la suite d'une déclaration du Ministre de la Santé selon laquelle « de trop nombreux bénéficiaires de la CMU sont encore victimes de refus de soins de la part de professionnels de santé». Médecins du Monde tire la sonnette d'alarme depuis maintenant 6 ans pour signaler cette réalité. Les pouvoirs publics se sont saisis de ce problème depuis un an et demi, mais celui-ci demeure encore d'actualité.

En novembre 2006, afin d'aller vers une amélioration de la situation, Médecins du Monde a réalisé une enquête visant à recueillir les propositions des médecins refusant de prodiguer des soins aux titulaires de la CMU et de l'AME. Parmi les motifs de refus de soins figurent :

- Les lourdeurs administratives et notamment la nécessité de remplir des formulaires spécifiques dans le cadre de l'AME (56 % des cas).

- Des obstacles dans la relation entre le médecin et le patient, liés à la barrière linguistique.

- Des délais de remboursement trop longs.

- Un manque d'information sur le fonctionnement de ce dispositif.

Pour la prise en charge souhaitée des bénéficiaires de l'AME, les médecins ayant répondu au questionnaire pointent très clairement deux solutions :

- La délivrance d'une carte vitale pour les bénéficiaires de l'AME (88 % des cas).

- Une aide médicale d'Etat intégrée à la CMU (83 % des cas).

Nous voudrions que l'enquête nationale 2008-2009 sur la prévalence du saturnisme infantile soit complétée par une enquête complémentaire portant sur les enfants à risques de plus de 6 ans et, pour les femmes enceintes, que soit immédiatement lancée une opération nationale de repérage des mineures en cours d'intoxication ou d'ores et déjà intoxiquées par le plomb.

Nous demandons également la généralisation du système des PASS sur l'ensemble du territoire. Ce dispositif permet l'accès de tous aux soins dans les hôpitaux et ainsi d'ouvrir des droits pour les personnes résidant en France et n'ayant pas de couverture maladie à leur arrivée à l'hôpital. Les PASS ont été mises en place dans le cadre des programmes régionaux pour l'accès à la prévention et aux soins. Elles ont pour mission d'assurer les soins aux personnes démunies et de veiller au recouvrement de leurs droits en matière de couverture maladie.

Ce dispositif doit ainsi garantir un accès au plateau technique hospitalier pour recevoir les patients, en contournant l'obstacle des caisses maladie. En effet, le calcul humain et financier sous-jacent est le suivant : « soigner au plus vite les patients sans attendre les complications coûte moins cher en termes de souffrance et en termes économiques.

L'objectif des 500 PASS, affiché par la France lors du programme de prévention et de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale et présenté en juillet 2001 à la Commission européenne, n'a toujours pas été atteint. Ainsi, le dernier recensement réalisé par la DOS en 2003 ne dénombre que 369 PASS sur le territoire. Celles-ci obéissent à un fonctionnement très hétérogène et nous estimons qu'une minorité d'entre elles - environ une centaine - proposent un accès effectif au plateau technique de l'hôpital, ainsi qu'au traitement remis par la pharmacie hospitalière.

Par ailleurs, concernant nos unités mobiles évoquées précédemment, il est à souligner que la loi prévoyait leur création également pour assurer le service public. Or seulement quatre unités mobiles sur les huit prévues ont été mise en place, à Valenciennes, Lyon, Toulouse et Bondy. Ces PASS mobiles devaient répondre aux besoins des populations très marginalisées, ne sachant plus engager par elles-mêmes des démarches envers les structures fixes. Nous ne pouvons qu'encourager la mise en place de ces dispositifs. A Valenciennes, par exemple, l'équipe de Médecins du Monde travaille dans le cadre d'un partenariat rapproché avec l'équipe mobile Rimbaud, composée de personnels hospitaliers issus de la toxicologie, de la traumatologie, de la chirurgie, etc.

Nous avons, de notre côté, tenté d'engager d'autres actions dans d'autres villes :

- A la fin de l'année 2007, nous sommes parvenus à ouvrir une PASS à Marseille, deuxième ville de France. Son fonctionnement s'inscrit malheureusement dans des plages horaires très restreintes (deux après-midi par semaine).

- A Calais, en raison de la fermeture du site de Sangatte, demeurent de nombreux problèmes d'accès aux soins dont je ne vous donnerai pas tous les détails. Mais dans cette ville, nous sommes parvenus à créer une PASS, qui fonctionne toute la semaine.

- En 2006, nous avons réussi, de la même manière, à mettre en place des PASS auprès des hôpitaux de Grenoble et du Havre.

Pour conclure sur ce point, j'ajouterai qu'il n'existe toujours aucune PASS dentaire, sauf à l'hôpital Pitié-Salpêtrière de Paris, à Toulouse, Nancy et au Havre. Alors que l'accès aux soins dentaires reste très difficile et très coûteux, seulement quatre villes proposent une PASS dans ce domaine. Si, en France, l'offre de soins est répartie de manière équitable entre le secteur public et le secteur privé, les soins dentaires eux, sont effectués à 98 % par le secteur privé. A cet endroit, réside un véritable problème d'accès aux soins, un problème d'importance suffisante pour légitimer la création de PASS dentaires.

Concernant l'absence de PASS, nous remarquons également :

- L'absence de PASS pédiatrique à Paris. En effet, si le site de l'APHP accueille les enfants, les jeunes patients sont le plus souvent conduits vers l'hôpital Robert Debré, où ils doivent subir un temps d'attente assez long avant d'être pris en charge et souvent une réorientation vers d'autres lieux. Il ne s'agit pas de ce que nous pouvons appeler une PASS au sens strict du terme, permettant un accès aux soins. Concrètement, les PASS pédiatriques à Paris ne fonctionnent pas encore.

- L'absence de PASS psychiatrique, alors que les besoins sont très prégnants en la matière.

- Enfin, dans de nombreux hôpitaux, la délivrance de médicaments n'est pas systématique et ce, d'autant moins pour les patients n'ayant pas de droits ouverts à une couverture maladie.

Les pathologies concernées en France métropolitaine et dans les départements d'Outre-Mer sont l'hépatite B, l'hépatite C, le VIH et la tuberculose. Je ne vous donnerai pas d'exemples à ce sujet. Mais vous pouvez les consulter dans notre observatoire d'accès aux soins.

Je souligne toutefois que nous avons installé des consultations préventives dans nos centres d'accueil situés à Saint-Denis et à l'avenue Parmentier à Paris. La présence du VIH est assez importante parmi le public qui nous rend visite. La population rom, elle, est très atteinte par la tuberculose. En France, le taux de tuberculose est de 9 pour 100 000. Ce taux est beaucoup élevé chez les roms.

Je vous remercie de votre attention.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Merci, docteur, pour cet exposé complet. Vos observations, puisées sur le terrain, nous montrent la gravité et l'importance de la situation. Je souhaite vous poser quelques questions avant de donner la parole à mes collègues. Percevez-vous une évolution des pathologies parmi les publics rencontrés au cours des dernières années ? Avez-vous observé des différences significatives entre vos interventions à l'étranger et en France? Existe-t-il des expériences transposables ou les approches sont-elles propres à chaque situation ? Enfin, souhaiteriez-vous mettre en avant des propositions supplémentaires par rapport à celle consistant à remédier aux carences en matière de législation et de réglementation ? Je signale toutefois que votre exposé nous semble très suffisant pour notre travail.

M. Bernard MORIAU - Je fais partie de Médecins du Monde depuis 1994. J'ai travaillé au Centre d'accueil de soins et d'orientation, avenue Parmentier, à Paris, ainsi qu'en Seine-et-Marne en créant une mission en direction des habitants vivant dans des bidonvilles à la périphérie de Brie-Comte-Robert, près de Melun. J'ai été amené également à intervenir dans des missions auprès des populations Rom et sans domicile fixe. Il est à noter que les descriptions médicales sont restées identiques dans le temps et ne témoignent pas d'une évolution des pathologies. Toutefois, nous constatons que celles-ci sont diagnostiquées avec du retard et donc aggravées.

Par ailleurs, nous observons que la pathologie mentale est dominante, raison pour laquelle j'ai insisté sur la nécessité de mettre en place des PASS psychiatriques.

Enfin, nous tâchons d'intégrer davantage de programmes de dépistage de pathologies telles que le VIH, les hépatites B et C et la tuberculose. En France, les instances publiques ont décidé, en matière de tuberculose, de ne plus surveiller la population dite normale pour se focaliser sur la population dite « vulnérable », celle vivant dans des squats, sans domicile fixe ou migrante. Un travail de surveillance très important doit être mené à l'égard de la population française, celle-ci n'étant plus protégée, médicalement parlant, par une vaccination obligatoire, sauf en Guyane et dans la région Île-de-France. Les pathologies infectieuses, que nous commençons à chiffrer, demeurent les plus présentes.

Concernant notre approche médicale à l'étranger, celle-ci équivaut à celle appliquée en France. Elle repose sur des programmes de santé publique construits dans un cadre validé depuis de longues années par les écoles de santé publique françaises et intégrant tous les éléments fondant ou dégradant la santé des individus (déterminants économiques, sociaux culturels ou géographique). Ainsi, nos relations d'accompagnement sont identiques, qu'elles aient lieu en France ou à l'étranger.

Concernant votre troisième question, veuillez m'en excuser, mais je ne l'ai pas très bien comprise...

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Vous avez indiqué quels sont les progrès à accomplir pour remédier aux dysfonctionnements ou aux lacunes existants pour répondre aux besoins. Lors des contacts établis avec les personnes que vous soignez, avez-vous identifié chez elle un manque de lien avec la société ? En d'autres termes, comment les personnes vivent-elles cette situation, non pas seulement en termes de pathologie, mais d'un point de vue social ?

En effet, les personnes que vous rencontrez vivent des situations d'exclusion. De fait, sur un plan humain, en complément de l'intervention médicale, existe-t-il des expériences ou des initiatives en matière d'accompagnement non exclusivement médical ? Je sais que vous accomplissez cet accompagnement, ne serait-ce que par votre seule présence. Mais d'autres démarchent ont-elles lieu pour favoriser l'intégration ? Les citoyens sont-ils sensibilisés à ce problème ?

M. Bernard MORIAU - Votre question est intéressante. Dans mon cabinet de médecine générale, je reçois de nombreux bénéficiaires de la CMU et je me rends compte que ces derniers ont besoin, non seulement d'information, mais aussi de ne pas subir une discrimination en raison de leur situation. Lors des consultations, lorsqu'ils présentent leur carte CMU, celle-ci s'affiche sur écran, de sorte que leur situation est connue de tous. Or, les bénéficiaires de la CMU ressentent le besoin d'être perçus comme tout le monde. Il est donc nécessaire de les accueillir en tant que personnes quelconques.

Ils éprouvent, par ailleurs, le besoin d'être informés sur leurs droits. Les bénéficiaires de la CMU vivent, la plupart du temps, une situation d'exclusion sociale. Pour la plupart d'entre eux, ils représentent des familles monoparentales, avec de nombreux enfants à charge. Ils sont confrontés, de fait, à de nombreux soucis liés à la scolarisation de leurs enfants, leur prise en charge en cas de travail, etc. Ainsi, ce qui relève de leur santé est relégué, à leurs yeux, au second plan. Or, si un dispositif d'accueil, de quotient familial ou d'aide est présent dans une commune, l'action du médecin en sera facilitée. J'ai ainsi été très surpris de constater l'installation d'un centre social dans ma commune. En effet, je pensais que le quotient familial s'appliquait à tout type de situation.

A ce sujet, il est à noter que le quotient familial ne s'applique pas pour la cantine. Ce fait m'a ainsi quelque peu étonné, au regard des problématiques d'obésité de la population précaire que nous rencontrons dans nos cabinets médicaux. Si les enfants ne déjeunent pas à la cantine, ils déambulent alors dans la rue ou restent devant leur télévision à grignoter des friandises.

Concernant l'exclusion, je crois que nous ne manquons pas d'instruments pour lutter contre elle. La loi sur la lutte contre les exclusions est bien rédigée. Mais les élus, les citoyens, les associations et les syndicats doivent l'appliquer strictement. Par exemple, si une commune bénéficie d'un affichage politique clair sur tout ce qui touche à la santé, les titulaires de la CMU se sentiront mieux intégrés à la société.

L'approche médicale des personnes défavorisées et non titulaires de la CMU est très difficile. Les grands exclus, les sans domicile fixe, sont, par définition, dans une situation de non-demande, surtout celles et ceux qui sont marginalisés depuis de longues années. Pour ceux qui se retrouvent soudainement en situation d'exclusion, nous ne disposons que de quelques semaines pour agir et tenter de leur faire comprendre qu'il n'est jamais trop tard pour s'en sortir. Ainsi, parce que la réinsertion des personnes marginalisées relève d'un processus très long, nous devons intervenir en amont.

Pour autant, des réunions d'information peuvent aider à résoudre certains problèmes. Par exemple, dans la ville nouvelle de Sénart, une arrivée massive de la population Rom a eu lieu dans les années en 1993 et 1994. En accord avec la préfecture, la Ville a décidé d'intégrer une partie de ces familles. De fait, de nombreuses campagnes d'information ont été menées par les associations et les élus locaux pour faire connaître les Roms et la raison de leur présence dans la ville. La diffusion de l'information a ainsi permis d'empêcher la stigmatisation et les a priori, les Roms ayant été intégrés aux discussions et pu répondre aux questions des habitants de Sénart.

Cette action peut également s'appliquer au travers de la mise en place de programmes d'échanges de seringues par le biais de distributeurs automatiques. Il ne fait donc aucun doute qu'un important travail d'échange d'informations doit être mené auprès de la population, en synergie avec les élus et les associations.

Enfin, je voudrais insister sur la campagne que nous menons pour baisser le seuil de ressources ouvrant droit à la CMU. J'ignore si d'autres associations vous en ont parlé. Mais jusque dans les années 1990-1992, nous n'avions rencontré aucun problème en matière de soins. Ce n'est qu'en 1993 que les bons d'aide médicale ont été mis en place dans les cabinets. Dès lors, le monde médical s'est senti démuni en raison de la complexité du système. Mme Veil a eu toutefois le grand mérite de simplifier la situation. La CMU représentait pour nous une avancée. Mais elle ne concerne pas tous les pauvres. En effet, connaissant des patients vivant dans des situations transitoires, j'ai le sentiment que nous sommes revenus au point de départ : le seuil de ressources ouvrant droit à la CMU est nettement inférieur au seuil de pauvreté. De fait, nous rendons accessible le tiers payant à ceux dont les revenus sont compris entre le montant plafond ouvrant droit à la CMU et le seuil de pauvreté.

M. Jean-François HUMBERT, Président - Merci. Je donne la parole au docteur Blanc.

M. Paul BLANC - D'après les propos de mon confrère, on pourrait se demander si la situation n'était pas meilleure à l'époque de la mise en place des bornes sociales et médicales gratuites, quand les bulletins bleus étaient destinés aux patients ne bénéficiant pas de la Sécurité sociale et les bulletins roses à ceux qui en étaient bénéficiaires. Votre exposé laisse entrevoir une société dont l'avenir ne présage pas de jours heureux.

Pour ma part, je souhaite savoir si des travailleurs sociaux oeuvrent auprès de vos équipes. Vous avez indiqué que certaines personnes ne disposent pas de CMU complémentaire par ignorance. Je pense que la présence d'un assistant social permettrait de les renseigner sur leurs droits et d'éviter d'avoir autant d'ayants droit sans droit.

M. Bernard MORIAU - En effet, des travailleurs sociaux oeuvrent dans nos centres. Nous accomplissons également des domiciliations à Saint-Denis. Ainsi, 4 000 dossiers AME sont établis par an au CASO où des assistantes sociales, salariées ou bénévoles, sont présentes. Notre but n'est pas de nous substituer au système public, mais de nous assurer que nos patients sont soignés très rapidement, comme tous les autres citoyens. De fait, nous agissons au mieux pour que leurs droits leur soient rendus le plus rapidement possible.

M. Paul BLANC - Vous avez mentionné l'augmentation importante du nombre de bénéficiaires de l'AAH. Avez-vous vérifié, statistiquement, si ces personnes touchent seulement l'AAH ou ont accès en plus à une allocation tierce personne (ACTP) ? Aujourd'hui, l'une de nos grandes difficultés provient du fait qu'à la suite de la loi du 11 février 2005, les bénéficiaires de l'AAH ont toujours droit à l'ACTP. Or, l'ACTP représente un complément de ressources, non comptabilisé comme tel. Ainsi, les personnes non voyantes bénéficient de l'AAH, mais celles d'entre elles, ayant un taux de validité de plus de 80%, reçoivent également l'ACTP.

Or, cette allocation ne relève pas d'une compensation de handicap au sens de la loi du 11 février, mais d'un complément de ressources. De fait, les personnes mal voyantes ne tiennent pas à ce que l'ACTP soit supprimée et nous n'assistons pas à une montée en charge de l'allocation compensatrice du handicap. Ainsi, savez-vous si les bénéficiaires de l'AAH sont seulement bénéficiaires de ce service ou s'ils cumulent les aides ?

M. Bernard MORIAU - Je ne peux pas répondre à votre question. Ce qui est important dans ce que je vous ai exposé concerne l'apparition de ce nouveau public. Nous constatons l'émergence de l'AAH et de l'allocation minimum vieillesse dans quelques-uns de nos centres. Mais nous ne pouvons pas, pour l'instant, en dire plus, faute d'analyse.

M. Paul BLANC - Mon autre question porte sur le refus des médecins d'apporter des soins aux titulaires de la CMU. Il s'agit d'un réel problème. Cependant, avez-vous distingué une différence en la matière entre ce qui se passe en milieu urbain et ce qui a lieu dans les zones rurales ? J'ai le sentiment, en ma qualité de médecin qui dialogue avec ses confrères, qu'il n'existe pas de refus de la CMU en province et en milieu rural.

Par ailleurs, de nombreux exemples montrent que les bénéficiaires de la CMU abusent de leurs droits pour, par exemple, faire venir des médecins à leur domicile à deux heures du matin alors qu'ils auraient pu le solliciter beaucoup plus tôt.

Les solutions pour le financement du dispositif reposent sur trois acteurs majeurs : les médecins de ville, l'hôpital et le patient. Je pense qu'une information et une sensibilisation générales sont nécessaires sur le sujet. En effet, le problème du financement du système de soins ne sera pas réglé individuellement par ces trois acteurs. De fait, avez-vous une idée du pourcentage de bénéficiaires de la CMU vivant en milieu urbain et du niveau de refus de soins en milieu rural ?

M. Bernard MORIAU - Tout d'abord, je partage votre constat personnel. Le problème est général. Lorsque je travaillais en Seine-et-Marne, certains confrères ne voulaient pas recevoir mes patients, bénéficiaires de la CMU.

M. Paul BLANC - Autrement dit, nous devons revenir au serment d'Hippocrate.

M. Bernard MORIAU - En effet. Néanmoins, la situation que vous décrivez pose problème. Une importante démarche de sensibilisation est à mener. Mais en soi, le dispositif CMU n'est pas très simple. Pour ma part, appartenant à Médecins du Monde, je connais bien l'aide médicale d'Etat et la CMU. Cette connaissance me permet d'élaborer des feuilles de soins très rapidement. Mais d'autres membres du corps médical rencontreront des difficultés pour obtenir leur remboursement. C'est la raison pour laquelle nous demandons la mise en place d'une carte vitale pour l'AME.

Par ailleurs, le fonds CMU a mesuré les refus de soins en milieu urbain. Vos questions s'inscrivent dans le cadre des missions du comité de suivi. En effet, son rôle est de travailler, en lien avec la Sécurité sociale, pour identifier les lieux où sont constatés des refus de soins. Ainsi, il lui revient de dialoguer avec le corps médical pour remédier à ces situations. Le problème actuel consiste à déterminer le rôle de chacun. L'ordre des médecins et les syndicats ne veulent pas prendre part au sujet et l'Assurance maladie refuse que les délégués s'emparent de la question. De fait, actuellement, les uns et les autres sont en attente.

M. Paul BLANC - Le serment d'Hippocrate relève de l'Ordre des médecins. Le linge sale doit être lavé en famille.

Ma dernière question est d'ordre plus médical. J'ai été surpris d'apprendre la suppression de la vaccination par le BCG. Pensez-vous que nous ayons eu raison de supprimer cette vaccination ? Incontestablement, apparaît une recrudescence de la tuberculose et des phénomènes de résistance au traitement contre cette maladie se développent. Aussi il me semble nécessaire de surveiller l'évolution de cette maladie et à agir si besoin, de manière à ne pas avoir à appliquer la vaccination par le BCG en urgence, sans pouvoir choisir d'autres solutions.

Je me demande si nous n'avons pas supprimé l'obligation de vacciner par le BCG parce que les médecins ne savent pas très bien réaliser les injections de BCG intradermaux. Si cette vaccination n'est pas menée à bien, des accidents peuvent se produire.

M. Bernard MORIAU - Il y a 25 ans, la suppression de l'obligation vaccinale en Suède a découlé justement de l'augmentation du taux de réaction vaccinale par rapport à l'incidence même de la tuberculose. Je ne m'inscrirai pas contre la reprise du vaccin en France, à condition qu'il soit appliqué surtout à la population la plus précaire.

Lors de mon intervention en Seine-et-Marne auprès de la population rom, j'ai diagnostiqué 32 cas de tuberculose parmi les 125 Roms présentés : 12 d'entre elles étaient infectieuses et 20 autres de nature primo-infectieuse. A cette époque, la DASS souhaitait entendre mon avis pour connaître les populations les plus précaires du département. Mais cette recherche n'est pas aisée. En effet, si les pouvoirs publics détiennent le budget et les compétences nécessaires pour enrayer la tuberculose, le problème consiste à déterminer les populations les plus précaires et à les dépister. Il faut alors, comme à Paris ou Toulouse lors des distributions de médicaments par des équipes mobiles, adapter les programmes aux populations rencontrées. Mais si aucune confiance n'est établie entre les organismes tels que le nôtre et l'État, la population française est en danger.

M. Jean-François HUMBERT, Président - Avez-vous d'autres questions ?

Mme Odette HERVIAUX - L'exclusion touche de plus en plus de jeunes. Avez-vous un éclairage particulier sur leur santé et les soins à leur apporter ?

M. Bernard MORIAU - A travers le rapport de notre observatoire, nous constatons que les jeunes sont surreprésentés dans notre centre mission France. 20 % de personnes sans domicile fixe sont répertoriées dans notre population et, parmi elles, il doit y avoir 25 % de jeunes.

De plus, au cours d'une étude menée il y a quelques années, nous nous sommes aperçus que les jeunes en situation d'exclusion sont plus malades que leur âge ne l'exigerait et que les femmes en proie à des difficultés sociales ont des grossesses plus précoces. De fait, les jeunes cumulent des pathologies plus importantes par rapport à leur tranche de population. Cette réalité constitue donc un véritable problème. Si vous souhaitez des chiffres plus précis, vous pouvez consulter, sur notre site Internet, le rapport de cet observatoire.

M. Jean-François HUMBERT, Président - Merci docteur pour toutes ces informations.

Audition de M. Patrick VIVERET, conseiller maître à la Cour des comptes, auteur du rapport « Reconsidérer la richesse » - (25 mars 2008)

M. Christian DEMUYNCK, Président - Je vous remercie d'avoir accepté d'être auditionné par cette mission commune d'information sur les politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion. Vous connaissez bien ce sujet et la mission a donc souhaité vous entendre. Je vous propose de commencer votre intervention en dressant un bilan de la situation que vous avez pu observer et en avançant d'éventuelles propositions pour réduire la pauvreté et l'exclusion. Le rapporteur, Bernard Seillier, et nos collègues vous poseront ensuite des questions.

M. Patrick VIVERET - M. le Président, je vous remercie de votre accueil. Je vais vous présenter les différents aspects de la situation de la pauvreté et de l'exclusion de manière synthétique, sachant que chacun de ces thèmes mériterait d'être approfondi. Je voudrais démarrer mon propos en évoquant le contexte dans lequel la mission sur les nouvelles approches de la richesse a été conduite. Vous pourrez ainsi comprendre les évolutions qui sont intervenues dans ce domaine.

Cette mission a été créée en 2000 et a existé, d'un point de vue institutionnel, pendant trois ans. Au cours des deux premières années, elle a travaillé à l'élaboration d'un rapport d'étape, puis d'un rapport complet que j'ai présenté en mars 2002, à l'occasion d'une rencontre internationale co-organisée avec le programme des Nations unies pour le développement autour du thème général « Reconsidérons la richesse ».

Le PNUD représentait, à cette époque, l'un des rares acteurs à avoir demandé, sur le plan international, la construction d'indicateurs de richesse. Il s'intéressait particulièrement à ce que faisait un pays du Nord dans ce domaine. Le plus souvent, les pays du Sud réalisaient leur propre rapport national sur le développement humain, contrairement aux pays du Nord, qui ne s'estimaient pas soumis à la même obligation. Il était donc important que la France s'engage dans cette direction. A l'occasion de cette rencontre internationale, nous avons bénéficié de l'appui du secrétariat d'Etat à l'économie solidaire, commanditaire de cette mission, mais aussi du président de la République et du premier ministre. Une prise en charge institutionnelle du sujet commençait donc à se dessiner.

Des progrès importants sont intervenus depuis cette période. En effet, alors qu'il y a encore quelques années, nos travaux étaient considérés au mieux comme pionniers, mais ne présentant pas d'intérêt dans la prise de décisions publiques, nous assistons aujourd'hui à une véritable appropriation de la problématique au niveau international, y compris par des institutions financières telles que la Banque mondiale, le FMI et l'OCDE. Une prise de conscience est également intervenue au niveau européen. J'ai ainsi récemment participé, en tant que représentant de la France, à un grand colloque organisé au parlement européen, qui associait, outre ce dernier, la Commission européenne et les acteurs de la société civile, de plus en plus de travail collectif réunissant les institutions internationales et les acteurs de la société civile.

Nous nous inscrivons donc dans un processus d'accélération de la prise de conscience, par les institutions publiques, de l'importance de pouvoir bien mesurer la richesse. Comme vous avez pu le constater, à la suite du Grenelle de l'insertion, une commission a été mise en place à l'instigation du président de la République. Elle est présidée par M. Joseph Stiglitz, prix Nobel, et est animée par un autre prix Nobel, M. Amartya Sen, premier grand théoricien des indicateurs de richesse sur le plan international, son travail ayant ouvert la voie à l'élaboration des indicateurs de développement humain du programme des Nations unies pour le développement.

Cette commission se réunira pour la première fois le 22 avril prochain. Elle n'est composée que d'un tiers de Français et a véritablement une vocation internationale. Sur la base des critiques de plus en plus convergentes sur nos outils actuels de représentation et de mesure de la richesse, qu'il s'agisse du PIB ou du PNB, et d'un certain nombre de propositions, elle doit, par son travail, permettre des avancées en faisant reposer la prise de décision publique davantage sur les nouveaux indicateurs.

Il est nécessaire d'établir une interaction entre les outils de mesure et les politiques publiques, laquelle existe en comptabilité nationale depuis la fin de la seconde guerre mondiale. Dans ce contexte, les indicateurs sociaux et plus globalement ce qui concerne les actions de lutte contre l'exclusion, la pauvreté et les inégalités sociales sont de plus en plus pris en compte. Le problème du dérèglement climatique ne peut être traité qu'au travers d'une réduction drastique de l'injustice sociale, tant à l'échelle planétaire qu'au sein de nos propres pays. En effet, les conclusions des travaux de la mission internationale d'études sur le climat, qui étaient considérés comme étant relativement pessimistes l'année dernière, apparaissent aujourd'hui trop optimistes par rapport aux nouveaux éléments d'information dont nous disposons.

Le dernier rapport de l'OCDE, laquelle ne nous avait pas habitués à être une institution internationale alternative, constitue un exemple très significatif de cette prise de conscience. Y sont tenus des propos extrêmement radicaux, selon lesquels les enjeux doivent être appréhendés à l'horizon de 2030, et non à celui de 2050 ou de 2100. Selon l'OCDE, si nous voulons éviter les conséquences désastreuses du dérèglement climatique sur la planète en 2030, il est impératif dès aujourd'hui d'aller vers une réorganisation radicale des modes de croissance, de consommation, de production et de distribution. Le mouvement d'évitement qui se fait jour au sein de nos sociétés et d'après lequel il est nécessaire de bouleverser nos comportements seulement en 2050 est donc remis en cause. Les acteurs expliquent que les réorientations doivent être très rapides et radicales.

Or, le pilier social, qui correspond à l'un des trois piliers sur lequel repose le développement durable, constitue une variable absolument centrale. Au cours des deux dernières décennies, nous avons eu tendance à intervenir sur les deux autres piliers (le pilier économique et le pilier environnemental) et à nous servir du pilier social comme d'une variable d'ajustement. Aujourd'hui, nous nous rendons compte que le dérèglement climatique a des conséquences simultanées sur l'environnement, l'économie, la sphère sociale et les modes de gouvernance. Nous ne pourrons donc réussir à aller vers une réorientation majeure de nos comportements sans une acceptabilité sociale des changements occasionnés. Ainsi, à l'échelle internationale, il n'est pas possible, par exemple, de demander à des personnes de renoncer au bois pour se chauffer, au motif de protéger la planète, s'ils n'ont pas d'autre possibilité de survivre. Selon M. Bertrand Schwartz, pour des êtres humains dont le projet de vie se limite aux prochaines vingt-quatre heures, ce qui nous paraît extrêmement proche, à savoir 2030, reste extrêmement lointain.

De la même manière, un individu en situation de précarité, se battant au quotidien pour s'en sortir, ne renoncera pas à se rendre dans un hypermarché à bas prix, sous prétexte que ce dernier ne respecterait aucun critère de développement durable. Par conséquent, nous sommes entrés dans une période où notre acceptabilité sociale des changements nécessaires induits par le dérèglement climatique mesure notre capacité à atteindre les objectifs de plus en plus ambitieux que se fixe la communauté internationale, notamment la fameuse réduction par quatre des émissions de gaz carbonique.

Dès lors, à l'intérieur de la boîte à outils constituée des nouveaux indicateurs, les indicateurs proprement sociaux et sociétaux deviennent déterminants. J'ai été amené à étudier cette problématique, peu explorée jusqu'alors, lorsque j'ai conduit la mission sur les nouvelles approches de la richesse ; un travail m'ayant permis de mettre en évidence que des indices, comme l'indice de santé sociale, peuvent nous apporter des informations très intéressantes. Cet indice de santé sociale est très composite. Il est construit sur la base d'une dizaine de grandes variables de base telles que la mortalité infantile, le taux de suicide et les maladies liées à l'alcoolisme, considérées comme étant indispensables quand il s'agit d'analyser la santé sociale d'une population.

Or, les études montrent un décalage spectaculaire entre cet indice, élaboré pour la première fois aux Etats-Unis, et le produit intérieur brut. J'ai souligné ce décalage dans mon rapport Reconsidérer la richesse. Dans un certain nombre de pays, comme les Etats-Unis et une partie des Etats européens, l'indice de santé social a accompagné la progression du PIB dans les années 1960 et 1970, avant de se mettre à stagner puis de décrocher de manière considérable par rapport à ce dernier ; un décrochage n'ayant pas eu lieu dans la plupart des pays nordiques.

Cette réalité est essentielle. En effet, si nous considérons que la lutte contre l'exclusion et la pauvreté, et plus globalement contre les inégalités sociales et le sentiment d'injustice sociale, est nécessaire pour aller vers une réorientation fondamentale des politiques publiques en raison du dérèglement climatique, alors nous avons besoin d'outils d'information, d'indicateurs pour agir. Une appropriation des indices, nés au niveau international, se produit actuellement à des échelles de territoires locaux. La société civile est, de ce point de vue, en avance sur les Etats et les organisations internationales, alors même que sont en jeu le bien commun et notre avenir à long terme. Nous devons malheureusement reconnaître que les institutions publiques ne sont pas toujours à la hauteur de leurs missions dans ces domaines.

En France, par exemple, le baromètre des inégalités et de la pauvreté a été élaboré conjointement par le réseau Alerte sur les inégalités et le mensuel Alternatives économiques. Des avancées ont eu lieu également au niveau des Régions sur le sujet. Ainsi, le conseil régional du Nord-Pas-de-Calais a commandé une étude en vue d'adapter les indicateurs de développement humain à l'échelle de sa région et de les utiliser dans le cadre des processus de décision.

Voilà donc ce que je souhaitais évoquer en introduction de notre échange. Je serais très heureux de pouvoir discuter avec vous de l'ensemble de ces sujets.

M. Christian DEMUYNCK, Président - Merci M. Viveret de votre intervention. Je passe la parole à notre rapporteur, Bernard Seillier.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - La sensibilisation à ces indicateurs de mesure de la richesse et leur diffusion sont-elles faciles ou butent-elles sur des obstacles ? Je pense que cette mesure de la richesse, par le biais des indicateurs, est bien meilleure que celle développée par l'approche monétariste.

M. Patrick VIVERET - La sensibilisation à ces indicateurs de mesure et leur diffusion sont assez lentes. Tout l'enseignement de l'économie est basé sur le renouveau de l'économie néo-classique et de sa forme néo-marginaliste. Dans les universités et établissements scolaires du secondaire, cette mesure de la richesse est encore assez peu traitée. C'est au niveau des institutions internationales qu'elle suscite un intérêt croissant, celles-ci étant directement confrontées à la difficulté d'appréhender la richesse. Les Etats s'y intéressent encore peu. Mais je crois qu'il n'en sera plus de même dans peu de temps et que le sujet fera l'objet d'une attention grandissante, de plus en plus des professeurs d'économie, mais aussi des élèves, demandant à bénéficier d'un meilleur éclairage dans ce domaine. Ce processus va accompagner la prise de conscience actuelle de la nécessité de bien évaluer la richesse.

Nous devons toujours avoir à l'esprit que les choix de société précèdent les indicateurs. Si nous avons l'impression que ces derniers sont construits par des statisticiens ou des économistes avec une apparente neutralité ou objectivité, nous oublions souvent que la comptabilité nationale a été élaborée à partir de questions posées par les décideurs politiques. Dans les années 30, le souci consistait à savoir sur quelles ressources le pays pouvait s'appuyer pour conduire une éventuelle guerre. Les économistes avaient répondu que ces ressources constituaient les industries et les matières premières industrielles de masse.

De même, à la fin de la deuxième guerre mondiale, quand il s'est agi de reconstruire le pays, un système de chiffrage a été mis en place pour valoriser la décision politique et sociétale et donner la priorité à la modernisation industrielle. C'est ainsi que dans l'ensemble des métiers de la paysannerie, au-delà de la simple production agroalimentaire, le choix effectué a consisté à favoriser une production agricole conforme au modèle industriel et a dévalorisé dans le même temps des dimensions dont nous nous rendons aujourd'hui compte qu'elles sont pourtant essentielles, comme la préservation de l'environnement et l'aménagement du territoire. Un choix de société implicite a donc déterminé la commande passée aux économistes et aux statisticiens.

La même situation risque fort de se reproduire. Sous l'effet conjugué des crises financière et climatique, les responsables politiques se demandent en effet de quels outils ils disposent pour mettre en oeuvre une régulation dans certains secteurs et procéder à leurs réorientations. Les indicateurs qui leur sont accessibles étant en partie contre-productifs, ils s'aperçoivent que de nouveaux outils sont nécessaires, comme l'illustrent la mise en place du Grenelle de l'insertion et de la Commission Stiglitz. Je n'affirme pas, pour autant, que le travail des experts est instrumentalisé par les décideurs politiques. Mais la nature de la commande publique joue vraiment un rôle essentiel, déterminant, et elle aura des conséquences dans le domaine universitaire.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Dans le prolongement de cette observation, nous aimerions être novateurs dans notre approche de la lutte contre la pauvreté et l'exclusion en collant plus aux réalités. Je trouve assez paradoxal de vouloir organiser un Grenelle de l'insertion et mettre en oeuvre une lutte plus efficace contre la pauvreté avec des indicateurs essentiellement monétaires. Je pense que notre mission pourrait jouer un rôle intéressant en mettant en avant d'autres types d'indicateurs.

Les intentions ne sont évidemment pas mauvaises. Elles consistent à diminuer la pauvreté. Mais elles ne sauraient se limiter à cet objectif. Il est nécessaire d'aller plus loin et notamment de réviser les concepts utilisés. Comment pourriez-vous nous aider à orienter la suite de notre travail ? Ce type de questionnement me semble être au coeur des réflexions de la mission.

M. Patrick VIVERET - Cette question est la plus cruciale et celle à laquelle j'ai le plus de mal à répondre, la monnaie constituant un élément universel commode à utiliser et intégré, à ce titre, à la plupart des indicateurs. De fait, lorsqu'un indicateur n'est pas monétaire, il a immédiatement tendance à être marginalisé et considéré comme étant beaucoup moins appréciable que les indicateurs gradués en monnaie. Or, ces derniers présentent un véritable problème car l'extraordinaire gonflement de l'économie spéculative a pour conséquence que nous ne savons pas si les indicateurs monétaires traduisent bien les réalités écologiques et humaines.

La monnaie est évidemment commode pour construire des indicateurs. Mais un minimum de correspondance doit s'établir entre eux et ce qui existe du point de vue physique. Ainsi, par jour, les échanges monétaires sont jusqu'à cent fois plus élevés que les échanges réels de biens et de services. Le rapport entre les unités monétaires et la réalité, que celle-ci porte sur des matières premières, sur des ressources écologiques non renouvelables ou des activités humaines, est ainsi devenu quasiment impossible à estimer.

La solution choisie par les institutions internationales pour introduire, dans leurs méthodes de représentation de la richesse, les fameuses externalités négatives ou positives, consiste à monétariser des éléments dits de capital naturel ou humain. Employer le terme de capital à propos de la nature ou d'êtres humains n'est évidemment pas neutre. Sont ainsi intégrés dans une matrice économique de dimension monétaire des données qui, par nature, vont bien au-delà du champ monétaire. Aussi, ce que nous avons gagné d'un côté, nous l'avons perdu de l'autre, comme l'indiquent les travaux de l'OCDE.

Celle-ci a été amenée à effectuer ce travail de monétarisation et à considérer que le capital naturel et le capital humain constituent 84 % du capital global, les 16 % restants représentant ce que nous pouvons qualifier de capital au sens économique classique du terme (physique, technique et monétaire). Cette information, décisive, attire l'attention des décideurs économiques et politiques sur l'importance des enjeux écologiques et humains, même s'ils demeurent, pour l'OCDE, moins cruciaux que ce qui relève du principe de monétarisation. Un vrai problème se pose à chaque fois qu'une valeur écologique ou humaine est en cause et qu'elle ne peut pas être quantifiée de façon monétaire.

Mais notre difficulté à estimer la richesse n'est pas seulement due à des soucis de chiffrage. Elle tient également à notre vision de la représentation de la richesse elle-même. C'est ce que vous avez évoqué à travers l'exemple de l'activité, ce constat valant tout autant pour le dossier des retraites que celui de la durée du travail. L'un des problèmes majeurs induit par notre représentation réductrice de ce que nous appelons la richesse est que la notion d'activité est elle-même totalement réductrice. Seule une portion minime du temps moyen de vie des habitants est en effet considérée comme constituant une activité. Par exemple, un Français âgé de 76 ans a eu environ 700 000 heures de vie, mais un temps d'activité, au sens économique et statistique du terme, compris entre 60 000 et 90 000 heures. Autrement dit, une personne qui travaillerait 70 heures par semaine, ne prendrait pas de vacances et ne connaîtrait jamais le chômage ne serait pas prise en compte dans les données. La notion d'activité est tellement réductrice qu'elle nous conduit ainsi à ignorer des poches de vitalité humaine aussi considérables que l'ensemble des activités domestiques, sans lesquelles l'économie s'écroulerait. Imaginez quelle serait la situation du pays si l'Etat ou le marché devait prendre en charge l'ensemble des activités domestiques ! Il y aurait, non seulement, un chaos social considérable. Mais en plus, celui-ci s'accompagnerait d'un coût très élevé pour la collectivité.

Le même constat s'impose pour le bénévolat et pour ce que le sociologue Pierre Bourdieu appelle le capital social. Il s'agit d'une contribution fondamentale à l'activité globale et à la richesse des Nations. Mais avec notre définition actuelle de l'activité, le bénévolat est perçu comme étant une non-activité et non-productif. Le règlement du dossier des retraites, par exemple, est en grande partie bloqué en raison de cette notion d'activité, car le déséquilibre entre la prétendue activité et la prétendue non-activité va forcément s'aggraver. La simple poursuite d'études supérieures repousse de facto, de 16 à 24 ans, l'entrée dans la vie dite active. Ce déséquilibre suffit à empêcher quelconque avancée sur le traitement du dossier des retraites, quand bien même le Conseil européen, à Lisbonne, a expliqué que nous vivons dans une société de la connaissance. Il est contradictoire d'estimer que, dans une telle société, les études supérieures constituent une inactivité.

Considérer le bénévolat, les activités domestiques, les études supérieures ou bien d'autres occupations comme des inactivités conduit à une contradiction impossible à résoudre. C'est pourquoi nous sommes plusieurs à prôner l'utilisation d'un outil plus simple, plus stable et plus universel que le temps d'activité : le budget-temps. Grâce à l'INSEE, nous disposons en France d'informations sur le sujet. Le budget-temps permet, par exemple, de repérer le bénévolat, les activités domestiques et les études supérieures.

En outre, les trois grandes fonctions de la monnaie (unité de compte, moyen d'échange et réserve de valeur) seraient paradoxalement mieux remplies par des unités de temps que par les unités monétaires classiques. Nous sommes aujourd'hui dans une situation assez ubuesque, avec une unité de compte qui fluctue continuellement en fonction de sa valeur spéculative.

Concernant la fonction de moyen d'échange, l'organisation de l'échange de temps constitue la base même de toute activité humaine. Enfin, s'agissant de la fonction de réserve de valeur, un agenda correspond à une promesse de temps. A l'échelle macroéconomique, de plus en plus de grandes entreprises multinationales, lorsqu'elles ont des investissements à effectuer à moyen terme, établissent un budget en hommes/années, ce qui n'est pas plus incohérent que de se baser sur des monnaies dont les fluctuations sont largement imprévisibles.

Le grand problème né de l'introduction du temps n'est pas que sa valeur puisse être qualifiée différemment. Un cours d'une heure peut être comptabilisé quatre heures si sa préparation a demandé trois heures. Donner une fourchette en heures peut permettre d'appréhender les différences existantes. Le système ne consisterait donc pas forcément en un nivellement égalitaire et aurait pour avantage d'éviter des inégalités démesurées. Henry Ford expliquait à ce sujet que lorsque le salaire d'un PDG est de plus de vingt à trente fois supérieur au salaire le plus bas de son entreprise, celle-ci est en danger. Or, aujourd'hui, le rapport entre la rémunération des grands patrons et leurs salariés va de 1 à 1 000. Nous constatons régulièrement les effets délétères de cette situation.

Des différences en termes de mesure pourraient exister également si nous nous reposions sur une unité de temps. Mais elles n'atteindraient jamais un tel niveau, même si vous considériez que le temps de M. Dupont a une valeur dix fois supérieure à celui de M. Durand. Le fait que ces deux personnes soient obligées de dormir quelques heures par jour a pour conséquence de restreindre la fourchette de différences. Le véritable obstacle à l'utilisation de l'unité de temps est en réalité de natures culturelle et émotionnelle. Au début de ma réflexion, je pensais trouver, dans les travaux des économistes, des prémices de théorisation sur la monnaie. Mais ceux-ci n'ont pas une véritable approche doctrinale de la monnaie, celle-ci ayant une dimension d'abord religieuse, puis politique et seulement, en arrière-plan, économique. Dans l'Antiquité, la monnaie de sacrifice rétablit l'échange inégal avec les Dieux. En latin, le terme pecus renvoie ainsi à la tête de bétail, c'est-à-dire aux animaux sacrés.

La première référence monétaire repose donc dans le rapport au sacrifice et, comme l'a montré René Girard, dans le transfert du sacrifice humain sur l'animal. C'est seulement ensuite que le politique prendra lentement son autonomie par rapport au religieux et que le pouvoir monétaire deviendra régalien. La phase selon laquelle la monnaie acquiert son indépendance par rapport au politique et au religieux est extrêmement récente.

En réalité, nous avons investi dans la monnaie une aspiration fondamentale, notre aspiration à l'immortalité. Ainsi, pourquoi continuons-nous à parler d'argent alors même que le rapport entre la monnaie et tout métal précieux a disparu depuis longtemps ? La dernière référence à l'or date de 1971, quand la convertibilité du dollar en or a été abandonnée. Si nous continuons à parler d'argent, c'est parce qu'un métal précieux représente un signe d'immortalité. Lorsque les Grecs et les Latins définissaient la voûte étoilée, ils croyaient que celle-ci était fixe et immuable. Face à une vie par nature mortelle, la fascination pour les métaux précieux traduit une espérance dans l'immortalité. Nous payons cette espérance au prix le plus cher. Nous renonçons ainsi à une vie présente pour espérer conquérir des métaux précieux.

Ceci explique pourquoi certains se trompent lorsqu'ils estiment qu'il serait relativement simple de créer des monnaies non spéculatives, ne servant qu'aux fonctions pour lesquelles elles sont utiles. En réalité, le fait de passer d'une monnaie qui a en elle-même de la valeur à une monnaie qui n'a pas de valeur intrinsèque vient heurter ce socle sous-jacent, ce dernier est d'autant plus fort qu'il est inconscient. L'une des grandes difficultés à agir se situe à mon avis à ce niveau. Mais la crise financière va ouvrir le débat. Si, comme nous pouvons raisonnablement le penser, celle-ci n'en est qu'à ses débuts, l'immensité des dettes accumulées et non solvables dans l'économie spéculative nous empêchera d'avoir encore une monnaie viable.

M. Christian DEMUYNCK, Président - Vous avez mis en place un projet baptisé SOL.

M. Patrick VIVERET - Mon intervention contient deux parties. La première concerne les indicateurs des richesses, la seconde les aspects monétaires. J'ai préconisé la mise en place d'une expérimentation, qui se déroule actuellement dans le cadre européen avec le soutien de cinq grandes régions françaises : la Bretagne, le Nord-Pas-de-Calais, l'Ile-de-France, l'Alsace et Rhône-Alpes.

Nous avons proposé des modèles complémentaires, car l'idée n'est pas de supprimer les grandes monnaies. Ce projet serait en effet totalement irréaliste. Notre objectif est de ramener les monnaies à leur fonction première, dès lors que l'économie financière perd toute raison et s'abandonne à la spéculation. A la limite, si les grandes monnaies remplissaient leur rôle, les modèles complémentaires ne seraient pas nécessaires. Le projet SOL s'inscrit donc comme tel, en visant à la valorisation des formes d'utilités écologique et sociale. L'ambition est de permettre le développement d'une économie réelle conforme aux exigences du développement durable. Mais l'une des difficultés que nous rencontrons dans le cadre de ce projet est que les individus projettent les mêmes schémas que pour la monnaie classique.

L'exemple argentin doit, sur ce point, être médité. Il pourrait en effet se reproduire dans d'autres pays du fait de la crise financière. Lorsque la monnaie de leur pays s'est effondrée, les Argentins se sont précipités sur les réseaux de type SEL, qui avaient été conçus pour quelques dizaines de milliers de personnes. 7 000 000 d'habitants ont ainsi brusquement utilisé les « creditos » et, de fait, le système, qui n'avait pas été pensé à une large échelle et n'était pas régulé, s'est effondré de lui-même après avoir connu un succès phénoménal en quelques mois. En raison des comportements culturels, certaines personnes ont spéculé, thésaurisé et émis des « creditos » en surabondance. Elles ont ainsi projeté, sur la nouvelle monnaie, dite alternative, leurs comportements antérieurs à l'égard de la monnaie traditionnelle.

M. Christian DEMUYNCK, Président - M. le rapporteur, Bernard Seillier, souhaite intervenir.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Vous avez indiqué être un certain nombre de personnes à préconiser un budget-temps.

M. Patrick VIVERET - Nous avons exprimé ce souhait de manière éclatée. Un des objectifs intermédiaires est de réunir l'ensemble des propositions émises.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Des projets existent-ils pour réformer les agences de notation extra financière des entreprises ?

M. Patrick VIVERET - J'ai participé récemment, à l'occasion d'un colloque, à un débat sur le sujet avec des agences de notation extra financière. Celles-ci sont nées dans un environnement où seulement ce qui relevait de la notation financière était considéré comme important et sérieux. Aujourd'hui, elles connaissent des dérèglements majeurs et il leur appartient, dans le cadre de leur travail, d'adopter des approches plus en phase avec le développement durable.

M. Christian DEMUYNCK, Président - Mes chers collègues, souhaitez-vous poser des questions ?

Mme Annie DAVID - Je me félicite, tout comme vous, que de nombreux indicateurs puissent être pris en compte dans le calcul de la richesse. Comme vous l'avez souligné, le pilier social doit constituer le pilier central du développement durable. Celui-ci est invoqué par de nombreux acteurs. Mais très peu d'entre eux insistent sur l'importance de son pilier social.

Vous n'avez pas abordé le sujet des travailleurs pauvres. Comment analysez-vous l'apparition de cette catégorie de salariés ? Etablissez-vous un lien entre leur situation et la dégradation de leur état de santé et de leurs conditions de travail ?

Par ailleurs, comment appréhendez-vous le mouvement de désolidarisation collective qui a lieu dans le domaine de la santé ? A la commission des affaires sociales du Sénat, nous savons que beaucoup de personnes, parmi les plus modestes, sont obligées de hiérarchiser leurs soins et de distinguer, parmi eux, ceux qui relèvent du nécessaire et de l'accessoire, n'ayant pas les moyens de les prendre en charge tous. Ne pensez-vous pas que cette désolidarisation collective contribue à l'appauvrissement et à l'exclusion des travailleurs et a des conséquences négatives sur leur santé ?

Enfin, vous avez souligné l'importance du bénévolat en expliquant qu'il doit être considéré comme une activité. Le problème est qu'il constitue souvent une réponse au désengagement de l'Etat dans le domaine social. Ne pensez-vous pas qu'il serait préférable de se diriger vers une économie plus solidaire à tous les niveaux plutôt que d'en appeler à l'acte bénévole ?

Ce désengagement de l'Etat m'inquiète. Je vous remercie.

M. Christian DEMUYNCK, Président - Nous allons regrouper les questions.

Mme Brigitte BOUT - Je souhaite vous remercier pour votre exposé. Je partage totalement les inquiétudes de ma collègue. Votre projet d'expérimentation concerne cinq régions. Je suis personnellement élue du Nord-Pas-de-Calais. Comment le SOL écologique et social va-t-il prendre place sur ce territoire ?

M. Patrick VIVERET - Mes analyses tiennent compte des problématiques que vous avez évoquées et notamment de la situation des travailleurs pauvres. Toutes mes propositions sont destinées à reconnaître la richesse de l'ensemble des êtres humains, qui se retrouvent souvent dévalorisés par leur mauvaise situation économique. Le fait de reconnaître cette richesse permet de souligner la nécessité d'offrir à chacun un niveau de revenu à la hauteur de sa contribution effective à la société, et de refuser de voir le bénévolat être une manière de se défausser sur les associations d'un certain nombre de fonctions relevant tant de la responsabilité sociale du secteur public que de celle du secteur privé. Il est donc nécessaire de distinguer le bénévolat forcé du vrai bénévolat.

Des projets comme le SOL servent également à responsabiliser les différents acteurs. Le fait que la personne n'existe socialement que par sa souffrance crée un cercle vicieux dans le dispositif de l'assistance. A l'inverse, dans le projet SOL, un individu existe d'abord au quotidien. Les réseaux d'échanges réciproques de savoirs ont bien mis en évidence que toute personne dispose de connaissances. Lorsqu'elle en prend conscience et qu'on l'aide à transmettre son savoir, elle est identifiée de manière, non plus négative, mais positive.

Le système se caractérise donc par un double mouvement : la remise en cause de ce qui participe de la dévalorisation économique et de la précarisation et la responsabilisation des individus en évitant leur enfermement dans la logique de l'assistance, laquelle leur confère des statuts eux-mêmes dévalorisants.

Concernant le projet SOL du Nord-Pas-de-Calais, toute une équipe travaille à sa mise en place. Je n'ai pas le temps de vous détailler le projet ici. Mais je peux vous communiquer les coordonnées de ses responsables. De plus en plus de processus conjoints sont en train de voir le jour. Le problème est qu'ils sont appréhendés comme des dispositifs à part, alors qu'ils devraient être placés au centre de l'action publique. M. Claude Alphandéry et moi-même, nous rencontrerons bientôt M. Jean-Louis Borloo pour discuter avec lui de ces sujets. Nous arrivons en effet à un stade où il est nécessaire d'intervenir au coeur des politiques publiques.

Prenez, par exemple, le cas de la protection sociale. Il s'agit, de facto, d'un système de monnaie affectée où l'essentiel des ressources demeurera à l'intérieur d'un circuit. Or, si les services publics utilisaient pleinement ce système, de très nombreux échanges pourraient avoir lieu en monnaie complémentaire et ne relèveraient alors plus de l'expérimentation, ce qui aurait des conséquences sur de nombreux phénomènes tels que la dette publique. Il deviendrait ainsi possible de compléter, par de la monnaie complémentaire, un certain nombre de revenus et de services sociaux et culturels que nous n'arrivons pas à couvrir en monnaie officielle.

Il s'agirait d'un formidable outil de réorientation des modes de consommation, la monnaie complémentaire permettant, en effet, grâce à un effet de levier, de jouer à plein la carte du développement durable. Mais l'idée est difficile à imposer, car la monnaie est considérée comme un domaine réservé aux spécialistes. Derrière ces projets sa cache donc un enjeu de ré-appropriation démocratique de l'outil monétaire. Votre mission peut être d'une précieuse aide dans ce domaine.

M. Christian DEMUYNCK, Président - Nous allons prendre une dernière question.

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE - Votre exposé a été brillant. Il a revêtu une dimension assez philosophique dans sa dernière partie. Je souhaite revenir sur trois points. Vous avez parlé d'entreprises citoyennes. Mais cette dénomination a été purement symbolique. Elle ne s'est traduite par aucun résultat positif.

Ma seconde remarque concerne la monnaie. J'ai également collaboré avec Claude Alphandéry, lequel a étudié le coût évité de la pauvreté en France. J'aimerais savoir si vous disposez de nouvelles analyses sur le sujet.

Enfin, vous avez beaucoup insisté sur la notion d'activité. Mais comment le politique peut-il se saisir de cette notion pour la voir appliquée au niveau des entreprises du secteur économique, et pas seulement par celles de l'économie sociale et solidaire ? Comment est-il possible d'intervenir pour éviter une reproduction des comportements liés à l'économie classique, d'amener le politique à agir lorsqu'il se produit des déviations dans le domaine de la santé ?

M. Patrick VIVERET - Vous avez défini là un véritable programme de travail. La problématique des coûts évités est évidemment centrale. Ces coûts sont liés aux richesses implicites, parmi lesquelles figure la santé. L'Organisation mondiale de la santé a ainsi montré qu'un investissement annuel de 0,1 % du PIB des Nations développées, soit 40 milliards de dollars, dans le secteur de la santé aboutirait, dès l'année suivante, à un retour sur investissement de 360 milliards d'euros en effets directs et indirects. La santé constitue donc une richesse le plus souvent invisible, sur laquelle nous ne raisonnons pas suffisamment en termes d'investissement.

La conjonction des crises climatique et financière incitera les responsables politiques à agir. Le principal enjeu consiste à éviter l'addition des effets régressifs et récessifs des deux crises qui, en se cumulant, peuvent produire des effets encore plus négatifs que ceux liés à chacune d'entre elles. Mais cette situation peut constituer également un atout. En effet, la crise financière nous oblige, par exemple, à réorienter radicalement nos politiques, ce qui aurait été impossible en son absence. De même, la crise climatique nous conduit à revenir à une économie à la fois réelle et soutenable d'un point de vue social et écologique. Sans elle, la réponse apportée à la crise financière serait classique, avec une socialisation des pertes.

Enfin, je crois que le politique sera le grand acteur dans le cadre de la conjoncture actuelle, marquée par deux crises simultanées. Il ne peut réussir son retour sur le devant de la scène que s'il transforme son propre rapport au pouvoir. De même qu'une transformation du rapport à la richesse est nécessaire, une transformation du rapport au pouvoir est indispensable. Le politique doit jouer le rôle de catalyseur d'énergies créatrices, plutôt que de se contenter d'exercer le pouvoir. Dans le premier scénario, la création est démultipliée par la coopération. A l'inverse, dans le second scénario, la domination est associée à la peur. Le pouvoir fait en effet peur aux personnes sur lesquelles il s'exerce, mais également aux dominants, qui ont tellement eu de mal à le conquérir qu'ils craignent de le perdre.

L'homme politique dont nous avons besoin est celui qui changera son rapport au pouvoir. Il s'agit d'un formidable défi à relever. Dans La grande transformation, Karl Polanyi a bien montré que la société de marché, qui naît lorsque l'économie en vient à marchandiser des liens sociaux qui sont d'un autre ordre, comme le lien politique, le lien de réciprocité et la recherche de sens, atteint la substance même du lien social. L'issue des sociétés de marché est ainsi très négative, avec un retour régressif aux fondamentaux que sont le politique et la recherche de sens dans la société. La première société de marché s'est achevée par deux guerres. Elle a entraîné hier le totalitarisme et aujourd'hui les pensées fondamentalistes et identitaires. Les acteurs politiques ont donc l'immense responsabilité d'empêcher que le retour du politique soit régressif. Ils doivent pour cela transformer leur rapport au pouvoir.

M. Christian DEMUYNCK, Président - Merci beaucoup pour toutes ces informations.

Audition de M. Julien DAMON, professeur associé à Sciences-Po, rapporteur général du Grenelle de l'insertion - (25 mars 2008)

M. Christian DEMUYNCK, Président - Je vous souhaite la bienvenue dans cette mission, qui a pour objectif d'évaluer les politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion. Il nous semblait très utile de vous rencontrer et de vous demander d'intervenir sur le problème de la pauvreté et, en particulier, sur le sujet des sans domicile fixe. Je vous propose de consacrer votre intervention par une présentation de la situation et des moyens que vous suggérez de mettre en place pour l'améliorer. Bernard Seillier, rapporteur de la mission, et nos collègues présents dans cette salle vous poseront ensuite quelques questions.

M. Julien DAMON - Je vous remercie de m'avoir invité pour échanger avec vous sur le dossier des sans-abri, véritable condensé des problématiques liées à l'exclusion, dans lesquelles interviennent la dégradation de la vie professionnelle, d'une part, et de la vie familiale, affective et amicale, d'autre part. De même, l'ensemble des politiques publiques de prise en charge des sans-logis représente un condensé des performances des actions de lutte contre l'exclusion et des difficultés à les mettre en place. Ce sujet, particulièrement en hiver, a tendance à se retrouver sur le devant de l'agenda politique. Je vous ai communiqué un article paru récemment dans la Revue de droit social et par lequel j'essaie de proposer une série de recommandations et de suggestions pour améliorer les conditions de vie des sans-abri.

Je commencerai mon exposé par un constat de la situation. J'évoquerai ensuite les réformes relativement substantielles des politiques publiques susceptibles d'être inventées.

L'idée selon laquelle les pouvoirs publics interviennent pas ou peu dans ce domaine est assez répandue, mais fausse. Je pense au contraire qu'ils agissent beaucoup. Paris est ainsi la Ville qui dépense le plus d'argent pour la prise en charge des sans-abri et ce, pour un succès incontestable. Les personnes qui vivent dans les rues de la capitale sont certainement celles qui sont les mieux prises en charge.

Toutefois, les politiques publiques déployées dans ce secteur butent sur des difficultés. Nous retrouvons, en effet, chaque année les mêmes individus dans la rue. L'estimation du nombre de sans-abri a conduit à des résultats très différents. Ainsi, selon une enquête réalisée en 2001 par l'INSEE, il y aurait 100 000 personnes vivant dans la rue ou dans des centres d'hébergement d'urgence ; un nombre évalué entre 100 000 et 800 000 d'après d'autres études.

Un système particulièrement dense de prise en charge des sans-abri s'est constitué en France depuis un quart de siècle. En 1984, année de naissance des politiques hivernales de prise en charge de la pauvreté et des Restos du coeur, la ligne budgétaire consacrée par l'Etat à cette prise en charge s'élevait seulement à 10 000 francs. Elle s'établit aujourd'hui à plus de 1 milliard d'euros. Il s'agit probablement de l'un des crédits publics qui a le plus fortement augmenté au cours des vingt-cinq dernières années.

La question des sans-abri renvoie à des problématiques très variées allant du trouble mental grave jusqu'au mal-logement qui concerne, selon une estimation de la Fondation Abbé Pierre, corroborée par l'INSEE, 3 millions de personnes. Selon la perspective dans laquelle nous nous plaçons, le nombre de personnes sans-domicile, vivant dans la rue, varie entre quelques milliers et 3 millions, soit 5 % de la population française, si nous comptabilisons les Français confrontés au mal logement, n'ayant rien à voir avec les exclus dormant, depuis quinze ou vingt ans, dans la rue.

Traiter de ce problème oblige à agir au-delà de la simple échelle de la France. En effet, les personnes désignées comme sans-abri ne respectent pas les frontières administratives. Dans un espace ouvert comme celui de Schengen, elles se déplacent d'un pays à l'autre, tout comme, au Moyen-Age, elles quittaient la province pour Paris, attirés par les aumônes. Pour résoudre le problème, nous cherchons en France à nous coordonner à l'échelle régionale. Or, celle-ci n'est pas efficiente, la plus adéquate correspondant à l'échelon de la ville ou de l'Europe.

J'ai trouvé assez surprenante la polémique qui a eu lieu suite à l'objectif annoncé en 2002 par le candidat à la présidence de la République, M. Lionel Jospin, de faire de la France un pays sans SDF. Cet objectif constituait une pièce essentielle de son programme, mais a été beaucoup brocardé par ses adversaires politiques et des associations qui le considéraient comme étant irréaliste. Pourtant, le premier responsable politique à en avoir parlé, en 1997, est M. Laurent Fabius, M. Nicolas Sarkozy ayant repris à cette idée à son compte lors de la campagne présidentielle de 2007. D'après ce que j'ai pu observer sur le terrain depuis longtemps, il me semble que cet objectif n'est pas aussi irréaliste qu'il y paraît.

Je souhaite vous soumettre une dizaine de propositions :

- D'abord, lorsque nous traitons d'un tel dossier, nous ne pouvons pas travailler de manière efficace si nous ne distinguons pas clairement les personnes confrontées au mal logement et celles, sans-abri, vivant dans la rue.

- Se fixer un objectif en termes de politique publique est particulièrement mobilisateur. L'ambition d'aller vers une réduction d'un tiers de la pauvreté en cinq ans, décidée en conseil des ministres en octobre dernier, constitue un exemple à suivre en la matière. Il est préférable de se fixer de telles perspectives plutôt que d'additionner, chaque année, les moyens concernant les dispositifs mis en place depuis vingt-cinq ou trente ans.

- Au-delà des débats portant sur la méthodologie, il m'apparaît possible de recenser le nombre de personnes sans-abri et qui vivent dans la rue ou des centres. Il suffirait pour cela de demander aux services municipaux ou à ceux de l'Etat de les compter pendant une nuit donnée.

- Le système de lutte contre l'exclusion est baroque et éclaté. Il est devenu incommensurablement compliqué. Le même constat vaut pour le dispositif de prise en charge des sans-abri. Je crois qu'il serait judicieux de l'unifier, ce qui ne signifie pas qu'il ne puisse pas être adapté au niveau local. Plutôt que de rechercher vainement à en assurer la coordination, il serait souhaitable de simplifier radicalement ce système incompréhensible.

- Les dispositifs d'aides devront être réservés aux personnes sans-abri lorsque celles-ci auront été recensées. Certaines d'entre elles pourraient, en effet, aisément habiter dans des logements sociaux.

- Concernant le vagabondage et la mendicité, je pense nécessaire, plutôt que d'interdire aux individus de vivre dans la rue, de nous interdire de les y laisser dormir. Autrement dit, nous devrions pouvoir disposer de bases juridiques, fondées peut-être sur la notion de non-assistance à personne en danger, pour empêcher les personnes de dormir dehors et donc de mourir de froid en hiver et de subir des violences en été. Il est donc indispensable de mettre en place des mesures coercitives.

- A Paris, la prise en charge des personnes sans-abri pourrait être radicalement modifiée. Depuis l'hiver 1954, elle est de la responsabilité de la préfecture de police, du Département, de la Ville de Paris et de l'Etat. Il en résulte que ses succès ou échecs ne peuvent pas être attribués à une institution en particulier, ce qui réduit l'efficacité de son évaluation.

- Il serait judicieux de proposer, pendant la présidence française de l'Union européenne, la création d'une agence qui aurait pour fonction de recenser les populations sans-abri, les problèmes rencontrés quant à leur prise en charge, les initiatives à prendre pour améliorer leur situation, et la manière de gérer le cas des ressortissants étrangers. Cette proposition est souhaitée par les associations travaillant dans ce domaine en Europe.

- Enfin, il me semble nécessaire de réviser les politiques publiques en les évaluant et les corrigeant.

Voilà donc quel est mon constat de la situation et quelques propositions pour améliorer la situation des personnes sans-abri. Je vous remercie de votre attention.

M. Christian DEMUYNCK, Président - Merci M. Damon. Je passe la parole au rapporteur de la mission, M. Bernard Seillier.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Les SDF occupent une place centrale dans les politiques de lutte contre l'exclusion et la pauvreté. J'ai eu à exercer, dans ma vie, des responsabilités professionnelles très variées, ce qui m'a amené à écrire un certain nombre d'ouvrages, notamment un Que sais-je ? sur l'exclusion et un livre sur les politiques familiales. Je sais que vous avez tenu des fonctions importantes à la Caisse nationale d'allocations familiales. Aussi, selon vous, les politiques familiales et l'école n'ont-elles pas un rôle à jouer en matière de prévention de l'exclusion et de la pauvreté, de manière à épargner beaucoup de souffrances aux personnes qui en sont les victimes ?

M. Julien DAMON - Je n'ai pas abordé le sujet de la prévention dans mon intervention. Pour autant, cela ne signifie pas que les institutions, dont vous avez évoqué les noms, n'ont pas un rôle à jouer et qu'elles assument d'ailleurs, les prestations sociales et familiales versées par la branche famille permettant de diviser par deux le taux de pauvreté en France.

Concernant le cas des personnes sans-abri, il est troublant de constater, dans l'enquête de l'INSEE de 2001, que 60 % d'entre elles reçoivent des prestations sociales. Les services des caisses de Sécurité sociale réussissent donc à atteindre ceux qui sont pourtant considérés comme étant les plus éloignés de la prise en charge. Dans cette enquête, parmi les personnes sans-abri, 36 % sont allocataires des trois principaux minima sociaux, 10 % bénéficient d'allocations familiales et 10 % d'allocations logement. Sont en effet comptabilisées parmi les personnes sans domicile fixe celles vivant dans la rue, mais également celles habitant dans les centres d'hébergement. Or, certains de ces centres offrent la possibilité à leurs résidents de recevoir des prestations logement et notamment l'ALS.

S'agissant de l'école, le problème réside évidemment dans le nombre de personnes qui en sortent sans aucune qualification professionnelle. Leurs échecs scolaires constituent une honte pour la collectivité et le gaspillage de chacun des euros dépensés dans leur éducation.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Le Grenelle de l'insertion peut-il être utile pour lutter contre la pauvreté et l'exclusion ? M. Martin Hirsch, en s'exprimant devant cette commission, a livré le fond de sa pensée tout en promouvant le RSA. Il semble qu'une critique, juste ou injuste, semble actuellement se dessiner sur certains des aspects de ce dispositif. Où en sont les réflexions dans le cadre du Grenelle de l'insertion à cette date ?

M. Julien DAMON - Le Grenelle de l'insertion en est à la moitié de son travail. Un document d'étape a d'ailleurs été distribué à tous les participants. Il recense une dizaine de grandes orientations à suivre. L'objectif est de placer la personne au centre de l'action publique.

Vous avez soulevé le problème des politiques dites en accordéon. Si les politiques de lutte contre l'exclusion sont limitées à la prise en charge des personnes les plus en difficulté, elles constituent alors un pan extrêmement restreint de l'action publique. A l'inverse, si vous entendez par lutte contre l'exclusion l'ensemble des moyens financiers rassemblés par la France dans le cadre du plan national pour la cohésion et l'inclusion sociale, son montant s'élève à 33 milliards d'euros.

Nous pouvons continuer à ouvrir les soufflets de l'accordéon en considérant qu'une partie importante des prestations sociales et familiales concerne la prévention de l'exclusion. Mais dans ce cas, le Grenelle de l'insertion aura des difficultés à répondre aux problèmes des populations qui doivent être considérées comme relevant de l'insertion. Une solution serait de faire en sorte que différentes strates de populations soient abordées par le biais d'une concertation qui porterait sur l'insertion professionnelle et l'accompagnement social, mais qui ne serait pas centrée sur les cas des personnes les plus difficiles. En France, les politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion ont souvent été légitimées par la visibilité des souffrances et des douleurs quotidiennes dans la rue.

S'agissant du RSA, je ne voudrais pas apparaître trop critique à son sujet. J'ai participé, en 2005, à la commission à l'origine de sa création et, selon moi, le RSA expérimenté actuellement dans plusieurs départements, et qu'il s'agirait d'appliquer de manière plus large dans la perspective d'une réforme du RMI, ne correspond pas au projet initial, lequel consistait en une diffusion plus massive des prestations relevant des minima sociaux, des prestations de logement et d'une partie des prestations familiales.

Il s'agirait d'une erreur de considérer le projet en cours de réalisation et d'expérimentation comme l'alpha et l'oméga de la lutte contre la pauvreté. Le RSA constitue un outil d'intéressement à la reprise d'une activité et il repose sur deux piliers : la réforme des minima sociaux et la révision de la prime pour l'emploi. Il représente un instrument de lutte contre la pauvreté active, visant à permettre aux personnes de sortir d'une situation de précarité alors qu'elles exerçaient une activité professionnelle. Beaucoup d'attentes existent à l'égard du RSA. Toutefois, ce dispositif comporte des insuffisances.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Quelle principale contribution pourrait apporter cette mission sénatoriale à ce grand chantier de la lutte contre la pauvreté ? Vous semble-t-il bénéfique, pour les travaux actuellement en cours, de mettre l'accent sur un champ de réflexion particulier ? Je crois que la démarche menée par le haut commissaire, le gouvernement, le Parlement et les associations est centrée sur le même objectif.

M. Julien DAMON - Il est absolument nécessaire de simplifier le système. Tout le monde s'accorde à dire que les procédures sont trop complexes pour les bénéficiaires de prestations sociales. Mais qui est prêt à accepter de voir une partie de ses prérogatives actuelles transférée à d'autres personnes ? L'architecture de la décentralisation doit être révisée et le contenu de la mission du chef de file dans le domaine de l'action sociale, c'est-à-dire le Département, précisé. Actuellement, nous ne savons pas qui est responsable de quoi.

Un grand débat juridique existe actuellement sur la question de savoir s'il est nécessaire de continuer à complexifier le droit social pour l'adapter à toutes les situations ou au contraire de le simplifier pour qu'il ne soit plus incompréhensible. Des techniciens conseils des Caisses d'allocations familiales se mettent parfois en grève parce qu'ils ne comprennent plus le droit. Cette situation est particulièrement embarrassante.

Je crois davantage à l'utilité de simplifier que de coordonner. Nous sommes le seul pays au monde à avoir entre sept et dix minima sociaux. Trois minima sociaux seraient suffisants : un minimum pour le handicap, un minimum pour l'insertion professionnelle et un minimum vieillesse. La simplification du système serait complexe à mettre en oeuvre d'un point de vue technique. Mais elle serait d'une très grande efficacité en permettant aux personnes concernées d'avoir plus facilement accès à des recours, ces derniers variant selon le type de minima qu'elles touchent.

En outre, le nombre de commissions départementales en charge de la lutte contre la pauvreté et l'exclusion n'a cessé de croître entre 1985 et 2005. Cette progression n'est pas satisfaisante car elle conduit à une illisibilité des actions dans ce domaine. Une clarification du système de prise en charge est donc indispensable. Elle aboutira à mieux évaluer les performances et à mieux définir les orientations nécessaires.

M. Christian DEMUYNCK, Président - Vous avez écrit un ouvrage intitulé La Question SDF, dans lequel vous mentionnez les parcours résidentiels ascendants. J'aimerais que vous nous apportiez quelques précisions sur le sujet.

M. Julien DAMON - Plusieurs paliers de prise en charge de la dépendance s'accumulent. Les personnes vivant dans la rue devraient théoriquement pouvoir entrer dans des centres d'hébergement d'urgence. Le problème est que ces derniers sont déjà complets et accueillent des individus qui, pour un tiers d'entre eux, ne devraient pas y être au regard de leur situation. Une place dans ces centres coûtant 14 000 euros par an, il serait préférable que les personnes n'ayant rien à y faire habitent dans des logements sociaux. Malheureusement, ces derniers ne leur sont pas attribués.

Il est question aujourd'hui de mixité sociale. Je pense qu'il ne serait pas inutile d'engager un nouveau débat sur le sujet des surloyers, notamment dans le secteur du logement social. Celui-ci a été créé, comme la Sécurité sociale, à une époque de plein emploi et de forte croissance, et non pour lutter contre la pauvreté. Notre Etat providence n'est absolument pas capable d'assurer cette mission. Dans la nomenclature de la comptabilité nationale sur les risques sociaux, le risque de pauvreté et d'exclusion représente seulement 2 % des dépenses.

Le secteur du logement social n'est pas adapté aux personnes qui vivent dans la rue ou dans les CHRS. Tout comme la Sécurité sociale, il s'adresse à des couples élevant des enfants et gagnant le SMIC.

Notre secteur du logement très social, lui, accueille des personnes relevant en réalité du logement social. La réforme du système n'est pas simple à mettre en oeuvre. Mais elle doit consister à faire en sorte que les dispositifs soient réservés à ceux qui en ont véritablement besoin. Une famille hébergée dans un CHRS coûte en moyenne 14 000 euros par an et par personne, celle-ci étant prise en charge par des travailleurs sociaux durant la journée, alors que les parents pourraient chercher un emploi et les enfants être scolarisés. Cette situation n'est pas normale.

M. Christian DEMUYNCK, Président - Mes chers collègues, souhaitez-vous poser d'autres questions ?

M. Charles REVET - Le but de la mission est d'essayer de proposer des solutions pour lutter contre l'exclusion et la pauvreté. Telle est la tâche qui incombe à notre rapporteur.

M. Damon, vous êtes le rapporteur général du Grenelle de l'insertion, une manifestation s'intéressant plutôt au logement d'après ce que j'ai pu comprendre. Avez-vous des suggestions ne relevant pas de ce Grenelle de l'insertion et qui pourraient favoriser la simplification des dispositifs de prise en charge de l'exclusion ?

Le tableau que vous nous avez communiqué montre combien les structures ont été ajoutées les unes aux autres. Mais ce qui révèle vrai dans le domaine de l'insertion l'est également dans d'autres secteurs de notre pays. Avez-vous des suggestions susceptibles de nous permettre de remédier, au moins en partie, à cette situation ? C'est en associant nos réflexions et nos efforts que nous pouvons remettre en cause un phénomène que nous subissons de manière globale.

Enfin, ne pensez-vous pas que l'exclusion, qui frappe une famille parfois de génération en génération, empêche celle-ci d'avoir toute notion budgétaire ? Certains ménages n'ont probablement jamais été formés à la gestion de leurs ressources et cette réalité n'expliquerait-elle pas pourquoi certaines familles disposant de revenus élevés se montrent incapables de gérer leur finances ?

Nous pourrions émettre des propositions pour améliorer la formation des jeunes à la gestion d'un budget.

M. Julien DAMON - Ce n'est pas parce que les situations sont de plus en plus complexes que nous ne devons pas nous efforcer de simplifier le système. Il est, certes, beaucoup plus simple de complexifier que de simplifier. Toutefois, de grandes avancées seraient réalisées si le Grenelle de l'insertion conduisait à rendre les dispositifs plus clairs. Je vous propose de vous transmettre le rapport du 7 mars actualisé. Il n'a pas encore de contenu précis. Mais il permettra à votre rapporteur de se rendre compte de l'état d'avancement de nos réflexions.

Concernant la difficulté de certaines familles à gérer leur budget, les conseillères en économie sociale et familiale sont considérées depuis quinze ans comme des êtres préhistoriques. Pourtant, leur métier joue un rôle très important et nous pouvons nous demander s'il ne serait pas utile d'instaurer des cours d'éducation familiale en classe de première ou de terminale. Il ne s'agirait pas de cours de morale, mais d'un moyen d'enseigner quelles sont les responsabilités des uns et des autres. Une telle mesure serait bénéfique.

Mme Annie DAVID - J'ai apprécié l'introduction de votre présentation. Il est vrai que lorsque nous parlons de SDF, nous avons tendance à mélanger toutes sortes de populations. Il était donc utile de rappeler quels types de personnes il s'agit.

Je partage votre avis selon lequel les sans-abri ne sont pas si nombreux. Toutefois, d'un point de vue personnel, je trouve leur nombre encore trop élevé. Ils représentent quand même 100 000 personnes, lesquelles peuvent connaître des conditions de vie très variées, tout comme l'ensemble des gens mal logés (5 % de la population française). Ce constat m'amène à plusieurs réflexions.

Ne pensez-vous pas qu'une action volontariste pour remédier à la crise actuelle du logement permettrait, par le règlement de leurs difficultés, de faire sortir des CHRS les personnes qui n'ont rien à y faire ?

Vous nous avez beaucoup parlé, par ailleurs, des personnes qui vivent dans la rue. N'étant pas spécialiste du sujet, j'aimerais savoir quelles sont les raisons conduisant ces individus à ne plus avoir d'abri. S'agit-il de pertes d'emplois ou de repères, de problèmes de santé, etc. ? J'imagine que de nombreuses causes expliquent ce phénomène.

Un autre sujet concerne les travailleurs pauvres. Nous savons qu'il en existe beaucoup dans notre pays, certains n'ayant pas les ressources de se loger alors même qu'ils jouissent d'un revenu. Je trouve effarant qu'une personne salariée, parfois en CDI, ne puisse pas assumer la charge d'un foyer. Quelles actions est-il possible d'engager en direction de ce type de public ? Ne pensez-vous pas qu'une augmentation du niveau des salaires et une amélioration des conditions de travail rendrait la lutte contre l'exclusion et la pauvreté plus efficace ? De nombreux emplois sont en effet précaires et sous-payés.

Enfin, votre schéma m'inspire une dernière réflexion. Ne considérez-vous pas qu'il serait plus utile de dépenser l'argent alloué à la lutte contre la pauvreté et l'exclusion autrement que par la mise en place de commissions successives ?

M. Christian DEMUYNCK, Président - Nous allons regrouper l'ensemble des questions.

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE - Je suis tout à fait d'accord avec vous sur la nécessité de simplifier les dispositifs de lutte contre les exclusions. Depuis trente ans, les politiques publiques sont de moins en moins lisibles et compréhensibles de tous. Elles ne sont plus évaluables et ne sont donc plus évaluées. Des dispositifs sont ajoutés à d'autres dispositifs et, au bout du compte, nous avons abouti à un système dont l'efficacité peut être remise en cause.

Votre mission traitant surtout du logement, vous avez bien souligné l'hétérogénéité du public SDF. Tout le monde est conscient de cette réalité. Parmi les personnes sans-abri, certaines sont atteintes de maladies mentales et auront beaucoup de mal à vivre en collectivité et à assumer un logement. D'autres, surtout des jeunes, se rendent à Paris, une ville représentant pour eux un lieu de travail et de bien-être et qui les condamne rapidement à vivre dans la rue, leurs moyens ne leur suffisant pas pour s'y loger. Dans le cadre de la simplification des méthodes de prise en charge de l'exclusion, comment envisagez-vous l'instauration de liens entre ces publics et l'ensemble des acteurs (logement, santé, éducation, socialisation) agissant dans leur direction.

Vous avez expliqué, par ailleurs, qu'un tiers des personnes accueillies en CHRS peut accéder au logement social. Ne pensez-vous pas que l'un des projets consisterait à permettre à ces centres d'hébergement d'urgence d'accueillir des personnes dans le cadre d'un parcours d'insertion par le logement et de pouvoir continuer à les suivre au moment de leur installation dans un logement social ?

Nous savons que les logements sociaux manquent. Une politique de décentralisation en matière de logement devrait être engagée de manière plus drastique, en responsabilisant les élus locaux. La loi SRU n'est pas appliquée à l'heure actuelle. N'estimez-vous pas nécessaire de légiférer pour la rendre applicable et donc plus efficiente ?

M. Julien DAMON - Vous m'avez posé un nombre considérable de questions. J'espère que mes réponses vous satisferont.

Selon moi, une grande partie des dépenses actuellement affectées à la lutte contre l'exclusion relève d'une logique de gestion et d'aménagement de la pauvreté. Dès lors, l'objectif consistant à la réduire d'un tiers d'ici cinq ans constitue une véritable révolution. En effet, nous n'allons plus lutter contre la pauvreté sans objectif précis. Nous serons soumis à des résultats. L'obligation de moyens est considérable dans ce domaine, certaines conventions collectives dans le secteur associatif étant subventionnées à 100 % par les pouvoirs publics. Cette situation conduit d'ailleurs les juristes à parler de cinquième fonction publique, les quatre autres représentant l'Etat, les collectivités territoriales, la Sécurité sociale et une partie des acteurs du secteur sanitaire et social associatif.

En réalité, nous parlons très peu du thème du logement dans le cadre du Grenelle de l'insertion. Nos débats portent essentiellement sur l'insertion professionnelle. Le logement n'en demeure pas moins un sujet essentiel. Deux sondages réalisés, pour l'un, en septembre 2006 et, pour l'autre, en septembre 2007, indiquent que les Français ont peur, pour 50 % d'entre eux, de se retrouver un jour sans domicile et qu'ils sont les habitants de l'Union européenne à redouter le plus de devenir pauvres. 86 % d'entre eux (contre 55 % pour l'ensemble des Européens) ont déclaré avoir cette crainte. Les Tchèques et les Polonais, par exemple, pourtant confrontés à des ajustements structurels beaucoup plus sévères que nous, craignent moins la pauvreté que nous. La raison en est peut-être qu'ils ont moins à perdre que les Français.

La peur de se retrouver sans logement et de devenir pauvre est donc très présente dans notre pays. Elle est liée à des particularités françaises. Ainsi, avec plus de 8 % de chômeurs parmi sa population active, la France a constitué pendant vingt-cinq ans une singularité dans l'OCDE.

Il est faux, néanmoins, de prétendre que la pauvreté peut frapper tout le monde. Les statistiques montrent que la probabilité pour une personne de se retrouver sans logement dépend directement de son origine sociale. Les sans-abri représentent d'abord des individus issus de familles pauvres. Entre le tiers et la moitié d'entre eux a fréquenté la DDASS et a reçu une éducation en milieu semi-ouvert.

Les pertes de travail et la dégradation des relations sociales et amicales constituent les principales raisons amenant les gens à vivre dans la rue. Il arrive souvent que des personnes aient une famille stable, mais qu'elles s'en soient éloignées pour chercher du travail à Paris où elles vivent dans la rue, ne voulant pas être prises en photo, de peur d'être reconnues par leurs proches.

Ces situations concernent d'abord les personnes en difficulté sociale ou présentant des troubles psychiques loin d'être majeurs. Il existe une forme d'adaptation à la rue. Selon un théorème, plus un individu vit dans la rue, plus il a des difficultés à en sortir. Si nous dormions dans la rue ce soir, nous aurions tous envie de trouver le lendemain un appartement ou une maison à habiter. Mais il n'en est pas de même pour les sans-abri qui vivent dehors depuis longtemps. Ceux-ci seraient troublés, en effet, s'ils étaient amenés à passer la nuit dans un logement.

Les Britanniques et les Néerlandais ont tenté de résoudre ce problème en réaménageant leurs dispositifs d'accompagnement pour faire en sorte que chaque travailleur social ait la responsabilité de vingt à trente personnes. Ce système fonctionne aujourd'hui aux Pays-Bas. En France, à l'inverse, les personnes sans domicile ne sont en contact avec aucun travailleur social référent. Dans notre pays, la priorité devrait davantage résider dans l'amélioration de la politique du logement social, de manière à ce que celle-ci puisse assurer la mixité sociale, permettre aux personnes vivant dans la rue d'accéder à un logement et à celles, issues des classes moyennes, dont les revenus s'effritent, de trouver un point d'accueil.

Un analyste américain a montré qu'une mesure comme le droit au logement opposable peut n'avoir aucun effet sur les personnes sans domicile. En effet, celles concernées par ce droit pourront toujours refuser ce qui leur est proposé et leur refus donnera l'impression que la loi ne fonctionne pas. Ce paradoxe est fondamental. Le RMI, la CMU et la loi DALO ont été légitimés par le fait qu'ils devaient s'adresser aux individus les plus en difficulté, alors même que ces derniers sont ceux qui en bénéficient le moins. Cette situation se reproduira avec le droit au logement opposable.

M. Christian DEMUYNCK, Président - Merci pour votre intervention et toutes les suggestions que vous avez proposées à la commission.

Audition de Mme Maria NOWAK, présidente de l'associationpour le droit à l'initiative économique (ADIE) - (25 mars 2008)

M. Christian DEMUYNCK, Président - Mme la Présidente, je vous remercie d'avoir accepté d'intervenir devant notre commission. Je vous demande de bien vouloir nous excuser pour ce retard. Les débats sont en effet tellement passionnants que nous n'avons pu respecter l'horaire prévu. Vous avez créé une association qui aide les personnes en difficulté en leur proposant des micro-crédits. Ce sujet nous est apparu très intéressant, et nous avons donc souhaité vous entendre. Je vous propose de présenter votre action. Le rapporteur et nos collègues vous poseront ensuite quelques questions.

Mme Maria NOWAK - Merci M. le Président. L'ADIE (Association pour le Droit à l'Initiative Economique) existe depuis près de vingt ans. Elle s'est inspirée, dans son travail, de l'action d'une banque du Bangladesh, que j'avais déjà reprise à mon compte en Afrique dans le cadre de mes fonctions professionnelles à l'Agence française de développement. J'ai créé l'association avec deux amis en 1988. Notre idée était que le micro-crédit, né dans les pays en voie de développement, pouvait constituer une voie d'insertion pour un certain nombre de personnes en France. Tout homme est en effet capable de créer. Mais la création de richesses nécessite à la fois du travail et du capital. Or, les gens pauvres ne disposent pas de capital et n'ont pas accès au crédit.

A partir de ces idées très simples, nous avons essayé d'adapter le micro-crédit au contexte de l'économie industrielle. Nous avons ainsi estimé que le travail indépendant ne représentait pas un vestige du passé et que l'essor des services et des nouvelles technologies et la nécessaire réforme du système de protection sociale pour permettre à notre économie d'être plus dynamique allaient entraîner son renouveau. Notre analyse n'a pas été vraiment prise au sérieux en son temps. Mais elle l'est désormais de plus en plus. Selon un sondage réalisé à l'occasion du salon des entrepreneurs, 70 % des jeunes déclarent vouloir créer une entreprise. En France, parmi les entreprises, 92 % constituent des micro-entreprises et 50 % n'ont pas de salariés. Il existe dans notre pays un secteur informel très important.

Dans les quartiers en difficulté et les zones rurales, beaucoup de personnes qui nous contactent ont déjà une activité qu'elles souhaitent développer. Mais elles ne peuvent pas le faire sans un apport de capital leur permettant d'augmenter leur chiffre d'affaires et de payer leurs cotisations sociales, et sans une aide pour réaliser leurs démarches administratives.

L'ADIE ne disposait pas de capital quand elle a vu le jour. Notre première année d'exercice a donc essentiellement consisté à trouver des fonds. Trois missions ont été attribuées à l'association. La première est d'aider financièrement des personnes en difficulté, notamment des chômeurs et des bénéficiaires du RMI, à lancer leur entreprise. La deuxième est de les accompagner pour que celle-ci connaisse le succès. La troisième est de nous servir de cette action comme d'un laboratoire social pour transmettre à l'Etat nos observations et les difficultés rencontrées par nos clients sur le terrain.

La page 7 de notre rapport vous présente la courbe de croissance de notre activité. Elle est extrêmement régulière et notre chiffre d'affaires peut encore se développer, en raison des nombreuses sollicitations dont nous faisons l'objet. Chaque fois que nous avons installé une antenne dans un lieu, des candidats ont fait appel à nos services. Comme vous pouvez le constater à la lecture de la page 3, nous avons accordé 53 000 micro-crédits depuis 1989, pour un taux d'impayés de 6,4 % et un taux de perte de 2,55 %. Nous avons aujourd'hui plus de 18 000 clients actifs.

Nous sommes également gestionnaires de l'EDEN, un dispositif de l'Etat qui apporte des quasi-fonds propres, lesquels sont complétés par des primes régionales. Nous gérons aussi des prêts d'honneur qui s'apparentent à ces fonds propres complémentaires. Au total, nous avons pu financer et accompagner 45 000 entreprises depuis notre création, soit environ mille par mois.

Le taux de pérennité des entreprises créées est du même ordre que celui des entreprises individuelles. Le coût moyen de l'aide à la création est de 1 600 euros sur deux ans, une somme extrêmement faible par rapport au coût du chômage et des emplois aidés. La première raison de ce succès est que les personnes que nous soutenons s'engagent pleinement dans leur projet. Elles veulent vraiment s'insérer socialement et notre fonction est de leur apporter l'appui financier et technique dont elles ont besoin. La seconde raison est que nous finançons des entreprises nécessitant peu d'investissements. Il s'agit souvent de commerces, de sociétés de services à la personne ou aux entreprises, ou encore d'artisanat.

Notre association comprend aujourd'hui plus de 300 salariés et plus de 1 000 bénévoles, qui interviennent notamment dans le domaine de l'accompagnement. Elle couvre toute la France et offre donc un soutien de proximité. Notre développement n'a été possible que grâce aux projets d'entreprises de nos clients et à la solidarité de nos partenaires. L'Etat et les collectivités locales nous ont aidés à lancer notre activité. Puis les banques ont financé nos ressources de crédits. Dans un premier temps, notre mode de fonctionnement a été relativement complexe, avec des banques qui nous accordaient des prêts que nous étudiions, préparions et octroyions. Il en résultait pour nous une double gestion.

En 2001, nous avons réussi à obtenir l'adoption, dans le cadre de la loi NRE, d'un article autorisant les associations comme la nôtre à emprunter pour prêter. Cette nouvelle possibilité a accru notre activité. Elle nous a encouragés à signer des conventions avec presque tous les groupes bancaires français, lesquels nous ouvrent aujourd'hui des lignes de crédits que nous gérons en étant responsables vis-à-vis d'elles. Ce système les satisfait car nous réussissons à en contrôler le risque.

Notre développement s'est poursuivi aussi grâce à la loi Dutreil de 2005, celle-ci ayant permis d'augmenter le taux d'usure (le plafonnement des taux d'intérêt pour les entreprises individuelles), qui était historiquement très bas, autour de 7 %, en raison de l'absence d'un véritable marché, trop faible pour couvrir les coûts du micro-crédit. Nous avons relevé progressivement ce taux depuis 2005, après avoir consulté nos clients. Nous nous apprêtons d'ailleurs à l'augmenter de nouveau au mois de juillet prochain. Sur des crédits d'un montant moyen de 3 000 euros et courant sur une période de dix-huit mois, le poids des intérêts est extrêmement faible et ne pèse pas sur le compte d'exploitation des entreprises. Nos clients en sont parfaitement conscients et nous ont tous donné leur accord pour procéder à la hausse du taux d'usure. Le problème est que toute augmentation du taux d'intérêt provoque en France un rejet de la part de l'opinion publique.

Outre ces avancées dans la législation en matière de micro-crédits, nous sommes à l'origine également d'une amélioration du cadre légal du travail indépendant. La loi de programmation pour la cohésion sociale de 2005 reconnaît, en effet, la création d'entreprises comme une voie d'insertion. Nos clients ont, par conséquent, pu bénéficier de la prime au retour à l'emploi. Ils en avaient davantage besoin que d'autres, car un capital de départ leur était nécessaire pour créer leurs entreprises. Dans la même veine, nous avons pu obtenir une simplification et une amélioration des conditions d'attribution de l'ACCRE (Aide aux Chômeurs, Créateurs ou Repreneurs d'Entreprise).

Nous nous sommes battus pendant trois ans pour obtenir l'insertion d'un article dans la loi de financement de la Sécurité sociale, qui a été adopté finalement en 2007. En effet, compte tenu des seuils relatifs aux cotisations sociales, des femmes de ménage qui étaient salariées le matin et exerçaient des activités de service dans leur cité l'après-midi, pour lesquelles elles gagnaient entre 1 500 et 2 000 euros par an, étaient censées payer 96 % de ces revenus en cotisations sociales. La première conséquence était qu'elles ne réussissaient pas à développer leur activité, la seconde qu'il nous était impossible de les aider, puisque nous aurions été accusés de favoriser le travail non déclaré.

L'article 20 de la loi de financement de la Sécurité sociale, toujours en attente d'un décret d'application, permettra à ces petites activités de ne pas être considérées comme des entreprises, mais comme des activités rurales en milieu urbain. Les cotisations sociales sur lesquelles elles seront assujetties seront alors de l'ordre de 35 %. J'insiste sur ce sujet car il montre à quel point la vision qui domine au niveau de l'Etat est éloignée de la réalité et ce que peuvent vivre les personnes les plus pauvres sur le terrain. Je suis toujours stupéfaite par l'extraordinaire courage de ces personnes et l'inadaptation du cadre légal du travail à leur situation.

La réalité est qu'en France, beaucoup de personnes vivent aujourd'hui dans la précarité, en particulier dans les quartiers et dans les zones rurales. Il est nécessaire de les aider à développer des activités, qui participent à la croissance et leur permettent de devenir indépendantes de toute forme d'aide sociale.

M. Christian DEMUYNCK, Président - Merci Mme NOWAK. Je passe la parole à M. Bernard Seillier, notre rapporteur.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Grâce à votre force de persuasion, vous avez réussi à lever des obstacles qui empêchaient de mieux développer cet instrument très important qu'est le micro-crédit. Quels sont actuellement, notamment en matière législative, les sources de progrès ?

Mme Maria NOWAK - Nous attendons beaucoup de la loi de modernisation de l'économie. En 2007, nous avons transmis au ministère de l'économie, des finances et de l'emploi une série de propositions visant à ce que le travail indépendant bénéficie de la même reconnaissance que le travail salarié. L'INSEE commence d'ailleurs à s'intéresser à la question. Le secteur informel représente, en effet, environ 12 % du PIB. Il occupe une place très importante en Europe, notamment en France, et est actuellement en plein essor.

La proposition majeure que nous avons formulée, reprise d'ailleurs très largement dans le rapport Hurel, est de mettre un terme à l'anomalie suivante : moins les personnes gagnent d'argent et plus elles doivent payer de charges. Cette situation conduit celles-ci à ne pas déclarer leur travail, ce qui ne leur est pas profitable, puisqu'elles ne peuvent pas développer leur entreprise, et ne l'est pas non plus pour les caisses de cotisations sociales. Mettre un terme à cette anomalie est indispensable. Ce point a fait l'objet d'une discussion la semaine dernière entre le cabinet de M. Novelli et celui de M. Woerth. Je ne sais pas quelle en sera l'issue. Mais j'espère qu'elle sera positive.

Nous avons suggéré également de lever des blocages empêchant l'exercice de certains métiers par des personnes indépendantes. Par exemple, un réparateur de vélos exerçant pour son compte personnel doit être titulaire d'un diplôme de carrossier, lequel n'est pas nécessaire si le réparateur est salarié. De même, un tondeur de gazon indépendant doit posséder un diplôme de paysagiste et un individu ne peut être commerçant s'il a été condamné à une peine de prison dans le passé. Il existe de nombreux blocages de ce type, qui réduisent l'accessibilité à l'emploi et pénalisent tant l'économie que les consommateurs et les chômeurs.

Cette situation existait déjà après la révolution française, alors même que la loi Le Chapelier avait supprimé les privilèges des corporations. Ces derniers se sont amoncelés depuis deux siècles. Je sais qu'il est difficile, d'un point de vue politique, de lever ces blocages. Mais leur disparition aurait beaucoup de conséquences positives sur le plan économique. La directive européenne sur les services impose d'ailleurs une réforme dans ce sens. Un groupe de travail composé de juristes bénévoles étudie avec nous cette question. Nous pensons que la liberté d'entreprendre constitue un droit constitutionnel. Il est donc nécessaire d'abolir ce tissu d'interdictions et de nous réserver ensuite deux ans pour déterminer, métier par métier, ce qui est conforme à l'intérêt général et ce qui ne l'est pas. Je crois personnellement que la grande majorité des blocages n'a strictement aucun lien avec l'intérêt général.

Nous avons des préconisations également pour faciliter l'accès à des locaux. Dans les quartiers, l'absence de locaux - nombreux en zones rurales en revanche - constitue l'un des principaux blocages à la création d'entreprises. Une première mesure, visant à faciliter la location d'espaces professionnels, a été intégrée dans la loi de mars 2007 sur le droit au logement opposable. Mais une autre mesure que nous avions soutenue et qui prévoyait la mise en place d'une mixité d'usage pour les locaux des HLM, n'a pas été retenue. Si cette mixité est impossible, nous proposons l'aménagement des garages, dont les habitants des quartiers ne se servent plus faute de pouvoir les payer, en raison de la hausse des charges due au coût de l'énergie, en locaux professionnels.

Ces dispositifs pourraient permettre le développement du travail indépendant. Je suis convaincue que de très nombreuses micro-entreprises pourraient être créées ou se transformer en TPE et en entreprises moyennes si les blocages étaient levés. Nos clients sont, pour la moitié d'entre eux, des bénéficiaires du RMI et, pour l'autre moitié, des chômeurs couverts par divers statuts. 20 % d'entre eux ne savent ni lire ni écrire. Ils créent leur propre emploi, et éventuellement celui de leur conjointe, pour avoir une activité et sortir des dispositifs d'aides.

Des entreprises que nous avons accompagnées ont créé 300 emplois, pour un prêt initial de notre part de 4 000 euros. Elles peuvent être dirigées par des personnes ayant suivi un parcours universitaire ou bénéficiant d'une expérience commerciale ou technique.

M. Christian DEMUYNCK, Président - Mes chers collègues, avez-vous des questions ?

Mme Annie DAVID - Je suis très intéressée par tous les systèmes qui permettent aux personnes de sortir de la précarité par la création de leur propre activité. Mais je ne voudrais pas entendre que certains individus souhaitent quitter la précarité et que d'autres préfèrent continuer à vivre au crochet de la société. Tous les publics peuvent-ils être concernés par le micro-crédit ? Si votre graphique montre qu'une partie de vos clients est illettrée et qu'une autre a suivi des études supérieures, j'ai peur qu'une fracture encore plus profonde se creuse entre les personnes en situation difficile, avec, d'un côté, celles qui souhaitent créer leur entreprise et, de l'autre côté, celles qui ne le souhaitent pas et risquent ainsi d'être stigmatisées. Je ne suis pas certaine que tout le monde ait la capacité de travailler de manière indépendante.

Vous avez expliqué que vous collaborez avec des banques. J'aimerais disposer de précisions sur ce point. J'imagine que des établissements bancaires refusent tout prêt à certaines personnes. Je déplore l'attitude négative de certains d'entre eux. Heureusement que vous êtes là pour aider les personnes souhaitant s'en sortir. Le micro-crédit suscite donc chez moi à la fois de l'intérêt et de l'inquiétude.

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE - Je souhaiterais savoir quelles sortes de partenariats vous avez conclus avec France Active. Collaborez-vous également avec le Comité national des entreprises d'insertion (CNEI), lequel a mis en place un fonds collecté servant de fonds de garantie dans les cas d'entreprises d'insertion ou permettant d'intervenir dans le cadre de la création d'entreprises ? Le conseil régional d'Aquitaine a institué un fonds mutualisé. Travaillez-vous avec lui ? Enfin, collaborez-vous avec des municipalités ? Pendant longtemps, j'ai été directrice d'une entreprise évoluant dans le domaine de l'économie sociale et, dans le cadre de ces fonctions, j'ai beaucoup travaillé avec la ville d'Anglet.

Mme Maria NOWAK - Je partage tout à fait votre avis selon lequel il ne faut pas forcer les personnes à créer des entreprises si elles n'en ont pas l'envie ou le courage. Mais les jeunes souhaitent largement s'engager dans cette voie. Un tiers des nouveaux emplois créés est le fait de fondateurs d'entreprises, dont 40 % sont des chômeurs. Ce pourcentage n'est donc pas marginal. En même temps, seulement 4 % des chômeurs créent des entreprises. Ce taux pourrait passer à 10 % ou 15 % sans aucune difficulté. Toutefois, je ne prétends pas que le travail indépendant résoudra tous les problèmes.

Je ne pense pas que le système du micro-crédit puisse s'accompagner d'une quelconque stigmatisation. La création d'entreprises représente précisément l'un des ascenseurs sociaux qui fonctionnent dans ce pays, autant pour un immigré que pour un diplômé de Polytechnique. Le micro-crédit constitue un outil extrêmement démocratique, servant aussi bien à des vendeurs ambulants qu'à de petites entreprises.

S'agissant des banques, nous avons signé des conventions avec tous les groupes bancaires. Nous avons obtenu d'eux des conditions privilégiées. Ils prennent en effet en charge 30 % du risque de crédit, une prise en charge qui ne creuse pas leurs déficits et leur apporte une image positive, celle d'établissements à dimension sociale. Nos clients deviennent, en outre, leurs propres clients au bout de deux ou trois ans. Ils estiment de plus en plus qu'un véritable marché va se constituer autour du micro-crédit. D'ailleurs, la plupart des grands groupes bancaires français interviennent déjà dans le micro-crédit au niveau international. C'est le cas de la Société Générale et de banques mutualistes, qui financent les institutions de micro-crédit en Afrique, en Amérique Latine et en Europe centrale où ce marché est très développé. Ce n'est pas le cas encore en France mais l'évolution va dans ce sens.

Si 30 % du risque de crédit sont couverts par les banques, les 70 % restants le sont par l'ADIE, avec une contre garantie du FGAE (Fonds de Garantie des Associations par l'Economie). Le Fonds européen d'investissement intervient également dans le processus. En revanche, nous ne travaillons pas beaucoup avec le CNEI, qui contribue à des projets de tailles plus importantes. Nous nous considérons vraiment comme la première marche sur laquelle des personnes en difficulté peuvent s'appuyer pour créer leurs entreprises. Comme les banques s'intéressent de plus en plus à notre clientèle de micro-entrepreneurs, nous serons sans doute amenés à nous tourner vers des publics encore plus en difficulté et notamment vers les gens du voyage, qui ne peuvent pas accéder aux prêts bancaires.

Les micro-crédits mobilisent l'énergie des hommes. Ils sont cofinancés par le secteur public et le secteur privé. Le premier finance l'accompagnement et le second les ressources de crédits. Notre plan triennal 2008-2010 montre que nous prévoyons d'obtenir l'équilibre de nos contrôles de crédits en 2010. Mais l'atteinte de cet équilibre ne mettra pas fin à la nécessité d'accompagner les créateurs d'entreprises, même dans le cas de la suppression d'une partie des obstacles réglementaires à la création d'entreprises. Elle signifiera juste que nous n'aurons plus besoin d'aides extérieures. Je pense qu'une action à grande échelle nécessite absolument de couvrir ces coûts.

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE - Et qu'en est-il de vos rapports avec les municipalités ?

Mme Maria NOWAK - Ils varient selon les villes. Nous avons des relations régulières avec certaines communes, qui nous appuient et nous financent, ainsi qu'avec leurs services sociaux. C'est surtout le cas dans les grandes villes.

Nous accordons environ 10 000 nouveaux prêts par an et sommes en lien avec 1 000 partenaires. Un rapport spécial, consacré à ces derniers qui nous reprochaient de ne pas parler assez d'eux, a été réalisé cette année. Ce sont de plus en plus les collectivités locales qui financent l'accompagnement. Nous essayons également de mobiliser des entreprises socialement responsables car les fonds étatiques et européens décroissent. L'Union européenne a tendance à privilégier les pays de l'Est. Quant à l'Etat, il finance moins ce type de dépenses. Le crédit est essentiellement financé par les banques aujourd'hui.

Mme Brigitte BOUT - Je souhaite ajouter que nous collaborons également avec l'ADIE dans le cadre de notre communauté de communes.

Mme Maria NOWAK - Nous sommes très heureux de pouvoir travailler avec tous les partenaires locaux. Nous offrons un service, un crédit de proximité. Nos partenaires représentent l'ANPE, les services sociaux, les services d'aide à la création d'entreprises, les banques et beaucoup d'autres organismes encore.

M. Christian DEMUYNCK, Président - Merci beaucoup Mme Nowak de votre visite.

Audition de M. Jean-Pierre GUENANTEN, délégué national du MNCP (Mouvement national des chômeurs et précaires) et Melle Zalie MANSOIBOU, animatrice du pôle défense des droits du MNCP - (1er avril 2008)

M. Christian DEMUYNCK, Président - Je vous remercie d'avoir accepté d'intervenir devant cette Mission commune d'information sur les politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion. Nous sommes très heureux que vous puissiez nous présenter les actions que vous menez et nous soumettre des propositions. Je vous suggère de nous exposer la manière dont le MNCP fonctionne et les moyens que vous estimez utiles pour lutter contre ce fléau de l'exclusion. M. Bernard Seillier, notre rapporteur, et nos collègues vous poseront ensuite des questions.

M. Jean-Pierre GUENANTEN - M. le Président, je vous remercie de votre accueil. Je vais brièvement vous présenter le MNCP. Ce mouvement a aujourd'hui vingt-deux ans. Il a donc une certaine expérience du suivi des chômeurs et de la pauvreté. Nous représentons quarante associations sur l'ensemble du territoire, dont une se trouve à l'île de la Réunion, pour un total de 6 000 adhérents. Le MNCP reçoit près de 15 000 chômeurs par an (environ 100 000 passages au cours de l'année).

Notre action repose avant tout sur trois axes de travail :

- l'accueil. Il nous semble primordial. Nous devons en effet établir un climat de confiance avec les personnes que nous accueillons dans nos associations, afin qu'elles s'y sentent à l'aise. Elles ont avant tout du mal à trouver un emploi, mais connaissent également d'autres difficultés, périphériques à leur statut de chômeur. Il nous semble essentiel de créer un climat de confiance entre elles et nous. Notre expérience nous a appris, en effet, que certaines personnes n'expriment pas forcément ce à quoi elles sont confrontées dès le premier contact, et qu'elles ne se dévoilent qu'au bout de deux ou trois rencontres.

Nos associations fonctionnent grâce à des bénévoles et 110 salariés sur tout le territoire de la France. Nous nous sommes rendu compte qu'elles sont plus efficaces quand elles emploient des salariés susceptibles d'établir un lien avec leurs conseils d'administration. La composition de ces derniers évolue fréquemment en effet. De même, nos adhérents changent souvent. Il nous paraît donc important de créer une relation durable avec les chômeurs au travers de points d'accueil tenus par au moins un ou deux salariés. L'accueil que nous offrons est soit individuel, soit collectif. Il nous semble souvent opportun de mettre en place une démarche collective pour résoudre les problèmes individuels.

- Notre deuxième axe de travail consiste à faciliter l'accès aux droits des personnes exclues, la plupart d'entre elles ne les connaissant pas et n'ayant aucune idée du fonctionnement des ASSEDIC. Nous essayons de leur rendre plus lisibles les procédures utiles pour elles.

- Enfin, notre troisième axe de travail porte sur l'économie solidaire. Nous souhaitons être une force de proposition et tester des projets ayant pour objectif de réduire le chômage au sein des différents territoires. Au cours des dix dernières années, nous avons créé 700 emplois directs en soutenant des chômeurs dans leurs projets de créations d'entreprises. Quatre villes (Clermont-Ferrand, Toulouse, Vannes et Lens) accompagnent, en particulier, les individus désireux de créer leur propre entreprise après avoir exercé plusieurs activités. D'autres types de projets existent, notamment des jardins solidaires et des crèches sociales.

Ces trois axes de travail résument notre activité. Faciliter l'accès aux droits des personnes est nécessaire. Les chômeurs doivent connaître leurs droits. C'est la raison pour laquelle nous assurons leur éducation dans ce domaine.

A notre siège national, nos trois salariés coordonnent le travail des quarante associations sur l'ensemble du territoire. Notre expertise nous permet de communiquer aux pouvoirs publics les différents dysfonctionnements auxquels nous sommes confrontés sur le terrain. Nous sommes ainsi régulièrement sollicités par des ministères et par les groupes parlementaires de l'Assemblée nationale. Nous travaillons également à la mise en place d'indicateurs pour bénéficier d'une vision large et objective du chômage et de la précarité et résoudre les problèmes rencontrés au niveau local. Nous estimons en particulier indispensable de mesurer l'ampleur du chômage invisible.

En outre, nous participons au Grenelle de l'insertion en tant qu'usagers organisés. Le travail que nous effectuons au sein des associations permet à des usagers et à des ayant droits de collaborer en commun dans la résolution de problématiques. Il nous offre la possibilité de concevoir des revendications collectives et de les diffuser le plus largement possible, à l'échelon tant local que national. Notre contribution au Grenelle de l'insertion est très active, avec un représentant dans chacun des trois groupes de travail. Notre fonctionnement, relativement original, fait que notre approche est un peu différente de celle des autres structures. Notre expertise peut donc être très utile.

S'agissant du décret portant sur le train de vie des allocataires des minima sociaux, il ressort de nos enquêtes que ce texte revient à priver des personnes d'une source de revenu. Cette situation suscite l'inquiétude, notamment des associations créées par des chômeurs victimes de licenciements collectifs, comme les anciens salariés de Moulinex. Pour la plupart d'entre eux, âgés de plus de cinquante ans et souvent propriétaires de leur domicile, le RMI constitue la dernière source de revenu de leur ménage. Par la faute de ce décret, beaucoup de femmes, au chômage depuis deux ans et demi, n'auront plus aucune ressource et risquent de sombrer dans l'exclusion.

De même, la suppression de l'AER (allocation équivalent retraite), prévue pour le 1 er janvier 2009, nous inquiète énormément. Elle aura des conséquences très négatives pour des chômeurs âgés de près de soixante ans et ayant déjà cotisé pendant quarante ans. Pour ces personnes n'ayant aucune chance de retrouver un emploi, elle se traduira par la disparition de tout revenu.

Concernant le RSA, ce dispositif présente des points positifs, mais aussi négatifs. Nous craignons en effet que ce projet n'aboutisse à l'institutionnalisation de la précarité et à contraindre certaines catégories de la population à exercer des emplois très précaires et à s'enfoncer dans la pauvreté. Le RSA se traduira peut-être par une meilleure lisibilité des dispositifs d'aides. Mais il risque de réduire la responsabilité sociale des entreprises et de conduire à une institutionnalisation de la précarité financée par l'argent public. Cette mesure est donc très inquiétante. Elle constituera certainement un sujet de préoccupation majeur lors de notre prochaine assemblée générale.

Depuis longtemps, le MNCP souhaite que les chômeurs soient représentés par une institution au niveau national. Il s'agit de l'une des seules catégories de personnes dont la voix n'est pas portée par une quelconque structure. Nous n'avons jamais réussi, malheureusement, à faire en sorte que les chômeurs soient représentés au sein de l'UNEDIC. La fusion de cette dernière avec l'ANPE marque un tournant historique et nous nous sommes positionnés clairement pour être présents dans la nouvelle structure qui naîtra de cette fusion. Des associations familiales peuvent siéger dans des instances des Caisses d'allocations familiales. Il serait donc légitime que des associations de chômeurs puissent participer aux réunions d'institutions intervenant dans le domaine de l'emploi.

Souvent cette revendication a été rejetée au motif que les syndicats ont la possibilité de défendre les chômeurs. Mais cet argument n'est pas convaincant, comme l'illustre bien l'attitude des syndicats à l'égard des personnes licenciées par Moulinex et Metaleurop. S'ils se sont montrés très présents dans un premier temps, ils n'ont pas assuré l'accompagnement social quotidien, pourtant indispensable, par la suite. Les syndicats avouent d'ailleurs officieusement qu'ils ne maîtrisent pas ce champ aussi bien que le MNCP. Nous jouissons donc d'une véritable légitimité à siéger dans certaines instances. Les chômeurs doivent pouvoir être représentés, d'autant plus qu'ils sont de plus en plus nombreux à rester sans emploi pendant une longue durée.

La privatisation du Livret A provoque également des inquiétudes, celui-ci constituant le principal placement des ménages disposant de revenus modestes et permettant le financement des logements sociaux.

La fusion de l'UNEDIC et de l'ANPE entraînera la disparition de cette dernière. Or, la loi de lutte contre les exclusions de 1998 s'est accompagnée de la création de comités de liaison, où les deux parties peuvent s'exprimer. Ces comités doivent pouvoir continuer à se réunir.

L'adoption d'un texte législatif est nécessaire pour garantir une véritable représentation des chômeurs. Actuellement, la mise en place d'un comité de liaison nécessite, certes, la présence d'un syndicat et d'une association de chômeurs. Mais cette opportunité est trop rarement utilisée. Il n'existe en effet qu'entre trente et quarante comités de liaison, alors qu'ils devraient être beaucoup plus nombreux. Lors des discussions parlementaires sur la fusion entre l'ANPE et l'UNEDIC, nous avons demandé quel sera l'avenir de ces comités. Nous n'avons pas obtenu de réponse à cette question pour l'instant.

L'accès à la formation des demandeurs d'emploi est compliqué. Il est en effet très difficile pour les chômeurs de trouver une formation, a fortiori lorsqu'ils sont bénéficiaires du RMI.

Enfin, le manque de pérennité de financement de nos associations nous oblige à travailler à court terme, sans véritable assise. Pourtant, notre expertise est très intéressante.

Un véritable retour en arrière se produit actuellement, avec une baisse des moyens accordés à nos structures, rendant leurs situations très difficiles.

M. Christian DEMUYNCK, Président - Merci M. Guenanten de votre intervention. Je passe la parole à notre rapporteur, M. Bernard Seillier.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Vous avez dressé un très vaste tableau de la situation. Je souhaiterais vous poser un certain nombre de questions pour engager la conversation. Estimez-vous que certaines procédures peuvent être améliorées pour rendre plus faciles les relations juridiques et financières entre l'ANPE et l'UNEDIC ?

La précarité ne doit pas porter atteinte à la dignité des personnes qui en souffrent, celles-ci étant des citoyens à part entière. Y a-t-il, selon vous, des leviers sur lesquels il est possible d'agir pour leur permettre de sortir le plus rapidement possible de leurs difficultés ? Enfin, comment évaluez-vous votre action ? Avez-vous mis en place des indicateurs de résultats ? J'ai assisté à la manifestation que vous avez organisée à la Maison des associations. Celle-ci a été d'une très grande qualité.

M. Jean-Pierre GUENANTEN - Concernant les procédures, nous estimons que la fusion de l'ANPE et de l'UNEDIC n'a pas conduit à aborder les vrais problèmes et notamment le fait que, depuis le vote de la loi Borloo de 2005, le contrôle des chômeurs se déroule moins bien que par le passé, lorsqu'il relevait de la responsabilité de la direction du travail. Comme je l'ai expliqué précédemment, une relation de confiance doit s'instaurer avec les chômeurs. Or, certaines personnes sont angoissées à l'idée de se rendre à l'ANPE, craignant d'y être sanctionnées. Il s'agit d'un souci majeur. Car il n'est pas possible d'offrir un accueil de qualité quand les conseillers de l'ANPE sont à la fois juge et partie et qu'il n'existe plus de relation de confiance entre eux et les chômeurs.

C'est pourquoi de plus en plus de demandeurs d'emplois deviennent invisibles. Ils sont tellement angoissés à l'idée de se rendre à l'ANPE qu'ils préfèrent ne pas y aller, d'autant plus quand ils ne savent pas utiliser les outils informatiques présents partout dans les agences ; d'où la nécessité de mettre en place des accompagnements en leur direction. Des associations tiennent ainsi des permanences dans les ANPE où elles organisent des ateliers pour apprendre aux chômeurs à manier les outils informatiques et ainsi réduire la fracture numérique.

De manière générale, nous estimons que la présomption d'innocence n'est pas suffisamment respectée. Les chômeurs n'ont accès à une commission de recours qu'après avoir été sanctionnés. Ils perdent ainsi, dans tous les cas, au moins deux mois de revenus, un manque de ressources pouvant amener leurs familles à plonger dans le surendettement. Au cours des six derniers mois, nous avons accompagné 265 personnes dans leurs démarches de saisie de la commission de recours, dont 263 ont été réintégrées en raison de radiations abusives.

Enfin les chômeurs ne bénéficient pas des mêmes aides selon les régions où ils vivent, de fortes disparités existant en la matière.

Mlle Zalie MANSOIBOU - M. Guenanten a évoqué les sanctions prononcées contre les chômeurs. Or les radiations peuvent avoir des conséquences très graves et sont souvent signifiées pour des raisons abusives et sans être accompagnées d'une quelconque explication. Ainsi, des chômeurs se sont vus punis pour s'être présentés à un rendez-vous avec leurs conseillers avec dix minutes de retard. De fait, les associations en viennent à déposer des recours devant les tribunaux administratifs, qui leur donnent fréquemment gain de cause. Nous sommes régulièrement sollicités par des personnes victimes de radiations à l'ANPE.

Les dispositifs d'accueil de cette structure constituent aujourd'hui une véritable usine à gaz. Chaque conseiller reçoit entre 150 et 200 personnes et ne peut accorder à chacune qu'à peine cinq minutes d'entretien. Il serait opportun de mettre en place un véritable service d'accueil public, permettant de renseigner et d'accompagner les chômeurs de manière satisfaisante.

M. Jean-Pierre GUENANTEN - Nous avons, malgré tout, des motifs de satisfaction. Nous bénéficions en effet d'une véritable reconnaissance au niveau territorial et pouvons ainsi travailler en étroite collaboration avec les villes, les communautés d'agglomération, les Conseils généraux et les Conseils régionaux. Ces institutions constituent, pour nous, de véritables partenaires. En outre, si, pendant certaines périodes, nos relations avec elle ont été difficiles, nous travaillons beaucoup aujourd'hui avec les directions des ANPE lesquelles, par le biais de courriers officiels, invitent les chômeurs à se diriger vers nos associations pour, par exemple, recevoir une aide informatique. Nos actions sont donc vraiment reconnues sur le plan local.

Mais cette reconnaissance a parfois du mal à se traduire en termes financiers, les aides des communes envers nos associations étant très disparates.

Mlle Zalie MANSOIBOU - A Paris, par exemple, nous sommes la seule association à informer les chômeurs de leurs droits à être financée. Notre coopération avec la Ville fonctionne d'ailleurs très bien et notre travail est reconnu. Nous soumettons des propositions pour améliorer le suivi des personnes et nous participons à diverses instances, notamment en siégeant dans les centres d'actions sociales de la Ville de Paris. Mais il est nécessaire de réfléchir, au plan national, sur la manière d'attribuer un véritable financement aux têtes de réseaux des associations pour leur permettre de continuer à travailler.

Leurs actions servent, en effet, à créer des emplois, en particulier dans les domaines de l'environnement et du social. Depuis plus de vingt ans, nous avons mis en place des systèmes de réparation de mobylettes et de vélos pour aider les personnes à se déplacer. A Lens, par exemple, une association a créé une fonderie et une entreprise de recyclage.

La plupart des associations risquent malheureusement de voir leurs ressources amputées. Il est indispensable de continuer à les financer par le biais des têtes de réseaux.

M. Jean-Pierre GUENANTEN - Pour nous, le chômage correspond avant tout à un gâchis de compétences. Nos associations se donnent pour objectif de créer du lien social et des dynamiques dans lesquelles les personnes pourraient exprimer leurs savoir-faire. Les chômeurs se retrouvent souvent isolés et il est important de mettre à leur disposition des lieux où ils peuvent se réunir pour discuter de leurs problèmes et de leurs projets. Des chefs d'entreprise et des retraités participent également à la vie de l'association. La participation des chômeurs à son fonctionnement est déterminante.

Mlle Zalie MANSOIBOU - Nous recevons également de nombreux jeunes de moins de vingt-cinq ans en situation de désoeuvrement, en proie à la solitude et sans ressources. Il nous faudra travailler avec les missions locales, et non pas seulement avec l'ANPE, concernant leur accueil et leur accompagnement dans leur recherche d'emploi et en matière de formation. Beaucoup de jeunes arrêtent leurs études parce que leurs parents sont au chômage. D'autres vivent dans la rue du fait de ruptures familiales. Depuis quatre ou cinq ans, nous recevons de plus en plus de jeunes sans domicile.

Il est très difficile de leur trouver un toit, les places d'hébergement n'étant pas suffisantes, tant dans les centres d'urgence que dans les centres de longue durée. De plus, nous ne disposons pas des moyens nécessaires pour les suivre de manière efficace. Nous aimerions traiter de ce problème avec les collectivités territoriales, qui financent les missions locales. Depuis vingt ans, nous militons pour que les jeunes de moins de vingt-cinq ans puissent bénéficier d'un revenu d'autonomie. Des remèdes aux difficultés rencontrées par ce public doivent absolument être trouvés. Nous avons des propositions à soumettre dans ce sens aux pouvoirs publics, avec lesquelles nous sommes prêts à collaborer.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Avez-vous le sentiment que vos activités aboutissent à de véritables innovations économiques et sociales ?

M. Jean-Pierre GUENANTEN - Nos actions se concluent par de nombreuses innovations. Ainsi, nous accompagnons des porteurs de projets dont les initiatives connaissent un taux de réussite de 65% après deux ans d'activité. Nous avons contribué, par exemple, à la création de centrales d'achat, notamment sur l'île de la Réunion, pour acheter des produits à bon marché et les rendre ainsi accessibles à de nombreuses personnes.

Nous avons instauré également un programme éducatif où il s'agit d'enseigner, par exemple en montrant les produits à acheter sur un marché, la façon de bien se nourrir avec seulement 2 euros par jour. Ces types de projets sont à la fois très simples et innovants. Ils apportent la preuve qu'il est possible de progresser dans la prise en charge de l'exclusion et de la pauvreté en réfléchissant de manière collective. Notre société a souvent tendance à considérer que les chômeurs ne représentent pas de vrais citoyens. Nos actions leur permettent de gagner en citoyenneté.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Quelle maison de l'emploi nous conseilleriez-vous de visiter ?

Mlle Zalie MANSOIBOU - Je vous conseille de visiter les maisons de l'emploi du Nord-Pas-de-Calais. Y sont présentes l'ensemble des associations.

M. Christian DEMUYNCK, Président - Je souhaiterais savoir combien de chômeurs vous rencontrez chaque année. Pensez-vous qu'il est préférable de mettre en place, à destination des exclus, une politique globale ou une politique ciblée, par groupe ? Enfin, vous avez parlé de créations d'entreprises ? Pouvez-vous nous en dire davantage sur le sujet ?

Mlle Zalie MANSOIBOU - Nous ne voulons pas que les chômeurs, confrontés aux mêmes difficultés, soient classés par catégories. Nous proposons donc la mise en place d'un système unifié et universel d'indemnisation du chômage au travers d'une caisse unique nommée Fonds national pour l'indemnisation. Dans notre schéma, les régimes ASS seraient ainsi supprimés. Si une personne a travaillé pendant six mois, elle doit pouvoir être indemnisée pendant une durée fixée par la loi et bénéficier d'un véritable accompagnement dans son retour à l'emploi ou d'une formation. Les personnes licenciées par Moulinex, par exemple, ne peuvent pas accéder à une formation.

Les reclassements posent un véritable problème. Les syndicats en sont d'ailleurs pleinement conscients. De vraies politiques de l'emploi doivent donc être mises en place. Il est beaucoup question de politiques d'insertion en ce moment. Mais l'insertion demeure provisoire, certaines entreprises refusant d'employer des personnes ayant touché le RMI pendant deux ou trois ans. Nous souhaiterions donc que les pouvoirs publics responsabilisent socialement les entreprises et que les chômeurs disposent d'une aide à la formation, comme le revendiquent les anciens salariés de Moulinex. En effet, il n'est pas normal que ces derniers doivent payer leur formation.

Une véritable politique de l'emploi est donc nécessaire. Nous ne pouvons pas nous contenter de la mise en place de parcours d'insertion. Lorsque des personnes ont travaillé pendant trois ou quatre mois, elles n'ont pas droit au chômage et ont à rembourser des prestations versées par la CAF avant qu'elles ne se retrouvent sans emploi ; une sortie d'argent susceptible de les mettre dans des situations très difficiles. Toutes ces données ne sont pas assez prises en compte dans les dispositifs de lutte contre l'exclusion. Nous recevons tous les jours des personnes confrontées à ce genre de problèmes. Nous sommes donc bien placés pour en parler et soumettre des propositions destinées à les solutionner.

M. Jean-Pierre GUENANTEN - Classer les individus en catégories provoque systématiquement des discriminations. Il s'agit donc d'une erreur.

Nous recevons environ 15 000 chômeurs par an, un nombre équivalent à 100 000 passages (22 millions depuis les vingt-deux ans qu'existe notre association).

Les activités que nous avons créées concernent la collecte et le tri des déchets, le tri postal, les jardins associatifs d'insertion, les épiceries solidaires, les crèches sociales, la mobilité, le bâtiment et les services à la personne. Elles représentent trente-sept types de structures où se mélangent des associations intermédiaires, des entreprises d'insertion et des entreprises classiques.

M. Christian DEMUYNCK, Président - Mes chers collègues, avez-vous d'autres questions à poser ?

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE - J'en ai plusieurs. Estimez-vous indispensable de structurer les champs de l'insertion ? Avez-vous des liens, au niveau national, avec les têtes de réseaux et, au niveau local, avec les autres intervenants dans le domaine de l'insertion ? Dans les lieux où vous êtes implantés, les collectivités territoriales participent-elles de votre financement ? Le cas échéant, comment interviennent-elles dans votre fonctionnement ? Vos associations bénéficient-elles encore de financements catégoriels ?

Que pensez-vous de la notion de parcours d'insertion, dont il a été beaucoup question au cours des dernières semaines ? Chaque intervenant représente un des maillons de la chaîne d'insertion, ces parcours nécessitent des partenariats locaux forts. Travaillez-vous à leur mise en place ? Enfin, les bénévoles de vos associations peuvent-ils avoir accès à une formation ?

M. Guy FISCHER - Je suis très préoccupé par l'institutionnalisation de la précarité, évoquée dans votre intervention. Le nombre de personnes subissant la précarité est en effet en très forte augmentation, alors même que le chômage diminue. Je crains d'ailleurs que la France ne compte prochainement 15 millions de personnes précaires si nous n'intervenons pas rapidement pour remédier à cette situation. J'aimerais connaître votre sentiment sur cette institutionnalisation de la précarité. Ce phénomène se manifeste dans l'ensemble des pays industrialisés, notamment européens.

M. Jean DESESSARD - Je vous remercie de votre intervention, qui a brillé par sa précision. J'aimerais avoir votre avis sur les conditions nécessaires pour bénéficier des minima sociaux. Je communiquerai, sur le sujet, au Président et au rapporteur de la mission, une lettre qui m'a été remise lors d'une réunion publique et dans laquelle une personne explique les difficultés qu'elle rencontre au quotidien : elle touche une allocation pour personne handicapée, privant par-là même sa conjointe du bénéfice du RMI.

Vous avez mentionné la possibilité, offerte par le RSA, de cumuler un revenu minimum d'insertion et une activité. Or l'application de ce dispositif pose des problèmes. Ainsi, un département a versé une aide à des personnes en activité pendant quelques mois, avant de leur en demander le remboursement. Je pense que votre association est bien placée pour faire remonter ce genre de cas auprès des pouvoirs publics. M. Pagat, créateur du MNCP en 1986, avait bien compris la nécessité de ne pas s'adresser uniquement aux chômeurs, mais à toutes les personnes victimes de la précarité. Or, ces dernières sont beaucoup plus nombreuses aujourd'hui qu'il y a vingt-deux ans.

Je souhaiterais vous poser deux questions. Pourquoi votre association n'est-elle pas rattachée à un syndicat ? Vous exercez en effet une fonction de représentation sans disposer des moyens qui y sont nécessaires. Or, de par leur passé, les syndicats disposent de davantage de moyens que vous. Rattacher votre association à l'un d'entre eux vous permettrait donc de remédier, au moins en partie, à vos difficultés de financement. En outre, les licenciements des anciens salariés de Moulinex et de Metaleurop, mentionnés dans votre intervention, ont été massifs. Pourtant, ces derniers ont préféré créer des associations et rejoindre le MNCP. Pourquoi n'ont-ils pas continué leur combat aux côtés des syndicats ? J'aimerais également savoir où en sont les procédures judiciaires engagées au moment de ces licenciements.

Mlle Zalie MANSOIBOU - Je répondrai d'abord à la dernière question. Les anciens salariés de Moulinex ont gagné en première instance. Mais un appel a été interjeté. La bataille judiciaire continue donc.

M. Jean DESESSARD - Quelle somme ont-ils obtenu ?

M. Jean-Pierre GUENANTEN - Ils ont obtenu entre 6 000 à 60 000 euros par personne. Mais deux procédures ont été engagées, l'une au civil et l'autre au pénal.

Mlle Zalie MANSOIBOU - Concernant notre éventuel rattachement à une organisation syndicale, nous considérons que les syndicats ne sont pas convaincants lorsqu'ils prétendent défendre à la fois les salariés et les chômeurs. Il est préférable pour nous de garder notre indépendance. Nous souhaitons être financés en tant qu'association de chômeurs et représenter ces derniers dans différentes institutions, notamment au sein de l'UNEDIC, afin de pouvoir exposer nos nombreuses propositions. Malheureusement, ce sujet demeure encore très délicat, les syndicats restent opposés à notre présence à leurs côtés.

Le cumul du bénéfice du RMI et d'un emploi, prévu dans le RSA et dans la loi contre les exclusions de 1998, existait auparavant, mais de manière dégressive. Par le passé, lorsqu'une personne trouvait un emploi, elle ne touchait plus le RMI au terme d'un délai de trois mois. Ce système n'a jamais fonctionné et a conduit des personnes dans l'impasse.

Nous disposons de trois représentants au Grenelle de l'insertion, dont deux en tant qu'usagers organisés et un dans le cadre de l'évaluation. Nous sommes heureux de pouvoir y participer. Nous avons beaucoup discuté avec M. Martin Hirsch, notamment lors de nos universités d'été de l'an dernier, et avons pu attirer son attention sur les éventuelles conséquences négatives de la mise en place du RSA sur le territoire national.

Vous nous avez interrogés également pour savoir si nous coopérons avec les organisations d'insertion. En fonction des territoires, nous travaillons avec la Fnars (Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale), l'Uniopss (Union nationale interfédérale des oeuvres et organismes privés sanitaires et sociaux) et le groupe Alerte. Toutefois, nous ne nous inscrivons pas dans le champ de l'insertion tel qu'il est aujourd'hui défini. Notre principal objectif consiste à représenter et défendre les chômeurs.

Nous intervenons également dans le domaine de l'économie solidaire et de l'initiative économique. C'est la raison pour laquelle nous avions plaisir à travailler avec l'ancien Ministre de l'économie sociale et solidaire, qui constituait pour nous un véritable interlocuteur. Le dialogue avec le ministre actuel est malheureusement moins facile.

Nous perdons beaucoup de temps à solliciter des financements, parfois au détriment de notre activité. Nous risquons d'ailleurs de perdre prochainement une enveloppe de 300 000 euros qui nous avait été accordée. De surcroît, l'Etat nous demande encore de témoigner de projets expérimentaux, alors que notre association existe depuis vingt ans et a toujours été une force de proposition. Ainsi, pendant plusieurs années, nous avons travaillé, en lien avec M. Jean-Baptiste de Foucauld, concepteur du projet, à l'élaboration du chèque associatif. Je pense que les propositions du MNCP méritent d'être étudiées avec la plus grande attention.

En 2007, lors de notre assemblée générale, nous avons procédé à un vote sur la sécurisation du parcours professionnel, baptisé statut de vie sociale et professionnelle. Nous estimons que les droits fondamentaux des personnes doivent jouir d'une protection permanente et que celles-ci n'ont pas à être classées comme chômeurs, bénéficiaires du RMI ou comme sans domicile fixe. Chacun a un droit à l'éducation, à la formation, à la santé, aux droits sociaux et au logement.

Nous souhaitons donc que les individus ne soient pas protégés uniquement au travers de leur parcours professionnel. La perte d'un emploi a des conséquences sur l'ensemble de la vie sociale dont il faut tenir compte. Des chômeurs, par exemple, ne peuvent pas se soigner car ils n'ont pas accès à la CMU.

Enfin, s'agissant de l'indemnisation du chômage, M. Jacques Delors considère qu'elle est nécessaire dès le premier mois travaillé. Cette proposition a notre soutien.

M. Jean-Pierre GUENANTEN - Le MNCP représente une fédération dans laquelle chaque structure est autonome et n'a pas choisi de concentrer son action dans le domaine de l'insertion. En outre, leurs liens avec les collectivités territoriales et les financements qu'elles peuvent recevoir de leur part sont très disparates, même si elles entretiennent toujours d'excellentes relations avec elles. Malgré la présence de partenariats très développés, un tiers des associations rencontre des difficultés. Récemment, j'ai eu à comparer les cas de trois associations équivalentes en volume d'activité et en nombre d'adhérents. Des collectivités, la première reçoit 15 000 euros, la deuxième 62 000 euros et la troisième 110 000 euros. Les associations connaissent donc des situations très variées.

Si le classement des individus en catégories est néfaste, en revanche il peut être utile de différencier les accompagnements pour les adapter à la situation des personnes, celles-ci n'éprouvant pas toutes les mêmes besoins. Ainsi, il ne sert à rien d'accompagner un chômeur capable de retrouver un emploi rapidement.

Répartir les individus par profils constitue une erreur. Actuellement, il existe neuf minima sociaux, huit catégories de chômeurs et de multiples contrats aidés. Le résultat de ce dispositif est que les personnes ne sont plus employées pour leurs compétences, mais selon la catégorie à laquelle elles appartiennent. Cette situation est pour le moins anormale.

Enfin, nous travaillons beaucoup avec des bénévoles et nous essayons de leur ouvrir la porte de la formation, malgré la faiblesse de nos moyens et la situation de précarité dans laquelle se trouvent la plupart de nos salariés.

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE - Auriez-vous besoin d'enveloppes budgétaire pour assurer cette formation ?

M. Jean-Pierre GUENANTEN - Les besoins varient en fonction des associations. Certaines forment beaucoup leurs bénévoles. D'autres en sont incapables, faute de moyens suffisants. Nous consacrons beaucoup trop de temps à la recherche de financements.

Tout comme vous, l'institutionnalisation de la précarité nous inquiète énormément. En réalité, les chiffres du chômage baissent en raison d'une modification des modes de calcul des personnes sans emploi, ce que les journalistes ne précisent presque jamais, se contentant trop souvent de relayer les données qui leur sont communiquées. Aussi nous tentons actuellement de mettre en place un ensemble d'indicateurs permettant d'approcher le nombre réel de chômeurs et d'avoir un regard objectif sur leur situation.

La conditionnalité des minima sociaux est scandaleuse. Elle conduit, par exemple, des femmes en instance de divorce, ayant la charge d'enfants et un époux, ancien bénéficiaire du RMI, à n'avoir accès à aucune allocation et à se retrouver à la rue. Le RSA constitue, certes, une solution pour les personnes ayant retrouvé un emploi. Mais il ne règle pas les problèmes de celles et ceux qui demeurent au chômage. Sa mise en place amène certains à préconiser la disparition à terme du RMI. Mais il est impossible de trouver un emploi à 5 millions de personnes. Tous les chômeurs ne seront donc pas concernés par le RSA. Moi-même, titulaire d'un Bac +2, j'ai connu le RMI, à une époque où il représentait pour moi le seul moyen de me nourrir.

Quant au chèque associatif, il s'agit d'un projet en cours de discussion depuis 1992. Il consiste à attribuer à chaque chômeur un chèque de 150 à 200 euros pur lui permettre de demander à une association ou un syndicat de défendre ses droits. Ce dispositif constituerait un moyen de financement indirect de nos associations et permettrait de mettre en place des associations de défense des droits des chômeurs sur l'ensemble du territoire. Ce chèque associatif est l'un des projets que nous avons présentés dans le cadre du Grenelle de l'insertion et que nous espérons voir aboutir.

Mlle Zalie MANSOIBOU - Je souhaite ajouter quelques mots à propos du RSA. Ce dispositif, selon moi, appelle la plus grande prudence. En effet, le sentiment est assez répandu dans la population que les chômeurs sont des fainéants. Une personne qui travaillerait dans une entreprise quelques heures par mois pour toucher la même somme qu'un salarié employé à temps plein pourrait donc être très mal perçue. La valeur travail doit être défendue. Or, pour notre mouvement, elle ne consiste pas à demander à des individus de travailler seulement trois heures par semaine.

Le code du travail et la déclaration des droits de l'homme imposent de respecter les êtres humains et de leur donner un vrai travail, et non pas un emploi à temps partiel. La majorité des personnes qui se rendent dans nos associations représentent des femmes à qui on impose de travailler à temps partiel, notamment dans le secteur de la grande distribution. Si ces femmes manifestent, c'est parce qu'elles veulent bénéficier de vrais emplois et ne plus être exploitées. Pour l'ensemble de ces raisons, le RSA suscite quelques craintes. Ses conséquences doivent faire l'objet d'une profonde réflexion.

Le MNCP a été créé pour défendre le vrai travail et non pour entraîner les personnes dans le misérabilisme.

M. Christian DEMUYNCK, Président - Nous vous remercions pour toutes ces informations et suggestions.

Audition du Général Marcel VALENTIN, président du conseil d'administration de l'Epide (Établissement public d'insertion de la défense) - (1er avril 2008)

M. Christian DEMUYNCK, Président - M. le Général Marcel Valentin, je vous remercie d'avoir accepté d'intervenir devant la Mission commune d'information sur les politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion. Je vous demande de bien vouloir nous excuser pour ce retard. Mais le sujet est tellement dense que nous avons souvent tendance à débattre au-delà de l'horaire prévu. Je vous invite à présenter la structure que vous présidez et notamment à évoquer les problèmes que vous avez pu rencontrer dans la lutte contre l'exclusion et à nous soumettre quelques propositions pour les résoudre. Le rapporteur et nos collègues vous poseront ensuite des questions.

M. le Général Marcel VALENTIN - M. le Président, Mmes et MM les sénateurs, je vous remercie de m'avoir convié à témoigner devant vous. Je suis ici, car je suis convaincu de l'utilité de l'établissement public dont je préside le conseil d'administration.

L'établissement public d'insertion de la Défense (EPIDe), plus communément appelé Défense, deuxième chance, représente un dispositif qui s'adresse à des jeunes âgés de vingt ans et déjà des perdants de la vie, à la fois en échec scolaire, en échec professionnel et confrontés à des difficultés familiales ; d'où l'exclusion, voire même la délinquance, dans lesquelles ils sont souvent tombés, la solitude dont ils souffrent et leur éloignement des réalités du monde du travail, certains d'entre eux n'ayant même pas l'idée de se rendre dans les organismes susceptibles de les aider.

Ces jeunes, destinés à rester marginaux s'ils ne sont pas aidés, sont donc la cible de l'EPIDe. Sur la base du volontariat, ils se déplacent dans nos centres de deuxième chance, avec l'espoir de pouvoir prendre un nouveau départ dans la vie. Notre objectif est de les aider à briser la spirale de l'échec et de la marginalisation de laquelle ils sont prisonniers en leur enseignant les conditions nécessaires à leur insertion dans la société.

Pour répondre à cette ambition, le contenu pédagogique de l'EPIDe comporte trois modules. Le premier d'entre eux consiste à dispenser aux jeunes femmes et aux jeunes hommes que nous accueillons une formation comportementale et civique vouée à leur procurer des repères, des gestes et des connaissances leur permettant de s'intégrer au sein de la société dans laquelle ils vivent. Il s'agit également de leur donner confiance en eux-mêmes et de les rendre conscients de leur capacité à être utiles. Ce volet pédagogique constitue le coeur et la spécificité de notre dispositif. Sa réussite repose sur la qualité de l'encadrement dit de contact. Ce dernier est assuré surtout par d'anciens militaires, ayant l'habitude d'inculquer la motivation et le dépassement de soi.

Le deuxième module de ce projet pédagogique vise à l'enseignement des savoirs fondamentaux que représentent la lecture, l'écriture, le calcul et l'informatique. Sans la maîtrise de ces savoirs, les jeunes ont en effet peu d'espoir de s'intégrer dans la société moderne. Ils leur sont apportés par des équipes enseignantes disposant de capacités d'adaptation et d'innovation dans leur travail, leur permettant d'intéresser et de faire progresser leurs élèves, pour lesquels les méthodes traditionnelles ont échoué.

Le troisième module de notre action consiste à dispenser des formations professionnelles, qui doivent déboucher sur un emploi dans un secteur caractérisé par une forte demande en main d'oeuvre : le bâtiment et les travaux publics, les services à la personne, les services aux entreprises, la restauration et l'hôtellerie. Les formations que nous octroyons sont menées en partenariat avec l'Afpa (Association pour la formation professionnelle des adultes), l'ANPE et des entreprises concernées par les métiers visés. Les connaissances acquises par les stagiaires pendant leur passage dans nos centres sont validées par des diplômes : attestations de formation civique, certificats de formation générale, attestation de formation aux premiers secours, brevet d'initiation à l'informatique, attestation de sécurité routière et au moins un certificat de qualification professionnelle.

Les formations se déroulent dans un internat, du dimanche soir au vendredi après-midi. Elles sont d'une durée minimale de six mois, renouvelables trois fois, et s'adressent à des jeunes âgés de 18 à 21 ans révolus.

L'EPIDe existe depuis deux ans et neuf mois. Il est placé sous la double tutelle du Ministère de la Défense et du Ministère de l'Économie, de l'industrie et de l'emploi. Il est constitué de vingt-deux centres à ce jour, lesquels accueillent 2 000 stagiaires et contribuent, de manière significative, à l'insertion sociale des jeunes défavorisés. C'est pourquoi la principale proposition que je vous soumets est de soutenir notre action, en particulier en incitant les autorités de l'État à dégager les financements nécessaires à son fonctionnement.

M. Christian DEMUYNCK, Président - Merci M. le Président. Je passe la parole à M. Bernard Seillier, notre rapporteur.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Je vous remercie pour cette présentation. Je souhaiterais vous poser quelques questions. Comment sont sélectionnés les jeunes qui entrent dans vos centres ? A quel cahier des charges doivent répondre vos établissements ? Quel est le profil socio-économique des stagiaires ? Avez-vous des données chiffrées permettant de mesurer l'efficacité des stages que vous proposez.

Pensez-vous que la fin de la conscription a aggravé l'exclusion des jeunes ? Le système de solidarité répond-il aux défis posés par la pauvreté et l'exclusion ? Enfin, avez-vous des propositions à nous soumettre pour améliorer le fonctionnement des institutions et les processus de réinsertion ?

M. le Général Marcel VALENTIN - A l'origine, la sélection des jeunes appelés à rejoindre nos centres s'opérait lors de leur convocation aux journées d'appel et de préparation à la défense. C'est en effet grâce à ces journées que la direction du service national a pu constater qu'environ 60 000 jeunes par an, pour une classe d'âge donnée, sont en échec scolaire total et dérivent vers une marginalisation sociale ; des jeunes qu'elle informe de l'existence des centres de deuxième chance et dont les noms sont transmis à la direction des ressources humaines de l'EPIDe, laquelle adresse aux personnes repérées un courrier de relance à l'approche de leurs 18 ans. En effet, notre dispositif reposant sur le volontariat, il n'est pas question qu'elles rejoignent un de nos centres avant d'être majeures.

Toutefois, plusieurs mois se passant entre la date de la journée d'appel et de préparation à la défense et l'accession à la majorité des jeunes en échec scolaire au moment de leur passage dans les casernes, certains d'entre eux, quand ils fêtent leurs dix-huit ans, ont oublié notre existence. Il existe donc une différence relativement importante entre le nombre de jeunes en situation d'échec, qui sont repérés au moment de la journée d'appel et de préparation à la défense, et ceux qui se présentent dans nos établissements. Toutefois, depuis que nous avons établi des liens étroits avec elles, les missions locales d'insertion (environ 500 en France) nous adressent des jeunes en proie à des difficultés et pour lesquels elles estiment que les autres dispositifs d'insertion ne fonctionnent pas. Actuellement, 40% des jeunes entrent dans nos centres suite à la journée d'appel et de préparation à la défense, 40% grâce au travail réalisé par les missions locales d'insertion, 20% suite à la visite de notre site Internet, consulté par plus de 10 000 visiteurs par mois.

Une seconde sélection est opérée par la suite lorsque les jeunes se présentent dans les établissements. Nous écartons de nos centres les cas pathologiques les plus marqués, qui demandent des traitements médicaux, et les personnes totalement inaptes physiquement. Les stagiaires doivent en effet pratiquer beaucoup de sport au cours de leur formation comportementale et participer, après trois ou quatre mois de présence, à un stage à l'extérieur du centre, au cours duquel ils s'exercent à l'accrobranche, au VTT, à la descente en kayak et à des marches de nuit. En aucun cas, nous ne leur inculquons un entraînement paramilitaire.

Nous faisons en sorte que nos établissements soient créés dans des lieux :

- se caractérisant par un vivier de jeunes défavorisés suffisant ;

- Disposant d'un bassin d'emploi local nous permettant d'atteindre nos objectifs en matière d'insertion professionnelle. La formation professionnelle s'effectue à l'échelon local, au sein d'entreprises désireuses d'employer les stagiaires qu'elles ont contribués à former ;

- où il existe des infrastructures adaptées, permettant d'héberger les jeunes, de les nourrir et de les instruire ;

- abritant un nombre suffisant de militaires à la retraite.

Néanmoins, en raison de la volonté politique de développer ce dispositif avant les élections présidentielles et législatives de 2007, nous avons dû créer, dans la précipitation, des centres de deuxième chance ne satisfaisant pas à ces critères. Du coup, nous devrons en fermer trois en 2008.

M. Guy FISCHER - Ce n'est pas bien.

M. le Général Marcel VALENTIN - Lorsque notre directeur général reçoit des ordres, il se doit de les exécuter. Il me semble indispensable d'accorder une deuxième chance à des jeunes défavorisés. Ceux qui exécutent le stage avec succès sortent grandis de nos établissements et parviennent à convaincre d'autres jeunes de leur entourage de saisir leur première chance, notamment à l'école. De ce point de vue, les stages n'assurent pas seulement la prévention de la délinquance. Ils constituent également un dispositif curatif, chargé de remédier aux échecs du système scolaire. Je pense donc qu'il est nécessaire d'améliorer les conditions de scolarité des jeunes.

Les méthodes que nous appliquons dans les centres de deuxième chance pourraient, par exemple, être appliquées dans les zones d'éducation prioritaire, avec des enseignants assistés, pendant leurs cours, de personnes chargées d'assurer le maintien de la discipline.

Comme vous le savez, le secteur de la défense est souvent le premier touché lors de réduction des dépenses de l'Etat. Il est ainsi envisagé d'en restreindre substantiellement les effectifs. Une partie des militaires pourrait se voir offrir la possibilité de se reconvertir dans l'éducation nationale où il serait bénéfique, par ailleurs, de réduire le nombre d'élèves dans les classes situées en zone d'éducation prioritaire.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Quel est l'effectif optimum de vos centres ?

M. le Général Marcel VALENTIN - Notre approche était économique au départ. Nous estimions en effet que plus un centre serait de taille importante, moins le coût par stagiaire serait élevé. Nous nous sommes aperçus, au contact des réalités et en raison de notre difficulté à gérer les jeunes, que nos établissements ne peuvent pas abriter plus de 240 personnes. Actuellement, nos centres les plus importants accueillent environ 200 stagiaires. Leur gestion, étant individuelle, nécessite beaucoup d'efforts.

De plus, certains des jeunes présents dans nos centres n'y sont que parce qu'ils ont commis des actes de délinquance et qu'un juge leur a promis d'être cléments avec eux s'ils acceptaient d'effectuer un stage parmi nous. Par conséquent, nous accueillons des individus dont la seule motivation est d'échapper à un règlement judiciaire, ce qui ne facilite pas le travail de nos cadres, peu habitués à côtoyer ce genre de public. Nous souhaitons donc que nos centres ne soient pas trop fréquentés, de manière à ne pas devoir gérer en même temps un nombre trop important de jeunes turbulents.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Quelle est la durée des stages ? Comment le suivi des jeunes est-il organisé ?

M. le Général Marcel VALENTIN - Les stages durent un an, une durée de six mois n'étant pas insuffisante. Deux à trois mois sont en effet nécessaires pour inculquer aux jeunes les règles comportementales leur permettant d'accepter la remise à niveau scolaire et la formation professionnelle dont ils ont besoin.

Des stagiaires restent, toutefois, plus d'un an dans nos établissements. Il arrive même que certains d'entre eux ne veuillent plus en partir.

Cependant, beaucoup de jeunes (40%) arrêtent le stage pendant son déroulement, notamment au cours des deux premiers mois où ont lieu quatre cinquièmes des abandons, les départs étant dus surtout, pendant cette période, à un refus de se soumettre à la moindre discipline et d'acquérir des repères.

Pour les personnes qui vont au terme de leur stage, trois-quarts sortent de nos centres avec un emploi durable, sous forme de CDI ou de contrat de formation en alternance. Il s'agit d'un excellent taux. A titre de comparaison, en France, 75% des jeunes démarrent leur carrière professionnelle par le biais d'un CDD et seulement 40% des bénéficiaires d'un contrat d'insertion dans la vie sociale (CIVIS) accèdent à un emploi durable. Nous obtenons donc de très bons résultats. Les entreprises apprécient en particulier le savoir-être de nos stagiaires et leur respect des horaires de travail.

M. Christian DEMUYNCK, Président - L'internat est-il une nécessité absolue ? D'autres cadres que d'anciens militaires pourraient-ils intervenir dans vos centres ? Combien coûtent ces derniers ?

M. le Général Marcel VALENTIN - L'internat est nécessaire si nous voulons inculquer aux jeunes une discipline de vie et les éloigner de leur milieu habituel. Nous nous sommes aperçus d'ailleurs, notamment à Bordeaux, que notre recrutement devient plus difficile lorsque nos centres sont situés en ville.

Le système de l'internat permet, en outre, aux jeunes de participer à des travaux d'intérêt général et de suivre des études le soir dans le cadre de leur formation scolaire. Il est donc indispensable et même souhaité par certains, en particulier les personnes sans domicile fixe qui représentent entre 5% et 10 % des personnes que nous accueillons. Ces jeunes demeurent dans nos centres le week-end et leur présence dominicale exige un encadrement et des financements supplémentaires.

L'avantage de faire appel à d'anciens militaires pour encadrer nos centres réside dans le fait que ces derniers détiennent un certain nombre de connaissances et se caractérisent par un engagement personnel total et une attention permanente envers le respect de la discipline. Ils veillent également à ce que les jeunes aient une présentation correcte et, pour ce faire, ils leur apprennent à être bien peignés et les dissuadent, dans la perspective de futurs entretiens d'embauche, d'avoir des tatouages et piercings. Tous nos enseignants et les jeunes que nous accueillons ont obligation de porter un uniforme bleu marine. Nos centres représentent les seuls endroits de France où les enseignants sont en uniforme. Nous apprenons également à nos stagiaires à se lever tôt le matin et à être respectueux des formateurs et cadres.

Concernant le financement de nos établissements, celui-ci est relativement complexe. Notre budget de fonctionnement est attribué, en grande partie, par le Ministère de l'Emploi dans le cadre du plan de cohésion sociale. Toutefois, depuis cette année, le Ministère du Logement et de la Ville y participe également au travers du Plan banlieues et égalité des chances. Contribuent également à notre budget de fonctionnement le Ministère de l'Intérieur et le Fonds social européen. Nous ne disposons pas de budget d'investissement.

Quant au Ministère de la Défense, il met à disposition de nos centres d'anciens militaires et un certain nombre de biens immobiliers et de terrains en pleine propriété. Ces biens représentent 49% du capital d'une société immobilière anonyme que nous avons créée et baptisée IIDE (Immobilier, Insertion, Défense, Emploi). Les 51% restants de son capital sont apportés en numéraire par la Caisse des dépôts et consignations.

La société immobilière effectue les travaux de rénovation nécessaires dans les locaux existants et engage la construction de bâtiments neufs. Elle perçoit les loyers payés par les établissements, privés donc de budget d'investissement, lesquels s'acquittent de loyers auprès également d'associations et de collectivités locales, en raison notamment de l'occupation de bâtiments dédiés à des colonies de vacances, et paient des prestataires de services.

Jusqu'en 2007, le coût de revient d'un stagiaire s'élevait à 30 000 euros par an. Ce montant passera à 35 000 euros en 2008, du fait de notre impossibilité à bénéficier d'économies d'échelle et du maintien de certaines dépenses incontournables.

Pendant un an, il sera nécessaire de stabiliser la vie de nos établissements car ils sont devenus opérationnels très rapidement. Ainsi, en raison d'une forte volonté politique, nos deux premiers centres ont été inaugurés alors même qu'ils ne jouissaient d'aucun budget encore.

Nous travaillons actuellement à l'élaboration d'un contrat d'objectifs et de moyens pour notre établissement public. Ce texte devrait être présenté à notre conseil d'administration le mois prochain. Il traduira notre ambition d'accueillir 5 000 stagiaires en 2011, pour un coût annuel de 30 000 euros par jeune et un budget de 150 millions d'euros (contre 94 millions d'euros en 2008).

Enfin, nos établissements participent de la prévention de la délinquance pour un coût largement inférieur à celui des centres fermés. Dans ces derniers, chaque jeune délinquant coûte en effet 210 000 euros par an. Il convient donc de se demander s'il est préférable de payer 210 000 euros pour accueillir des jeunes qui ont sombré dans la délinquance ou 30 000 euros pour en empêcher d'autres d'y tomber.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Une double tutelle s'exerce sur votre association ? Quel financement en tirez-vous ?

M. le Général Marcel VALENTIN - Le Ministère de la Défense ne nous accorde aucun financement pour nos dépenses de fonctionnement, mais nous fournit du matériel et abrite, dans ses locaux, le siège de notre établissement. En 2008, 50 millions d'euros nous ont été attribués par le Ministère de l'Emploi, 20 millions d'euros par le Ministère du Logement et de la Ville, 3 millions d'euros par le Ministère de l'Intérieur et 8 millions d'euros par le Fonds social européen.

Nous avons acquis des terrains sur lesquels il nous est impossible de bâtir un centre, les maires des villes où se trouvent ces terrains s'opposant à notre présence par peur de voir nos jeunes importer de la délinquance. N'ayant d'autre choix, nous allons devoir céder les parcelles. Le produit de leur vente permettra de compléter notre budget, fixé à 94 millions d'euros.

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE - Quel est le statut des jeunes pendant leur séjour et en quoi vos structures se différencient-elles des centres fermés ?

M. Guy FISCHER - Compte tenu du statut de vos formateurs, certains de vos stagiaires s'engagent-ils dans l'armée à la sortie des centres et, si oui, quel est leur nombre ?

Vous avez eu l'honnêteté d'expliquer que votre projet a été porté politiquement. Néanmoins, j'ai cru comprendre que l'avenir de vos établissements n'est pas assuré. Ainsi, dans le contexte actuel marqué par 60 000 suppressions d'emplois dans le secteur des armées, vos centres ne risquent-ils pas de voir leurs financements réduits ?

Je sais très bien, pour être un élu des Minguettes, quartier très populaire de Lyon, qu'il est difficile de redonner des repères à ces jeunes.

M. le Général Marcel VALENTIN - Nos établissements se différencient nettement des centres fermés. Les portes des chambres de nos jeunes ne sont pas verrouillées et ceux-ci ne vivent pas dans un univers carcéral. Concernant leur statut, ils disposent d'un contrat de volontaire pour l'insertion, régi par le code du service national.

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE - Sont-ils rémunérés ?

M. le Général Marcel VALENTIN - Ils sont payés 300 euros par mois. La moitié de ce montant leur est attribuée comme argent de poche. L'autre moitié ne leur est donnée qu'à la fin de leur séjour.

Pour répondre à leur demande, nous permettons à de nombreux jeunes, en échange d'une participation financière symbolique de leur part, de passer le permis de conduire. Par ailleurs, nous avons convaincu la SNCF de mettre à leur disposition une carte jeune, dont nous payons une partie du montant, pour leur permettre de rentrer chez eux le week-end.

Concernant nos liens avec le monde militaire, nous ne sommes pas un centre de recrutement pour l'armée, laquelle d'ailleurs a refusé d'intégrer certains de nos jeunes dans ses rangs. Toutefois, si nos stagiaires ambitionnent de devenir des militaires, nous les préparons à réaliser leur objectif. Entre 5% et 10% de nos jeunes entrent dans l'armée au terme de leur formation ; une proportion susceptible de s'accroître suite aux initiatives prises par le Ministre de la Défense, M. Hervé Morin, dans le cadre du Plan égalité des chances et si nos jeunes bénéficient, comme nous l'espérons, du parcours militaire découverte.

Par ailleurs, nous travaillons en ce moment avec la police nationale et la brigade des sapeurs-pompiers de Paris pour permettre à nos stagiaires d'être recrutés en tant qu'adjoints de sécurité ou de pompiers.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Le recrutement des enseignants et des personnels d'encadrement est-il aisé ?

M. le Général Marcel VALENTIN - Nous n'avons aucun mal à recruter des enseignants. Ils sont très peu nombreux à être détachés du Ministère de l'Éducation nationale. La plupart de nos formateurs ont un statut de contractuel.

Nous connaissons davantage de difficultés pour embaucher d'anciens militaires situés dans la tranche d'âge qui nous intéresse, c'est-à-dire ayant entre quarante et cinquante ans, ceux-ci étant soumis à la règle du cumul et donc à l'impossibilité de bénéficier d'un salaire plus élevé que celui auquel ils ont droit dans l'armée tant qu'ils n'ont pas atteint l'âge de la retraite prévu pour leur grade Nous avons donc saisi les autorités afin d'obtenir une dérogation à cette règle, celle-ci existant déjà pour les personnels du service santé des armées en poste dans le secteur civil.

M. Guy FISCHER - A quel montant s'élève leur rémunération ?

M. le Général Marcel VALENTIN - Le salaire d'un directeur de centre ne dépasse par 2 000 euros. Le montant des rémunérations diminue au fur et à mesure que nous descendons dans la hiérarchie.

M. Guy FISCHER - Est-il possible de cumuler ce salaire avec une retraite ?

M. le Général Marcel VALENTIN - Oui si la personne a atteint l'âge de la retraite.

M. Christian DEMUYNCK, Président - J'ai mis en place un système relativement comparable dans ma ville en Seine-Saint-Denis. La principale différence est que les jeunes accueillis sur mon territoire ne sont pas internes.

Je souhaite revenir sur vos choix concernant l'implantation de vos établissements. Vous avez expliqué que vos centres sont construits là où il existe une forte présence de jeunes en difficulté et d'anciens militaires, un bassin d'emploi et des infrastructures adaptées. Envisagez-vous d'ouvrir un établissement en Seine-Saint-Denis ? Beaucoup de jeunes de ce département sont en effet sans emploi et dans l'attente d'une remise à niveau et de formations.

M. le Général Marcel VALENTIN - Nous aurions implanté un établissement en Seine-Saint-Denis si nous avions pu y disposer d'un lieu avec une capacité d'accueil suffisante. Les jeunes en difficulté de ce département sont accueillis dans les deux centres dont nous sommes propriétaires en Île-de-France (Montry et Haute-Maison) et dans celui que nous gérons dans la Somme, à Doullens précisément.

La Ministre de l'Intérieur, Mme Michèle Alliot-Marie, souhaite la création de ce centre en Seine-Saint-Denis.

Les implantations de nos établissements doivent avoir lieu en périphérie des grandes villes et non loin de celles-ci. Sinon, elles se traduiront par des échecs. C'est ainsi que nous allons fermer un centre, pas assez fréquenté en raison de son éloignement avec Lyon.

M. Guy FISCHER - Vous avez effectivement implanté un centre dans une propriété que vous a vendue le Conseil général du Rhône.

M. le Général Marcel VALENTIN - Nous devons malheureusement fermer ce centre. Toutefois, nous envisageons d'en créer un nouveau, près de Lyon, ainsi qu'un autre à proximité de Toulouse. Leur réalisation est liée à l'obtention des financements nécessaires à leur construction.

M. Jean-François HUMBERT - Pourrions-nous connaître les lieux d'implantation de vos vingt-deux centres ?

M. le Général Marcel VALENTIN - La plupart de nos établissements se trouvent dans le nord et le nord-est de la France. Nous sommes présents, en région parisienne, à Val-de-Reuil, Montry et Montlhéry, plus au nord, à Compiègne, Doullens, Saint-Quentin et prochainement à Cambrai, dans les Alpes, à Annemasse, dans l'Isère, à Autrans, dans le Rhône, à Saint-Clément-les-Places, et, dans l'Ain, à Ambronay.

Un autre de nos établissements est situé dans les quartiers Nord de Marseille où la municipalité nous a beaucoup aidés à réaliser cette implantation. Quatre-vingt stagiaires y sont actuellement accueillis, pour cent cinquante candidats en liste d'attente. Aussi surprenant que cela puisse paraître, c'est dans ce centre que l'attrition est la moins élevée.

Des établissements ont vu le jour également à Bordeaux, à Giel, dans l'Orne, et à Alençon. Nous allons malheureusement devoir fermer celui de Vitré. Sa fermeture sera compensée par l'ouverture, au printemps, d'un établissement à Bourges, et, au début de l'année prochaine, d'un centre au Havre.

M. Jean-François HUMBERT - Existe-t-il un centre en Franche-Comté ?

M. le Général Marcel VALENTIN - Nous possédons un centre de taille réduite dans ce département. Nous projetons, si nous en avons les moyens, de créer un établissement à Dijon.

M. Christian DEMUYNCK, Président - Vos établissements sont-ils mixtes ?

M. le Général Marcel VALENTIN - Nos centres sont mixtes en effet. Ils sont composés à 75% de garçons et à 25% de filles. Ces dernières sont moins concernées par l'échec scolaire.

M. Christian DEMUYNCK, Président - Je vous remercie pour toutes ces informations.

Audition de MM. Xavier EMMANUELLI, ancien Ministre, Président du Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées et de Bernard LACHARME, secrétaire général du Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées - (1er avril 2008)

M. Christian DEMUYNCK, Président - Monsieur le Ministre, je vous remercie d'avoir accepté d'être auditionné par cette Mission commune d'information sur les politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion. Je vous invite à présenter l'organisme que vous présidez, les difficultés que vous rencontrez dans vos fonctions et les propositions que vous pouvez nous soumettre pour réduire la pauvreté et l'exclusion. M. Bernard Seillier, rapporteur de notre commission, et nos collègues présents dans cette salle vous poseront ensuite quelques questions.

M. Xavier EMMANUELLI - Merci Monsieur le Président. Je suis Président du Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées. Cette institution, créée par l'Abbé Pierre en 1992, fonctionne avec des moyens limités. Elle est composée de quatorze membres, dont plusieurs parlementaires, et d'un secrétaire général permanent. Elle émet à la fois des propositions et des alertes.

Je préside également le Comité de suivi du droit au logement opposable dans le cadre de la loi DALO. Cette structure joue un rôle en matière de suivi, comme son nom l'indique, mais aussi d'expertises et facile la concertation entre les acteurs. Il remet un rapport annuel au premier ministre.

Le Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées siège à la Maison de la cohésion sociale où toutes nos équipes sont regroupées et où se trouve également le Conseil national de l'insertion.

Notre objectif est de mettre en cohérence les travaux de ces trois institutions, afin de permettre à la volonté politique de réduire l'exclusion, la pauvreté et le chômage de devenir réalité. Tous les acteurs doivent participer à l'unisson à cette ambition portée par l'État mais dépendant de niveaux décisionnels multiples.

Nous proposons des mesures audacieuses, comme par exemple la création d'un syndicat du logement en Île-de-France, et pouvons alerter les pouvoirs publics sur les conséquences négatives de certaines politiques. Des mesures apparemment bénéfiques peuvent parfois être contre-productives. Ainsi, l'abaissement du plafond de ressources pour bénéficier d'un logement social semble constituer a priori une bonne idée. Pourtant, ses effets pervers l'emportent, selon toute vraisemblance, sur ses effets positifs.

Sur le terrain, nos interlocuteurs sont confrontés à des situations totalement nouvelles et des difficultés énormes demandant, pour être résolues, l'harmonisation de l'ensemble des politiques de lutte contre l'exclusion et la pauvreté. Notre tâche est particulièrement complexe. Mais elle est passionnante.

M. Bernard LACHARME - Le premier rapport du Comité de suivi du droit au logement opposable a été remis par nos services au mois d'octobre dernier. Il nous a servi à préciser les enjeux de la loi DALO et à présenter trente-sept propositions, toutes consensuelles et soutenues aussi bien par des associations d'élus, des propriétaires immobiliers et des associations spécialisées dans l'insertion des personnes en difficulté. Certaines d'entre elles ont commencé à être prises en compte. Toutefois, il reste un travail important à réaliser.

En termes d'organisation, le Haut Comité préside les deux autres instances. Nous continuons néanmoins à avoir une activité propre. Nous avons ainsi rédigé notre rapport annuel qui n'a pas été rendu public encore. Nous attendons en effet qu'il soit officiellement remis au président de la République et au premier ministre avant d'en faire part autour de nous.

Nous bénéficions peut-être de davantage de liberté lorsque nous siégions au Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées, car nous n'y engagions que les personnes physiques et pas les organismes.

Notre rapport porte en particulier sur ce qui a trait au logement locatif social (ses conditions d'attribution et d'accès, sa gestion, etc.) et à la difficulté de se loger dans le contexte actuel, en raison du montant élevé des loyers. De ce point de vue, le développement du logement social ne pourra jamais compenser les déséquilibres existants.

Nous nous sommes penchés également sur la situation des grands exclus, qui ne sont pas suffisamment pris en compte dans les dispositifs de prise en charge.

M. Xavier EMMANUELLI - Si vous le souhaitez, nous pouvons vous communiquer ce rapport. Nous nous sommes beaucoup intéressés à tout ce qui touche à l'hébergement et à son articulation avec le logement. Nous proposons dans notre rapport des idées nouvelles pour lutter contre l'exclusion.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Nous pouvons profiter de votre présence devant cette mission pour effectuer un tour d'horizon des grands problèmes techniques et sociétaux que rencontrent les acteurs de la lutte contre l'exclusion. Nous n'oublions pas que vous avez porté la loi de 1996 sur la cohésion sociale. Quels sont selon vous les leviers sur lesquels nous pourrions agir pour améliorer l'action publique dans le domaine de la lutte contre l'exclusion au cours des prochaines années ?

M. Xavier EMMANUELLI - Je souhaite m'attarder sur la très grande exclusion. Il faut bien comprendre que cette forme d'exclusion ne renvoie pas seulement à un problème social, économique et sanitaire. En effet, plus les personnes souffrent de l'exclusion depuis longtemps, plus elles connaissent des troubles somatiques et psychiques qu'il convient alors de prendre en compte dans les politiques d'hébergement. Il est évident que tous les exclus ne peuvent pas accéder au logement social. C'est pourquoi des solutions alternatives doivent être trouvées pour ceux qu'il n'est pas possible de laisser seuls sous un toit. Elles pourraient se traduire par la mise en place de pensions de famille orientées vers la prise en charge et le traitement de la souffrance psychique ou des maladies psychiatriques. S'occuper de la très grande exclusion n'est pas simple et nécessite que des domaines spécialisés (travailleurs sociaux, acteurs de la santé, de la psychiatrie et du logement...), n'ayant pas l'habitude de collaborer ensemble, acceptent d'associer leurs moyens et de coordonner leurs actions.

J'ai proposé également que le centre d'hébergement d'urgence constitue une sorte de sas assurant plusieurs prestations et tout d'abord la mise à l'abri des exclus, de manière à procéder à une évaluation psychique, somatique et économique de leur situation et, si besoin, à leur apporter des soins.

La seconde prestation que pourrait dispenser le centre d'hébergement d'urgence serait en termes de formation. Selon les résultats des diagnostics, les personnes les moins en difficulté pourraient être dirigées vers le logement social, les autres vers les CHRS. Je souhaite insister sur le fait que la fonction d'un centre d'hébergement d'urgence ne saurait se résumer à fournir un logement, les personnes exclues ayant besoin, au moins dans un premier temps, d'être accompagnées dans la gestion de leur logement et de leurs relations avec leurs voisins. Sans cet accompagnement, il leur sera difficile de se projeter dans l'avenir.

J'ai préconisé l'instauration de ce sas où les professionnels les plus expérimentés seraient au contact des personnes en difficulté et donc en mesure d'établir des diagnostics précis de leur situation et de leur proposer la solution la plus adéquate à leurs profils.

50% des grands exclus souffrent de problèmes psychiques. Leur traitement oblige à sortir des démarches traditionnelles.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - J'ai participé récemment à une réunion avec des responsables de grandes chaînes immobilières, des notaires et l'ensemble des professionnels du logement. J'ai tenté de les convaincre que la lutte contre l'exclusion n'emprunte pas seulement des mécanismes financiers, mais nécessite d'avoir une approche globale de la personne et de s'interroger sur la manière dont fonctionne la société.

M. Xavier EMMANUELLI - Le problème serait relativement simple s'il n'était que d'ordre financier.

M Bernard LACHARME - Une grande partie de la population, y compris des personnes non exclues socialement, est confrontée à un problème de logement. Celui-ci concerne des familles qui ne connaissent pas de difficultés sociales particulières et qui seraient en mesure de louer un logement dans le parc privé si les loyers n'étaient pas aussi élevés. Il comporte plusieurs dimensions, dont une dimension économique. Le nombre de logements construits n'a pas été suffisant et ceux qui ont été réalisés ne sont pas abordables pour la majorité des familles. Ainsi, il n'est pas toujours nécessaire d'accompagner, d'un point de vue social, tous les demandeurs de logements sociaux.

Ce problème du logement concerne de multiples acteurs : l'Etat qui doit prendre ses responsabilités en finançant le logement social, les Conseils généraux et les communes. Il leur appartient, pour être efficaces, d'harmoniser leurs politiques pour les rendre plus cohérentes.

En outre, nous avons eu trop tendance, au cours des dernières années, à vouloir nous intéresser au logement par le seul biais de la loi. Les textes législatifs peuvent être utiles. Il en est ainsi de la loi DALO. Toutefois, ils s'accompagnent parfois de dispositifs uniformes alors que les territoires sont très hétérogènes. La boîte à outils de la politique du logement doit être déclinée territoire par territoire, en fonction des besoins spécifiques de chacun. De ce point de vue, la loi DALO représente peut-être l'occasion d'engager une opération de clarification, avec une mise en avant des situations considérées comme étant les plus critiques par les commissions d'attribution de logements.

Les différents acteurs doivent être capables de s'organiser pour mettre en oeuvre une politique commune et cohérente en matière de logement. Pour ce faire, la concertation entre eux est indispensable au sein d'instances nationales mais aussi locales.

M. Xavier EMMANUELLI - La loi DALO représente l'opportunité de montrer combien il est difficile de résoudre les problèmes de logement et un moyen de rebattre les cartes, de prendre conscience que l'accès au logement ne s'effectue pas de manière linéaire et que la sociologie des grandes villes a complètement changé au cours des dernières années. Elle peut aussi servir à attirer l'attention des psychiatres sur l'état des exclus et les convaincre de s'impliquer davantage.

Nous restons prisonniers de schémas périmés, datant de l'après guerre et des années 70. De profondes transformations ont eu lieu au sein de la société durant les dernières décennies, engendrant des situations nouvelles et particulièrement complexes à gérer. Aujourd'hui, de nombreuses personnes n'ont pas de famille, souffrent de troubles psychiques et finissent par devoir vivre dans la rue ou par sombrer dans la délinquance.

La loi DALO doit nous conduire à remettre en question les certitudes que nous avons sur le logement. Des zones d'opportunités existaient autrefois. En effet, les personnes ne demeuraient pas dans la précarité toute leur vie. Leur situation financière s'améliorait avec le temps et elles réussissaient à sortir de situations difficiles. Ces zones d'opportunité sont beaucoup plus rares désormais.

De nouveaux dispositifs doivent donc être mis en place pour tenir compte des transformations de la société. De ce point de vue, les pensions de famille et les habitats collectifs correspondent à des dispositifs particulièrement intéressants. Ils permettent en effet d'être à la fois chez soi et avec les autres, et de pouvoir tisser les liens sociaux indispensables à l'apprentissage de la vie en communauté. C'est ce genre de systèmes que la loi DALO doit nous permettre de développer si nous prenons conscience de la complexité et de la diversité du problème du logement.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Avez-vous eu connaissance du contenu de la loi sur le logement ?

M. Bernard LACHARME - Nous ne disposons pas d'informations sur le sujet. Mais lors du vote de la loi DALO, le Haut Comité avait souhaité qu'une seconde loi soit adoptée rapidement, la loi DALO n'étant pas en mesure de résoudre tous les problèmes. Nous estimons que trois conditions sont nécessaires pour que le droit au logement opposable fonctionne de manière efficace :

- Désignation d'une autorité politique responsable, chargée d'assurer le respect de la loi.

- Mise en place de dispositifs plus précis.

- Donner à l'autorité responsable les moyens nécessaires à son action.

La répartition des rôles entre les différents échelons n'a pas encore été précisée. Des réponses doivent être apportées également concernant les moyens budgétaires que l'Etat accordera au sujet. En effet, le droit au logement opposable ne peut pas être mis en oeuvre à budget constant. Un effort financier de l'Etat est donc indispensable.

Enfin, les participants aux débats qui ont eu lieu au sein du comité DALO estiment nécessaire la recherche du consensus entre les différents acteurs concernés. Ce consensus suppose l'existence d'un diagnostic partagé sur les besoins et une harmonisation des actions. Toutefois, le législateur doit prévoir le cas d'une absence de coopération entre les acteurs et donc la possibilité d'aboutir à un arbitrage. Ainsi, dans certaines situations, l'Etat doit être en mesure de disposer d'un pouvoir renforcé pour honorer ses engagements. Il sera en effet responsable si la loi n'est pas appliquée. Ces différents éléments nous amènent à considérer qu'un second texte législatif doit être voté.

M. Guy FISCHER - M. Emmanuelli, nous suivons depuis très longtemps vos travaux et vos réflexions. Dans le cadre du Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées, vous avez mis l'accent sur la très grande exclusion, expression que vous avez utilisée à plusieurs reprises pendant votre intervention. Les formes d'exclusion sont différentes de celles que nous avons pu connaître par le passé. Elles se manifestent notamment à une plus grande échelle. Par exemple, dans le département du Rhône, 60 000 demandes de logement attendent d'être traitées. De plus, seulement 8% des logements construits sont accessibles aux personnes les plus défavorisées. Quant aux plans départementaux en faveur du logement de ces individus, ils ne sont pas très efficaces.

Le nombre des grands exclus est donc en hausse. Nous avons le devoir de leur apporter une aide. L'état actuel de notre société provoque, en effet, des souffrances à une échelle que les précédentes générations n'ont pas connue. Comme l'a souligné justement M. Bernard Lacharme, l'abaissement de 40% du plafond des ressources pour l'accès au logement social ne suffira pas à résoudre les problèmes de logement. Les projets de Mme Christine Boutin nous inquiètent d'ailleurs beaucoup. Ils pourraient conduire à chasser des personnes de logements sociaux, qu'elles occupent actuellement, pour les attribuer aux plus défavorisés. Ce type de mesures n'est pas acceptable.

J'ai été conseiller général des Minguettes pendant des décennies et je connais bien le Foyer Notre-Dame ainsi que le problème, très difficile à traiter, du logement. Pour l'heure, les réponses apportées ne sont pas à la hauteur de l'immensité des besoins. Le nombre de psychiatres s'occupant des plus pauvres est, par exemple, beaucoup trop faible. Pourtant, il est indispensable de traiter ceux qui souffrent de problèmes somatiques et psychiques.

M. Xavier EMMANUELLI - Il s'agit d'une question de civilisation. Nous rentrons dans une nouvelle époque où nous sommes condamnés à vivre de plus en plus nombreux dans les villes, lieux dans lesquels nous aurons de plus en plus de mal à nous mouvoir et serons confrontés à ces drames de santé publique, de pauvreté, etc. En réalité, l'exclusion est liée à notre développement. Les personnes les plus fragiles, en manque de liens sociaux, connaîtront de plus en plus de difficultés, en particulier les jeunes qui ont perdu tout repère, les individus internés en hôpital psychiatrique et les personnes âgées. Chaque nuit, le SAMU social de Paris loge 6 000 hommes, femmes et enfants dans des hôtels.

Des mouvements de population importants ont eu lieu au cours des trente dernières années. Les problèmes doivent donc être posés de manière différente. En particulier, nous devons avoir conscience que l'exclusion s'avère structurelle et non conjoncturelle. Elle est en effet inhérente à notre développement, une donnée que la politique du logement et du traitement des exclus a à prendre en compte. Les très grands exclus doivent être considérés comme des citoyens à part entière.

Bien entendu, cette situation n'est pas spécifique à la France. Dans les villes, nous sommes toujours des étrangers les uns par rapport aux autres.

Si la loi DALO est difficile à mettre en oeuvre en raison des nombreux acteurs qu'elle implique, elle nous permettra de sortir des schémas datés, dans lesquels nous sommes enfermés depuis la fin de la seconde guerre mondiale, et de réfléchir à la promotion d'un type de société différent.

M. Guy FISCHER - La loi DALO est-elle applicable selon vous ?

M. Xavier EMMANUELLI - Elle sera applicable à terme.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Les auteurs de la loi DALO avaient pour objectif de renverser les problématiques. La sphère politique devait en effet retrouver sa primauté par rapport aux lois du marché. Ainsi, le déterminisme économique et financier ne devait plus être considéré comme supérieur à l'intérêt général et le primat de l'être humain et de la société devait être affirmé. Mais ce renversement de principe ne peut pas intervenir du jour au lendemain. Les promoteurs du droit au logement opposable se heurtent donc à des obstacles importants.

M. Christian DEMUYNCK, Président - M. le Ministre, M. le secrétaire général, je vous remercie pour toutes ces informations.

M. Xavier EMMANUELLI - M. le Président, nous sommes très honorés d'être intervenus devant cette Mission commune d'information sur la lutte contre la pauvreté et l'exclusion.

Audition de M. Jean LE GARREC, et Mme Marie-Pierre ESTABLIE, déléguée générale de l'Alliance Villes Emploi - (8 avril 2008)

Mme Brigitte BOUT, Présidente - Nous accueillons M. Jean Le Garrec, Président de l'Alliance Villes Emploi et élu du Pas-de-Calais, et Mme Marie-Pierre Establie, déléguée générale de cette même structure. Nous vous remercions de votre visite et vous invitons à présenter votre organisation pendant une dizaine de minutes, à nous dire ce que vous faites dans le cadre de votre activité. Après quoi, nous vous poserons des questions.

M. Jean LE GARREC - Je préfère effectivement que nous ayons un débat. Puisque vous avez parlé du Pas-de-Calais, je souhaiterais indiquer que le film Bienvenue chez les Chti's, qui bat actuellement des records d'entrées en France, a été tourné à cent mètres d'une permanence que j'ai tenue.

Je me trouve ici en tant que président d'Alliance Villes Emploi, structure d'ingénierie et de soutien au développement des plans locaux d'insertion et d'emploi et des maisons de l'emploi. Je suis accompagné de Mme Marie-Pierre Establie, déléguée générale de l'association. Chacun connaît sa compétence, fondée sur une très grande expérience.

La lutte contre la pauvreté et l'exclusion représente un défi énorme, nécessitant sans doute plusieurs années de travail et de réflexion.

Alliance Villes Emploi constitue une structure paritaire dont les délégués et présidents délégués appartiennent aux deux grandes familles politiques, de gauche et de droite, ce qui lui permet d'avoir une vision commune sur des sujets d'intérêt général et de dépasser parfois les clivages politiques.

Pour résumer ma pensée, bien entendu une politique de l'emploi relève de la compétence de l'Etat. Mais la stratégie territoriale de l'emploi nous apparaît de plus en plus essentielle. Il est nécessaire de traiter des problèmes avec les partenaires élus, sociaux et économiques les plus proches possibles du terrain. Les plans locaux d'insertion et de l'emploi ont démontré leur efficacité, comme en attestent un certain nombre de rapports. Entre 2000 et 2006, 300 000 personnes sont rentrées dans les PLIE. 50% en sont sorties avec des propositions positives. La mission permanente des PLIE est d'assurer l'accompagnement des personnes en difficulté, des citoyens jeunes ou moins jeunes confrontés à une situation difficile, cet accompagnement pouvant être relativement long et atteindre une durée de 18 mois. Elle ne consiste pas uniquement à dispenser des formations, mais vise aussi à prendre en compte les situations sociales des personnes.

Nous inspirant d'une idée très forte de l'ancien ministre de l'emploi, M. Jean-Louis Borloo, de plus en plus, nous essayons, à travers les maisons de l'emploi, de rendre les actions menées cohérentes au travers d'une stratégie territoriale. A ce sujet, nous avons eu beaucoup de débats avec la ministre Mme Christine Lagarde. Celle-ci a compris l'intérêt de notre démarche et la loi votée en janvier 2008 a concrétisé la réflexion commune que nous avons eue avec elle. Ce texte s'est traduit, en effet, par l'inscription des maisons de l'emploi dans une loi relative à l'emploi.

Ce travail n'entre pas en contradiction avec la fusion, en cours et qui demandera certainement plus de temps que prévu, de l'ANPE et de l'UNEDIC. J'en parle d'autant plus volontiers que j'avais lancé cette proposition de rapprocher les deux structures en 1982, lorsque j'étais ministre de l'emploi. Ce rapprochement a eu du mal à se concrétiser. Il a lieu enfin et ne s'oppose pas, au risque de me répéter, avec une stratégie territoriale de l'emploi.

Pourquoi faire des maisons de l'emploi le lieu de cohérence recherché ? Il y a à cela plusieurs raisons :

D'abord les PLIE ont montré leur efficacité.

Tout le monde conviendra que le service public de l'emploi français est celui qui est le plus éclaté en Europe. La recherche d'un lieu de cohérence nous apparaît donc indispensable.

Les PLIE, en travaillant avec les élus locaux qui disposent d'une parfaite connaissance de leur terrain, ont la possibilité d'apporter des réponses différentes et adaptées à des problèmes variés. On ne réfléchira pas de la même manière à Dunkerque ou à Amiens, ces deux villes se caractérisant par des histoires et des contextes économiques différents. La mobilisation des élus, au regard de leur connaissance, est indispensable.

C'est par le biais d'une telle démarche qu'il est possible d'accomplir un travail précis avec les responsables économiques. Ce travail est amorcé. Il doit permettre d'essayer de répondre aux besoins des intervenants économiques et de prévenir, autant que possible, les difficultés potentielles. A cet égard, nous pêchons souvent par manque de prospective.

Quel est cet espace de cohérence, le lieu recherché pour établir le dialogue entre les services publics de l'emploi et l'UNEDIC ? Pour nous, il s'agit du bassin d'emploi. Ce dernier, s'il ne fait pas référence à un espace administratif, constitue un espace de cohérence pouvant coïncider avec le territoire d'une municipalité ou d'un EPCI. Nous avons le souci de rechercher le lieu le plus homogène et le plus cohérent, où le contact avec les élus, souvent présidents de PLIE ou de maisons de l'emploi, et avec les partenaires économiques (chambres de commerce, artisanat, services) peut se dérouler dans des conditions optimum.

Il y a là une évolution qui me semble positive. Les choses bougent et nous sommes très conscients de l'importance des débats que nous avons eus avec Mme Christine Lagarde. Celle-ci nous a beaucoup écoutés, comme en témoigne le contenu de la loi adoptée.

Le problème est que bien souvent l'exclusion représente la traduction de phénomènes extrêmement complexes, liés au poids au poids de traditions, de situations sociales, de caractéristiques des territoires, soit un ensemble de données impossible à négliger.

Il est nécessaire de prendre en compte aussi la très faible mobilité des personnes en situation d'exclusion. De fait, nous sommes amenés à avoir un regard plus attentif et critique sur les systèmes de formation professionnels, représentant pour nous un champ énorme à explorer.

Nous devons également avoir un regard plus prospectif sur l'emploi et son évolution. Pendant longtemps, j'ai travaillé dans les domaines de l'organisation et de la formation pour une grande entreprise américaine.

Nous savons aujourd'hui que l'emploi évolue à un rythme très rapide, selon des cycles allant de trois à quatre ans. Dans la société actuelle, il devient essentiel de briller par ses capacités d'adaptation et d'avoir une stratégie territoriale en matière d'emploi, laquelle conduit à s'interroger sur la nature de la gouvernance à instaurer. Il faut avoir le courage de mettre ce sujet sur la table et de rappeler qu'il est possible de rapprocher les structures si nous en faisons l'effort.

La volonté, très claire, consiste à affirmer la nécessité de s'intéresser aux parcours d'insertion. Je sais qu'il y a eu la tentation de sous-traiter le placement des personnes en situation d'exclusion. Mais cette tentation n'est pas bonne. Ce qu'il faut faire est se pencher sur les parcours d'insertion des publics dans le besoin.

Voilà les quelques messages dont je souhaitais vous faire part au nom d'Alliance Villes Emploi.

Mme Brigitte BOUT, Présidente - Merci beaucoup de votre intervention. Vous avez beaucoup insisté sur la notion de parcours d'insertion. Celle-ci est essentielle dans la recherche de solutions. Je laisse la parole à M. Bernard Seillier, notre rapporteur. Il a beaucoup de questions à vous poser.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Je connais depuis un certain temps l'association Alliance Villes Emploi et l'excellent travail qui s'y accomplit. J'ai découvert le rôle essentiel des missions locales et que, derrière la structure d'ingénierie et de soutien au développement des plans locaux d'insertion et d'emploi que constitue Alliance Villes Emploi, se cache beaucoup de militantisme. Cette association ne repose pas sur une démarche institutionnelle. Elle incorpore, par sa nature juridique, une forme de militantisme, de détermination et donc d'efficacité. Elle est composée de volontaires et non de responsables élus par des textes et qui assurent plus ou moins les missions qui leur ont été confiées.

Sans faire injure à mes collègues, je souhaite que nous rappelions ce que sont les PLIE. Auparavant, je voudrais vous remercier pour la documentation importante que vous nous avez fournie. Nous nous plongerons dedans avec intérêt.

J'ai trois questions à vous poser. J'ai bien noté la distinction qui existe entre la politique de l'emploi menée au niveau local et celle qui a lieu à l'échelon national. Néanmoins, je suis intéressé par savoir si le Président de l'association Alliance Villes Emploi a des idées pour améliorer les politiques de l'emploi et la lutte contre l'exclusion et la pauvreté en France. Ce sujet est au coeur de l'actualité. L'idée d'instaurer un contrat unique, que je défends, refait surface. Comment jugez-vous, au regard de votre expertise, les politiques nationales conduites dans les secteurs de l'emploi et de la lutte contre l'exclusion ? Enfin, votre association mène-t-elle une politique spécifique dans les zones urbaines sensibles ?

M. Jean LE GARREC - Mme Marie-Pierre Establie complètera ma réponse. Les PLIE sont des structures dont le financement est assuré par des fonds européens, hélas en diminution, et par ses adhérents, soit des collectivités. Le mot de militantisme que vous avez employé me plaît beaucoup. Car l'association est constituée d'une toute petite équipe qui fournit un travail énorme. Elle compte, si je ne me trompe pas, sept personnes en interne.

Mme Marie-Pierre ESTABLIE - Cinq en fait.

M. Jean LE GARREC - Il s'agit de cinq salariés, rémunérés pour leurs compétences certes. Mais il leur est demandé beaucoup et sur chacun pèse une surcharge de travail qui nous inquiète beaucoup.

Les PLIE ont pour objectif de s'occuper de populations citoyennes rencontrant des problèmes pour trouver un emploi et souvent non inscrites au chômage. Seulement 31% des personnes reçues dans les PLIE sont connues de l'ANPE. La baisse du chômage n'est pas discutable. Mais elle ne rend pas compte de la situation de l'emploi. Comme je l'ai indiqué à Mme Christine Lagarde, environ 1,5 millions de personnes ne figurent pas dans les statistiques du chômage.

Les PLIE se donnent pour mission de réaliser le bilan de compétences des publics que leurs envoient des associations, des Villes et divers autres acteurs ; les résultats de ce bilan servant à prendre des mesures en termes d'accompagnement et à résoudre des problèmes ne relevant pas directement de l'emploi, mais pouvant être sociaux, liés à la santé, etc. Tous les élus présents ici qui tiennent une permanence savent ce qu'il en est. Je n'invente rien.

Les PLIE vont alors assurer le suivi des personnes dont elles s'occupent jusqu'à leur insertion au travers d'une activité professionnelle, celle-ci devant durer au moins six mois. Pour une personne, sortir d'un PLIE signifie que celle-ci a trouvé un emploi ou un contrat de professionnalisation de plus de six mois. Bien entendu, nous utilisons, dans le cadre de nos missions, les instruments mis à disposition par l'Etat.

Concernant la politique de l'Etat, je ne parlerai pas de tout ce qui relève de la croissance. Je plaide pour une continuité des politiques nationales. Rien n'est plus exaspérant et inefficace de détruire, au fur et à mesure des gouvernements, ce qui a été construit auparavant, sans qu'un bilan ou une évaluation n'en ait été fait. Cette remise en cause permanente des politiques nationales constitue une plaie. J'en parle d'autant plus volontiers que j'y ai participé en tant que ministre de l'emploi et Président de la commission des affaires sociales. Il est nécessaire de mettre un terme à ce travail de sape, d'autant plus que nous avons, notamment à Alliance Villes Emploi, à tenir informé l'ensemble des acteurs des politiques nationales en faveur de l'emploi. Il est indispensable qu'il y ait une certaine continuité dans celles-ci et d'évaluer tout dispositif mis en place. Je prends un exemple. La contribution Delalande pénalisait les entreprises qui se séparaient des salariés âgés de plus de cinquante-sept ans. Elle a été supprimée sans qu'aucun bilan n'en ait été établi et maintenant nous constatons que la France connaît le taux de chômage, pour les personnes de plus de cinquante-sept ans, le plus fort d'Europe. Je ne dis pas que la contribution Delalande représentait une bonne ou mauvaise mesure. Mais elle avait servi à pointer un problème.

Il est primordial que les actions commises au niveau national répondent à une certaine continuité, d'avoir une pérennisation des systèmes de financement et des contrôles pour vérifier leur bonne utilisation, notamment s'agissant des financements européens.

M. Jean DESESSARD - M. le Président, il faut garder ce gouvernement pendant combien de temps encore pour avoir une pérennité dans les actions menées ?

M. Jean LE GARREC - Nous rappellerons ce besoin d'avoir une continuité dans les politiques nationales à tous les gouvernements qui se succèderont à l'avenir. Je ne peux pas répondre à votre question, n'ayant pas d'opinion sur le sujet. En revanche, j'en ai une concernant la mise en place éventuelle d'un contrat unique. Je suis contre la multiplicité des contrats. Toutefois, étant donné la diversité des situations, il est nécessaire d'avoir de la souplesse, de pouvoir s'adapter à des réalités sociales, à une histoire. Le chômage de masse est né en 1980. Il a une histoire et a eu pour conséquence que les problèmes d'emploi des parents se sont traduits dans les comportements de leurs enfants. Quand on demande à des jeunes ce qu'ils feront plus tard, certains répondent qu'ils seront chômeurs, comme leur frère ou leur père. Compte tenu de cette histoire, il est indispensable de pouvoir agir avec une certaine souplesse, tout en limitant cependant le nombre de dispositifs contractuels.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - C'est pourquoi j'ai plaidé pour l'instauration d'un contrat unique comportant des clauses uniques et constantes, relatives à l'accompagnement et à la durée, mais relativement souple.

Mme Marie-Pierre ESTABLIE - Dans le cadre du Grenelle de l'insertion notamment, nous réfléchissons beaucoup à l'instauration de ce contrat unique et des propositions ont vu le jour en la matière dans les trois groupes de travail créés à l'occasion, l'un traitant de la gouvernance, un autre des relations avec les employeurs, le dernier des parcours professionnels. Ces propositions ont donné lieu à la rédaction d'un document et elles ne nous laissent pas sans interrogation, notamment si nous les rapprochons de la nécessité d'avoir une continuité dans les dispositifs de prise en charge.

Faut-il mettre en place un contrat unique ? Il s'agit d'une vraie question. Des contrats comme les contrats de professionnalisation n'ont pas du tout été développés en direction des publics adultes. Cette décision est regrettable car ce contrat de professionnalisation représente un excellent contrat, tout comme pourrait l'être le contrat d'avenir, plutôt dédié aux adultes en grandes difficultés, s'il était accompagné de modules de formation. Tous les publics qui bénéficient du RMI pourraient être remis sur les rails de l'emploi dans le cadre de ce contrat, valable pour quatre ou cinq ans. Fondamentalement, pour tous les acteurs de terrain, il est incompréhensible que nous ne puissions pas trouver d'accord pour mettre l'accent sur ces contrats, les Régions, responsables de la formation, n'ayant pas forcément accepté de les développer alors qu'elles avaient soutenu les emplois jeunes. Ces derniers contrats, par leur absence d'accompagnement en matière de formation, s'approchaient des contrats d'avenir.

Cette situation est regrettable, comme nous pouvons le constater à l'aune des débats actuels sur la gouvernance. Pour créer un PLIE ou une maison de l'emploi, il est nécessaire d'avoir des partenaires constitutifs, une gouvernance obligatoire entre la collectivité porteuse, l'Etat, l'agence et l'UNEDIC, voire le conseil régional et le conseil général. Au fond, ce qui nous semble important dans le cadre du Grenelle de l'insertion, est de définir, sur les territoires, un contrat de territorialisation qui porterait l'ensemble des politiques que chacun des acteurs voudrait développer. Voilà ce qui ressort de nos travaux réalisés au sein des PLIE ou des maisons de l'emploi. Nous vous avons remis un dossier un peu fourni. Il recense l'ensemble des chiffres relatifs aux PLIE. Nous sommes la seule association en France à avoir mené une analyse qualitative et quantitative depuis 2000. Le document vous retrace les six années d'activités des PLIE, aussi bien en termes qualitatifs, avec la mise en lumière des bonnes pratiques, que quantitatifs. Le seul document que nous ne vous avons pas transmis concerne les clauses à respecter pour la passation des marchés publics, par faute de moyens. Mais vous pouvez trouver ces renseignements en ligne sur notre site Internet.

Ce travail mené au niveau territorial n'est pas simple, car il exige que les acteurs daignent partager des missions communes.

Les PLIE ont inventé la notion de référent de parcours, chaque référent assurant le suivi de 100 à 120 personnes en moyenne dans ces structures, étant unique mais pas seul puisque travaillant parfois avec des partenaires dans les domaines périphériques à l'emploi. Le travail fourni sur le parcours d'insertion conduit jusqu'à la médiation dans l'emploi. Nous avons découvert, au fil des années, qu'il ne suffit pas de trouver un travail à une personne. Il faut aussi l'accompagner après son retour à l'emploi au travers de méthodes existantes et donnant de très bons résultats. Il s'agit notamment de la méthode IOD. Celle-ci a fait ses preuves et je ne comprends pas pourquoi elle n'est pas généralisée sur l'ensemble du territoire français. Je parle franchement, mais j'ai l'habitude, notamment du fait de mes origines, de dire ce que je pense.

Il existe des outils performants en France et je ne saisis pas les raisons qui nous conduisent à ne pas les généraliser plutôt que d'inventer sans cesse des politiques nouvelles.

M. Jean LE GARREC - Mme Marie-Pierre Establie, avec la compétence qui est la sienne, a apporté des compléments d'informations très utiles à ce que j'ai pu dire. Elle a fait une remarque sur le Grenelle de l'insertion et les dix propositions qui en sont ressorties. Très honnêtement, la lecture de ces dix propositions m'a mis en colère. Certaines d'entre elles sont d'ailleurs si incompréhensibles qu'elles mériteraient une traduction. De toute évidence, elles ont été rédigées par des personnes ne maîtrisant pas leur sujet.

Mme Marie-Pierre ESTABLIE - Concernant la politique de la ville, les PLIE en sont en général l'expression. Nous voyons à quel point ils ont participé à la définition des CUCS et se sont emparés du volet emploi des contrats urbains. Des questions se posent. Ainsi, le marché public qui vient d'être lancé dans le cadre du contrat d'autonomie des jeunes suscitent beaucoup d'interrogations sur le territoire. Deux logiques s'affrontent, comme peuvent en témoigner les acteurs avec la mise en oeuvre d'un autre marché public portant sur les prestations publiques de l'Agence nationale de l'emploi. Ce recours à prestataires par le biais de marchés publics aboutit à détruire le travail effectué par les nombreuses petites associations dans l'ensemble de la France avec des moyens relativement faibles. Il aboutira à casser le savoir-faire des associations, un savoir-faire fragile, souvent pointu, ne leur permettant pas de répondre à des appels d'offres d'importance, lesquels provoquent une grande émotion dans les missions locales.

Il semble que de nombreuses entreprises de travail temporaire s'apprêtent à répondre à l'appel d'offre concernant la gestion des contrats d'autonomie par des prestataires extérieurs. Cette situation nous surprend et nous ne comprenons pas quel est l'intérêt de mener une telle démarche qui s'est traduite par un échec en Allemagne, comme nous l'a souligné récemment un membre du consulat français de Berlin. Le risque est de s'apercevoir de cet échec seulement quand les bonnes pratiques auront été détruites.

Certes, des partenaires, comme tout le monde d'ailleurs, ont besoin d'améliorer leurs compétences et de se professionnaliser. Mais la passation de ces deux marchés publics risque de briser la dynamique des territoires. Nous inscrivons nos actions sur des espaces donnés et auprès de publics ciblés et la prise en compte de ces deux dimensions est essentielle, notamment s'agissant de la mise en place éventuelle du contrat d'autonomie pour les jeunes. Les missions locales subissent déjà des agressions de la part des jeunes. Si en plus elles ont à distribuer les 300 euros liés à ce contrat d'autonomie, que se passera-t-il ?

M. Jean LE GARREC - Nous pouvons nous référer à des expériences conduites par l'ANPE dans ce domaine, celle-ci ayant eu l'occasion de sous-traiter le placement des chômeurs.

Mme Brigitte BOUT, Présidente - M. Fischer, souhaitez-vous poser une question ?

M. Guy FISCHER - En effet. Je m'occupe d'un grand quartier populaire des Minguettes et l'avenir des dispositifs d'insertion suscite en moi beaucoup d'interrogations. Un PLIE couvre tout l'Est de l'agglomération où il existe, par ailleurs, des missions de l'emploi et des maisons locales. Comment ces structures seront-elles financées à l'avenir ? Je redoute que, par faute de moyens, elles disparaissent.

Nous accompagnons aujourd'hui les jeunes les plus éloignés de l'emploi et dont personne ne veut, des personnes incapables de retrouver un emploi par le biais des entreprises intérimaires. Nous ne savons plus quoi en faire. Du coup, une forte inquiétude et une grande colère sont en train de naître. J'ai le sentiment que des révoltes couvent et la suppression des CAE et OPCAE, dans ce contexte, m'inquiète beaucoup.

Nous avons parlé des maisons de l'emploi, des maisons locales et des PLIE. Mais leur financement est-il pérennisé ? La réponse est négative. Or, ces structures sont les seules à jouer le rôle de tampon social et à s'occuper des personnes les plus défavorisées, surtout depuis la fusion entre l'ANPE et l'UNEDIC. Comme vous êtes en contact avec le gouvernement, j'aimerais avoir votre vision de la situation. Je n'ai pas eu le temps de décrypter les 166 mesures proposées par le gouvernement pour restreindre les dépenses publiques. Mais celles-ci me préoccupent beaucoup.

M. Jean LE GARREC - Je ne peux que partager votre analyse. D'abord, les statistiques officielles en matière d'emploi ne rendent pas compte de la véritable situation. Je n'adresse pas ici un reproche au gouvernement. Car cet état de fait n'est pas nouveau. La décision de mettre fin à l'obligation de comptabiliser les chômeurs de plus de 55 ans n'a fait qu'évacuer un problème réapparu ailleurs.

Par ailleurs, nous sommes très conscients du besoin d'avoir de la cohérence. Je remercie Mme Christine Lagarde d'avoir pérennisé les maisons de l'emploi au travers d'une loi. Nous devons maintenant réussir à mobiliser l'ensemble des acteurs dans un seul lieu, très cohérent. Cette tâche ne sera pas facile, car il existe toujours une tendance à vouloir conserver l'existant.

Les jeunes dont vous avez parlé, M. le sénateur, sont le produit d'une histoire, très lourde et pesant énormément. Sans sa prise en compte, il existe un risque d'aggraver la fracture sociétale. Chacun d'entre nous le sait.

Mme Brigitte BOUT, Présidente - C'est ce que vous appelez le respect des parcours.

M. Jean LE GARREC - J'ai travaillé pendant longtemps dans le Pas-de-Calais.

Mme Brigitte BOUT, Présidente - Ce n'est pas les Minguettes, mais une région en proie également à de nombreuses difficultés.

M. Jean DESESSARD - Sa situation s'est améliorée. Maintenant on tourne des films dans le Pas-de-Calais.

M. Jean LE GARREC - Oui. Je me souviens du cas d'une jeune femme titulaire d'un diplôme d'ingénieur, qui avait des origines musulmanes et ne réussissait pas à trouver un travail. J'étais parvenu à lui trouver un poste, mais elle n'avait pas pu l'occuper, car elle n'était pas mobile en raison, notamment, du refus de ses parents de la voir partir. Cet exemple montre que chaque personne se caractérise par une histoire.

M. le sénateur, vous avez tout à fait raison. Une bataille est à mener pour obtenir la pérennisation des moyens. Par exemple, Alliance Villes Emploi, composée de 5 salariés, constitue une structure à la limite de la rupture, en particulier en raison de la baisse des fonds européens dont elle bénéficie. Mme Marie-Pierre Establie a découvert d'ailleurs qu'une partie de ces fonds européens, dont devait profiter la France, a été perdue. A quel montant s'élève cette perte ?

Mme Marie-Pierre ESTABLIE - Ces fonds ne sont pas encore complètement perdus. Mais il semble que la France ne soit pas en capacité de consommer 350 millions d'euros, ce qui représente à peu près 80% du montant d'une programmation complète pour les PLIE.

M. Jean LE GARREC - Et pourtant nous avons alerté les responsables sur ce problème !

M. Jean DESESSARD - Où l'avez-vous dit ? Pouvons-nous trouver cette information sur votre site ?

Mme Marie-Pierre ESTABLIE - Nous avons beaucoup alerté le gouvernement à ce sujet. De manière officielle, le problème a été signalé par la Commission européenne à Marseille en juillet 2007 au moment du démarrage de la programmation 2007-2013. Actuellement nous sommes en train de clôturer la programmation précédente 2000-2006. Ce travail prendra fin le 31 décembre 2008, date à laquelle chaque Etat membre de l'Union européenne devra avoir consommé la totalité des crédits européens du Fonds structurel pour l'emploi qui lui ont été accordés. Manifestement la France n'aurait pas dépensé 350 millions d'euros. Cette information a été communiquée à nouveau par la Commission européenne en novembre 2007 au Comité national de suivi des fonds structurels dont nous sommes membres ; celle-ci ayant précisé que les crédits non utilisés pourraient même atteindre la somme de 500 millions d'euros. Nous avons tenté d'obtenir une explication auprès de l'Etat et, pour l'heure, nous nous battons contre des murs. Nous n'avons obtenu aucune réponse aux réponses que nous avons posées sur le sujet. Nous en avons parlé lors du Grenelle de l'insertion dans le cadre d'un groupe de travail présidé par M. Laurent Hénart, lequel, suite à notre intervention, a demandé à M. Pierre Cardo de mener une mission pour en savoir plus. Or l'administration refuse de lui répondre.

Ce qui est surprenant est que la France annonce avec satisfaction qu'elle consommera 95% des crédits européens, en oubliant de préciser que les 5% restants représentent 350 millions d'euros. Cette somme correspond à 80% du coût d'une programmation de 200 PLIE sur une durée de 6 ans. Si elle avait été utilisée, 150 000 personnes auraient pu retrouver un emploi. Je parle en mon nom personnel. Mais cette situation est inacceptable.

M. Jean LE GARREC - Du coup, nous passons notre temps à rechercher des moyens pour fonctionner. Heureusement que les collectivités participent à notre financement. La situation évoquée par Marie-Pierre Establie est exaspérante et même scandaleuse.

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE - Ce problème remonte aux années 80. Ainsi, dans le cadre du XI e plan, il y avait bien une distinction entre les politiques nationales d'insertion, qui concernaient notamment tout ce qui relevait de l'insertion par l'activité économique, et les politiques décentralisées (RMI, contrats de ville, etc.). Si mes souvenirs sont bons, ce XI e plan date de 1993.

M. Jean LE GARREC - De quel plan parlez-vous ?

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE - L'objectif de ce plan était d'articuler les politiques nationales et les politiques locales d'insertion. Quinze ans plus tard, les processus de prises de décisions posent toujours autant de problèmes. Certaines d'entre elles ont lieu au niveau national et ne sont pas adaptées aux réalités locales, à celles des territoires. De fait, nous butons sur des difficultés insurmontables. Par exemple, dans le domaine des parcours d'insertion, des acteurs s'étaient regroupés dans le cadre des programmes PAC et TRACE pour mener à bien des projets permettant de construire des parcours d'insertion pour des jeunes. Je suis membre du Parti socialiste, à la tête de la mairie d'Anglet, ville située dans le pays basque et appartenant à une communauté d'agglomération locale. J'y ai en charge le Groupement interprofessionnel de développement social urbain (GIPDSU) et je viens de découvrir que son président est aussi président de la mission locale, du PLIE et de la maison de l'emploi, en cours de création. Trouvez-vous que ce cumul de fonctions est logique ou empêche tout lien avec l'ensemble des partenaires de la communauté d'agglomération ?

Enfin, comme vous l'avez indiqué, il est absolument nécessaire d'avoir une continuité dans les actions menées et d'assurer la pérennisation des systèmes de financement.

M. Jean LE GARREC - Que la même personne soit présidente du PLIE et de la maison de l'emploi représente plutôt une bonne chose, non ? Ce cumul de fonctions garantit une sorte de cohérence et il ne me choque donc pas du tout. Bien au contraire.

Le message que je souhaite transmettre est que nous héritons d'une histoire rude et lourde, dont tout le monde est acteur, et qu'il faut définir des lieux de cohérence, tout en agissant avec une certaine souplesse. Comme vus l'avez souligné, les salariés d'Alliance Villes Emploi font preuve d'un grand militantisme. Il n'est pas possible d'intervenir dans ce domaine de l'insertion sans faire preuve de militantisme, comme nous l'avons indiqué dans le manifeste de notre association.

Par ailleurs, il est indispensable de ne plus faire d'économies de bouts de chandelles en supprimant des dispositifs ayant prouvé leur efficacité et, comme il a déjà été dit, d'avoir une certaine continuité dans les politiques mises en place. Par exemple, le programme TRACE a été abandonné alors qu'il avait donné de bons résultats. Ce changement permanent d'angles de tirs est inefficace, démobilisateur, coûteux, en somme désastreux pour notre pays.

Avec notre petite équipe et un tissu d'élus très investis, nous menons la bataille pour améliorer la situation des personnes en voie d'exclusion. Elle nécessite d'aller au-delà des clivages politiques, l'engagement de plus de partenaires possibles à nos côtés et le soutien, bienvenu, de la haute-assemblée.

M. Paul BLANC - J'ai deux ou trois remarques à formuler. Ma première remarque porte sur la consommation des Fonds sociaux européens (FSE). Le fait que les crédits européens n'aient pas été utilisés entièrement par la France n'est pas nouveau. Il s'agit d'un problème récurrent. Je pratique les programmes européens depuis des années et nous n'avons jamais été capables de consommer tout l'ensemble du FSE. Il existe peut-être une méconnaissance de l'administration française à l'égard du FSE ou une facilité de sa part à solliciter des crédits ailleurs, auprès de l'Etat notamment. Peut-être trouve-t-elle que l'élaboration des dossiers pour demander des crédits sociaux européens exige trop de temps ? Cette situation est regrettable et même dramatique.

Ma deuxième remarque a trait aux petites associations qui agissent dans le domaine de l'insertion. Je partage tout à fait ce que vous avez dit sur le sujet et je m'offusque de l'envoi, par l'administration centrale, de circulaires dans laquelle elle en appelle la disparition des petites structures.

M. Guy FISCHER - Par des appels d'offres ?

M. Paul BLANC - Même pas. Cette demande s'explique uniquement par le fait que la fin des petites structures faciliterait le travail de l'administration centrale. Il est plus facile pour une personne qui gère un budget d'accorder des crédits à une association qui s'occupe de plusieurs établissements plutôt qu'à une structure en charge d'un seul établissement. L'administration centrale réclame, par le biais de circulaires, le regroupement des associations. Je m'insurge contre cette volonté. J'ai eu l'occasion d'en faire part à plusieurs reprises. Mais pour l'instant, j'ai prêché dans le désert.

Ma troisième remarque est relative à la pérennisation des structures. Si celle-ci est nécessaire, il faut veiller, toutefois, à ce que certaines structures ne profitent pas de la certitude d'avoir toujours les financements nécessaires à leur fonctionnement pour ne pas faire grand chose. Je suis donc favorable à ce qu'il y ait une certaine visibilité de leurs actions et à la mise en place de conventionnements pendant des durées de 2 à 3 ans, lesquels seraient prolongés ou pas en fonction du résultat de l'évaluation de leurs activités.

M. Jean LE GARREC - Je reprends à mon actif les deux mots que vous avez employés : contractualisation et évaluation. Nous nous efforçons de mettre en oeuvre ces deux mesures. Nous sommes en train de mettre l'accent sur l'évaluation. Mais encore faut-il qu'on nous aide à la mettre en place ! La maison de l'emploi peut être un lieu pour fédérer les outils territoriaux. Nous nous battons pour qu'elle le devienne. Ainsi, nous avons réuni, en décembre 2007, 203 directeurs de maison de l'emploi à Nîmes pour avoir avec eux un débat très riche. Nous sommes en discussion permanente avec eux, sur la base de notre vision très technique de la situation, celle de Mme Marie-Pierre Establie. Toutefois, nous devons aller plus loin. A ce titre, les missions parlementaires ont un rôle essentiel à jouer. Nous avons besoin de leur capacité d'écoute et de leur soutien.

En l'absence d'évolution notoire, la cassure sociale actuelle s'agrandira et risque d'aboutir à une immense colère.

M. Jean DESESSARD - Vous avez parlé d'évaluation. Comment se fait-il que le ministère des affaires sociales ou le ministère de l'emploi n'ait pas consommé ces 350 millions d'euros. Il faudrait au moins que nous interpellions le ministre concerné par le sujet ou le ministre en charge de la réforme de l'Etat pour en savoir plus en la matière. Pour en avoir fait l'expérience, il est très compliqué de remplir les dossiers pour solliciter le Fonds social européen. C'est pourquoi il serait opportun de mettre en place un service au niveau de l'Etat, composé d'une à deux personnes et qui aurait pour fonction d'indiquer la manière de les constituer. L'ADEME, pour l'énergie, fonctionne plutôt bien, car elle renseigne si besoin.

Il serait quand même bienvenu d'injecter ces 350 millions d'euros dans l'économie française.

Vos documents, en termes méthodologiques et de pédagogie, sont très bien conçus. Je souhaite vous en féliciter. Comme tout à l'heure, vous avez parlé de la méthode IOD, j'ai consulté votre document pour en savoir plus sur ce dispositif et j'ai lu, à la page 41, que celui-ci a été mis en place à Brest et non à Bordeaux, comme vous l'avez indiqué. Qu'en est-il exactement ?

Mme Marie-Pierre ESTABLIE - La méthode a été inventée par une équipe bordelaise, appelée Transfer, qui la vend ailleurs. Le PLIE de Brest, comme d'autres structures, en ont fait l'acquisition et la mettent en oeuvre.

M. Jean LE GARREC - Je souhaite émettre deux ou trois remarques. Je partage ce que vous avez dit et tous les problèmes que vous avez soulevés seront relayés, par nous, auprès du nouveau ministre de l'emploi. Nous continuerons la bataille. Le champ des possibles est donc encore ouvert.

Vous avez eu raison d'indiquer combien il est difficile de constituer les dossiers relevant du FSE. Ce travail est un art subtil que l'administration française manie avec beaucoup d'expérience. Ce qui est complexe est moins lisible et parfois les choses sont rendues moins visibles pour permettre à certains de garder un pouvoir.

M. Paul BLANC - Pourquoi faire compliquer quand on peut faire inextricable ?

M. Jean LE GARREC - En effet. La formule est très bonne. Je la retiens. Nous essayons, pour notre part, de rendre la lecture de nos documents simple. Mme Marie-Pierre Establie, pouvez-nous dire quel a été le nombre de visites de notre site informatique ?

Mme Marie-Pierre ESTABLIE - Il y a presque 300 000 visites sur notre site par an.

M. Paul BLANC - Il correspond à presque 1 000 visiteurs par jour.

M. Jean LE GARREC - Un résultat obtenu avec une équipe constituée de cinq personnes seulement !

Mme Marie-Pierre ESTABLIE - Et le soutien d'un réseau ! 80% des PLIE adhèrent à l'association. Sur les 227 maisons de l'emploi labellisées, 183 ont signé des conventions s'accompagnant de financements et 150 adhèrent à Alliance Villes Emploi. Notre site Internet, développé au cours des dernières années, réunit toutes les bonnes pratiques. Il est ouvert à tout le monde, pour une partie, et réservé aux adhérents, pour une autre partie où sont recensées, sous forme de fiches actions, les bonnes pratiques ; notre but étant que le plus grand nombre de structures se les approprient pour les voir se développer sur l'ensemble du territoire. C'est de cette manière que nous pouvons professionnaliser les acteurs. Je suis très surprise par leur manque de formation en général. Il existe un manque de financements pour les formations, même si certaines structures adhèrent à des OPCA. Pour l'heure, nous ne nous sommes jamais réellement penchés sur ce problème. On considère que, puisque nous sommes des êtres humains, nous sommes capables d'accompagner d'autres êtres humains. Cette vision est fausse.

M. Jean LE GARREC - J'ajoute que le métier est très difficile. D'ailleurs, rien n'est plus difficile que de tenir une permanence dans un milieu populaire. Si nous n'assurons pas une continuité de carrière aux personnels en charge de l'insertion en leur offrant des formations adaptées, ils réagiront mal un jour ou l'autre, dans dix ans ou avant.

Mme Marie-Pierre ESTABLIE - Il s'agit d'un enjeu important.

M. Jean LE GARREC - Dont nous ne parlons jamais.

Mme Odette HERVIAUX - Je partage beaucoup des idées que vous avez avancées, notamment celle consistant à mettre en place des lieux de cohérence, ce qui suppose de régler en amont tous les problèmes de gouvernance qu'un tel projet ne manquera pas de poser. A ce titre, je souhaite vous faire part de l'expérience que j'ai vécue sur mon territoire rural, en Bretagne dans le centre du Morbihan. Il y a une dizaine d'années, nous avons essayé, dans ma région, de faire travailler ensemble tous les acteurs en charge de l'insertion et de la remise à l'emploi dans le cadre de la mission locale. Les élus ont été alors partie prenante de cette initiative qui a finalement réussi après beaucoup de soucis, liés au fait notamment que l'ANPE et la mission locale n'utilisent pas le même logiciel de traitement des données, que le travail avec les associations locales dans le domaine de la santé n'a pas été facilité par la Sécurité sociale, etc.

Nous sommes parvenus à donner des habitudes de travail communes aux élus et à cette mission locale et tout naturellement, lorsque la maison de l'emploi a vu le jour, c'est elle qui a concrétisé tout le travail entrepris en amont par l'ensemble des partenaires.

Tous les outils mis en place nécessitent de savoir comment ils seront gouvernés et de quelle manière les élus pourront en assurer le suivi. Quand on travaille au niveau d'un pays, avec un délégué par commune adhérente, il est possible d'établir la distinction entre le travail de représentation de l'élu et celui des personnes en charge d'effectuer l'accompagnement. Il y a besoin de clarification et de préconisations dans ce domaine.

M. Jean LE GARREC - Ce que vous avez présenté montre ce qu'il faut faire. C'est dans ce sens-là que nous devons tous aller. Mais ce cheminement est difficile. Vous avez évoqué le manque de cohérence des outils informatiques utilisés sur le terrain. Du temps où j'étais ministre de l'emploi, les systèmes informatiques de l'ANPE et de l'UNEDIC n'avaient aucune entrée commune. Cette situation, ahurissante, m'avait conduit à lancer une mission et je me rappelle que le Président de l'UNEDIC de l'époque, M. Bergeron, m'avait répondu que l'Etat se mêlait de ce que ne le regardait pas. Il avait fallu que je tienne bon pour permettre à ce dossier d'avancer.

Vous avez parlé de pays. Il est vrai qu'en Bretagne, l'espace de cohérence représente souvent le pays et non le bassin d'emploi. Il ne faut pas avoir une vision figée dans ce domaine. C'est avec les élus et les collectivités qu'il faut rechercher l'espace de cohérence le plus adapté. Le fait d'utiliser le mot pays ou bassin d'emploi, expression usuelle, ne me pose aucun problème. L'important est d'être efficace et de garantir à nos actions une certaine marge de souplesse.

M. Brigitte BOUT, Présidente - Il s'agira de votre conclusion. Merci de votre intervention.

Audition de M. Jacques FREYSSINET, Président du conseil scientifique du Centre d'études de l'emploi - (8 avril 2008)

Mme Brigitte BOUT, Présidente - Nous accueillons M. Jacques Freyssinet, Président du conseil scientifique du Centre d'études de l'emploi. Pourriez-vous nous rappeler en une dizaine de minutes quelles sont les missions de cette structure ? Après quoi, les sénateurs présents vous poseront des questions.

M. Jacques FREYSSINET - Merci Madame la Présidente. Je serai très bref pour nous permettre d'avoir une discussion la plus longue possible ensemble. Par ailleurs, le sujet abordé est tellement vaste que mon sujet introductif sera forcément caricatural. Je souhaite vous indiquer quels sont mes thèmes de travail et mes champs de compétences, à propos desquels vous pourrez m'interpeller.

Je suis économiste, professeur émérite à l'université Paris I et en mesure de vous parler de trois expériences menées dans le domaine dans lequel vous travaillez. D'abord, j'ai fait partie de l'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion sociale où j'ai été plus spécialement en charge de tout ce qui relève des relations entre le marché du travail et l'accès à l'emploi, d'une part, et la pauvreté et l'exclusion, d'autre part.

Par ailleurs, j'ai eu à animer, au sein du Conseil national d'informations statistiques, un groupe de travail qui, en préparant un rapport sur le niveau de vie et les inégalités sociales, s'est demandé quels sont les indicateurs pertinents pour rendre compte des phénomènes d'inégalités. Enfin, au Centre d'études de l'emploi, je m'intéresse aux travaux effectués sur les sujets que vous traitez dans le cadre de cette mission. Le Centre d'études de l'emploi représente un établissement public placé sous la double tutelle du ministère de la recherche et du ministère de l'emploi. Il a pour but d'éclairer les pouvoirs publics et les acteurs économiques et sociaux dans le domaine du travail et de la protection sociale, et d'évaluer les politiques publiques, tout en mettant l'accent sur les liens qui existent entre le système de protection sociale, le marché du travail et les dispositifs d'insertion.

Voilà donc dans quels domaines je suis capable de répondre à vos questions.

De plus en plus, depuis le sommet de Lisbonne, celui de Nice et la mise en place de la méthode ouverte de coopération pour la lutte contre l'exclusion sociale qui ont suivi, l'hypothèse selon laquelle, pour les gens aptes au travail, l'accès à l'emploi représente le chemin royal menant à la sortie de la pauvreté et la garantie contre le risque d'exclusion prend corps. Ce postulat guide de nombreuses recherches à l'heure actuelle. Or, l'accès à l'emploi constitue une condition nécessaire mais pas suffisante pour se prémunir de la pauvreté. Il s'agit d'une condition nécessaire, car l'accès à l'emploi renvoie au droit à l'emploi reconnu par notre constitution à tout citoyen. Toute personne apte au travail et désireuse d'exercer une activité doit se voir reconnaître ce droit et pouvoir obtenir un emploi convenable.

Toutefois, deux phénomènes conjoints font que cette condition est de moins en moins suffisante pour sortir de l'exclusion. Le premier phénomène a trait au développement des emplois précaires et des bas salaires. De fait, il n'est plus suffisant d'avoir un emploi pour quitter la pauvreté et même l'exclusion, comme en atteste l'existence des travailleurs pauvres qui peuvent enchaîner les emplois à court terme sur une longue période. Selon une enquête de l'INSEE, près d'un tiers des personnes sans domicile fixe travaille.

Le deuxième phénomène correspond à la transformation de la composition des familles. Autrefois, il y avait des structures familiales relativement standard, fortement sexistes mais adaptées au système de protection sociale qui s'étendait du chef des familles jusqu'aux ayants-droits. Aujourd'hui les familles sont beaucoup plus fréquemment éclatées, voire monoparentales, et sont, dans ce contexte, beaucoup plus touchées par l'exclusion. Les observations montrent ainsi que les familles monoparentales sont très fortement menacées par la pauvreté et que les ménages sans emploi deviennent de plus en plus nombreux.

Ainsi, en raison de ces deux phénomènes, l'accès à l'emploi, objectif qu'il reste nécessaire d'atteindre, ne constitue plus une assurance de sortir de la pauvreté et de l'exclusion, s'il ne s'accompagne pas d'un travail décent ou, selon l'Union européenne, de qualité.

Voilà Mme la Présidente ce que je souhaitais dire en introduction. Il vaut mieux que mon intervention s'arrête là pour permettre au débat de s'engager.

Mme Brigitte BOUT, Présidente - Merci beaucoup. Je donne la parole à M. Bernard Seillier, notre rapporteur.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - M. Freyssinet a abordé le sujet des indicateurs de manière très succincte. Pouvez-vous nous indiquer, dans ce domaine, quelles sont les méthodes à suivre et s'il faut s'orienter vers des indicateurs synthétiques ?

S'agissant de la mise en place éventuelle d'un organisme référent, je milite pour que l'observatoire devienne cette passerelle faisant le lien entre la communauté scientifique et la société civile ; le but étant de ne pas affadir la rigueur scientifique tout en permettant à chacun de comprendre ce qu'est la pauvreté et l'exclusion et la manière dont elles évoluent.

M. Jacques FREYSSINET - Je risque, en parlant des indicateurs, de vous lasser tellement il y a à dire sur le sujet. J'essaierai, dans ma réponse, d'être assez bref.

L'idée actuelle et très partagée selon laquelle la mise en place d'indicateurs résoudrait tous nos problèmes m'inquiète un peu, car il n'est pas possible de maîtriser tous les phénomènes en nous référant uniquement aux indicateurs car ceux-ci, par définition, appauvrissent la réalité. En même temps, il est nécessaire d'avoir des références objectives indiscutables pour empêcher les gens de dire tout et n'importe quoi. Il y a besoin de caler le débat social sur des données quantifiées et fiables, c'est-à-dire produites par des organismes indépendants et soumises au débat critique. Il n'existe pas de vérité scientifique, mais une méthode scientifique pour élaborer des grandeurs sujettes à la pression sociale.

J'essaie d'être bref dans mes réponses. Mais si mes propos sont trop schématiques, n'hésitez pas à me reprendre.

Les indicateurs représentent un terme générique. En fait, il existe de multiples types d'indicateurs, remplissant chacun des fonctions différentes. Aussi il est tout à fait dangereux de les confondre. Certains indicateurs ont pour objectif de décrire certaines caractéristiques les plus essentielles d'une situation dans la mesure où celle-ci peut être quantifiée. Ils sont le diagnostic, le reflet d'une réalité sociale.

D'autres indicateurs renvoient à des objectifs que se donne un gouvernement ou toute autre instance pour mobiliser des énergies. Ils sont alors appréciés en fonction de cette valeur mobilisatrice.

Il existe aussi des indicateurs d'évaluation de l'efficacité d'une politique. Si un gouvernement peut se donner un objectif qui sera atteint dans le cadre d'une conjoncture économique favorable, encore faut-il savoir en quoi sa politique aura contribué à l'atteinte de cet objectif. Il est nécessaire d'effectuer un travail de classification pour le savoir. Tous les objectifs peuvent être utiles. Mais il ne faut pas les confondre. Il existe, d'un côté, un indicateur politique et, de l'autre côté, un indicateur d'évaluation de l'efficacité des politiques publiques.

Par ailleurs, dès que nous parlons d'indicateurs, il devient indispensable d'accomplir un arbitrage entre la pertinence de la qualité de l'indicateur et sa lisibilité dans le débat social. L'indicateur de pauvreté ancré dans le temps constitue un indicateur typique en la matière. Il est possible de discuter de sa pertinence d'un point de vue méthodologique. Mais il est difficile d'en percevoir la signification, cet indicateur revenant à mesurer 60% du revenu médian à une date donnée, fixée en fonction de l'inflation...

Cet instrument peut-il servir de socle à un débat démocratique ? Cette question se pose aussi pour l'indicateur permettant de calculer le nombre de travailleurs pauvres. Faire comprendre à la population qu'un travailleur pauvre constitue une personne ayant été au moins présente sur le marché du travail pendant la moitié de l'année, ayant exercé un emploi au moins pendant un mois au cours de la même période et appartenant, néanmoins, à un ménage situé en dessous du seuil de pauvreté n'est pas simple. Cette définition française du travailleur pauvre se différencie de celle retenue par l'Union européenne.

Il existe donc, pour des indicateurs, un arbitrage à effectuer entre leur sophistication technique et leur lisibilité sociale, l'une ne pouvant aller avec l'autre.

Concernant la mise en place d'un indicateur synthétique, nous en avons beaucoup débattu au sein du CNIS. Celui-ci devait présenter les besoins des utilisateurs à l'attention de l'appareil statistique. Pour lui, un indicateur statistique est forcément le fruit d'une pondération entre différentes formes d'inégalités (santé, éducation, logement, revenu, etc.) et cette pondération a un caractère politique, éthique, mais pas statistique. A nos yeux, les statisticiens ne peuvent fournir un indice synthétique, sauf si une autorité légitime (parlement, conseil économique et social...) effectue ce travail de pondération. Je défends la position du rapport. Mais il n'existe pas d'indicateur synthétique sur une base purement objective. Celui-ci est forcément le reflet de préférences sociales qu'il faut afficher : par exemple, accorder deux fois plus d'importance aux inégalités face à la santé qu'aux inégalités face au logement. Ces préférences ne relèvent pas d'un jugement d'expert, mais d'un jugement politique.

S'agissant des organismes référents, je suis très attaché à leur existence, à condition qu'il n'y ait pas d'ambiguïté sur leur rôle. Ils ne se situent pas au-dessus de la mêlée et ne sont pas chargés de dire la vérité. La définition que vous avez donnée de l'observatoire constitue tout à fait à ce qu'il essaie d'entreprendre, à savoir mobiliser l'ensemble de l'état des connaissances et stimuler la recherche, puisqu'il a les moyens financiers de le faire, de façon à fournir, dans le cadre du débat social, des données dont la fiabilité ne sera pas discutée. Dans cette perspective, il est très important de maintenir l'indépendance de ce type d'observatoire et de lui fournir des moyens pour fonctionner, après avoir défini clairement son rôle. Il ne peut, par exemple, se confondre avec le Conseil que vous présidez, ce dernier s'alimentant des travaux de l'observatoire.

M. Charles REVET - J'ai une question à vous poser. Elle concerne votre propos liminaire. Avez-vous des suggestions à faire pour améliorer l'accès à l'emploi ? Beaucoup d'entreprises, notamment du secteur du bâtiment, ont des difficultés à trouver du personnel. En même temps, même s'il a diminué, le taux de chômage reste élevé dans notre pays et des personnes sans emploi pourraient occuper les postes à pourvoir qui ne trouvent pas preneurs.

Pouvons-nous accélérer les procédures de traitement, en particulier dans le domaine du logement ? Nous savons que, plus nous attendons pour intervenir auprès d'une famille en difficulté, plus nous aurons du mal à l'aider à refaire surface. Dans le même esprit, ne serait-il pas souhaitable d'accélérer le versement des aides en matière de logement (APL) pour les personnes en difficulté ? De telles mesures permettraient d'aider les personnes en situation de pauvreté ou d'exclusion de s'en sortir.

M. Jean DESESSARD - Mme la Présidente, je souhaiterais poser une question complémentaire, allant dans le prolongement des interrogations soulevées par M. Charles Revet. A l'aune des indicateurs en votre possession, existe-t-il vraiment des offres d'emplois non satisfaites, des postes que les gens ne veulent plus occuper pour des raisons physiques ou psychologiques, un manque de formation interdisant aux personnes de tenir certains emplois ?

M. Jacques FREYSSINET - Je déclare forfait pour répondre à la question portant sur le logement, n'étant pas compétent sur le sujet.

S'agissant de votre première question, pendant six ans, j'ai été président du conseil d'administration de l'ANPE et je peux vous dire que cette instance s'interroge souvent pour savoir quel est le moment pertinent de son intervention. Les politiques d'intervention auprès des demandeurs d'emploi sont apparues à la fin des années 70 et au début des années 80 pour aider certains d'entre eux, plongés dans un chômage de longue durée, à retrouver un emploi. Or, très vite, il nous a été reproché d'intervenir trop tard, au motif qu'une intervention efficace s'apparente à une intervention immédiate. Le problème est qu'entre un tiers et deux tiers des personnes qui s'inscrivent à l'ANPE parviennent à retrouver un emploi, par leurs propres moyens, dans un délai de deux à trois mois. Aussi, si nous intervenons très tôt, nous aurons un énorme flux à gérer et, par conséquent, nous réduirons le temps consacré à chaque chômeur. Nous pensons préférable de concentrer les efforts sur les personnes qui éprouveront de réelles difficultés à retrouver un travail ; d'où la nécessité de procéder au profilage des demandeurs d'emplois. Mais est-il possible, dès leur inscription à l'ANPE, d'établir le profil des chômeurs de manière à nous permettre d'identifier ceux qui courent le risque de connaître une longue période sans activité ? De nombreux pays s'y sont essayés. La France s'y met à son tour. Toutefois, les expériences montrent qu'il reste très difficile d'obtenir un profilage fiable des personnes au moment de leur inscription à l'ANPE. Ainsi, plusieurs des pays qui avaient mis en place des systèmes pour détecter les chômeurs de longue durée potentiels les ont abandonnés. Il s'agit notamment des Pays-Bas et du Danemark. En France, il a été constaté qu'entre la moitié et deux tiers des résultats du profilage effectué par l'UNEDIC ne sont pas confirmés par les conseillers techniques de l'ANPE ; preuve de l'énorme difficulté à identifier la fragilité potentielle d'un demandeur d'emploi.

Quant à votre dernière question, il n'est pas simple d'y répondre. Il se pose d'abord d'un problème d'indicateur. Nous utilisons souvent comme indicateur de mesure le nombre des demandeurs d'emploi inscrits en fin de mois à l'ANPE. Or cet indicateur est très mauvais. En effet, après l'inscription d'une offre d'emploi sur ses registres, l'ANPE se met au travail, contacte un certain nombre de personnes susceptibles d'occuper le poste à pourvoir, présente leurs dossiers à l'employeur qui effectue une présélection parmi eux, avant de recevoir les candidats retenus pour un entretien. Inévitablement, quel que soit la qualité du placement, tout processus d'embauche exige du temps, entre quelques jours et plusieurs semaines. Par conséquent, de manière mécanique, il existera toujours un stock de chômeurs et celui-ci sera d'autant plus grand que le marché de l'emploi sera actif. Autrement dit, le nombre de demandeurs d'emploi inscrits en fin de mois à l'ANPE ne peut représenter un indicateur pertinent. Le bon indicateur est celui qui mesure la durée d'écoulement du stock de chômeurs.

Les observations montrent combien il est compliqué de se faire rencontrer les offres et des demandes de travail pour les postes demandant des personnes, soit hautement qualifiées, soit peu diplômées ; d'où la nécessité d'adapter l'appareil de formation et de mettre l'accent sur celle-ci pour avoir une sorte de modèle vertueux, avec des entreprises profitant d'avoir des salariés plus qualifiés pour développer leurs activités et ainsi faire appel à de nouveaux demandeurs d'emplois.

Pour les emplois qui, à juste titre ou en raison de stéréotypes, ont mauvaise réputation, il est difficile d'analyser comment se construisent les représentations du travail. Elles sont en partie objectives - chacun sait que les salaires ne sont pas élevés et les horaires de travail élastiques dans la restauration - et en partie moins fondées : les conditions de travail sont jugées éprouvantes dans le secteur du bâtiment alors qu'elles ne le sont pas forcément. C'est pourquoi il est nécessaire de procéder à un travail d'information sur les métiers et, pour les employeurs, d'améliorer les conditions de travail qu'ils proposent quand celles-ci ne sont pas bonnes. La question, à l'arrière-plan, est de savoir si le service public de l'emploi doit exercer des pressions, des contraintes, voire même appliquer des sanctions pour les personnes qui refuseraient des emplois considérés comme étant décents, convenables, par celui-ci. Elle exige une réponse politique et de se demander quelle est la définition de l'emploi convenable. Depuis des années, aucune réponse concrète n'est apportée à cette question abordée à plusieurs reprises pourtant, notamment dans le cadre des négociations pour le renouvellement de la convention UNEDIC et de l'élaboration de la loi Borloo.

Il est à noter, cependant, que des employeurs ont tendance à rechercher le mouton à 5 pattes, des personnes ayant toutes les qualités : mobilité, compétence, disponibilité, amabilité, etc. Ils finissent par déposer leurs offres d'emploi à l'ANPE uniquement quand ils ne parviennent pas à trouver l'oiseau rare. Autrement dit, l'ANPE récupère toute une série d'offres d'emplois que les employeurs, directement, n'ont pas réussi à pourvoir. Le fonctionnement du marché du travail fait que se déverse, sur l'ANPE, des offres d'emplois que les autres intermédiaires sont incapables de satisfaire et auxquelles elle aura du mal à répondre elle-même.

M. Guy FISCHER - M. le Président, vous avez insisté sur cette demande un peu folle d'avoir des indicateurs, lesquels permettraient d'évaluer la réalité de manière précise à partir de données fiables et quantifiées.

Un sujet me préoccupe. Il s'agit de l'institutionnalisation de la précarité, une partie de plus en plus grande de la population gagnant entre 500 et 1 000 euros de revenus. Cette explosion de la précarité représente le phénomène majeur et marquant nos sociétés postindustrielles. Quel est votre avis sur le sujet ?

M. Jacques FREYSSINET - J'aimerais éviter de donner une réponse simpliste. Nous assistons à un phénomène paradoxal. En effet, depuis plus de vingt ans, au regard des statistiques de l'INSEE, 85% des salariés, issus aussi bien du secteur public que de la sphère privée, jouissent d'un contrat à durée indéterminée.

M. Jean DESESSARD - Sur 22 millions de personnes environ ?

M. Jacques FREYSSINET - 16 millions en fait. Je ne parle ici que des salariés. En même temps, l'analyse des flux montre que deux tiers des recrutements concernent des emplois précaires. Autrement dit, nous percevons un phénomène, non pas de précarisation générale de l'emploi, mais de segmentation croissante des statuts de l'emploi avec une focalisation de la précarité sur une partie relativement peu importante de la population qui enchaîne des périodes de chômage et d'emplois de courte durée. Cette situation touche beaucoup les seniors, les jeunes non diplômés et les femmes, de moins en moins cependant, qui retournent sur le marché du travail après avoir consacré plusieurs années de leur vie à l'éducation de leurs enfants.

L'emploi constitue une notion individuelle, un attribut de l'individu alors que la pauvreté correspond à un attribut du ménage. Cette réalité rend l'analyse des situations difficile. Par exemple, souvent nous confondons les personnes à bas salaire et les travailleurs pauvres. Or il s'agit de deux catégories de population presque disjointes. En effet, les salariés avec un faible niveau de rémunération sont surtout des personnes employées à temps partiel et massivement des femmes. Mais les femmes travaillant à temps partiel ne peuvent survivre que si elles appartiennent à un ménage où il existe un autre revenu que le leur. Par conséquent, elles ne sont pas, en général, des travailleuses pauvres.

Les travailleurs pauvres sont ceux qui font partie d'un ménage où il n'existe pas de salaire ou un faible revenu, du niveau du SMIC, avec lequel doit vivre une famille nombreuse. C'est la raison pour laquelle les liaisons entre la précarisation de l'emploi et les phénomènes de pauvreté et d'exclusion sociale sont complexes à analyser. Elles sont évidentes, mais pas mécaniques. Toute personne qui touche un bas salaire n'appartient pas à une famille vivant dans la pauvreté et inversement, un individu travaillant à plein temps sur la base du SMIC peut constituer un travailleur pauvre s'il a une famille nombreuse vivant sur son seul revenu.

Je ne suis pas sûr d'avoir répondu entièrement à votre question.

M. Brigitte BOUT, Présidente - M. Bernard Seillier, rapporteur, a demandé la parole.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Dans le cadre de vos fonctions, vous vous êtes intéressé à l'évaluation des politiques publiques. Je suis donc amené à vous poser une question. Comment jugez-vous les politiques menées en matière de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale et ne serait-il pas temps de les faire évoluer, de manière à ce qu'elles s'apparentent moins à des formes de bricolage ?

Nous avons l'impression, par ailleurs, que l'ensemble des politiques continuent à considérer la pauvreté et l'exclusion comme des phénomènes conjoncturels alors qu'il s'agit de données structurelles, liées à la structuration des marchés. Il me semble nécessaire d'adopter une autre approche, plus ambitieuse. Qu'en pensez-vous ?

M. Jacques FREYSSINET - Tour d'abord il serait essentiel de pouvoir disposer d'une instance d'évaluation scientifique indépendante. J'ai fait partie effectivement du Conseil scientifique de l'évaluation des politiques publiques. Cette structure a fonctionné pendant six ans. Il a été décidé d'y mettre un terme, car elle a été jugée indésirable en raison de ses analyses souvent dérangeantes. Selon la tradition française, l'Etat ne peut être jugé par des soi-disant experts, eu égard à sa légitimité. Ce point de vue n'est pas faux. Mais l'expertise autonome sert à donner les bases d'un jugement évaluatif, relevant de la responsabilité de l'homme politique. En l'absence de ces bases, il est possible de dire à peu près tout et n'importe quoi.

Il y a eu plusieurs tentatives, au niveau aussi bien du Sénat que de l'Assemblée nationale, d'évaluer les politiques de l'Etat.

Il me semble clair que l'évolution des formes de régulation économique au niveau mondial est génératrice d'insécurité, d'instabilité. Il s'agit d'un mouvement structurel, lourd, dans lequel les politiques publiques doivent s'insérer. Tout l'enjeu est de mettre en place des mécanismes garantissant aux personnes et aux familles des bases de sécurité permanente dans le cadre de trajectoires professionnelles marquées par une exigence de mobilité. Ce modèle est celui de la flexsécurité, un terme souvent ambigu mais constituant la seule réponse possible aux évolutions en cours. S'il est possible bien sûr de le critiquer, il serait naïf de vouloir remettre en cause le système économique mondial qui s'impose comme une réalité durable.

Dans cette perspective, l'idée de fond consiste à savoir comment il est possible, par le biais de politiques structurelles, d'offrir de la sécurité aux individus dans leurs trajectoires individuelles et pour les membres des familles. Les personnes se sentiront protégées contre la sécurité si elles savent que les mécanismes mis en place sont stables. Elles ne doivent pas croire à chaque instant que les droits dont ils bénéficient peuvent être remis en question. Il est indispensable de rendre ceux-ci pérennes.

M. Jean DESESSARD - Dans mon esprit, la flexsécurité consistait à permettre aux entreprises de licencier et d'embaucher plus facilement, charge à l'Etat d'assurer la sécurité financière et sociale des personnes. Vous semblez dire qu'il n'en est pas forcément ainsi.

Par ailleurs, je tiens à faire observer que le système français repose sur une contradiction. Il encourage en effet la mobilité, tout en empêchant les personnes, qui ont démissionné de leur emploi pour se former ou se tourner vers une autre activité, d'avoir droit aux allocations chômage.

M. Jacques FREYSSINET - J'ai insisté sur le concept de flexsécurité, car il est utilisé à tout-va au niveau européen alors qu'il ne constitue pas un indicateur précis. Dans ce système, la sécurité financière et sociale des personnes peut être apportée par l'Etat, les collectivités territoriales mais aussi dans le cadre des négociations collectives. Les Assedic, par exemple, représentent le produit d'une négociation collective soumis à l'agrément de l'Etat.

Il est tout aussi dangereux, pour une personne, de dépendre totalement, pour sa sécurité, de son employeur, que d'accords collectifs engageant l'ensemble des organisations signataires.

Le refus de verser des Assedic aux personnes démissionnaires s'explique par la peur d'inciter les gens à ne pas rechercher du travail. Toutefois, des démissions peuvent être légitimes et bientôt, avec l'accord de séparation volontaire, introduit par la loi du 11 janvier, toute interruption du contrat de travail obtenant l'aval du patron et du salarié donnera le droit à ce dernier de toucher les allocations chômage, qui seront les mêmes que dans le cas d'un licenciement.

Mme Brigitte BOUT, Présidente - Nous vous remercions de votre intervention.

Audition de Maître Denis CHEMLA, Président de l'association Droits d'urgence - (8 avril 2008)

Mme Brigitte BOUT, Présidente - Maître Denis Chemla, nous sommes heureux de vous accueillir et vous demandons de présenter en quelques minutes votre association. Après quoi, nous vous poserons un certain nombre de questions.

M. Denis CHEMLA - Je m'appelle Denis Chemla : je suis avocat et président d'une association baptisée Droits d'urgence, créée en 1996 par moi-même et d'autres juristes (avocats, magistrats, juristes d'entreprises, etc.). Cette association regroupe tous les types de professionnels du droit et d'ailleurs j'ai l'habitude de dire, pour plaisanter, qu'il s'agit d'un des rares lieux où les avocats et les magistrats se parlent.

Elle est née d'un constat partagé par beaucoup de personnes : les situations de grande pauvreté sont susceptibles d'apparaître à la suite d'un incident de parcours, par exemple d'une rupture de droits. Ainsi, la perte d'un emploi ou d'un logement peut conduire une personne à se retrouver à la rue. C'est pourquoi les professionnels du droit que nous sommes avons voulu mettre en place un mécanisme pour prévenir des situations de grande précarité et les traiter quand il est trop tard pour les éviter. Pour ce faire, partant du principe que les personnes confrontées à l'exclusion ne viendront pas d'eux-mêmes à notre rencontre et ne franchiront pas les portes, souvent intimidantes des palais de justice, nous avons décidé de travailler main dans la main avec d'autres associations qui nous avaient précédés sur le terrain en matière de lutte contre la pauvreté, telles que Médecins du Monde et Emmaüs, et de tenir des permanences gratuites dans des lieux gérés par ces mouvements et dans lesquels peuvent intervenir d'autres spécialistes que des juristes : des psychologues, des médecins et des travailleurs sociaux.

Notre association repose sur le bénévolat. Environ 350 bénévoles, en grande partie des avocats et des juristes domiciliés à Paris, la composent. Ils s'ajoutent à une quarantaine de salariés embauchés à temps plein, lesquels occupent des emplois d'un nouveau type, qui n'existaient pas par le passé, des emplois de juristes spécialistes de l'accès aux droits et du monde de la vulnérabilité et de la précarité. Il y a quelques années, nous nous sommes servis, pour nous développer, de l'opportunité de faire appel à des emplois jeunes. Mais ce dispositif n'existant plus, nous avons appris, à travers le temps, à ne plus solliciter d'emplois aidés et à rechercher nos propres financements pour fonctionner et pérenniser notre quarantaine d'emplois.

Notre champ d'activités est aujourd'hui très vaste. Bien sûr nous nous efforçons toujours de lutter contre l'exclusion et la pauvreté. Mais nous nous attachons beaucoup aussi à traiter la vulnérabilité, touchant les personnes pas assez pauvres pour tomber dans la grande pauvreté, mais pas assez riches pour pouvoir vivre normalement. Par nos conseils, nous nous sommes beaucoup orientés vers ce type de population en créant, principalement à Paris, avec le soutien de la Ville, des points d'accès aux droits. Ils sont pour l'heure au nombre de trois, situés dans le 18 e , le 20 e et le 13 e arrondissements. Ces lieux représentent des sortes de boutiques du droit, des lieux où les personnes peuvent se rendre pour parler de leurs problèmes juridiques auprès d'un primo-accueil qui les renvoie vers un juriste ou un avocat, selon la nature de leur problème (droits de l'homme, logement, discrimination, droit pénal, etc.).

Nous nous sommes intéressés également à la prison, un monde où les prisonniers continuent à vivre et à avoir des droits. Je ne parle pas ici des conditions pénitentiaires, mais des cas de prisonniers qui subissent une saisie sur leur compte et ne peuvent faire face en raison de leur incarcération, ce qui augure mal de leur réinsertion dans la société. Nous travaillons avec les services de la probation et de l'insertion et le ministère de la justice et, avec leur accord, nous avons créé des points d'accès au droit au sein des établissements pénitentiaires, notamment de la Santé et de Fresnes où nos juristes tiennent des permanences gratuites en direction des prisonniers confrontés à une saisie sur salaire, un divorce, un problème de logement, etc. Notre souhait est de préparer leur réinsertion.

Nous sommes présents, par ailleurs, dans certaines structures, notamment la chambre de médiation locative pour prévenir les expulsions. Dans cette perspective, nous avons mis en place, avec la préfecture de police et le groupement des huissiers, un mécanisme chargé de centraliser les assignations reçues à Paris à des fins d'expulsion. Il faut savoir que 65% des locataires ne se présentent pas aux audiences d'expulsion où il est décidé, pourtant, de leurs droits au logement. Nous avons instauré un dispositif pour essayer de prévenir ce genre de situation. Il se traduit par la délivrance de conseils aux locataires et la mise en place de médiations avec les bailleurs. Nous tentons de préserver ce qui peut être préservé et d'éviter aux personnes de perdre leur logement quand elles ont le droit de le conserver.

Notre association est très active et spécialisée. Nous n'abordons la lutte contre l'exclusion que par le biais du droit. Nous ne ressemblons pas, en ce sens, à Emmaüs ou Médecins du Monde, même si nous collaborons avec ces grandes associations.

Notre action est beaucoup dirigée en direction des étrangers en situation irrégulière (40 à 50 % de la demande de droits à laquelle nous avons à faire). Elle concerne des personnes qui vivent en France depuis bien des années souvent et n'ont aucun droit. Nous arrivons parfois à les aider. Le type de soutien que nous pouvons leur apporter n'est pas très populaire. Mais nous l'assurons quand il est possible de le faire.

En résumé, nous intervenons dans beaucoup de domaines, souvent très techniques, et en lien, par exemple, avec le Conseil national de l'accès aux droits et le ministère de la justice. Sur le terrain, nous avons constaté une augmentation de la vulnérabilité et une permanence de la pauvreté.

Mme Brigitte BOUT, Présidente - Cette vulnérabilité correspond-elle à la précarité ?

M. Denis CHEMLA - Oui. Mais je préfère utiliser le terme de vulnérabilité. En fait, je distingue la vulnérabilité, la précarité et l'exclusion. La vulnérabilité est pour moi de la pré-précarité.

Mme Brigitte BOUT, Présidente - Elle se situe avant la précarité.

M. Denis CHEMLA - Il s'agit des personnes âgées qui vivent de plus en plus longtemps avec des revenus parfois ridicules au regard de la cherté de la vie, des retraités qui touchent des pensions peu élevées et ont de plus en plus de mal à joindre les deux bouts, des personnes qui ne sont pas éligibles à l'aide juridictionnelle mais n'ont pas les moyens de se payer les services d'un avocat. Il existe un trou dans le dispositif juridictionnel que nous essayons de combler.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Je souhaite vous poser trois questions. J'apprécie beaucoup le travail de votre association et sa présence au sein du Conseil national de la lutte contre l'exclusion et la pauvreté. J'aimerais savoir ce qui, dans votre pratique du droit au travers de votre parcours professionnel, vous a conduit à mettre le doigt sur cette nécessité d'offrir un accès au droit à des personnes de plus en plus nombreuses, comme l'illustre le développement de votre structure.

Le droit en lui-même et la législation vous paraissent-ils susceptibles d'être une cause de vulnérabilité, de précarité et d'exclusion ?

Enfin avez-vous pu expérimenter des mécanismes, des systèmes ou des solutions qui mériteraient d'être soutenus au travers de la législation et des dispositions contraignantes prises au niveau politique ?

M. Denis CHEMLA - Je suis avocat d'affaires et exerce au sein d'un cabinet ayant pour clients des banquiers et des entreprises multinationales. Par conséquent, mon parcours professionnel ne m'a pas conduit à être confronté à l'exclusion et la pauvreté. Ce qui m'a amené à avoir conscience des difficultés de la vie tient au fait que je suis né et ai vécu pendant toute mon enfance en Seine-Saint-Denis, à Epinay-sur-Seine très exactement, un lieu qui n'est pas réputé pour connaître une situation économique florissante. J'ai eu des fonctions associatives, en qualité de bénévole, dès que je suis devenu avocat, en apportant des conseils à des demandeurs de droits d'asile et des chômeurs par exemple. Il a été naturel pour moi d'exercer des missions en tant que bénévoles. Mais le but de notre association a été de sortir de ce strict bénévolat pour s'orienter vers une activité professionnelle, les conseils que nous apportons ne pouvant être donnés que par des juristes de qualité, professionnels.

Nous pouvons nourrir des sentiments ambivalents à l'égard du bénévolat. Certains peuvent penser, en effet, que nous soulageons notre conscience en nous occupant des bonnes oeuvres. Toutefois, il est essentiel que le bénévolat ne cache pas le besoin, très fort, en actions professionnelles. L'accès au droit des personnes en situation d'exclusion ne peut pas être assuré par le seul bénévolat. Je suis bénévole à tiers temps depuis 13 ans. Or, certaines des actions que je mène dans le cadre de l'association relèvent du service public.

Le droit est-il une cause d'exclusion ? Il est difficile de répondre à cette question. Il existe un arsenal législatif protecteur et, par notre histoire, des dispositifs sociaux plutôt avancés pour lutter contre l'exclusion dans ce pays. J'ai oublié de vous apporter un ouvrage que nous avons publié l'an dernier chez Dalloz. Il s'agit du code des droits contre l'exclusion, un document recensant l'ensemble des dispositions spécifiquement destinées à lutter contre la pauvreté et l'exclusion. Cet ouvrage est, malheureusement ou heureusement, assez épais et montre que nous disposons en France d'un arsenal législatif protecteur assez complet.

En même temps, le droit est une matière difficile. Mais ce qui est surtout compliqué est de permettre l'accès au droit. C'est le chantier sur lequel nous travaillons. Il ne faut pas multiplier les mécanismes d'accès au droit et créer de fausses attentes chez les gens en leur expliquant que le droit résoudra tous leurs problèmes. Cette affirmation est erronée. L'urgence est d'offrir la possibilité aux personnes en situation d'exclusion de mettre en oeuvre leurs droits de manière efficace, ce qui passe par une simplification du droit et d'un certain nombre de procédures. Pour certaines d'entre elles, liées aux divorces, décès, successions, obligations alimentaires et demandes d'aides juridictionnelles, pour lesquelles les dossiers à remplir sont très difficiles à comprendre, il est possible de faire l'économie d'un avocat. De manière générale, beaucoup de documents destinés à des personnes en situation d'exclusion et donc très souvent, avec peu d'éducation, sont abscons. Leur simplification me paraît nécessaire. Nous en parlons souvent au Conseil national de l'accueil juridique, sans guère de résultats pour l'instant.

Nous essayons de faciliter les démarches administratives et de mettre en place de nombreuses mesures d'accompagnement.

Mme Brigitte BOUT, Présidente - Il est vrai que parfois nous recevons des courriers de la préfecture bien difficiles à déchiffrer.

M. Denis CHEMLA - Même par moi.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - J'ai une question complémentaire. Vos relations avec la chancellerie ont-elles évolué au cours des dernières années ? Où en sont-elles aujourd'hui ?

M. Denis CHEMLA - Nous avons noté une attention de la chancellerie et de l'ensemble de la classe politique à la nécessité de faciliter l'accès au droit. Nous avons beaucoup travaillé avec la Ville de Paris, dans le cadre de la mandature de M. Bertrand Delanoë, mais aussi de celle de M. Jean Tibéri. Nous collaborons également avec d'autres municipalités. De manière générale, les élus locaux sont très enclins à développer des mécanismes d'accès au droit au service des administrés.

Il est plus difficile de travailler avec la chancellerie. D'abord, celle-ci dispose de peu de moyens financiers ; ses ressources sont comptées.

Ensuite j'ai le sentiment que le gouvernement et la ministre de la justice actuels sont moins sensibles au sujet que leurs prédécesseurs. Ainsi, contrairement à mes habitudes, je n'ai pas encore rencontré le nouveau Garde des Sceaux, Mme Rachida Dati. Par ailleurs, les travaux réalisés au sein du Conseil national juridique ne vont pas très loin et il est prévu de supprimer, au Ministère de la Justice, le service de l'accès au droit et de la politique de la ville. Je n'ai pas perçu d'hostilité de la part du gouvernement à l'égard de notre travail, mais pas d'engouement non plus. Je suis donc un peu inquiet. D'un autre côté, il ne faut pas se leurrer. La chancellerie n'a jamais été l'acteur majeur de la politique d'accès au droit, lequel représente les élus locaux, les conseils généraux, les communes et les conseils régionaux. Le gouvernement central accorde très peu de crédits dans ce domaine.

Mme Brigitte BOUT, Présidente - La loi Dalo sera une mine extraordinaire de recours à la justice.

M. Denis CHEMLA - Je n'ai pas connaissance de recours pour l'instant.

Mme Brigitte BOUT, Présidente - La loi est toute récente.

M. Denis CHEMLA - Je pense effectivement que cette loi suscitera de nombreux recours. Mais pour l'heure, rien n'a été prévu pour honorer ces recours. Je ne sais pas très bien comment les magistrats pourront les traiter.

Ces recours reviendront à assigner l'Etat et éventuellement à condamner celui-ci à offrir un logement. Mais chaque avocat sait qu'il n'y a pas de pire débiteur que l'Etat. Il est compliqué d'exécuter une condamnation contre l'Etat. J'ignore ce qui sera mis en place pour obtenir l'exécution du jugement obtenu.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Je connais un peu la loi DALO puisque j'en ai été le rapporteur. La solution retenue coûtera peu à l'Etat puisqu'elle consiste à payer une pénalité par le biais du fonds régional de péréquation pour le logement des personnes défavorisées. Un amendement, non retenu, proposait une obligation de loger ou d'indemniser celui qui déposait un recours. La seule crainte que nous pouvons avoir est qu'il se produise un embouteillage dans les tribunaux.

M. Denis CHEMLA - Ce mécanisme, au-delà des critiques qu'il suscite, traduit quand même une prise de conscience de l'existence d'un problème de logement en France. Par ailleurs, il a le mérite d'exister.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Absolument. J'ai été un rapporteur convaincu de cette loi. Avec son adoption, un mécanisme a été enclenché. Il aboutit à redonner ses droits aux élus, ceux-ci ayant pour rôle fondamental de s'assurer que l'ensemble des membres de leur collectivité soit logé. Nous avons affirmé ce principe par la loi DALO.

M. Jean DESESSARD - Vous êtes le Président de Droits d'urgence. Quel est l'adjoint de M. Bertrand Delanoë qui a proposé la création des trois points d'accès au droit à Paris ?

Pour vous, est-ce à l'Etat ou aux collectivités locales de prendre en charge le financement de ces lieux ? Enfin, vous nous avez indiqué avoir orienté votre action en direction des personnes sans papiers.

M. Denis CHEMLA - Nous n'avons pas orienté notre action dans cette direction. Seulement beaucoup de personnes sans papier nous rendent visite.

M. Jean DESESSARD - Nous avons l'avantage, en tant que parlementaires, de retenir l'attention de l'administration quand nous lui adressons le dossier d'une personne sans papiers, transmis dans nos mains par une association. Toutefois, je me suis aperçu qu'il existe une certaine exploitation de la misère dans ce domaine. Je reçois en effet, par mois, 7 ou 8 dossiers de personnes sans papiers, tous rédigés de la même façon et ne comportant aucune adresse. J'ai ai déduit qu'une agence fait payer les personnes sans papier pour remplir leur dossier. J'ai répondu à chaque courrier que je ne suis pas habilité à traiter les dossiers, tout en invitant leurs auteurs à prendre contact avec GISTI ou Éducation dans frontière. Je suis sûr que des gens paient pour avoir un dossier préparé. Que pourrions-nous faire pour remédier à cette situation insupportable ?

M. Denis CHEMLA - Les personnes en charge de la gestion des points d'accès au droit à la Ville de Paris sont le maire lui-même, M. Bertrand Delanoë, Mme Delphine Lévy, Mme Mylène Stambouli, en charge de l'exclusion, Mme Gisèle Stievenard, responsable des affaires sociales, et Mme Frédérique Calendra, alors médiatrice de la Ville de Paris. Le maire s'était engagé, dans son contrat de ville, à créer 5 points d'accueil de droit, une promesse réalisée.

Est-ce à l'Etat ou aux collectivités locales de prendre en charge ces lieux ? Je ne suis pas assez spécialiste des affaires publiques pour répondre à cette question. Je constate néanmoins que l'Etat ne s'investit pas dans ce domaine, ce que je regrette. Du coup, la cohérence nationale du dispositif n'est pas assurée et nous nous retrouvons avec des régions très pourvues et d'autres pauvres en lieux d'accès au droit. Les zones rurales, par exemple, ont grand besoin de ce type de structures.

D'un autre côté, les zones bien pourvues en points d'accès au droit en possèdent parfois trop, un trop grand nombre de dispositifs empêchant leur compréhension par chacun. C'est pourquoi il est nécessaire de mettre en place une politique de cohérence, comme le conseillait déjà le rapport Boucher il y a dix ans.

S'agissant des filières, celles-ci existent en effet. Des personnes paient pour obtenir leur dossier. Beaucoup d'entre elles proviennent de pays où il est d'usage de soudoyer les fonctionnaires et pensent qu'en donnant 500 euros à une employée de la préfecture, elles obtiendront des papiers. Comme vous l'avez souligné, des gens profitent de la faiblesse des autres.

Moi qui suis d'origine étrangère, j'ai l'habitude de dire que je ne sais pas comment ma famille pourrait obtenir des papiers si elle arrivait aujourd'hui en France. Des papiers d'identité représentent une sorte de sésame extraordinaire pour les personnes étrangère en situation irrégulière. Certaines d'entre elles sont prêtes à verser de l'argent pour les obtenir et elles sont trompées car elles ont une méconnaissance complète du système.

Nous recevons ces personnes. Malheureusement, nous ne pouvons pas les adresser aux autorités. Car lorsque nous le faisons, elles tombent parfois dans des pièges. Je connais le cas d'une femme qui a été battue par son mari de manière abominable et s'est retrouvée en garde-à-vue puis a fait l'objet d'une procédure d'expulsion après avoir osé porter plainte à la police contre son compagnon.

Des dispositifs permettent d'éviter ce genre de drame. Ils demandent la mise en place de réseaux, de points d'accès au droit et des contacts nourris avec le commissaire du quartier. Ainsi, une personne sans papier qui va porter plainte dans le commissariat du 18 e arrondissement de Paris ne fera plus l'objet d'une procédure d'expulsion. La raison en est que nous avons des contacts réguliers avec les responsables de ce lieu.

M. Guy FISCHER - Votre association comprend 45 salariés à temps plein. J'aimerais savoir comment elle se finance.

Bien souvent des associations comme les vôtres se sont substituées aux institutions pour agir dans les quartiers difficiles. De plus en plus de personnes ont pour seules ressources entre 500 et 1 000 euros par mois. Or cette explosion de la pauvreté fait que nous avons de plus en plus de difficultés à traiter les problèmes le plus en amont possible. De fait, les gens qui vous rendent visite sont de plus en plus étranglés.

M. Denis CHEMLA - Le problème le plus important concerne le logement. Le montant des loyers et les garanties demandées par les bailleurs sont tels qu'il est très difficile, pour beaucoup de personnes, d'accéder à un logis. Toutefois, il convient de distinguer plusieurs types de bailleur. Ainsi, un propriétaire qui a économisé toute sa vie pour s'acheter un studio et obtenir un complément de salaire peut se retrouver dans une situation difficile quand son locataire ne paie pas ses loyers. Celui-ci ne saurait être confondu avec un bailleur institutionnel. Il existe un problème de logement épouvantable dans ce pays.

Pour répondre à vos autres questions, en effet nous nous substituons à l'Etat. Pour autant, il n'y a plus de démission de la part des services publics dans la lutte contre l'exclusion et la pauvreté. L'administration avait une méconnaissance de ce sujet par le passé. Ce n'est plus le cas aujourd'hui et, de manière générale, les collectivités locales remplissent un rôle énorme pour permettre l'accès au droit. Il n'existe plus de démission de la part des puissances publiques locales. Celles-ci sont très impliquées à nos côtés, ce qui n'est toujours pas le cas de l'Etat.

Concernant notre financement, nos ressources viennent, pour 40%, de subventions publiques (DDASS, services du Premier ministre, ministère des affaires sociales) obtenues, la plupart du temps, sur la base de projets, pour 10%, de subventions privées et, pour 50%, de prestations que nous assurons pour les collectivités et pour lesquelles nous les facturons. La Ville de Paris a passé un marché public pour la gestion de ses lieux d'accès au droit. Ce marché nous a été attribué pour une durée de 3 ans. 50% de nos ressources proviennent de prestations réglées par les collectivités au titre de marchés publics.

Nous dispensons aussi un peu de formation, comme toutes les associations. Évidemment tous nos conseils sont donnés gratuitement, même si nos salariés ne constituent pas des bénévoles bien entendu. Il s'agit de juristes, titulaires d'un diplôme de troisième cycle en droit et qui touchent des salaires beaucoup moins élevés que ceux auxquels ils pourraient prétendre dans le secteur privé.

M. Jean DESESSARD - Tous les avocats ne roulent pas sur l'or.

M. Denis CHEMLA - En effet, surtout à Paris. Toutefois, notre déléguée générale, diplômée d'un DESS de droit social, aurait gagné beaucoup mieux sa vie si elle avait rejoint un grand groupe plutôt que l'association. Elle a effectué un choix.

Mme Brigitte BOUT, Présidente - Bravo pour votre action. Vous présidez une association qu'il est très intéressant de connaître.

Audition de M. Laurent CHAMBAUD, Inspecteur général des affaires sociales - (15 avril 2008)

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Nous avons le plaisir d'accueillir M. Laurent Chambaud, inspecteur général des affaires sociales. Notre invité a mené, en lien avec notre rapporteur, M. Bernard Seillier, une mission pour évaluer l'état actuel de la grande pauvreté et de l'exclusion. Dans ce cadre-là, il a été amené à auditionner un certain nombre de personnes ayant travaillé sur le sujet.

Je vous propose, M. Laurent Chambaud, d'intervenir pendant une quinzaine de minutes. Notre rapporteur, M. Bernard Seillier, vous posera des questions à l'issue de votre exposé.

M. Laurent CHAMBAUD - Merci Madame la Présidente. Je serai assez concis pour pouvoir répondre à l'ensemble des questions que vous vous posez.

Tout d'abord l'expérience que j'ai acquise, notamment au cours des deux dernières années, porte sur un domaine spécifique : les personnes confrontées à des situations d'extrême pauvreté et de précarité, notamment celles n'ayant pas de domicile.

J'ai eu l'occasion de m'intéresser à plusieurs reprises à cette matière, en particulier à l'automne 2006. Il m'avait été demandé, en effet, de réaliser une mission en urgence, suite à la première installation massive de tentes pour personnes sans domicile par Médecins du Monde en juin 2006. Suite à cette opération, une mission de médiation avait été requise à Paris, laquelle a donné lieu à la rédaction d'un rapport à laquelle j'ai participé.

A l'invitation de Mme la ministre Catherine Vautrin, j'ai poursuivi cette mission dans le but d'essayer de quantifier et de caractériser les publics en situation d'extrême pauvreté, dont nous n'avions alors qu'une connaissance très limitée. Certains estimaient le nombre de personnes sans domicile à 5 000, d'autres à un niveau inférieur. En fait, il n'existait aucun moyen d'évaluer leur masse ; d'où l'intérêt de l'observation statistique des personnes sans abri que j'ai menée à l'échelle de la France entière et du rapport que j'ai produit sur ce travail.

Par ailleurs, pendant six mois, de janvier à juin 2007, j'ai eu à remplir la fonction de secrétaire du comité PARSA (Plan d'actions renforcées pour les sans-abri), dont la mise en place s'est heurtée à un certain nombre de difficultés, mais s'est traduite également par un ensemble de dynamiques dont j'ai été témoin.

J'ai contribué, par ailleurs, à l'élaboration d'un autre rapport commandé par le préfet de Paris et portant sur l'identification et la prise en charge des personnes sans-abri atteintes de problèmes psychiatriques ou de troubles du comportement, le traitement de ce public étant loin d'être simple. En particulier, les personnes souffrant de problèmes comportementaux ne souffrent pas forcément en même temps de troubles mentaux, et inversement ; un certain nombre d'entre elles pouvant provoquer des problèmes sur la voie publique, même si elles ne représentent pas un danger pour elles-mêmes et pour autrui.

Enfin, je copréside, aux côtés de Mme de Fleurieu, dans le cadre de la conférence régionale sur l'hébergement, un groupe de travail chargé de réfléchir aux évolutions à apporter en Ile-de-France dans le secteur de l'hébergement, et aide M. Etienne Pinte dans l'accomplissement de la mission que lui a confiée M. le Premier Ministre.

Voilà quelle est mon expérience de la grande pauvreté et du problème spécifique que constituent les personnes sans-abri, notamment celles vivant en Ile-de-France et, plus précisément, à Paris. Si vous le souhaitez, je pourrais en dire plus sur les différentes missions que j'ai eues à effectuer.

Je souhaite maintenant, avant de répondre à vos questions, vous transmettre deux ou trois informations majeures tirées de mes travaux.

Le premier point sur lequel je tiens à insister est qu'à mon sens, toute politique de lutte contre la pauvreté et l'exclusion est à conduire sur la base d'un minimum de données objectives sur l'état de la situation des publics sans domicile fixe et de leurs besoins. Il est fondamental, pour tous les acteurs en charge de la lutte contre la pauvreté, d'avoir un diagnostic, un état des lieux de la grande exclusion. Ce diagnostic, malheureusement, n'existe pas toujours, même s'il est de plus en plus présent. Il doit être partagé par l'Etat et ses services - la lutte contre l'exclusion relevant de la compétence de l'Etat - mais aussi par les associations, lesquelles sont gestionnaires de la plupart des dispositifs mis en place, et enfin par les collectivités locales, le traitement de la précarité obligeant à s'intéresser à l'insertion de manière générale. Les actions mises en place fonctionnent d'autant mieux quand les relations entre les collectivités locales et l'Etat sont fortes, surtout au niveau des grandes agglomérations où la collectivité locale, la Ville, est impliquée, d'une manière ou d'une autre, dans l'accueil d'urgence des publics en situation d'exclusion.

Une autre nécessité est d'avoir une politique affichée et claire à l'attention de ces mêmes publics. Suite à la crise provoquée par les opérations des Don Quichotte, la Fnars (Fédération nationale des associations de réinsertion sociale) a organisé une conférence de consensus sur les personnes sans-abri. Il en est ressorti l'obligation de décider d'une politique sur le sujet, ce qui ne veut pas dire, pour autant, que rien n'a été entrepris auparavant. Bien au contraire. De nombreuses opérations en matière de lutte contre l'exclusion ont été déployées et, à travers le temps, sollicité des crédits de plus en plus importants au niveau national. Elles ont eu lieu surtout au travers de plans ayant consisté, dans un premier temps, à augmenter le nombre de places d'hébergement d'urgence, dans un deuxième temps, à rendre cette offre de places de meilleure qualité en la diversifiant. De fait, nous avons du mal, pour l'instant, à définir une politique forte dans ce domaine. C'est sans doute l'une des raisons pour lesquelles le Premier Ministre a demandé à M. Etienne Pinte de lui faire des propositions, lesquelles ont souligné la nécessité d'afficher la politique poursuivie, celle-ci ne pouvant être la même à Paris, dans une agglomération moyenne et dans des petites communes. La situation des personnes sans-abri varie selon les lieux où elles se trouvent.

L'avant-dernier point sur lequel je souhaite insister est que les sans-abri ne peuvent voir leur situation s'améliorer tant qu'il y aura des problèmes de logement. Aujourd'hui, nous observons la présence d'une sorte d'entonnoir avec, d'un côté, de nombreuses personnes en attente d'un logement et, de l'autre côté, des logements eux-mêmes engorgés par des individus en attente d'un logement indisponible et souvent social. C'est ainsi que des travailleurs pauvres ou ayant sollicité un logement social occupent des structures d'hébergement d'urgence, entraînant le blocage de la chaîne du logement en amont, auquel le PARSA, tel qu'il a été proposé par M. Jean-Louis Borloo et Mme Catherine Vautrin, n'a pas mis fin.

A mon sens, toute politique doit être conduite sur la base d'un minimum d'objectifs. Nous nous apercevons très souvent qu'il est essentiel de pouvoir compter sur un diagnostic de la situation et si possible partagé entre l'Etat et ses services, mais aussi avec les associations gestionnaires de la plupart des dispositifs mis en place.

Enfin, le dernier point sur lequel je souhaite insister est qu'il n'existe pas un public, mais des publics de personnes sans domicile et qu'il n'est pas possible de les traiter tous de la même manière. Elles ne constituent pas un stock, mais un flux, non pas figé, mais évolutif. Ainsi, des individus peuvent quitter l'extrême précarité pour y retomber par la suite en l'absence de solution dans la durée. Chaque public nourrit des besoins très différents. Par exemple, les jeunes errants appartiennent souvent à des groupes et font preuve de mobilité. Les sans-abri les plus difficiles à prendre en charge représentent les personnes en situation irrégulière. Nous avons du mal à leur proposer des solutions. Il faut savoir qu'en Ile-de-France, parmi les 10 000 chambres d'hôtel louées chaque nuit par l'Etat pour le compte des sans-abri, 8 000 sont allouées à des personnes en situation irrégulière, nécessitant des solutions singulières, leurs situations pouvant évoluer par ailleurs : elles peuvent vivre de manière isolée ou en famille notamment ; d'où la nécessité d'offrir une large palette de logements pour répondre à l'ensemble des besoins.

Les personnes sans-abri cumulent les problèmes. Ainsi, il leur est difficile d'accéder, non seulement au logement, mais aussi à l'action sociale, au travail et à la santé. Il est souvent compliqué de les soigner, car elles peuvent additionner plusieurs pathologies, ne sont pas assez suivies de manière permanente et perdure une grande méconnaissance de leur état psychiatrique.

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Nous vous remercions de votre intervention. A vous entendre, vous avez effectué des travaux poussés dans le domaine des statistiques. Pourriez-vous nous indiquer, au regard de ces derniers, si la pauvreté a évolué en France au cours des dernières années ? Les personnes sont-elles plus démunies et ont-elles moins de chance de se réinsérer qu'auparavant ?

La Fnars et les CHRS se battent pour mettre à disposition des logements d'urgence, étant entendu que le parcours pour obtenir un logement doit suivre des étapes. Mais pensez-vous que la loi SRU est bien adaptée au problème du logement en France ? Certains de ses articles pourraient-ils être mieux appliqués ?

M. Laurent CHAMBAUD - Il est difficile pour moi de répondre à votre première question. Comme je vous l'ai indiqué dans mon introduction, d'après la seule donnée à laquelle tout le monde se réfère, tirée de l'enquête de 2001, il existe 86 500 personnes sans-domicile. Des estimations apparaissent régulièrement pour quantifier cette population. Mais elles ne constituent que des évaluations et je ne peux faire davantage que les relayer. C'est pourquoi, dans le rapport dont je suis l'auteur, j'ai plaidé pour la mise en place d'enquêtes récurrentes pour suivre les évolutions de la pauvreté. Nous ne pouvons pas nous limiter à bénéficier d'une étude sur le sujet tous les dix ans. Ainsi, nous devons changer nos méthodes de travail pour avoir des tendances, dont nous sommes dépourvus pour l'instant.

Les observations montrent que les structures d'hébergement continuent à être engorgées et donc à subir une forte pression en Ile-de-France. Par ailleurs, la France est traversée par tous les mouvements auxquels est confrontée l'Europe, comme, par exemple, l'installation massive de camps de Tziganes. Les services de police savent très bien combien de Roms vivent en France. Nous avons néanmoins beaucoup de difficultés à leur offrir des logements dignes.

Dans les grandes agglomérations, le poids des personnes sans-abri, c'est-à-dire à la rue, peut se jauger à l'oeil nu. Si nous avons du mal à le quantifier, la réalité nous prouve toutefois qu'il n'a pas baissé. Je ne peux en dire plus. Il est clair que la pression exercée par les personnes sans-abri reste tout aussi intense que par le passé, même si elle ne touche pas toutes les régions de France de la même manière. A cet égard, Paris et l'Ile-de-France représentent un cas particulier, notamment concernant la situation des personnes étrangères. C'est souvent vers Paris, et plus généralement vers les grandes villes, que les populations de sans-abri convergent. Dans les petites communes, celles-ci souvent de passage et, à mon sens, il sera très difficile d'en mesurer le nombre en France. Tout ce que nous pouvons dire est qu'elle n'a pas diminué, notamment en raison du manque de logements. Il n'y pas de raison que la pression sur le logement baisse, surtout dans le contexte économique actuel.

S'agissant de votre deuxième question, nous avons, moi et une collègue de l'IGAS, servi d'appui au travail de M. Etienne Pinte dont les propositions sont claires. Elles consistent en une application stricte de la loi SRU, afin de faire disparaître les blocages existants. Ce texte législatif, qui impose aux communes d'avoir 20 % de logements sociaux sur leur territoire, est respecté dans certains endroits, mais pas dans d'autres malheureusement.

Je voudrais néanmoins moduler ce propos. En effet, la plupart des logements sociaux présentent des loyers inabordables pour les personnes en grande précarité, dont les moyens financiers ne leur permettent d'avoir accès qu'à des logements de type PLA-I. C'est pourquoi il faut mettre l'accent sur la construction de logements très sociaux, de manière à obtenir un parc de logements suffisant pour abriter les populations à revenus modestes, voire très modestes. La clé du problème se trouve là.

Il me semble nécessaire aussi de nous intéresser davantage aux maisons relais, une bonne solution pour l'ensemble des acteurs du logement, mais dont il m'apparaît opportun d'évaluer l'efficacité. En effet, d'après mes observations sur le terrain, le public hébergé en maison relais ne représente pas forcément celui qu'on s'attendait à voir dans ce type de structures dédiées normalement à des personnes à qui il est impossible, pour diverses raisons, de mettre à disposition un logement autonome dans le parc du logement social.

Cette appellation que constitue la maison relais est bizarre, puisqu'elle associe deux termes antinomiques : logement stable et relais. Elle renvoie à une sorte de lieu d'habitation provisoire proposé, pendant quelques mois souvent, à des personnes pour lesquelles on n'arrive pas à trouver un logement stable.

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Je vous remercie de votre réponse. Je passe la parole à notre rapporteur, M. Bernard Seillier. Je crois qu'il a beaucoup de questions à vous poser.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Merci. Je suis très intéressé, bien évidemment, par la mission qui a été confiée à M. Chambaud et qui nous permettra d'améliorer nos connaissances sur les populations en très grandes difficultés. Ses résultats pourraient d'ailleurs remettre en cause l'approche systématique adoptée en 1998 et consistant à accorder les mêmes droits à tous et à aborder l'ensemble des sujets (logement, éducation, santé, surendettement, travail, etc.) quand il s'agit de traiter la grande pauvreté. La diversité des publics en situation d'exclusion ne conduit-elle pas à revoir la loi de 1998 pour en garder la philosophie générale et à lui permettre de s'adapter aux contextes territoriaux ?

L'amélioration de la connaissance des personnes en grande précarité oblige à s'intéresser aux causes de leurs situations, à se demander si elles sont à la rue parce qu'elles n'ont pas trouvé de logement, subi un licenciement, un divorce, etc. Aussi ne faudrait-il pas privilégier les politiques préventives, délaissées jusqu'alors, et de quelle manière ?

M. Laurent CHAMBAUD - Concernant le besoin ou non d'actualiser la loi de 1998, mon sentiment est un peu partagé. Traiter de façon globale l'ensemble des problèmes que rencontrent les personnes en grande précarité représente sans doute une bonne chose. Car ceux-ci sont très imbriqués et ne peuvent être traités de façon isolée. De manière générale, l'action sociale ne peut être efficace si elle ne s'accompagne pas, en parallèle, d'une action dans les domaines de la santé et de la réinsertion. Comme je vous l'ai indiqué, il est difficile de quantifier la grande précarité, laquelle ne frappe pas les gens de manière stable et régulière. Ainsi, des personnes peuvent se retrouver à la rue, puis se réinsérer en tissant des liens de voisinage, avant de sombrer à nouveau. Il est donc impossible d'isoler la grande exclusion de la pauvreté en général. C'est pourquoi je n'ai pas préconisé, dans le rapport que j'ai rédigé, la création d'un observatoire spécifique dédié à la grande précarité. La mise en place de cet outil reviendrait, en effet, à consacrer une frontière, inexistante, entre la pauvreté et l'exclusion.

Comme l'a montré le rapport de la Cour des comptes et le travail effectué dans le cadre de la RGPP, il est indispensable de bien cerner les rapports entre l'Etat et les collectivités locales, notamment parce que la loi de 2004 a fait des acteurs locaux, et notamment des Conseils généraux, les responsables de l'action sociale de manière générale. Or, actuellement, les collectivités locales ont la possibilité, pour la prise en charge des personnes en grande précarité, de se tourner vers l'Etat, sous le prétexte, réel sur le plan juridique, qu'elles sont de sa responsabilité. D'ailleurs, beaucoup des individus alimentant les structures d'hébergement bénéficient du RMI et sont suivis par les travailleurs sociaux de la collectivité locale (Ville ou Conseil général) où ils résident. C'est pourquoi il est si important d'éclairer les liens qui existent entre l'Etat et les acteurs territoriaux, la loi de 1998 ne leur ayant pas permis de travailler ensemble.

Nous avons parcouru, jusqu'ici, la moitié du chemin. Il convient maintenant peut-être d'aller au bout de la logique en considérant que les collectivités locales sont responsables de l'ensemble des personnes en situation de précarité, de manière à avoir un cadre homogène, en particulier sur le plan financier. Nous savons très bien que le secteur de l'hébergement souffre d'un manque de crédits, abondés année après année. Par ailleurs, un certain nombre d'outils comme les crédits FSL ne sont plus aux mains de l'Etat, mais dans celles des collectivités locales.

La relation entre l'Etat et les Villes ou Conseils généraux pourrait être définie au travers d'un aménagement de loi contre les exclusions et de la loi sur la décentralisation.

S'agissant de la prévention, elle est essentielle, car elle représente la meilleure des thérapies, le moyen le plus sûr d'éviter aux personnes de se retrouver à la rue. Nous avons beaucoup discuté de ce sujet dans le cadre de la mission confiée à M. Etienne Pinte, notamment avec les associations, notre souhait étant de remédier aux difficultés actuelles rencontrées par différents publics. Notre idée serait de :

Permettre aux jeunes de ne plus sortir des dispositifs de l'ASE sans rien.

Préparer les prisonniers à leur remise en liberté. Aujourd'hui, ceux-ci sortent de prison en étant privés de repère et de travail, et en ayant parfois des soucis de santé, notamment des troubles psychiatriques.

De mettre davantage l'accent sur les sorties d'hospitalisation, en particulier psychiatrique, et ce malgré la mise en place des équipes de ville psychiatrie précarité. Celles-ci, à ce jour, n'interviennent pas tellement auprès des personnes au moment de leur sortie de l'hôpital, mais plutôt quand elles se retrouvent déjà à la rue. A notre sens, des mesures préventives doivent être instaurées dans ce domaine et être accompagnées d'études pour examiner si la politique hospitalière a conduit à accentuer les passages à la rue des personnes. Parmi les spécialistes en psychiatrie, certains répondent par l'affirmative, d'autres par la négative à cette question. Je n'ai pas d'avis définitif sur le sujet. Mais il est clair que la diminution du nombre de lits en psychiatrie n'a pas été compensée en totalité par une augmentation des places en médicosocial. Autrement dit, des individus, pas forcément souffrant de troubles psychiatriques prononcés, mais simplement fragiles, ne trouvent pas de remède à leurs problèmes.

Plus de prévention aboutirait à mettre un frein aux expulsions, notamment celles pour motif économique. Ce phénomène existe assez peu dans le parc de logements public. Mais il pèse beaucoup dans le parc privé. Les associations ont demandé un moratoire aux expulsions. Tout le monde n'est pas d'accord avec elles. En effet, l'instauration de cette mesure pourrait mettre un terme à la confiance entre les personnes ayant du mal à régler leurs loyers et les propriétaires de leurs logements. C'est pourquoi certains privilégient la solution consistant à sécuriser les loyers ou à favoriser l'intermédiation, très peu développée en France à ce jour. Une expérience en la matière a eu lieu à Rennes. Elle concerne plusieurs centaines de logements. A Paris, toute démarche dans le domaine de l'intermédiation est très compliquée, en raison du prix élevé du foncier. Pour moi, toute expulsion devrait être considérée comme un échec, sauf si elle frappe une personne de mauvaise foi. A terme, elle coûtera cher à la collectivité.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Je profite de votre présence pour vous poser une question subsidiaire. La création d'un pôle majeur consacré à la grande exclusion au niveau gouvernemental me semble une nécessité et un objectif vers lequel il faut tendre. Toute aggravation de la précarité et de l'exclusion sociale représente un échec de toute politique, celle-ci ayant pour finalité d'accroître la richesse et d'assurer la cohésion sociale dans un pays. Dans votre esprit, que devrait mettre en place le gouvernement pour lutter au mieux contre la pauvreté ?

M. Laurent CHAMBAUD - Il s'agit d'une question difficile et je ne suis pas sûr d'être le mieux placé pour y répondre.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Nous assistons à un éclatement des pôles en ce moment. Demain aura lieu la remise du rapport de l'Observatoire. J'y participerai. Mais nous ne savons pas encore si cette manifestation se déroulera dans les locaux de M. Martin Hirsch ou de Mme Christine Boutin. Nous savons quand aura lieu la remise du rapport, mais pas encore dans quel lieu.

M. Laurent CHAMBAUD - Je ne peux vous apporter qu'un éclairage très modeste sur le sujet, ne sachant pas très bien quelle configuration doit être celle du gouvernement pour être le plus efficace dans la lutte contre la pauvreté. L'essentiel pour moi passe par la mise en place d'un pilotage interministériel et, comme l'a préconisé le député M. Etienne Pinte, la création d'un poste de délégué général auprès du Premier ministre. Toute politique de lutte contre l'exclusion oblige à agir sur différents leviers (social, réinsertion, santé, logement, etc.) et donc à impliquer différents ministères. Ce qui a été entrepris depuis 1998 me semble aller dans le bon sens. L'instauration d'instances placées auprès du Premier Ministre m'apparaît la meilleure solution.

En même temps, il faudra probablement procéder à une clarification du dispositif de lutte contre l'exclusion dans lequel de nombreuses structures interviennent en apportant des conseils ou en effectuant des observations. Il serait mieux, selon moi, d'avoir une force de frappe importante en charge de l'observation de la pauvreté, basée sur des gens qualifiés et capables de travailler sur, non seulement la pauvreté, mais aussi la grande précarité à travers toutes ses dimensions (générationnelle, territoriale, etc.). Je plaide en faveur de cette solution.

Il est dommage que chaque thématique induise un conseil nouveau, la création d'une suite d'instances n'aboutissant qu'à saucissonner tout ce qui relève de l'exclusion. C'est pourquoi je milite également pour l'instauration d'une seule organisation qui aurait pour fonction de discuter de l'ensemble des aspects de la grande pauvreté.

Enfin, il me semble fondamental de lier hébergement et logement social et de veiller à ce que le premier ne devienne pas une sorte de roue de secours du second. Il existe un lien particulier entre l'hébergement et l'accès au logement social et il est essentiel de le préserver.

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Merci de votre réponse, M. Chambaud. Je souhaite maintenant donner la parole à mes collègues.

Mme Annie DAVID - Merci M. Chambaud de votre présentation. Je partage en grande partie les propos que vous avez tenus. Il me semble en effet indispensable :

- d'avoir un diagnostic partagé des situations pour apporter des réponses adaptées aux différents publics ;

- d'avoir une politique affichée et claire en matière de lutte contre l'exclusion. La création de ce pôle interministériel qui pourrait survivre aux changements de gouvernements faciliterait cette démarche ;

- de maintenir le lien entre le logement et l'hébergement, celui-ci ne devant pas représenter un palliatif au logement social ;

- de traiter des différents publics : jeunes, personnes âgées, en situation irrégulière, etc. Vous nous avez indiqué combien il est difficile d'obtenir des données sur eux, de les quantifier. Aussi comment est-il possible de mettre en place un diagnostic partagé de l'ensemble des situations et d'apporter des réponses adaptées aux différentes populations confrontées à l'exclusion ?

A propos du logement, une des 166 mesures annoncées par le président de la République m'inquiète. Elle concerne le relèvement des plafonds de ressources pour l'accès au logement social. Beaucoup de familles n'y ont déjà pas droit, par faute de moyens financiers, la grande partie des logements sociaux construits en France ne représentant pas des PLA-I, les seuls types de biens accessibles aux familles les plus démunies. Avec ce relèvement des plafonds de ressources pour l'accès au logement social, ne risque-t-on pas d'accroître l'exclusion ? Nous savons très bien que la loi SRU est loin d'être appliquée partout dans le pays, les villes où elle est respectée ne contenant, par ailleurs, que très peu de logements de type PLA-I. La mesure prise par le président de la République n'ira-t-elle pas a contrario de l'objectif annoncé de lutter contre la pauvreté et l'exclusion ?

M. Guy FISCHER - Vous avez beaucoup insisté sur l'hébergement et le logement social. Or sur le terrain, il existe de nombreux blocages. L'hébergement est fourni soit par des associations caritatives, soit par des foyers hérités du passé. Beaucoup d'argent y est consacré alors que le nombre de places de logement n'augmente pas.

Le nombre de 86 000 personnes sans-abri en France ne me semble pas refléter la réalité et je regrette que vous ne puissiez pas nous fournir d'autre données sur le sujet. En effet, au cours des dernières années, nous avons assisté à une explosion de la précarité et seulement entre 8 % et 10 % des logements sociaux construits dans le pays répondent aux besoins des populations les plus démunies. Je reste donc un peu sur ma faim par rapport aux données que vous nous avez données. Le nombre de personnes sans-abri est, à mon avis, beaucoup plus élevé que 86 000. Vous sous-estimez la réalité.

Vous avez parlé des expulsions. Or la loi indique qu'avant toute expulsion d'une famille d'un logement, il est nécessaire de proposer à celle-ci une solution d'hébergement.

Par ailleurs, il me paraît nécessaire d'avoir une clarification des compétences et que celles-ci soient exprimées au plus proche du terrain. Les plans pour les publics défavorisés reposent essentiellement sur les départements. Or ils concernent un nombre très réduit de logements. Finalement la fracture sociale n'est-elle pas en train de se creuser ? Il existe de plus en plus de personnes sans domicile fixe. Cette réalité est peu appréhendée. Toutefois, elle est bien réelle.

M. Laurent CHAMBAUD - Il ne sera pas facile d'obtenir des données chiffrées sur les populations sans-abri. Toutefois, si nous pouvions mettre à dispositions des différents acteurs du logement un lieu leur permettant d'échanger, alors ceux-ci pourraient communiquer leurs informations et connaissances respectives, par exemple les tensions existantes dans les structures d'hébergement, et s'accorder sur un diagnostic partagé correct. J'avais proposé, pour ma part, de mettre en place une sorte de tableau de bord permettant de cerner la situation.

Il est nécessaire d'avoir des lieux pour échanger et également d'alimenter le programme départemental pour le logement des personnes défavorisées et, plus globalement, programmer ce dont nous avons besoin. En raison de l'absence de cette programmation, nous développons des maisons relais en fonction, non pas des besoins, mais des projets. Les maisons relais sont labellisées au fur et à mesure de l'arrivée des projets, sans aucune analyse des besoins. L'urgence consiste donc, à mes yeux, à établir des diagnostics départementaux partagés. Je ne parle pas du cas de l'Ile-de-France où les liens entre Paris, la petite et la grande couronnes rendent la résolution des problèmes très complexe. Paris concentre un nombre de structures importantes, mais aussi des arrivées massives de personnes en grandes difficultés dont nous ne savons pas très bien comment elles peuvent être prises en charge par les villes de Paris, de petite et de grande couronnes. Certains départements de la grande couronne n'ont pas la même capacité d'absorption des publics car ils sont éloignés des moyens de transport. J'aimerais que la Région Ile-de-France porte un regard très attentif au problème de la grande exclusion.

S'agissant de votre deuxième question, il m'est assez difficile d'y répondre. Parfois, des personnes habitent depuis très longtemps dans le parc de logements public. Certaines voient leurs revenus augmenter, d'autres baisser et peuvent se retrouver sous la menace d'une expulsion. Ce que je sais est que nous ne pouvons pas régler le problème du logement avec le seul parc de logements public. Nous avons besoin de faire appel aux logements privés. Or il nous est très difficile de les louer à des personnes en situation de précarité, notamment parce que les propriétaires s'y refusent. L'intermédiation pourra-t-elle remédier à cette situation ? A la lecture de son démarrage, il me semble que non.

Vous avez parlé du risque de relever le plafond de ressources permettant l'accès au logement social. Or, les personnes que j'ai étudiées sont surtout celles dont les revenus se trouvent en dessous de ce plafond et n'ayant pas droit au logement social. Celles-ci n'ont pas assez de logements à leur disposition. Il manque des PLA-I en France et notamment en Ile-de-France.

Concernant votre dernière remarque, je n'ai pas de données en ma possession m'amenant à confirmer que seulement 8 % à 10 % des logements sociaux répondent aux besoins des personnes en très grande précarité. Je crois qu'il est nécessaire en la matière de distinguer la situation du logement à Paris, en Ile-de-France, dans les grandes agglomérations et le reste de la France. Les difficultés se concentrent sur un certain nombre de lieux et imposent de mettre en place des politiques nationales adaptées aux variétés des territoires. Nous n'agirons pas du tout de la même manière dans les départements ruraux et en Ile-de-France.

Je nuancerai, toutefois, mon propos en indiquant que des formes d'habitats précaires ont tendance à se pérenniser. Par exemple, de plus en plus de gens, inconnus par les autorités, habitent de manière durable en campings, car ils n'ont plus les moyens de louer un logement.

Enfin, il est nécessaire que les taux d'effort soient transparents en n'importe quel endroit. En effet, il peut être plus intéressant pour certaines personnes, par exemple pour un travailleur pauvre isolé et vivant à Paris, de rester dans des structures d'hébergement que d'habiter dans du logement social, plus cher ou plus éloigné de son lieu de travail. Le système devrait permettre une certaine fluidité dans les parcours résidentiels et entraîner les personnes dans des spirales plus vertueuses que négatives.

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Merci M. Chambaud. Nous allons devoir clore notre échange. L'UCCAS, par la voix de son représentant, nous a indiqué qu'elle effectue une analyse des besoins sociaux. Avez-vous travaillé avec cette organisation ?

M. Laurent CHAMBAUD - J'ai rendu visite à l'UCCAS pour la rédaction de mon rapport sur l'observation des statistiques des personnes sans-abri. C'est à cette occasion que j'ai appris l'existence de ces analyses, réglementaires, des besoins sociaux. Il serait très intéressant que, dans le cadre de ces études, les communes effectuent un recensement des besoins des personnes en grande précarité. Cette opération pourrait avoir lieu sans grande difficulté dans les grandes communes ou communautés de communes. Historiquement, les villes ont toujours été les lieux où ont été accueillies les personnes en grande précarité. Elles auront toujours un rôle à jouer en la matière.

Les associations, elles, tiennent fortement à ce que l'Etat, garant de la solidarité territoriale, continue à s'occuper des gens très pauvres ; d'où la nécessité d'impliquer à la fois ce dernier et les collectivités locales.

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Merci beaucoup de votre intervention.

Audition de M. Claude ALPHANDÉRY, président, et Jacques DUGHERA, secrétaire général du Conseil national de l'insertion pour l'activité économique (CNIAE) - (15 avril 2008)

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Nous avons le plaisir d'accueillir M. Claude Alpandéry et M. Jacques Dughera, respectivement président et secrétaire général du Conseil national de l'insertion pour l'activité économique. Je propose de vous donner la parole. Vous bénéficiez d'une longue expérience, riche d'un point de vue législatif, et vous avez pu suivre de près les évolutions dans le domaine de l'insertion par l'activité économique, notamment dans la lutte contre les exclusions. Le travail de notre mission s'appuie en particulier sur une étude relative à la grande pauvreté.

Je vous passe donc la parole pendant une quinzaine de minutes. Après quoi, notre rapporteur et l'ensemble de mes collègues vous poseront des questions.

M. Claude ALPHANDÉRY - Merci beaucoup. Je préside le Conseil national depuis sa création en 1991, malgré les nombreuses alternances politiques qui ont eu lieu à la tête de l'Etat. Cette structure est composée de 42 membres dont 10 représentent les différents ministères concernés par notre matière, 12 des personnes qualifiées responsables des grands réseaux d'insertion par l'activité économique, 10 des élus (5 sont issues des grandes associations d'élus, les 5 autres sont nommés par les ministres chargés de l'emploi et de l'action sociale), 10 les organisations syndicales de salariés et d'employeurs. Cette représentation est à peu près celle des conseils départementaux de l'insertion par l'activité économique.

Notre Conseil possède un bureau, comprenant deux vice-présidents, les représentants du directeur de l'emploi et de la formation professionnelle et du directeur général de l'action sociale, et des représentants des membres du collège.

Nos missions sont très larges. D'abord nous assurons une fonction de veille sur les politiques de l'emploi et de l'insertion menées en direction des personnes durablement éloignées du travail. Dans ce cadre-là, nous sommes saisis de problèmes de la part du gouvernement ou nous saisissons nous-mêmes de sujets qui nous semblent importants, c'est-à-dire de projets législatifs ou de dispositifs en cours.

Une autre de nos fonctions est d'être un lieu d'échanges et de concertations pour les différents acteurs de l'insertion par l'activité économique. Il est essentiel de pouvoir réunir les représentants des réseaux très proches du terrain et des initiatives, des élus, des acteurs de base. Les collectivités locales apportent presque la moitié du soutien public financier aux structures d'insertion par l'activité économique.

Enfin nous assurons un rôle de représentation institutionnelle pour notre secteur, auprès du Conseil national des politiques de lutte contre la pauvreté, mais aussi du Conseil supérieur du travail social, du Conseil supérieur d'économie sociale, etc. Nous participons à des réunions de manière fréquente.

Concernant notre façon de travailler, nous tenons deux réunions plénières par an, en présence des ministres compétents, M. Martin Hirsch et Mme Christine Lagarde récemment. Le bureau, lui, se réunit tous les mois. Il s'agit de l'instance où le travail se déroule vraiment.

Il vous importe sans doute de savoir ce que nous faisons. D'abord nous fonctionnons avec très peu de moyens. Le président que je suis est retraité et bénévole. Quant à M. Jacques Dughera, il est mis à disposition par la Caisse des dépôts et consignations, laquelle prend à sa charge les frais de secrétariat et de logistique de notre Conseil. Nos autres soutiens constituent la DGFP, la DGAS, le FSE qui nous apporte un maigre budget d'étude, inférieur à 200 000 euros par an, et diverses institutions publiques. Le peu de moyens dont nous disposons permet quand même de mobiliser un certain nombre de bonnes volontés et de bénévoles.

Notre travail est axé autour de trois thèmes principaux : la territorialisation, la lute contre les discriminations et l'Europe. Après avoir abordé chacun de ces trois thèmes, j'évoquerai en quelques mots les démarches que nous menons dans le cadre du Grenelle de l'insertion.

S'agissant de la territorialisation, depuis presque trois ans, nous effectuons des études sur l'impact de l'insertion par l'activité économique au niveau des régions. Nous en avons réalisé plusieurs à ce jour : une dans les Pays-de-Loire, rendue il y a deux ans, et une autre en Aquitaine, remise l'année dernière. Nous sommes en train d'en accomplir deux autres, une en PACA, l'autre en Franche-Comté. Nous menons ces travaux en liaison, bien sûr, avec les directeurs des services déconcentrés de l'Etat, les conseils régionaux, etc. A l'instigation de la DGFP, nous sommes dans une période de redynamisation des conseils départementaux de l'insertion par l'activité économique et où il nous faut essayer de cheminer de concert avec les Conseils généraux ; le but étant de mettre en place une stratégie de l'offre en matière d'insertion, comme nous l'avons indiqué dans nos études d'impact.

Ce rapprochement avec l'Etat, le conseil régional et les réseaux n'est pas sans intérêt. Nous choisissons généralement, pour réaliser nos études, des régions tests où nous avons l'habitude de travailler en collaboration. Il n'en est pas toujours ainsi malheureusement. C'est avec les réseaux que nous bâtissons un questionnaire dont les réponses doivent nous fournir une bonne idée de ce que représente l'activité économique mais aussi l'activité sociale des différentes structures d'insertion, qu'il s'agisse des entreprises d'insertion, des associations intermédiaires, des EPTI et des associations et chantiers d'insertion.

Chaque étude présente un caractère différent. Nous pouvons améliorer notre connaissance de ce que pensent les bénéficiaires, les usagers au sujet des parcours qui leur sont proposés, ce qu'ils en espèrent et quelles sont leurs attentes en la matière.

Toutefois, le coeur du métier de ces structures d'insertion par l'activité économique est de fournir un emploi salarié à une personne en difficulté et de l'accompagner dans son cheminement professionnel. Dans cette perspective, elles jouent un rôle dans le développement local, qu'il convient de mesurer. Nous espérons avancer dans la mise en place d'indicateurs d'évaluation qui ne se limiteraient pas au taux de retour à l'emploi, cet indicateur ne rendant pas compte des missions diverses qu'assure notre structure.

Nous avons réussi à mettre sur pied des indicateurs, encore approximatifs, nous indiquant ce que rapporte et coûte à l'Etat et aux collectivités territoriales l'insertion par l'activité économique. Il est important de pouvoir démontrer, dans le cadre des discussions que nous avons avec les pouvoirs publics, que le rapport net - soit la différence entre le bénéfice et le coût de l'insertion par l'activité économique - est de 40 millions d'euros, sans parler des coûts évités ultérieurs.

Deux inspecteurs, un des affaires sociales, un autre des finances, ont rédigé un rapport sur les chantiers d'insertion, lequel nous a servi à nous lancer dans un travail ambitieux, étant donné la difficulté à faire s'entrecroiser les différents réseaux, ceux-ci n'ayant pas les mêmes publics et la même histoire. Nous avons réussi ce travail et vous trouverez là un résumé du rapport, auquel beaucoup se sont référencés dans le cadre du Grenelle de l'insertion.

Dans le domaine de la territorialisation, nous préparons une réunion, prévue le 23 avril 2008, qui aura pour sujet les structures d'insertion en milieu rural, lesquelles sont insuffisantes. Nous avons raison de mettre l'accent sur ce que nous devrions faire dans les banlieues et cités. Mais il ne faut pas oublier que notre présence pourrait être très utile dans des zones rurales désertifiées.

J'aborderai assez vite la lutte contre les discriminations, même s'il s'agit d'un des piliers du plan de cohésion sociale. Nous avons, en lien avec l'ACSE, diffusé ce que nous avons pu appréhender de la réalité. Notre première réaction a consisté à dire qu' a priori , les CAE n'ont pas d'activités dans le domaine de l'insertion. Leur fonction consiste plutôt à faire de la discrimination positive. Toutefois, un vrai problème se pose, notamment lorsqu'il existe une délégation de services, de main d'oeuvre auprès des employeurs. Quand un chef d'entreprise refuse d'embaucher un employé au prétexte qu'il est noir, quelle réaction pouvons-nous avoir ? L'insultons-nous au risque de perdre un client ou essayons-nous de le convaincre d'embaucher la personne de couleur ?

S'agissant de l'Europe, sujet sur lequel pourra revenir M. Jacques Dughera, nous souhaitons profiter de la présidence française de l'Union européenne pour introduire le sujet de l'inclusion active dans l'agenda européen ; un thème plus facile à aborder que l'inclusion sociale et qu'il convient d'écarter du périmètre de la directive européenne sur les services. Des réunions sont en cours sur le sujet.

Le Grenelle de l'insertion représente un grand espoir pour nous car il met en lumière l'insertion par l'activité économique, les initiatives de terrain et les efforts consentis dans ce domaine, et permet de rendre plus simple et plus lisible des mécanismes très complexes. Nous ne pouvons pas ne pas nous réjouir de la tenue de cette manifestation. Toutefois, celle-ci a lieu alors que pèse une très grande incertitude. Ainsi, nous ne savons pas encore quel contour et quel fonctionnement aura l'opérateur unique issu de la fusion entre l'ANPE et l'UNEDIC. Nous ne savons pas, non plus, comment évolueront, dans le cadre de la RGPP, les services déconcentrés de l'Etat dans le secteur de l'emploi. Nous ignorons enfin si le RSA aura un impact réel sur l'insertion par l'activité économique. Nous sommes face à un vide budgétaire et à des menaces de rigueur. Je rappelle quand même que le plan de cohésion sociale a été très rapidement associé aux programmations budgétaires.

Dans quel cadre budgétaire, agirons-nous ?

De larges incertitudes demeurent donc, d'autant plus que le Grenelle de l'insertion ne tient pas compte de l'avis des grandes associations intervenant pour le compte des collectivités locales. Celles-ci y sont certes présentes, mais leurs représentants ne sont absolument pas mandatés. Comment les aides publiques évolueront-elles ?

Néanmoins, des simplifications sont à opérer dans les dispositifs de l'insertion par l'activité économique. Elles consistent, tout d'abord, à généraliser et à renforcer l'agrément des publics pour mieux les identifier. Cet agrément existe déjà.

Nous pensons nécessaire aussi que le cadre des conventions liées aux structures - toutes les associations adhérentes à l'IAE sont conventionnées - soit plus précis. Dans ce domaine, la DGFP a amorcé un travail très intéressant depuis six mois, résidant dans l'analyse et le référencement des services, lesquels pourraient servir à faire remonter des observations pour permettre l'établissement d'un conventionnement national. Pour autant, toutes les conventions ne seront pas forcément les mêmes. Ainsi, des services de base pourront avoir leur caractère réglementaire.

L'agrément identifie les publics et les conventions et, en quelque sorte, légitiment les structures. Aussi il me paraît important que le dispositif de l'insertion par l'économie repose sur une architecture générale, basée sur une offre en matière d'insertion et une programmation de cette offre, une répartition des charges entre l'Etat et les collectivités locales, sur une convention régionale permettant aux départements et aux territoires de s'entendre sur les objectifs et les moyens à fixer, ainsi que sur les méthodes d'évaluation à mettre en place.

Voilà ce que je souhaitais vous dire dans mon propos liminaire. Je souhaite conclure mon intervention en rappelant quelques faits essentiels. Tout d'abord, nous sommes très attachés au lien existant entre l'économie et le social. Or ce lien est souvent mal perçu à différents niveaux, notamment celui de l'Etat. Les choses fonctionnaient mieux lorsqu'il existait un ministère de l'emploi et de la cohésion sociale. Je ne critique pas du tout le fait que l'emploi soit rattaché à l'économie. Il est essentiel qu'il en soit ainsi dans un monde aussi complexe que le nôtre. Mais il serait bienvenu de mettre en place une organisation interministérielle pour traiter de l'insertion par l'économie. Celle-ci n'existe pas à ce jour et son absence pose le problème des responsabilités. Notre Conseil a une tâche très précise, qui nous suffit. Toutefois, nous sentons bien que l'insertion par l'économie, pour réussir, oblige à déployer une politique globale en matière d'inclusion socioprofessionnelle. Je souhaiterais donc que les élus interviennent auprès du gouvernement pour relayer nos préoccupations.

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Merci de votre intervention. Je me souviens tout particulièrement du rapport que vous avez rédigé en 1990 et dans lequel vous avez mis en avant les acquis obtenus par le secteur de l'insertion par l'activité économique, notamment en matière d'ancrage territorial, de mixité sociale, de partenariat local et d'innovation.

Dans le cadre de ce rapport, vous aviez comparé le coût d'un contrat de droit commun et celui d'un contrat d'insertion et mentionné le coût évité grâce à l'insertion par l'activité économique. M. Dughera aura peut-être un discours plus pragmatique que le vôtre sur la mission exercée par votre structure. Pourrions-nous être destinataires du rapport que vous êtes en train d'élaborer ?

Jacques DUGHERA - Le travail effectué par Claude Alphandéry et auquel vous avez fait allusion mériterait d'être développé au niveau européen. Il nous manque aujourd'hui, à cette échelle, des preuves montrant que les structures d'insertion par l'activité économique ou structures d'inclusion réactive par le travail existent dans tous les pays de l'Union européenne. C'est pourquoi il est si important, dans le cadre de la présidence française de cette Union, de rappeler que la France a une forte expérience en la matière, telles structures existant dans notre pays depuis trente ans, mais pouvant aussi être très présentes ailleurs. De manière générale, l'Europe représente une source de richesses pour nous, comme nous avons pu le constater au travers du travail effectué par le groupe social européen, mais également une source de questionnements et d'incertitudes. En effet, plusieurs réglementations peuvent entraver le développement de l'insertion par l'activité économique. L'une concerne la directive services. Elle a fait l'objet d'un rapport du Sénat, ayant porté notamment sur sa transposition dans notre pays, pour laquelle les partenaires et notamment notre Conseil national n'ont pas été consultés alors même que cette directive intéresse en premier lieu les structures d'insertion par l'activité économique.

Il est nécessaire de prendre beaucoup plus en compte les impacts de la réglementation européenne sur ce qui concerne les politiques de lutte contre l'exclusion et d'insertion par l'activité économique. Je pense notamment à la notion de mandatement. Si nous travaillons beaucoup à l'élaboration d'une convention et de sa définition, c'est justement pour nous rapprocher du mandatement communautaire qui nous permettra de contourner la directive services. Par ailleurs, nous cherchons à mettre en place un agrément pour éviter à notre système d'autorisations d'être considéré par l'Union européenne comme un dispositif n'ayant pas lieu d'être et méritant d'être supprimé au nom de la concurrence. Enfin, nous nous intéressons aux aides publiques versées aux entreprises pour faire reconnaître la spécificité du métier exercé par les structures d'insertion par l'activité économique. Celles-ci, certes, font partie du secteur de l'économie sociale et solidaire. Mais elles ont une finalité sociale et elles ne peuvent pas être traitées comme des entreprises classiques.

Nous voudrions donc bien mettre en avant l'impact qu'ont les réglementations européennes sur les structures d'insertion par l'activité économique. Celles-ci peuvent être sources de richesses. Mais elles s'accompagnent aussi d'incertitudes que la présidence française de l'Union européenne peut nous aider à lever.

Vous avez posé une question sur les coûts évités. Nous aimerions changer le regard des gens sur l'insertion par l'activité économique, de manière à ce qu'ils la considèrent, non plus comme un coût, mais comme un investissement, à la fois social et humain. Nous avons mis en place une méthode de travail consistant à essayer de comptabiliser les richesses produites et les coûts évités et de soustraire à cet ensemble les subventions et exonérations de charges sociales auxquelles ont droit ces structures d'insertion par l'activité économique. Les chiffres que nous avons obtenus par nos moyens peuvent être, certes, contestés. Mais, pour nous, en 2004, en région Aquitaine, les deux structures existantes en matière d'insertion par l'activité économique ont produit un investissement, un apport de 47 millions d'euros. Si nous avions des moyens plus amples pour procéder à des évaluations précises, peut-être nous n'obtiendrions pas le même résultat. Malgré tout, nous déboucherions bien sur un investissement et non pas sur un coût.

Deux députés, M. Gorce et M. Lefebvre, viennent d'ailleurs de mettre en évidence l'insuffisance des évaluations des politiques menées en faveur de l'emploi. Cette insuffisance touche aussi notre domaine. L'évaluation des structures d'insertion par l'activité économique repose uniquement sur le seul critère du taux de retour à l'emploi alors qu'elles ont bien d'autres objectifs que celui-ci. Nous souhaitons le développement d'une évaluation mettant en exergue le rôle des salariés des structures de l'insertion par l'activité économique.

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Je donne la parole à notre rapporteur, M. Bernard Seillier. Il doit avoir beaucoup de questions à vous poser.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - J'adhère au travail effectué par le Conseil national de l'insertion par l'activité économique. S'agissant du programme que vous avez proposé au groupe 4 du Grenelle de l'insertion, il est question de l'identification des publics. Comment cette identification peut-elle avoir lieu ? Mon souhait est de savoir si l'insertion par l'activité économique peut concerner tous les publics en situation d'exclusion, certains d'entre eux étant très éloignés de l'emploi et ne pouvant être réinsérés de suite. L'identification des publics ne renvoie-t-elle pas à une sélection des populations vers lesquelles il est possible d'avoir une action ?

M. Claude ALPHANDÉRY - Il est difficile de répondre à votre question. La première identification des publics, de demandeurs d'emplois, est opérée par l'ANPE qui collabore souvent avec des prescripteurs (missions locales, maisons de l'emploi, voire même les structures d'insertion). Les publics qui sont pour le moment identifiés sont en mesure, a priori , de rechercher du travail. Vous avez raison de dire que cette identification a abouti à laisser des gens très éloignés de l'emploi.

Même avec le public des demandeurs d'emploi, le diagnostic est nécessaire. Malheureusement il est encore très souvent insuffisant et c'est pourquoi nous insistons tant sur le besoin de l'étoffer au travers d'un agrément. Certains publics sont très éloignés de l'emploi, d'autres non. Il est important de mieux les connaître pour savoir à qui il est utile de les confier.

Nous souhaitons que l'agrément soit accompagné d'un diagnostic et d'un suivi. Le parcours des personnes est souvent chaotique. Certaines s'avèrent capables de retrouver un emploi plus vite que prévu, d'autres non. Nous sommes en faveur de la mise en place d'un agrément généralisé mais rénové. Nous sommes encore très loin de ce que nous pourrions faire dans ce domaine.

Il reste que des individus, souvent à la rue, ne signalent même pas leur existence. Quelques fois les structures d'insertion les recueillent et les présentent immédiatement aux services de l'ANPE.

Pour l'instant, les structures d'insertion par l'activité économique jouent un rôle de sas d'où doivent réussir à sortir les personnes en grande précarité. Mais il ne faut pas se faire d'illusion. Pour certaines personnes, aucune solution ne pourra être mise en place. Que faisons-nous d'elles ? Leur versons-nous les minima sociaux ad vitam eternam , rendons-nous le système de prise en charge très dérogatoire pour elles, les orientons-nous vers d'autres débouchés que ceux offerts par l'économie marchande ? L'insertion peut avoir lieu au travers soit de l'économie classique, soit de l'économie non marchande, basée sur des activités utiles mais situées en dehors du marché. Ce problème n'a pas été traité pour l'instant.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Si je vous comprends bien, la notion de parcours d'insertion est en train de se mettre en place. En fait, toute personne en situation de précarité doit effectuer un cheminement particulier pour parvenir à se réinsérer, avec un retour à l'emploi et l'entrée dans un logement. Est-ce bien cette notion de parcours d'insertion que vous comptez mettre en avant dans votre rapport ?

M. Claude ALPHANDÉRY - L'agrément doit être accompagné d'un diagnostic. Les personnes entrent dans un parcours d'insertion à partir d'un diagnostic qu'il faut veiller à ne pas simplifier. Se posent un problème en termes de stock et un problème en termes de flux. La régularisation concerne un stock énorme. Or l'opérateur unique ne sera pas forcément en mesure de le gérer ; d'où la possibilité pour lui de déléguer une partie de ses fonctions à des opérateurs extérieurs habilités.

L'habilitation doit reposer sur un certain nombre de garanties. Il n'est pas question d'agréer n'importe qui. Vous posez un vrai problème sur lequel nous aurons à réfléchir, notamment dans le cadre du Grenelle de l'insertion.

M. Jacques DUGHERA - La notion de parcours renvoie à la difficulté d'avoir des données. Aujourd'hui personne n'est capable de dire quelles sont les caractéristiques d'un salarié lorsqu'il rentre dans un parcours d'insertion par l'activité économique, ce qu'il faisait par le passé et ce qu'il fera dans le futur. Le taux de retour à l'emploi est calculé à J+1, soit à la fin du contrat de travail. Il existe un déficit de nos politiques publiques à ce niveau. Nous ne disposons pas, en effet, d'enquêtes de panels, longitudinales, nous permettant de cibler nos actions. En fait, deux études de ce type ont eu lieu, une en 1993, une autre en 2003. J'espère que nous n'attendrons pas 2013 pour avoir la suivante.

Toutes les grandes politiques de l'emploi s'accompagnent d'enquêtes de cheminement.

Le premier problème consiste donc à savoir de quoi nous parlons quand il s'agit de parcours d'insertion, le second à faire en sorte que les parcours aient une dimension territoriale. Pour cela, il est nécessaire de faire appel aux PLIE lorsqu'ils existent ou aux maisons de l'emploi en leur absence.

Enfin il est indispensable de définir la stratégie de l'offre en matière d'insertion, inexistante à ce jour. Sont en place seulement des segmentations d'offres, s'adressant à des publics en fonction de leur situation : allocataire du RMI, allocataire de l'ASS, allocataire de l'API. Le Conseil départemental de l'insertion par l'activité économique apporte juste des conseils en matière de gestion des demandes de convention. Dans le cadre de sa redynamisation, il convient de changer cet état de fait et de lui permettre de dispenser des conseils stratégiques, de manière à ce que les élus et partenaires sociaux y trouvent leur intérêt.

Depuis 1999, nous avons constaté, malheureusement, une perte de substance de ces conseils et un dialogue insuffisant entre l'Etat et les réseaux associatifs si nous voulons améliorer les parcours d'insertion.

Voilà les trois problèmes qui devraient être traités si nous voulons progresser dans l'insertion par l'activité économique.

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Avez-vous des questions, mes chers collègues ? Je vous remercie de vos propos. J'ai juste une dernière interrogation. Les changements incessants de politiques dans le domaine de l'insertion ont mis à mal votre secteur. Aussi je souhaite savoir si les préconisations de votre futur rapport auront, comme visée, d'être appliquées immédiatement et si, comme vous l'avez indiqué, un interlocuteur différent de l'ANPE ou éventuellement celle-ci pourra établir un diagnostic sur l'employabilité des personnes. Cette perspective serait rassurante.

Nous nous sommes battus pendant des années pour avoir des conventionnements pluriannuels et non plus annuels. Il serait bien que ces conventionnements soient établis sur la base d'années civiles et non pas d'années calendaires. La vie des services d'insertion en serait simplifiée.

Comment pouvons-nous essayer d'encourager les collectivités locales à mettre en place la clause de promotion de l'emploi, afin de permettre à des personnes accompagnées dans le cadre d'un parcours d'insertion dans les structures de l'IAE d'intégrer des chantiers publics ?

M. Claude ALPHANDÉRY - Je répondrai très vite à votre dernière question. M. Jean-Baptiste de Foucault a réalisé un travail très intéressant sur le sujet. Il est vrai que l'Etat et les collectivités territoriales connaissent mal les dispositions sociales et les utilisent très difficilement pour des tas de raisons juridiques (crainte du contentieux et d'ouvrir un appel d'offres n'entraînant aucune réponse). Nous essayons de mettre en place des facilitateurs permettant aux donneurs d'ordres de mieux savoir à qui il faut s'adresser et de quelle manière. Je vous rappelle qu'il a été décidé, dans le cadre du Grenelle de l'insertion, de mettre en ligne un site recensant l'ensemble des associations et opérateurs intermédiaires.

Vous vous posez toutes les bonnes questions auxquelles nous essayons de répondre. Nous sommes souvent très gênés par les ruptures de politiques. La tendance veut que nous remplacions les contrats aidés par des contrats de droit commun accompagnés d'une aide aux structures. Ainsi, l'enveloppe financière relative aux contrats aidés devrait être transférée aux associations.

Nous souhaitons une simplification du système, laquelle n'est pas toujours facile à mettre en place.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - J'avais préconisé la mise en place d'un contrat d'accompagnement généralisé, soit un contrat unique mais pouvant être utilisé avec souplesse.

Sans porter de jugement sur le RSA, ce contrat vous paraît-il une bonne formule à utiliser par les structures d'insertion par l'activité économique ?

M. Claude ALPHANDÉRY - Je n'ai pas vraiment d'opinion sur ce qu'il peut être. Mais ce que nous souhaitons est que ce RSA ne soit pas réservé uniquement aux titulaires des minima sociaux, mais également aux travailleurs pauvres. La mise en oeuvre de ce RSA est très compliquée, celui-ci dépendant de variables considérables.

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Merci bien. Nous comptons sur vous pour recevoir votre rapport.

Audition de M. Olivier BERTHE, Président, et Michel de VORGES, responsable du volet insertion des Restos du Coeur - (15 avril 2008)

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Je tiens à saluer M. Olivier Berthe, Président des Restos du coeur, et M. de Vorges, administrateur de la division en charge de l'insertion dans cette même structure. Nous avons mis en place, sur l'initiative de M. Bernard Seillier, une mission d'information sur les politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion. C'est par son biais que nous souhaitons vous auditionner ce soir. Nous connaissons tous les Restos du coeur. Mais je vous invite, pendant une quinzaine de minutes, à nous présenter vos actions, vos activités et les difficultés que vous rencontrez sur le terrain. Après quoi, nous vous poserons quelques questions.

M. Olivier BERTHE - Merci de nous recevoir et nous permettre de vous éclairer sur l'action concrète des Restos du coeur et vous faire part d'un certain nombre de nos préoccupations, très fortes, que nous avons déjà relayées auprès des ministères et des pouvoirs publics français.

Les Restos du coeur, association créée par Coluche en septembre 1985, représentent aujourd'hui 51 000 bénévoles oeuvrant dans 117 associations locales ou départementales dans 2 000 endroits, centres d'activités des Restos, en France environ. Je parle de centres d'activités car notre activité ne se résume pas dans la distribution alimentaire, même si celle-ci continue à constituer l'essentiel de notre action. Nous avons distribué cette année à peu près le même nombre de repas que l'an dernier, à savoir 82 millions, lesquels ont servi à nourrir 700 000 personnes. Cette distribution alimentaire monopolise 80 % de nos ressources.

Les 20 % restants sont consacrés à des missions sociales d'un autre ordre que l'aide alimentaire :

L'aide au retour à l'emploi avec, par exemple, l'animation de 83 chantiers d'insertion qui emploie aujourd'hui 1 300 personnes.

Des actions en faveur du logement et de l'hébergement des personnes défavorisées. Nous possédons 17 résidences sociales, un certain nombre d'appartements que nous mettons en location ou sous-location. En gros, nous logeons plus de 1 500 personnes et en hébergeons plusieurs centaines d'autres.

Des actions culturelles, de loisirs. La lutte contre la pauvreté n'a pas seulement une dimension monétaire. Elle s'apparente aussi à une lutte contre l'isolement et la pauvreté culturelle.

Des actions contre l'illettrisme et de soutien scolaire. Aux Restos au coeur, nous considérons que l'exclusion constitue une fatalité qui se transmet de génération en génération. Nous essayons de combattre la pauvreté à la racine. Beaucoup de nos actions sont en faveur de l'accompagnement scolaire et de la lutte contre l'illettrisme.

Des activités de recherches à l'attention des gens vivant dans la rue. Elles passent bien sûr par la mise à disposition de logements mais aussi la mise en circulation de camions et de maraudes et le déploiement de contacts directs avec les sans-abri (4 000 par jour en France).

Recherche permanente de travail dans le domaine de la santé par le biais d'équipes nutritionnelles. Nous savons qu'une mauvaise alimentation peut être à la source d'un certain nombre de pathologies. Acheter pas cher revient souvent à se procurer des produits peu équilibrés et pas très bons. Nous cherchons aussi, via la distribution alimentaire, à effectuer ce travail pédagogique pour améliorer l'équilibre nutritionnel des personnes que nous accueillons.

Voilà l'ensemble des actions des Restos du coeur. Comme vous l'aurez compris, nos activités ne se limitent pas à la distribution des repas, même s'il s'agit de notre métier principal bien entendu.

Les Restos du coeur comprennent donc 51 000 bénévoles et 2 000 points d'importation. Ils accueillent 700 000 personnes tout au long de l'année, mais principalement l'hiver. La distribution alimentaire continue au-delà du mois de mars. Elle fonctionne durant toute l'année.

Notre budget est de 122 millions d'euros. Il s'agit donc d'une structure assez lourde à gérer.

Je vous ai dressé un panorama très bref de nos activités pour aborder de suite nos sujets de préoccupations. Ceux-ci nous amènent à interpeller aujourd'hui les pouvoirs publics, qu'ils soient locaux, nationaux ou européens.

Tout d'abord, la flambée des prix des matières premières alimentaires constitue une réalité pesante que nous avons commencée à ressentir, au niveau des Restos du coeur, dès le mois de juin 2007, quand nous avons lancé les achats pour la campagne d'hiver. Il faut savoir que le programme européen d'aides aux plus démunis - programme initié par Coluche en juin 1986, puis plus concrètement par M. Jacques Delors en juin 1987 - est réservé à quatre grandes associations en France (Restos du coeur, Secours populaire, Banque alimentaire, Croix-Rouge française). Il constitue un dispositif très encadré, reposant sur des appels d'offres, lesquels ont été dénoncés par les grandes entreprises du secteur agroalimentaire en juin 1987, alors qu'elles les avaient signés par le biais d'offices. Ces entreprises nous ont alors annoncés qu'elles ne nous livreraient pas les quantités d'aliments négociées. Nous avons alerté, dès juin 2007, le ministre de l'agriculture, puis, un peu plus tard, le Premier ministre, sur cette situation.

Pour vous illustrer mon propos, nous payons les matières alimentaires à des prix supérieurs de 40 % à 100 % plus cher que ce qu'ils étaient en mars 2007. Nous sommes aujourd'hui en train d'effectuer nos achats pour la campagne d'hiver prochaine et nous faisons face à une hausse du prix du lait de 25 %, du prix des céréales et du riz de 100 %. Autrement dit, nous payons les produits que nous achetons autrement que dans le cadre du programme européen, c'est-à-dire avec l'argent des donateurs, deux fois plus cher environ. Comme dans le même temps, l'enveloppe financière affectée au niveau du programme européen d'aides aux plus démunis est stable, nous pourrons nous procurer, en l'état actuel, deux fois moins de produits alimentaires que l'an passé. Par conséquent, si rien n'est entrepris pour accroître de manière significative le budget alloué dans le cadre du PEAD - il a été augmenté de 10 millions d'euros mais cette hausse profitera aux deux nouveaux Etats appelés à rejoindre prochainement l'Union européenne -, nous nous retrouverons dans une situation extrêmement difficile et l'ensemble des associations éligibles au PEAD seront condamnés à distribuer 14 millions de repas en moins dès l'hiver prochain.

Cette préoccupation immédiate s'ajoute à une autre. Nous souhaitons une révision du PEAD pour faire face à la fin de l'excédent communautaire en matière de produits alimentaires, à l'évolution de l'agriculture et la hausse du cours des matières premières sur le plan mondial.

Une autre de nos inquiétudes, que nous avons relayée auprès de Mme Christine Lagarde concerne les contrats aidés. M. Martin Hirsch a lancé le Grenelle de l'insertion au cours duquel ont lieu un certain nombre de débats, auxquels nous participons. Des réflexions sont en cours pour rénover les contrats aidés, établir un contrat unique et étendre le RSA au niveau national. C'est aux parlementaires, qui en ont la responsabilité, de travailler et de faire des propositions sur ces sujets. Toutefois, avant que ces nouveaux contrats ne se mettent en place, il va se passer un certain nombre de mois et nous souhaitons donc que les dispositifs existants continuent à fonctionner. Nous réussissons à réinsérer 26 % des personnes qui se trouvent dans nos chantiers d'insertion. Il s'agit d'un taux considérable, compte tenu du fait que nous n'effectuons aucune sélection à l'entrée des chantiers d'insertion. Nous accueillons tous les publics, y compris ceux très éloignés de l'emploi, à qui nous apportons un accompagnement très renforcé. Les dispositifs en place actuellement fonctionnent donc et nous plaidons pour qu'ils ne soient pas interrompus avant que d'autres ne les aient remplacés. Nous avons adressé cette requête, très forte, aux pouvoirs publics. Bien entendu, il faut aussi que les financements suivent. S'il est demandé à l'avenir aux associations de prendre en charge, non plus 30 %, mais 50 % du coût des contrats aidés, cette mesure aura des conséquences notoires sur leurs comptes, non extensibles par ailleurs. Les associations ne pourront pas se substituer à l'Etat pour le financement des contrats aidés.

Notre troisième sujet de préoccupation concerne le logement. Aujourd'hui des centaines de milliers de personnes ne possèdent pas de logement ou vivent dans des logements insalubres. Parmi les 700 000 personnes qui fréquentent les Restos du coeur, une sur cinq est confrontée à une situation de mal logement. Soit elle n'a pas de logement, soit elle est hébergée de façon précaire chez des amis ou dans des structures d'hébergement. Nous nous sommes très vite intéressés à cette problématique. Il faut que le logement devienne une priorité nationale. Une mission a été confiée à M. Etienne Pinte dans ce domaine et il en est ressorti un certain nombre de propositions, sans doute encore insuffisante au regard des problèmes rencontrés. Tout le monde associatif est très attentif à ce que ces travaux se poursuivent, lesquels ne pourront porter leurs fruits qu'à travers le temps.

Voici donc les trois fortes préoccupations de notre association. En résumé, si le cours des matières premières continue à flamber, si la prise en charge des contrats aidés diminue et si le coût administratif et logistique augmente en raison de la hausse du prix du pétrole, alors nous rencontrerons de plus en plus de difficultés à assurer nos missions.

Bien sûr nous faisons appel à la générosité du public, laquelle nous apporte deux tiers de nos financements. Mais cette générosité n'est pas extensible à l'infini, d'autant plus que le contexte économique est difficile. Ainsi, les dons que nous recevons n'augmentent plus. Serons-nous capables de continuer à accomplir l'ensemble du volume de nos actions actuelles ? La question se pose. Nous espérons que le nombre de personnes faisant appel aux Restos du coeur cessera enfin de croître, pour aller vers un mouvement descendant. Malheureusement, entre 2007 et 2008, ce nombre n'a pas diminué, mais est resté stable. Nous n'acceptons pas cette stabilité sur le principe.

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Je vous remercie de votre intervention. Nous sommes effectivement assez conscients des difficultés que vous rencontrez à l'heure actuelle. M. Bernard Seillier, notre rapporteur, va vous poser quelques questions.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Je connaissais certains chiffres que vous avez cités. Mais le panorama assez complet que vous avez dressé de la situation actuelle est assez préoccupant. Si j'ai bien compris votre positionnement, vous êtes mobilisés en faveur d'un élan de générosité organisé. Vous essayez d'assurer vos missions du mieux possible en témoignant de ce que vous voyez sur le terrain auprès des pouvoirs publics locaux, nationaux et européens. Je suis très frappé d'entendre que vous avez observé la hausse du prix des matières premières depuis un an. Votre expérience et votre rôle vous permettent donc d'avoir accès à des informations très rapidement qui pourraient nous être utiles dans le cadre de notre travail.

Mes interrogations sont les suivantes. Avez-vous un avis sur les politiques mises en oeuvre et soutenues et quelles seraient vos propositions pour les améliorer et résoudre les problèmes de fond dans l'organisation du fonctionnement de la société globale ?

M. Olivier BERTHE - Notre travail s'inscrit dans le temps. Il n'y a rien de pire que les politiques de stop and go , les changements de politiques, surtout quand on travaille principalement avec des bénévoles. Nous plaidons pour une continuité dans les politiques publiques menées. Toute modification des règles du jeu par une évolution des textes de lois peut être bien maîtrisée par un spécialiste du droit. En revanche, elle pose de nombreuses difficultés à un bénévole non expert du sujet et constitue pour lui un obstacle supplémentaire dans la conduite de ses actions et une source de découragement. Les Restos du coeur n'ont pas connu de crise de vocation. Ils continuent à attirer des bénévoles. Nous en comptons 10 000 de plus qu'il y a cinq ans. Ce succès s'explique par notre notoriété. Or toutes les associations ne sont pas renommées et certaines d'entre elles ont toutes les peines du monde à séduire des bénévoles, notamment en raison des ruptures dans les politiques conduites.

L'aide aux personnes en difficulté demande du temps. Or les contrats aidés sont délivrés sur des périodes de plus en plus courtes. Ils peuvent être une bonne solution pour un jeune ayant trébuché, mais pas pour des personnes de 45 ans, ayant quitté le marché de l'emploi depuis longtemps et cumulant les problèmes, notamment de santé. Ce n'est pas en six mois qu'il sera possible de remettre cette population au travail. Le temps représente donc une denrée absolument indispensable pour notre action.

Enfin, nous devons oser les expérimentations. Je comprends la volonté des législateurs de fixer un cadre. Mais tout ne peut être traité de manière standardisée. Nous recevons chaque année 700 000 personnes et chacune d'entre elles représente une problématique particulière. Il s'agit d'individus et non de fiches, à qui il convient de proposer un cheminement singulier. L'expérimentation est nécessaire et doit être rendue possible dans le cadre de chaque politique publique, tout en étant accompagnée d'une évaluation, d'un suivi et de résultats. Nous devons savoir notamment quelles associations travaillent convenablement et de manière peu efficiente. La Cour des comptes, l'IGAS et les différents ministères sont là pour nous y aider. De manière générale, il est toujours possible de vérifier si une structure associative accomplit un bon travail et s'il nous est permis alors de lui faire confiance pour mener des expérimentations. Il faut oser, expérimenter !

Pour résumer mon propos, il nous semble essentiel de pouvoir travailler dans le temps et dans la continuité et de conduire des expérimentations. Il y a un an, lors d'une émission de télévision, nous avions souligné cette nécessité d'agir dans la durée.

M. Michel de VORGES - Concernant les chantiers d'insertion, ceux-ci ne représentent pas seulement un moyen de soutenir l'économie solidaire. Nous ne les percevons pas comme tel en premier lieu. Pour nous, ils constituent une manière de réduire le chômage de masse et surtout d'aider une personne à revenir dans l'emploi, ce qui demande du temps.

Les chantiers d'insertion fonctionnent grâce à la possibilité qui nous est offerte de faire appel à des contrats aidés. Ils permettent de placer des individus dans des conditions extrêmement favorables, ceux-ci étant salariés de nos structures où ils bénéficient, par ailleurs, d'un accueil et d'une ambiance agréables. Ils constituent donc de très bons outils. Ils ont consisté tout d'abord à entretenir des jardins où des personnes se sont occupées à produire des légumes. Il ne s'agissait pas alors de véritables chantiers d'insertion lesquels sont nés, dans leur forme actuelle, en 2005, et servent à prendre conscience à leurs membres de l'importance d'avoir un emploi.

Nous n'avons jamais inséré personne. Ce sont seulement les individus et eux seuls qui réussissent à s'insérer. Nous ne pouvons que leur offrir un cadre très favorable à leur retour à l'emploi et essayer de savoir, par différents moyens, et notamment notre expérience du contact acquise par le biais de la distribution alimentaire, ce qui va les toucher, les sensibiliser pour les remettre sur les rails. Au fur et à mesure des années, nous avons créé un ensemble d'outils allant dans le sens d'un accompagnement renforcé et dont nous nous servons pour étoffer nos actions auprès des plus démunis, cible de notre activité.

M. Jean DESESSARD - Qu'en est-il des jardiniers ?

M. Michel de VORGES - J'ai parlé de jardins en effet et oublié de vous préciser que nous n'avons pas d'action en matière d'apprentissage. Nous proposer aux personnes de poser leurs valises, de faire le point sur eux-mêmes puis de cheminer vers le retour à l'emploi de manière progressive, soit en participant à l'entretien de nos jardins qui représentent la moitié de nos chantiers d'insertion, soit en contribuant à notre support économique de rénovation d'ordinateurs.

Leur collaboration, dans le cadre de ces chantiers, ne dure par éternellement. Vient un moment où la personne, avec notre aide, doit franchir la dernière étape de son parcours en trouvant un emploi. Voilà très schématiquement comment nous opérons.

M. Jean DESESSARD - D'accord. Mais si j'ai bien compris votre propos, 26 % des personnes que vous accueillez parviennent à se réinsérer. Quelles sortes de travail trouvent-elles ?

M. Michel de VORGES - Elles exercent des activités dans plusieurs domaines : entretien des espaces verts, maraîchage, logistique - nous possédons plusieurs entrepôts pour lesquels nous avons besoin de caristes -, grandes surfaces, réhabilitation de logements auprès des plus démunis dans les HLM ; cette dernière activité permettant à des personnes de se mettre à leur compte pour réaliser des travaux de second oeuvre.

M. Olivier BERTHE - Nous avons signé un partenariat avec une entreprise évoluant dans le secteur de la restauration et dans le cadre duquel nous sommes amenés à tenir plusieurs ateliers cuisine. Nous offrons pas mal dé débouchés sur des métiers peu qualifiés, car il nous est impossible d'apporter, en une période restreinte, une formation de haut niveau à des gens peu qualifiés au départ. Ainsi, dans le domaine de la restauration, les individus que nous plaçons ont souvent à faire la plonge au début de leurs activités, synonymes pour eux d'emplois durables.

Vous nous avez demandé si nous avons des suggestions à avancer pour améliorer la situation. Le problème du logement est très présent en France et nous avons la conviction que les 20 % ou 25 % des personnes accueillies dans les centres d'hébergement d'urgence qui ont un emploi n'ont rien à y faire. En effet, ces structures ne leur apportent aucune plus-value, étant autonomes et capables d'occuper seules un logement social. Aussi, il serait logique qu'elles libèrent ces places qui reviennent de droit aux personnes à la rue. Pour cela, il faudrait mobiliser le parc social de manière utile, en le mettant à disposition des citoyens ayant les plus faibles revenus et en incitant les propriétaires de logements vacants privés à louer leurs biens par le biais de mesures fiscales ou par la mise en place de dispositions de caution censées les couvrir contre les risques d'impayés.

Il en coûterait moins cher pour la collectivité de mettre en place ces dispositifs que de louer des chambres d'hôtel, chaque nuit, pour les personnes sans-abri ; des dispositifs qui aboutiraient à vider les structures d'hébergement des individus qui n'ont rien à y faire et à rendre des espaces, jusqu'ici trop fréquentés, plus humains et plus sûrs.

Nous appelons donc à la création de cet appel d'air pour amorcer la pompe de l'humanisation des structures d'hébergement.

Toujours dans le domaine du logement, nous sommes persuadés que des dispositifs comme ceux existant en Angleterre et consistant à verser le différentiel de prix entre celui du marché et celui du secteur social coûterait moins cher que le paiement de chambres d'hôtels, très onéreux et s'inscrivant dans un mécanisme totalement inadapté sur le plan économique.

Les structures associatives sont prêtes à accompagner ce mouvement et à faire en sorte que le taux d'impayés soit le plus réduit possible.

Ces deux mesures permettraient d'amorcer un flux.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Comptez-vous déployer des activités dans d'autres secteurs à l'avenir ? Par ailleurs, à quoi est due la notoriété des Restos du coeur ?

M. Olivier BERTHE - Nous souhaitons continuer à nous développer dans les domaines de l'accompagnement scolaire et de la lutte contre la fracture numérique. Nous constatons aujourd'hui que les inégalités surgissent de plus en plus tôt et se cumulent. Par exemple, un enfant habitant dans un logement précaire ne bénéficiera pas de toutes les conditions optimum pour étudier et n'aura pas, bien souvent, la possibilité d'avoir accès à des moyens de communication comme Internet. De fait, il ne progressera pas au même rythme que ses camarades de classe et risque fort de connaître l'exclusion plus tard, un scénario tout à fait inacceptable.

L'accompagnement scolaire que nous dispensons s'effectue en lien avec les parents et non pas à côté ou contre eux. Ces derniers sont complètement associés au travail que nous pouvons mener avec leurs enfants dans le cadre de l'école ou en dehors de celle-ci.

Enfin nous souhaitons mettre l'accent sur tout ce qui peut permettre aux personnes de se retrouver, certaines d'entre elles connaissant autant la pauvreté culturelle que la pauvreté économique. Nous offrons donc des places de cinéma, faisons participer des gens à l'organisation de carnavals ou de divers projets. Il existe une multitude de façons de faire sentir à des personnes qui ne retrouveront jamais un emploi qu'elles ont encore une utilité sociale.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Et s'agissant de votre notoriété ?

M. Olivier BERTHE - Je suis bénévole aux Restos du coeur depuis 1986.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Comment êtes-vous devenu le président ?

M. Olivier BERTHE - Je suis devenu le président des Restos du coeur à la suite d'un long parcours de bénévolat. Je suis l'un de ceux qui exercent des fonctions depuis le plus longtemps dans l'association, et pourtant un des plus jeune en âge, au sein de son conseil d'administration.

Depuis qu'ils existent, les Restos du coeur n'ont jamais changé de ligne de conduite. Ils ont toujours eu une action concrète dans la lutte contre la pauvreté tout en essayant d'apporter un témoignage de la réalité et basé, non pas sur ces théories, mais des constats.

Par ailleurs, nous n'avons jamais cherché à imposer un modèle, mais plutôt à capitaliser sur les expériences de terrain réussies et efficaces pour essayer de les démultiplier. Tous les projets que nous avons développés au niveau local ont pris appui sur des initiatives mises en oeuvre à un échelon local.

Nous sommes très impliqués dans la vie publique, tout en faisant preuve d'une très grande neutralité. Ainsi, tous les textes de loi qui ont été défendus par les Restos du coeur ont toujours été votés à l'unanimité des membres du parlement. Toutefois, notre neutralité ne rime pas avec passivité. Quand un projet nous tient à coeur, nous avons l'habitude de le porter sur la base d'une analyse neutre et axée sur les personnes. Nous ne gérons pas des populations, mais nous venons en aide à des individus avec l'idée que chacun a une chance de s'en sortir, même parfois après des rechutes. Il n'existe pas pour nous de cas désespérés.

Enfin, en termes de fonctionnement, nous tenons à toujours nous appuyer sur le bénévolat. Le nombre de nos salariés permanents est limité et l'ensemble des décisions prises par les Restos du coeur le sont par les membres du conseil d'administration de l'association, tous bénévoles.

Cet appui sur le bénévolat nous conduit à rechercher en permanence des économies. Seulement 8,5 % de notre budget sont consacrés aux frais généraux. Nous mettons un point d'honneur à ce que l'ensemble des ressources collectées soit dédié à l'action sociale. Nous faisons tout notre possible pour que nos frais généraux soient restreints au maximum.

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - J'ai deux questions à vous poser. Vous touchez, dans le cadre de votre action, une population dont l'hétérogénéité nécessite, pour vos équipes, d'avoir des compétences multiples. Avez-vous mis en place des formations pour vos bénévoles ? Par ailleurs, dans la mesure où vous avez une action sur les parcours d'insertion, avez-vous élaboré des partenariats avec les autres acteurs de l'insertion ?

M. Yannick BODIN - Je souhaiterais vous poser quelques questions de natures et d'importances différentes. La première préoccupation que vous avez exprimée concerne le risque d'infléchissement énorme du nombre de repas distribués au cours de l'année prochaine. Vous risquez en effet de ne plus distribuer 14 millions de repas.

M. Olivier BERTHE - Cette perte vaut pour l'ensemble des associations. Pour nous, le nombre de repas distribués en moins est estimé à 5 millions.

M. Yannick BODIN - Il s'agit encore d'une perte potentielle énorme. J'imagine que vous ne vous contentez pas de prendre acte de cette baisse. Aussi quelles sont vos préconisations pour faire en sorte que ces 5 millions de repas distribués ne soient pas perdus, étant entendu que l'envolée des prix des matières premières se révèle structurelle et non pas conjoncturelle ?

Vous nous avez indiqué que vos centres fonctionnent toute l'année. Or il me semble que la distribution de vos repas s'arrête à la fin du mois de mars. Il en est ainsi dans ma ville.

S'agissant des bénévoles, vous avez souligné le risque d'en manquer dans les prochaines années. De quelles catégories socioprofessionnelles sont-ils issus ? Représentent-ils uniquement des retraités ou certains sont-ils des actifs ? De quelles compétences disposent-ils pour exercer leurs activités dans votre association ? Par exemple, agir dans le domaine du logement s'apprend et demande du temps. Il y a besoin d'être formé pour traiter certains dossiers.

J'ai toujours été un admirateur de Coluche et c'est pourquoi je n'ai pas peur de poser une question saugrenue, voire même un peu farfelue. L'amendement Coluche bénéficie seulement à ceux qui paient des impôts. Aussi comment est-il possible de remercier les personnes non imposables sur le revenu et qui fournissent des dons ? Enfin n'est-il pas choquant de voir les bénévoles, ceux qui donnent ce qu'ils ont de plus cher, c'est-à-dire leur temps, ne bénéficier d'aucun avantage, notamment en termes fiscaux, pour leur engagement ? Mes questions vous paraissent-elles pertinentes ou totalement saugrenues ?

Quelle part de votre budget représente le fruit de la collecte que vous effectuez chaque année à l'entrée des magasins ? Celui-ci a-t-il tendance à grossir ou pas ?

Je vous adresse les mêmes questions au sujet de la tournée des enfoirés qui est toujours très regardée à la télévision et vous permet, notamment, de profiter financièrement de la vente de CD, DVD, tee-shirts, etc.

Enfin quelles sont les nationalités des 700 000 personnes que vous accueillez par an ?

M. Olivier BERTHE - En effet, nous assurons la formation de nos bénévoles depuis presque 20 ans. Nous consacrons environ 600 000 euros par an à cette activité. Pour autant, nous essayons, quand nous avons des besoins spécifiques, de recruter des bénévoles ayant les compétences pour les satisfaire.

Concernant notre demande de révision du PEAD pour nous permettre de continuer à distribuer autant de repas que l'an dernier, nous avons engagé des démarches auprès du ministre de l'agriculture, M. Barnier, en juin puis au moment du salon de l'agriculture, enfin auprès du Premier ministre en mars. De mon côté, j'ai alerté d'autres personnes importantes sur le sujet.

Nous avons des contacts réguliers avec Bruxelles et le directeur de l'agriculture qui est français, ainsi qu'avec le président de la Commission de l'agriculture au parlement européen, lequel relaie notre inquiétude auprès de ses collègues. Il y a trois ans, nous avions proposé de faire évoluer le PEAD selon une méthode que nous avons transmise à l'ensemble des ministres de l'agriculture successifs. M. Nicolas Sarkozy, à qui j'ai fait part de ce problème lorsqu'il a reçu les associations humanitaires, s'est engagé à se saisir de cette problématique lors de la présidence française de l'Union européenne. Voilà les missions que nous avons menées tous azimuts pour sensibiliser un maximum d'acteurs aux niveaux national et européen sur nos difficultés de financement en raison de la hausse du prix des matières premières !

Nous développons aussi des actions locales pour essayer de compenser au maximum la baisse de distribution de repas à laquelle nous risquons d'être astreints.

La moitié des centres des Restos du coeur fonctionne toute l'année et distribue des repas au-delà du mois de mars. Leur activité peut connaître une pause au début du mois d'avril. Mais celle-ci ne dure jamais longtemps. Nous distribuons des repas à entre 15 et 20 % des personnes accueillies pendant l'hiver.

Nos bénévoles sont, en majorité, des retraités, comme dans la plupart des structures associatives. Toutefois, nous faisons appel aussi à des étudiants et des actifs, notamment pour certaines activités (livraison des repas le soir, conduite de camions, etc.). Nous souhaitons qu'il y ait une forme de mixité sociale parmi nos bénévoles, de manière à avoir un regard divers et le plus riche possible sur la société. Nous tenons donc à assurer des activités nous offrant la possibilité d'accueillir toutes les catégories de bénévoles.

S'agissant de votre question relative à l'amendement Coluche, je n'ai pas de solution technique à apporter pour récompenser les donateurs non imposables, lesquels sont minoritaires parmi les personnes nous apportant de l'argent.

Enfin le bénévolat représente un don de soi et ne doit s'accompagner d'aucune contrepartie. Toutefois, effectivement, il serait bien qu'il ne coûte pas, notamment au travers de la mise en place d'assurances civiles ou de voiture.

S'agissant de la collecte alimentaire, celle-ci a abouti à une récolte de 2 300 tonnes d'aliments, correspondant à la distribution de 4 millions de repas. Elle a progressé par rapport à l'an passé, mais elle n'apparaît pas dans nos ressources puisque nous ne valorisons pas les produits donnés, comme nous ne valorisons pas la contribution du bénévole.

La Tournée des enfoirés nous apporte plus de 20 % de nos ressources (26 millions d'euros l'année dernière) à travers surtout la vente de supports (CD et DVD). Nous sommes les producteurs de cette manifestation et l'intégralité des recettes, hors frais de fabrication et de SACEM, nous revient et représente la moitié de la totalité des dons provenant de la générosité du public.

Enfin, concernant votre dernière question, nous ne tenons pas de statistiques pour connaître les nationalités des différents publics que nous accueillons. Nous avons été de ceux ayant défendu l'idée selon laquelle l'aide humanitaire est inconditionnelle. Nous n'avons pas vocation à nous substituer aux pouvoirs de police. Aussi, afin d'éviter tout malentendu, nous ne posons aucune question aux personnes que nous recevons au sujet de leurs nationalités, de manière à ce qu'elles ne sentent pas la cible d'enquête et ne soient pas tentées de ne plus visiter nos centres. Le pire serait que les personnes en difficulté ne se rendent plus dans les structures de type humanitaire. Car alors leur seul recours résiderait dans les marchands de sommeil ou les filières de prostitution. Nous mettons un point d'honneur à soutenir toute personne nous demandant une aide. Tout ce que je peux vous dire est que, dans l'ensemble, les personnes étrangères constituent une frange marginale du public que nous accueillons. Toutefois, elles peuvent avoir un poids non négligeable dans certains lieux (zones de transit, frontières, etc.).

M. Michel de VORGES - S'agissant de partenariats nationaux, nous signons des conventions à travers lesquelles nous partageons des expériences communes.

Pour les partenariats locaux, il serait important d'avoir une connaissance détaillée des spécificités et des actions de chaque structure, car tout le monde a tendance à opérer chacun de son côté ; d'où l'intérêt d'avoir des encadrements techniques maîtrisant l'ensemble des opérations et ayant une vision claire et générale des parcours d'insertion. Les référents, eux, ont tendance à schématiser les parcours des individus. Par contre, ils présentent l'intérêt de s'occuper de tout le monde. Avec eux, nous serons sûrs que personne ne sera laissé de côté.

Selon moi, les décisions, dans le cadre des partenariats, doivent être prises par des structures voisines, se connaissant bien, ayant l'habitude de collaborer ensemble, mais n'étant pas toujours les mêmes, étant donné la variété des personnes accueillies aux Restos du coeur.

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Je vous remercie. Nous arrivons au terme de notre échange.

M. Jean DESESSARD - J'ai une question très brève, mais dont la réponse peut demander beaucoup de temps. Pour M. Berthe, il faut oser les initiatives et les expérimentations. Quelles méthodes faudrait-il adopter pour réaliser une évaluation globale du travail social accompli en France ? Cette question est posée à nous tous.

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Merci bien de votre concours, messieurs.

Audition de Mme Marie-Laure MEYER, conseillère régionale d'Ile-de-France, membre de la commission formation professionnelle et apprentissage de l'Association des régions de France (ARF) - (29 avril 2008)

Mme Brigitte BOUT, Présidente - Nous avons le plaisir d'accueillir Mme Marie-Laure Meyer, conseillère régionale d'Ile-de-France. Nous sommes réunis ici en Mission commune d'information sur les politiques en matière de lutte contre la pauvreté et l'exclusion. Cette assemblée réunit des sénateurs qui cherchent les causes de la pauvreté et de la précarité. Nous allons vous demander de vous présenter, ainsi que votre association. Après quoi, nous vous poserons des questions.

Mme Marie-Laure MEYER - Je représente donc l'Association des régions de France, laquelle, contrairement aux deux autres associations de collectivités territoriales, joue un rôle de plus en plus important, la Région constituant la collectivité la plus récente. Je suis, par ailleurs, conseillère régionale d'Ile-de-France et, à ce titre, secrétaire de la commission de la formation professionnelle et de l'apprentissage. Je représente le conseil régional d'Ile-de-France au conseil national de la formation professionnelle tout au long de la vie. J'ai coprésidé, en lien avec les partenaires sociaux, le groupe de travail sur la sécurisation des parcours professionnels par la formation. Je représente également l'Association des régions de France au conseil national de l'insertion par l'activité économique au Grenelle de l'insertion. Je n'ai pas la prétention de savoir pourquoi on devient pauvre. Mon ambition est de déterminer la manière d'aider les gens à sortir de la précarité.

Enfin j'exerce un mandat municipal et suis présidente déléguée de la maison de l'emploi et de la formation de Nanterre, après avoir été pendant des années maire adjoint de cette ville, en charge de l'économie, de l'emploi et de la formation.

Les régions de France ont une position ambiguë sur les problématiques d'exclusion et de pauvreté. Il est évident qu'elles sont concernées, comme tous les niveaux de démocratie, par ces sujets. C'est le cas notamment de la Région Ile-de-France qui, si elle représente le territoire le plus riche de France, abrite aussi des endroits de très grande pauvreté que nous cherchons à gommer par un certain nombre de politiques de droit commun visant à leur désenclavement, à la construction de logement social et de transports et au soutien des réseaux associatifs.

La position ambiguë des régions sur les problématiques d'exclusion et de pauvreté s'explique aussi par le fait que les lois de décentralisation leur ont confié la formation professionnelle des demandeurs d'emplois, mais sans préciser la façon dont celle-ci s'articule avec la formation professionnelle des bénéficiaires du RMI, laquelle relève de la responsabilité des Départements, et la formation professionnelle des demandeurs d'emplois financée par d'autres acteurs que les Régions comme les Assedic. De plus, la coordination de l'insertion par l'activité économique est effectuée au niveau départemental, une compétence que ne possède pas le comité de coordination régional de l'emploi et de la formation professionnelle. Il s'agit d'une carence majeure et nous sommes en train de voir, dans le cadre du Grenelle de l'insertion, comment il nous est possible, éventuellement par une modification des textes législatifs relatifs à la formation professionnelle - en particulier la loi sur la réforme de la formation professionnelle -, d'y remédier. Il s'agit de savoir comment nous pouvons construire des passerelles, de manière à ce qu'à l'exclusion provoquée par la grande pauvreté ne s'ajoute pas une autre exclusion liée à des trous dans les mailles du filet des dispositifs de prise en charge de la précarité du fait de leur grand nombre.

Les schémas de formation professionnelle tout au long de la vie doivent bien sûr être articulés autour de bassins d'activités et des schémas régionaux de développement économique mis en place par les Régions.

L'insertion doit-elle être appréhendée à des échelles locales, comme un sujet à part, déconnecté de l'activité économique, ou être traitée en lien avec celle-ci ? Cette question se pose de manières différentes selon les régions, suivant qu'il s'agisse de territoires ruraux, enclavés et avec un habitat très émietté, ou urbains, ouverts sur l'extérieur et riches en immeubles collectifs. Toutefois, en tout état de cause, l'absence de relation entre le schéma de développement économique et la formation professionnelle accessible à tous les publics, y compris les publics en insertion, ceux bénéficiaires du RMI, s'avère pour nous problématique et nous oblige à nous demander de quelle manière il nous est possible de collaborer avec les Départements, étant entendu que les différentes collectivités ont l'habitude de travailler sous des formes variées, que des Régions dont déjà, comme partenaires, des conseils généraux, des réseaux de grande lutte contre l'exclusion et des réseaux d'insertion par l'activité économique, qu'elles appuient par le biais de l'économie sociale et solidaire, en formant leurs encadrants ou en soutenant la création de structures. De manière générale, les Régions viennent en aide, non pas aux personnes, mais aux structures. Pour ce faire, en raison des contraintes auxquelles elles sont confrontées dans leur intervention, elles doivent faire preuve de beaucoup d'imagination. Voilà ce que je pouvais vous dire.

Je rajouterai peut-être un point. Je vous ai indiqué que je suis présidente d'une maison de l'emploi et de la formation professionnelle à Nanterre. Cette ville fait partie des communes où l'exclusion sévit énormément. Il s'y trouve aujourd'hui entre 4 000 et 5 000 demandeurs d'emplois, 2 000 familles bénéficiaires du RMI, 2 000 jeunes suivis par les missions locales et un certain nombre de personnes non identifiées par les référentiels de l'ANPE : titulaires de contrats précaires, de minima sociaux et de RMI. Je suis présidente d'un PLIE et, à Nanterre, une cité des métiers a été intégrée à la maison de l'emploi et de la formation professionnelle, de manière à ce que les exclus ne soient pas accueillis comme tel, mais en fonction de leurs problèmes et de leur situation personnelle. Il ne s'agit pas de les enfermer dans leur condition.

Une personne n'accepte pas toujours d'être reçue comme érémiste. Le fait d'avoir à décliner d'abord, non pas son projet, mais son statut, peut être assez pénible, redoutable, voire enfermant, pour elle. C'est pourquoi il est essentiel d'accueillir les gens dans le cadre d'une dynamique de projets.

Voilà ce que je pouvais vous dire en introduction. Je me tiens à votre disposition pour répondre à vos questions.

Mme Brigitte BOUT, Présidente - Vous avez parlé de la nécessité d'accueillir les personnes, non pas comme érémistes, mais en fonction de leurs problèmes. J'ai du mal à comprendre le sens de ce propos.

Mme Marie-Laure MEYER - Nous rencontrons le même problème pour l'accueil des personnes bénéficiant d'une allocation adulte handicapé. Le RMI représente-t-il simplement une aide financière ou correspond-il à une étiquette collant à la peau de celui qui en bénéficie et n'existe alors plus que comme érémiste ? A priori, le fait d'être allocataire de RMI ne trahit rien de vos compétences professionnelles, de votre projet de vie, de votre niveau d'autonomie, etc. Cette situation montre simplement que vous avez subi une rupture professionnelle, sociale ou familiale, laquelle vous conduit à avoir besoin de ce minimal social pour vivre. Elle ne signifie en aucun cas que votre insertion professionnelle est limitée à un espace particulier.

Il en est de même concernant le handicap. Vous pouvez recevoir une allocation adulte handicapé et vous montrer parfaitement valide pour exercer certains métiers. Aussi faut-il vous cantonner aux offres d'emplois réservées aux personnes handicapées ou utiliser le maximum de votre validité pour vous ouvrir le champ des possibles et vous inscrire dans des dynamiques de groupes ? A mon avis, la formation est là pour vous aider à vivre mieux votre handicap. Dans ma commune, nous avons mis en place deux accueils : un pour traiter du social (problèmes de manque de revenus, de surendettement, etc.), un autre pour aborder l'insertion professionnelle et qui concerne un accueil de premier niveau, permettant aux personnes de se présenter, non pas comme érémiste, mais comme demandeur d'emploi et de décliner leur parcours professionnel et leur projet de vie. Le fait qu'elles soient érémistes n'est pour nous, à ce niveau, qu'une opportunité pour débloquer des financements de formation ou des aides particulières.

Etiqueter des gens en perte de repères ne contribue qu'à enfermer ceux-ci dans une représentation négative, dévalorisante, d'eux-mêmes et à les soumettre à une injonction paradoxale puisqu'on leur demande à la fois d'être autonomes et de faire ce qu'on leur dit pour ne pas sortir des cases.

Mme Esther SITTLER - Vous avez fait part de la nécessité de faire preuve de beaucoup d'imagination en raison de la complexité du cadre réglementaire. Cela signifie-t-il que la législation n'est pas assez claire pour vous permettre d'agir comme il convient ? Souhaitez-vous une évolution des textes de loi ? La formation professionnelle a déjà fait l'objet d'une étude au Sénat, laquelle a montré l'existence de pas mal de lacunes dans ce domaine. J'aimerais avoir votre avis sur le sujet.

Mme Marie-Laure MEYER - La loi de 2004 a confié aux Régions la formation professionnelle des demandeurs d'emplois. Depuis 1998, celles-ci avaient en charge l'insertion professionnelle des jeunes et l'apprentissage. Par conséquent, pour faire preuve de caricature, les Régions jouent le rôle de voitures balais pour l'éducation nationale et les organismes de formation continue des salariés. Ainsi, elles ont à s'occuper, d'une part, des jeunes qui sont l'impossibilité de postuler directement à un emploi après leur formation initiale et, d'autre part, des adultes ne disposant pas d'une formation ou qualification professionnelle adaptée au marché de l'emploi.

Or l'insertion est gérée au niveau départemental. Par conséquent, il est impossible normalement pour les Régions de s'emparer de ce sujet, sauf dans le cas d'accords passés entre elles et des Départements. Aucun cadre n'oblige les conseils régionaux à discuter des problématiques d'insertion avec les conseils généraux. De fait, il peut exister, à certains endroits, des dispositifs cohérents où les Départements indiquent quels sont leurs diagnostics des besoins des personnes bénéficiaires du RMI qu'ils ont à suivre et les Régions tiennent alors compte de ces besoins exprimés dans leur schéma de formation. Mais nous pouvons avoir aussi, dans d'autres lieux, des dispositifs incohérents, déconnectés les uns des autres, avec, d'un côté, les schémas de formation ouverts aux demandeurs d'emplois et, de l'autre côté, sans relation avec les précédents, les schémas de formation accessibles aux bénéficiaires du RMI. Je ne vous cache pas qu'au niveau de certains territoires, les prescripteurs (ANPE, plans locaux pour l'insertion et maisons l'emploi) glissent d'un type de schéma vers l'autre quand ils ont besoin de proposer une formation adaptée à une personne. Il est évident qu'en matière de formation professionnelle, les Régions ont une force de frappe supérieure à celle des Départements et collaborent davantage qu'eux avec le monde économique. Il s'agit d'une règle générale qui peut être plus ou moins vraie selon les territoires. C'est pourquoi il est toujours compliqué de représenter l'Association des régions de France. Le principe même d'une région est qu'elle peut être très différente d'un territoire à un autre.

Comme le laissent à penser les débats qui ont lieu dans le cadre du Grenelle de l'insertion, il nous semble qu'il y a besoin, pour gagner en cohérence et faciliter la mobilité professionnelle et géographique, d'assurer une coordination entre les actions entreprises par les Départements, dans la mesure où ils ont la responsabilité principale de l'insertion, et celles relevant des Régions et de l'ensemble des réseaux en charge de l'insertion (réseaux d'accompagnement de personnes et réseaux agissant pour l'insertion par l'activité économique). Souvent les solutions trouvées par les Départements s'inscrivent dans les bassins de vie les plus étroits, ce qui n'est pas toujours idéal quand il faut lutter contre l'exclusion. De la même manière, il n'est pas toujours opportun de regrouper, dans une salle de formation, des personnes en proie aux mêmes problèmes, toute formation devant permettre à chacun de rencontrer d'autres gens, d'autres horizons.

Mieux agir demande des outils adéquats et pas seulement de la bonne volonté.

Enfin, concernant les partenaires sociaux, le comité régional de formation professionnelle et de l'emploi collabore avec eux. Mais pour moi, il est un peu ahurissant de constater l'impossibilité d'intervenir auprès des personnes les plus en difficulté, celles pour lesquelles le service public de l'emploi n'a pas pu apporter de solution, par le biais d'une coordination entre les acteurs en charge de l'insertion. Nous savons très bien qu'il n'est pas possible de construire des parcours d'insertion sans des entreprises qui jouent le jeu, des salariés enclins à faire de l'accompagnement à l'intérieur de leurs entreprises, etc. Nous avons besoin d'avoir un service public de l'emploi qui réoriente correctement les personnes incapables de rechercher un travail vers les services sociaux. Je pense notamment ici aux gens rencontrant des problèmes de drogue, d'alcool et de santé. L'ANPE n'est pas armée pour traiter de ces cas dont peuvent s'occuper uniquement des structures spécialisées. Le seul problème est de réussir à mettre l'ensemble des acteurs en charge de l'insertion en réseau, de manière à ne pas laisser les gens à leur solitude.

Mme Brigitte BOUT, Présidente - M. Guy Fischer a demandé la parole.

M. Guy FISCHER - Nos préoccupations communes consistent à ne pas laisser sur le bord de la route les personnes les plus éloignées de l'emploi. D'après votre expérience, les appels d'offres, devenus obligatoires, pour la prise en charge des personnes en situation d'exclusion ne contribuent-ils pas à éliminer toutes les petites associations de proximité impliquées dans l'insertion au profit de structures importantes, sollicitées pour obtenir des résultats rapidement ?

Vous avez parlé des érémistes. Or je m'interroge sur la volonté du gouvernement de faire passer les personnes bénéficiant aujourd'hui du RMI sous le régime du RSA. Il est à craindre que cette mesure ne conduise à la disparition des minima sociaux. Quel est votre avis sur le sujet ?

Mme Marie-Laure MEYER - Votre interrogation renvoie à plusieurs questions. Tout d'abord, il s'agit de savoir ce qu'est la formation professionnelle. Il est évident qu'un certain nombre d'associations de proximité en charge de l'insertion n'assurent pas de fonctions en matière de formation professionnelle. Elles procèdent à des activités de sensibilisation, de dynamisation ou de découverte de métiers, mais pas de formation professionnelle au sens propre des termes.

En ce qui nous concerne, nous nous intéressons aux enjeux de la formation professionnelle, à la manière de rendre une personne éligible à un emploi classique. Dans ma commune, environ un tiers des bénéficiaires du RMI est dans un état de santé et de forme suffisant pour rechercher un emploi. Il est clair que nous avons besoin de réseaux de proximité pour donner envie aux personnes en situation d'exclusion de se faire connaître et de s'en sortir. Toutefois, le marché de l'emploi étant très compétitif et les populations souffrant de la précarité se caractérisant souvent par de faibles niveaux de qualification, que leur période d'exclusion et de désocialisation a encore aggravés, celles-ci seront condamnées, pour la plupart d'entre elles, à exercer des métiers pénibles et précaires. Il est donc difficile de construire des parcours qualifiants autrement que dans la durée. Au PLIE, d'après le contrat signé avec le FSE, nous suivons les gens pendant deux ans. A ce sujet, nous ne pouvons que déplorer la baisse des crédits du FSE et l'impuissance de la France, laquelle n'a pas su conserver l'enveloppe financière réservée aux PLIE alors que, si le nombre de chômeurs a diminué, celui des personnes en grande difficulté reste toujours aussi élevé.

Cette période de suivi de deux ans s'explique par le fait que les résultats des PLIE se mesurent au nombre de formations qualifiantes ou de contrats de plus de 6 mois obtenus. Nous avons tendance à privilégier ces derniers car ils débouchent sur la restauration de droits sociaux et permettent à ceux qui en bénéficient de reconstruire leur curriculum vitae.

Ainsi, si en début de parcours d'insertion, il convient de travailler avec des associations de proximité, à la fin de ce même parcours, il est nécessaire de faire appel à des équipes professionnelles lourdes. Moins vous êtes qualifiés et avez connu un cheminement professionnel intéressant, plus il faut vous donner des références solides. Ainsi, dans ma commune, j'essaie de convaincre une entreprise comme Axa de prendre en stage des personnes dont nous nous occupons. Il est plus valorisant, en effet, pour un individu au chômage depuis cinq ans, d'effectuer un stage dans une société comme Axa, reconnue mondialement, plutôt que dans le supermarché local. Notre objectif est de redonner une crédibilité professionnelle à des gens qui n'ont plus confiance en eux et dans lesquels nous n'avons plus confiance non plus.

Par conséquent, les réseaux de proximité, pour établir un parcours d'insertion, sont nécessaires mais pas suffisants.

Par ailleurs, les Régions revendiquent le droit constitutionnel de faire appel, soit au marché, soit au service régional de formation, pour la prise en charge de l'insertion. Dans ce domaine, la France ne suit pas les directives européennes. Dans d'autres Etats comme l'Allemagne, la formation a lieu autrement que par le biais du marché. Nous considérons, nous, que, si les formations en bureautique peuvent être traitées par le marché, celles relatives à l'apprentissage des gestes de base doivent relever des services publics au travers d'un certain nombre d'outils (ateliers pédagogiques personnalisés, AFPA, GRETA, CNAM, Universités pour la validation des acquis de l'expérience ou les diplômés d'accès aux études universitaires). Nous nous bagarrons pour imposer ce point de vue. La bataille est encore loin d'être gagnée et c'est l'une des raisons pour lesquelles nous ne souhaitons pas faire appel à l'AFPA. Nous considérons en effet que cet organisme assure à la fois des formations rentrant dans le cadre du marché et d'autres de nature de service public que nous voulons privilégier et ne pas mettre en concurrence.

Je ne suis pas sûre d'avoir répondu à l'ensemble de la complexité de votre question.

Mme Odette HERVIAUX - J'ai été intéressée par votre démarche consistant à distinguer ce qui relève du social et de l'insertion. En même temps, comme vous l'avez souligné, la prise en charge des personnes doit être globale et impliquer des réseaux. Au titre de vos fonctions au sein de l'Association des régions de France, peut-être avez-vous eu connaissance de diverses expérimentations ? Que pensez-vous des regroupements qui ont eu lieu sur le terrain au niveau de certains territoires entre les maisons de l'emploi, qui ne dépendent pas des Régions, les maisons de formation professionnelle, qui elles sont liées aux conseils régionaux, et d'autres organismes (ANPE, missions locales, etc.) ?

Avez-vous des informations à ce sujet ? La prise en compte globale de la personne est-elle mieux assurée dans le cas de ces regroupements ?

Mme Marie-Laure MEYER - J'ai été auditionnée, dans le cadre de la mission DALO, sur le fonctionnement de la maison de l'emploi et de la formation, et non pas maison du chômage, que je préside. Celle-ci regroupe, sur un même site, une agence ANPE, une antenne Assedic, un PLIE, une mission locale, le cycle orientateur de l'AFPA, le dispositif de validation des acquis de l'expérience de l'éducation nationale, le FONGECIF, le CAP Emploi pour les personnes handicapées, l'insertion et une cité des métiers, dans laquelle l'ensemble des organismes cités tiennent des permanences ouvertes au public.

Le dispositif des maisons de l'emploi, tel qu'il existe dans le cadre législatif, pose deux problèmes. Tout d'abord, il a été conçu de manière très souple, de sorte qu'il a fait l'impasse sur certains enjeux essentiels comme l'insertion professionnelle et, de façon plus globale, l'insertion. Le deuxième souci est qu'il n'a fait l'objet d'aucune évaluation véritable pour savoir ce qui a fonctionné et échoué. Le dispositif étant très souple, chacun a pu y construire ce dont il avait besoin et s'il comporte des mesures adéquates, il en comprend sans doute d'autres inappropriées. Le gros avantage du dispositif de la maison de l'emploi est de nous amener à adapter les missions de service public aux territoires et à accueillir les publics pour les orienter vers les structures adaptées à leur situation puis à assurer leur suivi.

Les Régions n'ont pas été associées à l'élaboration de la loi ayant institué les maisons de l'emploi. De fait, en l'absence de cadre, nous avons été conduits à agir en fonction des relations plus ou moins cordiales que nous pouvons entretenir avec les préfets de régions et des dispositifs qui avaient déjà été mis en place. Par exemple, des régions disposaient déjà de maisons de formation, d'autres comme la Picardie avaient réussi à construire un cahier des charges commun, d'autres encore comme la Région Ile-de-France, après avoir travaillé pendant deux ans pour élaborer un cahier des charges d'appui aux maisons de l'emploi, se sont vues indiquer par l'Etat son refus finalement de construire finalement cette maison de l'emploi. Par conséquent, le dispositif a tendance à flotter un peu.

Or, pour moi, dans un pays de plus en plus décentralisé comme la France, il est indispensable d'aller vers la territorialisation et la mise en oeuvre d'un travail collectif, en réseau, concernant l'insertion ; d'autant plus que les problématiques varient en fonction des territoires, nous conduisant à entreprendre des actions à géométries variables.

Malgré tout, des acteurs sont incontournables. Or ils me semblent avoir été oubliés un peu par la loi. Il s'agit des partenaires sociaux, de l'éducation nationale, des conseils généraux, des conseils régionaux et des chambres consulaires. Si nous ne voulons pas construire une maison du chômage, nous sommes obligés de mettre à disposition, non seulement un service public pour les demandeurs d'emplois, mais aussi un service public du recrutement dans lequel les employeurs doivent tenir une place à part entière. Je pense notamment aux PME qui rencontrent des difficultés à embaucher. Les expériences qui fonctionnent s'inscrivent plus ou moins dans cette démarche. Elles répondent aux besoins d'avoir une meilleure capacité d'accueil des publics, de s'adresser à ceux qui n'ont plus de travail mais aussi à l'ensemble des personnes en situation de précarité, c'est-à-dire de prévenir le chômage et pas seulement d'en réparer les dommages, de mieux collaborer avec les employeurs autour de projets dynamiques. D'ailleurs, autour des maisons de l'emploi, de plus en plus de groupements d'entrepreneurs voient le jour.

Sur le principe, le citoyen n'a pas à s'orienter seul du fait de la complexité des services publics. C'est le médecin référent et non pas vous qui doit vous dire quel spécialiste vous devez consulter.

Comme je l'ai déjà souligné, le début des parcours d'insertion doit s'effectuer dans des structures de proximité. Tout ce qui peut permettre de tisser des liens à des niveaux locaux est le bienvenu. Car la mobilité professionnelle, pour un chômeur de longue durée et sans argent, n'ayant pas la possibilité de déménager et de changer de logement, est forcément limitée.

Les entreprises qui s'investissent le plus dans l'insertion représentent les PME. Ce sont elles qui effectuent des recrutements non-standardisés, basés avant tout sur l'échange et le mode relationnel.

Enfin, il nous paraît essentiel d'améliorer la couverture territoriale des maisons de l'emploi. Autant nous pouvons admettre de laisser aux élus locaux le soin de décider du contenu des maisons d'emploi, puisqu'ils en ont la responsabilité, autant nous ne pouvons accepter que certains territoires bénéficient de ces structures et d'autres pas. En effet, toute personne, quel que soit l'endroit où elle vit en France, doit jouir du même libre accès aux services publics.

Mme Annie Jarraud-VERGNOLLE -

L'observation des politiques en matière d'insertion menées depuis 25 ans montrent que celles-ci sont peu lisibles, non seulement pour leurs bénéficiaires, mais aussi pour les acteurs de l'insertion ; ces politiques relevant aussi bien de la responsabilité de l'Etat que de collectivités territoriales. Les maisons de l'emploi représentent des lieux de ressources en mesure de regrouper l'ensemble des acteurs intervenant dans l'insertion des publics en difficulté, qu'il s'agisse d'acteurs publics, associatifs et privés. Les pensez-vous aptes et compétents pour établir des diagnostics des mesures mises en place au niveau global et de chaque individu et mettre en cohérence les actions menées par les différents partenaires susceptibles d'accompagner les personnes en situation de précarité ?

S'agissant des publics en très grande difficulté et en particulier des jeunes en rupture scolaire, l'arrêt des programmes TRACE et de tous les dispositifs d'accompagnement dont ils pouvaient bénéficier pendant une durée d'un an et demi à deux ans leur est-il dommageable ? Que pouvons-nous leur proposer pour les soutenir, le programme CIVIS n'ayant pas répondu à toutes les attentes exprimées ?

Pour le public adulte qui ne travaille plus depuis longtemps, il existait auparavant les stages d'insertion et de formation à l'emploi (SIFOR), lesquels étaient gérés de manière déconcentrée par les directions départementales de l'emploi et avaient obtenu de très bons résultats. Or, ils ont disparu, en tout cas sur mon territoire, dans le grand Sud ouest, et ils manquent fortement.

Enfin, depuis peu de temps, nous assistons à la décentralisation de la formation des travailleurs sociaux. A la lumière de cette évolution, ne pensez-vous pas nécessaire de remettre à jour le cahier des charges portant sur la formation initiale des travailleurs sociaux, de manière à les intéresser davantage aux politiques d'insertion mises en place ?

Mme Marie-Laure MEYER - Je ne peux pas parler au nom de l'Association des régions de France au sujet des maisons de l'emploi, celle-ci n'étant pas compétente pour le faire. Toutefois, dans le cahier des charges de ces structures, le diagnostic est obligatoire, préalable à l'obtention de la labellisation. Dans les accords signés avec l'Etat, les maisons de l'emploi doivent être capables d'assurer des fonctions dans la gestion prévisionnelle des emplois et compétences (GPEC) au niveau des territoires. La question est de savoir ce que nous faisons de ces diagnostics, de quelle manière il nous est possible de les confronter à d'autres GPEC établis à d'autres niveaux et de ne pas enfermer les personnes en difficulté sur un territoire large de 20 kilomètres. L'action locale dans le domaine de l'insertion n'a de sens que si elle est bien reliée à d'autres actions stratégiques prises à différents échelons. Tout le monde n'est pas destiné à travailler à côté de chez soi. Il est important d'indiquer aux publics en difficulté que trouver un emploi à proximité de leur domicile peut constituer une étape mais pas forcément un objectif.

Une maison de l'emploi représente une coquille. Elle est capable d'accomplir des diagnostics des personnes les plus en difficulté si elle dispose des équipes pour mener cette tâche. Or les plus spécialisées dans ce domaine sont celles des PLIE, lesquelles sont intégrées à la maison de l'emploi que je préside. Toutefois, cette situation n'équivaut pas à une règle générale. En effet, à certains endroits, les maisons de l'emploi avoisinent les PLIE ou se sont construites sans elles. De fait, il nous est très difficile aujourd'hui de conserver les financements alloués aux PLIE, ceux-ci ayant perdu de leur légitimité alors qu'ils ont pour but de prendre en charge toutes les personnes en difficulté n'ayant pas trouvé de réponse à leurs problèmes par le droit commun en leur proposant une solution sur-mesure. Les PLIE doivent être des lieux dédiés à l'innovation, à la mutualisation et à l'expertise, construisant des dispositifs de prise en charge novateurs, des modules de formations jusqu'alors inconnus - ils ont l'habitude ainsi de lancer des appels à projets pour des formations spécifiques - des passerelles dans tous les sens. Cela signifie que l'Etat accepte de les contrôler, non pas a priori, mais a posteriori, sur leurs résultats. Environ 50% des PLIE connaissent des résultats positifs en obtenant, pour les personnes dont ils ont la charge, soit des contrats de travail d'une durée supérieure à six mois, soit des formations qualifiantes. Autrement dit, leur taux d'échec serait de 50%, un pourcentage qu'il convient cependant d'analyser finement, celui-ci, par exemple, s'expliquant en grande partie dans ma commune par le fait que des personnes ont déménagé et qu'il a donc été impossible pour les PLIE de leur trouver des solutions. Des personnes quittent ces structures en cours de route car elles ne peuvent pas être hébergées sur place.

Les PLIE constituent donc des outils ayant prouvé leur efficacité et, avec la mise en place des contrats d'autonomie et le lancement d'appel d'offres de la DGEFP par lots départementaux, un mois après des élections municipales et dans un moment de renouvellement des conseils d'administration des missions locales et des maisons de l'emploi, nous pouvons nous demander à quoi il a servi, pendant vingt ans, d'essayer de redonner confiance dans le service public de l'emploi s'il s'agit aujourd'hui de confier le placement des chômeurs, notamment ceux qu'il est le plus difficile à caser, à des prestataires et des boites d'intérim.

Pour qu'un jeune fasse confiance à un dispositif, il faut qu'il puisse en percevoir l'efficacité dans la durée, notamment auprès de ses copains ou de sa famille. Or, si les systèmes de prise en charge changent tous les trois ans, cette confiance est impossible à obtenir, car le bouche-à-oreille n'a pas le temps de fonctionner. Il a fallu quinze ans pour rendre crédibles les missions locales, convaincre les personnes de leur utilité et leur montrer notamment qu'elles servent à tisser les liens avec l'éducation nationale, et il est évident que le marché passé par la DGEFP va nous mettre dans l'embarras. J'ai parlé de ce sujet à la DGEFP et à M. Bernard Laporte à qui j'ai expliqué que les écoles de la deuxième chance sont financées à 34% par le FSE, à 30% par la Région, à 12% par les entreprises, à 7% par les collectivités autres que le conseil régional et à 0% par l'Etat. Ces établissements représentent des outils qui fonctionnent, ayant inventé un système pédagogique original suscitant l'attrait du public en décrochage scolaire. Aussi il me semblerait plus opportun de les consolider - dans le programme présidentiel de M. Nicolas Sarkozy, il est prévu d'en construire un par département - plutôt que de mettre en place ce contrat d'autonomie dépourvu, de plus, de tout délai de carence après la sortie de l'école. Autrement dit, ce contrat sera appliqué directement dès la fin des études. Il prévaudra donc sur toutes les autres formes de solutions possibles (alternance, contrats de professionnalisation avec les jeunes, apprentissage avec la mise en place de classes d'apprentissage pour permettre également aux jeunes issus des missions locales de se former à un métier et d'acquérir au moins un niveau 5 validé, etc.). A ce jour, moins de 3% des jeunes sortant des missions locales accèdent à l'apprentissage. Dans un système économique en perpétuel mouvement, il est nécessaire, même pour des métiers peu qualifiés, d'avoir au moins un niveau 5 validé, sous peine de se retrouver au chômage et plus tard au RMI, voire en situation d'exclusion.

Les programmes de type Trace et Civis ont donné de très bons résultats. Mais ils n'ont de sens que s'ils s'inscrivent dans la durée pour s'ancrer dans les mentalités locales, susciter la confiance et montrer leur utilité auprès des personnes.

Concernant le public des adultes, la situation est un peu compliquée. Depuis quatre ans, toutes les régions ont mis l'accent sur la formation professionnelle des adultes. Un ouvrage a été publié par le conseil national de la formation tout au long de la vie sur la géographie de la formation professionnelle des demandeurs d'emplois. Il montre bien la montée en puissance des Régions en la matière, lesquelles ont adopté des politiques de rémunération, en particulier dans les secteurs du sanitaire et du social. Presque tous les conseils régionaux ont mis en place des bourses pour l'enseignement supérieur, des fonds sociaux pour tous les publics non éligibles au système de bourse en raison de leur âgé trop avancé, de manière à instaurer des dispositifs d'aides sociales. De gros problèmes se posent actuellement en Ile-de-France avec les personnes originaires des DOM-TOM, le montant de la bourse spéciale DOM-TOM étant beaucoup trop faible pour permettre à leurs bénéficiaires de se loger dans la région parisienne. Les DOM et TOM souhaitent que leurs ressortissants reviennent dans leurs régions à la fin de leurs études et, pour cela, ils aspirent à nouer des partenariats avec la Région Ile-de-France. Or, la loi n'a rien prévu sur les liens interrégionaux alors que, par exemple, l'Ile-de-France, riche d'un nombre important de CHU et d'employeurs, exporte 40% des personnes qu'elles forment dans les domaines du sanitaire et du social. Pendant combien de temps encore cette situation pourra-t-elle perdurer si aucune règle du jeu n'est instaurée entre les régions ? Les ressortissants des DOM-TOM représentent entre 400 et 500 stagiaires dans les secteurs du sanitaire et du social. Leur nombre est très élevé et ils ont beaucoup de mal à trouver un emploi en Ile-de-France alors qu'ils seraient accueillis les bras ouverts dans leurs territoires d'origine.

Nous formons donc les adultes, travaillons sur des politiques de rémunération, la mise en place de parcours qualifiants et souhaitons privilégier l'alternance, le dispositif qui nous semble le plus efficace. Dire à une personne adulte qu'elle est inemployable et qu'elle doit repartir en formation n'aboutit à créer aucune dynamique. Il est préférable de lui permettre de tester ses compétences auprès d'un employer et de s'apercevoir qu'elle a besoin d'une remise à niveau. Dans le cadre du Grenelle de l'insertion, nous avons demandé aux réseaux de l'Insertion par l'activité économique (IAE) et aux partenaires sociaux de réfléchir à la création d'un contrat de professionnalisation d'insertion. L'idée serait d'avoir un contrat d'insertion, non pas stigmatisant, mais relativement souple, ouvrant le droit à son titulaire d'accéder à de multiples employeurs et de multiples formations, de travailler dans une association puis une entreprise et ensuite de suivre une formation par exemple, en somme de bénéficier d'un parcours sur-mesure.

S'agissant des partenaires sociaux, nous n'avons toujours pas réglé le problème causé par le manque de sécurité des locaux, lequel rend impossible le déroulement des formations. Car en cas d'incident, la responsabilité pénale des dirigeants des associations est engagée. S'agissant de l'AP-HP, la Région Ile-de-France a un grand débat avec l'Etat au sujet du montant de la compensation dont elle estime avoir besoin, les évaluations en la matière étant très diverses entre les deux acteurs. Les compensations qui nous sont allouées sont versées sur la base de quotas. Or ceux-ci ayant augmenté, il s'agit de savoir si les sommes qui nous sont distribuées ont cru aussi.

La validation des acquis de l'expérience (VAE), dans les domaines du sanitaire et du social, est assez apocalyptique. Il est assez extraordinaire de constater combien le nombre de personnes assurant des fonctions dans ces secteurs est élevé, et faible quand il est demandé de procéder à des validations. Je ne comprends pas très bien pourquoi une personne ne peut pas devenir automatiquement, sans avoir à reprendre d'études coûteuses, infirmière quand elle a assumé, seule et pendant cinq ans, la sécurité des patients dans un service. Cette situation pose problème, d'autant plus que nous manquons d'infirmières. La VAE constitue un outil dont nous n'avons pas beaucoup parlé. Or il revêt une grande importance, notamment parce qu'il donne envie de se former. Il est frappant de voir à quel point les personnes qui suivent une VAE manifestent le souhait de reprendre des études.

Par ailleurs, la VAE se traduit par une forme de reconnaissance des publics. Je ne peux pas imaginer qu'un individu ait passé plusieurs années dans un endroit en n'ayant rien appris. Le fait de pouvoir valider une partie de ses acquis apporte du réconfort aux gens.

Enfin, la VAE permet de diminuer le coût de la formation et donc d'offrir des formations complémentaires aux publics.

Sur le contenu de la formation des travailleurs sociaux, nous n'avons pas droit de regard dessus en principe. De fait, il a connu peu d'évolutions. Nous intervenons uniquement sur ce qui concerne les stages et les possibilités d'apprentissage dans la fonction publique territoriale et dans la fonction publique hospitalière. Il est évident que la formation professionnelle dans le domaine de santé s'articule mal avec les exigences du secteur. Il est extravagant de constater qu'un diplôme d'auxiliaire de vie n'ouvre pas droit à un poste d'ATSEM dans les écoles maternelles alors qu'il suffit, à chacun, d'avoir élevé trois enfants pour pouvoir valider la partie pratique de ce diplôme. Ce genre de métiers, qui exige des diplômes peu élevés, pourrait très bien être accessible à des femmes seules, de quarante ans. Or il ne l'est pas en raison d'entraves administratives.

Mme Annie Jarraud-VERGNOLLE - Qui peut établir ce diagnostic ?

Mme Marie-Laure MEYER - Nous considérons qu'en termes d'espace territorial, les Régions se situent à un niveau intermédiaire intéressant. Notre fonction n'est pas de faire, mais de mutualiser, de coordonner et de fédérer. Nous sommes en lien avec les Départements, les communautés d'agglomérations et avec les réseaux associatifs. Je parle ici de liens, non seulement institutionnels, mais aussi personnels, entre individus de collectivités différentes.

A travers le schéma de développement économique et le schéma de formation, nous posons les diagnostics des situations et les axes stratégiques à suivre, étant entendu que les schémas régionaux de formation ne sont prescriptifs pour aucun de leurs participants. Par exemple, nous travaillons actuellement avec l'éducation nationale pour répartir les formations, notamment de niveaux 5 et 4, sur le territoire, de façon à ce qu'elles ne soient pas toutes concentrées dans quelques régions et obéissent à un minimum de cohérence. Nous savons que moins les gens possèdent un niveau de formation initial fort, moins ils ont d'appétit pour suivre une formation et plus ils en décrochent rapidement. L'Etat a le pouvoir de décider. Mais s'il met en oeuvre ce qu'il veut faire en matière de formation le lendemain même du jour où il a arrêté ses projets, alors que deviennent tous les équipements techniques mis en place dans les lycées ? Ainsi, le choix de délivrer le baccalauréat professionnel au bout de, non plus trois, mais deux ans de scolarité aboutira au fait que de plus en plus de jeunes, ceux qui n'auront pas le diplôme, quitteront le lycée sans aucun niveau de qualification puisqu'ils n'auront même pas le niveau 5. Aussi il serait bien d'instaurer des équivalences pour au moins leur permettre d'atteindre ce niveau.

Si l'Etat ne nous donne pas le temps de nous adapter, les diagnostics ne servent à rien. De plus, la base fiscale de la Région Ile-de-France étant relativement faible, sa marge de manoeuvre financière est limitée, d'autant plus qu'elle est amputée par ses investissements dans les transports. Sur un budget de 4 milliards d'euros, elle dépense 1 milliard d'euros dans la formation professionnelle, 1 milliard d'euros dans les lycées, 1 milliard d'euros dans les transports et 1 milliard d'euros dans l'ensemble des autres domaines à sa charge. L'établissement de diagnostics territoriaux n'a de sens que si chacun de ceux qui ont participé à leur élaboration s'engage au moins à inscrire ses projets dans la durée et à ne pas changer les règles du jeu en cours de route. Le niveau régional est pertinent pour réaliser des diagnostics et mettre en place des plans d'actions partagées, ce qui n'interdit pas à chaque partenaire d'avoir des programmes d'interventions personnalisées, à condition que les acteurs disent ce qu'ils feront dans les prochaines années dans le cadre de contractualisations. Or notre plus gros problème réside dans le fait qu'il est très difficile de connaître les intentions de l'Etat, lequel peut changer de politique régulièrement et décider, sans prévenir, de ne plus nous verser 500 000 euros.

Mme Brigitte BOUT, Présidente - On vous remercie de votre témoignage passionné.

Mme Marie-Laure MEYER - J'aurais bien voulu dire deux mots au sujet du RSA.

M. Guy FISCHER - La commission des finances auditionne M. Martin Hirsch sur le sujet la semaine prochaine.

Mme Marie-Laure MEYER - En ma qualité d'élue locale ayant une bonne connaissance de ce qui relève de l'insertion, le principe du RSA consistant à faciliter le retour à l'emploi en assurant à des personnes, souvent endettées, une autonomie financière, est intéressant. Toutefois, si ce dispositif s'adresse uniquement aux travailleurs pauvres, il est à craindre qu'il n'aboutisse finalement à augmenter leur nombre, sauf à aligner son financement sur la base d'un bonus malus lié à l'utilisation de contrats à temps partiels imposés ou de contrats précaires. Grosso modo, le RSA consiste en une redistribution de l'impact négatif sur le revenu des gens des contrats précaires et à temps partiels imposés. S'il est financé par un malus versé par les entreprises où les contrats précaires abondent, il pourrait avoir un sens en obligeant ces dernières à témoigner d'imagination pour mieux s'organiser et solliciter davantage d'emplois pérennes. Dans le cas contraire, nous assisterons à une explosion de la précarité et des contrats à temps partiel subis. Ma grande inquiétude est que le RSA devienne un gouffre. Très clairement, un contrat précaire revient à faire porter par les salariés le risque d'un mauvais résultat de l'entreprise. De fait, en l'absence de tout instrument compensatoire, je ne vois aucune raison qui pousserait les entreprises à améliorer leur mode de fonctionnement et d'organisation interne et à ne plus faire appel à des contrats « bouche-trou ». Il s'agit d'un grand risque. Le RSA cache de vrais dangers.

Audition de MM. Gilles MIRIEU DE LABARRE, président, et Sylvain CUZENT, directeur général du Centre d'action sociale protestant (CASP) - (29 avril 2008)

Mme Brigitte BOUT, Présidente - Nous accueillons M. Gilles Mirieu de Labarre, président, et M. Sylvain Cuzent, directeur général du centre d'action sociale protestant (CASP). Pouvez-vous nous présenter succinctement votre organisation, la manière dont elle est financée et organisée et reçoit les personnes en difficulté ? Je vous remercie, par ailleurs, de bien vouloir caractériser les phénomènes d'exclusion tels qu'ils se manifestent aujourd'hui et nous indiquer, en tant qu'acteurs de terrain, si ceux-ci ont tendance à s'aggraver. A la suite de votre propos introductif, nous vous poserons quelques questions.

M. Gilles MIRIEU DE LABARRE - Merci, Mme la présidente, de nous permettre de présenter le centre d'action sociale protestant à vous, représentants parlementaires. C'est la première fois que nous participons à ce type d'audition et nous en somme très honorés.

Le centre d'action sociale protestant est une vieille dame, âgée de plus de cent ans. Il a été créé en 1905 et reconnu d'utilité publique en 1906. A cette date, l'association avait une dimension très charitable. Elle est issue de la loi de séparation de l'église et de l'Etat en 1905.

Nous avons vécu à un rythme calme pendant une cinquantaine d'années, jusqu'en 1981, date à laquelle nous avons changé nos statuts pour nous permettre d'accueillir et d'héberger toutes personnes, quels que soient leur religion, leur sexe et leur couleur de peau, et de leur donner les moyens de retrouver une dignité humaine, de se reconstruire et d'avoir à nouveau des projets personnels. Telle est notre mission définie par les statuts de l'association.

Le centre d'action sociale protestant représente une association laïque qui tire son origine de la loi de séparation de l'église et de l'Etat. Nous avons, à l'heure actuelle, cinq missions principales :

- L'accueil. Nous recevons un grand nombre de personnes à Paris dans les centres que nous possédons.

- L'hébergement d'urgence. Dans ce domaine, nous sommes devenus un très gros opérateur parisien. Nous gérons à peu près le même nombre de places d'hébergement d'urgence qu'Emmaüs à Paris.

- L'hébergement d'insertion et de stabilisation au travers de structures originales visant à stabiliser des personnes pendant un certain nombre de mois, afin de les aider à bâtir un vrai projet d'insertion.

- L'insertion professionnelle, l'accès aux droits et à la santé.

- Notre dernière mission est beaucoup plus récente. Nous l'avons mise en oeuvre à la demande des pouvoirs publics. Nous avons été sollicités, en effet, pour créer une plate-forme d'accueil des familles demandeuses d'asile à Paris. Ce dispositif porte le nom de CAFDA (coordination d'accueil des familles demandeuses d'asile). Il a pour vocation d'accueillir les familles demandeurs d'asile à Paris, principalement des femmes et des couples avec enfants. Il cohabite avec deux autres plates-formes du même genre, réalisées par l'Etat en dehors de Paris.

Ces cinq missions sont appuyées par un projet associatif, basé sur trois ou quatre grandes valeurs :

- Inconditionnalité de l'accueil. Nous considérons que l'accueil dans les hébergements d'urgence ne doit obéir à aucune condition.

- Nous appréhendons les personnes dans leur globalité. Nous ne souhaitons pas rentrer dans une logique de guichet. Pour nous, l'individu doit être au coeur de nos préoccupations et les solutions que nous lui proposons sont liées au diagnostic que nous avons établi de sa situation. Nos travailleurs sociaux auront pour charge de s'occuper de la personne et de sa famille dans leur globalité en traitant de l'ensemble des problèmes auxquels elles peuvent être confrontées (santé, logement, travail).

- Nous ne sommes pas dans une logique d'assistance. Nous cherchons à responsabiliser les individus qui sont eux-mêmes acteurs de leurs projets, notre association n'étant là que pour leur fourni tous les soutiens nécessaires et les liens utiles.

Comme vous l'aurez compris, le centre d'action sociale protestant essaie de donner du sens à la vie des personnes en difficulté et de leur mettre à disposition des passerelles qui les mènent vers des lieux où elles peuvent trouver des dispositifs et des méthodes leur permettant de se ressourcer, de retrouver une dignité et une utilité sociale au sein du pays.

Ces valeurs sont, pour nous, intangibles. C'est sur elles que reposent notre projet associatif et notre structure devenue importante avec le temps. Ainsi, le centre d'action sociale protestant compte 250 salariés et une centaine de bénévoles. Son budget global s'établit à 30 millions d'euros, faisant de nous un acteur majeur dans la lutte contre l'exclusion. Nous hébergeons, dans le cadre de l'ensemble de nos structures parisiennes, environ 4 500 personnes. Notre association intervient surtout à Paris intra muros où elle gère une vingtaine de centres. Elle agit en permanence en lien avec ses partenaires que sont les bailleurs de l'action publique. Plus de 95% de nos financements sont de nature publique.

Je vous ai livré une présentation générale du CASP. Je suis prêt à répondre à toutes vos questions concernant, par exemple, notre organisation et nos projets. Mais pour l'heure, je souhaite insister sur le fait que le centre d'action sociale protestant, au travers de son histoire, a toujours essayé, sur la base de son travail effectué sur le terrain, de faire preuve d'innovation dans la prise en charge des personnes en difficulté, notamment en créant des structures un peu singulières et, si possible, en avance sur leur temps. Par exemple, nous avons très vite compris que les personnes accueillies en hébergement d'urgence doivent être stabilisées. Aussi nous n'avons pas attendu les dernières évolutions réglementaires pour offrir en nombre des places d'hébergement dans la durée et, en même temps, appliquer les principes de l'accueil inconditionnel et de non remise à la rue des familles. Nous n'avons jamais accepté de remettre quelqu'un à la rue. Il s'agit d'un scénario inconcevable pour nous.

Notre perception de la pauvreté est multiple, tout d'abord parce que les populations évoluant dans nos structures ont évolué dans le temps. Alors que le centre d'action sociale protestant recevait surtout, au début de son existence, des hommes seuls et d'un certain âge, il accueille aujourd'hui des publics très variés, et notamment des jeunes femmes et des jeunes mères. M. Sylvain Cuzent vous expliquera tout à l'heure ce que nous mettons à disposition de ces dernières dans l'un de nos centres, le foyer Eglantine.

Nous hébergeons aussi des femmes qui ont traîné à la rue pendant plusieurs années et que nous sommes obligés, en raison de leur état de fragilité, de restructurer entièrement. Pour cela, nous avons besoin de temps. De fait, il faut considérer la lutte contre l'exclusion, non plus comme un combat à mener dans l'urgence, mais comme un acte politique. En tant que représentants de la Nation, vous devez, me semble-t-il, porter ce message. Nous ne pouvons plus appréhender l'urgence au travers d'un plan hiver qui n'a plus beaucoup de sens. Autant ce plan a pu montrer son efficacité à certains moments, autant il n'a plus grande signification aujourd'hui. La grande exclusion n'est plus un état à l'instant t. Il constitue surtout un processus amenant des personnes à dériver petit à petit et qui trouve ses causes dans les origines et les histoires sociales et familiales des individus. Une statistique m'a toujours frappé. Alors que le taux de personnes sans-abri est de 2% dans la population française, il est de 28% parmi les gens ayant été élevés à la DDASS ; preuves de l'impact majeur des ruptures de vie sur ce pourcentage.

Notre deuxième perception de la pauvreté porte sur l'état de santé des personnes que nous accueillons. Une de nos missions support a trait à l'insertion professionnelle. Elle nous conduit à accueillir et à héberger des individus et à répondre à des appels d'offres de l'ANPE et l'ensemble de ce travail nous a permis de constater qu'environ un vingtième des personnes en difficulté rencontre des problèmes de santé physique ou mentale, ce qui se comprend aisément. Quand quelqu'un est déstructuré, son cerveau est souvent atteint. Aussi le rôle des travailleurs sociaux est amené à évoluer. Il doit se traduire par de l'accompagnement, non seulement social, mais aussi psychologique, une double tâche que nos équipes ont parfois du mal à accomplir.

Notre troisième vision de la pauvreté renvoie au poste hospitalier. Il se trouve que certaines personnes fragiles peuvent avoir besoin de se faire opérer quand elles souffrent d'un grave problème de santé. Pour leur éviter de traîner dans la rue après leur opération, nous avons créé une structure spéciale permettant à ces personnes convalescentes de se reposer, de se stabiliser et de chercher avec nous le moyen de se réinsérer et éventuellement de trouver un logement.

Par ailleurs, certaines de nos structures abritent des travailleurs pauvres, n'ayant pas les moyens de payer un loyer dans le parc du logement social ou privé. Ils peuvent s'acquitter d'une certaine somme pour occuper un appartement (150 euros dans nos structures d'hébergement), mais à condition qu'elle ne soit pas trop élevée.

La perception de la pauvreté est aussi celle que la société porte à son égard. Or, aujourd'hui nos concitoyens ont tendance à dire que la pauvreté est l'affaire des associations, de l'Etat et des collectivités, notamment des conseils généraux concernant le RMI. Il s'est créé, à ce niveau, une rupture dans la nation. Auparavant, des rapports existaient entre les sans-abri et le reste de la population. Ils sont de plus en plus rares aujourd'hui. Les gens pauvres sont souvent seuls, n'ont plus de relations sociales et tout notre travail consiste à les remettre en lien avec la société.

Voilà ce que je pouvais vous dire en introduction. J'imagine que vous nous poserez des questions. Mais je vous propose tout d'abord de laisser la parole à M. Sylvain Cuzent, chargé de vous faire part d'expériences de terrain.

M. Sylvain CUZENT - Pour répondre à vos premières questions, il est difficile pour nous d'évaluer l'évolution de la pauvreté, car nos structures sont pratiquement toujours pleines. D'après nos estimations, nous donnons suite à une demande de place d'hébergement sur quatre-vingt. Mais cette estimation n'est pas forcément représentative de la situation de l'exclusion en France.

Néanmoins, nous observons de manière très nette, surtout depuis un an, qu'il est de plus en plus difficile pour les personnes de sortir de la pauvreté et des centres d'hébergement d'urgence. Cette réalité s'explique notamment par le fait que le PARSA, s'il a conduit à améliorer la qualité des centres d'hébergement - nous avons découvert dans la circulaire hivernale de la DDASS éditée au mois de décembre que nos centres d'hébergement d'urgence, à la suite d'une décision administrative, ont changé de nom et sont devenus des lieux de stabilisation - , ne s'est pas du tout traduit par une plus grande facilité pour accéder au logement. Seulement un dixième des places qui devaient être proposées a pu être libéré. Par conséquent, l'appel d'air qui était envisagé et devait amener à vider une partie des centres d'hébergement des personnes prêtes à en sortir n'a pas eu lieu.

La loi DALO, dont on ne discute absolument pas les jalons, a renforcé les difficultés que nous rencontrons. Car le principe de non remise à la rue, sur lequel repose le fonctionnement de notre association, fait que les personnes accueillies dans nos centres conservent leurs lits tant qu'ils n'ont pas trouvé une solution d'hébergement ailleurs, empêchant celles qui vivent dehors de prendre leurs places et d'avoir elles-mêmes un lit. Ce tableau est un peu caricatural. Mais il illustre assez bien la réalité et signifie que les travailleurs sociaux au contact des individus à la recherche d'un hébergement passent des heures au téléphone pour essayer de leur dénicher un abri et sont, de fait, souvent découragés, ayant le sentiment que la situation empire de plus en plus. Nous sommes confrontés à une sorte de morosité sociale assez grave, car elle contribue à remettre en cause des principes pourtant bons sur le fond.

Comme chacun le sait, la loi DALO ne créera aucun logement. Aussi, au sein de la commission de médiation DALO dans laquelle nous siégeons à Paris, nous en sommes réduits à comptabiliser le nombre de personnes relevant de ce droit au logement et à qui la préfecture est incapable de fournir un lit. Cette situation pèse très lourd sur notre travail et celui des travailleurs sociaux. Par conséquent, le moral des troupes n'est pas au beau fixe, d'autant plus que les demandes de logements mettent de plus en plus de temps pour être satisfaites. La conséquence en est que les personnes commencent à ne plus respecter certaines règles ou règlements intérieurs s'imposant à elles dans les centres d'hébergement dans lesquels ils sont accueillis. Sans vouloir trop noircir le tableau, il existe une sorte de désarroi général lié à une absence de perspectives et une aggravation des difficultés pour les personnes à sortir des centres d'hébergement d'urgence.

Nous avons fait partie du collectif associatif qui a alerté le Premier ministre sur la gravité de la situation. Suite à cette interpellation, le député M. Etienne Pinte a mené un travail auprès de M. François Fillon et il apparaît que la principale priorité consiste à mobiliser des financements pour construire des logements très sociaux, de type PLA-I, de manière à permettre aux gens qui occupent nos lits d'avoir accès à un toit. Une telle mesure est compliquée à mettre en oeuvre, comme nous l'a confirmé M. Pélissier en nous précisant qu'une bonne partie des fonds réservée au logement très social n'est pas utilisée en raison de la difficulté à acquérir du foncier et des réticences des élus locaux à accueillir ces types de logements sur leur territoire. La loi SRU impose la présence de 20% de logements sociaux dans les villes d'un certain seuil. Mais elle n'est souvent pas respectée par les acteurs locaux qui préfèrent avoir des logements haut de gamme (PLUS) plutôt que des logements très sociaux (PLA-I) dans leurs communes. Leur attitude se comprend. Malgré tout, il va bien falloir trouver des solutions pour régler le problème du logement en France. Celles-ci peuvent passer par la réalisation d'appartements collectifs, qui pourraient être loués et habités par deux ou trois personnes au RMI, sous couvert d'un bail signé par notre association. Toutefois, il s'agit de solutions de fortune qu'il est impossible de généraliser.

Il existe donc un gros problème de logement en France, surtout à Paris où la situation est assez catastrophique.

M. Gilles MIRIEU DE LABARRE - Je souhaite compléter les propos de M. Sylvain Cuzent. Environ 50% des personnes accueillies dans nos CHRS se disent prêtes à aller dans des logements sociaux ou très sociaux. Or, elles n'y vont pas car les appartements de ce type manquent. Du coup, nos structures sont saturées et elles ne peuvent être un secours pour les personnes sans-abri et jouer leur rôle de passerelle auprès d'elles. J'ai fait part, avec insistance, de ce problème au Premier ministre. Malheureusement, il est à craindre qu'avec le travail de M. Etienne Pinte et sa proposition de créer 20 000 PLA-I, nous ne nous trompions d'échelle. Car ce nombre de logements très sociaux supplémentaires ne permettra pas aux CHRS d'être moins engorgés à l'échelon national. En effet, des dizaines de milliers de personnes sont éligibles aux PLA-I. Nous avons donc besoin d'une politique plus ambitieuse.

Pour l'heure, le manque de logements oblige la collectivité à payer, non seulement le coût de la prise en charge des personnes dans les structures d'hébergement d'urgence, mais aussi la casse sociale qu'il engendre et que nous aurons à supporter pendant des dizaines d'années. D'un point de vue macroéconomique, la situation est aberrante et témoigne d'une mauvaise utilisation des fonds publics. C'est pourquoi nous devons faire preuve de plus d'ambition et aller au-delà de cet objectif de construire 20 000 logements très sociaux.

M. Guy FISCHER - Combien en faudrait-il ?

M. Gilles MIRIEU DE LABARRE - Je ne peux vous répondre de manière précise. Mais intuitivement, il en faudrait au moins quatre fois plus. Leur réalisation dans un délai court permettrait à nos structures d'être moins engorgées immédiatement, 50% des personnes que nous accueillons étant réinsérées et prêtes à quitter nos structures.

Les populations que nous recevons dans nos centres sont, pour beaucoup d'entre elles, issues de l'immigration, des personnes étrangères en situation régulière ou irrégulière. Notre accueil dans les structures d'hébergement d'urgence reposant sur l'inconditionnalité, nous y intervenons de la même manière envers les individus qui ont des papiers et ceux qui n'en ont pas. Mais que faisons-nous lorsque nous avons accompli un travail important auprès d'une personne en situation régulière et que celle-ci, pour une raison ou autre, perd ses papiers et bascule dans l'irrégularité ? La remettons-nous à la rue ? Je me vois mal chasser une femme et ses enfants de nos centres parce qu'elle aurait perdu ses papiers. Par conséquent, nous accueillons dans nos structures des publics ni expulsables, ni régularisables, mais envers lesquelles la Nation doit se positionner. Pendant des années, l'Etat a mené une politique d'autruche dans ce domaine. Aujourd'hui, il semble avoir changé d'attitude. Nous avons signé, avec la DDASS de Paris, une convention à travers laquelle nous accueillons les personnes déboutées du droit d'asile. Ce dispositif fonctionne. Malgré tout, les personnes en situation irrégulière nous posent soucis. Nous sommes confrontés à une injonction paradoxale, soumis, d'un côté, à la loi RESEDA qui durcit les conditions de séjour sur le territoire français, et, de l'autre côté, à notre principe d'inconditionnalité concernant l'accueil dans nos structures. De fait, nous avons du mal à nous positionner. Quel sens y a-t-il à s'occuper d'une personne si le travail entrepris après d'elle par les travailleurs sociaux doit être mis entre parenthèses - conduisant du même coup ces derniers à râler auprès du directeur général du CASP -, en raison de la non-reconduction de sa carte de séjour ?

Je crois que notre pays mériterait un débat argumenté sur le sujet. Car au quotidien, nous avons des difficultés opérationnelles à gérer les cas des personnes en situation irrégulière. La coordination de l'accueil des familles demandeuses d'asile (CAFDA) accueille aujourd'hui 2 800 individus, ce qui représente un nombre de familles considérables ; auxquels il faut ajouter les 4 000 personnes prises en charge par le SAMU social et 1 000 ou 2 000 supplémentaires relevant de la responsabilité d'une ou deux autres associations. L'accueil dans les structures d'hébergement d'urgence constitue donc un vrai sujet et il me semblerait opportun d'avoir un lieu spécifique pour en discuter et dans lequel il y aurait toutes sortes de représentants d'organisations (syndicales, patronales, associatives, administratives...) avec des visions différentes sur l'immigration et son impact dans notre pays. Aujourd'hui, il n'existe pas d'endroit pour discuter de cette matière dans un cadre prospectif et nous aider à nous positionner. Nous sommes, pour l'heure, face à un problème éthique. Car le principe d'inconditionnalité de notre accueil nous amènera tôt ou tard à enfreindre la loi. Il ne sera jamais question pour nous de remettre une femme avec ses trois enfants à la rue, en particulier pendant la période d'hiver, simplement parce que celle-ci n'aurait plus de carte de séjour. Nous sommes donc soumis à des injonctions paradoxales très compliquées à gérer. Je reconnais qu'avec la préfecture, nous arrivons à trouver des solutions et à obtenir des papiers pour certaines personnes en situation irrégulière. Mais ces cas sont rares.

Un rapport de l'IGAS, paru en 2002 ou 2003, apporte des recommandations pour la prise en charge des familles et notamment des femmes avec enfants. Malheureusement, il est resté lettre morte. Car si nous sommes tous d'accord, quelles que soient nos opinions politiques, sur la nécessité de ne pas laisser des familles avec enfants à la rue, alors il ne faut pas maintenir celles-ci dans une sorte de no man's land juridique. Nous devons nous occuper d'elles.

Mme Brigitte BOUT, Présidente - Merci. Je donne maintenant la parole aux sénateurs et, tout d'abord, à Mme Annie David.

Mme Annie DAVID - Merci Mme la présidente. J'ai plusieurs interrogations. Je partage les valeurs sur lesquelles se fonde votre association. Mais l'une d'entre elles me pose question. Vous dites vous inscrire dans une logique, non pas d'assistance, mais de responsabilisation des personnes. Cette démarche est la bienvenue. Mais vous devez bien, à un moment ou un autre, porter assistance aux publics que vous accueillez. Je n'ai pas votre expérience. Mais j'imagine bien que certains individus se trouvent dans de telles situations qu'ils sont incapables d'être responsables de quoi que ce soit.

Vous nous avez indiqué également que 20% des personnes accueillies dans vos structures souffrent de problèmes de santé dont certains très graves et relevant de la psychiatrie. Il est souvent mentionné que des personnes malades sortent des hôpitaux psychiatriques sans bénéficier d'aucun suivi, accompagnement et soutien, étant condamnées de fait à se retrouver à nouveau dans la rue. Aussi n'y aurait-il pas à s'assurer, dans nos structures hospitalières, que les personnes disposent d'un point de chute après leur sortie ?

Concernant le logement, je partage votre constat selon lequel nous manquons de logements sociaux et très sociaux en France. A ce sujet, si la loi SRU oblige les communes à avoir 20% de logements sociaux sur leur territoire, elle ne précise pas de quels types de logements sociaux il s'agit. Je me défends de jeter la pierre aux collectivités. Car il n'est pas toujours facile pour elles de construire plein de logements sociaux, notamment en raison de l'absence de foncier disponible. C'est le cas notamment dans ma région, autour de Grenoble. Il est compliqué de réaliser des logements de type PLA-I quand les terrains coûtent chers. Ne faudrait-il pas mener une discussion sur le sujet pour trouver des solutions à ce problème de foncier et faire en sorte d'accroître la production de logements de type PLA-I ? L'annonce faite par le président M. Nicolas Sarkozy de relever les plafonds de ressources donnant droit au logement social m'inquiète beaucoup. Car elle peut conduire à la situation selon laquelle des familles n'ont pas accès au logement social, mais n'ont pas les moyens de se loger dans le parc privé. J'espère que nous ne retrouverons pas ces familles dans la rue.

S'agissant de l'accueil des demandeurs d'asile et des personnes sans papier, votre inquiétude est la mienne. Je n'ai pas de question particulière à vous poser sur le sujet. Mais étant souvent sollicitée par des familles en situation irrégulière, je peux vous confirmer qu'il est très facile de se retrouver hors-la-loi quand vous souhaitez les aider. Comment est-il possible de soutenir ces personnes et de leur permettre de retrouver leur dignité et de vivre dignement dans notre pays ?

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE - D'après ce que j'ai compris de vos propos, vous gérez des CHRS et donc êtes affiliés à la Fnars. La difficulté des publics de sortir des centres d'hébergement d'urgence est-elle spécifique à l'Ile-de-France ou touche-t-elle toute la France ?

Quelle est la durée d'hébergement moyenne des personnes que vous accueillez ? Que deviennent-elles après leur sortie ? Avez-vous pensé à mettre à leur disposition des services intermédiaires de type hôtel social ou des appartements collectifs en location ?

M. Guy FISCHER - Je partage toutes les préoccupations que vous avez soulevées. Selon vous, vous avez créé des structures en avance sur leur temps, reposant le principe de non remise à la rue. Nous sortons de la période d'hiver et, pas plus tard que cette semaine, dans ma ville, on remettait les Roms à la rue.

Je fais partie de ceux pour lesquels l'aggravation de la crise est sans précédent et se traduit, dans tous les pays occidentaux, par une institutionnalisation de la précarité, avec une explosion du nombre de travailleurs pauvres. Je souhaiterais avoir votre point de vue sur cette situation. Aujourd'hui, des centaines de milliers de Français sont en train de plonger dans la précarité. La mise en place du RSA va permettre de baisser le nombre de titulaires de minima sociaux. Pour autant, elle n'aboutira pas à faire diminuer la précarité.

Je suis tout à fait d'accord avec vous sur la nécessité de construire 100 000 PLA-I en France. Ne sommes-nous pas bloqués par le manque de logements ? Combien de CHRS sont-ils construits en France et quel nombre de places d'hébergement offrent-ils ? Aujourd'hui, les PLA-I représentent entre 8% et 15% des logements sociaux dans le pays. Ce pourcentage est notoirement insuffisant et ne permet pas de lutter contre la précarité. Aussi les problèmes existants ne sont-ils pas insolubles ?

Mme Brigitte BOUT, présidente - Ce que vous dites n'est pas très réjouissant.

M. Guy FISCHER - Comme nous avons participé à l'élaboration de la loi de 1998, nous avons une certaine expérience du sujet.

M. Sylvain CUZENT - Merci de vos questions. Je vais tenter d'y répondre. M. Gilles Mirieu de Labarre complètera éventuellement mon propos.

S'agissant de notre souhait de responsabiliser et non pas d'assister les individus, nos valeurs reposent sur l'idée de remettre l'homme debout et de lui permettre d'être acteur de son propre devenir. Toutefois, il est clair que, lorsque nous nous occupons de personnes très abîmées par un passage dans la rue, nous sommes plus dans l'assistance que dans l'accompagnement au début de leur prise en charge. A ce propos, nous avons participé, pendant plusieurs hivers de suite, au plan hivernal du département de Paris, baptisé Atlas, au cours duquel nous avons accueilli, uniquement pendant la nuit, des personnes avec pour seuls bagages un sac ou des vêtements déchirés. Cette forme d'accueil nous a paru insupportable et, en 2004, nous avons imaginé la mise en place d'une structure de stabilisation que nous avons créée en lien avec la DDASS de Paris et l'hôpital de Maison Blanche, un ancien hôpital psychiatrique dans lequel nous avons installé cette structure de stabilisation réservée à des femmes.

Pendant les premières semaines qui ont suivi son ouverture, nous avons assuré, dans ce lieu, surtout un travail d'assistance. Toutefois, très vite, à mesure qu'elles en ont pris possession et s'y sont senties bien, les femmes accueillies dans le centre ont été amenées à changer complètement d'apparence, de comportements, leurs relations avec les autres, si bien que des liens ont pu se tisser avec elles et que tout un accompagnement a pu se mettre en place à leur profit.

Toutefois, je suis d'accord avec vous. Dans un certain nombre de cas, tout travail d'accompagnement est impossible et nous n'avons pas d'autre choix que faire de l'assistance.

Concernant l'état de santé des populations que nous hébergeons, un certain nombre d'entre elles, effectivement, souffrent de troubles psychiatriques. Le grand débat consiste à savoir si c'est la précarité qui amène les personnes à être atteintes de problèmes psychiatriques ou, inversement, si c'est le fait d'avoir des troubles comportementaux qui conduit à la précarité. Nous pouvons penser que les personnes fragiles, celles ayant subi une rupture familiale (les enfants de la DDASS par exemple), sont plus enclines que les autres à sombrer dans la précarité.

Vous avez soulevé le problème des personnes en situation d'exclusion qui tombent malades ou ont à subir une opération chirurgicale demandant de nombreux jours de repos. Les hôpitaux n'étant en mesure de garder leurs patients que pendant quelques jours, ceux-ci assaillent notre structure de convalescence pour placer les personnes opérées et sans-abri. Comme nous l'avons souligné tout à l'heure, sur 80 demandes d'accueil dans nos structures d'hébergement, nous répondons de manière positive à une seule d'entre elles. Par conséquent, il nous est impossible d'offrir à toutes les personnes convalescentes un lit.

En 2003, lorsque j'étais directeur général de la DDASS, il m'a été demandé de faire baisser le nombre de lits à l'hôpital par manque d'argent, ce à quoi je me suis opposé. Le système est aberrant. D'un côté, l'Assurance maladie, souhaitant effectuer des économies, diminue le nombre de lits dans les hôpitaux, lesquels ne coûtent plus que 55 euros par unité et par jour, quel que le service hospitalier concerné. D'un autre côté, nous ne parvenons pas à obtenir les quelques euros qui nous manquent pour augmenter le nombre de nos lits sans connaître de pertes financières. La séparation totale des modes de financement aboutit à des logiques irrationnelles, empêchant la prise en charge des personnes en difficulté.

Aujourd'hui il existe les lits halte soins de santé. Nous avons parlé de ce sujet avec M. Seillier récemment. Or l'anecdote est tellement croustillante que je souhaite vous la livrer. Nous avions suivi les débats menés sur les lits halte soins de santé au CNLE en 2003 et, dans ce cadre, avions manifesté notre intérêt pour qu'ils se substituent aux places de convalescence. Aussi nous avions été très attentifs à la sortie du décret de loi instituant cette mesure en 2005 et, dès sa publication, nous avions déposé un dossier pour obtenir une habilitation auprès du comité régional des organismes sanitaires et sociaux. Cette habilitation nous a été accordée en mars 2006. Il ne nous manquait plus alors que les financements pour agir. Or la direction régionale des affaires sociales, peut-être par excès de zèle, s'est emparée de notre dossier et nous a demandé de le modifier pour des raisons administratives et de le présenter à nouveau. Notre projet n'est donc plus le même que celui prévu et accepté au départ et il vient d'être rejeté par la DGAS sans que nous connaissions le motif de cette décision. Nous avons donc une structure dans laquelle il manque 28 lits, une solution pour combler cette carence mais qu'il est impossible de mettre en oeuvre pour des raisons administratives. L'anecdote méritait d'être évoquée.

Les publics qui nous posent le plus de problèmes sont ceux qui se trouvent en longue maladie. Il s'agit, par exemple, des diabétiques ou des personnes atteintes d'un cancer, qui ne peuvent plus vivre de manière autonome mais ne peuvent être accueillies dans un centre d'hébergement, car elles ont besoin d'un suivi et d'un accompagnement médical.

En résumé, nous avons beaucoup de mal à prendre en charge les publics malades, d'un point de vue physique ou psychiatrique.

Concernant les personnes sans-papier, nous partons du principe que notre accueil est inconditionnel et ce, quelle que soit la situation des individus qui nous sollicitent. La loi n'a jamais interdit d'être accueilli dans un centre d'hébergement d'urgence, dans un lieu de stabilisation ou dans un CHRS. Par conséquent, l'hébergement des personnes sans-papier a lieu. Le seul problème est de savoir comment il est possible pour elles, qui bénéficient également des aides sociales, de sortir des structures.

S'agissant de la situation des CHRS, celle-ci est moins critique en province qu'en Ile-de-France où, grosso modo, il y a 8 fois plus de demandes que de places de logements. Par conséquent, les personnes ont à attendre en moyenne 8 ans avant d'obtenir un appartement en région francilienne, ce délai étant de 1 à deux ans dans le reste de la France.

La durée d'hébergement dans nos structures augmente. Elle s'établit à deux ans dans le cas d'un CHRS. Or vivre en famille pendant une telle durée dans un logement collectif tel qu'une chambre est très difficile. C'est pourquoi, nous cherchons à proposer d'autres solutions aux personnes que nous accueillons. Ainsi, nous travaillons beaucoup avec les bailleurs sociaux pour mettre en place des résidences sociales.

Pour conclure, nous avons le sentiment que ce qui s'est passé dans le domaine du travail au cours des dernières années, avec le développement d'un réseau parallèle d'emplois au travers des contrats aidés et d'insertion est en train de se produire dans le secteur du logement où il est demandé aux associations de gérer le logement très social. Il s'agit d'une évolution très inquiétante. Il est craindre qu'un certain nombre de personnes n'auront plus accès aux droits communs, mais seulement à des dispositifs relevant de structures associatives, à l'avenir.

M. Gilles MIRIEU DE LABARRE - Je souhaite compléter le propos de M. Sylvain Cuzent sur l'institutionnalisation de la pauvreté et de la pauvreté. Comme je l'ai indiqué dans mon introduction, la lutte contre l'exclusion doit représenter notre prochaine lutte des classes. Il faudrait revoir la manière dont tous les dispositifs publics sont appréhendés. Pour l'heure, nous ne pensons jamais en termes d'investissements sur une personne. La politique actuelle se limite uniquement à mettre des individus dans des structures ou des centres. Mais avons-nous mesuré un jour le coût engendré par une rupture de vie pour un jeune de 14 ans, qui en sera marqué pendant toute son existence ?

Il serait plus bénéfique, en termes de coût, pour la Nation, de prévenir les ruptures plutôt que d'avoir à gérer leurs conséquences. Mais cette démarche n'est pas facilement explicable, d'autant qu'elle remet en cause la notion d'engagement des associations à caractère social.

Il me semble nécessaire que l'ensemble des acteurs de l'insertion se réunisse pour redéfinir ensemble leur perception de la lutte contre l'exclusion, de manière à ce qu'elle ne se limite pas à superposer des dispositifs qui viennent se heurter les uns aux autres et à changer au gré des décrets de lois. Nous devons avoir une vraie vision sur l'humain. C'est seulement de cette façon que nous réussirons à mettre en place une politique ayant du sens. Aujourd'hui, les mécanismes de lutte contre la pauvreté s'apparentent à une mécanique infernale que M. Martin Hirsch essaie de défaire, tant bien que mal, au travers du RSA, en voulant fusionner un certain nombre de minima sociaux. Il en existe neuf aujourd'hui. Sur le fond, il a raison d'agir ainsi. Pour autant, le RSA aura-t-il des effets positifs ou des conséquences perverses en ne concernant pas une partie de la population ? Pour l'instant, il m'est impossible de répondre à cette question. Nous verrons bien ce qui se produira.

En conclusion, nos associations sont confrontées à une difficulté majeure. Elles s'inscrivent dans une société très normative basée sur des règles sociales, morales et professionnelles. Or, elles ont à faire preuve d'une double éthique : mettre l'accent sur la fraternité en mettant l'humain au coeur des décisions, les projets collectifs devant s'enrichir des projets individuels et inversement, et assurer l'hospitalité. Je ne vois pas comment nous pourrons résoudre les problèmes de migration sans nous être interrogés préalablement sur le type d'hospitalité que nous voulons privilégier.

Audition de M. Jacques ATTALI - (29 avril 2008)

Mme Brigitte BOUT, Présidente - Nous accueillons M. Jacques Attali. Il me semble inutile de vous présenter. Tout le monde vous connaît en effet. Pourriez-vous nous indiquer quelle est la position de votre rapport sur la précarité et la pauvreté, document dans lequel il est écrit que le scandale n'est pas dans l'inégalité ou dans la richesse, mais dans l'injustice ?

M. Jacques ATTALI - Je ne m'attendais pas à ce que vous posiez le problème de la sorte. Lorsque j'ai accepté de participer à votre mission, il m'a été clairement indiqué qu'il ne serait pas question du rapport.

Mme Brigitte BOUT, Présidente - Il s'agissait juste d'une phrase d'introduction.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Notre souhait de vous écouter s'appuie sur l'ensemble de vos travaux. J'ai relu récemment votre livre sur les fratries. En fait, nous aimerions entendre tout ce que vous jugez utile de dire sur la pauvreté, l'exclusion, la cohésion sociale, etc.

M. Jacques ATTALI - Je vais vous faire part de quelques réflexions d'ordre général, provenant notamment des fonctions que je peux exercer au sein de PlaNet Finance, association visant à lutter contre l'exclusion par l'économie dans les quartiers pauvres.

De façon générale, comme il a été indiqué dans notre rapport, l'exclusion s'aggrave fortement dans notre société et ce, à travers plusieurs dimensions. En particulier, elle se traduit par absence de mobilité sociale selon laquelle il est de plus en plus difficile pour des personnes vivant dans des cités et provenant de milieux défavorisés d'accéder au plus haut niveau de la hiérarchie sociale. Cette situation tient à plusieurs raisons et y remédier oblige à avoir une action au niveau de l'enseignement primaire. Nous montrons des lacunes considérables dans la manière d'accueillir les enfants en école maternelle. Or cet accueil a une importance primordiale dans la façon dont les personnes, plus tard, pourront réagir dans le cadre de la société. C'est pourquoi nous avons beaucoup insisté, dans le rapport, sur la nécessité de revoir la formation, aujourd'hui très faible, des personnels des écoles maternelles et des crèches, de manière à leur permettre notamment de savoir de quelle manière il leur faut se comporter avec les enfants difficiles. Pour lutter contre l'exclusion, il est nécessaire d'avoir une approche très précise, notamment portant sur la reconstitution de la cellule familiale par la société. L'absence d'encadrement familial dans les milieux défavorisés a des conséquences majeures.

Comme vous le savez, la reproduction sociale, aujourd'hui, s'effectue par l'argent et par les relations, soit par les moyens financiers dont nous pouvons bénéficier ou notre héritage culturel. Par conséquent, les enfants des parents enseignants sont protégés contre le risque d'exclusion. Face à ces situations, la société a le devoir d'offrir aux personnes défavorisées des passerelles leur permettant d'avoir accès à des richesses dont elles sont dépourvues du fait de leur milieu social et de l'endroit où elles vivent.

Il est de coutume de considérer que le scandale se trouve dans la richesse. Or, pour moi, il réside dans la pauvreté. Ces deux visions ont des portées différentes. Dans la première, il s'agit d'empêcher les gens de devenir riches. La seconde, au contraire, aboutit à faire de la lutte contre la pauvreté l'objectif essentiel. Elles nous renvoient à des distinctions fondamentales dans la manière d'aborder notre rapport à la fabrication des richesses par l'humanité, l'une étant de conception catholique, l'autre de conception protestante et juive. Pendant trop longtemps, la société française a été influencée par la première vision, catholique, et a considéré la réussite comme étant suspecte et l'échec comme étant définitif. Or, l'échec doit être appréhendé comme une manière d'apprendre. En France, quand une personne a échoué, elle est définitivement mise sur la touche et a le plus grand mal à remonter la pente. Aux Etats-Unis, au contraire, on peut très bien se remettre d'un échec. J'ai présent à l'esprit l'exemple d'un SDF français qui a traîné pendant 4 ans dans les rues de Lyon, avant, un jour, de frapper à la porte d'une petite entreprise américaine qui souhaitait ouvrir une succursale à Lyon. Cette entreprise s'appelle Microsoft et aujourd'hui, l'ancien SDF en est devenu le n°9 mondial. Il n'est pas possible d'imaginer une histoire pareille dans un environnement proprement français. Dans les mentalités de notre pays, les personnes exclues ne peuvent pas s'en sortir et la pauvreté représente un phénomène qu'il faut bénir et non pas combattre.

Les personnes que vous avez auditionnées vous ont sans doute parlé de protection sociale, de la nécessité de mettre en place des passerelles pour permettre aux jeunes des quartiers d'accéder plus facilement à l'enseignement supérieur, de l'intérêt de développer le tutorat et d'instaurer des partenariats entre les classes défavorisées et les classes favorisées. Dans un livre, j'ai mis en avant qu'il existe deux modèles de société :

- Celui où la finalité pour chaque individu est de trouver son bonheur dans la réussite individuelle.

- Celui où on considère qu'une partie du bonheur vient de ce qu'on contribue à celui de l'autre. Dans ce modèle, le bonheur des autres représente une dimension de sa propre réussite personnelle. Cette idéologie du refus de l'exclusion n'existe pas vraiment dans nos sociétés. Elle commence tout juste à apparaître car on peut avoir intérêt à aider autrui, à ce que les autres ne soient pas pauvres pour les empêcher de devenir violents. Il y a une forme d'intéressement à participer au bonheur de son voisin et, plus globalement, personne n'a intérêt à ce que l'autre n'utilise pas au mieux ses richesses. Comme dans une équipe de football, chaque joueur a intérêt à ce que ses équipiers jouent le mieux possible.

Nous avons donc intérêt à aider l'autre. De fait, les dépenses sociales ne doivent pas être considérées comme des charges, mais des dépenses qui sont utiles à chacun. J'ai intérêt à ce que les autres soient le mieux formés et aillent le mieux possible, pour m'aider, collectivement, à faire mieux. Dans notre pays, il est toujours question de charges sociales alors que celles-ci devraient être désignées sous le vocable de primes d'assurance, lesquelles sont versées pour créer les conditions nécessaires à un meilleur fonctionnement de la société. Dès lors que nous parlons de charges, nous avons tendance à vouloir les réduire. Or il n'y a aucune raison de diminuer le montant de primes d'assurance si celles-ci sont efficaces ; ce qui est le cas, notamment pour celles allouées dans le domaine de la santé.

Par ailleurs, la vision selon laquelle aider l'autre ne peut se faire qu'au détriment de soi-même conduit obligatoirement chacun, quand il s'agit de faire des économies, à en accomplir sur ce qui ne nous concerne pas. Le discours social n'a toujours pas réussi à faire reconnaître qu'aider l'autre revient à s'aider soi-même. Il est très daté et il devient urgent d'en changer.

Mais je souhaiterais maintenant me concentrer sur ce qu'il est possible de mettre en oeuvre pour lutter contre l'exclusion par l'économie. Malgré la politique générale de l'emploi qui consiste à aider les gens à sortir du chômage, il ne sera pas possible de créer les conditions permettant à tout le monde de devenir salarié. C'est pourquoi il est fondamental d'encourager la création d'emplois indépendants et donc d'entreprises. Le mécanisme du micro-crédit se présente de manières différentes dans les pays du Sud où 80% des gens n'ont pas accès au crédit et en France où presque tout le monde a un compte dans une banque et a la possibilité de lancer une entreprise. Toutefois, en raison du système de protection sociale dont nous bénéficions, il est moins tentant de monter une société dans notre pays qu'ailleurs, dans des Etats où les gens n'ont pas d'autres moyens pour survivre que de concevoir leur emploi ; cette réticence à la création d'entreprise s'expliquant aussi par le fait qu'elle peut obliger certains, vivant notamment dans les quartiers, à passer d'une économie informelle, voire même criminelle, à une économie formelle.

Or, l'exclusion frappe surtout les quartiers. Nous estimons qu'il existe en France environ 300 000 jeunes aptes à monter une entreprise, mais qui ne peuvent le faire par la faute d'obstacles qui se dressent sur leur chemin. Ces 300 000 jeunes sont en situation d'exclusion et le seront de plus en plus car ils ne possèdent pas de diplômes et d'entregent. Leur exclusion se traduit par de la passivité, de la criminalité pour une petite partie d'entre eux et, pour une autre partie d'entre eux, infime, par de la violence exercée sous toutes ses formes.

Aujourd'hui, nous savons qu'il est possible de lutter contre la pauvreté. Il y a besoin, pour cela, de mobiliser des moyens. La plupart des gens au chômage, qui se trouvent marginalisés et dans un grand état de détresse morale, peuvent créer leur entreprise et retrouver leur dignité. PlaNet Finance, comme deux ou trois organisations, a tenté l'expérience d'installer, dans plusieurs quartiers, de petites équipes financées essentiellement par la Caisse des dépôts et consignations, des collectivités locales et des entrepreneurs et ayant pour but de visiter les tours pour repérer les gens en situation de détresse et leur demander s'ils n'ont pas un projet à mettre en oeuvre qui leur tient à coeur. Nous avons conduit cette initiative dans six quartiers pour l'instant. Elle nous a permis d'établir des milliers de contacts, d'amener de nombreux jeunes à travailler sur un projet et même sur des études de marchés et d'accompagner certains auprès des banques qui ne les auraient jamais reçus sans notre présence. Il existe des discriminations au travail, mais aussi au niveau du crédit. L'accompagnement que nous assurons est essentiel et aboutit à obtenir des résultats. Je pourrais vous citer des dizaines d'exemples de réussite. En particulier, à Aulnay-sous-Bois, nous avons accueilli un gamin qui détient tous les atouts pour réussir dans la vie. Il est amputé d'une jambe, a quitté l'école à l'âge de douze ans et a une proche ressemblance avec Ben Laden. Pendant un an, il a appris, au contact du responsable de notre antenne locale, l'informatique. Puis il a créé, avec notre soutien, une agence spécialisée dans la réalisation de sites Internet. Il emploie aujourd'hui deux employés et travaille pour de grandes entreprises parisiennes.

Cet accompagnement exige beaucoup de dévouement. Les responsables de nos antennes locales sont issus des quartiers, ont monté des entreprises qui connaissent le succès et peuvent donc servir de modèles. Il leur est demandé d'apporter de la confiance aux jeunes qu'ils accueillent, de les encadrer et de les aider à formuler leurs projets.

Il y a quelques mois, nous avons créé un deuxième levier d'action qui se révèle très utile. Il s'agit d'un petit fonds d'investissement, baptisé Financité, alimenté par des fonds provenant de la Caisse des dépôts et consignations, de grandes entreprises et de banques, et avec lequel nous prenons des participations dans les sociétés fondées par les jeunes des quartiers qui viennent nous voir. Nous les aidons, non pas en leur donnant de l'argent, mais en devant actionnaires de leurs projets. Personne d'autre que nous n'effectue ce travail en France où les fonds d'investissement s'intéressent seulement aux grandes entreprises et parfois aux PME. Or cette prise de participation joue un rôle très important, car les banques demandent toujours aux créateurs d'entreprises, surtout aux jeunes des cités, de contribuer financièrement à leurs projets. Elle se traduit par des apports en capitaux dont les montants varient entre 10 000 et 80 000 euros pour l'instant. Elle est très efficace et a permis notamment à un jeune au chômage d'Aubervilliers, au travers d'un apport en capital de 60 000 euros, de monter son entreprise de BTP spécialisée dans le ravalement de façade. Aujourd'hui cette personne emploie six salariés et a un plan de charges plein jusqu'à la fin 2009. Les banques refusant toujours de lui prêter de l'argent, nous avons réinvesti récemment 50 000 euros dans sa structure pour lui permettre d'honorer ses commandes en embauchant neuf personnes supplémentaires, toutes issues de son quartier.

Personne d'autre que nous ne finance ce type de projets.

M. Paul BLANC - Le fonds d'investissement alimenté par l'ISF n'est-il pas destiné à financer ce genre d'initiative ?

M. Jacques ATTALI - Vous ne pouvez pas dire mieux. J'espérais que vous poseriez cette question. J'ai adressé une lettre, dont je vais vous donner copie, sur le sujet. Car malheureusement, le texte de loi contient un détail qui nous empêche de bénéficier de ce fonds d'investissement. Il faudrait juste adopter un léger amendement pour qu'il en soit autrement.

Trois autres fonds que Financité ont été ou vont être créés, dont Business angel des cités (BAC). Il existe un potentiel considérable dans ce domaine. J'ai adressé mon courrier à Mme Lagarde, à M. Copé et à M. Ayrault. L'amendement nécessaire est très facile à adopter. Il nous permettrait de bénéficier de l'argent de l'ISF et de contribuer encore plus à faire naître des projets de façon efficace et rapide.

Evidemment la création d'entreprises par des jeunes des cités ne saurait à elle seule résoudre tout le problème de l'exclusion. Mais elle peut aider un certain nombre de personnes en situation de désespérance à s'en sortir et à exprimer toute l'énergie, la force et la créativité qu'elles ont en elles. Pour l'instant, les financements publics n'existent pas dans le secteur du micro-crédit. Nous avons beaucoup de difficultés à trouver des ressources ailleurs qu'auprès de la Caisse des dépôts et consignations. Les collectivités locales n'ont pas encore compris, à mon sens, combien il est nécessaire d'encourager la création d'entreprises pour permettre la sortie de l'exclusion et de mettre l'accent sur une politique de formation permanente, laquelle est assurée pour l'instant par des associations comme la nôtre, les boutiques de gestion, France initiative réseau ou Entreprendre. La puissance publique ne participe pas encore à nos actions. Elle regarde ce que nous faisons de loin et nous considère comme des sortes de francs-tireurs.

La principale réforme à mettre en place consisterait à changer les mentalités. Aider une personne à sortir de l'exclusion, ce n'est pas l'aider à mes dépens. Soutenir quelqu'un, par exemple en lui permettant de ne plus être au chômage, peut m'être utile. Pour l'instant, notre action a conduit à la création de 100 entreprises, dans quatre quartiers, en un an. Or le coût de la création d'une entreprise sur un an est trois moins élevé que celui d'un chômeur sur la même période (3 000 euros contre 10 000 euros). Ces chiffres parlent d'eux-mêmes et incitent à réorienter l'utilisation de l'argent public.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Merci beaucoup de nous avoir apporté cette lumière précise sur le sujet de l'exclusion et ce message d'espoir. Votre témoignage montre que le micro-crédit fonctionne et peut contribuer à réduire l'exclusion. Que pensez-vous de la vocation sociale des entreprises ? Celles-ci peuvent-elles chercher autre chose que le profit ?

M. Jacques ATTALI - Il s'agit d'une question majeure, qui sera très débattue dans les prochaines années. Mon point de vue personnel est que le rôle de l'entreprise se limite à celui de gagner de l'argent et de développer ses parts de marchés. Vouloir lui donner une autre finalité conduit à l'échec.

Toutefois, une entreprise a besoin de plus en plus, pour exister, que ses salariés soient fiers d'y travailler et, pour cela, d'avoir notamment une action sociale. Beaucoup de groupes deviennent mécènes pour cette raison. Ils veulent que leurs cadres soient fiers d'appartenir à leurs structures et ils les aident à nourrir cette fierté en ayant une dimension éthique et morale, tout simplement parce qu'ils tiennent à les garder et donc à survivre.

Dans certaines entreprises, l'action sociale peut correspondre à une conception du marché à long terme. Par exemple, une banque, lorsqu'elle participe au micro-crédit, crée ses futurs clients et vise son intérêt à long terme. Il existe aujourd'hui une prise de conscience mondiale que les pauvres représentent un marché dans un horizon futur.

En France, les entreprises s'engagent dans des actions sociales, surtout pour gagner en identité.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Lors de son dernier passage en France, M. Bill Gates a manifesté le souhait de voir le capitalisme devenir créatif.

M. Jacques ATTALI - Excusez-moi, mais j'ai oublié de vous dire qu'il y a besoin d'agir pour culpabiliser les entreprises qui se rendent coupables de discrimination. Je ne suis pas favorable à l'instauration de quotas pour favoriser le recrutement de minorités. Je suis davantage partisan d'obliger, dans leurs bilans, les entreprises à indiquer le nombre de femmes, de personnes handicapées ou issues de minorités visibles recrutées et les banques à signaler le nombre de crédits accordés à des femmes, des seniors et des jeunes des cités. Voilà des critères qui, s'ils étaient mis en place, pourraient pousser fortement les entreprises à modifier leurs comportements.

S'agissant de Bill Gates, celui-ci a une attitude très particulière. Il a investi l'essentiel de sa fortune personnelle dans sa fondation. Une telle démarche est très encouragée par le système fiscal américain. En même temps, elle correspond, dans le cas présent, à un acte de générosité singulier. M. Bill Gates et ses enfants sont tellement à l'abri des besoins qu'ils peuvent se permettre d'avoir une telle attitude. Ils auraient pu procéder à un autre choix en vendant Microsoft à une ONG. Ainsi, au lien d'engager sa fortune personnelle dans une fondation, M. Bill Gates aurait pu donner ses actions à une association. Celle-ci aurait alors possédé Microsoft et aurait pu utiliser ses bénéfices pour effectuer des actions humanitaires. Le capitalisme, dans ce cas, devient un moyen de fournir des ressources à l'entreprise.

La tendance actuelle va à l'encontre de ce scénario. La mode chez nous est à la mutualisation qui représente une dernière forme de maîtrise du système capitaliste. Or dans pratiquement tous les pays sauf la France, les sociétaires ont transformé leurs titres en actions, concourant ainsi à la disparition du mutualisme. Nous allons donc, au niveau mondial, vers un capitalisme pur et dur, système dans lequel les fondations d'entreprises se développent très peu. Il s'agit d'un risque majeur.

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE - Je souhaite poser une question. France Active a développé les FCPIE. Le réseau deuxième chance fédère un certain nombre de structures privées pour aider à la création d'entreprises. Aussi ne pensez-vous pas souhaitable de réunir l'ensemble des organisations comme la vôtre dans une sorte de fédération qui pourrait être sollicitée par l'ensemble des partenaires ?

M. Jacques ATTALI - Vous avez tout à fait raison. Nous collaborons de manière étroite et en bonne entente avec France Active, l'ADIE et France initiative réseau. Nous évitons notamment de nous faire concurrence et d'intervenir dans les mêmes zones géographiques. Toutefois, nos échanges demeurent pour l'instant très informels et il serait bien, non pas de créer une administration supplémentaire, mais un lieu où nous pourrions nous rencontrer, dialoguer et travailler ensemble. Faute de quoi, nos actions respectives finiront par faire double-emploi.

Je pense aussi nécessaire d'évaluer l'efficacité de nos interventions en mesurant combien nous avons réussi à créer d'emplois, avec quel argent public et sur quelle durée. Je suis très demandeur d'une évaluation des actions mises en place par l'ensemble des organisations (PlaNet Finance, Adie, France initiative réseau, etc.). Je ne suis pas sûr, en effet, que l'argent public soit utilisé au mieux. Aucune mesure d'évaluation n'est mise en place.

PlaNet Finance intervient dans 70 pays. Elle a créé une agence de notation, la première du genre, qui note l'ensemble des agences de micro-crédit existant dans le monde, sauf celles installées en France, celles-ci ayant refusé d'être évaluées. Aucune institution spécialisée dans l'aide à la création d'entreprises n'a souhaité être notée.

M. Paul BLANC - Vous avez mis en avant, comme d'autres avant vous, la nécessité de faire évoluer la mentalité des Français dans leur rapport à l'argent. Comment est-il possible de faire ? Pour les pays latins comme la France et l'Italie, l'argent est sale, honteux alors qu'il contribue à créer des emplois.

M. Jacques ATTALI - Le discours des élus est essentiel pour faire évoluer les mentalités, car ceux-ci sont porteurs d'un message collectif. Il évolue un peu, mais il serait bien qu'il consiste à mettre en avant des talents et des gens issus de milieux défavorisés et ayant réussi. Très souvent, malheureusement, les jeunes des cités ayant connu la réussite sont présentés de manière sulfureuse. Un jeune malien arrivé en France à l'âge de quatorze ans sans parler un mot de notre langue a créé la quatrième entreprise de vêtements sportifs du monde : Airness. Vous auriez d'ailleurs intérêt à recevoir cette personne. Je connais plusieurs exemples de réussites de ce type, qui sont très valorisants pour la société française.

L'évolution des mentalités suppose aussi, comme nous l'avons indiqué dans notre rapport, de changer l'enseignement économique, catastrophique, dans lequel l'argent est malsain, l'entreprise un lieu de perdition et le patron un voleur, dispensé dans les lycées.

M. Paul BLANC - La chronique économique qui a lieu sur France Inter tous les matins à 6 heures 50 a toujours le don de m'énerver.

M. Jacques ATTALI - Tout ce qui met en avant les créateurs d'entreprises et les succès est positif. Une manifestation s'est tenue récemment au Sénat. Elle s'appelle Talents des cités. Il s'agit d'un événement formidable qu'il convient de valoriser encore davantage et auquel, d'ailleurs, PlaNet Finance participe financièrement. Le fait que qu'il ait lieu au Sénat est très important.

Mme Brigitte BOUT, Présidente - Il n'y a plus d'autres questions. En guise de conclusion, je souhaiterais avoir votre sentiment sur les émeutes de la faim, lesquelles me touchent beaucoup. Pouvez-vous nous dire quelques mots sur le sujet ?

M. Jacques ATTALI - J'ai eu le triste privilège de fonder, il y a trente ans, Actions contre la faim. Je ne pouvais pas imaginer, en effet, que cette association existerait encore, de manière si importante, aujourd'hui. Les émeutes de la faim ne représentent pas un évènement nouveau. Il y en a toujours eu. Actuellement, 850 millions de personnes ne mangent pas à leur faim.

Ces émeutes sont liées à toute une série de phénomènes : développement des biocarburants, sécheresse, crise des subprimes qui a déplacé la spéculation vers les produits agricoles, augmentation du prix des matières premières, politiques des pays du Sud, initiées par la Banque mondiale, en défaveur de l'agriculture.

Il est à craindre qu'elles n'en soient qu'à leur début, car dans vingt ans, il y aura 2 milliards d'habitants de plus sur cette planète. Nous n'aurons jamais connu une telle progression, aussi rapide, de la population mondiale dans l'histoire humaine. Par conséquent, la demande en produits agricoles va s'accroître de manière considérable. Cette nouvelle est une catastrophe à court terme, mais elle est positive sur le long terme, car les paysans pourront profiter de la hausse des prix de leurs produits pour vivre convenablement. Elle impose de nombreuses mutations. Ainsi, dans les pays du Sud, il existe 1 milliard d'agriculteurs et seulement 28 millions de tracteurs, preuve de leur manque de moyens financiers et de rendements agricoles médiocres.

Il est nécessaire de mettre un terme à cette folie de produire des biocarburants, notamment aux Etats-Unis et au Brésil. Il faut considérer la hausse des prix des produits agricoles comme un fait et aider les pays pauvres à développer leur économie rurale. Nous nous apercevons qu'avec très peu de moyens financiers, il est possible d'avoir des résultats encourageants. Nous devons cesser de croire que l'annulation de la dette des pays pauvres participe de leur développement. Il s'agit d'une très mauvaise idée. L'annulation de dettes revient à cautionner les détournements de fonds effectués par certains gouvernements. Il est nécessaire de ne pas les supprimer et de distribuer les aides directement aux paysans par le biais d'ONG responsables, très nombreuses dans le monde. Malheureusement, les organisations internationales et les gouvernements n'aiment signer des accords qu'avec des ministres.

Audition de M. Jean-François TROGRLIC, directeur du bureau de l'Organisation internationale du travail (OIT) en France - (6 mai 2008)

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - M. Jean-François Trogrlic, je vous remercie d'avoir répondu à notre invitation. Notre mission essaie de faire le point sur les politiques mises en oeuvre pour la lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale. Il nous a semblé, dans le cadre de notre travail, que l'avis de l'Organisation internationale du travail pouvait nous être utile pour connaître les insuffisances dans l'organisation du travail dans le monde et l'ensemble des réformes à entreprendre pour faciliter l'insertion des demandeurs d'emplois, améliorer les conditions de travail et harmoniser les règles régissant celui-ci.

Vous avez toute liberté pour aborder le sujet selon l'angle que vous souhaitez. Toutefois, j'aimerais que vous nous rappeliez, en avant-propos, comment sont organisés l'OIT et le BIT.

M. Jean-François TROGRLIC - L'Organisation internationale du travail est la plus ancienne organisation du système onusien. Elle a été fondée bien avant l'ONU, en 1919 pour être précis, soit à l'issue de la première guerre mondiale, par des hommes de bonne volonté parmi lesquels figuraient beaucoup de Français. Les grandes orientations de l'OIT, à son origine, ont été très largement inspirées par des esprits français. Son premier directeur, M. Albert Thomas, s'est révélé, dans son histoire, l'un de ses grands directeurs généraux, ayant contribué à son développement.

Les objectifs de l'organisation, au moment de sa création à Versailles dans le cadre du traité de Trianon, étaient très simples. Et malgré le temps écoulé, ils demeurent toujours d'actualité.

Tout d'abord, il fallait faire en sorte que les problèmes économiques ne débouchent plus jamais sur des conflits armés ; d'où l'idée - et il s'agit du deuxième objectif - d'améliorer le bien-être des travailleurs de manière durable et au niveau international.

Le troisième objectif, toujours très actuel, consistait à intervenir pour qu'aucun pays ne puisse se prévaloir d'avantages sociaux par rapport à des États voisins pour faire du dumping social et inciter des entreprises étrangères à se délocaliser en s'installant sur son territoire - termes qui n'existaient pas au début du vingtième siècle -, de manière à aller vers une harmonie économique à l'échelon mondial.

L'OIT a rejoint l'ONU au moment même où celle-ci est née. Elle a pour originalité principale d'être une structure tripartite. Ainsi, délibèrent en son sein les représentants des 82 États qui en sont membres aujourd'hui, mais aussi les représentants de travailleurs et d'employeurs. De fait, lorsqu'en conférence internationale du travail, manifestation ayant lieu chaque année au mois de juin, l'OIT se réunit pour adopter, par exemple, comme l'an passé, une convention sur la pêche, votent ensemble, par collèges séparés, deux représentants de chaque État, ainsi qu'un représentant des travailleurs et un autre des employeurs pour chacun des pays membres. La majorité des deux tiers requise pour l'adoption d'une convention est calculée sur cette base-là.

L'OIT possède un conseil d'administration également tripartite. Elle correspond donc à une structure à la recherche de consensus positifs pour avancer le plus loin possible dans des démarches sociales intégrées. Dans cette perspective, elle établit des normes, les normes internationales du travail, dont vous entendez parler parfois, en bien ou en mal, dans notre pays. Il en a été question récemment par le biais du contrat nouvelle embauche (CNE).

Les normes que nous édictons, quand elles sont ratifiées par un État, lui sont opposables par une des parties prenantes de l'organisation. C'est ainsi qu'un syndicat français, estimant que le gouvernement n'appliquait pas la convention n° 158 sur l'emploi avec la mise en place du CNE, a demandé au BIT de trancher sur le sujet.

Toutefois, une norme peut être opposable aussi par un pays l'ayant adoptée. Imaginons que l'Allemagne ait adopté la même norme que la France. Si elle considère que notre pays, par l'instauration de dispositifs, lui crée un préjudice en pratiquant, par exemple, du dumping social, alors elle est en droit également de porter l'affaire devant le BIT.

Ce système normatif produit beaucoup de textes et exige bien sûr, au fil du temps, de les adapter, l'amendement le plus important s'étant produit l'année dernière, avec le regroupement, dans un seul corps de texte, de l'ensemble des conventions régissant le travail sur mer pour le transport maritime, essentiel dans le cadre de la mondialisation. Le document obtenu a subi une profonde modernisation. Il permet, à l'instar des normes relatives à la sécurité des navires en mer, pour tout pays l'ayant signé, de retenir un navire dans un port, même si l'embarcation provient d'un pays n'ayant pas ratifié la convention. Ainsi, les autorités du port, l'inspection du travail maritime en France, ont compétence pour arraisonner tout bateau si les conditions de vie ne sont pas bonnes et les salaires ne sont pas versés à l'intérieur. La réalité montre donc que nous sommes en train de cheminer vers une plus grande universalité des normes du travail.

Je vous ai présenté, de manière sommaire, notre organisation à laquelle la France reste très attachée, de sorte qu'elle tient toujours à y être représentée dans de très bonnes conditions. J'ai eu moi-même la chance de travailler à la mission de Genève auprès des institutions de l'ONU. Dans le cadre de ces fonctions, j'ai collaboré avec Mme Nicole Ameline, alors représentante du gouvernement français. Celle-ci ayant été élue députée au Parlement français, je suis en contact aujourd'hui avec M. Gilles de Robien qui siège, au sein de l'OIT, au titre du gouvernement français ; preuve que la France fait très attention à être représentée dans l'organisation par des personnalités de haut niveau. Nous devons nous en féliciter.

Je souhaiterais maintenant parler de l'OIT et de son mandat. Dans ses statuts, datant de 1919, il est écrit qu'une paix universelle et durable ne peut être fondée que sur la base de la justice sociale. Cette phrase a été complétée en 1944 par la déclaration de Philadelphie selon laquelle la pauvreté, où qu'elle existe, constitue un danger pour la prospérité de tous. Le mandat de l'OIT la conduit à agir contre la pauvreté, laquelle se généralise dans les pays en transition et en développement - en particulier, la hausse des prix des produits agricoles augmentera de la manière considérable le nombre de personnes frappées par la pauvreté - et s'étend dans les États développés sous des formes diverses. Par exemple, aux États-Unis, 40% de la population se trouve en dehors de tout système de protection sociale. Il s'agit d'un indice très parlant. La France, fort heureusement, a mis en place des dispositifs de protection sociale universels qui, même s'ils ont de plus en plus de mal à fonctionner, garantit en partie à tous ceux qui en bénéficient de ne pas basculer dans la pauvreté.

Un deuxième phénomène touche les pays développés. Il consiste dans l'augmentation du nombre de travailleurs pauvres, comme le montre un rapport de l'Observatoire national de la pauvreté et de l'exclusion, relayé hier par le journal Liaisons sociales, et selon lequel également les écarts de richesses entre ceux qui sont pauvres et ceux qui ne le sont pas s'accroissent fortement. Il y aurait ainsi, en France, 1,74 million de pauvres, un total en hausse de 30 000 personnes entre la période de 2002 à 2003 et celle allant de 2004 à 2005. Cette pauvreté concerne 7% des travailleurs dont 21% sont à temps partiel et 27 % des travailleurs indépendants. Il apparaît, par ailleurs, à la lumière du rapport, que les transferts sociaux empêchent souvent de basculer dans la pauvreté et que seulement 7 % des personnes actives en sont victimes, contre 34% parmi les chômeurs et 14% parmi les inactifs. Telle est la situation dans notre pays où, en 2005, 7 100 000 personnes (12,5% de la population nationale) vivaient avec moins de 817 euros par mois et 50% des individus considérés comme pauvres avec moins de 669 euros par mois.

Ces chiffres montrent que les nouvelles conditions de vie au travail représentent des facteurs de risques d'être pauvre. La situation des pays en développement requiert une attention spécifique. En effet, pour une partie importante des populations vivant en Afrique, en Amérique latine et en Asie, la pauvreté se vit au quotidien et se manifeste chaque jour au réveil, l'enjeu principal consistant pour elles à trouver à manger. La réponse immédiate à apporter aux besoins de ces personnes consiste bien sûr à leur apporter de la nourriture. Mais encore faut-il qu'elles aient les ressources suffisantes pour se la procurer ! Le BIT consacre l'essentiel de son action à leur permettre d'y avoir accès. Toutefois, il ne s'agit pas d'une institution de financement. Notre organisation n'intervient pas, contrairement au FAO ou au PNUD, dans le cadre de grands programmes d'aides directes. Ses missions résident dans de l'apport d'ingénierie, la mise en place de services et de campagnes de sensibilisation, de manière à créer des outils aidant les gens à sortir progressivement de la pauvreté. Le BIT dispense aussi, bien évidemment, un soutien technique. Mais cette aide est beaucoup plus faible que celle des grandes institutions qui se rendent sur le terrain pour lutter contre la pauvreté.

Pour le BIT, la réalité est simple. C'est le monde du travail qui tient les clefs d'une limitation progressive, véritable et durable de la pauvreté, laquelle ne peut avoir lieu pour nous que sur la base d'une organisation tripartite, telle qu'elle existe au sein du BIT. En effet, les États ont la responsabilité éminente d'être les gardiens et les promoteurs des valeurs partagées par les populations. Ils doivent veiller à assurer la croissance et à en répartir les fruits, ainsi que fournir les services et biens publics nécessaires aux populations. En la matière, les entreprises jouent un rôle déterminant. Elles constituent le moteur de la création d'emplois, sont capables d'investir de nouveaux marchés et activités et doivent être à la pointe, ce qu'elles parviennent à faire parfois, du développement de modèles économiques et durables.

Enfin les représentants des travailleurs représentent des producteurs et des défenseurs de leurs droits, s'impliquant dans le dialogue social et la négociation collective. C'est au croisement de la démarche de ces trois acteurs (États, employeurs et travailleurs) qu'il nous convient de poser les problèmes.

Sur le plan international, le sommet social de Copenhague de 1995 s'est traduit par une avancée majeure. Il a remis, en effet, la personne au centre des politiques internationales. Auparavant, celle-ci comptait très peu par rapport aux pays, aux structures ou à des groupes. Le sommet de Copenhague a contribué largement à renforcer le mandat de l'OIT. Il a débouché sur un texte où, pour la première fois, il a été fait mention de normes internationales du travail, à respecter pour faire reculer la pauvreté. Selon ce document, l'élimination de la pauvreté représente un objectif global s'imposant à tous les pays, du moins aux 117 États présents au sommet.

Après 1995, d'autres avancées ont eu lieu vers une amélioration des normales sociales au niveau international. Ainsi, le PNUD, le programme des Nations-Unies pour le développement, a élargi sa vision du développement humain en mesurant celui-ci sur la base, non plus seulement de critères économiques (revenus et PIB), mais aussi de critères de bien-être social (taux d'emploi, accès à la santé, etc.). Par ailleurs, en 1997, la Banque mondiale, souvent l'objet de critiques, a modifié sa politique en insistant moins sur la nécessité, pour les pays, de réduire leur dette et plus sur leur obligation de diminuer la pauvreté sévissant sur leurs territoires.

Ces deux organisations, par leurs nouveaux comportements, participent aujourd'hui d'un cercle vertueux où les a rejoints l'OCDE. Ainsi, j'ai été très étonné de constater que cette instance, dans un récent rapport, s'inquiète du taux très élevé de Japonais (40%), notamment des personnes les plus âgées, en situation de précarité. Cette crainte montre combien il existe une prise de conscience des institutions internationales de la nécessité d'agir contre la pauvreté.

L'autre année synonyme de progrès dans la lutte contre la pauvreté est 2000, au cours de laquelle il a été fixé, lors d'un sommet, des objectifs de développement pour le prochain millénaire. En tout, 18 cibles et 40 indicateurs permettant d'évaluer les actions entreprises ont été arrêtés. Par ailleurs, après le sommet, ont commencé à être mis en place, dans les pays, des documents de stratégie pour la réduction de la pauvreté (DSRP), qui essaient de faire le lien entre les politiques menées par les institutions internationales et celles relevant de la responsabilité des États en matière de lutte contre la pauvreté. Cet exercice n'est pas toujours facile. Les documents comportent, en effet, encore bien des lacunes et peuvent se caractériser, notamment, par une sorte de paternalisme de la part des organismes internationaux.

Malgré tout, il existe une réelle volonté d'aller de l'avant et la manière d'aborder la pauvreté a évolué sur le plan international. Toutefois, le principal objectif du sommet du millénaire qui consistait à réduire la grande pauvreté de moitié d'ici 2015 aura peu de chance d'être réalisé, surtout au regard du contexte actuel marqué par une forte hausse des prix de l'énergie et des matières premières agricoles.

Cette volonté de réduire la pauvreté s'inscrit bien sûr dans le cadre de la mondialisation, laquelle doit être une source d'opportunités de croissance pour tous et pas seulement pour ceux qui en tirent les bénéfices immédiats. En particulier, il est nécessaire que la croissance s'accompagne d'une répartition équitable de ses fruits et pas seulement dans les pays développés.

Nous avons du mal à séparer la pauvreté de l'exclusion. Les faits montrent, en effet, que plus les personnes sont fragiles, plus elles sont susceptibles de basculer dans la précarité. Par conséquent, il convient, dans les pays développés, de lutter notamment contre les discriminations, celles-ci formant un des vecteurs majeurs de l'exclusion et donc de la pauvreté. Le bureau de Paris de l'OIT a réalisé, par testing, une enquête auprès de jeunes et celle-ci révèle que les personnes issues des quartiers ont cinq fois moins de chance, non pas de trouver un emploi, mais de faire valoir leur curriculum vitæ ou d'avoir un entretien téléphonique avec un responsable d'entreprise que les autres. Cette discrimination doit être combattue. C'est de la sorte aussi que nous parviendrons à diminuer la pauvreté. Toutefois, même si nous disposons des dispositifs les plus sophistiqués en matière de lutte contre les discriminations, nous ne pouvons pas en être complètement à l'abri, car elles résident dans les comportements et pas forcément dans les procédures.

La France est plutôt bien placée dans ce combat. Ainsi, la Halde, présidée par M. Louis Schweitzer, représente une structure assez exemplaire en matière de lutte contre les discriminations. Elle est soutenue dans son action par un dispositif législatif riche, l'un des plus complets dans le monde sur le sujet, lequel l'aide à obtenir de bons résultats. Toutefois, ceux-ci peuvent être encore nettement améliorés.

La pauvreté ne peut être mesurée à travers le seul indicateur que représente le montant du revenu moyen par habitant. Son évaluation doit reposer aussi sur l'espérance de vie, le taux de malnutrition, le taux de mortalité pendant la grossesse des femmes - un marqueur essentiel pour déterminer la pauvreté -, le taux de mortalité infantile du fait de l'absence de mesure de prévention sur les maladies de base, le taux de scolarisation - dans le monde, 115 millions d'enfants sont non scolarisés, dont 94% vivent dans les pays en développement - et le niveau de l'illettrisme qui constitue un facteur aggravant de la pauvreté et touche 20% des populations des pays en voie de développement, ce pourcentage restant élevé parmi les personnes pauvres vivant dans les pays occidentaux.

Quelles pistes pouvons-nous privilégier pour engager l'action ?

Selon le BIT, la première piste consiste à développer le micro-crédit, lequel permet, à des populations, de disposer d'un financement immédiat pour vivre et surtout pour investir dans des activités susceptibles de garantir leur avenir. Des programmes très importants de micro-crédits ont été mis en oeuvre dans les pays les moins développés. Il s'agit d'expériences très intéressantes et dont les États les plus riches peuvent apprendre beaucoup. Ainsi, en Inde ou au Brésil, par exemple, les actions qui ont été déployées servent à remettre le pied à l'étrier à des populations ayant sombré dans la très grande pauvreté. Nous aurions peut-être intérêt à nous en inspirer. Car les structures de micro-crédit ne s'adressent pas seulement aux pays en développement. Elles peuvent concerner aussi des pays comme la France où elles commencent à apparaître d'ailleurs.

Demain, M. Bernard Kouchner tiendra une conférence, à Paris, sur l'accès universel à la santé des populations des pays pauvres. De notre côté, nous nous engageons, au sein du BIT, dans des programmes ayant pour objectif de créer des micro-assurances santé adaptées, en termes de coûts et de cotisations, à la situation des pays où elles sont mises en place. La santé ou plutôt la perte de santé représente l'un des facteurs le plus puissant expliquant le basculement dans la pauvreté. Comme les Africains le soulignent souvent, quand le paludisme sévit et frappe des personnes n'ayant à leur disposition aucun traitement, il n'est pas question pour elles de penser à occuper une activité informelle ou un travail. Celles-ci sont immobilisées par leur maladie qui peut correspondre, certes au paludisme, mais aussi au VIH et à l'ensemble des maladies rares présentes en Afrique. C'est pourquoi il est déterminant d'offrir un accès à la santé pour tous.

La troisième grande action que nous menons consiste à accroître la présence des réseaux coopératifs qui souvent agrègent les dispositifs précédents, de micro-assurances et de micro-crédits, et favorisent un développement plus solidaire et pérenne. Elle nécessite des engagements forts en termes de formation et s'inscrivant dans la durée ; d'où le déploiement de deux programmes importants par le BIT. Le premier, appelé STEP et d'inspiration largement française, a pour but d'amener les gens à reprendre un métier même lorsqu'ils sont malades. Le second, baptisé WIND, a pour fonction d'aider les paysans à être plus productif, de manière à leur assurer une autosubsistance et un écoulement d'une partie de leurs produits sur le marché. Avec la hausse des prix des matières alimentaires, ce programme répond à une urgente nécessité. Dans les pays les moins développés, l'agriculture doit avoir, pour vocation première, de garantir l'autosuffisance alimentaire.

Tous ces programmes, bien sûr, s'inscrivent dans une démarche d'ensemble, consistant à formaliser le plus possible ce qui relève de l'économie informelle. En la matière, la réflexion des pays les plus riches est très éloignée de celle des États les moins développés, lesquels peuvent comprendre des zones européennes. Ainsi, la Bulgarie et la Roumanie connaissent un taux de travail informel très élevé. Si le BIT ne s'adresse, par ses conventions, qu'aux personnes ayant un statut de salarié, alors il ignore presque 80% de la population de certaines régions asiatiques, africaines ou d'Amérique latine. L'idée est donc de construire petit à petit des structures liées au travail informel pour formaliser celui-ci et faire en sorte qu'il disparaisse progressivement au profit d'entreprises individuelles, puis de TPE et enfin de PME. Ce projet exige beaucoup d'efforts. Fort heureusement, il recueille l'attention des pays qu'il concerne.

Pour les pays développés, le BIT a retenu deux priorités : améliorer les politiques salariales et agir pour faire baisser la précarité dans l'emploi, une des sources de la pauvreté.

Toute cette action internationale requiert de la cohérence dans les points de vue, non seulement des différentes institutions internationales, mais aussi des pays les composant. Aucune des organisations internationales, qu'elles se situent à Genève ou ailleurs, ne possède à elle seule les clés nécessaires pour réduire, de manière durable, la pauvreté. Elles sont condamnées à collaborer ensemble. La FAO comblera les manques alimentaires, l'OMS prendra des mesures de soin d'urgence, ONU Sida interviendra pour combattre le VIH, le BIT favorisera la mise en place de micro-assurances et de micro-crédits, etc. Aucune de ces structures ne peut agir seule. Il y a donc besoin d'avoir des politiques cohérentes entre elles. La réforme en cours de l'ONU, qui se traduira par l'existence d'une seule ONU et la présence, dans chaque pays, d'un représentant coordinateur des actions menées par l'ensemble des agences onusiennes, participe de cette démarche. Elle constitue une avancée positive.

Comme je l'ai indiqué, il est nécessaire aussi que les États faisant partie des organisations internationales aient des politiques cohérentes entre elles. Il n'est plus possible aujourd'hui qu'un même pays mène des actions contradictoires au BIT, au Fonds mondial contre le sida, au FMI, à la Banque mondiale et à l'OMC. Il est de sa responsabilité d'avoir une politique d'ensemble cohérente dans le système onusien et, par exemple, de ne pas soutenir des politiques du FMI conduisant à aggraver la situation de populations sans, en même temps, promouvoir des actions de soutien pour la recherche de nouvelles sources de développement. La mise en place de la taxe solidarité sur les billets d'avions pour acheter des médicaments pour les pays pauvres est de bon ton. Mais elle doit s'accompagner d'une politique visant à réduire les problèmes structurels dans ces États.

Le BIT propose une boite à outils pour soutenir le travail décent auprès de l'ensemble des institutions de l'ONU, à qui il demande d'avoir des actions cohérentes.

Telles sont les pistes de travail que nous privilégions. Elles suscitent beaucoup d'espérances parmi nous.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Nous vous remercions pour ce tour d'horizon, très intéressant. Une question me vient à l'esprit. Quelle est la différence précise entre l'OIT et le BIT ? J'ai l'impression que le pouvoir exécutif appartient à ce dernier.

M. Jean-François TROGRLIC - L'Organisation internationale du travail correspond à l'assemblée tripartite qui se réunit de manière solennelle et où siègent 182 représentants des États et, pour chacun d'eux, un représentant pour les syndicats et un autre pour les employeurs. Elle représente en fait la conférence de travail annuelle. Le BIT, lui, constitue l'organe permanent.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - En France, nous avons du mal à prendre position sur les dispositifs de flex-sécurité, ne sachant pas trop si les entreprises peuvent être amenées à embaucher davantage avec plus de libertés pour licencier. Avez-vous un avis sur le sujet ?

M. Jean-François TROGRLIC - L'examen des grandes normes ou conventions gérant l'emploi montre qu'il existe un espace pour la flex-sécurité et pour donner aux États la possibilité d'accorder aux entreprises plus de marges de manoeuvre dans leur processus d'embauche et de licenciement. Le BIT ne défend par de modèles, ne donne pas de préconisation. Toute critique qu'il adresse à un État a lieu sous la forme d'une recommandation. Jamais il ne témoigne d'exigence.

Au sein de notre institution, une cellule emploi s'est emparée de ce thème de la flex-sécurité et son avis sur le dispositif reflète la composition tripartite de notre organisation, les employeurs, comme une partie des États, anglo-saxons en général, étant en faveur de son développement, alors qu'un groupe de travailleurs s'y oppose mais se sent néanmoins obligé de rester ouvert au débat sur le sujet. De fait, celui-ci suscite beaucoup de discussions en ce moment au sein de notre organisation où, au bout du compte, la recherche du consensus dictée par l'équilibre des forces en présence devra prévaloir. Depuis longtemps, nous pensons, au BIT, que la performance économique constitue la clé du progrès social. C'est pourquoi tout ce qui est en mesure de la favoriser doit être examiné avec attention. Par conséquent, nous sommes très attentifs à ce qui se passe en matière de flex-sécurité dans les pays ayant adopté ce dispositif, dont nous souhaitons qu'il privilégie autant la sécurité que la flexibilité et aboutisse au maintien ou à l'amélioration de la performance économique. Nous ne sommes pas du tout hostiles à ce système. L'une de nos unités, dirigée par une personne francophone, M. Peter Auer, responsable avec M. Bernard Gazier d'un livre sur le sujet, ayant obtenu le prix de la Fondation Manpower, en a d'ailleurs fait son thème de travail.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Je l'ai lu. Il s'agit d'un livre excellent.

M. Jean-François TROGRLIC - M. Peter Auer est à la pointe des réflexions sur le sujet. Nous ne sommes donc pas frileux pour en parler. Simplement nos discussions ont lieu dans le cadre de notre organisation tripartite.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Comment les personnes sont-elles désignées dans vos instances ? Sur quelle base s'effectue la représentation des syndicats français au sein de l'OIT ?

M. Jean-François TROGRLIC - En France, le BIT n'est pas un objet d'affrontement entre les syndicats, le gouvernement et le patronat. Il s'agit plutôt d'un lieu de travail commun et de consensus.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Il existe des endroits privilégiés de la sorte, comme le Conseil économique et social où des accords recueillent l'unanimité.

M. Jean-François TROGRLIC - La France, comme l'ensemble des pays industrialisés, au nombre de 14, détient un siège permanent au sein du conseil d'administration de notre organisation. Il est occupé aujourd'hui par M. Gilles de Robien. Les syndicats français y sont représentés aussi, en la personne de M. Marc Blondel, lequel sera remplacé prochainement au terme d'un long mandat. Les syndicats français ont l'habitude de se mettre d'accord sur la répartition des postes qui leur sont attribués au sein des instances internationales (BIT, OCDE, etc.).

Enfin, du côté des employeurs, le MEDEF, à travers M. Emmanuel Julien, siège également dans notre conseil d'administration.

A la conférence qui se tient chaque année, un seul délégué titulaire syndical doit être présent. De fait, il est nommé par les différentes organisations syndicales à tour de rôle. Cette rotation témoigne du bon climat dans lequel s'effectuent les débats au sein de l'OIT. De manière générale, je trouve assez remarquable que nos problèmes et conflits nationaux ne soient pas mis sur la table lors des discussions qui ont lieu dans les instances internationales.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - J'attache beaucoup d'importance à ce que certains pays ne profitent pas de la médiocrité de leurs systèmes de protection sociale pour mener une concurrence déloyale à d'autres. Percevez-vous une harmonisation des règles et normes sociales au niveau international ?

M. Jean-François TROGRLIC - Je suis d'un naturel plutôt optimiste et crois donc en une harmonisation des régimes sociaux sur le rang mondial, même si notre pays, notamment son secteur industriel, souffre de la concurrence imposée par des États où la main d'oeuvre ne coûte pas cher et du départ de certaines de ses entreprises à l'étranger pour conquérir de nouveaux marchés. Aussi il est plus facile d'expliquer à des sénateurs qu'à des salariés victimes de licenciements en raison de la délocalisation ou de la fermeture de leurs sociétés que les régimes sociaux des travailleurs s'améliorent sur le plan mondial. Pourtant, ce progrès est manifeste à mes yeux. Ainsi, des conflits sociaux commencent à apparaître dans des pays en développement. Il y en a eu un récemment à Dacia en Roumanie, signe d'une volonté de leurs auteurs d'avoir des salaires plus élevés pour accéder à un niveau de vie supérieur.

La mondialisation se caractérise par le fait que des pays peu développés fabriquent des produits peu accessibles à leurs populations en raison de leurs coûts et donc vendus à l'étranger à des prix pourtant peu élevés ; d'où le sentiment de frustration qui s'emparent de travailleurs, non seulement en Roumanie, mais aussi dans d'autres pays comme la Chine où les locaux syndicaux attirent de plus en plus de publics qui demandent à être mieux payés.

Il existe donc un mouvement allant vers une amélioration des normes sociales au plan mondial. En même temps, nous assistons à des replis, surtout en raison de l'alourdissement du coût de la protection sociale. Si les hausses de salaires servent uniquement à compenser les augmentations de coûts de l'Assurance maladie ou, si elle n'existe pas, des coûts pour l'accès aux soins, alors nous irons au devant de grandes difficultés. Il nous faudra sans doute réfléchir, au niveau mondial, à la manière dont les dispositifs de protection sociale peuvent être mis en place dans les différents pays. Comme le montrent les faits, les coûts salariaux sont jugés comme étant trop élevés par les employeurs en raison surtout de la lourdeur des charges sociales et non des salaires directs qui pèsent sur eux.

La situation évolue. Des pays comme la Russie, le Brésil, l'Inde et la Chine ne ressemblent plus du tout à ce qu'ils étaient il y a 20 ans. Ils ont effectué un grand bond en avant. Toutefois, ils demeurent confrontés à d'énormes problèmes. Ainsi, avec la hausse des prix des produits agricoles, l'Inde aura à souffrir de la malnutrition.

Tout à l'heure, j'ai indiqué que l'OCDE tient compte aujourd'hui, pour mesurer la performance d'un pays, de la qualité des emplois qui y sont offerts. Mais cette performance est évaluée par elle au travers d'autres indicateurs comme la responsabilité sociale des entreprises. Il s'agit de savoir notamment, pour les grands groupes, si les normes sociales en vigueur dans la maison mère sont appliquées également dans les filiales installées à l'étranger et chez les fournisseurs. En la matière, plus d'une centaine de multinationales ont passé des accords négociés, et non des déclarations de principe, avec les fédérations syndicales internationales de leurs secteurs au sujet de leurs responsabilités sociales. Ces accords représentent un nouveau vecteur de diffusion des bonnes pratiques sociales, lequel s'est mis en place sous la pression des salariés mais aussi des consommateurs et des ONG.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Quel est le regard que vous portez sur les négociateurs français ? Je n'ai pas le sentiment que notre pays soit le fer de lance de ce mouvement au niveau international.

M. Jean-François TROGRLIC - Un très gros progrès vient d'être accompli. Nous avons franchi une marche capitale avec l'accord sur le contrat de travail, même si certains critiquent le texte pour ses manquements. Cet accord était attendu depuis 1984. S'il avait été signé plus tôt, nous aurions sans doute beaucoup mieux abordé le sujet de la flex-sécurité. Aujourd'hui, nous sommes, en quelques sortes, en train de rattraper le temps perdu.

L'accord signé entre le MEDEF et deux organisations syndicales sur la représentativité marque une autre étape intéressante. En effet, le système français, contrairement à celui de ses voisins, repose sur des critères de représentativité inscrits dans le marbre et ayant permis la signature d'accords par des syndicats minoritaires et non majoritaires. Cette situation n'existe pas à l'étranger où les accords, quand ils sont validés, le sont par la majorité des organisations syndicales en fonction de leur représentativité.

Il est essentiel de se donner les moyens de valider les accords. Par ailleurs, dans la panoplie des dossiers qui viennent d'être ouverts par le gouvernement, plusieurs peuvent nous permettre, s'ils aboutissent, de franchir des étapes considérables. Je pense notamment aux dossiers relatifs à la pénibilité du travail et à la transposition de l'accord européen sur le stress au travail.

Enfin je crois que nous avons changé de cap avec l'adoption de la loi de 2007, qui retire, d'une certaine manière, des prérogatives au Sénat.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Nous en sommes conscients.

M. Jean-François TROGRLIC - J'ai entendu des parlementaires s'en plaindre. Étant les représentants de l'intérêt général, ils rechignent à laisser négocier entre eux des particuliers. Nous pouvons les comprendre. Mais en matière sociale, si les intérêts particuliers que représentent les syndicats, d'un côté, et les employeurs, de l'autre côté, ne se mettent pas ensemble autour d'une table pour négocier, alors il n'est pas possible d'avancer.

Selon la loi de 2007, si la négociation entre les partenaires sociaux aboutit, dans un délai précis, à un accord, alors celui-ci passe entre les mains des parlementaires qui, s'ils sont responsables, le transposent, avec le minimum d'amendements, en texte de loi. Cette opportunité n'existait pas auparavant. Par le passé, nous étions confrontés en permanence à un double jeu où à la fois les syndicats et les employeurs pouvaient espérer des gouvernements en place ou futurs une dénonciation des accords qui ne leur plaisaient pas.

La situation a donc évolué et aujourd'hui se met en place un dispositif structurel ayant abouti à trois faits majeurs : la loi et les deux négociations qui viennent d'aboutir.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Vous avez souligné combien la responsabilité sociale des entreprises constitue désormais un fait acquis. Mais je m'interroge sur cette responsabilité sociale. Il ne faudrait pas qu'elle soit juste un simulacre.

Vous avez parlé également du micro-crédit. Celui-ci peut profiter à des millions de personnes au Bangladesh, en Inde et ailleurs et il aboutit à la réalisation d'activités à des nivaux locaux. Ces deux approches visant, d'une part, la responsabilité sociale des entreprises et, d'autre part, au développement du micro-crédit ne sont-elles pas concurrentes ? Pour ma part, je privilégie une troisième démarche consistant à assurer l'autosuffisance alimentaire dans des régions isolées, là où les personnes sont très éloignées de l'emploi.

M. Jean-François TROGRLIC - Il y a de la place pour les deux approches. Vous avez raison de souligner que la responsabilité sociale des entreprises peut cacher le meilleur et le pire. Par exemple, le bureau de Paris a demandé à VIGEO de réaliser une étude sur la façon dont les multinationales européennes luttent contre la discrimination. Les résultats montrent que toutes disent agir dans ce domaine, mais que seulement 50% d'entre elles ont mis en place un dispositif pour le faire et 10% un système de recours et de sanctions en cas de faits avérés de discrimination dans leur organisation. Ils restent donc beaucoup de progrès à accomplir. Aujourd'hui, de nombreuses entreprises, par obligation, mettent en avant leur responsabilité sociale. Toutefois, celle-ci, dans certain cas, se limite à un simple vernis que seule la certification sociale permet de révéler.

Certaines entreprises se soumettent à cette certification, d'autres non. Mais de manière générale, elles ont intérêt à diffuser les bonnes pratiques sociales. J'ai beaucoup travaillé avec des multinationales françaises, notamment en Afrique où beaucoup d'entre elles veillent à ce que les systèmes de santé au travail qu'elles mettent en place sous forme de dispensaire fonctionnent dans la durée et survivent à leur départ quand il a lieu. Elles ont le souci d'apporter une aide pérenne aux territoires où elles s'installent pour développer leurs activités.

Il ne faut donc pas opposer les deux approches. Toutefois, vous avez raison. Dans les régions les plus enfoncées dans la pauvreté et les plus touchées par le travail informel, le développement du micro-crédit aidera les personnes à sortir de l'indigence.

Mme Esther SITTLER - Je soutiens une association, Les Parrains de l'espoir, qui est basée en Alsace et aide les enfants de pays en difficultés : la Roumanie, l'Inde et aujourd'hui le Congo. Je sais que le micro-crédit fonctionne très bien à l'étranger. Toutefois, je suis très préoccupée par ce qui se passe en France où des personnes travaillent mais ne parviennent pas à se loger.

S'agissant des dispositifs de protection de santé, l'Irlande, grâce à l'Europe, est en train de devenir très riche, mais offre des salaires très bas aux jeunes et peu de protection sociale aux salariés. Son développement interroge sur les choix de sociétés que nous avons à effectuer.

Enfin vous avez raison de vouloir une répartition plus juste des richesses. Mais, pour moi, il s'agit d'un voeu pieux et je crains, malgré nos efforts, qu'il ne soit impossible de réduire la pauvreté et que celle-ci ne continue à s'aggraver en l'absence d'une véritable prise de conscience de la nécessité de lutter contre elle.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - L'Organisation internationale du travail n'a pas seulement une action internationale. Elle constitue un levier très efficace pour agir, y compris dans notre pays. J'ai trouvé, dans ses rapports, des mines de renseignements et d'analyses, mais aussi de nombreuses propositions. J'aimerais savoir si l'ensemble des cabinets ministériels se soucient de maintenir des liens étroits avec l'OIT. Je préconiserais volontiers, dans le cadre de notre mission, de resserrer ces liens.

M. Jean-François TROGRLIC - Je serais très partisan d'une telle proposition. Le conseiller diplomatique mandaté par le Président M. Nicolas Sarkozy est très sensibilisé à notre travail car il a été, dans une vie antérieure, ambassadeur à Genève et a eu à fréquenter le BIT de l'intérieur.

Mais nous avons rencontré également le ministre Xavier Bertrand qui porte un très grand intérêt à ce qui passe dans notre organisation, même si celle-ci a remis en cause le CNE. LE BIT est encore très marqué par l'esprit français.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - C'est une réalité qu'il est utile de remettre en lumière.

M. Jean-François TROGRLIC - Nous allons fêter le quatre-vingt dixième anniversaire de notre organisation. Nous profiterons de cet événement pour rappeler tout ce que la France a apporté au BIT en faisant attention à ne pas être trop cocardier, et ce que le BIT a amené à notre pays.

S'agissant de vos remarques, Madame, nous pouvons partager votre pessimisme au regard de l'augmentation du nombre de personnes pauvres et de la manière dont elle a lieu. Toutefois, nous ne sommes pas allés au bout des dispositifs permettant de lutter contre la pauvreté. Par exemple, la mise en place du RMI me laisse un goût amer. Car elle ne s'est accompagnée d'aucune mesure d'insertion pour ceux bénéficiant de cette aide sociale. Si l'insertion n'avait pas été oubliée à ce point, nous n'en serions pas aujourd'hui à nous interroger sur l'opportunité d'instaurer le RSA.

Nous devons faire en sorte que les dispositifs de prise en charge s'inscrivent dans la durée et ne se limitent pas à une période politique, même si les élus ont leur rôle à jouer. Quand des personnes basculent dans la pauvreté, il est nécessaire de les soutenir et de réfléchir ensuite à la manière de les remettre sur pied et de les faire sortir des dispositifs d'aides. Telle est la démarche à mettre en oeuvre. Elle a déjà fait l'objet de nombreuses réflexions. J'espère que votre travail contribuera à la promouvoir.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Je ne vous ai pas demandé votre avis sur l'ensemble des instruments techniques : RMI, RSA, contrats aidés, minima sociaux. Les avez-vous analysés ?

M. Jean-François TROGRLIC - Non. La France utilise des instruments qui existent au niveau européen. Les débats qui ont lieu dans notre pays se déroulent ailleurs en Europe. Je n'ai pas de jugement de valeur à apporter sur tel ou tel instrument. Il ne s'agit pas de mon rôle.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Je vous remercie.

Audition de Mme Françoise BERNON, responsable du développement de l'activité de placement en France de Manpower Egalité des chances - (13 mai 2008)

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Mes chers collègues, nous accueillons Mme Françoise Bernon, responsable en France du développement de l'activité de placement de Manpower Egalité des Chances. Je la remercie d'avoir bien voulu participer à cette audition qui se tient dans le cadre de notre mission d'information pour les politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion.

Avant de donner la parole à mes collègues, je propose que vous nous présentiez brièvement les activités de Manpower et, plus précisément, celles de Manpower Egalité des Chances.

Mme Françoise BERNON - Je vous remercie de m'avoir invitée à cette mission sur la lutte contre la pauvreté et l'exclusion. Je suis Mme Françoise Bernon, responsable de l'activité de placement à Manpower depuis trois ans, société aujourd'hui impliquée dans la filiale Egalité des Chances. Avant de travailler dans cette entreprise, j'ai dirigé à Paris, durant treize ans, une entreprise d'insertion. J'ai rencontré M. Bernard Seillier à cette occasion. J'ai, par ailleurs, une double formation : une formation en ressources humaines et une formation sociale. J'ajoute enfin que je dirige l'activité « Placement » de Manpower depuis trois ans.

Depuis la loi de cohésion sociale, dite loi Borloo, cette entreprise s'ouvre à de nouveaux secteurs. Elle n'est plus seulement une entreprise de travail temporaire. C'est ainsi qu'elle développe, depuis quatre ans, deux activités : le recrutement en CDI et CDD et le placement de personnes, métier dont je m'occupe et consistant, de fait, en l'accompagnement d'individus peinant à trouver un emploi.

Mme Françoise Gri, présidente de Manpower France depuis plus d'un an, appelle de ses voeux la refondation de Manpower. Nous menons désormais, en effet, une réflexion globale autour de l'emploi. Nous souhaitons répondre à la difficulté de mettre en relation des entreprises qui peinent à recruter et des personnes qui ne réussissent pas à trouver un emploi. Pour ce faire, nous nous interrogeons sur la manière dont cette connexion peut être établie et, plus largement, sur la façon de répondre aux questions que se posent les entreprises dans leur processus de recrutement. Nous intervenons aussi bien au niveau des grosses entreprises que des PME. Ces dernières sont-elles aussi confrontées à des problématiques concernant le recrutement et la formation des salariés.

Dans le cadre de cette refondation, il nous a paru important que l'activité de placement de personnes ne sorte pas du cadre de Manpower France, d'un point de vue juridique et en termes de communication. Une filiale a donc été créée pour développer ce métier. Cette nouvelle structure témoigne de notre volonté de mettre en lumière cette activité et de nous y investir pleinement.

La filiale, dont je suis la directrice, est présidée par M. Robert Gellal. Elle prend en charge l'ensemble de l'activité de placement de Manpower en assurant un accompagnement particulier et individuel des personnes ayant des difficultés à trouver un emploi.

Nous sommes présents dans vingt départements. Nous collaborons beaucoup avec les conseils généraux pour aider les allocataires du RMI à se remettre au travail. De plus, nous préparons, avec le ministère de l'emploi, un programme concernant les jeunes diplômés. Nous sommes amenés à réaliser des expériences inédites. Je pense, par exemple, à celle que nous avons conduite pour redonner du travail à des pompiers volontaires et au projet mené en lien avec un IUT et ayant pour objet de permettre à des étudiants de décrocher rapidement un travail après l'obtention de leur diplôme. Nous sommes impliqués également dans des initiatives s'adressant à des personnes sortant de prison après avoir été condamnées à de courtes peines. 80 % de ce public récidive rapidement, faute de trouver un travail.

Nous avons répondu, par ailleurs, à l'appel d'offres relatif au contrat d'autonomie, lequel a été lancé dans le cadre du Plan banlieues et vise à accompagner les jeunes des quartiers qualifiés de ZUS vers un emploi et une formation qualifiante susceptible notamment de les encourager à créer une entreprise.

Cette petite introduction a pour but de vous présenter les sujets sur lesquels nous travaillons. L'idée forte de notre refondation ne s'inscrit pas uniquement dans une démarche de communication de notre part. Vous pourriez supposer qu'une grosse entreprise comme Manpower s'est lancée dans l'activité de placement de personnes uniquement à des fins de marketing. Mais il n'en est rien. Nous nous investissons réellement dans ce domaine. Nous y réalisons des choses concrètes. Je pourrais ainsi vous présenter de manière détaillée l'activité qui est la nôtre auprès des conseils généraux. Nous travaillons énormément avec eux.

L'engagement de Manpower est concret. Cette entreprise a créé une filiale et a investi les moyens nécessaires afin de permettre à des publics en insertion d'obtenir un emploi. Nous ne participons pas à une démarche de communication.

Les entreprises de travail temporaire conduisent beaucoup d'analyses pour savoir comment évoluera l'emploi en France. Nous savons qu'à l'avenir, il sera nécessaire d'améliorer cette fameuse connexion entre les personnes éloignées du travail et les besoins des entreprises en matière de recrutement.

Nous nous consacrons à ce sujet depuis plus de trois ans. Nous savons, par expérience, que beaucoup de personnes sans emploi se trouvent en capacité de travailler, mais souffrent d'un manque d'accompagnement, de réseau et de ressources, d'isolement et d'une méconnaissance du monde de l'entreprise ; leurs difficultés persistantes à décrocher un emploi ayant tendance à les enfermer dans une spirale négative et à les pousser à devenir de moins en moins dynamiques dans leur recherche de travail.

Je n'en ai pas parlé pour l'instant. Mais les personnes que nous accompagnons, notamment les jeunes de banlieue, peuvent être victimes en plus de discrimination, correspondant à une forme d'exclusion.

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Merci, Madame, pour cette présentation. Je passe maintenant la parole à M. Bernard Seillier, rapporteur. Il a sans doute quelques questions à vous soumettre.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Certains d'entre vous connaissent peut-être Mme Françoise Bernon. Elle a été notre invitée dans cette même salle à l'occasion de la sortie d'un film, Bénéfice humain , ayant pour sujet une imprimerie d'insertion dans laquelle elle travaillait. Elle jouit donc d'une double expérience. Elle connaît en effet à la fois le monde de l'insertion et celui de l'entreprise privée représentée par Manpower. Un tel parcours lui permet de bien appréhender le sujet dont il est question ici.

Madame, quelles méthodes et moyens employez-vous dans vos fonctions actuelles pour lutter contre l'exclusion et la pauvreté ? Quelles observations avez-vous été amenées à faire dans le cadre de vos responsabilités ? Quelles leçons tirez-vous de votre expérience chez Manpower ? Convient-il de recentrer les actions menées aujourd'hui ? Quelles sont-elles ? Quels sont les instruments que vous employez ? Sur quelle philosophie générale votre action repose-t-elle ? Existe-t-il des procédés obsolètes et des outils inefficaces ? Nous sommes en quête de réflexions susceptibles de nous aider à formuler des propositions utiles.

Votre propos nous intéresse du fait de vos anciennes responsabilités à la tête d'une entreprise d'insertion et des fonctions que vous occupez actuellement au sein de Manpower, entreprise dont l'évolution attire notre attention. Quelle est votre analyse de la situation sociale en France et quels en sont les déterminants structurels et conjoncturels ? Nous cherchons à savoir jusqu'où nous devons aller dans la remise en cause de certaines méthodes et instruments d'analyse. Merci.

Mme Françoise BERNON - Ce qui m'a intéressée dans la direction d'une entreprise d'insertion est d'avoir procédé, à petite échelle, au rapprochement de l'économie et du social. Je parle de petite échelle car il s'agissait d'une PME de vingt-trois personnes dont la finalité n'était pas d'assister les personnes en difficulté, mais de les accompagner dans leur recherche d'emploi en leur faisant signer des contrats de travail. Les individus qu'elle soutenait devaient ainsi s'investir pour obtenir un salaire à la fin du mois.

Manpower, dans son activité de placement, se rapproche des publics avec lesquels j'ai travaillé par le passé. En effet, les analyses menées par ses spécialistes montrent que le marché du travail aura besoin de ces salariés potentiels que représentent les personnes en situation d'exclusion. Pour permettre à ces dernières de trouver du travail, nous proposons des solutions originales qui divergent de celles traditionnellement mises en oeuvre par les acteurs publics. Par exemple, il est généralement attendu des services sociaux qu'ils prennent en charge tout ce qui relève de l'insertion. Il leur a ainsi été demandé d'aider les personnes dont ils s'occupent à trouver un emploi. Or il se trouve que la plupart des travailleurs sociaux ne connaissent pas le monde de l'entreprise. Ils ne savent pas en parler, et ils en ont parfois peur. Je donnerai quelques anecdotes très intéressantes à ce sujet dans quelques instants.

L'approche de Manpower est industrialisée. Il ne s'agit pas d'une PME. Cette société repose sur une organisation pertinente et performante et est rémunérée en fonction de ses résultats. Par conséquent, elle est tenue de rechercher une certaine efficacité. Le mode de fonctionnement de l'entreprise lui-même l'y incite. Pour atteindre ses objectifs, elle a développé une méthode spécifique, l'empêchant d'accompagner tous les publics en recherche d'emploi. En effet, un certain nombre d'individus sont confrontés à des problématiques sociales telles que nous ne saurions leur venir en aide. Nos actions ne conviennent pas à un certain nombre de personnes. Il n'en reste pas moins qu'une proportion significative de personnes ayant du mal à décrocher un travail sont souvent à même d'exercer une activité salariée. Il faut que l'occasion leur en soit donnée.

Ces candidats au recrutement ont besoin d'accompagnement. Nous pensons, au sein de Manpower Egalité des Chances, qu'il faut leur mettre le pied à l'étrier et éviter de leur dispenser, à répétition, des cours de technique de recherche d'emploi, consistant notamment à leur apprendre à bien présenter un curriculum vitæ . Ces gens demandent à travailler. Nous devons répondre à cette requête.

Notre manière de procéder repose sur le modèle de la pyramide de Maslow, selon lequel nous aidons le chercheur d'emploi à se construire un parcours qui lui permettra de valoriser son expérience et son profil et d'accéder, à terme, à un CDI. Par conséquent, nous n'entamons pas notre collaboration avec lui en lui offrant pareil contrat. Nous commençons par lui proposer des missions de travail temporaire. Manpower est bien placée pour agir dans ce domaine.

Certaines des personnes que nous suivons seront directement engagées sur la base d'un CDD ou d'un CDI. Mais la grande majorité d'entre elles a besoin d'une préparation préalable à une embauche dans la durée, leur discours et leurs motivations étant souvent en décalage par rapport à la réalité de leur parcours. Les chercheurs d'emplois qui manifestent la volonté de trouver un travail savent généralement qu'ils ont, en face d'eux, des acteurs incapables de les aider à s'insérer professionnellement. Or Manpower Egalité des chances ne fait pas partie de ceux-là. Nous proposons très vite aux candidats que nous recevons une activité salariée. Cette manière de procéder nous permet très vite de voir si leur volonté de travailler est manifeste et quelles sont leurs compétences.

La deuxième étape de notre accompagnement intervient lorsque nos interlocuteurs ont retrouvé un travail. Elle vise alors à surmonter de nouveaux obstacles qui apparaissent sur le chemin de leur insertion, les personnes ayant retrouvé un emploi s'apercevant parfois qu'il n'est pas facile de faire preuve de mobilité, de respecter des horaires, d'accepter l'autorité d'un patron, de se soumettre à des ordres et de poser les bonnes questions. Pour surmonter ces blocages, nous analysons avec elles les missions qu'elles effectuent, notre objectif étant de conforter leur projet professionnel en l'amendant au besoin. Nous voulons préserver et renforcer leur envie de travailler. Ainsi, nous cherchons la manière de tirer profit des périodes d'emploi dont elles bénéficient. Par ailleurs, nous mesurons quels sont les écarts entre leur projet, tel qu'elles le formulent, et ce qu'elles font sur le terrain. Il s'agit pour nous de prendre en compte la manière dont elles se comportent dans le cadre des missions que nous leur proposons. Nous aurions pu procéder à une évaluation de leur expérience professionnelle en amont. En effet, nous disposons des outils nécessaires pour identifier très rapidement les qualités et les compétences de nos interlocuteurs. Mais il nous semble plus fructueux de les juger au travers des missions que nous leur confions.

Par conséquent, nous accédons très rapidement à la demande des chercheurs d'emploi de travailler aussi vite que possible. Dans le cadre de nos démarches d'accompagnement, nous pouvons être amenés à revoir avec eux leur curriculum vitæ ou à recourir à d'autres méthodes. Toutefois, ces mesures n'interviennent que dans un second temps. En effet, l'urgence, pour nous, est de leur trouver une mission rémunérée. C'est en cela que nous nous distinguons principalement des services sociaux pour lesquels, bien souvent, nous proposons des missions temporaires aux personnes que nous accompagnons trop rapidement. Un de leurs représentants m'a déclaré un jour que demander aux personnes que nous suivons de se lever à sept heures du matin relève de l'esclavage.

Concernant le RMI, nous travaillons beaucoup avec les bénéficiaires de cette prestation sociale. Or il apparaît que l'organisation du système, en imposant à tout allocataire du RMI de passer par un travailleur social pour élaborer son projet professionnel ou son contrat d'insertion, fait de lui une personne confrontée à des problèmes sociaux l'empêchant d'entamer toute recherche d'emploi. Or cette vision n'est pas toujours vraie. Ainsi, un jeune diplômé ou un ancien gérant d'entreprise titulaire du RMI ne souffre pas nécessairement de handicaps sociaux. Les profils des bénéficiaires de cette prestation sociale sont très différents. Les catégories de personnes dont je viens de vous parler ne rencontrent pas de problèmes sociaux disqualifiants. Nous ne devrions pas les traiter comme s'il en était autrement.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur- Vous permettez à vos interlocuteurs de bénéficier très rapidement d'une activité salariée. Mais comment les suivez-vous lorsqu'ils ont intégré leur lieu de travail ? Comment l'accompagnement que vous dispensez s'organise-t-il?

Mme Françoise BERNON - Lorsque nous accompagnons une personne dans ses démarches de recherche d'emploi, nous signons un contrat avec elle sur la base d'un engagement réciproque. Nous nous engageons à lui offrir un certain nombre de moyens et de garanties. De son côté, le demandeur d'emploi accepte de répondre aux attentes qui sont les nôtres. Le contrat est signé avec un unique conseiller emploi. Les personnes prises en charge sont toujours en lien avec la même personne. Cette dernière suit individuellement chacun de ses interlocuteurs.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - De combien de référents disposez-vous par personne suivie ?

Mme Françoise BERNON - Chaque référent peut s'occuper de 30 à 50 personnes. Ce dernier chiffre est atteint quand les individus pris en charge sont en mission ou sous contrat. En début d'action, un conseiller peut travailler avec 30 demandeurs d'emplois différents. Comme référent, il suivra de plus en plus de personnes au fil du développement de l'activité de la cellule locale de Manpower Egalité des chances. Par ailleurs, lorsque les personnes effectuent un travail temporaire, leurs employeurs nous indiquent quelle a été la qualité de leur travail. Il est important de noter que le conseiller emploi est toujours en contact avec la personne avec laquelle il collabore. Il la voit au moment de la signature de son contrat d'embauche ainsi qu'en fin de mission. Il bénéficie ainsi du ressenti du chercheur d'emploi. La relation est constante entre les référents et les individus pris en charge.

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Vous êtes donc des tuteurs en entreprises ?

Mme Françoise BERNON - Non. Le suivi dont je vous parle est systématiquement opéré par une entreprise comme la nôtre, qu'il concerne un individu ayant du mal à trouver un emploi ou pas. Ainsi, quand une personne avec laquelle nous collaborons part en mission, un suivi qualité de son parcours est effectué.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Je suis complètement ignorant des méthodes que vous nous présentez.

Mme Françoise BERNON - Nous demandons à la fin de toute mission que l'entreprise note la personne qui l'a effectuée. Cette évaluation porte sur les performances professionnelles et comportementales de l'individu.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Cette notation est-elle effectuée selon une grille propre à Manpower ?

Mme Françoise BERNON - En effet.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Pourriez-vous nous la présenter ?

Mme Françoise BERNON - Je vais demander s'il m'est possible de vous la communiquer.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - S'agit-il d'un secret d'Etat ?

Mme Françoise BERNON - Nullement. Simplement la réponse à votre question n'est pas de mon ressort.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Il serait intéressant pour nous d'avoir cette grille.

Mme Françoise BERNON - Je vais demander au service qualité de l'entreprise s'il nous est possible de vous la communiquer.

Le système que je viens de vous présenter nous permet de disposer d'une évaluation constante de la personne que nous accompagnons. Si un problème est relevé par l'employeur, il le fait savoir à notre agence. L'intérêt des missions que nous proposons réside donc dans le suivi du demandeur d'emploi qu'elles entraînent. Cependant, ce suivi ne peut avoir lieu que si celui sur lequel il s'exerce bénéficie de ce que nous appelons un « rebond régulier » ; c'est-à-dire la possibilité pour une personne d'enchaîner les contrats en alternance. Si tel est le cas, nous considérons qu'elle est engagée dans une dynamique en termes d'emploi, devant le conduire à signer un CDD ou un CDI. Par conséquent, en l'accompagnant, nous pouvons permettre à un individu d'améliorer ses démarches de recherche d'emploi, de ne plus être isolé et d'être constamment recadré dans ses initiatives grâce au conseiller emploi.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Un bilan de compétences est-il effectué dès le début de la prise en charge des personnes que vous acceptez de suivre. Opérez-vous une sélection des gens que vous souhaitez accompagner parmi ceux qui se présentent à vous ? Quels instruments utilisez-vous pour évaluer les personnes en demande d'emploi ? Eliminez-vous certaines candidatures ?

Mme Françoise BERNON - Un premier tri est effectué parmi les candidats par le conseil général ou donneur d'ordre. En effet, tous les départements prennent en charge les allocataires du RMI dans le cadre de leurs activités sociales. Certains conseils généraux sont confrontés essentiellement à des populations en proie à des handicaps sociaux. Ils ont alors besoin d'accompagnement dans ce domaine. D'autres ont opté pour une démarche proche de la nôtre et axée sur l'insertion professionnelle. Pour travailler avec nos services, ils doivent nécessairement accomplir une sélection préalable des chercheurs d'emploi, dont ils souhaitent nous confier le placement.

Nous attendons d'avoir les personnes désireuses de se faire embaucher en face de nous pour procéder à un premier diagnostic de leur situation. Ce travail a pour but de mettre en évidence quels sont les freins à leur embauche et les leviers disponibles sur lesquels il est possible d'agir pour leur permettre de s'insérer professionnellement, si elles sont mobiles, ont envie de travailler, souffrent d'handicaps, liés notamment à des problèmes familiaux lourds, si leurs projets coïncident avec leurs expériences professionnelles et enfin si elles sont titulaires de diplômes susceptibles d'être valorisés.

Cette première phase nous permet de voir s'il nous est possible de trouver un emploi à la personne située en face de nous. En cas de réponse positive, nous signons avec elle un contrat d'engagement. Dans le cas contraire, par exemple s'il apparaît que notre interlocuteur ne veut ou ne peut pas travailler ou a trois enfants et ne dispose d'aucun moyen de locomotion, nous refusons de l'aider. Cependant, ce refus n'a rien de définitif.

La deuxième étape de notre travail auprès du demandeur d'emploi nous conduit à utiliser des outils propres à Manpower. Il s'agit d'instruments professionnels, qui ont été préparés pendant des années grâce à nos relations avec les employeurs et les entreprises et nous permettent d'analyser la pertinence d'un projet individuel, en fonction des grandes lignes de métiers existants. L'enquête que nous menons porte sur la personnalité et les qualités de la personne suivie. Je ne peux pas entrer dans les détails du sujet car je n'en suis pas une spécialiste. Toutefois, notre méthode consiste à comparer, au travers de tests, le profil idéal défini par une entreprise pour une famille de métiers spécifiques à celui du candidat reçu. Bien entendu, l'objectif n'est pas de trouver une personne conforme en tout point à celle recherchée par nos clients, mais de leur en présenter une répondant en gros à leurs souhaits et d'aider celle-ci à combler ses éventuelles lacunes, par exemple son manque de concentration, de dextérité ou de compréhension. Nous basons notre approche sur des actions et des faits concrets.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Vous aidez donc vos interlocuteurs à résoudre un certain nombre de leurs difficultés.

Mme Françoise BERNON - En effet. Nous pouvons les inciter à revoir leur projet professionnel. Tout dépend des résultats de leurs tests et de l'analyse qui en découle.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Considérez-vous qu'il est de votre devoir d'aider une personne à trouver un emploi lorsqu'elle s'adresse à vous ? Visez-vous la satisfaction des entreprises ou celle des individus à la recherche d'un travail ?

Mme Françoise BERNON - Nous sommes le contraire d'une agence de travail temporaire, laquelle se contente de répondre aux besoins des entreprises et ne sait pas faire ce que nous faisons. C'est la raison pour laquelle nous avons créé un métier différent au sein de notre nouvelle filiale. Notre démarche consiste à obtenir un emploi aux personnes qui souhaitent travailler et s'adressent à nous dans ce but. Evidemment, nous nous appuyons pour agir sur la force de frappe de Manpower, présente sur tous les bassins d'emplois et en lien avec de très nombreuses entreprises. Nous nous reposons sur elle. Notre activité a pour but de remettre un individu au travail et, de fait, de l'accompagner dans la construction de son projet professionnel, même s'il a besoin de transiter par d'autres agences telles qu'Adecco et Vedior pour le réaliser. Imaginons qu'un concurrent de Manpower ait besoin d'une personne dans le domaine médical, je pourrais très bien lui présenter un candidat si je cherche à en faire recruter un correspondant au profil recherché. Je ne cherche pas obligatoirement à placer les gens dans le cadre de mon entreprise. Je ne fais qu'utiliser sa force de frappe pour répondre aux demandes qui me sont soumises.

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Je voudrais vous poser deux questions. Tout d'abord, quelle est la différence entre votre structure et les ADAPEI ? Vous semblez poursuivre les mêmes objectifs, utiliser les mêmes outils, vous occuper des mêmes profils de candidats et signer les mêmes types de conventions avec les collectivités locales.

Par ailleurs, concernant votre filiale, quels sont ses différents atouts et aussi ses points faibles qu'elle doit corriger pour optimiser les conventions que vous avez passées avec l'ensemble de vos partenaires ?

Mme Françoise BERNON - Pardonnez-moi, Madame, je n'ai pas compris votre dernière question.

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Je fais référence aux conventions que vous avez signées avec l'ensemble de vos partenaires : ANPE, conseils généraux et conseil régionaux. Quels sont leurs points faibles et ce qu'il faudrait entreprendre pour les optimiser, y compris par voie législative ?

M. Guy FISCHER - Il est étonnant de voir de grands groupes mondiaux prendre aujourd'hui en charge le traitement de l'exclusion. Il s'agit d'un phénomène nouveau. Ainsi, la plupart des conseils généraux lancent des appels d'offre pour accompagner ce qui constitue peut-être l'essentiel de votre clientèle, à savoir les RMistes et les allocataires des minima sociaux. Il en va de même pour l'Etat. Ma question est donc la suivante : savez-vous mieux faire ce travail que les personnels des départements qui ne disposent pas de formation particulière pour accompagner les chercheurs d'emploi ?

Une autre interrogation se présente à mon esprit. En effet, les conseils généraux et l'Etat visent à atteindre des objectifs précis. Il s'agit, par exemple, de faire baisser le nombre des bénéficiaires du RMI. Or cette volonté est à l'origine de la démarche ayant conduit à la création du RSA. Etes-vous impliqués dans sa mise en place ?

Par ailleurs, les contrats d'autonomie concernant les ZUS constituent l'un des autres outils dont l'Etat s'est doté pour agir. 45 000 de ces contrats seront signés dans une période de cinq ans. Ils représentent pour vous des parts de marché potentielles dans le domaine de l'aide à la personne. Il y a sans doute là un gisement que vous pourriez exploiter.

Vous êtes rémunérés en fonction des contrats que vous réussissez à obtenir aux personnes que vous placez. Je me demande donc si vous prenez en charge les individus qui vous sollicitent de leur propre chef ou, au contraire, uniquement les demandeurs d'emplois qui s'inscrivent dans le cadre des conventions que vous avez signées avec les collectivités territoriales, en particulier les départements, et l'Etat. En effet, comme je peux le constater au sein de ma propre collectivité, la rémunération de votre travail fait débat au sein des départements. Les conseils généraux sollicitent sans cesse davantage Manpower, Adecco, Vedior, et toutes les grandes entreprises du travail temporaire. Par conséquent, je me demande quelles sont les relations que vous entretenez avec votre donneur d'ordres, s'agissant notamment de vos obligations de résultat.

Aujourd'hui, l'attitude des départements a changé. Ceux-ci se tournent de plus en plus vers de grands groupes comme le vôtre. Ils attendent de votre action des résultats pour réduire les versements d'allocations. Toutes mes interrogations sont donc sous-tendues par une autre, ayant trait à la nature des publics auxquels vous vous adressez : n'êtes-vous pas conduits à ne prendre en charge que les candidats les plus facilement employables et à laisser les autres sur le bord du chemin ?

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Merci M. Fischer. Je donne la parole à M. Jean-François Humbert.

M. Jean-François HUMBERT - Merci Mme la Présidente. Je ne souhaite pas réellement poser une question. Mon intervention s'inscrit dans la continuité de ce qui a été dit par les uns et les autres. En effet, je voudrais vous décrire en quelques mots notre voyage en Côte-d'Or, qui a eu lieu la semaine dernière. Je souhaite rassurer Mme Bernon. Les conseils généraux sont en train d'évoluer. Ainsi, le département de Côte-d'Or auquel nous avons rendu visite cherche à donner très rapidement un emploi aux personnes souffrant d'exclusion et, en particulier, les individus ayant connu une longue période de chômage. Il s'agit d'un fait important. En effet, nous considérons trop souvent que les départements s'inscrivent dans une logique sociale. Ce que fait le conseil général de Côte d'Or apporte un démenti à ce préjugé. Certains départements ont commencé à évoluer en estimant qu'il est nécessaire de remettre les gens au travail.

Mme Françoise BERNON - J'en viens au sujet des ETTI. Manpower n'intervient pas dans le cadre de la politique de l'IAE. En effet, cette entreprise n'est ni une ETTI, ni une AI. Nous n'avons pas passé de convention avec la DTTE et ne sommes donc pas financés par cette institution. Vous pourriez supposer que les activités des ETTI sont proches de celles de la filiale Egalité des chances de Manpower. Or ces ETTI représentent des agences de travail temporaire. A ce titre, elles recrutent des personnes qui leur sont adressées par l'ANPE dans le cadre de conventions signées avec cette dernière. Ainsi, les candidats qu'elles accueillent sont considérés comme étant en difficulté. Elles leur proposent des missions de travail temporaire pour les aider dans leur vie personnelle.

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Poursuivent-elles la même démarche que la vôtre ? Quelles différences y a-t-il dans vos manières de procéder et de concevoir vos actions ?

Mme Françoise BERNON - La première différence notable porte sur le financement. Nous n'avons pas passé de convention avec le secteur public. En conséquence, celui-ci ne nous finance pas.

La deuxième différence est que nous faisons appel au travail temporaire en fonction du projet de la personne que nous accompagnons. Notre objectif consiste à permettre aux individus de se remettre au travail, si possible, directement par le biais d'un CDI, autrement au travers d'un CDD. Nous analysons le projet du candidat et utilisons éventuellement des missions de travail temporaire pour l'aider à le réaliser.

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Vos objectifs et moyens sont identiques à ceux des ETTI. En effet, le but de l'entreprise de travail temporaire et d'insertion est d'aider les chercheurs d'emplois à trouver un travail et non pas à les garder en interne pour leur faire accomplir des missions. Il est d'utiliser les contrats temporaires pour donner la possibilité aux candidats d'obtenir un CDD durable ou un CDI. Ces établissements travaillent en tenant compte du projet professionnel des personnes qu'ils prennent en charge. Le poste d'accompagnant financé par les collectivités au profit des ETTI est donc un poste d'accompagnant à l'emploi.

Mme Françoise BERNON - Je connais très bien les ETTI. Mais votre question portait sur les différences qui existent entre nos deux types d'entreprises. Or la première distinction à mentionner est que Manpower Egalité des chances n'est pas conventionné par la DTTE. La seconde est que notre métier ne revient pas à proposer à nos interlocuteurs uniquement des missions de travail temporaire. Une ETTI recrute les personnes qu'elle suit au travers de CDD. Elle n'a pas pour but de les faire accéder à des CDI.

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Je ne suis pas d'accord avec vous. En effet, une ETTI a pour objet de faire sortir les chercheurs d'emplois de leur situation de précarité, de leur faire bénéficier de CDI ou de formations, en fonction des problèmes qu'ils rencontrent. Il se trouve que j'ai dirigé une de ces entreprises entre 1990 et 2005. Je suis donc certaine de ce que j'avance.

M. Jean-François HUMBERT - Etait-ce en France ou en Espagne ?

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - L'entreprise était basée au pays basque. Les ETTI datent de la loi de 1993.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Toutes les ETTI poursuivent-elles les mêmes missions que celles que vous dirigiez ?

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Leurs missions peuvent peut-être varier. Cependant, elles ont toutes pour objectif d'insérer les gens professionnellement. Telle est la raison pour laquelle elles sont financées par la délégation du travail. Elles ne constituent que des intermédiaires entre le chercheur d'emploi et les entreprises recruteuses.

Mme Françoise BERNON - Nous sommes d'accord. Mais, à ma connaissance, leur outil privilégié réside dans la mission de travail temporaire.

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Il ne s'agit pour elles que d'un instrument d'évaluation.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Que se passe-t-il si un CDI est proposé à l'un des demandeurs d'emploi que l'ETTI accompagne ?

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Dans cet heureux cas de figure, la personne est recrutée et quitte le dispositif d'accompagnement de l'ETTI qui a alors atteint ses objectifs. En effet, ce type d'établissement est évalué en fonction du nombre de personnes qu'il parvient à faire recruter. Notons que l'ANPE signe avec lui des conventions de deux ans pour les candidats qu'il prend en charge et dans lesquelles figurent un certain nombre d'exigences. Ces requêtes doivent permettre une évaluation du travail mené par l'ETTI, le chercheur d'emploi pouvant sortir du dispositif d'accompagnement un mois comme deux ans après y avoir accédé. Dans tous les cas, un rapport d'évaluation concernant le travail accompli par l'agence est remis à l'ANPE. L'objectif est que la personne quitte le système d'accompagnement à l'emploi le plus rapidement possible.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Que se passe-t-il si elle ne le quitte pas ?

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Une personne peut bénéficier du dispositif d'accompagnement de l'ETTI pendant une durée de deux ans maximum.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - La personne est-elle condamnée à se débrouiller par elle-même par la suite ?

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Oui.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Si j'ai bien compris, l'ETTI n'a pas démérité si elle a accompagné un chercheur d'emploi pendant deux ans en lui proposant des missions de travail temporaire.

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - En effet. L'objectif de l'ETTI consiste à réinsérer les personnes dans le milieu du travail. Madame, je vous prie de bien vouloir m'excuser pour cette parenthèse.

Mme Françoise BERNON - Je vous en prie. Les financements des ETT leur sont directement versés pour procéder à l'accompagnement des personnes en difficulté. Manpower ne se trouve nullement dans ce cas de figure. Notre entreprise répond à des appels d'offres et n'est pas positionnée sur le marché du travail temporaire. Notre métier se situe en amont de cette activité. Nous recherchons des emplois adaptés aux candidats qui nous sont adressés et qui peuvent s'apparenter à des missions de travail temporaire ou s'inscrivant dans la durée. En effet, nous ne recourrons pas systématiquement à des contrats de court terme. En tout état de cause, notre rémunération correspond au fruit des résultats que nous obtenons. Nous ne sommes pas rétribués pour l'accompagnement que nous menons au profit des personnes en mal d'insertion. Les sommes que nous percevons à ce titre sont très faibles. Contrairement à une ETT ou une ETTI, notre agence est payée en fonction de son rendement.

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Madame, quelles sont les contraintes que vous rencontrez dans votre activité, sachant que vous êtes financés sur la base de vos performances ? Comment vos résultats sont-ils évalués ? Le sont-ils lors du recrutement de la personne que vous accompagnez ou quelques années plus tard ? En effet, le type de public auquel vous vous adressez se distingue par son instabilité. Il est difficile de l'inscrire dans un emploi à long terme.

Mme Françoise BERNON - Dans le cadre des marchés publics auxquels nous répondons, il nous est généralement demandé de suivre les personnes que nous accompagnons jusqu'au terme des six premiers mois suivant leur embauche. Les ETT ne sont pas soumises à cette obligation. Contrairement à elles, nous continuons d'accompagner les individus après leur recrutement, quel que soit le type de contrat dont ils bénéficient (mission de plus de six mois ou CDI). Nous devons attester du fait que les personnes dont nous nous occupons sont encore au travail au bout de six mois.

L'analyse selon laquelle les vingt-quatre premières semaines suivant l'embauche représentent une période critique est juste. Si, pendant ce délai, le bénéficiaire du dispositif respecte son contrat de travail, alors tout devrait bien se passer pour lui par la suite.

La deuxième raison pour laquelle ce laps de temps a été retenu pour juger de notre action est que l'allocation du RMI n'est plus versée après six mois d'activité dûment rémunérée.

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Travaillez-vous avec ces organismes ?

Mme Françoise BERNON - Nous travaillons avec eux. Je viens du secteur de l'IAE. J'appartenais au Comité national des entreprises d'insertion.

M. Bernard SEILLIER, Rapporteur - Mme Françoise Baron était la trésorière du Comité national des entreprises d'insertion.

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - J'en prends note.

Mme Françoise BERNON - Les ETT constituent des partenaires avec lesquels je travaille énormément.

J'en viens maintenant aux points faibles des conventions. La grande difficulté que nous rencontrons aujourd'hui consiste à accomplir le suivi que nous devons à nos clients. En effet, chaque département a des exigences en la matière. Nous tentons d'informatiser les procédures pour le recueil et l'analyse des données, les consultants et les conseillers emploi qui accompagnent les personnes en recherche de travail devant pouvoir se reposer sur un système automatisé, prompt à fournir des informations statistiques pertinentes. Or ce qu'on nous demande d'évaluer varie fortement d'un conseil général à l'autre. Nous sommes donc sans cesse obligés de réinventer nos outils de collecte d'informations.

Les conseils généraux nous soumettent souvent des demandes cohérentes entre elles. Je songe notamment à leur souhait d'avoir un suivi des personnes en recherche d'emploi pendant les six mois suivant leur entrée dans un emploi stable. Par contre, il n'y a aucune uniformité dans leurs attentes en matière de reporting. Chacun d'eux souhaite bénéficier de son propre tableau. L'un le veut construit par ITS, un autre par bassin d'emploi. Cette situation nous oblige à effectuer un travail de suivi extrêmement conséquent. Quand nous accompagnons cinquante personnes, nous pouvons répondre à de telles demandes hétérogènes. Mais il n'en est plus forcément de même lorsque nous avons à prendre en charge 500 ou 1 000 individus.

Il est naturel que des statistiques nous soient réclamées sur le nombre de personnes que nous avons reçues, leur profil, leur niveau de qualification, etc. Cependant, les conseils généraux, en matière de suivi, ont des exigences et des outils de reporting très variés. Nous sommes donc obligés d'utiliser des tableaux Excel, parallèlement à notre outil informatique spécifique.

Les marchés publics nous posent une deuxième difficulté. Elle concerne leur durée d'attribution. Nous pouvons en effet remporter un marché pour une durée d'un an, puis, les procédures d'appel d'offres étant compliquée, attendre longtemps avant qu'il ne donne lieu à un nouvel avis de passation, en particulier si le conseil général avec lequel nous travaillions a vu ses responsables administratifs changer. Du coup, nous pouvons être amenés à dissoudre des équipes très rapidement. Cette situation ne favorise pas un travail dans la durée.

Dans les départements où nous intervenons depuis trois ans, nous réussissons à obtenir des résultats très satisfaisants, dont nous ne pouvons pas nous enorgueillir dans ceux où notre action est limitée dans le temps. A Manpower, nous ne pratiquons pas le bénévolat. S'il n'y a plus de marché, nous ne travaillons plus.

M. Guy FISCHER - Ce que vous dites est vrai pour tout le marché de la formation professionnelle. Aujourd'hui, les petites structures qui y avaient pied volent en éclats. Nous sommes témoins d'une restructuration totale du secteur, dans lequel des entreprises de très grande taille comme la vôtre prennent place.

Mme Françoise BERNON - Nous sommes plus solides que les petites entreprises. Par conséquent, lorsque nous y sommes contraints, nous réussissons à nous maintenir, pendant quelques temps, sur un territoire en attendant que les activités reprennent. Notre implantation locale peut avoir de nombreux avantages. Ainsi, dans les départements où nous sommes installés depuis trois ans, les personnes que nous recevons et accompagnons dans leurs démarches d'insertion professionnelle sont celles qui sont le plus proche de l'emploi.

M. Guy FISCHER - Vous bénéficiez donc du haut du panier.

Mme Françoise BERNON - Je l'espère. Je suis là pour permettre aux personnes les plus aptes à avoir une activité salariée d'obtenir un travail.

M. Guy FISCHER - Vous nous avez indiqué qu'un tri préalable, parmi les personnes qui souhaitent s'adresser à vous, est effectué par les services départementaux.

Mme Françoise BERNON - En effet. Nous nous apercevons cependant que ce tri n'est pas toujours pertinent. Notre but est d'insérer professionnellement, et le plus rapidement possible, ceux qui peuvent l'être. Nous savons que le nombre d'allocataires du RMI diminue actuellement partout en France. Or les marchés dans lesquels nous sommes positionnés augmentent en même temps. Ainsi, dans un département, nous avons été amenés à suivre 110 personnes, puis 350 personnes et aujourd'hui 650. En fait, plus le temps passe et plus nous avons à nous occuper de gens difficilement employables. Le nombre d'allocataires du RMI diminue et il nous est demandé d'en accompagner de plus en plus.

M. Guy FISCHER - Est-ce M. Martin Hirsch qui vous demande d'intervenir dans le placement de ces personnes ?

Mme Françoise BERNON - Pas du tout. Nous nous contentons de répondre aux demandes des conseils généraux, tous satisfaits de nos prestations. A titre illustratif, je peux vous présenter la manière dont nous abordons notre mission dans les départements où nous agissons. A force de cultiver le dialogue avec eux, les problèmes que nous rencontrons auprès des services sociaux s'effacent petit à petit au travers de la mise en place d'une organisation efficace et coopérative. Nous faisons preuve de beaucoup de pédagogie au début de nos actions. Nous souhaitons expliquer ce que nous allons faire. En effet, notre entreprise suscite parfois la crainte des acteurs locaux. Nous nous devons de lever cette appréhension. C'est pourquoi nous construisons des relations de travail et de coopération dans la durée.

Chacun a dressé le constat suivant : les problématiques sociales ne peuvent être résolues en l'absence de travail et les difficultés que rencontrent certains à trouver un emploi ne peuvent être solutionnées tant qu'ils sont confrontés à des problèmes sociaux. Nous travaillons à la résolution de cette équation et ce, de manière de plus en plus efficace au fur et à mesure que le temps passe et que nous nous installons sur un territoire. Grâce à notre connaissance du terrain et des services sociaux, nous parvenons à aborder et à traiter de front les problématiques d'ordres professionnel et social. Il nous faut continuer à agir de la sorte, en demandant aux travailleurs sociaux de s'investir sur les enjeux sociaux, de manière à ce que nous puissions traiter ce qui relève de l'emploi. Nous organiser ainsi nous permettra de nous occuper des personnes les plus loin de l'emploi. Mais je ne vous cache pas que nous posons des pré-requis avant de mener toute action d'accompagnement. Si une personne est confrontée à trop de problèmes sociaux et si nous ne connaissons pas encore bien le territoire où nous sommes implantés, nous refuserons de la prendre en charge tout de suite.

Enfin, le tri des candidats effectué par les conseils généraux n'est pas toujours de bonne qualité. Il est même souvent mauvais. La raison en est que nos interlocuteurs, bien souvent, choisissent de nous confier des cas extrêmement difficiles à traiter.

Nous souhaitons être efficaces dans notre domaine d'intervention. L'erreur à ne pas commettre consisterait à demander à tout le monde de tout faire. L'insertion sociale et la recherche d'emploi représentent deux activités distinctes et il est nécessaire que chacun se concentre sur son domaine d'action spécialisé. Nous devons agir en fonction des limites et des points forts qui sont les nôtres. Par la suite, si nous procédons à de nécessaires rapprochements entre acteurs complémentaires, nous parviendrons à progresser. Les résultats du travail que nous menons dans tous les départements où nous sommes présents démontrent le bien-fondé de cette analyse.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Votre entreprise participe aujourd'hui de la lutte contre l'exclusion et la pauvreté. Compte tenu des évolutions de la société contemporaine, vos concurrents contribueront-ils à en faire de même ou Manpower sera-t-elle la seule entreprise de son secteur à agir dans le domaine de l'insertion ? A l'heure actuelle, il est courant de demander aux entreprises d'avoir une responsabilité sociale. Il me semble que cette responsabilité existe à Manpower. Est-elle présente dans d'autres groupes ?

M. Guy FISCHER - Je me permets de compléter les propos de notre rapporteur, M. Bernard Seillier. J'en reviens aux personnes que nous cherchons à insérer professionnellement. Nous avons observé qu'après les six premiers mois suivant leur embauche, les personnes ayant du mal à trouver un emploi sombrent de plus en plus dans la précarité. Or Manpower Egalité des chances ne s'occupe plus d'elles au-delà de ce délai. Ma crainte est donc qu'elles disparaissent des statistiques du RMI. Ma question est donc la suivante : dans les personnes que vous accompagnez, quelles sont celles, en pourcentages, à bénéficier d'un CDI et d'un contrat précaire ? Disposez-vous, après- à vos trois ans d'expérience, d'éléments d'appréciation sur ces pourcentages ?

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Quelle appréciation portez-vous sur l'évolution du droit du travail pour votre activité ?

Mme Françoise BERNON - Il ne faut pas se faire d'illusion concernant l'intérêt que les entreprises portent à leurs responsabilités sociales. Manpower est un prestataire de services et comme toute société de droit privé, elle doit trouver un avantage à travailler sur un sujet donné, même s'il peut exister des exceptions concernant des projets très spécifiques.

Les besoins en recrutement s'accroissent. Nous savons que les professions qui peinent à embaucher, auparavant cantonnées aux secteurs de la restauration et du bâtiment, augmentent. Pratiquement toutes les familles de métiers ont du mal à recruter. Par conséquent, les entreprises sont amenées à réfléchir sur leur processus d'embauche très rapidement. Sans salarié, elles ne peuvent pas progresser. Comme acteurs économiques, elles sont obligées de trouver des partenaires avec qui elles peuvent monter des projets. Les établissements avec lesquels elles souhaitent collaborer sont ceux qui connaissent le mieux leur secteur d'activité. Manpower Egalité des chances constitue le genre de structure avec lequel elles peuvent travailler. Ce n'est pas le cas des associations et des partenaires sociaux. Ceux-ci ne partagent pas la même culture que nous.

J'ai parlé tout à l'heure de la refondation et de l'action menée par Mme Françoise Gri au sein de notre entreprise. La Présidente de Manpower n'est pas issue du secteur du travail temporaire. Elle était auparavant à la tête d'IBM. Elle ne connaissait donc pas du tout l'ancien métier, très spécialisé, de la société qu'elle a reprise en main. Elle considère Manpower comme une entreprise à laquelle il faut donner des perspectives et une stratégie. Comme vous l'avez indiqué, nous initions en ce moment un mouvement précurseur. Très bientôt, les acteurs économiques seront conduits à s'ouvrir à une culture particulière impliquant l'organisation de l'accueil du salarié et à la faire perdurer. Nos analyses montrent qu'il est nécessaire de travailler sérieusement à insérer professionnellement des publics laissés sur le bord du chemin. Cette activité représente un métier à part entière pour Manpower. Il s'agit pour l'entreprise d'un nouveau marché.

Concernant le suivi que nous assurons auprès des personnes récemment embauchées, vous avez raison de dire que ce n'est qu'au bout de deux ans d'activité salariée que nous savons si un individu est bien inséré dans le monde du travail. C'est la raison pour laquelle les contrats de RMI peuvent durer jusqu'à vingt-quatre mois. Malheureusement, nos financements sont tels que nous ne pouvons pas accompagner nos clients pendant ces deux années.

Je ne sais pas si vous connaissez la méthode d'insertion par l'offre et la demande, à laquelle il est souvent fait recours. Les membres de l'équipe d'IOD, qui l'ont promue, constituent des partenaires avec lesquels nous collaborons régulièrement. Contrairement à nous, ils préconisent de recourir au CDI dès la première embauche du chercheur d'emploi. Il s'agit ici d'une différence significative entre nos deux manières de fonctionner, même si nous travaillons ensemble au niveau de certains territoires. Nous nous intéressons à certains profils de candidats, eux à d'autres. Ils savent qu'un premier recrutement en CDI conduit à de nombreux échecs. Passer directement par des contrats à durée indéterminée ne représente pas toujours la solution adéquate pour aider les personnes en mal d'insertion professionnelle.

En tout état de cause, nous nous devons de pouvoir confirmer que l'action menée avec les personnes que nous avons suivies continue de faire son effet au bout de six mois de travail salarié. Si nous ne pouvons pas nous prévaloir d'un taux de réussite de 100 % dans les démarches que nous entreprenons, il est possible de vérifier sans crainte que les personnes ayant bénéficié de notre accompagnement en ont tiré un profit durable. Le fait que nous ne procédions pas à une évaluation de notre action au bout d'une période de deux ans, suite à une embauche, ne signifie pas que nous ayons mal effectué notre mission, ni que les individus auprès de qui nous sommes intervenus sont retournés dans la précarité. Je serais intéressée d'avoir accès à une telle évaluation. Elle permettrait de démontrer la pertinence de notre méthode de travail.

Le droit du travail, lui, concerne un autre sujet. Nous savons que ce droit est appelé à évoluer, y compris pour le travail temporaire, et que nous nous acheminons vers un assouplissement des textes juridiques. Toutefois, je ne saurais pas répondre à votre question. Vous pourriez peut-être vous adresser au MEDEF pour obtenir un avis argumenté sur le sujet. Je crois que Mme Françoise Gri intervient demain. Je ne sais pas s'il s'agit d'une audition.

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Il s'agit d'un petit-déjeuner de travail.

Mme Françoise BERNON - Vous lui direz, si vous le voulez bien, que je vous ai invités à lui retourner la question. Elle saura y répondre. En guise de conclusion, les besoins des entreprises sont très larges. Ils portent, non seulement sur l'emploi, mais aussi sur la formation des personnes. En effet, il est essentiel pour elles d'avoir des travailleurs susceptibles de s'adapter et des contrats répondant à leurs besoins. Nous avons parlé des six mois de veille que nous devons assurer auprès d'une personne que nous avons accompagnée suite à une embauche. Or, à ce propos, nous devons nous interroger sur la manière dont les salariés peuvent passer d'un contrat à un autre. En effet, ce qui est important pour eux n'est pas tant de garder leur emploi, mais ce à quoi ils seront confrontés quand ils l'auront perdu. Par conséquent, la question qui se pose est la suivante : pendant combien de temps un individu restera-t-il sans emploi et les outils dont il peut bénéficier, telle que la formation, vont-ils lui permettre de retrouver un travail rapidement ?

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Je vous remercie.

Audition de MM. Gilles DINET, président du conseil général de Meurthe-et-Moselle, et René-Paul SAVARY, président du conseil général de la Marne, de l'Assemblée des départements de France (ADF) - (13 mai 3008)

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Je vous remercie, Mesdames et Messieurs, d'avoir répondu à notre invitation. Nous nous recevons dans le cadre d'une mission d'évaluation des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion. Cette mission ne fait pas doublon avec celle de M. Martin Hirsch. Elle lui est au contraire complémentaire. En effet, nous auditionnons un certain nombre de personnes impliquées, de près ou de loin, dans la prise en charge de l'exclusion et de la pauvreté. Ainsi, nous aimerions connaître votre point de vue sur les conséquences de la décentralisation de la gestion du RMI et des autres politiques d'insertion. M. Michel Dinet, nous vous écoutons.

M. Michel DINET - Je vous remercie, Mme la Présidente, Mesdames et Messieurs, de cette invitation. Je vous invite tout d'abord à accueillir nos propos avec une certaine réserve. En effet, mon collègue et moi-même, nous intervenons aujourd'hui alors que la structure de l'ADF est en instance de renouvellement suite aux dernières consultations électorales. Toutefois, si les débats connaissent une pause dans notre institution, ils ne tarderont pas à reprendre très prochainement. Ainsi, récemment, une délégation de l'Assemblée des départements de France a été reçue par M. Martin Hirsch. Pour autant, nous ne sommes pas mandatés officiellement pour intervenir aujourd'hui. Notre seule légitimité tient au fait que nous avons déjà eu l'occasion, au sein de l'ADF, de discuter des politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion. Nous nous en tiendrons donc ici à des considérations largement partagées par notre assemblée. Toutefois, il nous arrivera de compléter notre propos en faisant état des expériences que nous avons connues dans nos propres départements. Nous vous prions de bien vouloir noter que nos interventions n'engagent que nous-mêmes.

J'en viens à votre première question, Madame la Présidente. Le bilan concernant la mise en place de la loi de 2003 sur le RMI montre un engagement fort des départements sur un des attendus de cette loi et concernant le pilotage unique du volet insertion, à la charge maintenant, comme il était unanimement souhaité, des conseils généraux. Grâce à cette disposition, ces derniers ont pu modifier, avec leurs partenaires, des conventions qui devaient être ajustées et portent notamment sur les relations qu'ils entretiennent avec la Caisse des allocations familiales pour le versement de la prestation du RMI. Nous avons rencontré, cependant, quelques difficultés pour obtenir ce résultat. C'est ainsi que nous avons dû multiplier les échanges avec les services publics de l'emploi pour le traitement des dossiers de nos administrés RMistes.

La loi sur la réforme du RMI a été adoptée en 2003. Elle existe donc depuis cinq ans, période pendant laquelle la politique des départements en matière de RMI a été très forte. Certains observateurs avaient craint une diminution de leur implication financière concernant le volet insertion du dispositif. Or rien de tel n'a pu être constaté. Cependant, un important changement de culture est intervenu dans les départements suite à l'adoption de la loi et à ses conséquences. Ils sont en effet passés d'une action d'insertion à caractère principalement social à une approche axée sur l'intégration professionnelle. Cependant, cette situation n'implique pas que les acteurs départementaux portent moins d'attention aux problématiques sociales. En effet, à l'intérieur des publics bénéficiaires du RMI se trouvent des personnes incapables d'occuper un emploi. Certes, nous continuons à intervenir sur tous les fronts. Mais notre culture a changé. Nous avons été amenés à bouleverser complètement nos modes de fonctionnement dans différents secteurs. Les ressources humaines et la formation des personnels ont été concernées par ces remaniements, tout comme le travail pour définir les objectifs et les projets devant être articulés avec les autres politiques publiques.

L'évolution de la politique du RMI portée par le texte de loi de 2003 a été voulue par la majorité des départements et mise en oeuvre par eux. Il me semble que nous pouvons en dresser un bilan positif, même si elle commence à nous poser des soucis financiers. En effet, les modalités et les conditions de versement de l'allocation ont elles aussi évolué. Nous avons mené de nombreux débats sur le sujet. La position unanime de l'ADF est que ce qui relève du versement de d'allocations individuelles au nom de droits établis par la représentation nationale doit être financé par la solidarité nationale. Elle ne signifie pas, pour autant, que les dépenses occasionnées par la politique départementale doivent être financées par la solidarité nationale. Ainsi, nous sommes actuellement en discussion pour savoir quel sera le taux de remboursement par l'Etat des frais engagés par la personne prise en charge. Ces dépenses ont été transférées aux départements. Or le décalage existant entre les dépenses qu'ils ont engagées et les sommes qu'ils ont perçues s'établit aujourd'hui à 2,3 milliards d'euros. Par conséquent, il convient de nous interroger sur la gestion et la prolongation éventuelle du Fonds initiative insertion. En tout état de cause, les départements sont contraints d'adopter une posture de défiance par rapport aux dispositifs actuellement en cours d'élaboration, en particulier celui concernant le revenu de solidarité active.

Nous avons consacré de longs débats au RSA. De l'avis unanime, la décentralisation que traduira la mise en oeuvre de ce dispositif ne saurait être remis en cause ; la liberté de fonctionnement des collectivités et le principe d'égalité des citoyens devant la République s'y opposant.

Par conséquent, la responsabilité des départements doit continuer à être engagée, s'agissant des politiques et des prestations en matière d'insertion. Du fait de la proximité dont ils bénéficient vis-à-vis de leurs territoires et de leurs populations, ils peuvent agir efficacement dans ces domaines. Cependant, les impôts locaux ne sont pas en mesure de financer les prestations du RMI. Or le versement de ces dernières est assuré, pour l'instant, en partie grâce à ces derniers. Les 2,3 milliards d'euros que reçoivent les RMistes au titre de leurs allocations grèvent les budgets des conseils généraux. Ce constat est particulièrement vrai dans les départements aux prises avec des difficultés financières depuis longue date. En effet, plus ils rencontrent des problèmes, plus le nombre de bénéficiaires des prestations d'insertion y est élevé.

Il existe donc un décalage de plus en plus prononcé entre la pratique de la loi et ses principes constitutionnels. Selon les textes, les dépenses engagées dans le cadre de la politique d'insertion doivent être compensées par l'Etat à l'euro près. Toutefois, il n'y est pas mentionné que ces compensations doivent intervenir le jour où le conseil général verse leurs allocations à ses administrés.

La période allant de 2003 à 2008 se distingue par plusieurs phases. La première concerne le début de l'application de la loi de 2003. Elle se caractérise par le déploiement d'une forte volonté des départements d'assumer leurs nouvelles compétences. La deuxième phase, courant de 2003 à 2005, est marquée par une montée en puissance de la dépense occasionnée par la réforme du RMI. Son augmentation a dépassé 8 % en 2004 et 18 % entre 2003 et 2005. Elle a connu par la suite un mouvement de stagnation puis de baisse.

Nous sommes aujourd'hui témoins de la diminution du nombre des RMistes. Or l'évolution de la dépense induite par leur prise en charge ne trahit pas ce changement. La raison en est que la structure du public concerné est complexe. Par conséquent, certains de nos collègues ont demandé à prendre connaissance du mode de fonctionnement des Caisses d'allocations familiales et de la Mutualité sociale agricole.

Cette baisse du nombre d'allocataires du RMI touche tout le territoire national. Selon nos analyses, elle s'explique par le développement d'une politique départementale axée sur l'insertion professionnelle, le recours à des prestataires spécialisés et à certains éléments conjoncturels comme l'amélioration du marché de l'emploi. Nous n'avons cependant pas assez de recul pour avoir la certitude de l'efficacité des politiques menées en matière d'emploi et d'une baisse du chômage dans la durée. En tant que représentants des exécutifs départementaux et responsables, à ce titre, des lignes budgétaires, il nous semble que nous nous devons d'être prudents sur nos estimations.

Nous entretenons de bonnes relations avec nos partenaires dans le cadre de la gestion du RMI. Certes, les négociations ont été difficiles au début, avec les services de l'emploi notamment. Cependant, le rapprochement de l'ANPE et de l'UNEDIC va dans le sens de nos efforts. Globalement, les départements se sont fortement saisis de leurs nouvelles responsabilités. Personne ne conteste plus l'opportunité de confier à ces collectivités le pilotage unique du dispositif d'insertion. Or les résultats qu'elles ont obtenus sont encourageants. Cependant, l'énorme problème du décalage financier évoqué tout à l'heure reste posé. Il n'est pas conforme à l'esprit de la loi et pourrait obérer l'avenir. Je parle ici en toute connaissance de cause. En effet, mon collègue ici présent et moi-même, nous avons rédigé ensemble un rapport sur les transferts de compétences de l'Etat vers les collectivités territoriales. Présenté à Reims, ce document souligne la volonté des départements qu'une pause intervienne dans le processus de décentralisation et dans les transferts de compétences qui l'accompagne. Ces derniers ont été quelque peu refroidis par le coût financier qu'ils ont eu à supporter avec la mise en place du RMI et qui risque de nourrir leur appréhension vis-à-vis du RSA. Il est évident que la non-compensation par l'Etat des dépenses engendrées par le RMI est de nature à rendre les départements circonspects s'agissant de l'instauration du dispositif de revenu de solidarité active.

Enfin, il nous a été demandé si nous sommes actuellement engagés dans un processus de recentralisation, de partage des compétences, ou dans une logique de décentralisation poussée à outrance. A ce propos, il convient de distinguer ce qui relève de la décentralisation et ce qui a trait aux transferts de charges, deux dimensions que nous pouvons très bien concilier l'une et l'autre au bénéfice de notre action départementale et des populations qu'il nous revient d'administrer.

M. René-Paul SAVARY - Je souhaite compléter l'analyse de M. Dinet. Je partage entièrement les propos de mon collègue. En effet, les départements ont la conviction de pouvoir jouer leur rôle de manière efficace en matière d'insertion. Je peux revenir ici sur une expérience personnelle illustratrice de notre motivation. J'ai repris la tête du département de la Marne en 2004. A cette époque, le président du conseil général ne faisait pas partie du service public de l'emploi (SPE) et il m'a fallu me battre pendant 6 mois pour en devenir partie prenante, selon mon souhait.

Aujourd'hui, cet acquis est entré dans les moeurs. Cependant, comme l'a rappelé mon collègue, la décentralisation n'a pas été jusqu'à son terme. En effet, la CAF gère la prestation du RMI auprès de ses allocataires. Dans ce contexte, le coût croissant de la prise en charge des RMistes alors que leur nombre baisse ne peut que nous interpeller. Dans mon département en particulier, je n'ai connu aucune réduction significative de la somme des allocations versées au titre de la prestation du RMI. Or son nombre d'allocataires a subi une forte décroissance. Il est passé de 7 800 en 2007 à 6 225 aujourd'hui. Ce constat peut s'expliquer par la structure des quotients familiaux, laquelle a conduit à différencier la prestation sur la base d'un certain nombre de critères et à augmenter le nombre d'allocataires. Ce fait pourrait expliquer la situation paradoxale dans laquelle nous nous trouvons aujourd'hui. Cependant, une corrélation aurait néanmoins dû apparaître entre la baisse des bénéficiaires du RMI et le montant des sommes qui leur sont versées.

Soulignons aussi que nous avons entrepris de nombreux efforts pour réduire le nombre de RMistes. Par exemple, nous avons mis en place des dispositifs d'insertion professionnelle significatifs, créé une cellule économique d'insertion ainsi que des postes d'animateurs d'insertion. Ces derniers sont détenus par d'anciens allocataires du RMI que j'ai formés à jouer le rôle d'interface entre les demandeurs d'emploi et le monde de l'entreprise. Cette politique m'a permis d'obtenir une baisse très significative du nombre de RMistes . Beaucoup de personnes ont pu s'engager dans une activité professionnelle et retrouver leur dignité à travers un emploi. Certaines d'entre elles ont bénéficié d'un tutorat, tant social qu'économique, et ont pu suivre des formations.

Le bilan de la situation montre que nous connaissons une modification structurelle de notre stock de RMistes. Pour un tiers d'entre eux, il s'agit d'individus aux prises avec d'énormes difficultés sociales. De fait, ils ont besoin d'actions d'insertion sociale très lourdes et il est hors de question de leur proposer un travail. Un autre tiers des RMistes est composé de personnes victimes d'accidents de la vie et tout à fait employables. Enfin, le dernier tiers des bénéficiaires de l'allocation du RMI est formé de gens qui, dans une conjoncture économique favorable, pourraient très bien retrouver un emploi s'ils bénéficiaient d'un accompagnement.

La population des RMistes se modifie très vite. En trois ans, la part des personnes les moins employables a progressé au sein de ce public, nous obligeant à mener d'importantes actions en matière de formation professionnelle pendant quelques années, avant d'envisager des interventions dans le domaine de l'insertion sociale. Nous serons confrontés de plus en plus à un public très fragilisé par l'exclusion. Par conséquent, il nous revient de moduler notre politique en prenant en compte ses besoins en insertion aussi bien professionnelle que sociale. L'échelon départemental est le bon niveau pour mener une telle opération. Les Départements connaissent très bien, en effet, leurs populations.

La réduction du nombre des allocataires du RMI est également liée à la mise en place d'une politique de rigueur. Les représentants de la CAF ont accepté, après négociation, de tenir le même discours que nous aux RMistes. Mais je ne suis pas sûr qu'il en soit de même dans tous les départements de France. Cette pratique a été difficile à instaurer. Or elle est indispensable. Il est nécessaire en effet que les acteurs de la CAF nous soutiennent dans notre affirmation selon laquelle certaines prestations sont réservées à ceux qui y ont légalement droit, et non à ceux qui vivent du RMI. A présent, ce partenariat est rigoureusement respecté. Cette manière de procéder porte ses fruits.

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Je vous remercie. Notre rapporteur, M. Bernard Seillier, a quelques questions à vous poser.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Je comprends tout à fait que la mise en place du RSA suscite votre circonspection. Or il va falloir trouver un moyen d'équilibrer le système de prise de charge des personnes victimes d'exclusion. Avez-vous des suggestions à nous présenter pour faire en sorte que ce système devienne pérenne ? Il faudrait qu'il cesse, chaque année, d'être remis à niveau ou d'être l'objet de contentieux destinés à obtenir de l'Etat le remboursement de ses dettes.

L'ancien mécanisme de l'aide sociale, transféré aux départements en 1983, impliquait un versement des dépenses au niveau local et un remboursement des sommes engagées systématiquement a posteriori , lorsque l'addition était présentée à l'Etat. A cette époque, je travaillais au Ministère des Affaires sociales et je me souviens que le directeur du budget inscrivait en loi de finance initiale, comme crédits budgétaires alloués au paiement des dépenses des départements en matière d'aide sociale, une somme qui ne représentait que les deux tiers de ce que l'Etat avait remboursé l'année précédente. Il s'agissait, en effet, du seul moyen dont il disposait pour freiner un peu l'évolution des dépenses. Sa stratégie consistait donc à créer des problèmes de trésorerie aux départements et à inscrire les dépenses en fin d'année, en loi de finance rectificative. Finalement, je crois me rappeler qu'une période d'ajustement a été nécessaire pour parvenir à un niveau de transfert et de compensation entre l'Etat et les départements considéré comme stable. Le directeur du budget n'a plus demandé par la suite que des actualisations de la loi de finance prenant en compte l'évolution de l'indice des prix et des salaires.

Il nous faut sortir de ce système. Jusqu'à présent, l'Etat a demandé aux départements de lui faire crédit. En conséquence, il a une dette envers eux. Je n'imagine pas que nous puissions nous affranchir brutalement de ce mode de fonctionnement en supprimant le règlement des sommes dues aux Départements par l'Etat. Il n'est pas possible, non plus, que ce dernier reprenne à son compte les politiques transférées aux collectivités et dont elles ne peuvent plus assurer le coût. C'est pourquoi il convient de trouver une solution pratique pérenne. Il revient aux conseils généraux de gérer ces politiques sur le fond. Avez-vous des conseils à nous donner pour la rédaction de la conclusion du rapport sur lequel nous travaillons ?

M. Michel DINET - Si la responsabilité totale de la politique du revenu de solidarité active revenait aux départements, ceux-ci auraient à en supporter la charge financière et, du coup, pourraient en être réduits, par absence de moyens, à diminuer leurs actions dans le domaine de l'insertion. C'est pourquoi nous devons nous assurer de l'équilibre du financement de la politique d'insertion, d'une part, en y faisant participer l'Etat d'un point de vue financier, d'autre part, par la mise en place, par les départements, d'un impôt dynamique.

Au niveau national, nous devons nous demander quel est notre niveau d'exigence souhaité en matière de solidarité. Il s'agit d'une question très politique, car sa réponse traduira la vision de la société que nous voulons et la manière dont nous souhaitons traiter les personnes qui ne réussissent pas à trouver un travail.

Nous ne pouvons pas imaginer que le dérapage financier, causé par le versement des allocations du RMI, se poursuive avec la mise en place du RSA, de la prestation sociale de compensation du handicap et bientôt du cinquième risque. Il n'est pas conforme à l'esprit des institutions qu'un niveau politique décrète seul ce qu'il faut faire, sans en référer aux collectivités qui doivent les conséquences de ses décisions. Les départements ne peuvent pas être traités comme de simples comptables qui seraient tenus d'inscrire sur leurs comptes les dépenses que leurs responsabilités croissantes occasionnent et qui proviennent de la différence entre ce que l'Etat veut bien leur accorder et ce qu'ils sont contraints de débourser. Voilà ce que je pense en l'état. Je vous prie de bien vouloir m'excuser pour le côté un peu abrupt de ma réponse. Mais le problème se pose en ces termes.

L'ADF se demande actuellement si la bonne conduite, sous gestion unique, d'une politique décentralisée en matière d'insertion impose d'avoir recours à deux indicateurs : un premier qui présenterait le montant et la structure des versements opérés dans le cadre du RMI, un second qui offrirait un état des lieux de l'insertion au niveau départemental. Certaines personnes pensent trop souvent qu'il suffit de mener un bon travail dans le domaine de l'insertion pour obtenir une diminution significative et durable du nombre de RMistes. Comme nous l'avons précédemment noté, il n'en est pas ainsi. Il est parfois plus difficile qu'on ne le croie d'avoir de bons résultats et ceux obtenus au niveau de l'insertion ne sont pas à la hauteur de ceux que nous pourrions espérer.

M. René-Paul SAVARY - En fait, la compensation versée par l'Etat aux départements au titre du RMI devrait être réévaluée tous les ans. En effet, notre objectif étant d'aller vers une diminution du nombre de RMistes, nous devons éviter une aggravation des difficultés sociales rencontrée par la population. Pour cela, nous avons besoin de tenir un débat au niveau national. Par ailleurs, rappelons-nous que si la conjoncture économique actuelle et la démographie de notre pays sont favorables à l'emploi, seule une partie des RMistes est en situation de travailler et pourra donc profiter de cette embellie. En conséquence, nous n'échapperons jamais à la nécessité de mener des politiques d'insertion sociale.

Si la situation des populations les plus fragiles se dégrade, nous risquons de voir s'accroître des disparités entre les départements. Un certain nombre d'entre eux, bénéficiant d'activités économiques fortes, jouissent de facilités pour réduire la précarité sur leur territoire. C'est le cas du département de la Marne, le territoire phare de la région Champagne-Ardenne.

Toutefois, concernant les collectivités moins favorisées que représentent, par exemple, la Haute-Marne et les Ardennes, je ne vois pas comment leurs dépenses en matière d'insertion peuvent diminuer. C'est pourquoi, celles-ci ont besoin de la solidarité nationale, laquelle peut s'exprimer à travers un dispositif de péréquation financier.

En tout état de cause, il n'existe pas de correspondance stricte entre la diminution du nombre de RMistes et celle des dépenses liées au RMI.

M. Michel DINET - J'ai oublié de répondre à l'une de vos questions. Vous avez raison de considérer comme étant utile de dresser un bilan financier des dispositifs de prise en charge, faisant ressortir leurs dépenses et leurs recettes, par périodes de trois ans. A défaut d'être résolu, le problème de leur coût pourrait être posé.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Il me semble sain de se mettre d'accord sur une règle du jeu commune. Sinon, les contentieux s'éterniseront.

M. René-Paul SAVARY - L'APA représente une prestation dont l'évolution m'angoisse davantage que celle du RMI. Nous savons en effet que la population est appelée à vieillir et à devenir de plus en plus dépendante. Par conséquent, le coût de l'APA va connaître une augmentation exponentielle qui sera catastrophique pour les départements. Quant à la PCH, nous ne pouvons pas encore juger de ses conséquences puisqu'elle connaît actuellement une montée en charge.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Vous abordez-là une problématique générale. Nous devons déterminer de quelle manière il est possible de mener une politique nationale exigeante en laissant une marge d'initiative aux acteurs locaux. En effet, nous n'aurions aucun intérêt à nous contenter d'une déconcentration fonctionnelle.

M. Jean-François HUMBERT - Vous avez parlé d'un impôt dynamique. Pourriez-vous indiquer quelle forme il pourrait prendre ? Je vous adresse cette question, car les conseils régionaux avaient demandé la création d'un tel impôt. Or, aujourd'hui, avec l'augmentation du prix de l'essence qui leur garantit des rentrées fiscales conséquentes, nous ne les entendons plus à ce sujet. Je me demande donc à quel impôt vous faites allusion.

M. Michel DINET - Je n'ai pas réfléchi à cette question. Je continue à défendre l'idée que la solidarité nationale doit jouer son rôle. J'ai appelé à la création d'un impôt dynamique pour dénoncer la situation selon laquelle les dépenses des Départements dépendent de règles conçues au niveau national. Or, ces règles ne sauraient leur être imposées s'ils ont à assumer seuls leurs conséquences financières.

M. Jean-François HUMBERT - Je suis d'accord avec vous. C'est la raison pour laquelle nous aurions été intéressés de connaître vos propositions concernant la création de cet impôt dynamique.

M. Michel DINET - Je rêve qu'il y ait un jour, la mise en place, au niveau départemental, d'un impôt qui tiendrait compte de l'ensemble des revenus de la population. De la sorte, nous pourrions, nous, hommes politiques locaux, rendre compte, devant les citoyens, de ce qui a été fait de leur argent. Mais ce projet n'est pas encore prêt de voir le jour.

M. René-Paul SAVARY - Nous avons évoqué, au sein de l'ADF, la possibilité de transférer une partie du montant de la CSG aux Départements. Mais cette proposition ne fait pas l'unanimité pour l'instant. La question reste à creuser.

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Je vous remercie. Je donne la parole à M. Guy Fischer.

M. Guy FISCHER - Votre point de vue sur la mise en place du RSA m'intéresse beaucoup. Celle-ci suscite l'inquiétude de nombreux départements et en particulier celui du Rhône et de son président, M. Mercier. La crainte est de voir exploser le nombre des futurs allocataires du revenu de solidarité active. Il nous avait été dit que ce dispositif serait expérimenté au niveau d'un certain nombre de départements compris entre 13 et 17. Or aujourd'hui, il existe dans 34 d'entre eux.

J'ai indiqué à M. Michel Mercier que nous n'avons pas besoin d'une proposition de loi pour assurer le contrôle comptable du dispositif du RMI. Il sera d'ailleurs question de ce sujet cette nuit. En effet, tous les élus départementaux confirment que la réduction du nombre de RMistes ne s'accompagne pas d'une baisse des dépenses proportionnelle au titre de cette allocation. Or ce fait me semble incompréhensible.

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Je suis une élue du Sud-Ouest et il me semble qu'un certain nombre de publics peuvent accéder à d'autres minima sociaux, en plus du RMI. Je pense notamment à l'AAH. Ne risquons-nous pas de voir des personnes cumuler les minima sociaux ?

M. Jean DESESSARD - L'Assemblée des départements de France est diverse. Y a-t-il des désaccords entre la droite et la gauche sur les sujets dont il est question ici ?

M. Michel DINET - Nous représentons les deux tendances politiques de l'assemblée et chacune d'elles est d'accord pour dire que l'engagement des départements dans le domaine de l'insertion est important et leur pose des problèmes financiers.

Concernant le RSA, je vous ai fait part des réflexions qui sont les nôtres aujourd'hui et qui n'ont pas encore fait l'objet d'une prise de position de la part de l'ADF. Comme vous le savez, l'Assemblée se réunit demain pour mettre en place son exécutif. Suite à une rencontre que nous avons eue avec lui la semaine dernière, elle a été saisie par M. Martin Hirsch d'une demande d'avis que nous allons lui transmettre. Dans ce cadre-là, nous bénéficions de l'expertise de départements comme la Marne où est expérimenté le RSA.

La Meurthe-et-Moselle avait proposé également d'être l'objet de l'expérimentation du RSA. Cependant, elle n'a pas confirmé son engagement dans cette opération. Les raisons en sont financières et ne sont pas liées à la nomination de M. le Haut-commissaire aux Solidarités actives. En effet, l'assemblée départementale avait voté à l'unanimité la mise en place de deux dispositifs à titre expérimental. L'un a été créé. Il porte sur un contrat aidé par lequel nous accompagnons des personnes vers l'emploi. L'autre concernait le RSA. J'avais été mandaté pour obtenir l'expérimentation de ce dispositif à une condition. Il fallait un partage clair des responsabilités des différents acteurs impliqués dans l'établissement de cette mesure et notamment que l'animation de la politique du RSA revienne aux départements et le financement des allocations complémentaires payées aux personnes provienne de l'Etat. Or, au stade de l'expérimentation, la décision a été prise d'aller vers un partage strictement égal des dépenses entre ces deux entités. Aussi, nous avons dû confirmer notre position selon laquelle, si la charge financière du dispositif n'est pas attribuée au stade de son expérimentation, sa généralisation occasionnera un très grand choc financier pour les Départements.

Au sein de l'ADF, nous sommes tous d'accord pour nous hâter lentement et aller jusqu'au bout des expériences. De mon côté, j'estime nécessaire de ne pas généraliser le dispositif du RSA aussi vite que prévu - il est programmé de le mettre en place au niveau national dès 2009 -, afin de tirer les leçons des expérimentations menées.

Ces dernières devraient être plus variées qu'elles ne le sont aujourd'hui d'un département à l'autre. Elles connaissent deux défauts à l'heure actuelle. D'une part, elles sont trop encadrées et laissent des marges de manoeuvre insuffisantes pour conduire à bien des initiatives dont il serait utile de faire le bilan. D'autre part, elles sont menées dans la précipitation. Je comprends la volonté du haut-commissaire de généraliser rapidement ce dispositif. Mais l'imposer à la hâte sur tout le territoire va poser de vrais problèmes. En effet, au plan financier, la répartition de la dépense n'est pas précisément établie. Or la simplification des dispositifs de prise en charge impose de la clarifier. Aujourd'hui, nous confondons certaines allocations telles que l'API - une allocation familiale et non professionnelle - avec d'autres de natures différentes.

C'est pourquoi nous demandons une pause dans le processus de décentralisation et que l'expérimentation du RSA soit correctement menée avant sa généralisation. Les résultats de la méthode, pour l'instant retenue, ne sont pas satisfaisants. L'idée même de revenu de solidarité active est pourtant bien accueillie, car elle tente de répondre au besoin d'éviter que les allocations reçues par les RMistes ne les démobilisent dans leur recherche l'emploi. Pour l'heure, d'énormes problèmes demeurent irrésolus et nous pouvons nous demander si nous ne sommes pas, en effet, en train de créer des trappes à pauvreté. Il me semble qu'avec le RSA, nous privilégions la lutte contre la pauvreté, au détriment de l'insertion professionnelle et de l'emploi. Ce dispositif renvoie à des enjeux de société majeurs auxquels nous devons répondre, après avoir pris le temps d'analyser les résultats des expérimentations menées, pour ne pas susciter la polémique et permettre une montée en puissance des politiques adoptées. Je parle ici à titre personnel, en tant que président d'un département. Je ne m'exprime pas au nom de l'ADF.

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Je vous remercie. M. Bernard Seillier, notre rapporteur, souhaite intervenir.

M. Bernard SEILLIER - Ma question a trait aux partenariats et aux compétences que vous avez évoqués précédemment. Vous avez indiqué que le département de la Marne s'est battu pour intégrer le service public de l'emploi. Je me demande donc si une collaboration existe entre les départements, les conseils régionaux et les communautés de communes dans la prise en charge de l'insertion. Par ailleurs, comment pouvons-nous faire pour ne pas briser la dynamique de développement des pays et des communautés de communes. Confier un rôle important aux départements risque en effet de déstabiliser ces entités.

S'agissant des institutions (maisons de l'emploi, missions locales) et des différentes commissions existantes, j'ai essayé, comme rapporteur de la loi de 1998, d'unifier ces dernières pour obtenir une seule commission, de niveau départemental, en charge de toutes les problématiques en matière d'insertion. Or il est apparu qu'un tel projet est difficile à réaliser.

Concernant les instruments pouvant nous servir à mener à bien les politiques qui nous occupent ici, je partage votre avis, M. le Président. Les départements doivent avoir des marges de manoeuvre dans leurs manières de procéder et pouvoir faire preuve d'imagination. Tout le monde peut tirer profit des leçons apprises et des expériences menées dans le domaine de l'insertion.

M. René-Paul SAVARY - Il m'est difficile de vous répondre, M. le rapporteur. Nous sommes passés un peu rapidement, pour moi, d'un sujet à un autre. Je souhaite compléter les propos de M. Michel Dinet et revenir sur les remarques de Mme la Présidente.

Prenons l'exemple de la PCH. Dans la Marne, 74 % des bénéficiaires de cette prestation disposent d'un contrat d'insertion, social ou professionnel. Le nombre d'allocations adulte handicapé y a en effet fortement augmenté. Rappelons que l'Etat finance l'AH. La maison départementale des handicapés donne, quant à elle, l'orientation de la politique à mener. Toutefois, elle ne la finance pas. Cette manière dont ont été mises sur pied la politique du handicap et les maisons départementales des personnes handicapées n'est peut-être pas à généraliser. En ce qui me concerne, j'ai préféré, au niveau de mon département, créer un véritable GIP dont le Conseil d'administration compte les représentants des associations concernées par la politique du handicap.

Maintenant, considérons le cas d'un handicapé grabataire. Il peut vivre soit dans une MAS où sa prise en charge est assurée par l'action sanitaire et donc par l'Etat, soit à son domicile et dans ce cas, les prestations qu'il reçoit sont financées par le département. Or leur coût peut atteindre jusqu'à 12 000 euros par mois. Pourtant, un conseil général n'a pas les moyens de refuser à ses administrés de bénéficier de ce dispositif. Par conséquent, il doit être attentif à ce que sera l'orientation choisie concernant les politiques sociales. Selon l'option retenue, le budget engagé sera celui soit de l'Etat, soit du département.

J'en reviens au RSA. Je teste ce dispositif dans mon département. Je vous ferai parvenir les documents présentant les expériences menées sur le sujet. Nous en avons exposées quelques-unes, quatre en réalité, dans le cadre du PDI. Elles sont un peu caricaturales. Mais elles permettent de constater que le RSA peut véritablement jouer son rôle en matière de lutte contre la pauvreté en apportant un revenu complémentaire à celui issu du travail. Ce dispositif est toujours avantageux pour les personnes au RMI qui retrouve un travail. En tenant compte des prestations connexes liées à ce même RMI, il coûtera très cher.

Par conséquent, avant d'instaurer le RSA sur tout le territoire national et de savoir qui en assumera le coût, il est nécessaire que nous en ayons une évaluation dans les régions où il a été mis en place à titre expérimental. Celle-ci nous permettrait de savoir notamment comment il est possible d'inciter ses bénéficiaires à sortir du dispositif. M. Martin Hirsch ne m'a toujours pas apporté la réponse à cette interrogation. Ainsi, quand vous travaillez quelques heures tout en bénéficiant du RSA, vous n'avez pas intérêt à accepter un travail en CDI payé au SMIC. Vous touchez plus d'argent en étant titulaire du RSA qu'avec un emploi durable. Or ce dispositif a été conçu justement pour amener les gens à sortir du cadre du RMI. Aussi la question qui se pose est la suivante : comment allons-nous pousser les bénéficiaires du RSA à chercher un véritable emploi ? Comment accepteront-ils de réalisé un travail payé au SMIC ? Il serait préférable de trouver la réponse à ces deux questions avant de procéder à la mise en place du RSA sur tout le territoire national.

Par ailleurs, le fait que les revenus issus de la solidarité puissent être supérieurs à ceux provenant du travail représente un problème à terme et il convient de le solutionner avant d'envisager la généralisation du RSA. Au sein de l'ADF, nous souhaitons nous donner un peu de temps et nous engageons dans le dispositif de revenu de solidarité active que progressivement. Nous devons avancer pas à pas en nous adressant à des publics spécifiques. Si nous ne prenons pas ce soin, le RSA pourra être destiné à toutes les catégories de la population et pas uniquement à celles relevant des minima sociaux. Toutes les personnes qui travailleraient quelques heures par mois pour avoir des ressources égales à 30 % de celles correspondant au seuil de pauvreté pourraient bénéficier d'un revenu complémentaire par le biais du RSA.

M. Michel DINET - Mme la Présidente, nous n'avons pas encore abordé un point sensible. Il concerne le projet, défavorable pour une personne travaillant tous les jours pour gagner un SMIC, d'utiliser une partie de la prime pour l'emploi pour financer le RSA.

Le dispositif global de la politique d'insertion, tel qu'il est actuellement envisagé, devrait se présenter ainsi : 6 milliards d'euros seront déboursés pour le RMI, 1,5 milliard d'euros pour le RSA, 4 milliards d'euros pour la PPE.

En résumé, le RSA repose sur une idée partagée par tous, consistant à inciter les populations en mal d'insertion à travailler. Mais l'accélération donnée à sa mise en place est de nature à poser des problèmes politiques et techniques extrêmement difficiles à résoudre. C'est pourquoi certains demandent que les départements jouissent de plus de marges de manoeuvre dans le cadre de l'expérimentation de ce dispositif.

M. Guy FISCHER - Ce dont vous nous parlez expliquerait la hausse très importante du nombre de bénéficiaires du RSA. Ce dispositif fournirait un revenu beaucoup plus intéressant que le SMIC à un très grand nombre de personnes.

M. Michel DINET - Avec le RSA, nous privilégions la lutte contre la pauvreté, au détriment de l'insertion professionnelle et de l'emploi.

M. René-Paul Savary - Le RMI et le RSA s'inscrivent dans des démarches très différentes. Dans mon département, l'expérimentation que nous avons décidée de mener est davantage tournée vers l'insertion que vers la lutte contre la pauvreté. J'ai accepté ainsi d'attribuer des revenus de solidarité active à des personnes embauchées pour une durée de travail hebdomadaire de 9 heures au minimum, à quart-temps donc.

Le dispositif oblige de procéder à un calcul très pointu et individualisé des dépenses occasionnées et des prestations versées, celles-ci variant radicalement d'un public à l'autre en fonction des quotients familiaux ou du nombre d'heures travaillées. Aussi, je ne vois pas comment il est possible d'évaluer le coût réel du RSA sans tenir compte des expérimentations en cours, quand bien même ce dispositif ne serait réservé qu'aux ressortissants du RMI. Je suis tout à fait incapable de vous dire quel sera le coût du dispositif du revenu de solidarité active quand il profitera à 100 ou 200 bénéficiaires. En effet, les classes de population qu'il intéresse sont très hétérogènes. Par conséquent, il conviendra de faire très attention s'il est appelé à bénéficier l'ensemble des titulaires de minima sociaux.

Malgré les partenariats que nous établissons et leurs responsabilités croissantes dans la politique d'insertion, les conseils généraux ne disposent toujours pas d'une totale liberté d'action. Ils doivent constamment veiller à entretenir de bonnes relations avec l'Etat, l'ANPE et les régions. Par exemple, ils ont signé des conventions avec l'Agence nationale pour l'emploi pour payer le montant, très élevé, des prestations que celle-ci offre aux bénéficiaires du RMI. Ils ont négocié ensemble des lignes de poste.

La région étant responsable des politiques en matière de formation professionnelle, notre conseil général a passé également une convention avec elle. Dans le cadre de cet accord, nous avons accepté de continuer à verser le RMI à des personnes durant leur formation. Il s'agit là d'un fait exceptionnel, montrant que, pour nous, la personne formée relève du statut de stagiaire professionnel. Le coût de la formation est supporté à 50 % par la région et à 50 % par le département. Ce dernier finance donc la prestation sociale ainsi que la moitié du coût de la formation.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Beaucoup de départements fonctionnent-ils de la sorte ?

M. René-Paul SAVARY - Non. Ils sont seulement quelques-uns. Le président de région et moi, nous avons accepté à titre expérimental de procéder ainsi.

Pour en revenir à mon propos sur les collaborations que nous développons avec nos partenaires, le financement des CIAS et des CCAS dans nos politiques d'insertion est appelé à décliner, alors qu'il s'agit des acteurs instruisant les dossiers. Par conséquent, il devient nécessaire que tout le monde, dont les CAF et les missions locales, s'investisse sur le terrain pour atteindre l'objectif d'obtenir 74 % de contrats. Par ailleurs, l'Europe contribue financièrement à nos efforts par le biais du FSE. Enfin, nous avons signé des conventions avec des entreprises d'intérim.

Nous menons réellement une politique partenariale. Malheureusement, nous n'en maîtrisons pas les tenants et les aboutissants. Pourtant, nous aurions souhaité que la décentralisation soit mise en oeuvre jusqu'à son terme, de manière à pouvoir assumer l'entière responsabilité des politiques en matière d'insertion. Pour cela, nous aurions besoin de la création d'un impôt nous apportant les recettes nécessaires à la couverture des dépenses engagées, de pouvoir débourser les sommes appropriées et appréhender les effets collatéraux des décisions prises.

Pour l'instant, nous sommes complètement dépendants de la politique de l'Etat. Je comprends tout à fait la décision du gouvernement de procéder à des économies en diminuant de 50 % le nombre de contrats aidés. Mais celle-ci nous a été imposée brutalement et elle se traduira donc par une baisse du volume de contrats d'accès à l'emploi et de contrats d'avenir de 50 %. Comment voulez-vous, dans ces conditions, que nos politiques d'insertion aboutissent à des résultats encourageants ? Ces contrats, financés en partie par les départements, permettaient à un certain nombre de personnes de sortir de leurs difficultés. Il faut du temps pour aider les gens et leur faire bénéficier de formations. Je déplore vraiment ce changement de cap, surtout que ces contrats aidés commençaient à porter leurs fruits. Leur disparition partielle condamne de nombreux individus à replonger dans les problèmes dont ils étaient en train de s'extraire, à s'inscrire à nouveau à l'ANPE, puis à redevenir RMistes.

M. Michel DINET - Dans mon département, nous avons mis en place les contrats TTEMM (Tremplin pour Travailler en Meurthe-et-Moselle) pour pourvoir au remplacement des personnes qui partent en retraite. Ils ont été créés au terme d'un travail entrepris en lien avec des associations, des entreprises marchandes et des organisations publiques.

Nous avons mis au point et généralisé une démarche innovante en partant de l'idée qu'il était possible de travailler dans le cadre d'un contrat TTEMM. Cette expérimentation a abouti à la création d'emplois qui n'existaient pas et sont appelés à être pérennisés dans un an ou deux. Elle repose sur une idée simple. Il s'agit de réintégrer les bénéficiaires du RMI sur le marché du travail grâce à une aide versée à l'employeur et un accompagnement professionnel et social. Nous essayons, dans le même temps, de mobiliser à leur profit des crédits de formation. Nous sommes d'ailleurs en discussion avec le conseil régional à ce propos. Notre but est de permettre à des personnes en voie d'insertion de passer d'un travail à temps partiel à un travail à plein temps. Cette politique a abouti à des résultats intéressants avec, notamment, la mise en place de tutorats.

Ces contrats TTEMM sont des contrats à temps partiels durant entre six et dix-huit mois et se transformant, à leur terme, en contrats à durée indéterminée. Pour les mettre en oeuvre, nous nous reposons sur les contrats aidés, ceux financés par le département.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Ce contrat représente-il une innovation spécifique à votre département ?

M. Michel DINET - En effet. Nous avons demandé à l'expérimenter.

M. Bernard SEILLIER, Rapporteur - Pourriez-vous nous en communiquer un formulaire ?

M. Michel DINET - Bien sûr.

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Travaillez-vous avec le secteur de l'IAE, de plus en plus privé du droit d'accès à des contrats aidés ?

M. René-Paul SAVARY - Nous travaillons bien sûr avec ce secteur. Mais notre collaboration se heurte à des obstacles, représentatifs des difficultés que nous rencontrons régulièrement.

A titre d'exemple, j'ai voulu développer des chantiers d'insertion dans mon département. Or leur mise en oeuvre est très difficile, car le conseil général n'a pas la totale maîtrise de ce dispositif où l'Etat joue un grand rôle en délivrant les contrats d'accès à l'emploi. Pourtant, ces chantiers ont pour nous un coût important. Ils nécessitent de faire appel à une très grande diversité de responsables pour être lancés. Ils sont extrêmement ardus à mettre sur pied et il m'a fallu deux ans de travail pour que le mien tourne à peu près correctement. Demain, si je dispose de moins de contrats d'avenir, il aura beaucoup de mal à fonctionner. Il est tourné vers l'environnement et la découpe de bois, des activités en phase avec la spécificité de mon territoire, et permet à des associations d'y adosser leurs propres chantiers, créés dans d'autres collectivités locales. Nous avons la possibilité de partager des postes de psychologues avec elles.

Mener ce type d'actions relève du parcours du combattant. Nous dépendons complètement des décisions de la direction départementale de l'emploi pour déterminer le nombre de personnes qui vont en bénéficier. Nous sommes aussi soumis aux autorisations qui nous sont ou non délivrées par les différentes directions. Enfin, une fois que toutes les conditions nécessaires à leur mise en route ont été réunies, les chantiers ne fonctionnent pas nécessairement. Si nous en avions la maîtrise, nous pourrions être plus efficaces. Je ne propose pas ici d'aller encore plus loin dans le mouvement de décentralisation, simplement de permettre aux départements d'exercer davantage leurs responsabilités, de manière à qu'ils obtiennent des résultats encore meilleurs que ceux auxquels nous pouvons prétendre aujourd'hui. En effet, nous sommes fiers de nos réalisations.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Il s'agit là d'une expérience originale. Si vous avez d'autres initiatives de ce type à nous présenter, nous serions heureux de les connaître. Les réalisations qui sont le fruit de l'innovation et de l'imagination des départements nous intéressent beaucoup. Elles démontrent qu'en leur confiant des responsabilités sur le terrain, nous pouvons libérer la créativité.

J'ai une dernière question à vous poser. J'aimerais savoir si vous avez commencé à approfondir vos relations avec les partenaires sociaux autour de ce thème de l'insertion. Je m'interroge en effet sur les enjeux que cache la mise en avant de la responsabilité sociale des entreprises. Ce sujet a été particulièrement à l'honneur à Davos cette année. Au niveau des départements, des contacts exploratoires ont-ils été pris avec les partenaires sociaux pour en parler ?

M. René-Paul SAVARY - Tout à fait. Nous essayons, dans nos appels d'offre, de tenir compte de clauses sociales et environnementales. Nous faisons appel à la capacité d'innovation des entreprises en la matière. Pour les infrastructures, par exemple, nous sommes très attachés au concept de route propre. Nous utilisons des bitumes qui favorisent une réduction des émissions de CO 2 et des émissions sonores. Quand nous le pouvons, nous intégrons aussi des clauses sociales dans les marchés que nous passons, notamment ceux concernant des chantiers nécessitant beaucoup de main d'oeuvre. C'est ainsi que nous avons passé des conventions avec la CAPEB pour favoriser le recrutement de bénéficiaires du RMI par les entreprises du bâtiment. Ces actions doivent être menées avec volontarisme. Il est absolument vital de croire en elles pour obtenir des résultats. Sinon, le découragement est aisé. Sur cent bénéficiaires du RMI, moins de dix resteront en entreprise pendant six mois.

Dans notre département, nous utilisons les instruments que sont le CIRMA et le RMA. Par ailleurs, je pense que les sociétés de droit privé cherchent de plus en plus à faire preuve de citoyenneté et à avoir une attitude responsable d'un point de vue social. Il faudrait informer le gouvernement de ce mouvement, simple à comprendre mais pas toujours saisissable par les gens. Moins il y aura de personnes rencontrant des problèmes sociaux, plus de gens paieront l'impôt et plus les sommes déboursées par les collectivités publiques seront réduites.

M. Michel DINET - Dans mon département, nous procédons de la même manière que dans la Marne pour la passation des marchés et la mise en oeuvre des grands chantiers territoriaux. Par exemple, un très important travail d'insertion est mené dans le cadre de la reconstruction du château de Lunéville. Ce chantier est utilisé comme tremplin permettant à des personnes de s'orienter vers les métiers de la rénovation et du jardinage. Egalement, au sein de l'institution départementale, j'ai imposé que chaque budget spécifique participe de la politique d'insertion de la collectivité. Tous les secteurs sont concernés, qu'il s'agisse du transport ou de la culture. Chaque direction doit investir à hauteur de 200 000 € par an dans ce domaine. Ces actions interviennent en sus de celles qui sont conduites dans le cadre de notre politique d'insertion.

Cette approche a posé quelques difficultés au départ. En effet, si les responsables politiques étaient d'accord pour reverser une partie de leur budget au pot commun, ils l'étaient moins pour mener eux-mêmes les actions adéquates dans le cadre de leurs projets. Aujourd'hui, ces problèmes oubliés, nous inventons des politiques véritablement nouvelles dans les domaines de la culture, des transports ou de l'écologie, prenant en compte la nécessité de favoriser l'insertion. L'avancée est telle que nous nous introduisons maintenant dans les dispositifs d'aides alloués aux communes et aux groupements de communes des clauses incitant ces acteurs à participer financièrement à cette politique d'insertion.

Je n'ai pas complètement répondu à votre question relative à nos relations avec les partenaires sociaux. Nous avons discuté, au sein de notre établissement, de ce que nous souhaitons en matière d'insertion et des structures gestionnaires d'un certain nombre de politiques. Il est notable qu'il nous a fallu soumettre beaucoup de propositions aux partenaires sociaux pour qu'ils acceptent de se mettent autour de la table, afin de traiter de ce sujet.

Avec le transfert de la charge de l'allocation de solidarité spécifique (ASS) aux départements. À cette occasion, le mode de gestion paritaire, tel qu'il existe aujourd'hui, pourrait être remis en cause. Force est de constater que la culture des syndicats français consiste à défendre les personnes bénéficiant d'un emploi et pas à accompagner les personnes en situation de pauvreté. Le rapport publié par M. Martin Hirsch sur le sujet avait ouvert une brèche. Le haut commissaire affirme aujourd'hui qu'il continue à entretenir des contacts avec les partenaires concernés par l'insertion et notamment les syndicats. Cette démarche peut être intéressante, non seulement en termes de résultats, mais aussi et surtout pour faire naître d'une culture partagée. En effet, je crois que nous avons intérêt à faire évoluer les esprits dans ce domaine.

Les lois qui ont été votées au cours des dernières années ont eu un impact très positif, dans le sens où elles ont permis de faire bouger les lignes. Ainsi, dans un établissement comme le nôtre, la culture du travail social a été fortement affectée par le passage d'une approche strictement sociale à une autre approche consistant en un accompagnement des personnes fragiles vers l'emploi. Ce changement s'est heurté à de nombreuses réticences, pour certaines contradictoires. Ainsi, certains nous ont dit qu'ils ne savaient pas faire ce que nous leur demandions, mais qu'ils ne voulaient pas que d'autres le fassent à leur place. Heureusement, nous n'en sommes plus là aujourd'hui. Tout un travail de formation a été effectué auprès des professionnels. L'évolution culturelle constatée aujourd'hui est le fruit d'un choix politique affirmé. Nous avons fermement indiqué le cap. Les partenaires appliquent les politiques que nous votons.

M. René-Paul SAVARY - C'est la raison pour laquelle nous devons faire preuve de prudence dans la mise en oeuvre du RSA. Si une personne travaillant 35 heures par semaine s'aperçoit qu'elle gagne moins qu'un de ses collègues soumis à 9 heures de travail par semaine et bénéficiant du RSA, elle risque de mal l'accepter.

M. Michel DINET - Selon la sociologue Dominique Méda, nous ne devrions pas être trop convaincus du rôle clef de l'incitation monétaire. En effet, cette dernière n'est pas décisive quand il s'agit de pousser les gens à sortir du dispositif du RMI. Elle l'est peut-être moins que la mise en place de mesures d'accompagnement pour favoriser la mobilité ou permettre à la garde des enfants. Aussi, pour Dominique Méda, il ne faudrait pas que, partant de l'incitation à travailler, nous soyons in fine confrontés à une démobilisation face à l'emploi. En effet, dans nos sociétés, la dignité vient du travail. Par conséquent, mettre en place un calcul selon lequel il serait préférable de recevoir le RSA plutôt que de travailler pour gagner un SMIC serait contreproductif. Prendre le temps d'expérimenter le RSA pour en voir tous les défauts sera sans doute de nature à nous rassurer et nous permettrait de prendre toutes les précautions nécessaires dans le cadre de la généralisation du dispositif. Nous n'avons pas uniquement affaire ici à des enjeux techniques et financiers. Il est aussi question de la dignité des personnes.

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Merci Messieurs.

Audition de MM. Bruno LACROIX, président, et Jean VANOYE, premier vice-président du Conseil économique et social de Rhône-Alpes - (13 mai 2008)

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Bonjour Messieurs. Nous vous remercions d'avoir répondu à notre invitation. Nous avons mis en place une mission d'information sur les politiques de lutte contre l'exclusion. Cette instance n'a pas vocation à faire double emploi avec le travail effectué par M. Martin Hirsch. Elle relève d'une démarche complémentaire à son grand chantier. Nous avons auditionné un certain nombre de personnes représentatives de tous les secteurs concernés par les problèmes d'exclusion. Voilà pourquoi nous vous avons conviés à cette audition. Nous aimerions dans un premier temps que vous nous présentiez les travaux du Conseil économique et social de Rhône-Alpes. Nous aurons ensuite des questions à vous poser. Messieurs, nous vous écoutons.

M. Bruno LACROIX - Merci. Je suis Bruno Lacroix, responsable d'une entreprise industrielle qui fabrique des systèmes de ventilation dans une dizaine de pays du monde. Depuis trente ans, je m'investis dans des organisations professionnelles. A ce jour, je suis président de la fédération de la métallurgie du Rhône, du Medef du Rhône et du Medef de Rhône-Alpes. Par le passé, j'ai été vice-président du CNPF où j'ai présidé pendant neuf ans la commission de formation. Je préside actuellement le Conseil économique et social de la Région Rhône-Alpes. Le premier vice-président en est M. Jean Vanoye.

M. Jean VANOYE - De mon côté, je milite à la CFDT. J'ai eu des responsabilités nationales dans cette organisation à l'époque où Mme Nicole Notat était à sa tête. Depuis quelques années, j'ai fait le choix de participer aux travaux du Conseil économique et social de Rhône-Alpes. J'ai gardé, toutefois, des responsabilités à la CFDT où je suis de près tout ce qui relève de l'exclusion.

M. Bruno LACROIX - Revenons tout d'abord sur la raison pour laquelle notre Conseil économique et social est très attaché au thème dont il est question ici. Dans le cadre de mes engagements, je me suis toujours intéressé de près aux problèmes d'insertion, d'orientation et de réorientation. Or au cours de notre dernière demi-mandature, commencée il y a plus de trois ans, il m'a semblé qu'un sujet avait été négligé par le CES. Il s'agit des causes de l'exclusion et des actions que nous pouvons mener sur elles en amont du monde de l'entreprise. Je laisse M. Jean Vanoye, qui a suivi le dossier, vous faire la présentation de notre travail. Vous nous avez posé une question délicate sur la responsabilité sociale des entreprises. Si vous le voulez bien, j'y répondrai après la présentation de M. le vice-président Vanoye.

M. Jean VANOYE - Dans la région Rhône-Alpes, le militantisme contre l'exclusion a déjà une longue histoire. Nous travaillons depuis deux ans sur le sujet avec l'idée d'anticiper et de prévenir les situations d'exclusion. En la matière, nous avons la chance de collaborer avec la Mission régionale d'information sur l'exclusion, dont l'action a malheureusement toute sa pertinence en Rhône-Alpes. Fondée il y a une quinzaine d'année, cette structure est animée et pilotée par les partenaires sociaux que sont l'Etat, la Région et les départements. Sa fonction est d'observer la réalité et d'aider les acteurs de la lutte contre l'exclusion à agir de manière efficace en les appuyant dans leurs démarches. Par ailleurs, elle joue un rôle d'alerte à l'intérieur de la Région en y présentent, tous les ans, un dossier faisant le point sur l'état de l'exclusion. Elle favorise ainsi la prise de conscience nécessaire du problème, étant entendu que nous ne réussirons pas à le solutionner si nous ne parvenons pas à mobiliser les personnes qui se trouvent elles-mêmes en situation d'exclusion. La Mission régionale d'information sur l'exclusion de la région Rhône-Alpes représente donc un acteur de référence pour nous.

Nous avons associé à notre travail le collectif ALERTE, réunissant les associations de lutte contre l'exclusion, ainsi que des chercheurs réfléchissant sur le thème « territoire et exclusion ». Les travaux de ces derniers nous ont beaucoup aidés.

Ce mouvement que nous mettons en route et qui rassemble différents acteurs est repris dans le cadre de l'Assemblée des conseils économiques et sociaux régionaux de France où vient d'être mis en place un groupe de travail chargé de réfléchir à la manière de résoudre les problèmes d'insertion et d'exclusion. L'un de ses objectifs est d'intervenir sur le sujet lors du prochain congrès de l'Association des Régions de France, en décembre 2008. Le Conseil économique et social de Rhône-Alpes pilote cette démarche avec notamment comme objectif de changer les modes de relation qu'il peut entretenir avec les décideurs : les instances déconcentrées de l'Etat, la Région et les responsables politiques. Jusqu'à présent, nous nous contentions d'établir des rapports et d'en observer la mise en oeuvre. Nous aspirons à nous orienter vers une démarche plus vivante et interactive consistant, par exemple, à réunir l'ensemble des partenaires autour d'une table pour discuter des préconisations contenues dans ce document. Nous voulons organiser une conférence de partenaires où les décideurs, dont nous ne sommes pas, interviendraient sur les questions que nous leur soumettrions.

L'esprit dans lequel nous agissons est conforme à notre volonté d'anticiper et d'analyser les causes de l'exclusion. Nous considérons les processus d'exclusion comme une suite d'engrenages. C'est ainsi que nous avons mené un travail destiné à établir un arbre des causes de l'exclusion. Notre idée est que, dans les parcours de vie des hommes et des femmes, interviennent des moments qui représentent des tournants, des ruptures, à partir desquels l'engrenage de l'exclusion est susceptible de s'enclencher. Pour constituer cet arbre, nous avons adopté la vision la plus systémique possible en identifiant les moments critiques, les solutions envisageables et les leviers sur lesquels il nous est possible d'agir pour lutter contre l'exclusion. Notre but est d'éviter que les personnes se retrouvent sur le bord de la route.

Je ne reviendrai pas sur toutes les préconisations contenues dans le document, de manière à ce que nous puissions échanger. Ma présentation sera axée sur trois thématiques que nous jugeons décisives et dont nous souhaitons débattre lors de notre conférence de partenaires, dont le premier rendez-vous est fixé le 10 juin prochain. Nous traiterons à cette occasion du parcours du jeune et de sa famille, puis des temps de rupture et des difficultés rencontrées dans la lutte contre l'exclusion. L'idée qui sous-tend ces réunions est de toujours partir de bonnes pratiques et de nous en servir de références pour amener les politiques nationales, régionales et départementales à évoluer. Nous souhaitons éviter que ne perdurent certaines situations improductives que nous déplorons. Les bonnes pratiques sont en effet souvent ignorées des échelons politiques supérieurs.

Les trois thématiques dont je souhaite vous parler sont les suivantes : le parcours du jeune avec sa famille, l'accès à l'emploi et la participation des personnes en situation d'exclusion. Nous aborderons le premier sujet et la lutte contre l'illettrisme dans l'entreprise le 10 juin prochain où nous avons prévu, par ailleurs, de faire intervenir une association d'étudiants, l'AFEV, riche d'une dimension nationale et très implantée au niveau régional. La particularité de cette association est que ses membres, tous étudiants, se rendent dans des familles pour apporter un accompagnement aux jeunes. Cette manière de procéder consistant à « aller vers » et non pas à « faire venir » me semble une condition clef du succès.

Nos réflexions autour de cette première thématique ont mis en évidence la nécessité de favoriser l'acquisition des fondamentaux, de diversifier les itinéraires, de mettre en place des passerelles et des compensations possibles et d'améliorer l'orientation, décisive dès le primaire et le collège. Le conseil économique et social national a tenu des assises de la jeunesse. Nous avons, quant à nous, organisé une convention pour traiter de la situation des jeunes. Or, lors de ces deux manifestations, la principale question que les adolescents nous ont posée a porté sur leur orientation. Ceux-ci souffrent d'une méconnaissance des métiers existants et se plaignent de ne pas avoir de projets professionnels et personnels très clairs. Nous avons pu prendre acte de leur très forte insatisfaction vis-à-vis du système éducatif dans ces domaines.

Nous nous sommes beaucoup intéressés au phénomène du décrochage scolaire, en particulier au niveau des collèges, et notre travail sur le sujet a abouti à une délibération au conseil régional. Ce décrochage se produit ailleurs qu'en France. Il a une dimension européenne, voire mondiale. C'est pourquoi nous rencontrons la semaine prochaine des Québécois pour aborder avec eux cette problématique.

Par ailleurs, nous avons proposé de mettre en place une politique régionale de lutte contre l'illettrisme, reposant sur deux idées fortes : nous n'aiderons les jeunes en difficulté que si nous tenons compte dans nos démarches de leurs familles et parents ; le système éducatif n'évoluera que s'il laisse une place au territoire éducatif. Il doit y avoir une interactivité entre l'ensemble des établissements scolaires et leurs territoires environnants.

Concernant l'emploi, dans la région Rhône-Alpes, Schneider Electric mène, avec d'autres entreprises, une action pour lutter contre l'exclusion. Cette opération vise des jeunes des quartiers délaissés ayant des difficultés à s'insérer socialement à leur sortie de l'école. Elle connaît des résultats significatifs. Alors que ce type d'initiative se traduit généralement par des taux de réussite de l'ordre de 20%, les pourcentages obtenus ici dépassent les 50 %. Il s'agit d'un programme très lourd, amenant des jeunes à rencontrer à plusieurs reprises une série de chefs d'entreprises. Les réunions s'étalent sur une période de trois ou quatre mois. Cette opération menée par Schneider Electric relève de domaines à la fois curatif et préventif. Elle a lieu à la sortie du système scolaire et sert à prévenir l'exclusion de jeunes.

Une intervention emblématique, baptisée Mode d'emploi, a été mise sur pied. Elle consiste en une approche réparatrice dans laquelle M. Bruno Lacroix s'est beaucoup impliqué. Elle nous a permis de procéder à l'embauche de plusieurs centaines de personnes adultes. Elle réside, en effet, dans des actions d'insertion, très nombreuses dans la Région Rhône-Alpes. Si celles-ci, très souvent, s'inscrivent dans une logique curative, nous souhaitons, de notre côté, amener les opérateurs à se servir de l'expérience qu'ils ont acquise sur le terrain pour anticiper et éviter l'exclusion, notamment en favorisant la mobilité des personnes exclues, un sujet au coeur de nos discussions. Les individus les plus en difficulté ne quittent presque jamais leurs quartiers en ville et rencontrent de nombreuses difficultés pour circuler à la campagne. La réussite d'un parcours de vie exige de la mobilité. Nous devons réussir à mettre en place, au sein du territoire, les dispositifs collectifs permettant aux personnes de se déplacer aisément.

Un Grenelle de l'insertion s'est tenu à Lyon. Il a donné lieu à une discussion un peu tendue avec Martin Hirsch. En effet, la mobilité n'a pas selon nous uniquement une dimension géographique et professionnelle. Elle renvoie aussi à la capacité d'une personne à rebondir au cours sa vie, quelles que soient les péripéties qu'elle connaît. Nous avons beaucoup réfléchi à ce sujet et nous souhaitons qu'il soit appréhendé dans toute sa globalité dans le cadre du Grenelle de l'insertion.

La troisième thématique que je souhaite évoquer concerne la participation. Notre conseil économique et social régional se trouve dans une région où la démocratie participative constitue un sujet sensible. Or celle-ci n'a de sens que si ceux qui ne contribuent jamais aux débats et prises de décisions y participent enfin.

Parmi le groupe de chercheurs réfléchissant sur le thème « Territoire et exclusion », certains, réunis dans un laboratoire appelé Odenor, ont montré, au travers de nombreuses études, que, par manque de connaissance, de nombreuses personnes ne recourent pas aux droits et services auxquels elles ont droit. De fait, il existe, dans notre région, toute une réflexion sur la façon d'informer les citoyens de leurs droits. Seule une petite minorité des gens en connaît tous les arcanes. L'immense majorité de la population n'est pas au courant de ses droits et n'a pas recours aux dispositifs existants. Elle ignore leur existence. Pour remédier à ce problème, nous allons créer des liens avec des groupes de personnes en situation d'exclusion et avec lesquelles la Mission d'information sur l'exclusion travaille. Nous souhaitons bénéficier le plus possible de leurs interventions.

Je vous ai présenté une brève synthèse des travaux que nous menons. Je remettrai à Mme la Présidente et à M. le rapporteur, Bernard Seillier, le document qui les présente. Son rapporteur en a été un membre du troisième collège du conseil économique et social régional : la Fédération des oeuvres laïques. Par conséquent, le sujet a bénéficié d'un traitement patronal, syndical et associatif et a fait l'objet d'une unité de vue de la part de ses trois acteurs.

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Merci Monsieur Vanoye. Je donne la parole à notre rapporteur, Bernard Seillier.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Je suis assez embarrassé. Je ne souhaite pas que ma question fasse l'impasse sur la richesse de l'expérience que vous nous avez rapportée. Vous avez incontestablement de l'avance, dans votre réflexion, par rapport à un certain nombre d'autres acteurs. J'y suis sensible, étant membre du Conseil national de lutte contre la pauvreté et l'exclusion, lequel a été élargi, dans sa composition, aux partenaires sociaux en 2005. Je ne voudrais pas qu'une question mal posée réduise la problématique que vous avez soulevée.

Je ne souhaite pas que nous ajoutions de nouvelles charges aux entreprises. Or ce qui est en jeu ici est, à mes yeux, très ambitieux. Il s'agit des nécessaires mutations de notre façon de vivre en société, des relations que les personnes entretiennent entre elles et de leur manière d'envisager l'entreprise.

Nous avons auditionné Patrick Viveret sur le sujet. Celui-ci s'intéresse aux instruments de mesure de l'exclusion et de la pauvreté, très incomplets, voire médiocres selon lui, comme en témoigne l'exemple suivant. Ainsi, si la naissance de dix porcelets est considérée, du point de vue de la comptabilité nationale, comme une augmentation du PIB par habitant - le numérateur permettant de calculer cette valeur croissant en effet à cette occasion -, la venue au monde de dix enfants, elle, se traduit par une baisse du PIB, le dénominateur servant à la mesure de cette donnée augmentant en effet. De même, un accident de la route entraînant la mort d'une personne détentrice d'une assurance-vie représente, en comptabilité nationale, un enrichissement, les flux financiers occasionnés par le décès étant reportés sur les comptes de la Nation.

Nous devons donc nous interroger pour savoir comment il est possible de mesurer la richesse à partir de données autres que strictement fiduciaires. Nous avons besoin d'enrichir nos outils d'évaluation, en prenant en compte la richesse de la relation interpersonnelle. L'échange n'est pas uniquement marchand. Il est aussi relationnel et il serait souhaitable de considérer la société comme étant multidimensionnelle, faite de rapports entre individus à valoriser. Nous voyons bien, dans le cadre des expériences qui sont les nôtres, que ces rapports jouent un rôle clef. Certaines personnes, qu'on pouvait croire définitivement cassées, peuvent ainsi ressusciter grâce au bénéfice qu'elles tirent d'un environnement humain retrouvé et redevenir imaginatives, créatrices et inventives.

Voilà la raison pour laquelle il n'est pas opportun d'adopter systématiquement de nouveaux projets législatifs ou réglementaires pour agir. Ce qui est essentiel réside dans l'action préventive, laquelle oblige à réanimer la société. Il ne s'agit pas de supprimer ce qui existe, mais d'enrichir ce qui est déjà en place. Je pense que nous nous sommes endormis sur nos lauriers quand, en 1989, l'empire soviétique s'est effondré. Nous avons considéré cet évènement comme étant le triomphe d'une forme de démocratie et de modèle économique axé sur les échanges commerciaux, oubliant qu'une autre analyse en était possible.

Messieurs, la raison de l'invitation que nous vous avons adressée, et à laquelle je vous remercie d'avoir répondu, réside dans intérêt que nous portons à votre travail. Aussi il serait intéressant que nous restions en contact pour bénéficier de vos documents. Par ailleurs, nous voudrions savoir ce que deviennent les conférences thématiques que vous avez lancées et connaître le fond de votre pensée sur la vie économique et sociale contemporaine. Quels seraient les actions à mettre en place prioritairement, notamment en matière de qualité de vie, pour débloquer la situation ? J'ai en effet l'impression qu'en France, la société est figée. Nous dépensons une énergie considérable au travers d'associations et d'entreprises. Mais, faute de mettre le doigt où il le faut, nous ne parvenons pas à résoudre les problèmes. Le conseil économique et social national a constitué le moteur de la lutte contre la pauvreté en France. Ses rapports ont été à l'origine de bien des actions et sont régulièrement discutés au sein du parlement.

Je n'ai pas de question précise ou technique à vous poser. Mais j'ai le sentiment que nous pouvons avoir avec vous une discussion, non pas formelle, mais technico-philosophique. Comment, selon vous, les responsables d'entreprises, syndicalistes et hommes politiques peuvent-ils unir leurs efforts pour faire évoluer les choses ?

M. Bruno LACROIX - L'approche française de ce qui relève de l'insertion est un peu particulière. La société américaine ne se pose absolument pas les questions que nous nous posons dans ce domaine. Elle raisonne d'abord en termes économiques. Ce n'est que, dans un deuxième temps, que le corps social prend en main les problèmes de société. Cette manière de procéder n'est d'ailleurs pas si mauvaise. Le taux de chômage se révèle plutôt faible aux Etats-Unis et l'exclusion n'y dure pas forcément longtemps.

Le Canada, lui, brille par sa capacité de recherche anticipatrice sur tous les facteurs humains et les innovations dont il peut faire preuve, notamment dans les secteurs de la formation et de l'orientation. Les systèmes et les modèles que nous avons mis en place en France dans ces domaines ne sont pas nécessairement les plus appropriés. Dans notre pays, la formation rime avec stage, lequel ne saurait constituer une solution adéquate pour une population en manque de diplôme. Celle-ci aurait plus besoin, pour leur avenir, d'une formation permanente et accessible sur le lieu de travail. Or, à ce jour, j'ignore comment il est possible de faire bénéficier les personnels travaillant en milieu industriel et ayant des niveaux de qualification très faibles du droit individuel à la formation (DIF). Par exemple, les opérateurs de montage ne savent pas forcément lire, écrire et compter.

Les sociétés asiatiques, elles, sont très dures et celles, européennes, très variées. La situation de notre pays n'étant pas forcément la plus reluisante, il convient de regarder quelles sont les pratiques mises en place dans un certain nombre d'Etats tels que l'Allemagne. Observons ce qui se fait ailleurs !

Mon deuxième propos peut sembler contradictoire avec celui que je viens de vous tenir. Mais il n'est pas de la responsabilité première des entreprises d'insérer ou de réinsérer les populations souffrant d'exclusion. C'est pourquoi je parlerai plutôt de rôle social plutôt que de responsabilité sociale des entreprises qu'elles n'ont pas. Il s'agit d'un leurre de croire cela. Cependant, elles jouent un rôle essentiel dans la société. En effet, rien ne peut s'effectuer sans elles, même si elles ne peuvent pas tout faire. L'exclusion se met en place bien avant l'arrivée sur le marché du travail des demandeurs d'emplois. Une grande partie de ses causes est à chercher dans des problèmes familiaux, de formation, de mobilité, etc. Selon les statistiques, 10 % des élèves sortent de l'école primaire sans savoir, lire, écrire et compter. L'entreprise ne peut pas se substituer à l'école. Compter sur elle pour réparer les pots cassés n'est pas forcément la meilleure des solutions, même si elle parvient à réinsérer une partie des personnes en perdition.

Voilà la raison pour laquelle elle est indispensable. Elle permet de combler des retards et de remettre petit à petit au travail des individus ayant suivi des parcours chaotiques. En tout état de cause, plutôt que de juger ces derniers, il faut accepter que certains d'entre eux aient besoin de passer de CDD en CDD pour obtenir des acquis. Chacune de leurs expériences professionnelles leur permet d'aller plus loin et de se familiariser avec l'entreprise. Si nous interdisons les CDD à cette population, nous la lèserons.

M. Jean DESESSARD - La question est-elle posée ?

M. Bruno LACROIX - Des critiques sont souvent formulées au sujet de la multiplication des CDD. Parfois, en France, nous avons tendance à prendre des dispositions qui vont à rebours de ce qui se construit, fut-ce dans la difficulté.

A partir du moment où le recrutement devient ardu, les entreprises ont intérêt à faire en sorte d'attirer des salariés, ce qu'elles n'ont pas encore l'habitude de faire, alors même qu'il devient difficile aujourd'hui d'embaucher dans des zones géographiques et dans des filières de métiers. Dans la Vallée d'Aspe, par exemple, elles ne se sont pas encore mobilisées, en lien avec les acteurs locaux, pour rendre le lieu de travail qu'elles proposent attractif. Il leur faudrait créer de l'habitat et mettre en place des navettes pour transporter leurs personnels. Disposer de salariés implique, en effet, de les déplacer et de les loger. Tant que leur passivité durera, ces établissements n'auront pas la main d'oeuvre dont ils ont besoin.

Cette difficulté de recruter illustre bien les difficultés de notre pays. La France compte près de 2 millions de chômeurs et environ 800 000 offres d'emplois non satisfaites. Le nombre de demandeurs d'emploi pourrait diminuer de moitié si nous réussissons à faire se rencontrer l'offre et la demande de travail. Mais pour l'instant, personne ne sait comment il est possible d'y parvenir.

M. Jean VANOYE - Les connexions entre l'offre et la demande de travail s'effectuent mal.

M. Bruno LACROIX - Il s'agit de l'une des difficultés majeures auxquelles nous nous heurtons aujourd'hui. L'enjeu est de savoir de quelle manière il faut procéder pour que les 2 millions de personnes au chômage bénéficient du besoin de recrutement des entreprises. Le manque d'adéquation entre les compétences du demandeur d'emploi et ce que recherchent les sociétés est réel dans un certain nombre de métiers. Mais les entreprises, si elles en ont besoin, sont tout à fait capables de former leurs salariés. Elles disposent d'outils et d'organisations professionnelles et interprofessionnelles pour agir dans ce domaine. Par ailleurs, de nombreux emplois ne nécessitent pas de qualifications très pointues.

Une fois les personnes recrutées, la formation en entreprise peut faire son oeuvre. Aujourd'hui, avec la pénurie de cadres qui se profile, les sociétés se tournent vers les universités pour embaucher des personnes, par exemple d'anciens étudiants en lettres, qu'elles n'auraient jamais choisies il y a quelques années. Elles en sont venues à rechercher d'abord des gens dotés d'un certain comportement, obéissant à une certaine méthodologie et à un mode de fonctionnement intellectuel ; des personnes qu'elles forment ensuite aux métiers qui seront les leurs.

En résumé, l'entreprise se plaint du manque de formation des candidats lorsqu'elle peut recruter facilement, mais sait s'adapter à cette difficulté quand le marché de l'emploi devient tendu. Elles peuvent donc jouer un rôle important dans la résolution des problèmes d'exclusion.

M. Jean VANOYE - Par les opérations qu'elle mène, Schneider Electric joue un rôle social. Pour ma part, je préfère parler de responsabilité sociale plutôt que de rôle social des entreprises.

M. Bruno LACROIX - Ce point nous sépare.

M. Jean VANOYE - En parlant de responsabilité, je ne me réfère pas au diptyque « responsable-coupable », mais au fait que la sortie de l'exclusion passe par le travail.

Nous collaborons beaucoup avec le monde associatif. Pourtant, une partie des représentants de la FNARS affirme que les personnes ont bien le droit de vivre sans travailler. Le militant de la lutte contre l'exclusion que je suis ne partage pas du tout ce point de vue.

La responsabilité sociale des acteurs économique n'engage pas uniquement les entreprises privées. Elle concerne aussi la fonction publique. Or je suis au regret de constater que l'intégration, la prise en compte et l'embauche de personnes en situation d'exclusion sont encore plus mal traitées dans le public que dans le privé. En Rhône-Alpes, toute une série d'initiatives a été adoptée, mettant en avant cette responsabilité sociale. Elles portent toutes sur des entreprises. La MRI a, par exemple, réalisé un cédérom présentant les expérimentations menées par une cinquantaine de PME dans l'embauche de personnes en situation d'exclusion. La difficulté rencontrée dans la mise en oeuvre de ce projet a été de faire parler les responsables des entreprises concernées qui ne souhaitent pas forcément communiquer sur leurs démarches. Il s'agit peut-être d'un travers lyonnais. A Grenoble, les entreprises ont tendance à s'exprimer davantage sur ce qu'elles font.

L'institut Montaigne a repris, dans une plaquette, une partie de notre travail auquel j'ai participé à la demande d'ATD Quart-Monde et d'Emmaüs et qui porte sur la manière, devenue déterminante aujourd'hui, de recruter autrement dans les entreprises. Il n'est plus question pour elles de se baser uniquement sur les diplômes des candidats, mais de leur faire pratiquer des entretiens, des mises en situation et des mises au travail. Par le passé, M. Henri Lachmann a animé un groupe de travail sur le sujet. La Mission régionale information-exclusion en Rhône-Alpes et l'Institut Montaigne ont recensé toute une série de bonnes pratiques sur cette nouvelle manière de procéder. Celles-ci montrent qu'un certain nombre d'entreprises parviennent à sortir de la mécanique habituelle du recrutement, laquelle est très excluante.

Des méthodes fonctionnent en matière d'insertion. Je me souviens très bien de la première opération que j'ai effectuée avec ATD Quart-Monde en 1990. Elle nous avait permis de faire embaucher des personnes à la régie de transport de Lyon et dans d'autres entreprises, en particulier une dont le responsable m'avait dit à propos d'un individu presque inemployable mais recruté qu'il n'était pas celui qui lui posait le plus de problèmes.

Notre problème est que nous ne parvenons pas à démultiplier les expériences positives développées sur le terrain et à les traduire dans les politiques publiques et les programmes des partenaires sociaux.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Concernant la responsabilité sociale des entreprises, nous pouvons constater le rôle important tenu par les entreprises dans le règlement des problématiques sociales. Le terme de responsabilité est plus engageant pour elles que celui de rôle.

Quelles sont, dans la société, les références en matière d'insertion sociale et professionnelle réussie? Trop de jeunes adolescents appartiennent à des familles éclatées. Par ailleurs, l'école constitue un milieu difficile à vivre, hormis pour quelques-uns qui y réussissent aisément. L'échec scolaire est tel que des Missions locales accueillent des jeunes qui ne veulent plus entendre parler d'enseignement. Enfin, l'armée, autrefois, au travers de la conscription, participait beaucoup de l'insertion. Sa professionnalisation s'est traduite par la disparition d'un lieu de convivialité et d'apprentissage des relations humaine, sociale et professionnelle pour beaucoup de jeunes. Quels sont aujourd'hui les milieux permettant cet apprentissage ?

M. Jean VANOYE - Il ne reste plus que le travail.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Il ne reste plus que le travail et l'entreprise. La mise en avant de la responsabilité sociale des entreprises ne consiste pas à imposer une charge de travail supplémentaire aux sociétés, mais à poser un constat. L'entreprise représente le seul endroit où nous pouvons entretenir des relations normales basées sur l'autodiscipline et la discipline collective, et pouvant être conviviales. Je me souviens à ce propos d'une anecdote de Bernard Tapie, datant de l'époque où tout le monde parlait de lui. Il venait de racheter une grande entreprise et disait qu'il avait suffi de cette reprise pour que tous les salariés passent de la honte de travailler dans une firme condamnée au dépôt du bilan à de la fierté d'appartenir au groupe Tapie. Il s'agit juste d'un exemple. Mais il est évident que chacun a besoin d'un milieu humain porteur pour procéder à des efforts.

La prévention de l'exclusion passe par le développement d'un climat de confiance, aussi bien dans la société en général que dans les entreprises, écoles et universités. A partir du moment où nous aimons vivre quelque part, nous apprécions d'y travailler. De ce point de vue, le dialogue entre les syndicats de salariés et patronaux recèle de véritables perspectives. Je crois assez peu que seules des agences de notation suffiront à convaincre des entreprises d'assurer une responsabilité sociale. En revanche, valoriser leur image pourrait être très utile et efficace. Malheureusement, celle-ci est assez négative en France. Mais peut-être pouvez-vous parvenir à la faire évoluer ? Le MEDEF, la CGPME, la CGT, la CFDT et FO, sont bien les acteurs susceptibles d'agir de manière efficace dans ce domaine. Je sais que Mme Laurence Parisot est très sensible à ce sujet. Si un climat de confiance pouvait s'instaurer entre les gens, nous réussirions à leur redonner le goût de travailler et d'apprendre à l'école. Il faudrait revaloriser la relation au travail.

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Je suis tout à fait d'accord avec vous. L'entreprise a aussi un rôle socialisant. Vous avez aussi abordé la difficulté de recruter dans certains territoires et métiers. Il s'agit d'une réalité à laquelle nous sommes tous confrontés dans nos départements. Je me demande donc si les politiques peuvent améliorer l'articulation entre l'école et l'entreprise. Cette prise de contact, qui aurait lieu l'entrée des jeunes à l'université, permettrait à ces derniers de découvrir ce qu'est le travail.

Les métiers ayant du mal à recruter sont souvent proposés par des TPE et des PME : restauration, bâtiment, etc . Ils concernent des entreprises qui n'ont pas de temps à consacrer à une démarche d'embauche sophistiquée. Elles recourent généralement à l'ANPE ou passent par leurs connaissances pour recruter. Ne serait-il pas possible pour elles, en se regroupant, d'anticiper leurs difficultés à embaucher ? Il s'agirait également de mettre en place un apprentissage aux habilités sociales et professionnelles. C'est de la sorte que nous pourrions répondre aux besoins en recrutement dans les métiers et territoires concernés. Nous pourrions imaginer que les acteurs économiques reçoivent, pour ce faire, le concours des acteurs politiques locaux.

M. Bruno LACROIX - Agir dans ce domaine n'est pas facile, car l'entreprise fait encore aujourd'hui l'objet d'une vindicte idéologique, notamment dans le cadre du système éducatif dont les rapports avec l'ensemble du monde économique ne sont pas aussi fluides qu'ils devraient l'être. Pourtant, il serait nécessaire qu'ils le deviennent pour préparer les jeunes au monde du travail et leur faire connaître les métiers de leurs choix.

M. Jean DESESSARD - Il y a de plus en plus d'interventions dans ce domaine, prenant la forme, par exemple, de stages découverte en entreprise, réservés aux collégiens de quatrième et de troisième. Ces stages sont très appréciés.

M. Bruno LACROIX - Les métiers ayant du mal à recruter ne concernent pas uniquement les petites entreprises. Ils touchent aussi l'hôtellerie. Or nous ne pouvons pas considérer que le groupe Accor entre dans la catégorie des très petites entreprises.

Je me demande, par ailleurs, si une partie de la population a réellement envie de travailler. Je possède deux établissements à Vénissieux où, à la demande du maire de cette commune, nous avons participé à une grande exposition destinée à présenter l'activité industrielle des entreprises installées sur ce territoire. L'objectif, avec cette manifestation, était de rapprocher les jeunes des acteurs économiques locaux. Ils n'auraient eu aucune difficulté à se déplacer pour venir travailler s'ils avaient été recrutés. Or l'opération ne nous a permis d'en embaucher aucun, alors que le taux de chômage des jeunes sur ce territoire est compris entre 30 % et 40 %. Dans ce contexte, nous nous posons un certain nombre de questions.

Par ailleurs, une partie de la population est prisonnière de phénomènes communautaires, de blocs familiaux dont elle n'arrive pas à se défaire. Je ne suis pas sociologue, mais il me semble nécessaire de réfléchir à ce problème pour y remédier. Nous peinons à attirer un certain nombre de jeunes dans nos entreprises. Ils se présentent rarement à nous et ceux qui nous sollicitent ne restent pas toujours longtemps parmi nous. Ils viennent pour une journée d'essai, puis nous quittent, épuisés par les huit heures de travail qu'ils ont effectuées, préférant s'investir dans des activités souterraines, faire du business . Les phénomènes d'exclusion sont complexes à comprendre et ils le sont encore plus dans certaines banlieues. Une partie de la population qui y vit sait très bien se défendre. Elle sauvegarde son business . Cet état de fait complique l'analyse.

L'entreprise représente bien le lieu de l'insertion idéal. Mais l'emploi industriel se réduit et les sociétés, contrairement à auparavant, ne réussissent plus à absorber les populations agricoles déracinées et immigrées, rendant l'insertion des personnes à faibles niveaux de connaissance encore plus compliquée, celles-ci ayant surtout recours aux emplois industriels à faible qualification. Il existe donc un risque, celui de voir les emplois vers lesquels nous nous tournons dans le cadre des politiques d'insertion se raréfier.

La région Rhône-Alpes est très riche en matière de dispositifs de lutte contre l'exclusion et il serait intéressant d'en explorer et d'en faire découvrir toute la diversité. En plus du programme « Mode d'emploi », qui a pour objectif de réinsérer des adultes, nous bénéficions d'un système d'accompagnement exceptionnel incarné notamment par le Groupe pour l'emploi des probationnaires (GREP). Beaucoup d'initiatives ont aussi été mises en place dans nos territoires dans le domaine de l'insertion.

Je conclus mon intervention en abordant un sujet qui me tient à coeur et sur lequel je me suis beaucoup investi. Il s'agit de notre système éducatif, lequel apporte toujours aussi peu de réponses aux attentes des jeunes. Nous avons proposé de nombreux outils prêts à l'emploi aux établissements de l'éducation nationale pour leur permettre de faire face aux besoins d'orientation des élèves. Mais aucun n'a été accepté. Le système éducatif n'a toujours pas compris combien il est nécessaire d'aider les jeunes à construire leur projet personnel. Travailler avec eux dans ce sens est fondamental. Rien n'existe pourtant à ce jour pour le faire, alors que les adolescents scolarisés demandent avec insistance de l'aide. Nous avons créé l'offre. La demande existe. Il faudrait juste que le milieu scolaire se sente assez concerné par le sujet de l'insertion professionnelle pour permettre à cette offre et cette demande de se rencontrer.

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Il faudrait proposer des stages aux instituteurs.

M. Jean VANOYE - Ce type d'actions existe déjà. Mais nous peinons à les généraliser. Une partie du système éducatif est encore très hermétique au monde de l'entreprise.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - L'année dernière, nous avons commis un rapport sur la formation professionnelle, dans lequel nous avons proposé aux personnes en charge de l'orientation de prendre le nom de conseillers professionnels psychologues au lieu de conseillers psychologues, de manière à mettre en évidence que leur connaissance des professions doit primer avant tout. Or, ce n'est pas le cas aujourd'hui. Tout à l'heure, une responsable de Manpower nous a indiqué que les travailleurs sociaux représentent les interlocuteurs vers lesquels les personnes en situation d'exclusion sont automatiquement dirigées. Or celles-ci ne souffrent pas nécessairement de problèmes sociaux. Leur besoin peut très bien se résumer à trouver un travail. Les psychologues ne doivent pas être systématiquement mobilisés dans les politiques d'insertion.

M. Jean VANOYE - Nous ne pouvons pas méconnaître les conséquences de 35 années de gestion sociale du chômage. Je me souviens d'une période lointaine où il était considéré que la France exploserait si elle comptait plus d'un million de chômeurs. Le pays a résisté mais il est devenu angoissé. Ce à quoi nous sommes confrontés avec les jeunes générations est le fruit d'une longue histoire. Entre 1973 et 1974, j'ai travaillé avec Bertrand Schwartz lors du lancement de ses premières opérations dans les quartiers. A cette époque, la situation actuelle n'existait pas les choses étaient différentes.

M. Guy FISCHER - Vous avez souligné la baisse de l'emploi industriel, le manque de formation des jeunes et l'inadaptation de l'éducation nationale face aux enjeux contemporains. Autant de réalités qui amèneront, selon le rapport de la MRI, à une explosion du travail précaire. Une partie de notre population sera confinée à ce type d'emplois.

M. Bruno LACROIX - Votre raisonnement ne tient pas compte de la démographie. Aujourd'hui, beaucoup de personnes partent à la retraite et les entreprises ont besoin de les remplacer. De fait, il existe, depuis quelques années, un énorme besoin d'embauches, lequel se traduit aujourd'hui par des difficultés de recrutement. L'emploi précaire n'est donc pas appelé à croître. Cependant, nous aurons de plus en plus de peine à trouver des postes permettant à des personnes à faibles qualifications d'effectuer leurs premiers emplois. Ainsi, certaines d'entre elles risquent d'être condamnées à l'exclusion.

Les emplois nécessitant de faibles qualifications sont comparables aux premières marches d'un escalier. Or ils sont menacés de disparition, ce qui pourrait empêcher les jeunes entrant vers 18 ans dans la vie professionnelle par les emplois précaires à s'insérer et à obtenir des emplois stables par la suite.

La démographie favorisera la réinsertion des personnes en poussant les entreprises à embaucher, à se mettre en quête de leurs salariés et à les former. Toutefois, il ne faut pas que leurs démarches en matière de recrutement excèdent leurs moyens et leurs compétences.

M. Jean VANOYE - Un des freins à la lutte contre l'exclusion est la faible culture territoriale qui existe en France. Notre région initie des politiques territoriales. Mais ce faisant, elle s'inscrit dans des approches « top-down » ne permettant pas toujours aux acteurs des territoires de disposer des marges de manoeuvre nécessaires pour agir efficacement. La démarche consistant à créer des activités à partir des territoires et de leurs acteurs n'est pas assez développée. Pourtant, il est possible d'utiliser les spécificités régionales qui peuvent exister pour susciter une vie économique, créer des emplois et réindustrialiser des zones géographiques. Le projet de réindustrialiser la région Rhône-Alpes fait l'unanimité et même fait l'objet d'un accord. La diversification des activités envisagées sur ce territoire pourrait, en effet, servir ce dernier. Dans la moyenne vallée du Rhône, entre soixante et soixante-dix-huit emplois ont été créés en deux ou trois ans dans un espace limité. Cette réalisation a été rendue possible par l'impulsion territoriale donnée par les acteurs locaux. De véritables accords sont intervenus entre entreprises et territoires. Cette dynamique est trop rare à mon sens, y compris dans le cadre de la lutte contre l'exclusion. L'une des raisons pour lesquelles les choses ne fonctionnent pas bien se trouve ici. Les PME et les TPE sont trop souvent isolées dans leurs démarches.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Les analyses concernant la pauvreté et l'exclusion sont souvent le fruit de sociologues, d'intellectuels et de professeurs. Il faudrait que la parole des entreprises soit entendue également.

M. Jean VANOYE - Le Grenelle de l'insertion comprend énormément de spécialistes de l'insertion. D'autres acteurs doivent y participer.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Faut-il que les partenaires sociaux débattent de manière organisée sur le sujet ou devons-nous les laisser en parler librement, au gré d'initiatives individuelles ?

M. Bruno LACROIX - Je vous invite, si vous rencontrez Mme Laurence Parisot, à lui poser la question. Elle pourrait faire en sorte que la voix des entreprises soit davantage entendue.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Nombre d'entreprises comme Accor ou Veolia agissent pour permettre à des personnes en situation d'exclusion de s'insérer.

M. Jean VANOYE - Un accord national a été signé entre ALERTE et certains partenaires sociaux comme le MEDEF, la CGPME, l'UPA, la CGT et la CFDT. Le vrai défi qui se pose à nous est de décliner localement ce type d'accord pour créer des passerelles permettant à des personnes exclues d'accéder à un emploi. Si ce qui est ressorti de l'accord n'est pas totalement novateur, le fait que l'ensemble des partenaires ait accepté de s'y engager est remarquable et n'a pas été assez souligné à mon avis. L'accord prévoit tout un ensemble de solutions.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Nous vous remercions à nouveau d'avoir répondu à notre invitation et à nos questions.

Audition de M. Etienne PINTE, député des Yvelines, chargé d'une mission temporaire auprès du Premier ministre sur l'hébergement et le logement des personnes sans abri ou mal logées - (20 mai 2008)

M. Christian DEMUYNCK, Président - Mon cher collègue, merci d'avoir accepté notre invitation. Il nous a semblé important de vous entendre sur la mission que vous menez auprès du Premier ministre sur l'hébergement et le logement des personnes sans abri. Dans ce cadre, vous avez remis un pré-rapport au mois de janvier. Votre rapport définitif, lui, sera remis autour du 15 juin prochain.

Dès la fin de votre exposé, nous engagerons le débat sur ce sujet majeur. Il convient d'entendre toutes les personnes qui ont travaillé dans le domaine de l'insertion, de manière à nous permettre de faire des propositions. En effet, au-delà de l'évaluation des politiques menées, nous souhaitons, comme vous au travers de votre rapport, soumettre des suggestions concrètes. Nous vous écoutons.

M. Etienne PINTE - Chers collègues, merci de m'accueillir et de m'auditionner. En effet, j'ai débattu, il y a quelques semaines, avec M. Seillier, votre rapporteur, sur la mission qui m'a été confiée par le Premier ministre. Suite à ce dialogue, j'ai demandé à M. Seillier à être entendu au sein de votre commission.

C'est en raison de deux actions menées par les Enfants de Don Quichotte, l'une devant l'église de Notre-Dame le 21 décembre 2007, l'autre au bord du canal Saint-Martin, que le Premier ministre m'a confié cette mission. Par-là, François Fillon a voulu affirmer la priorité donnée par le gouvernement à l'hébergement d'urgence et au logement social, sujet dans lequel je suis impliqué depuis de nombreuses années dans ma ville de Versailles.

Nous souffrons d'un retard de 20 ans ou 30 ans dans le domaine du logement, imputable à toutes les majorités qui ont été au pouvoir. En effet, ce secteur n'a jamais été considéré comme une des grandes priorités nationales en France. Les cris d'alerte lancés par l'Abbé Pierre, puis par le monde associatif, ont ainsi porté au grand jour l'urgence et l'importance d'agir pour améliorer la situation du logement en France. A mes yeux, une société harmonieuse doit avoir quatre priorités : le toit, la formation, le travail et la santé. Si elle n'en a que trois, elle se trouve en déséquilibre.

Voici certains chiffres concernant le logement en France. Il y aurait entre 80 000 et 100 000 sans domicile fixe, entre 400 000 et 600 000 logements jugés indignes et 3 millions de personnes mal logées (ce nombre comprenant les personnes vivant en logements indignes). Ces chiffres sont officiels et ont été rendus crédibles, aux yeux de l'opinion, par la Fondation de l'Abbé Pierre.

Le Premier ministre, pour désamorcer la crise naissante, en particulier les initiatives prises par les Enfants de Don Quichotte, et plus généralement par le monde associatif, m'a demandé de lui remettre des propositions en urgence à la fin du mois de janvier 2008. Celles que je lui ai formulées ont été actées par lui devant les associations dans un premier temps, puis devant les médias.

Il souhaitait que l'Etat, premier responsable de la politique de l'hébergement et du logement social, se dote d'un plan de pilotage cohérent, en partenariat avec les associations, les bailleurs sociaux et les collectivités territoriales. Les parlementaires ont ainsi voté, dans le cadre du projet de loi 2008, des crédits de 900 millions d'euros pour l'hébergement et le logement social ; somme à laquelle s'est ajoutée, dans le cadre des mesures d'urgences, une enveloppe supplémentaire accordée par le Premier ministre.

Par ailleurs, il nous est apparu nécessaire de travailler avec un observatoire national et des observatoires locaux pour définir les réalités et recenser les besoins en matière de logement, qui restent fort mal connus dans les régions et départements. Or, ces besoins portent sur tous les domaines: les CHU, les hébergements d'urgence et de réinsertion sociale, les CHRS, les maisons relais, les CHU, la réhabilitation de logements très sociaux, les PLA-I. En effet, actuellement, du fait d'un revenu trop faible, les personnes qui bénéficient pourtant d'un contrat à durée indéterminée, ne peuvent pas accéder au logement privé, ni même au logement très social par manque de places.

Nous devons faire face également aux réticences de certaines populations et de certains élus à voir des logements sociaux être construits sur leurs territoires, selon l'article 55 de la loi sur la solidarité et le renouvellement urbain.

Quelle sont les propositions d'urgence que j'ai présentées au Premier ministre et qu'il a actées ?

En premier lieu, j'ai demandé que le logement et l'hébergement soient érigés en chantier national, prioritaire pour la fin de la législature 2008-2012 aux yeux de tous (population, bailleurs sociaux, collectivités, associations). J'ai obtenu, en plus des 900 millions d'euros déjà alloués (les associations nationales demandaient un milliard d'euros), une dotation supplémentaire de 250 millions d'euros. Il me semble prioritaire de dépenser l'ensemble de cet argent pour ne pas nous retrouver, comme dans le passé, avec des lignes budgétaires non utilisées. Pour autant, le Premier ministre s'est engagé à abonder certaines lignes budgétaires à la fin de l'année 2008, si nécessaire.

Ma deuxième proposition urgente a consisté en la nomination d'un super préfet, délégué général à l'hébergement d'urgence et à l'accès au logement. Il s'agit de M. Alain Régnier que vous auditionnerez après moi. Son nom nous a été proposé par Mme Christine Boutin. Il a pris ses fonctions depuis quelques semaines et pilotera le domaine qui est le sien sur le plan interministériel en coordonnant, aux niveaux national, départemental et régional, la mise en application des propositions d'urgence et de celles que j'émettrai dans le cadre de mon rapport.

La troisième mesure d'urgence consiste en la création, peu aisée, d'un Observatoire national. Cet établissement devra concentrer des moyens humains suffisants, permettant d'affecter l'argent public de manière pertinente en fonction de l'état des lieux qui sera fait de la situation et des besoins qui en découleront. J'ai demandé la réalisation d'un premier état des lieux pour la fin du mois et d'un autre, plus complet, pour la fin de l'année. Si certaines régions se caractérisent par des besoins limités, d'autres, comme la région parisienne, la région du Nord, la région PACA et la région lyonnaise rencontrent de grandes difficultés pour augmenter leur parc de logements, en raison notamment du coût élevé du foncier.

Sur la base de ces propositions, j'ai présenté à Mme Christine Boutin et M. Martin Hirsch une stratégie reposant sur trois axes.

En premier lieu, nous ne pouvons plus admettre que des personnes vivent dans la rue, notamment celles dépendant des institutions publiques et celles qui ont été expulsées de leur logement. J'ai réclamé, pour ces dernières, la mise en place d'une politique préventive visant à ce que, dès le premier mois d'impayé de loyer, le bailleur, qu'il soit privé ou public, avertisse les services sociaux pour leur permettre d'identifier les difficultés rencontrées par les locataires. Notre projet consiste à trouver des solutions de substitution. Nous ne prétendons pas mettre un terme aux procédures d'expulsion qui devraient rester des options ultimes, mais faire en sorte, si elles ont lieu, qu'elles soient l'oeuvre du préfet chargé alors de mettre à disposition un logement de substitution aux familles expulsées.

Les autres populations vivant dans la rue représentent les personnes sorties de prison et d'hôpitaux psychiatriques, ainsi que les jeunes majeurs privés de possibilités de relogement.

Nous avons la responsabilité d'éviter, à de nouvelles personnes en difficulté, de se retrouver à la rue. Pour cela, nous avons besoin, non seulement de logements sociaux, mais aussi de faire appel au parc privé social. C'est pourquoi j'ai proposé que 100 000 des logements dits indignes soient rénovés d'ici 2012 pour un budget d'environ 80 millions d'euros et que les préfets mènent une véritable chasse aux marchands de sommeil et aux propriétaires indélicats, lesquels profitent de la misère des hommes pour les loger de manière indigne.

Le deuxième axe prioritaire qui guide notre action revient à sortir de la rue ceux qui y vivent déjà. J'ai obtenu du Premier ministre des crédits supplémentaires pour réhabiliter les CHU dont le caractère indigne est parfois mis en avant par les personnes sans logis pour justifier leur refus d'y séjourner. Ces dortoirs doivent être rénovés de manière importante pour leur ôter leur caractère inhumain et offrir un accompagnement social, à ce jour inexistant, alors que les besoins dans ce domaine sont évidents. Les modes d'encadrements dans les CHU et les CHRS seront progressivement harmonisés. Il serait paradoxal que les personnes les plus fragiles, qui intègrent un CHU à leur sortie de la rue, ne bénéficient pas d'un accompagnement social au moins équivalent à celui dont profitent les individus dans le cadre des CHRS.

Par ailleurs, les préfets devraient être davantage sensibilisés à ces sujets et mener des opérations coups de poings dans le domaine de l'hébergement et du logement social, en particulier en nous aidant à mobiliser le parc foncier public. Le prix trop élevé des terrains sert souvent de prétexte pour justifier l'impossibilité de construire des hébergements ou des logements. Dans la circulaire transmise par le Premier ministre, concernant la mise en oeuvre des premières mesures retenues, figurent ainsi le recensement et la mobilisation du parc public foncier. En effet, dans le cadre de la restructuration des périmètres de responsabilités entre la police et la gendarmerie, des gendarmeries, et parfois des commissariats de police, ont été abandonnés sans que personne n'en prenne acte. J'ai donc invité les préfets à recenser les commissariats et gendarmeries vacants. Dans mon propre département, une gendarmerie, vide depuis deux ans, a ainsi été identifiée.

De la même manière, dans le cadre de la restructuration de nos armées, du foncier, bâti ou non, sera libéré dans des proportions gigantesques et donc mobilisable. Il sera nécessaire de l'identifier pour nous placer dans une logique de mobilisation intelligente du foncier de l'Etat.

J'ai obtenu la création d'un fonds d'expérimentation pour permettre aux collectivités, bailleurs et associations de faire preuve d'imagination. A titre d'exemple, l'Armée du Salut vient d'acquérir un bateau-hôtel à Strasbourg, qui comprend une cinquantaine de chambres disponibles et sera acheminé à Paris. Ce type d'initiative innovante justifie un soutien financier de l'Etat plutôt que privé. J'ai donc demandé, dans le cas présent, qu'une partie du coût du bateau soit prise en charge par l'Etat.

Le troisième grand axe qui nous guide consiste à nous donner les moyens d'appliquer réellement la loi DALO. Contrairement aux annonces effectuées, le nombre de dossiers déposés dans le cadre de ce dispositif se révèle très modeste pour l'instant. Il est difficile d'en connaître les raisons. Mais nous savons que les préfectures et les commissions de médiation sont en capacité de gérer ce genre de dossiers. D'ici la fin de l'année, nous aurons une idée du nombre de personnes éligibles au droit au logement opposable et les préfets devront alors pouvoir répondre aux exigences de la loi. C'est pourquoi j'ai proposé que chacun des acteurs dans le domaine du logement (le 1 % logement, les bailleurs, les collectivités territoriales) témoigne d'un effort en mettant une partie de leurs contingents à la disposition des préfets pour leur permettre de reloger les personnes ayant fait valoir leur droit au logement. Chacun aura intérêt à voir une telle mesure se mettre en place.

Entre 20 % et 30 % des personnes accueillies aujourd'hui en centres d'hébergement d'urgence ou en CHRS relèveraient de la loi DALO. Exerçant une activité professionnelle sous couvert d'un CDI, elles n'auraient rien à faire dans ces structures. Il s'agit de travailleurs pauvres, ayant besoin d'accompagnement social et prêts à intégrer des logements très sociaux tels que les PLA-I, dont je souhaite qu'il compte double pour le calcul du pourcentage de logement social, défini dans l'article 55 de la loi SRU ; cette proposition s'ajoutant à une autre consistant à inciter les collectivités territoriales à accepter de construire des maisons relais, lesquelles représentent des hébergements durables mais dédiés à des personnes fragiles nécessitant un accompagnement social permanent.

Je souhaite aborder maintenant un autre sujet. Il concerne l'intermédiation locative dans le parc privé. Comme je l'ai indiqué précédemment, nous avons besoin de solliciter le parc privé dont une partie des logements doit être réhabilitée, notamment grâce à l'ANAH, l'autre partie étant de très bonne qualité. Pourtant, certains bailleurs privés hésitent à louer ces derniers à des personnes de revenus modestes. La formule de l'intermédiation peut constituer une solution tout à fait sécurisante pour remédier à cette situation. Elle consiste, en effet, pour une association, à louer le logement au bailleur privé en lui garantissant les loyers et à le sous-louer à une personne avec des revenus modestes. Ce système est pratiqué par certaines associations de manière ponctuelle, parfois expérimentale. Depuis un certain temps, il est utilisé à Rennes de manière parfaite, dans la mesure où Rennes Métropole gère en permanence 500 logements intermédiaires. La Ville de Paris vient également d'y faire appel. Il constitue sans doute une solution d'avenir, ayant pour intérêt principal de rassurer le bailleur privé en lui garantissant le versement de son loyer grâce au rôle d'intermédiaire que jouera pour lui un tiers responsable et reconnu dans le cadre d'un contrat.

Qu'est-ce qui, selon vous, pourrait inciter, de manière plus efficace, les collectivités territoriales, qui y sont réticentes, à construire du logement social ? Le doublement de la quotité du PLA-I dans le calcul du pourcentage de logement social relatif à la loi SRU me paraît être une bonne mesure, tout comme la proposition du gouvernement de taxer les surloyers et de redéfinir les seuils d'entrée dans les logements sociaux, de manière à ce que des personnes gagnant entre 6 000 et 7 000 euros n'y soient éligibles. Malgré tout, il me semble nécessaire d'aller plus loin et pourquoi pas de créer une troisième catégorie de communes dans le cadre de la loi SRU. Celle-ci s'applique aujourd'hui à toutes les communes de plus 3 500 habitants pour celles situées en province et de plus de 1 500 habitants pour celles inscrites en Ile-de-France. Or, étant donné que de plus en plus de personnes vivent dans les périphéries, ne serait-il pas opportun de créer une troisième catégorie de communes dans le cadre de la loi SRU, les communes dont la population est comprise entre 2 500 et 3 000 habitants, 2 500 étant le seuil exigé pour la création d'une pharmacie et pouvant donc constituer un critère objectif ?

Je suis maintenant ouvert toutes vos suggestions susceptibles d'alimenter ma réflexion et d'inciter les élus à construire davantage de logement social.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Cette mission est tout à fait opportune dans la mesure où, depuis plusieurs années, nous multiplions les textes de loi et alertons, en hiver, les autorités publiques de situations inhumaines, avec le sentiment, pourtant, de buter sur des difficultés trop complexes à cerner.

Le mérite du rapport de M. Etienne Pinte est d'effectuer un bilan global de la situation en matière d'hébergement d'urgence, tout en essayant de dresser des perspectives sur le sujet.

Je souhaiterais préciser certains points avec vous concernant notamment le cadre territorial dans lequel doit s'inscrire l'action dans le domaine du logement. M. Julien Damon a estimé qu'agir efficacement dans ce secteur ne peut se faire qu'à un niveau européen. Une mobilisation des sans-abri de l'Europe entière s'est ainsi manifestée à l'occasion des évènements du canal Saint-Martin. Pensez-vous possible de traiter la problématique des sans abri, de manière coordonnée, à l'échelle européenne ?

Je salue votre projet de mettre en place un observatoire dans la mesure où nous manquons d'informations sur les occupants des logements et, en particulier, sur leurs parcours résidentiels.

Je souhaiterais également connaître votre avis sur la notion de contrainte appliquée aux sans abri. Il y a quelques années, l'action gouvernementale avait été critiquée pour avoir consisté à astreindre des personnes vivant dans la rue à se mettre à l'abri.

Enfin, connaissant les qualités du super préfet qui vient d'être nommé, je ne doute pas qu'il saura déterminer son positionnement optimal par rapport à son ministre de tutelle. Cependant, ne pensez-vous pas qu'il y a un risque de voir lui et la ministre en charge du logement social et des sans abri se faire concurrence ?

M. Etienne PINTE - Je ne crois pas, personnellement, en l'harmonisation européenne de la gestion des sans abri, en particulier en raison des difficultés que nous connaissons déjà pour harmoniser nos politiques en matière d'immigration. Une démarche volontariste et la publication d'une directive européenne sur le sujet dans un avenir proche me semblent donc illusoires. La résolution des problèmes liés au logement nous oblige à conserver la maîtrise des politiques dans ce domaine.

Le parcours résidentiel, s'il a son importance, est difficile à mettre en oeuvre dans les grandes agglomérations. A Bourges, l'association Saint-François a concentré, sur le site d'un ancien couvent, ce qui participe de l'ensemble d'un parcours résidentiel, à savoir des hébergements d'urgence, un CHRS, une maison relais et des logements sociaux. Là-bas, lorsqu'une personne se retrouve à la rue, elle est immédiatement accueillie dans des dortoirs comprenant 4 places au maximum, et bénéficie d'un accompagnement social. Ainsi, si elle le souhaite, elle pourra se réinsérer très progressivement dans la société en suivant un parcours jalonné d'étapes. Il s'agit d'une expérience remarquable, d'une petite structure idéale à l'échelle d'une ville comme Bourges. La concentration en un même lieu de tous les maillons de la chaîne que représente un parcours résidentiel revêt un caractère pédagogique en permettant à chacun de découvrir les exemples à suivre pour la construction d'un parcours résidentiel. La dimension humaine et presque familiale est ainsi très présente dans la structure qu'a mise en place l'association Saint-François et le travail réalisé y est extraordinaire. Je vous incite à la visiter. Elle constitue pour moi l'exemple d'une offre de parcours résidentiel parfait.

Toutefois, ce type d'expérience peut être rendu plus compliqué, notamment dans le cas d'accueil de personnes étrangères. En tant que maire de Versailles, j'ai connu la difficulté de persuader des SDF, avec des états de santé parfois très dégradés, de rejoindre des hébergements d'urgence. La loi ne nous permet pas d'aller à l'encontre de leur individuelle. Nous ne pouvons les forcer à quitter la rue que lorsqu'un médecin appelle le 115 ou le SAMU médical.

Concernant, enfin, le positionnement du super préfet par rapport aux ministres, je considère que nous avons réellement besoin d'un acteur représentant un véritable coordinateur interministériel, pour dynamiser l'action des préfets. Le problème posé par les personnes sorties de prison et d'hôpitaux psychiatriques est à ce titre emblématique, dans la mesure il ne peut être réglé qu'au travers d'une coordination permanente entre le ministère du logement, les autres ministères et les Présidents de Conseils généraux. Mon souhait était que ce poste de super préfet soit occupé justement par un préfet, de manière à ce qu'il ait la possibilité de dialoguer aisément avec l'ensemble de ses pairs dans les 90 départements français. Sa fonction devrait, par ailleurs, soulager à plus d'un titre les ministres qui auraient affaire à un référent permanent, susceptible de les renseigner sur les obligations et dispositions en matière d'hébergement.

M. Christian DEMUYNCK, Président - Il y a quatre sujets d'étude prioritaires :

- Les logements sociaux qui entrent dans le cadre de la loi SRU mais en sont automatiquement retranchés lorsqu'ils sont vendus, ce qui n'incite pas à en construire.

- Les logements sociaux achetés ou préemptés par les mêmes villes et qui ne sont pas intégrés au logement social, ni pris en compte dans les quotas de logements sociaux exigés dans le cadre de la loi SRU.

- Les infrastructures (crèches, écoles et autres). Nous devons réfléchir à la manière dont l'Etat peut aider les Villes à disposer d'un budget de fonctionnement considérablement accru pour ces infrastructures.

- Les villes ne sont pas associées au processus d'attribution des HLM aux familles ; d'où des manques de cohésions possibles dans l'affectation des logements sociaux. En ce sens, il paraît nécessaire que les maires puissent bénéficier de plus de pouvoir dans ces attributions.

M. Etienne PINTE - Si le seuil de 20 % ou même 25 % de logements sociaux n'est pas atteint, je trouve inapproprié que des bailleurs sociaux vendent tout ou partie de leurs résidences sociales. En effet, si dans un délai de 5 ans, pareils logements n'ont pas été reconstruits, ils seront retranchés du contingent des logements sociaux. Il est donc indispensable de les gérer de manière intelligente. Mais je crois que les maires et les bailleurs sociaux sont désormais conscients de la nécessité d'agir en ce domaine dans le respect de certaines limites.

La préemption de logements par les villes peut les amener à rencontrer des problèmes. Durant les 18 dernières années, les lois en matière de logement ont fortement évolué. Ainsi, en 1990, avec la loi d'orientation sur la Ville, ma ville, Versailles, présentait 20 % de logements sociaux. En 1996, avec la modification de la définition du logement social, ce pourcentage est descendu à 18,5 % ; puis à 15 % après l'adoption de la loi SRU. Grâce à des efforts importants, nous sommes parvenus aujourd'hui à faire remonter ce taux à 17 %. De tels changements législatifs, si rapprochés dans le temps, rendent compliquée la conduite de politiques à long terme.

En la matière, notre action peut servir d'exemple. Elle consiste à préempter des logements, puis à les revendre immédiatement à un bailleur social, nous permettant ainsi de les maintenir dans les contingents relevant de la loi SRU. De ce point de vue, je milite pour confier au bailleur social la gestion des logements sortis du contingent, comme ceux construits par l'Etat pour l'Armée ou par la ville pour les instituteurs, de façon à ce qu'ils intègrent le champ de la loi SRU. L'état actuel de la législation n'incite malheureusement pas les communes à construire ou gérer elles-mêmes le logement social, même si elles interviennent par le biais des garanties d'emprunt ou du surcoût du foncier notamment.

Il nous faut éviter de raisonner de manière trop générale, s'agissant des infrastructures, en raison notamment de la faible démographie. Lorsque j'étais maire de Versailles, j'ai été contraint de fermer certaines classes et groupes scolaires plus assez fréquentés.

Le logement social doit permettre aux villes de mélanger harmonieusement leurs populations et, dans le même temps, de satisfaire des besoins dans le domaine des services à la personne. Certains de nos concitoyens sont a priori opposés au logement social. Ils pourraient, cependant, comprendre la nécessité de loger, dans des conditions accessibles, l'ensemble des personnes aux revenus modestes qui gardent leurs enfants ou s'occupent de leurs parents âgés à domicile. Ainsi, dans certaines villes, le logement social permet de revivifier le tissu social. A Rennes, par exemple, au niveau de la communauté d'agglomération, 1 000 logements sociaux sont construits chaque année. Dans ce cas précis, la problématique sociale a été traitée très en amont, depuis 15 à 20 ans, sur la base d'une culture très axée sur la dimension sociale et la solidarité. Si cet exemple avait été suivi partout en France, le problème du logement n'existerait pas aujourd'hui dans notre pays. Dans la même veine, si la mobilisation au bord du Canal Saint-Martin n'avait pas eu lieu, la loi DALO n'aurait pas vu le jour.

Le relogement des familles en difficultés, lui, dépend du degré d'implication de chaque commune. En effet, au travers des mécanismes de surcharge foncière et de garanties d'emprunt, les Villes ont obtenu des contingents de logements. De ce fait il me semble possible pour elles d'imposer, dans le cadre des commissions d'attribution, le relogement de certaines familles. A défaut, la concertation entre elles et les préfets ou bailleurs sociaux doit permettre de gérer les problèmes les plus urgents.

M. Guy FISCHER - Le PARSA constitue, à mes yeux, le plan le plus difficile à mettre en oeuvre. Le PLA-I, lui, représente le produit le plus approprié aux personnes les plus défavorisées. Il s'agit en effet d'un logement présentant un loyer abordable. Au moment où la précarité explose, la construction de ce type de logements est devenue prioritaire. Par ailleurs, la crise du logement étant telle dans notre pays, le parcours résidentiel idéal à promouvoir devrait comporter plusieurs étapes, amenant au logement d'urgence, puis au logement de stabilisation et enfin à l'insertion. Ce dernier objectif est cependant très difficile à atteindre, comme je peux le constater à Vénissieux où, pourtant, les élus ne traitent pas des problèmes d'hébergement des personnes sans abris ou mal logées, cette responsabilité revenant aux associations.

Je partage votre avis selon lequel l'analyse des situations devrait reposer sur les trajectoires des personnes ainsi que sur leurs conditions de vie. Sinon, la création, insuffisante, de places en CHU et CHRS risque de buter sur des problèmes humains. En ce sens, nous devons mobiliser des moyens suffisants pour permettre un réel accompagnement humain, sous peine de courir à l'échec. Mon expérience personnelle m'a ainsi montré que de nombreux jeunes doivent parfois subir les conséquences d'une baisse des moyens de financement.

Il me semble, dans ce contexte, que nous devons agir davantage au niveau de la prévention. Pour reprendre une formule utilisée dans un rapport, il ne faut pas éponger l'inondation sans penser à fermer l'arrivée d'eau.

M. Etienne PINTE - Le manque d'accompagnement humain touche 90 % des centres d'hébergement et d'accueil. Notre expérience sur le terrain nous a montré le rôle indispensable des associations, sans lesquelles la situation du logement en France, sur les plans quantitatif et quantitatif, serait encore plus dramatique et porterait en elle un risque d'explosion sociale. J'ai visité hier, dans le 19e arrondissement de Paris, une association qui s'occupe des parents en grande fragilité. Ailleurs en France, il existe des centres d'accueil pour les mères avec leurs enfants, mais où leurs compagnons ne sont pas accueillis, ce qui a tendance à fragiliser les couples et donc les familles. Dans ce centre du 19e arrondissement, en revanche, c'est le couple qui est reçu. Il s'agit d'une bonne mesure et j'appelle à la création de centres parentaux, construits sur le modèle des centres maternels, afin de permettre aux pères de ne pas se sentir isolés de leurs familles et de ne pas les inciter à les abandonner. Il serait paradoxal qu'une politique se disant familiale ignore les pères. C'est l'ensemble de la cellule familiale qui doit être accueillie dans les centres. Cette initiative basée dans le 19e arrondissement de Paris est unique en France. Elle constitue pour nous une réelle découverte, une démarche aussi intelligente qu'intéressante.

De même, à Lyon, à Notre-Dame des sans abri, une structure d'accueil des personnes en grande fragilité psychique est en train d'être mise en place. Ces deux exemples démontrent clairement que c'est le milieu associatif qui, grâce à sa connaissance permanente du terrain, identifie, de la manière la plus précise, les besoins et permet ainsi de créer les structures adaptées pour y répondre, lorsqu'il reçoit le soutien des autorités locales (DASS, préfets ou DRASS). De telles solutions innovantes ont malheureusement des difficultés à être reconnues et accompagnées dans un pays comme le nôtre, où les directions en charge des affaires sociales répondent souvent à des règles trop formatées. En tout cas, l'accompagnement social demeure fondamental, quelles que soient les personnes en difficulté.

Mme Jacqueline PANIS - S'agissant du patrimoine de l'armée, bâti ou non, que vous avez évoqué, le plan Armée 2000 fonctionne déjà pleinement dans les zones urbaines, avec la mise en place d'une phase de restructuration profonde. Dans ce contexte, comment pensez-vous concilier l'offre de logements qui se situe surtout dans les petites communautés de communes ou dans le monde rural avec la demande de logements, émanant principalement des villes ? Des processus de mutations sont-ils envisagés ?

M. Etienne PINTE - La fermeture de casernes ne posera pas de gros problèmes en milieu urbain. En revanche, dans des communes modestes où les militaires représentent parfois la moitié de la clientèle des commerces, elle créera de grandes difficultés. J'ai abordé le sujet avec M. Hervé Morin. Selon lui, la démarche retenue pour la restructuration des armées est la suivante. Tout d'abord, le Président de la République devra effectuer un arbitrage d'ici le mois de juin. Après quoi, une annonce officielle devrait intervenir sans doute au début du mois de septembre. L'application des décisions s'étalera ensuite sur une période de trois ans. Ce délai permettra ainsi à toutes les collectivités concernées de déterminer, en concertation avec le ministère de la Défense, les autres ministères et les préfets, après un recensement des locaux libérés par l'armée, la manière la plus efficace d'aborder le sujet. Le ministère de la Défense est d'ailleurs prêt à apporter son concours, en cédant certains de ses biens à des conditions avantageuses et en aidant à en reconvertir d'autres. Il est évident qu'une ville comme Tulle, par exemple, connaîtrait une situation dramatique si son dernier régiment venait à partir sans bénéficier d'aucune mesure d'accompagnement. C'est le rôle du gouvernement que de faciliter cet accompagnement, notamment en incitant les entreprises à venir s'installer sur les sites abandonnés ou en reconvertissant ces derniers.

Mme Jacqueline PANIS - Je vous remercie pour les précisions que vous venez d'apporter. Cependant, ma préoccupation concerne plus précisément la population des demandeurs d'emploi situés principalement en ville. Quelle serait la meilleure solution pour inciter ces personnes à se délocaliser ?

M. Etienne PINTE - Sur ce sujet comme sur d'autres, il est indispensable de raisonner au cas par cas. Les villes qui seront confrontées à des problèmes seront principalement les villes moyennes. Je ne pense pas que les personnes devront être expatriées, même si elles sont sans domicile fixe, dans le cas où elles ne pourraient pas bénéficier d'un accompagnement social pour retrouver un travail. Il serait absurde de déplacer des gens dans des casernements à la campagne sous prétexte que ceux-ci pourraient les loger. Un tel scénario nous exposerait au risque de créer de véritables ghettos ruraux.

Des mesures d'accompagnement social et de formation professionnelle sont indispensables pour avoir une réelle adéquation entre les besoins et les ressources en matière de logement. Ainsi, le projet de construire des logements sociaux sur la base de Satory à l'extérieur de Versailles constituait pour moi une absurdité, dans le sens où il aboutissait à maintenir des personnes à l'écart de la ville et à ne pas les intégrer à une réelle vie de quartier, indispensable pour qu'ils aient le sentiment d'appartenir à la ville.

Mme Bernadette DUPONT - Je fais partie de la mission consacrée aux personnes âgées et handicapées. Dans le prolongement de ce que vient de dire mon collègue, je souhaite suggérer une piste de travail. Récemment, j'ai visité, dans le Sud des Vosges, une zone quasiment désertée, mais où subsistent quelques villages composés de maisons forestières et de personnes âgées totalement abandonnées. Le nombre de candidats recrutés pour assurer les services d'aide à la personne étant loin d'avoir atteint l'objectif fixé, n'y aurait-il pas des opportunités de réinsertion dans ces régions et ce domaine d'activité ?

M. Etienne PINTE - Il s'agit d'une piste intéressante. Je souhaitais moi-même évoquer la possibilité d'insérer des gens en leur confiant la remise en état du logement indigne, insalubre ou indécent en milieu rural où il est très présent. Selon une association du Nord de la France, 48 % des logements du département du Nord représentaient des logements indécents ; la raison en étant que la plupart de ces habitations sont occupées par leurs propriétaires à qui il est difficile de demander la réhabilitation de leurs lieux de vie. Un recensement rigoureux des logements indignes doit donc être effectué dans le milieu rural.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Je vous remercie pour l'intérêt de cette dernière observation.

M. Christian DEMUYNCK, Président - Merci d'être venu.

Audition de M. Alain RÉGNIER, préfet délégué général à la coordination de l'hébergement et de l'accès au logement des personnes sans abri ou mal logées - (20 mai 2008)

M. Christian DEMUYNCK, Président - Monsieur le Préfet je vous remercie d'être venu jusqu'à notre commission, votre présence ici nous étant apparue indispensable du fait du champ de vos attributions. Je vous invite, dans un premier temps, à faire un bilan des observations que vous avez pu faire sur le terrain, puis, dans un deuxième temps, à évoquer vos propositions pour améliorer la situation du logement en France. Après quoi, si vous le souhaitez, vous répondrez aux questions de notre rapporteur et des autres personnes concernées par le sujet dont il est question aujourd'hui.

M. Alain RÉGNIER - Monsieur le Président, Mesdames Messieurs les sénateurs, j'ai donc été officiellement nommé à mon poste samedi dernier, celui de coordinateur général des politiques d'accès à l'hébergement et au logement des personnes, proposé en janvier dernier par M. le député Etienne Pinte. Je suis, en quelque sorte, l'enfant né de la préconisation faite par ce dernier.

J'ai acquis une expérience dans le domaine de l'hébergement depuis une vingtaine d'années, aussi bien au sein de l'administration préfectorale que dans le cadre de l'administration centrale. J'ai ainsi fait partie des cabinets de M. André Périssol en 1995, puis de Mme Dominique Versini, Mme Nelly Ollin et M. Dominique de Villepin. Au vu de ce que je connais, je crois que nous n'avons pas à rougir de ce que les gouvernements successifs ont entrepris dans le secteur du logement depuis une vingtaine d'années. Pour autant, j'ai l'honnêteté intellectuelle de reconnaître que les efforts entrepris n'ont pas permis de répondre suffisamment aux problèmes de grande précarité, si difficiles à quantifier.

En particulier, je m'attacherai à traiter, de manière objective, la demande sociale de ceux qui se trouvent à la rue ou mal logés. Les profils des personnes vivant dans la rue ont évolué en effet et à ceux qu'on y rencontrait habituellement se sont ajoutés notamment, surtout depuis le début des années 2000, des demandeurs d'asile et des personnes étrangères provenant de l'Union européenne. Il existe donc une typologie nouvelle des sans abri et des personnes mal logées. Ainsi, plus de 30 % des SDF qui avaient pris possession des bords du canal Saint-Martin n'étaient pas de nationalité française. La résolution des problèmes de logement est donc encore plus complexe aujourd'hui que par le passé. Car elle oblige à s'occuper de personnes qui ont parfois vieilli dans la rue et sont devenues agressives. Le travail des acteurs sociaux en est rendu très difficile.

Comme j'ai pu le constater lorsque j'étais en charge des politiques de la ville, les politiques publiques ont souvent été menées en réaction à des crises successives. Ainsi, chaque nouvelle émeute urbaine entraîne la mise en place de nouvelles politiques publiques et la mobilisation de nouveaux moyens. De même, chaque nouvelle tension ou crise (incendies mortels de l'hôtel Opéra et de l'immeuble Vincent Auriol, occupation de la rue de la Banque, distribution de tentes, etc.) nous renvoie à des situations dramatiques. Les pouvoirs publics sont ainsi interpellés par la société civile sur le nombre trop élevé de personnes vivant dans la rue, lequel angoisse l'opinion publique. Selon une étude récente, 60 % des Français redoutent de devenir un jour SDF. Les classes moyennes françaises ont peur de sombrer dans la grande exclusion, un phénomène qui ne se rencontre dans aucun autre grand pays européen. Enfin, la majorité de la population hexagonale considère que la vie de leurs enfants sera moins bonne que la leur. Cette donnée témoigne d'un fort pessimisme général.

L'apparition, dans la période récente, du phénomène des travailleurs pauvres constitue une autre nouveauté. Une étude commandée par M. Xavier Emmanuelli faisait apparaître qu'à l'hiver 2006, 15 % des personnes appelant le SAMU social de Paris détenaient un contrat de travail.

Toutes ces évolutions s'inscrivent dans un contexte de crise du logement qui n'a pas été anticipée dans les années 80 et 90 et découle de la conjonction du vieillissement de la population et de l'éclatement des familles. La situation actuelle nécessite donc une meilleure articulation des politiques publiques. Tel est l'objet de ma mission.

Dans le même temps, la situation française est particulière par rapport à celle des autres pays européens. Dans notre pays, en effet, la compétence en matière de grande exclusion a été réservée à l'Etat, malgré les vagues de décentralisation, alors que, chez nos voisins, elle est beaucoup plus décentralisée. Pourtant, l'Etat a délégué l'essentiel de ses compétences dans le domaine social aux conseils généraux et ne dispose donc plus sur le terrain de travailleurs sociaux susceptibles de lui permettre de mener des enquêtes. La complexité de cette réalité se manifeste d'ailleurs pleinement au travers de la mise en oeuvre du droit au logement opposable, qui relève d'une responsabilité de l'Etat. Nous constatons à ce sujet que l'objectif estimé de permettre à plusieurs centaines de milliers de familles potentiellement prioritaires d'obtenir un logement est encore loin d'être atteint. Nous devons, dès lors, mener une réflexion sur l'identification des publics potentiellement concernés et dits prioritaires.

L'exclusion est différente à Paris et en Ile-de-France que dans les autres grandes agglomérations françaises. La souffrance et la précarité en milieu rural sont beaucoup moins visibles et font souvent l'objet d'une attention moindre qu'en milieu urbain. Malgré tout, elles ne doivent pas, non plus, être oubliées.

Les crédits d'intervention de l'Etat pour la lutte contre l'exclusion ont doublé au cours des dix dernières années, chaque crise entraînant la mobilisation de moyens supplémentaires. Mais la relation qu'entretient l'Etat avec le milieu associatif dans ce domaine n'est pas parfaitement saine dans la mesure où l'administration ne tient pas tous ses engagements. Notre capacité à négocier l'évaluation des associations en est de fait très limitée. Notre contentieux avec la FNARS et les CHRS depuis une dizaine d'années est, à ce titre, exemplaire. En effet nous allouons, par dotations exceptionnelles, les dotations de fonctionnement des établissements, alors que, dans le même temps, le taux de progression officiel des dotations de la direction générale de l'Action sociale est très inférieur, annuellement, à l'augmentation réelle des coûts des structures. De fait, chaque année, même avec la réinjection de moyens financiers, il existe un décalage entre les dépenses des établissements et les budgets qu'ils reçoivent pour les couvrir. Un contentieux peut ainsi potentiellement réapparaître régulièrement.

Depuis 2002, nous ne sommes pas parvenus à sortir du cercle vicieux selon lequel, chaque année, est pris un décret d'avance se traduisant par l'injection de moyens supplémentaires (de l'ordre de 10 à 15 %) au travers de la loi de finance. Nous devons, dès lors, faire face à un problème de sous-budgétisation des crédits de base. M. le sénateur Bernard Seillier, rapporteur de cette mission, s'est toujours efforcé d'obtenir l'exonération du gel budgétaire de ces crédits qui sont, comme les autres crédits de l'Etat, frappés par une régulation presque systématique, avec la loi de finance, dès le mois de janvier. La situation est donc complexe pour les services de l'Etat qui doivent, dans le même temps, faire face à la RGPP et s'interroger sur la manière dont ils vont être réorganisés aux niveaux régional et départemental. Les DASS sont, pour leur part, dans l'expectative concernant la création des Agences régionales de la Santé.

Le panorama que je dresse montre qu'il existe de nombreuses difficultés pour agir et qu'un grand nombre de nos concitoyens sont obligés parfois de vivre dans des conditions inacceptables et indignes. Même si beaucoup a déjà été entrepris pour améliorer la situation du logement en France, la somme de travail que je me dois de fournir demeure très importante. Je crois que nous devons désormais changer de méthode de travail. Il ne suffit plus d'avoir des budgets conséquents pour mener de bonnes politiques. Il faut aussi déterminer de véritables objectifs chiffrés. Le Parlement européen a ainsi adopté, le 10 avril dernier, une résolution visant à tendre vers 0 SDF en 2015 ; une perspective qui fait écho à une proposition de M. Lionel Jospin durant la campagne présidentielle de 2002 ainsi qu'aux objectifs ambitieux en matière de réduction de la pauvreté évoqués de M. Martin Hirsch.

Pour atteindre nos buts, il nous faut, en premier lieu, définir le périmètre sur lequel nous devons intervenir et les publics auxquels nous souhaitons apporter des réponses. Dans le cadre de ma mission, je ne serai pas entouré d'une équipe pléthorique. Elle se résumera seulement à cinq personnes, ce qui sera suffisant dans un premier temps, et s'efforcera de faire travailler ensemble les administrations centrales qui, malgré les nombreux efforts entrepris pour les rapprocher, restent cependant très cloisonnées. Enfin, comme je l'ai expliqué, ma vocation sera d'agir sur le terrain comme un véritable catalyseur, afin de faciliter le déroulement des processus, en recueillant les besoins et en y apportant les réponses adéquates à l'échelle interministérielle, grâce à la position que je tiens auprès du Premier ministre.

Nous avons obtenu, il y a quelques jours, le déblocage des crédits annoncés par ce dernier à la fin janvier. Ainsi, 182 millions d'euros supplémentaires ont été notifiés aux Préfectures de régions. Ce montant est très proche de celui sur lequel le Premier ministre s'était engagé. De plus, quelques millions d'euros ont été conservés au niveau central pour mener certaines expérimentations qui pourraient nous apparaître prioritaires dans les semaines à venir. La détermination du budget 2009 reste en suspend. Ainsi, si la direction du budget envisage de reconduire les mesures engagées à la suite du rapport Pinte, elle nous demande aussi de prévoir, à due concurrence, le même montant d'économies. Nous devons donc, dans ce contexte, tous nous atteler à réformer nos politiques publiques pour les rendre plus efficaces.

J'au toujours soutenu les dépenses sociales car celles-ci, même si elles peuvent parfois paraître élevées, constituent autant de sources d'économies futures pour la société française et le budget de l'Etat. L'amélioration de la cohésion sociale dans notre pays, s'il est difficile à mesurer, devrait contribuer à renforcer le crédit que les Français portent aux politiques sociales menées. Au-delà des moyens qui seront mis à ma disposition, ma mission doit s'inscrire dans le cadre d'une démarche pragmatique axée sur l'évaluation, selon le modèle anglo-saxon. Je considère en effet que nous n'avons pas réalisé suffisamment d'études sur le long terme pour nous permettre d'étudier le devenir des personnes ayant bénéficié de dispositifs publics pendant 5 ou 10 ans. Aussi il est grand temps de mener une véritable évaluation territoriale, à l'échelle nationale, de l'efficacité des politiques publiques engagées. Au regard de leur niveau très élevé, nous sommes en droit, en tant que citoyens, de savoir comment les sommes dépensées dans le domaine social ont été utilisées.

Ma vision peut paraître iconoclaste. Mais dans un sens, un véritable marché de l'exclusion a vu le jour et il profite à certains. Certains de nos partenaires adoptent parfois une attitude ambiguë, qu'ils peuvent avoir aussi dans le cadre d'autres politiques ayant trait, par exemple, à la ville, la rénovation urbaine et l'emploi. Nous devons désormais tenir un discours franc, basé sur la confiance, à l'égard de nos partenaires, afin de nous permettre de nous projeter à demain. A mes yeux, le traitement de la précarité et de l'exclusion repose toujours sur une méthode datant de la deuxième moitié du vingtième siècle. Or devant les nouvelles formes de précarité et d'organisation sociale et les nouvelles modalités du travail, il convient aujourd'hui d'adapter nos politiques publiques. Tel est l'enjeu de la mission que je mène auprès du Premier ministre. Je souhaite, avec votre aide, contribuer à démontrer que, dans une république, il ne faut pas laisser les gens au bord de la route et tenter d'apporter de vraies réponses à leurs problèmes.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Il serait erroné de penser que M. Alain Régnier est chargé d'une simple mission technique subsidiaire. Les propos qu'il vient de tenir démontrent l'ambition avec laquelle il souhaite occuper sa fonction ; une ambition qui en accompagne une autre, portée par la loi DALO, de donner à la politique la possibilité de reconquérir du terrain sur la finance et l'économie. La politique s'attache en effet à la vie de la cité. Derrière le problème du logement, se retrouve l'essence même de la politique, le vivre ensemble. Or vivre en tant qu'être humain, c'est vivre sous un toit.

Il aurait était inconcevable que la fonction de M. Alain Régnier ne soit pas à la hauteur d'une telle ambition. Je vous félicite, M. le super préfet, de porter celle-ci et me permets de vous demander si, en accord avec le Premier ministre, vous avez fixé un délai à l'issue duquel les résultats que vous aurez obtenus pourront être jugés. Nous nous trouvons aujourd'hui véritablement à un moment charnière pour repenser la cohésion sociale et le vivre ensemble.

M. Alain RÉGNIER - Ma mission doit se poursuivre jusqu'en 2012. Dans ce contexte, je souhaite agir tant sur le court terme que sur le moyen terme et, d'ici la fin de l'année, avoir initié les nouvelles méthodes et diagnostics que j'ai évoqués précédemment et inauguré le chantier de l'observation à l'échelle nationale. Dans le même temps, j'entends agir sur le terrain, notamment pour développer le nombre de maisons relais pour faire passer leur nombre de places de 4 700 places à 12 000. Cette action exige la mise en place d'une programmation territorialisée.

Je souhaite également formuler des propositions à moyen terme pour modifier profondément, à l'horizon de 2012, la manière de traiter les problématiques sociales. Je considère en effet que la mission essentielle de l'Etat est d'aider nos concitoyens en difficulté et que les mesures qui bénéficient aux plus faibles doivent profiter à l'ensemble de la société en favorisant sa cohésion.

Je me dois, par ailleurs, de reconnaître que mon poste a aussi été créé afin de desserrer la pression qui pèse sur le gouvernement, notamment pendant la période hivernale où les Français expriment une compassion plus intense à l'égard des personnes vivant dans la rue. J'aurais préféré que ma nomination intervienne plus rapidement. J'aurais ainsi disposé de plus de temps pour mettre en place mon équipe et conduire un certain nombre d'actions. J'ai réussi à m'atteler à la tâche dès le début avril et ferai tout ce qu'il m'est possible de faire d'ici la fin 2008.

Dans le souci de régler les problèmes qui se posent à court terme mais aussi à moyen terme, j'ai rencontré ce matin le directeur du GIP Habitat-Intervention sociale en Ile-de-France, avec pour objectif de définir avec lui un protocole d'intervention de l'Etat en situation de crise. Le but de cet accord est de nous permettre d'anticiper des évènements comme l'incendie qui a lieu récemment dans un immeuble à Saint-Denis et de permettre à l'Etat de collaborer avec les collectivités locales plus efficacement.

D'autres mesures seront présentées en comité interministériel de lutte contre l'exclusion. Par ailleurs, il est probable qu'à partir de janvier prochain, je prenne en charge le pilotage de la mission nationale de l'habitat indigne, du fait du départ en retraite de sa responsable.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Considérez-vous que les moyens alloués à votre mission soient suffisants ? Ne craignez-vous pas que votre action soit monopolisée par le traitement des situations de crise et d'urgence ?

M. Alain RÉGNIER - Après l'incendie qui a eu lieu dans un immeuble en Seine Saint-Denis, le préfet m'a contacté pour me demander le déblocage d'un certain nombre de logements. Je lui ai expliqué, à cette occasion, que ma mission ne saurait se réduire à la gestion des crises. J'ai tenu le même discours aux cabinets du Premier ministre et de Mme Christine Boutin. Je suis tout à fait prêt à participer à l'élaboration et à la définition d'un protocole de gestion des crises. Mais je me refuse fermement à devenir lune sorte de « Monsieur crise ». Je reçois déjà des lettres de demande d'intervention personnelle. J'ai parfaitement conscience que la gestion de situations de crises collectives ou individuelles représenterait pour moi une charge trop prenante et de la tentation des cabinets ministériels à vouloir m'utiliser. Mais j'ai su, dès le début de mon action, résister à leurs demandes et je continuerai à le faire.

M. Guy FISCHER - Nous venons de quitter l'hiver, période durant laquelle les associations mettent des places d'hébergement d'urgence à la disposition des mal logés et des sans abri. De quelle manière pourrait-on, selon vous, agir plus en amont et de manière humaine, afin de ne pas avoir à effectuer ce travail ? J'ai, pour ma part, été confronté à cette réalité dans la ville de Vénissieux durant des décennies.

M. Alain RÉGNIER - Concernant la prévention des expulsions, à Vaulx-en-Velin, un protocole a été mis en place entre le CCAS et le conseil général du Rhône. Cet accord prévoit une visite au domicile d'un locataire des services sociaux dès que celui-ci n'a pas payé son loyer pendant deux mois d'affilée. Deux ans après la mise en place de ce processus, le nombre de procédures d'expulsion engagées a été diminué de moitié. Je crois profondément aux bienfaits de l'intervention sociale, ayant été moi-même confronté à plusieurs drames humains par le passé, du fait du manque d'implication de certaines institutions. J'ai ainsi connu le cas, à Cergy, d'une personne qui, bien que suivie, s'est défenestrée. Personne n'avait noué de véritable contact humain avec elle. Je souhaite favoriser la prévention des expulsions, au travers d'un repérage en amont des difficultés des ménages. A Vaulx-en-Velin ou dans d'autres départements, certains acteurs ont su changer leurs pratiques, ce qui leur a permis de réduire la pression s'exerçant sur le Fonds de solidarité pour le logement. Une telle politique a donc un double intérêt : un intérêt humain et un intérêt budgétaire. Je partage ainsi pleinement la volonté de réduire les causes amenant un trop grand nombre de personnes à vivre dans la rue

En parallèle, nous devons agir sur les conséquences de l'exclusion. Selon la FNARS, 30 % des 3 7000 places de CHRS seraient occupées par des gens qui ne devraient plus s'y trouver. Or dans le même temps, 12 000 personnes pourraient accéder à un logement social ou à un logement du parc privé en bénéficiant d'une intermédiation. C'est pourquoi nous devons nous donner les moyens de sortir les personnes des structures d'hébergement d'urgence et des dispositifs d'insertion pour les faire accéder à un vrai logement. Je ne veux pas, comme je l'ai indiqué au directeur de cabinet du Premier ministre, qu'on statufie l'urgence sociale. La solution pérenne au problème de logement ne peut se traduire que par la mise à disposition d'un vrai toit. Le nombre de places d'hébergement, de stabilisation ou d'insertion créées importe peu si on ne permet pas aux personnes en difficultés de quitter ces dispositifs.

Nous devons donc à la fois prévenir les situations conduisant à la grande exclusion et faire en sorte que les personnes puissent sortir des dispositifs d'urgence. Ce qui s'est déroulé au bord du canal Saint-Martin avec l'installation de tentes a montré combien il est difficile de reloger des personnes habituées à vivre dans la rue depuis longtemps ; d'où l'obligation de mettre en place, comme dans les pays anglo-saxons, des référents chargés de suivre les gens pris en charge dans le temps. Au Canada, ce suivi dure entre 6 mois et 1 an après la sortie des personnes des dispositifs d'urgence. Il repose sur le recueil de leurs témoignages.

Mme Brigitte BOUT - Il est sans doute plus aisé de connaître directement les personnes en difficulté dans des communes rurales, même si la catégorie des travailleurs pauvres demeure, elle, plus difficile à identifier. Le fait qu'EDF prévienne les mairies dans les cas de défaut de paiement nous permet de prendre contact avec les familles concernées et de mener une action préventive auprès d'elles.

M. Alain RÉGNIER - Il n'a pas été aisé de convaincre EDF à agir de la sorte. Mais ce processus d'alerte mis en place constitue en effet une avancée. A Lyon, j'ai demandé à présider à deux reprises les commissions de surendettement à la Banque de France. Il me semble nécessaire de croiser l'ensemble de nos actions. L'intervention sociale demeure actuellement trop éclatée.

Même dans les grandes communes, ce sont les mairies et les CCAS qui disposent de la connaissance la plus fine de la manière dont les populations vivent sur leurs territoires. Ils sont donc les mieux placés pour tenter d'apporter des réponses à leurs problèmes.

Enfin, certains individus éprouvent de la honte vis-à-vis de leur situation et n'osent pas solliciter des aides auxquelles elles auraient pourtant légitimement droit. C'est pourquoi il me semble nécessaire d'agir pour mieux les informer sur leurs accès aux droits.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Je souhaiterais recueillir votre avis sur la procédure de révision du surloyer.

M. Alain RÉGNIER - Il s'agit d'une des premières mesures d'application de la réforme de l'Etat proposée par le conseil de modernisation. Elle doit être appréhendée dans le cadre d'un débat plus général que nous devons mener collectivement, en abordant certains sujets sans aucun tabou, comme celui de l'occupation des logements du parc social.

Concernant la mise en place d'un surloyer - mesure que Pierre-André Périssol avait proposée en 1996 -, je considère, aussi bien sur le plan intellectuel que d'un point de vue politique, comme étant normal de demander à des personnes ayant bénéficié d'un logement social et donc de la solidarité nationale de fournir un concours financier supplémentaire lorsque leur situation s'améliore. Le problème posé ici renvoie à notre volonté d'imposer la mixité sociale. A ce titre, je rappelle que les zones urbaines sensibles sont exonérées des plafonds de ressources et des surloyers. Je me suis souvent interrogé sur le niveau de compensation financière que nous devrions accorder à une famille française type pour l'inciter à habiter un logement sur le plateau des Minguettes par exemple.

M. Guy FISCHER - Les personnes refuseront de partir vivre à cet endroit.

M. Alain RÉGNIER - Ce refus supposé interpelle l'ensemble de la société française et renvoie au regard critique que nous portons sur les quartiers. De ce point de vue, la pratique du surloyer me paraît juste si elle s'inscrit dans le cadre d'une démarche cohérente nous obligeant à nous pencher sur l'occupation du parc social. Nous disposons de plus de quatre millions et demi de logements sociaux et devons nous demander concrètement qui doit avoir le droit d'en bénéficier. Le parlement doit prendre part à ce débat.

M. Christian DEMUYNCK - Il s'agit d'un vrai débat. Certaines familles peuvent occuper un même logement social depuis vingt ou trente ans et nous devons savoir quelle attitude il convient d'avoir avec elles si, par exemple, le mari décède ou des enfants quittent le foyer.

M. Alain RÉGNIER - Aux Pays-Bas, il existe un système, que personne ne trouve choquant, de petites annonces, fonctionnant comme une bourse et permettant une réelle rotation des familles dans les logements sociaux.

M. Guy FISCHER - Ce dispositif n'entraîne-t-il pas une augmentation exagérée des loyers ?

M. Alain RÉGNIER - Il existe des situations justes et d'autres injustes. Ainsi, dans le Rhône, j'ai pu observer des cas de rénovation urbaine menés par l'ANRU où il était proposé à des ménages âgés de rénover leur quartier, mais au prix d'une hausse supplémentaire de 11 % de leur loyer en trois ans. Il s'agit là d'une situation injuste.

Nous devons aborder ces sujets avec franchise, sans tabou. L'engagement selon lequel les programmes de rénovation urbaine ne devaient pas se traduire par des augmentations de charges pour les ménages a été contredit sur le terrain, comme j'au pu le constater comme préfet en charge de la cohésion sociale. Le niveau, moins élevé que prévu, des subventions accordées et la hausse des coûts des travaux ont fait que ces structures ont présenté des prix de revient plus importants qu'attendus. Leurs occupants ont dû en assumer les conséquences et sont devenus ainsi une véritable variable d'ajustement.

Les charges, aujourd'hui, ont tendance à augmenter davantage les loyers ; d'où notre priorité d'agir en direction d'une amélioration de la solvabilité des ménages en traitant, par exemple, l'APL dans sa dimension globale pour éviter son saupoudrage généralisé et aider les personnes en difficulté à sortir la tête de l'eau. Dans le Rhône, des ménages quittent l'Est de Lyon pour emménager dans un pavillon situé à quarante kilomètres de la ville, les obligeant ainsi à posséder deux voitures et donc à s'endetter pour se déplacer. Les taux d'endettement des ménages ayant accédé à la propriété à l'extérieur des grandes villes sont ainsi devenus supérieurs à ceux des ménages vivant en centre ville. Ces réalités devraient être mieux prises en compte et intégrées au débat.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - La pratique du surloyer représente une mesure de justice. Toutefois, je pense nécessaire de procéder à une analyse globale des situations individuelles pour éviter à des personnes déjà surendettées de s'orienter vers des solutions susceptibles de les endetter encore davantage.

M. Alain RÉGNIER - Il serait souhaitable que les structures HLM soient interpellées sur leurs pratiques et que les responsables d'agences ne soient pas jugés uniquement sur le taux d'impayés des loyers mais aussi sur la qualité des prestations délivrées.

M. Christian DEMUYNCK, Président - M. le préfet, je vous remercie de votre intervention.

Audition de Mme Marie-Claire CARRÈRE-GÉE, présidente, MM. Louis-Paul PELÉ, secrétaire général, et Yann DEBOS, chargé de mission au secrétariat général du Conseil d'orientation pour l'emploi (COE) - (Mardi 27 mai 2008)

M. Christian DEMUYNCK, Président - Madame la Présidente, Monsieur le secrétaire général, Monsieur le chargé de mission, je vous remercie d'être venus aujourd'hui à notre rencontre. Notre mission poursuit trois objectifs : réaliser une évaluation pertinente des politiques menées, identifier les difficultés que les différents acteurs ont pu rencontrer et formuler des propositions d'actions.

Votre action consistant à poursuivre ce triple objectif dans le domaine des dispositifs d'aide à l'emploi, elle revêt pour nous un profond intérêt.

Il pourrait être judicieux que vous nous présentiez dans un premier temps votre travail. M. Bernard Seillier, notre rapporteur, vous posera ensuite certaines questions, et enfin nos collègues vous demanderont d'éventuelles précisions complémentaires.

Mme Marie-Claire CARRÈRE-GÉE - Je vous remercie, M. le président, de votre invitation. En introduction, je souhaiterais vous présenter le Conseil d'orientation pour l'emploi. Cette instance existe depuis deux ans. Elle repose sur le modèle du Conseil d'orientation pour les retraites, dont elle a repris le principe de réunir les partenaires sociaux, les administrations en charge des questions relatives à l'emploi (telle l'INSEE pour les données statistiques, ou l'ANPE pour l'accompagnement des demandeurs d'emploi), des personnalités qualifiées, des représentants des collectivités territoriales, ainsi que des représentants de l'Assemblée nationale et du Sénat. Notre volonté consiste donc à rassembler ces différents acteurs dans un cadre leur permettant d'atteindre ensemble des consensus sur des décisions à prendre en matière d'emploi. Les consensus sont en effet rares en France dans ce domaine, ce qui légitime l'existence de notre institution, reconnue pour ses capacités d'expertise et, par l'ensemble des partenaires sociaux et des pouvoirs publics, pour les avis qu'elle formule.

Je souhaite évoquer, dans un premier temps, avant de répondre à vos questions, la saisine gouvernementale dont nous avons fait l'objet au sujet du RSA ; saisine qui nous est parvenue en février dernier. Nous avions l'anticipée en constituant des groupes de travail dès le mois de novembre et avons bénéficié de deux journées de séance plénière, les 20 et 23 mai derniers, pour adopter notre avis sur le sujet.

Je voudrais également vous préciser les modalités de fonctionnement du COE dans la mesure où elles diffèrent de celles du Parlement. En effet, notre vocation est, profondément, de forger des consensus. Ainsi, nous fournissons, dans un premier temps, un travail de fond significatif, dans le cadre de groupes de travail qui réalisent des auditions. Puis, nous intégrons, au texte de base que nous avons élaboré, dans le cadre des séances plénières, l'ensemble des remarques des différents participants en veillant à ce qu'elles réunissent l'accord d'une majorité. Nous ne procédons ainsi que rarement à des votes formels, mais privilégions un processus de discussion et d'intégration progressive des différentes réflexions, où chacun peut être amené à moduler sa position initiale en fonction de celles des autres.

Dans le cas du RSA, notre avis a été adopté à l'unanimité. Sur ce sujet, nous nous sommes efforcés de nous pencher sur les termes contenus dans la saisine gouvernementale, ainsi que sur notre domaine d'expertise privilégié : l'emploi. A titre d'exemple, nous n'avons pas abordé le sujet de la prime pour l'emploi sous l'angle de la redistribution, mais au contraire sous l'angle du travail des femmes, notamment en couple, et du travail des jeunes.

Dans le même esprit, l'ensemble des membres du COE a conscience que l'objectif fondamental du RSA est de lutter contre la pauvreté, et que le retour à l'emploi ne constitue qu'un objectif secondaire. Nous nous sommes ainsi attachés à répondre précisément aux questions posées par la saisine gouvernementale sur l'impact souhaitable du RSA sur le marché du travail et les mécanismes d'incitation pour optimiser cet impact, afin que la qualité de l'emploi, l'accompagnement des bénéficiaires, les bi-activités et les liens avec l'assurance chômage soient du mieux possible. A défaut d'un projet gouvernemental précis sur l'ensemble de ces sujets, nous n'avons pu appuyer nos travaux que sur un livre vert et sur deux principes : chacun doit pouvoir vivre de son travail et il faut lutter contre la pauvreté par l'emploi.

L'avis formulé par le COE affirme en premier lieu que le projet du RSA est vertueux pour notre pays, d'abord dans son principe même. Il nous pousse ainsi à appréhender l'univers du chômage de manière renouvelée en tenant compte notamment de phénomènes comme le sous-emploi ou le découragement à la reprise d'un emploi, et nous incite ainsi à traiter du travail au-delà de sa dimension institutionnelle, par-delà le prisme des statuts. Il donne, par ailleurs, un nouvel élan aux politiques en matière d'insertion professionnelle.

Nous estimons que plusieurs conditions doivent être remplies pour que le RSA honore ses objectifs. En premier lieu, il est nécessaire que ce projet soit mené en parallèle et de manière coordonnée avec les entreprises consistant à fusionner l'ANPE et l'ASSEDIC, à réformer la formation professionnelle et la sécurisation des parcours. En second lieu, le COE estime que le RSA n'est qu'une des solutions pour répondre au problème du retour à l'emploi, dans la mesure où celui-ci n'est pas d'ordre monétaire, mais s'explique par un manque d'emploi disponible et une inadéquation entre la qualification demandée et celle proposée, entre la demande et l'offre de travail.

S'il peut favoriser l'accès ou le retour à l'emploi de personnes qui en sont exclues depuis longtemps, le RSA devra, cependant, veiller à ne pas cautionner l'évolution du marché de l'emploi vers des emplois faiblement rémunérés et de courte durée.

Afin d'exposer les conditions nécessaires, selon nous, à une mise en place vertueuse du RSA, j'évoquerai tout d'abord le sujet de la bi-activité. Nous considérons à ce sujet que si le remplacement prévu de la PPE et des différents mécanismes d'intéressement par le RSA devait réellement être mis en place, il rendrait l'activité des femmes vivant en couple moins favorable qu'elle ne l'est aujourd'hui. C'est dans ce contexte que nous avons proposé au gouvernement d'étudier la mise en place de différents dispositifs susceptibles de limiter ce risque, tels qu'une prime à la bi activité ou le maintien d'une part de la PPE pour les personnes pouvant être défavorisées par une telle réforme.

Nous avons émis des recommandations semblables au sujet des jeunes de moins de 25 ans éligibles à la PPE et qui ne pourraient logiquement pas prétendre au RSA. L'emploi des jeunes constituant un enjeu majeur pour notre société, nous considérons que toutes les mesures qui pourraient favoriser leur insertion professionnelle doivent être étudiées avec attention. Dans le même temps, il ne nous paraît pas légitime de priver les jeunes salariés d'une prestation dont bénéficieraient tous les autres salariés. C'est pourquoi nous avons proposé la mise en place de mesures compensatrices et réaffirmé la nécessité de traiter de ce sujet dans le cadre d'une politique globale de l'emploi des jeunes, qui ne saurait se réduire à la question du RSA.

Nous nous sommes ensuite interrogés sur la manière la plus adaptée pour éviter que le RSA, en favorisant le retour de certaines personnes vers des emplois à temps partiel, ne contribue cependant à dégrader la qualité de l'emploi sur le marché du travail. Dans ce contexte, nous avons étudié différentes pistes de travail. Concernant la configuration elle-même de la prestation, nous avons évoqué la mise en place d'un RSA dit « coudé » qui permettrait au bénéficiaire de l'allocation d'obtenir un gain d'autant plus élevé qu'il se rapprocherait d'un emploi à temps plein. Le RSA constituerait ainsi une incitation à travailler à temps plein, plutôt qu'à travailler un peu, même si nous avons parfaitement conscience que les salariés ne sont pas maîtres de la durée de leur travail.

L'autre piste que nous avons évoquée consiste à instaurer un RSA dit « à deux étages ». Le premier étage serait lié à la reprise du travail et serait d'un niveau supérieur à l'intéressement actuel, mais temporaire. Le second étage serait, pour sa part, pérenne. Ces deux propositions, RSA « coudé », et RSA « à deux étages », pourraient être associées.

Je souhaiterais préciser à cette occasion que notre conception du RSA « coudé » se distingue radicalement de celle du MEDEF qui est, pour sa part, favorable à une prestation financièrement soutenable pour les finances publiques, mais qui consisterait à payer davantage les premières heures de travail.

Nous avons également souhaité traiter de l'accompagnement professionnel ainsi que de ses contreparties financières. Du fait de la suppression des statuts, le RSA bénéficiera à des personnes se trouvant dans des situations radicalement différentes. Il pourra ainsi concerner les personnes actuellement au RMI ou à l'API, des personnes ne travaillant pas, n'ayant jamais travaillé ou n'étant pas en mesure de le faire, mais aussi les bénéficiaires actuels de la PPE, ou des personnes travaillant à temps plein depuis plusieurs années et n'ayant pas de problèmes à s'insérer professionnellement. L'ensemble de ces personnes serait donc toutes concernées par le même système d'aide à l'emploi mal rémunéré. C'est pourquoi nous sommes, pour notre part, favorables à un accompagnement systématique des personnes sans emploi par le service public de l'emploi.

Chaque bénéficiaire du RSA devra, selon nous, faire l'objet d'un diagnostic préalable, réalisé par une personne compétente dans le domaine social et l'autre dans le domaine professionnel. Au regard de ce diagnostic, les personnes sans emploi et ne relevant pas, dans un premier temps, d'un accompagnement professionnel, devraient pouvoir bénéficier d'un accompagnement d'ordre social et médical classique géré par les conseils généraux. Le repérage professionnel initial est ainsi, à nos yeux, nécessaire pour ces différentes catégories de personnes. Par ailleurs, certaines personnes, qui seront sans doute nombreuses, relèveront d'un suivi à la fois professionnel et social, tandis que d'autres auront droit à un accompagnement professionnel pur et seront donc suivis par le service public de l'emploi. Nous considérons ainsi que ce service public de l'emploi doit à la fois s'occuper des demandeurs d'emploi classiques mais aussi des personnes bénéficiaires du RSA.

Enfin, il ne nous semble pas nécessaire d'imposer un suivi aux personnes disposant d'un emploi mais ne connaissant pas de problèmes en matière d'insertion.

Les bénéficiaires du RSA devront donc être l'objet d'un suivi systématique et s'inscrire dans un système de droits et de devoirs suivant la même logique que celle qui est appliquée aux demandeurs d'emploi dans le cadre de l'assurance-chômage.

Je me tiens maintenant disponible pour répondre à vos questions, et vous rappelle que l'avis a été adopté par la COE, même si la CGT a refusé de s'associer à cette démarche, comme l'un de ses représentants vous l'expliquera par la suite.

M. Christian DEMUYNCK, Président - Merci Mme la présidente pour cet exposé brillant, clair et concis.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Le COE suscite ma curiosité. Je présume que vous pratiquez l'auto saisine, et prenez l'initiative d'orienter vos travaux dans certaines directions. A ce titre, j'aimerais savoir quels sont vos axes de travail actuels ?

Mme Marie-Claire CARRÈRE-GÉE - Depuis sa création, le COE a effectivement beaucoup travaillé, dans le cadre soit d'une auto saisine, soit d'une saisine gouvernementale. Nous avons, par exemple, produit un rapport sur les aides publiques, un autre sur le financement de la protection sociale, un autre, en mai 2007, sur la sécurisation des parcours professionnels. Depuis ma nomination à la présidence du COE, notre rythme de travail s'est accéléré. Ainsi, depuis l'automne dernier, nous avons mené nos travaux exclusivement dans le cadre de saisines gouvernementales. Le gouvernement a ainsi considéré que notre capacité à forger des consensus pouvait être mobilisée avec profit dans le cadre des différents chantiers de travail qu'il a initiés dans le domaine social. Nous avons ainsi traité des mécanismes de conditionnalité des aménagements de charges, de la réforme de la formation professionnelle à la suite des annonces du Président de la République, et enfin du RSA.

Nous souhaitons désormais nous saisir de sujets suscitant l'intérêt de l'ensemble des membres du conseil et dont nous considérons qu'ils présentent un potentiel important pour parvenir à de nouveaux consensus susceptibles de déboucher sur des propositions pratiques, concernant notamment l'orientation des jeunes, la discrimination ou l'emploi des seniors.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Avez-vous déjà rendu un avis sur la formation professionnelle ?

Mme Marie-Claire CARRÈRE-GÉE - A la suite des annonces du Président de la République, nous avons tenu le rôle de première instance de concertation sur ce sujet, dans le contexte particulier de la renégociation de l'ANII 2003 qui doit intervenir à l'automne. Il est ainsi apparu utile que l'ensemble des acteurs de la formation professionnelle, d'ailleurs tous représentés au Conseil, qu'il s'agisse des Régions, de l'Etat ou des partenaires sociaux, commencent à déterminer la méthode qui devrait guider la réforme et ses ambitions. Je me dois de reconnaître que l'ensemble de ces acteurs n'a d'abord pas manifesté une volonté très affirmée de rentrer dans une logique où réforme de la formation professionnelle ne serait pas l'affaire des seuls partenaires sociaux. Nous sommes cependant parvenus, sur ce sujet également, à formuler un avis unanime, avant de passer le relais à un autre groupe de travail présidé par M. Pierre Ferraci (notre ancien rapporteur au sein du COE) et dans lequel les Régions sont mieux représentées. Ce groupe de travail pourra prolonger notre travail de manière à l'approfondir et à ce qu'il soit plus abouti. Cet avis a été rendu public. Vous pouvez le consulter sur notre site internet.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - J'ai participé ce matin à une table ronde dans le cadre du Grenelle de l'insertion, au cours de laquelle l'un des participants a révélé que, selon la feuille de route mise en place par le gouvernement, les demandeurs d'emploi devaient bénéficier en priorité des crédits et des mécanismes de la formation professionnelle. Dans ce domaine, c'est la dimension technique qui sera déterminante dans la réalisation des objectifs affichés.

M. Paul BLANC - Le taux de chômage des travailleurs handicapés est aujourd'hui proche de 20%. Or les entreprises sont souvent prêtes à les accueillir. Malheureusement, par manque de formation professionnelle, nous ne parvenons pas à se faire rencontrer la demande et l'offre de travail pour personnes handicapées. Les Régions ne mettent pas en place les formations spécifiques nécessaires aux travailleurs handicapés. Par ailleurs, les offres d'emplois exigent des niveaux de qualification dont très peu d'handicapés disposent. Pensez-vous traiter cette problématique ?

Mme Marie-Claire CARRÈRE-GÉE - Nous y sommes tout à fait prêts. Nous avons d'ailleurs évoqué ce sujet en rendant notre avis sur le RSA. Sa mise en place, en visant à simplifier l'ensemble des dispositifs sociaux, pose la question du maintien de l'AAH.

Nous considérons en effet que les travailleurs handicapés représentent un sujet très spécifique et que certains d'entre eux pourraient être lésés par cette réforme. C'est pourquoi nous nous sommes prononcés contre l'abandon de l'AAH. En revanche, si le RSA constitue un support efficace pour proposer un véritable accompagnement professionnel, les travailleurs handicapés ne devront pas en être exclus.

Nous devrons traiter ce sujet de manière plus approfondie, dans la mesure où le handicap est souvent le premier prétexte à la discrimination.

M. Guy FISCHER - Je voudrais revenir sur le dispositif du RSA dans la mesure où il sera sans doute le sujet central de toutes les discussions à venir. Savez-vous précisément quels types de populations pourraient en bénéficier ? Dans un département comme le Rhône, environ 30 000 personnes pourraient y avoir accès si seuls les bénéficiaires du RMI et de l'API devaient en bénéficier (entre 60 000 et 80 000 s'il fallait ajouter à ces derniers les titulaires de l'ASS et de la PPE, ainsi que les personnes ne travaillant pas).

Il me paraît également difficile de faire comprendre au grand public des notions aussi compliquées que celle d'un « RSA coudé ».

Je considère, par ailleurs, comme étant indispensable de mettre en place un véritable accompagnement humain pour les futurs bénéficiaires du RSA. Enfin, je redoute les problèmes financiers que pourra causer la mise en place du RSA. M. Martin Hirsch a indiqué que ce dispositif pourrait permettre à certaines personnes de recevoir plus de 1 000 euros. Avez-vous abordé ces différents sujets de manière approfondie?

Mme Marie-Claire CARRÈRE-GÉE - Le RSA est souvent présenté comme un dispositif particulièrement simple, dans la mesure où il entraîne la suppression de plusieurs minima sociaux comme la PPE, un dispositif particulièrement complexe. Toutefois, s'il est simple dans son architecture, il ne sera pas si aisé à appréhender pour ses bénéficiaires.

Il est vrai que le RSA opère une réelle simplification en supprimant les quatre dispositifs actuels (RMI, API, PPE et intéressement) très complexes. La certitude qu'aura le bénéficiaire de voir son revenu augmenter pour chaque heure de travail supplémentaire contribuera à sa compréhension, même si les droits connexes au dispositif que fourniront les collectivités locales nuanceront cette simplification.

L'estimation du nombre potentiel de bénéficiaires du RSA est rendue compliquée par l'imprécision des données que nous a transmises l'administration. Ce nombre dépendra de la prestation retenue, des financements additionnels engagés ainsi que du seuil de sortie du RSA.

Nous savons en revanche que 8,9 millions de personnes bénéficient aujourd'hui de la PPE, environ 400 000 de l'API, 400 000 de l'ASS, et 1 million du RMI.

Dans le cadre du scénario qualifié de « moins généreux », où la pente de la courbe décrivant le niveau des revenus très de l'activité en fonction du nombre d'heures travaillées est de 60 %, le nombre de ménages bénéficiaires du RSA serait de 3,1 millions (5 millions si cette pente s'établissait à 70%).

M. Guy FISCHER - Quel serait alors le montant de l'allocation?

Mme Marie-Claire CARRÈRE-GÉE - Tout dépend du scénario qui sera retenu et de la pente de la courbe évoquée précédemment. Nous pouvons, en revanche, dès aujourd'hui, avoir la certitude que le RSA représente un système permettant aux personnes qui quittent le RMI et retrouvent un emploi de bénéficier de revenus immédiats et stables.

Avec une courbe obéissant à une pente de 60%, une personne travaillant dans le cadre d'un quart-temps de 35 heures gagnerait environ 700 euros par mois (725 euros avec une courbe dont la pente serait de 70%). Dans le cas d'un mi-temps, la prestation (et non pas le revenu final) atteindrait 600 euros.

M. Guy FISCHER - Ne risque-t-on pas dans ce cas de préférer donner une prestation à un nombre plus élevé de personnes ?

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Si j'ai bien compris, il s'agirait dans ce cas de privilégier la position patronale, laquelle soutient la reprise d'emploi même à temps partiel. A l'inverse, le COE propose d'inciter financièrement les personnes à avoir un travail à temps plein.

Mme Marie-Claire CARRÈRE-GÉE - Il est difficile de parvenir dans le même temps à lutter contre la pauvreté et pour l'emploi. Si la priorité réside dans la lutte contre la pauvreté, il faudra alors favoriser les personnes travaillant 4 à 5 heures par semaine et pour de faibles rémunérations. Si, à l'inverse, la priorité consiste à favoriser l'emploi, l'effort le plus soutenu doit porter sur le travail.

Il faudra donc opérer un choix entre ces deux objectifs.

Mme Gisèle PRINTZ - Je ne comprends pas précisément la signification de la notion de pente. Merci de me la préciser.

Mme Marie-Claire CARRÈRE-GÉE - Le principe du RSA est, dans le cas de revenus faibles, de garantir à chacun un revenu cible qui représente la somme du RMI et d'un pourcentage du cumul de ce RMI et du salaire. Il est vrai que cette notion de pente est d'un abord compliqué. Mais la règle qu'il est possible de retenir est que chaque personne qui dispose de très faibles revenus a droit au minimum au RMI, majoré d'une certaine proportion de ses revenus d'activité.

M. Guy FISCHER - Le RSA ne risque-t-il pas d'institutionnaliser la précarité ?

Mme Marie-Claire CARRÈRE-GÉE - Des études théoriques mais aussi pratiques ont été réalisées en France, ainsi qu'à l'étranger, sur des modèles proches du RSA. A cette aune, les résultats apparaissent positifs puisque, là où le dispositif a été mis en place, le nombre de personnes à rejoindre le marché du travail augmente. En revanche, le système, lorsqu'il s'inscrit dans un cadre familial, ne semble pas particulièrement inciter les femmes à travailler.

Les études théoriques laissent espérer un nombre supérieur de personnes sur le marché du travail, mais avec une durée moyenne du travail moins importante. Toutefois, cet effet ne semble pas confirmé par les études pratiques réalisées aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne.

Enfin, les études théoriques comme pratiques convergent sur leur constat que le RSA a un effet de modération sur les salaires, même si, individuellement, chaque bénéficiaire du dispositif ayant une activité professionnelle voit son niveau de rémunération s'améliorer.

Les conclusions sont ainsi difficiles à interpréter, d'autant que le marché du travail français ne présente pas les mêmes caractéristiques que les marchés du travail américain et anglais, ces derniers offrant beaucoup de petits boulots.

Le défi est majeur, pour la nation française, de ramener sur le marché du travail les millions de personnes qui en sont éloignées, même lorsqu'il s'agit pour elles d'avoir un emploi relativement précaire. Le RSA doit permettre de l'atteindre. Mais il doit être configuré de telle sorte que les effets pervers que nous venons d'évoquer soient limités. Dans cet esprit, les employeurs ne devront pas, selon nous, savoir que le salarié bénéficie du RSA, afin de limiter leur tentation d'instrumentaliser la solidarité nationale à leur profit en maintenant les niveaux de rémunération bas. Cette démarche a ainsi une vertu. Elle protège la vie privée du bénéficiaire ainsi que le cadre des négociations salariales.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Je croyais que les départements participaient au financement du RSA. Dans quelles conditions verseraient-ils alors leur participation?

Mme Marie-Claire CARRÈRE-GÉE - Nous n'avons pas été saisis de cette question. Je peux simplement vous dire qu'un projet à l'étude prévoit la mise en oeuvre du système par les CAF par le biais de déclarations trimestrielles, à l'image du RMI. Mais rien n'est décidé concrètement dans ce domaine.

Je souhaite corriger ce que j'ai dit tout à l'heure. Ainsi le RSA, pour un quart-temps, représente en fait 300 euros pour une courbe avec une pente de 60%, sommes à laquelle il convient de rajouter le salaire. Si le gouvernement décide de retenir cette option (courbe avec une pente de 60%), alors la somme de 1 000 euros, soit le niveau du SMIC, constituera le seuil au-delà duquel le versement du RSA s'interrompra. Dans le cas d'une courbe avec une pente à 70%, ce seuil serait de 1 333 euros pour une personne seule sans enfant. Le calcul est plus complexe dans le cas des couples biactifs avec enfants.

M. Guy FISCHER - Le service public de l'emploi pourra-t-il confier, dans le cadre d'appels d'offres, des missions aux entreprises privées ?

Mme Marie-Claire CARRÈRE-GÉE - Des missions pourront, en effet, être confiées à des entreprises, ainsi qu'à des associations. Mais il faudra mettre en oeuvre effectivement l'accompagnement systématique que j'ai évoqué précédemment. Il s'agit d'une condition indispensable. L'objectif majeur est que l'ensemble des personnes, pour l'instant éloignées du marché du travail, soit désormais pris en charge par le service public de l'emploi. Une simple incitation monétaire, sans le concours à d'autres outils, ne pourrait pas leur permettre de rejoindre effectivement ce marché. C'est pourquoi il est nécessaire de mener un double diagnostic : social et professionnel.

Si nous additionnons l'ensemble des bénéficiaires des différentes prestations appelées à être remplacées par le RSA, nous obtenons 11 millions de personnes. Toutefois, le nombre de personnes potentiellement concernées par le dispositif varie en fonction des scénarios susceptibles d'être retenus. Il est souvent cité le nombre de 5 millions de bénéficiaires potentiels, sans que nous puissions précisément déterminer s'il s'agit de ménages ou de personnes individuelles. Nous devrons veiller à ce que cette incertitude soit éclaircie au moment de l'élaboration du projet de loi.

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE - Je voudrais savoir si les minima sociaux continueront à exister pour les personnes se trouvant dans l'impossibilité de travailler comme, par exemple, des femmes enceintes de jumeaux.

Mme Marie-Claire CARRÈRE-GÉE - Le nouveau dispositif s'appellera RSA. Il remplacera l'ensemble des dispositifs existants : RMI, API et autres. Il existera un « RSA zéro » qui correspondra aux montants cumulés du RMI et de l'API actuels et constituera ainsi le revenu minimum garanti. La partie du revenu additionnel, lié à la quantité de travail et donc au salaire, sera nommée le « RSA chapeau ».

Nous nous sommes demandé si le RSA est susceptible d'inciter les gens à diminuer leur quantité de travail. La réponse pourrait être positive concernant les personnes qui ne souhaitent pas travailler le mercredi par exemple. Mais ce type de cas resterait marginal. De même, une forme d' « optimisation de la gestion de la prestation sociale » par l'employé comme par l'employeur, par un recours à une partie de travail non déclaré, pourrait exister, comme l'exemple d'autres prestations sociales nous l'a montré.

Mme Giselle PRINTZ - Existera-t-il des procédures de contrôle ?

Mme Marie-Claire CARRÈRE-GÉE - Le RSA a vocation à être pérenne. Les personnes dont les revenus seront inférieurs au seuil de 1 000 euros ou 1 300 euros selon le scénario retenu auront droit à ce complément de revenu, au même titre qu'ils peuvent aujourd'hui bénéficier de la PPE. Le nombre d'individus qui bénéficieront du RSA sera cependant très probablement inférieur à celui des bénéficiaires actuels de la PPE.

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE - Quel sera le niveau plancher des minima sociaux appelés à être remplacés par le RSA ?

Mme Marie-Claire CARRÈRE-GÉE - Nous ne le savons pas dans la mesure où les modalités futures de revalorisation de cette prestation nous sont inconnues. Pour répondre cependant à votre question, ce niveau plancher sera proche de celui du RMI actuel.

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE - Les personnes qui ne peuvent pas travailler bénéficieront-elles du même niveau de revenu avec le RSA qu'avec le RMI ?

Mme Marie-Claire CARRÈRE-GÉE - Cela devrait effectivement être le cas. Seul le nom de la prestation changera. Mais je rappelle à nouveau qu'un diagnostic à la fois social et professionnel devra être mis en place dans le sens où nous disposons d'une occasion historique de réussir dans notre lutte pour l'insertion, là où avec le RMI nous avons collectivement échoué. Dans le même temps, nous avons l'opportunité de dépasser les cadres institutionnels et statutaires actuels, si contraignants, et selon lesquels il est plus important de donner une prestation à une personne que d'améliorer sa situation en lui donnant droit à un suivi adapté, dont de nombreuses personnes sont même privées.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Je voudrais savoir si le COE interprète la notion d'emploi de manière orthodoxe en la liant fortement au contrat de travail classique, ou si, au contraire, il souhaite la traiter de manière plus extensive en considérant les activités caritatives et humanitaires, également utiles à la cohésion sociale.

Mme Marie-Claire CARRÈRE-GÉE - Nos travaux n'ont pas précisément traité ce sujet. Cependant, certains membres du COE sont sensibles à ces sujets, à l'image de M. Jean-Baptiste Foucault qui était notre rapporteur sur le dossier du RSA. Concernant ce dispositif, nous avons adopté une approche globale et considéré que l'activité et l'emploi ne se réduisent pas à l'emploi salarié à temps plein classique. Le RSA devrait contribuer, par ailleurs, à reconnaître ces formes alternatives d'activités.

M. Christian DEMUYNCK, Président - Je souhaiterais savoir si vous avez identifié, dans le cadre des analyses comparatives que vous menez, des systèmes qui fonctionnent de manière efficace à l'étranger, et dont nous pourrions nous inspirer.

Mme Marie-Claire CARRÈRE-GÉRÉE - La situation du marché du travail est particulière à chaque pays dans la mesure où elle est conditionnée par un grand nombre de données qui lui sont propres.

Cependant, nous devons reconnaître que la France n'est pas la plus performante en ce domaine et que des progrès profonds doivent y être réalisés en matière de formation initiale, d'orientation et d'accompagnement, avec la mise en place du service public de l'emploi. Le RSA doit nous permettre de professionnaliser cet accompagnement au bénéfice des demandeurs d'emploi qui en ont profondément besoin.

En France, le montant des dépenses liées à la politique de l'emploi, en tenant compte des allègements de charges et des contrats aidés, est très élevé. Nous considérons que les crédits affectés au RSA ne devraient pas se traduire par une diminution du nombre de contrats aidés. La face monétaire du RSA ne doit pas nous amener à négliger les autres dimensions de la politique de l'emploi.

Nous ne réalisons pas nos propres études sur les différents marchés de l'emploi. Mais celles dont nous disposons nous montrent le niveau relativement faible de nos performances, notamment en termes de mobilité, sur le marché de l'emploi.

M. Christian DEMUYNCK, Président - Je vous remercie, Madame la présidente.

Mme Marie-Claire CARRÈRE-GÉRÉE - Je mets à votre disposition un exemplaire de notre rapport afin que vous puissiez le diffuser.

Audition de M. Jacques RASTOUL, secrétaire confédéral de la Confédération française démocratique du travail (CFDT) - (27 mai 2008)

Mme Brigitte BOUT, Présidente - Nous vous accueillons dans le cadre de notre mission qui réunit des sénateurs de diverses tendances politiques et traite de la politique de lutte contre la pauvreté et l'exclusion.

Mes collègues vous interrogeront après votre exposé.

M. Jacques RASTOUL - Merci de m'avoir invité. Nous collaborons déjà avec le Sénat dans le cadre du Conseil national de lutte contre l'exclusion. L'existence de telles instances permettant de réunir des élus, des associations, des administrations, ainsi que des organisations syndicales, constitue un phénomène nouveau et, selon nous, profondément utile dans la mesure où il permet une approche multidimensionnelle des politiques de lutte contre l'exclusion et la pauvreté, comme celle adoptée par le Conseil économique et social et le Conseil national de l'insertion par l'activité économique.

Un tel sujet est cependant, du fait de son étendue même, parfois difficile à appréhender pour les organisations syndicales. A l'image des expérimentations que nous menons sur le terrain, nous devons initier des actions spécifiques, mais en les intégrant au sein d'une politique globale. Ce principe doit valoir pour l'ensemble partenaires sociaux, pour le gouvernement comme pour les organisations syndicales. Je pourrais fournir, à l'appui de cette démonstration, de nombreux exemples de négociations que nous avons menées afin de favoriser l'accès aux droits, qui représente une dimension essentielle des politiques de lutte contre l'exclusion et la pauvreté. Le plan d'action de retour à l'emploi, la couverture maladie universelle et la garantie du risque locatif constituent des dispositifs particuliers d'aide aux personnes en difficulté, et dont nous considérons qu'ils peuvent être encore améliorés.

Par ailleurs, nous sommes favorables, sur l'ensemble de ces sujets, à de nouvelles méthodes de fonctionnement, plus concertées. Ainsi, avec le soutien du Ministère de l'emploi, nous expérimentons déjà nous-mêmes, dans sept bassins d'emploi, des collaborations avec les entreprises, les collectivités locales et les associations. Nous devons ainsi collectivement dépasser les représentations datées et erronées que nous pouvons avoir sur de tels thèmes. Tout le monde peut aisément se déclarer opposé à la pauvreté et l'exclusion. Il est, en revanche, plus complexe de déterminer la manière la plus adaptée d'agir concrètement contre elles, que l'on soit citoyen ou syndicaliste. La pauvreté est souvent, pour des salariés, une source de honte profonde qui les pousse à la cacher.

Nous saluons l'approche globale, et pas seulement monétaire, du RSA qui vise à améliorer les situations individuelles, ainsi que le principe qui l'anime de permettre aux personnes qui travaillent de bénéficier d'une rémunération supérieure à celle de ceux qui ne travaillent pas. Des procédures doivent cependant l'accompagner pour limiter le risque d'effet d'aubaine et favoriser le retour à l'emploi de manière plus efficace qu'il ne l'est aujourd'hui au travers de la prime de retour à l'emploi actuelle. La dynamique qu'il initie pour retour à un emploi durable et de qualité nous paraît ainsi bénéfique. C'est pourquoi nous avons apporté un vote favorable à l'avis du COE sur le RSA, avec les critiques qu'il intégrait.

Nous avons conscience cependant que la réduction de la pauvreté ne passe pas seulement par un retour au travail, mais également par la mise en place de politiques salariales qui réduisent la précarité, et de politiques de prévention des risques professionnels au sein des entreprises. La dégradation des conditions de travail est telle qu'elle nuit parfois à l'employabilité des salariés qui se trouvent alors exclus du marché de l'emploi. Il est de notre responsabilité, organisations syndicales, de traiter de ces sujets avec une démarche non exclusivement caritative. Nous pouvons ainsi agir à plusieurs niveaux : au moment du recrutement, par l'accueil des personnes en difficulté, ou par la lutte contre leur stigmatisation. Si l'ensemble des partenaires, des employeurs aux salariés, s'impliquent dans ce domaine, les résultats obtenus seront tout à fait bénéfiques.

Nous devons, à un autre niveau, réformer le système de retraite afin que les personnes ayant connu un accident dans leur trajectoire professionnelle et se trouvant en situation d'insécurité professionnelle et sociale ne soient pas pénalisées à l'excès, dans la mesure où elles ont cotisé pour la protection sociale. Le niveau des seuils d'heures de travail effectuées doit ainsi être révisé, notamment dans le cas des services à la personne (pour lequel le seuil est fixé à 200 heures par trimestre). Nous devons, suivant la même logique, revoir les minima sociaux, et particulièrement les mécanismes de l'indemnité journalière dont certaines personnes en situation très précaire ne peuvent pas bénéficier lorsqu'elles sont malades.

D'autres réformes sont par ailleurs nécessaires, comme celle de la formation professionnelle ou celle, étudiée dans le cadre du Grenelle de l'insertion et relative à l'accord de janvier 2008, sur la modernisation du marché du travail, dont nous espérons qu'elle puisse être reprise dans la loi, qui viserait à permettre à toute personne capable de travailler et le souhaitant, d'être inscrite comme demandeur d'emploi, et ainsi de sortir de l'exclusion et de la stigmatisation.

Nous pensons que la notion de handicap social représente une notion trop restrictive. Pour nous, en effet, une personne, même en très grande difficulté psychique ou physique, ne saurait être considérée comme inemployable à vie.

Par ailleurs, les initiatives du Grenelle de l'insertion concernant la mise en place de référents uniques et de guichets uniques pour simplifier le fonctionnement des politiques sociales nous semblent très intéressantes. Nous sommes tout à fait prêts à participer à une démarche favorisant la concertation et la coordination entre les différents acteurs, à l'échelle nationale comme à l'échelle des bassins d'emploi et des différentes collectivités locales, à l'image de ce qui a été mis en place au travers des politiques de l'emploi.

Nous nous étions ainsi prononcés, dans le cadre du Grenelle de l'insertion, pour un recensement exhaustif, réalisé en partenariat avec les villes, les communautés d'agglomération, les Départements, les Régions et les partenaires sociaux, des différentes aides sociales connexes, afin d'optimiser leur combinaison et leur mutualisation tout en respectant les prérogatives des différents acteurs. Celles relatives au transport ou à la garde d'enfant pourraient ici être citées comme exemples.

En préalable au Grenelle de l'insertion, nous nous sommes réunis, chaque mois, avec les organisations patronales, les organisations syndicales et le collectif ALERTE, regroupant 37 fédérations spécialisées dans l'insertion et la lutte contre l'exclusion, pour recenser l'ensemble des freins à l'emploi, qu'ils soient liés à la société ou aux représentations que nous pouvons avoir sur les chômeurs. Dans ce contexte, nous souhaitons que l'Etat tienne son rôle de garant des politiques sociales, mais que dans le même temps, chacun des acteurs assume sa responsabilité dans la mise en oeuvre cohérente des politiques.

Je pense que nous vivons un moment charnière, comme le parlementaire M. Pierre Cardo l'a noté dans le cadre du Grenelle de l'insertion en affirmant que, pour la première fois depuis 25 ans, une dynamique nouvelle se met en place dans les domaines de la formation professionnelle et plus généralement de la pauvreté et de l'exclusion. L'action prioritaire à mener doit, selon nous, permettre à l'individu d'être en situation de travail ou d'avoir une activité éventuellement subventionnée, comme c'est d'ailleurs le cas dans d'autres pays.

Dans un contexte démographique particulier, nous devons également réorienter les fonds de la formation professionnelle en priorité vers les publics les plus en difficulté et ouvrir le contrat de professionnalisation à des personnes peu ou pas qualifiées.

Je conclurai mon propos en notant que le principal défi auquel nous devons faire face en matière d'exclusion et d'insertion est de réussir à faire participer l'éducation nationale à nos réflexions. Tous les acteurs du Grenelle de l'insertion partagent ce constat. Certains demandant même la mise en place d'un Grenelle de l'éducation. Cette absence d'implication de l'éducation nationale nous paraît tout à fait inappropriée dans un contexte de reproduction des inégalités, et alors que nous pensons que l'égalité des chances doit être réellement mise en place afin de compenser les différentes inégalités qui deviennent, par la suite, sources de discrimination.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Nous vivons actuellement un paradoxe, avec un pouvoir politique qui semble reconnaître son impuissance à définir l'intérêt général pour notre société et s'en remettre aux entreprises et aux partenaires sociaux pour mettre en place les politiques en matière d'emploi et d'insertion. M. Rastoul me redonne heureusement, à chaque fois que je le rencontre, une forme d'espoir, grâce à la confiance et à la ténacité qui l'animent.

Je voudrais, M. Rastoul obtenir des précisions sur les modalités de participation des personnes exclues elles-mêmes des débats sur les problématiques qui les concernent. J'ai en effet moi-même invité, dans le cadre du CNLE, des associations de chômeurs et précaires. Mais cette démarche suscite parfois la contestation. Une vision orthodoxe pourrait ainsi considérer que les organisations syndicales se consacrent à la défense exclusive des salariés disposant d'un contrat de travail.

La volonté, exprimée à l'occasion du Grenelle de l'insertion, de prendre en compte la parole des usagers me semble ainsi louable, mais se heurte à différentes contraintes. L'idéal que constituerait le fait, comme nous l'avons observé lors d'un déplacement récent en Pologne, de partager le sort des plus démunis, (comme ATD Quart Monde peut également le pratiquer), ne peut être généralisé.

Je constate que le système dont les personnes en difficulté sont exclues n'est jamais lui-même l'objet d'une réflexion critique portant sur ses fondements et ses principes.

J'aimerais donc, en premier lieu, connaître des initiatives qui, selon vous, pourraient présenter un fort potentiel pour améliorer la situation des exclus à l'échelle des entreprises, des bassins d'emploi et des collectivités locales.

Egalement, je voudrais savoir si nous devons attendre, de ces initiatives concrètes et pragmatiques, une organisation plus cohérente de la société ou si celle-ci doit être le fruit d'autres démarches, par exemple de l'instauration d'une politique des revenus, que les excès récents de la rémunération de certains chefs d'entreprise ou la réflexion plus fondamentale sur les inégalités de notre société ne peuvent nous faire négliger.

M. Jacques RASTOUL - Il est, de notre point de vue, essentiel de traiter des sujets ayant trait aux inégalités fondamentales, à la répartition des revenus et à la fiscalité, comme nous l'avons démontré récemment par les critiques que nous avons formulées envers le bouclier fiscal notamment.

Il existe, selon nous, une manière différente de distribuer la richesse, qui contribuerait à réduire la pauvreté et l'exclusion. Nous sommes confrontés, en effet, dans une certaine mesure, à une situation explosive, alimentée parfois par une économie parallèle, de la drogue notamment dans certains quartiers, et des phénomènes de marginalisation.

Nous devons traiter à la fois les causes profondes et les conséquences de ces situations, mais, dans le même temps, apporter les preuves, ou les résultats démontrant qu'une amélioration est possible, afin de mobiliser, comme nous le faisons nous-mêmes, un ensemble d'acteurs dans le cadre de projets communs. Or, en matière de lutte contre la pauvreté, les résultats et les réussites ne sont jamais mis en lumière, au contraire de la détresse, certes réelle, des personnes qui en souffrent. Nous devons, au-delà de la stigmatisation ou de la compassion, adopter sur le sujet une attitude pragmatique qui vise à parler des résultats positifs et des moyens de les atteindre, afin de ne pas risquer le repli sur soi et la désespérance généralisée.

Ainsi j'ai découvert sur le terrain, au-delà du clivage droite-gauche, des réussites exemplaires dans le cadre des contrats aidés.

Nous sommes, par ailleurs, engagés, avec l'ensemble des associations comme ATD Quart Monde et Emmaüs, dans une démarche consistant à écouter les usagers eux-mêmes, dans la mesure où certains membres de nos syndicats sont impliqués dans le règlement des problèmes en matière d'emploi ou parfois eux-mêmes au chômage. Des actions concrètes doivent cependant être menées pour donner plus encore la parole à ces usagers, afin d'obtenir de leur part des informations plus complètes sur les services publics, les services sociaux et la protection sociale.

Agir sur la représentation que nous pouvons avoir de ces populations nécessite, de notre part, une réflexion plus aboutie et la formulation de propositions. Les partenaires sociaux, les collectivités territoriales et l'Etat en ont la responsabilité. La définition de critères spécifiques de représentativité de ces populations devrait notamment être mise en place.

Nous allons ainsi, très bientôt, organiser avec une vingtaine de personnes que nous avons suivies, un rassemblement au cours duquel elles auront l'occasion de s'exprimer. Leur participation à un processus de négociation se révèle, en revanche, plus problématique. Dans le cadre du Grenelle de l'insertion, nous avons, par exemple, entendu des membres d'Emmaüs exprimer des réflexions contradictoires avec celles de leur fédération.

Nous avons proposé, dans ce domaine, de réaliser des enquêtes systématiques sur les attentes et le degré de satisfaction de ces usagers, afin de disposer de données régulières sur leur situation. L'essentiel en ce domaine sera de procéder de manière organisée.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Pourriez-vous nous citer des exemples d'initiatives novatrices au sein des entreprises ?

M. Jacques RASTOUL - Le fait même de réussir à convaincre des employeurs de la possibilité d'embaucher sur la base de critères nouveaux peut constituer une réelle avancée.

Pour tenir notre rôle de syndicat, nous avons la responsabilité d'interpeller les employeurs sur un ensemble de points. En effet, entre 20% et 30% des personnes en difficulté qui ont réussi à être embauchées voient leur contrat rompu dès les premières semaines. Il est indispensable que nous soyons vigilants dans ce domaine, en lien avec les tuteurs et les employeurs. Il est dramatique pour une personne, ayant espéré pendant très longtemps un emploi, de le perdre à peine quelques semaines après l'avoir trouvé.

En Loire-Atlantique, au Havre, à Bordeaux, à Montbéliard et à Maubeuge, par exemple, des personnes dont on ne pensait pas qu'elles pourraient être employées ont réussi à trouver un emploi grâce à l'action collective des salariées et des sections syndicales.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Comment cette action est-elle menée à une échelle supérieure, au niveau de la branche d'activité ?

M. Jacques RASTOUL - Nous menons le plus souvent cette action à l'échelle des territoires dans la mesure où les maisons de l'emploi constituent un cadre permettant d'instaurer un dialogue social entre les employeurs et les syndicats sur des sujets spécifiques liés à chaque métier. A Melun-Sénart, par exemple, des entreprises, du fait d'un déficit d'image et d'attractivité, reçoivent moins de demandes d'emplois qu'elles n'en offrent. C'est pourquoi nous menons, dans ce cas précis, des actions en partenariat avec des IUT, des chercheurs, mais également des chômeurs et des retraités qui enquêtent dans les entreprises.

Ce type d'initiative, conjointe, est conduit en partenariat avec les entreprises et les organisations syndicales, la communauté d'agglomération et le Conseil général.

Les GEC constituent un autre type d'initiatives innovantes. Ainsi, en Champagne-Ardenne, nous menons des actions en direction des femmes en difficulté, lesquelles pourront ensuite être généralisées. A ce sujet, nous souhaitons, comme le COE, que le RSA ne constitue pas une incitation pour les femmes à rester au foyer.

Mme Brigitte BOUT, Présidente - Il me paraît très intéressant de constater que de telles initiatives peuvent rencontrer le succès et permettre d'initier des progrès de manière collective.

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE - Je souhaiterais revenir sur les remarques de M. Bernard Seillier concernant l'absence de réflexion critique sur le système en place et les inégalités et injustices à l'oeuvre dans la société. La spéculation à laquelle nous assistons actuellement à l'échelle mondiale sur les produits de première nécessité alors que de plus en plus de personnes manquent de ces denrées vitales illustre toute l'acuité de la problématique.

Je voudrais savoir si les actions que vous menez au sein des entreprises pour favoriser le retour à l'emploi de personnes qui en étaient éloignées sont géographiquement très localisées ou si, au contraire, elles sont généralisées. Dans le prolongement de cette question, ne considérez-vous pas que les entreprises évoluant dans le domaine de l'insertion, qui sont les principaux employeurs des personnes en difficulté, puissent jouer un rôle de transition, par la formation et l'acquisition de compétences, pour ces personnes, vers l'emploi ?

M. Jacques RASTOUL - Nous menons une multitude d'expériences innovantes. Celle du GEC que j'ai évoqué représente une expérience pluriannuelle. Notre démarche est volontariste et peut effectivement impliquer les entreprises évoluant dans le secteur de l'insertion comme à Bordeaux ou à Maubeuge, une association intermédiaire et la mission locale. Dans tous les cas, les jeunes en difficultés dans les quartiers, par exemple, sont contactés par l'intermédiaire de l'IAE ou de la mission locale, ce qui permet de rassurer l'employeur, ainsi que l'équipe syndicale qui se refuse à une approche clientéliste.

Les résultats de ces expériences sont analysés afin de généraliser un mode de fonctionnement tripartite, regroupant employeur, organisation syndicale et acteur de l'insertion (mission locale ou structure d'insertion).

D'autres exemples, de sous-traitance ou d'implication dans le cadre de fondations d'entreprise, pourraient être cités ici. Mais l'essentiel consiste toujours à assurer ce croisement des compétences qui rassure et permet de mobiliser dans la mesure où chaque acteur s'appuie sur sa légitimité et apprend des autres. Dans le cadre de ces actions, les acteurs se rencontrent mensuellement afin d'effectuer des bilans d'étapes.

Nous soutenons vivement l'insertion par l'activité économique et l'épargne salariale solidaire qui offre aux personnes le plus en difficulté l'opportunité d'obtenir un emploi classique.

Une réforme a ainsi été annoncée ce matin par le Premier ministre dans le domaine de l'insertion par l'activité économique, avec une suppression des contrats aidés (mais pas en volume) dans ce secteur pour aller vers une aide au poste. Je signale à ce sujet que le MEDEF vient d'éditer un guide pratique pour les entreprises souhaitant travailler avec le secteur de l'insertion. Nous sommes nous-mêmes en train de finaliser des guides très précis sur cette approche de la solidarité qui nécessite des initiatives innovantes.

M. Guy FISCHER - La perspective d'avoir un spectre trop étendu de bénéficiaires potentiels du RSA nous inquiète, dans la mesure où il s'agit d'un dispositif d'une grande complexité. Ne pensez-vous pas nécessaire de déterminer précisément ces futurs bénéficiaires pour réellement mettre à leur disposition l'ensemble des moyens prévus? A quelles conditions pensez-vous que la politique de gestion de l'exclusion et de la pauvreté actuelle pourra être remplacée par une politique de retour à l'emploi ne favorisant pas, pour autant, la généralisation de la précarité ?

M. Jacques RASTOUL - Nous sommes tout à fait d'accord avec vous sur ce sujet, et nous nous efforcerons de faire attention à ce que le dispositif traite bien de la même façon les personnes qui trouvent pour la première fois un emploi que les anciens travailleurs pauvres, et n'entraîne pas d'effet d'aubaine. Nous attendons des effets positifs de la mise en place du RSA sur les finances publiques, mais souhaitons, dans le même temps, que des négociations préalables soient menées dans les secteurs marqués par la pauvreté et la précarité afin de les faire reculer. Le Grenelle de l'insertion s'avère, dans ce contexte, fort opportun en permettant de déterminer des mesures d'accompagnement vers l'emploi pour compléter l'approche monétaire du RSA.

Les associations et les syndicats travaillent depuis plus de 6 mois sur le sujet, ce qui nous permet, au-delà de l'apparente complexité du dispositif, de mieux faire apparaître la véritable simplification qu'il induit en se substituant aux nombreux autres dispositifs d'aide. Nous souhaitons cependant que la disparition de la PPE ne se fasse pas au détriment de certains de ses bénéficiaires actuels, mais que celle-ci contribue, d'une part, au financement du RSA et, d'autre part, à une forme de redistribution fiscale. Des processus de transition adaptés devront ainsi être imaginés. La loi créant le RSA devra également traiter du sujet de l'insertion professionnelle.

M. Guy FISCHER - Quand cette loi interviendra-t-elle ?

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - A l'automne.

M. Guy FISCHER - Vous avez affirmé la nécessité de recenser les droits connexes existants dans chaque département. Cette démarche ne conduira-t-elle pas à une mise en oeuvre individualisée du RSA dans chacun de ces départements ?

M. Jacques RASTOUL - Nous nous sommes prononcés, pour notre part, pour une généralisation du dispositif. Des domaines très spécifiques à un département, concernant les transports ou l'aide à la petite enfance, par exemple, devraient cependant pouvoir bénéficier d'une réponse adaptée par l'action mutualisée de la protection sociale, des collectivités territoriales et de l'Etat. Des progrès en termes d'efficacité pourraient ainsi être obtenus, de même que des améliorations dans les domaines du logement ou de la formation professionnelle.

En guise de conclusion, le Grenelle de l'insertion pourrait constituer une occasion de clarification des rôles des différentes collectivités locales, des partenaires sociaux et de l'Etat, dans le cadre des bassins d'emploi. Le fait que les conseils généraux traitent des politiques sociales sans les déconnecter de l'emploi nous semble ainsi particulièrement prometteur, comme notre expérience sur le terrain nous le démontre depuis plusieurs années.

Mme Brigitte BOUT, Présidente - Nous vous remercions pour votre exposé et particulièrement pour son caractère très innovant.

Audition de M. René BAGORSKI, conseiller confédéral de la Confédération générale du travail (CGT) - (27 mai 2008)

Mme Brigitte BOUT, Présidente - Nous vous accueillons le cadre de notre mission qui traite de la politique de lutte contre la pauvreté et l'exclusion.

Nous vous interrogerons après votre exposé.

M. René BAGORSKI - Je vous remercie de m'avoir invité. Mme Agnès Naton, secrétaire confédérale de la CGT, vous prie, par mon intermédiaire, d'excuser son absence, de même que Mme Jacqueline Donnedu qui se consacre actuellement à la gestion du conflit des sans papier à Paris.

A l'appui de mon intervention, je mobiliserai deux documents : une proposition de la CGT intitulée « Faut-il un contrat ou une convention pour les personnes en insertion ? » et la déclaration de la CGT au sujet de l'avis du COE sur le RSA.

En introduction, je voudrais citer les propos tenus par M. Alain Supiot lors du colloque « Les sans emploi et la loi » qui s'est déroulé à Nantes en 1987.

« Dans le train d'enfer des sociétés industrielles, il y a ceux qui voyagent en première classe, ceux qui voyagent en deuxième classe et ceux qui, n'ayant pas de place assise, voyagent debout. Il y a aussi ceux qui, n'ayant pas de place du tout, sont jetés sur le ballast. De ceux-là, on ne dit pas seulement qu'ils n'ont pas d'emploi, mais qu'ils sont sans emploi, signifiant ainsi que c'est d'une part de leur identité qu'ils sont privés ; identité au sens psychologique et social, mais aussi juridique du mot. Ils conservent certes un nom et un sexe, une date de naissance, souvent et pas toujours un domicile, mais n'ont rien à écrire dans la rubrique profession. D'une certaine manière, les sans emploi se trouvent ainsi hors la loi, en tout cas hors de cette loi commune qui assigne à chacun une fonction dans la vie de la cité. Cela ne veut pas dire qu'ils sont ignorés du législateur. L'absence d'emploi étant un écart à la norme, ne peut au contraire que préoccuper ceux qui font les lois, qu'il s'agisse pour eux de prévenir les dangers que les sans emploi font courir à l'ordre, ou d'apaiser les maux dont ils souffrent. »

En relisant ce texte, j'ai considéré qu'il faisait parfaitement écho à notre thème de travail.

La production de règles de droit spécialement conçues pour endiguer l'exclusion professionnelle et sociale n'a jamais été aussi intense en France, avec par exemple le RMI en 1988 et la loi contre l'exclusion en 1998. Je note que l'évolution du vocabulaire dans ce domaine n'est pas neutre. L'insertion a été remplacée par l'exclusion et on parle désormais de l'inclusion active à l'échelle européenne.

Ces lois nous semblent proliférer proportionnellement à l'ampleur du phénomène d'exclusion, mais avec une efficacité limitée. Les diagnostics sont en effet très proches de ceux qui ont déjà état dressés il y a 20 ans, mais le nombre d'exclus a, en revanche, sensiblement augmenté. Les règles de droit ont ainsi été produites suivant des principes de droit généraux, qui découlent du droit au travail, à l'emploi et à la qualification, affirmés par le préambule de la Constitution. Mais ces règles de droit semblent finalement remplir une fonction exclusivement instrumentale, dans la mesure où elles servent à classer les publics en différentes catégories et fournissent des cadres de références pour les allocations, les ressources financières et l'exercice du contrôle administratif et financier. Les sans emploi sont ainsi juridiquement encadrés. Il est dès lors possible de les compter, et de suivre l'évolution de leurs flux et de leurs stocks. En ce sens, on peut dire que le phénomène qu'ils représentent est administré. Cette fonction de gestionnaire est cependant très éloignée de la conception du droit que se font ceux qui sont frappés par l'exclusion, la misère, ou la grande pauvreté, et qui luttent pour s'en affranchir. Elle est également très éloignée de l'idée que s'en fait la CGT.

La CGT s'est engagée dans le Grenelle de l'insertion pour plusieurs raisons. Nous pensons ainsi que nous devons aujourd'hui faire face à des choix politiques majeurs. Nous devons choisir en effet entre une vision qui tente d'inscrire l'humain au coeur d'un développement qui soit durable, ou au contraire un modèle dans lequel le « tout financier » devrait s'imposer à l'éthique humaine et au développement durable. Pour notre part, nous pensons que le droit au travail constitue la réponse aux problèmes des personnes en difficulté.

Selon nous, la politique gouvernementale et patronale qui a été mise en place au nom de l'équité renforce en fait les inégalités, aggrave les situations de précarité, de pauvreté et d'exclusion, en favorisant prioritairement les intérêts des plus riches. Au nom de la valeur travail, le Président de la République remet en cause le contrat social et les valeurs de solidarité qui ont prévalu dans la mise en place des acquis et des droits des salariés, issus notamment du Conseil national de la résistance. C'est pourquoi la CGT réaffirme l'urgence de repenser le sens, la finalité et le contenu du travail qui est essentiel à la structuration de la personne, à la construction du lien social, à la socialisation et à la cohésion sociale, ainsi qu'au développement économique et culturel. Promouvoir les liens étroits entre le travail et les cultures doit ainsi permettre de répondre aux besoins fondamentaux des femmes et des hommes, de faire société, d'exercer leur citoyenneté, leur liberté, et de faire vivre la démocratie. La CGT a ainsi toujours affirmé la nécessité de former le travailleur en même temps que le citoyen.

Le travail constitue ainsi un enjeu d'émancipation, de construction de soi et de son rapport à l'autre, de l'articulation du « je » et du « nous ». Notre détermination à redonner une place centrale et prédominante au travail est ainsi indissociable de notre volonté de transformer des situations de travail, de non-travail, ou de mal-travail, pour transformer la société. La CGT considère que chaque citoyen, chaque salarié, chaque résident du pays doit pouvoir exercer le droit de travailler, avoir le droit à un emploi stable, qualifié et bien rémunéré qui lui autorise une vie digne et descente. En l'absence de travail, l'Etat a le devoir de subvenir aux droits et besoins fondamentaux de chacun et de chacune. L'ensemble des acteurs de l'insertion, partenaires sociaux, pouvoirs publics, professionnels de l'insertion ont pour devoir de veiller à la réalisation d'un parcours d'insertion sociale et professionnelle à partir du projet de vie de la personne. Dans cette perspective, afin d'éviter les écueils et de favoriser les chances de réussite, la CGT propose que ces parcours d'insertion soient mis en place dans le cadre d'un contrat personnalisé d'insertion sociale et professionnelle sécurisé. Un tel contrat intégrerait les objectifs à atteindre ainsi que les moyens pour y parvenir, avec un accompagnement social et professionnel personnalisé. Il s'agirait ainsi de construire un droit de l'insertion au coeur du droit du travail, et donc d'élargir le périmètre de négociation des partenaires sociaux au champ de l'insertion.

Par ailleurs, la CGT propose la mise en « sécurité sociale » des parcours professionnels de tous et de toutes, en s'appuyant sur le projet de vie de chaque personne, et en rendant effectifs les droits fondamentaux (dont le droit au travail) ainsi que de nouveaux droits attachés à la personne qui seraient les éléments constitutifs d'un nouveau statut du travail salarié.

Nous avons ressenti une crainte au début du Grenelle de l'insertion. Nous redoutons en effet que le devoir d'insertion ne soit désormais invoqué afin de faire pression sur les exclus, alors que dans le même temps la société n'aménagerait pas les espaces d'insertion dont ils ont besoin pour s'arracher à leur condition.

J'ai conscience du fait qu'une telle introduction ouvre des perspectives très larges, mais elle vise en premier lieu à replacer la valeur travail au coeur des réflexions que nous devons mener.

Par la suite, nous nous sommes efforcés de réfléchir aux solutions que nous pourrions apporter aux 5 millions de personnes exclues du monde du travail, en les accompagnant dans un parcours sécurisé. Le terme « sécurisé » est aujourd'hui très fréquemment utilisé. Je considère personnellement qu'il peut être très utile d'étudier la fréquence d'utilisation de certains éléments de vocabulaire à des moments déterminés. Le terme d'employabilité, par exemple, fut très utilisé à l'occasion de la réforme de la formation professionnelle en 2003. C'est aujourd'hui le cas du mot parcours. Il existe ainsi des logiques de vocabulaire qui ne tiennent pas nécessairement compte de l'intérêt des personnes, des territoires ou des entreprises, mais plus de l'intérêt de certains spécialistes à populariser ces mots.

Je voudrais rappeler ici les trois besoins que j'avais identifiés à l'occasion du rapport sur la formation professionnelle dont M. Bernard Seillier était le rapporteur.

Les premiers besoins sont ceux des territoires, qu'il s'agisse de la Nation, des régions ou des bassins d'emploi. Viennent ensuite les besoins des personnes morales (les entreprises), et enfin les besoins des personnes. La question majeure consiste à déterminer qui doit définir ces besoins, et de quelle manière. Cette question, de même que celle consistant à savoir quelle est la place des différents acteurs dans le combat à mener, se pose de manière immuable, quel que soit le contexte.

Chaque salarié, ou plutôt chaque actif potentiel (toute personne sortie du système scolaire jusqu'à sa retraite) est-il en mesure de déterminer ses propres besoins ? Quels éléments doit-il prendre en compte pour y parvenir ? Qui devra ensuite assurer la responsabilité de l'accompagner dans la réalisation de son objectif ?

Je voudrais rappeler ici qu'un parcours n'a de sens que dans la mesure où il dispose d'un objectif e que nous ne saurions considérer qu'il est réalisé que dans la mesure où cet objectif est atteint.

Le besoin d'une personne s'inscrit nécessairement dans un contexte territorial et économique qui ne lui offre pas automatiquement la possibilité de réaliser ses objectifs. C'est pourquoi nous considérons que le service public de l'emploi doit lui offrir un accompagnement personnalisé, dans la mesure où il constitue le lieu d'accueil, de formation et d'orientation le plus pertinent pour garantir un parcours qui conduise à une qualification reconnue sur un marché du travail donné et aboutisse ainsi à un emploi de qualité, et durable.

La personne devra, dès son accueil, pouvoir s'interroger sur son identité personnelle et les moyens dont elle peut avoir besoin pour réaliser son objectif. Cette identité est composée de besoins professionnels, de besoins de qualification et de formation, mais aussi de besoins sociaux. Les problèmes de logement ou de santé, par exemple, constituent ainsi la préoccupation première de ceux qui en souffrent.

Dans ce contexte, il s'avère indispensable de déterminer les conditions qui permettront de réaliser un diagnostic pertinent, permettant de construire un parcours dont chacune des étapes sera valorisée et validée afin d'éviter le risque d'un retour à la situation initiale.

Un tel parcours devra s'inscrire dans un système de droits et de devoirs, sans que ces devoirs ne se réduisent à ceux des personnes en difficulté vis-à-vis de la collectivité. Le service public de l'emploi aura lui aussi des devoirs vis-à-vis d'elles. Nous sommes ainsi favorables à ce que chaque personne éloignée de l'emploi soit inscrite auprès de l'opérateur de service public qui devra lui fournir un panier de prestations, consistant en une offre de services adaptée à ses besoins.

Le constat qu'une personne sans contrat de travail n'a pas d'identité sociale est aujourd'hui, je crois, partagé. Nous devons donc déterminer les modalités qui permettront de sécuriser les parcours des personnes en difficulté et de construire une offre de droits dont elles pourraient bénéficier. Comme nous l'avons affirmé à l'occasion du Grenelle de l'insertion, dans la déclaration commune des partenaires sociaux, nous demandons la simplification des contraintes en matière d'insertion et l'application du droit commun.

Le contrat nous a semblé être la forme la plus pertinente à employer, en ce sens qu'il est conclu entre deux parties, dans le cadre d'un système de droits et devoirs réciproques.

La première tâche d'un tel contrat d'insertion sera donc d'identifier ces droits et devoirs, avant de déterminer le parcours professionnel sécurisé le plus adapté aux besoins et au projet de vie de la personne.

En outre, un droit à l'échec devra être accordé à chacun pour ne pas risquer les retours au point de départ.

Enfin, des solutions de remplacement devront être prévues en cas de difficultés, en fonction du parcours déjà réalisé.

Le service public de l'emploi devra, selon nous, s'adresser à tous, salariés et personnes aspirant à trouver un emploi. Ses missions seront l'accueil, l'orientation et la formation. Il devra également assurer la responsabilité de l'insertion en gérant le placement et le versement d'un revenu de remplacement à toutes les personnes privées d'emploi. Il permettra ainsi de sécuriser le parcours professionnel des salariés et de toutes les personnes en situation de précarité.

Dans le prolongement de ces réflexions, nous considérons que le contrat d'insertion devra être conclu avec ce service public de l'emploi, qui sera représenté par un organisme support garantissant des droits, un parcours, et un objectif à atteindre. Il pourra ainsi reprendre la logique du CTP qui permet de garantir à des personnes licenciées, mais qui peuvent être reconverties, un parcours, un objectif et une rémunération dans le cadre d'une filiale de l'AFPA. Les personnes pourraient ainsi bénéficier d'un statut proche de celui des stagiaires de la formation professionnelle, avec donc des droits liés.

Nous sommes, par ailleurs, favorables à la mise en place d'un référent unique qui serait entouré d'une équipe pluridisciplinaire. Les agents en charge de l'accueil devront bénéficier d'une formation suffisante leur permettant de disposer d'une vision d'ensemble pour orienter les usagers vers les interlocuteurs les plus adaptés à leur cas particulier. Ils devront leur offrir une réelle écoute, qui ne se réduise pas à une relation administrative, mais permette au contraire de mieux identifier des difficultés comme l'illettrisme ou l'addiction qui ne sont parfois pas repérées. Chacun pourra ainsi exprimer ses attentes personnelles, avant qu'un premier diagnostic ne soit émis.

Le contrat d'insertion constituera ainsi, selon nous, le socle sur lequel pourra se construire le parcours qui permettra à une personne licenciée, après avoir retrouvé un emploi, d'être toujours accompagnée socialement et professionnellement par son référent.

Le contrat de professionnalisation, pour sa part, se consacrera au projet professionnel et donnera l'opportunité de suivre une formation en alternance. Les financements qui lui seraient affectés ne devraient pas se réduire aux fonds collectés par les entreprises, mais au contraire associer les Conseils régionaux dans le cadre d'un fonds complémentaire qui ne serait mobilisé qu'à l'initiative du référent. Nous devons, dans ce domaine, développer une synergie de moyens, sans que la personne en difficulté ait à connaître la configuration des dispositifs dans lesquels elle s'inscrit.

Je résumerais mon propos en disant qu'il faut d'abord définir un parcours (en décidant qui doit le déterminer) dont toutes les étapes doivent pouvoir être validées et valorisables, et qui accorde un droit à l'erreur incluant une solution de remplacement éventuelle. Un contrat doit ensuite être signé avec le service public de l'emploi qui garantira le parcours grâce à accompagnement social et professionnel personnalisé qui place la personne en son centre et mette en place, à son profit, les synergies financières nécessaires.

Nous considérons que les moyens financiers actuels doivent être réaffectés, comme par exemple les fonds de la formation professionnelle, vers des périodes de pré-professionnalisation pour les personnes les plus en difficulté, ou en reconfigurant les minima sociaux pour permettre à leur bénéficiaires de vivre dignement.

Nous espérons, par ailleurs, que le RSA constituera un moyen pour inciter les personnes à travailler plutôt qu'un moyen de subventionner certains types de salaires dans une logique de temps partiel imposé. Dans le même esprit, nous nous inquiétons du risque que le RSA, dans la mesure où il sera une prestation versée en fonction d'une situation familiale et non pas personnelle, peut faire peser sur l'indépendance des femmes en leur accordant une rémunération minimale.

Mme Brigitte BOUT, Présidente - Merci beaucoup pour cet exposé très complet.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Les présentations de M. Bagorski sont toujours très intéressantes et fort bien structurées.

J'ai le sentiment que le rôle que jouent les syndicats sur des sujets comme l'exclusion et l'emploi prend de l'ampleur dans la période récente. Pensez-vous que cette responsabilité nouvelle s'explique par le fait que certains abandonnent la leur ?

Comme le démontre votre exposé qui a traité de la problématique de l'insertion dans sa globalité, vous dépassez le rôle étroit, d'ordinaire réservé aux syndicats, de défense des salariés.

M. René BAGORSKI - J'ai affirmé à dessein que toute personne représente un actif potentiel et, par extension, un salarié potentiel. Il est nécessaire de rompre avec une conception réductrice qui classe les individus dans quatre groupes : ceux qui bénéficient de droits communs car ils disposent d'un contrat de travail, ceux qui ont disposé d'un contrat de travail et bénéficient donc d'une assurance, puis ceux qui recherchent un premier emploi, et enfin tous les autres qui relèveraient de la solidarité.

Or aujourd'hui, seules les deux premières catégories de personnes et, à la marge, les demandeurs d'emploi, relèvent de la négociation entre les partenaires sociaux.

Le champ relevant de la solidarité ne viserait dès lors qu'à regrouper des personnes dans des cases administratives, en leur offrant pour seule perspective d'émancipation d'être justement les sujets de la solidarité nationale, régionale, ou départementale

Le thème de l'insertion, comme l'affirme la déclaration des 5 confédérations syndicales que j'ai évoqué précédemment, doit devenir un thème essentiel de la négociation collective dans la mesure où nous considérons que toute personne est un salarié potentiel et que, dès lors, l'ensemble des moyens disponibles, qu'ils proviennent du contrat de travail, de l'assurance ou de la solidarité, doivent être mis en synergie pour lui permettre de construire un parcours sécurisé et lui accorder des droits individuels garantis collectivement.

Mme Brigitte BOUT, Présidente - Il est indispensable de considérer que toute personne peut être en mesure de trouver un travail.

M. René BAGORSKI - Comme nous l'avons affirmé à l'occasion du Grenelle de l'insertion, il n'existe pas de personnes inemployables. Or durant les 20 dernières années, des catégories de personnes potentiellement inemployables ont pourtant été créées, comme celles de plus de 57 ans et demi, ou celles de plus de 50 ans. Nous devons éviter que, comme aux Pays-Bas, ne se mette en place un groupe très vaste de personnes handicapées qui regrouperait des personnes avec un handicap réel ne leur permettant pas d'intégrer une entreprise, mais aussi des personnes avec de simples problèmes conjoncturels (à l'image des personnes souffrant d'addiction).

L'accompagnement social et professionnel que nous prônons doit ainsi permettre aux personnes en difficulté de ne pas devenir des citoyens handicapés bénéficiant de la solidarité, mais au contraire des personnes à part entière, à la fois salariés et citoyens.

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE - Nous avez-vous exposé le projet de la CGT ou un projet commun élaboré dans le cadre du Grenelle de l'insertion ?

Je retrouve, par ailleurs, une grande similitude entre vos propositions et le programme Parcours d'accès à la qualification et à l'emploi sur lequel j'ai travaillé et qui employait les notions de contractualisation d' essai-erreur, de référent unique et de parcours personnalisé. Ce programme concernait des populations très éloignées de l'emploi (avec par exemple des problèmes cognitifs), et s'adressait aux jeunes. Il a ainsi permis à certains de s'insérer grâce à une qualification ou un emploi. Il a cependant dû s'interrompre, du fait se son coût trop élevé.

Le coût financier de votre projet a-t-il ainsi été estimé ? L'avez-vous présenté dans le cadre du Grenelle de l'insertion ? A-t-il reçu un avis favorable?

M. René BAGORSKI - Je voudrais préciser certains points au sujet du projet de la CGT.

Premièrement, nous souhaitons que chaque personne puisse disposer d'une qualification reconnue sur le marché du travail à la sortie du système scolaire.

Par ailleurs, nous souhaitons que chaque personne puisse bénéficier d'un niveau de certification supplémentaire à sa sortie du monde du travail par rapport à son entrée sur celui-ci, et que son niveau de rémunération soit doublé à l'échelle d'une carrière professionnelle.

Notre approche s'inscrit ainsi dans une logique d'évolution professionnelle plutôt que de stagnation, qui permettant de donner les moyens à une personne tout au long de son parcours de rester opérationnelle sur le marché du travail.

Il ne faut en aucun cas chercher à exclure progressivement des personnes du monde du travail, sans leur avoir donné les moyens de s'y intégrer.

La négociation sur la formation professionnelle évoque un plan en trois étapes qui oblige les entreprises à une adaptation au poste des salariés, leur demande de veiller à leur maintien dans l'emploi, et leur donne la possibilité de contribuer au développement de leurs compétences.

Or il est, selon nous, nécessaire de mettre en place une obligation aux emplois, afin de mieux responsabiliser les employeurs et d'éviter le licenciement de personnes sous prétexte de leur inadaptation aux besoins de l'entreprise. Nous devons nous inscrire dans une logique de maintien dans l'emploi.

Consciente du fait que les personnes en insertion relèvent du champ de responsabilité des organisations syndicales, la CGT s'est fortement investie dans le Grenelle de l'insertion. C'est dans ce cadre que nous avons proposé notre projet de contrat sécurisé adapté au parcours de chaque personne.

L''analyse des différents crédits consacrés aux politiques d'insertion, et notamment les exonérations de charge, laisse apparaître des ressources très importantes. Nous proposons, à titre d'exemple, que les exonérations actuelles de cotisations soient remplacées par une prise en compte de l'effort en matière d'insertion de l'entreprise dans le calcul de sa contribution sociale. Des usagers nous ont récemment affirmé qu'ils considéraient que les contrats aidés avaient été imaginés au profit des employeurs plutôt que pour eux.

Pour traiter efficacement la question des moyens de financements et identifier les synergies que nous pouvons dégager dans ce domaine, nous devons d'abord nous demander quels sont les périmètres d'intervention. En effet, le contrat de travail et l'assurance-chômage sont pris en charge par les partenaires sociaux, tandis que les demandeurs d'emploi et les jeunes le sont par les conseils régionaux, la politique sociale et les minima sociaux par les conseils généraux, et d'autres dispositifs encore par les communes.

Il existe ainsi une forme de maillage qui laisse cependant apparaître des zones négligées (certaines personnes ne dépendent d'aucun de ces périmètres d'intervention) tandis que d'autres bénéficient d'une superposition des périmètres d'intervention (et donc d'une couverture financière parfois redondante).

Au regard de ce constat, nous avons demandé aux partenaires sociaux, dans le cadre de l'accord sur la formation professionnelle, une évaluation des politiques publiques dans ce domaine, d'autant que nous observons que certains moyens financiers dédiés à la formation professionnelle ne sont pas utilisés et que dans le même temps certaines économies budgétaires interviennent au détriment des personnes et de la cohésion sociale.

Nous devons cesser d'entretenir financièrement certains organismes de formation qui constituent de véritables marchands de soupe pour reprendre les termes employés par M. Martin Hirsch, et, au contraire, mettre en place un système de droits et devoirs pour gérer ces fonds. Nous préconisons, dans ce domaine, je le rappelle, la création d'un fonds abondé par l'Etat, les collectivités territoriales (notamment par la réaffectation de certains crédits de la formation professionnelle) ainsi que les entreprises.

Nous ne demandons pas de crédits supplémentaires, mais simplement la mise en place d'une gestion saine pour mettre fin à certains abus. La définition des objectifs et des critères d'évaluation et de suivi sera ainsi décisive pour permettre une utilisation juste et efficace des fonds et procéder aux corrections éventuellement nécessaires.

M. Guy FISCHER - Je suis d'accord avec vous sur les principes.

Cependant je constate que l'objectif principal du gouvernement semble aujourd'hui de mettre en avant la baisse du taux de chômage. J'ai moi-même réussi, dans le département de l'Ain, à porter ce taux à seulement 4 %, synonyme de plein emploi.

Or notre souci principal devrait être de savoir ce que deviennent les titulaires des minima sociaux 5 ans après en avoir bénéficié. Nous partageons tous le principe selon lequel tout travail mérite salaire, mais il ne devrait pas masquer les enjeux relatifs au montant de la rémunération, ou au temps de travail, notamment dans le cadre du RSA.

La question de la nature de l'investissement de l'entreprise dans les parcours sécurisés reste également posée.

En ce sens, ne considérez-vous pas que notre société connaît aujourd'hui une phase d'adaptation à des réalités économiques et financières qui tendrait, en France comme en Europe et dans les autres pays industrialisés, à institutionnaliser la précarité et même à la généraliser ?

M. René BAGORSKI - La question de la précarité nous amène nécessairement à poser celle de la nature du contrat de travail.

Le nombre aujourd'hui très élevé des CDD a des répercussions très fortes sur la capacité des personnes à s'insérer dans la société dans la mesure où, dans un tel cadre contractuel, la visibilité de la personne ne peut dépasser 6 à 18 mois. Il existe en effet un risque qu'avec le RSA, la priorité absolue donnée à l'emploi n'amène à négliger la nature et la durée de cet emploi. Certes, durant sa période d'emploi, la personne n'apparaîtra plus dans les statistiques du chômage.

L'insertion est aujourd'hui considérée comme un secteur alors qu'elle devrait faire l'objet d'une politique à part entière permettant à chaque personne de bénéficier, pour un temps, de ses dispositifs de soutien, mais avec pour vocation de lui permettre d'en sortir.

A l'inverse de notre principe selon lequel toute personne est employable, nous avons pu constater que, dans la période récente, de nombreuses politiques ont été menées en Europe, reposant sur l'idée qu'il existe des personnes inemployables, pour lesquelles il faut déterminer des critères d'inemployabilité, pour les condamner à être traitées par la solidarité.

J'ai récemment eu l'occasion d'entendre la présidente du MEDEF affirmer que les entreprises ont besoin que les parcours d'insertion leur fournissent des personnes opérationnelles. Cette exigence peut paraître tout à fait justifiée. Cependant, lorsque des personnes qui ont pu traverser des difficultés sont salariées dans une entreprise, dans le cadre du plan de formation, il peut être tout aussi légitime de leur donner les moyens de rester opérationnelles dans le cadre de leur poste de travail. De même, il me paraît légitime de demander à l'entreprise qu'elle assure une promotion régulière à ses salariés, tout au long de leur vie. L'entreprise se doit désormais d'appréhender de manière différente la gestion de ses ressources humaines.

Nous faisons face aujourd'hui à une alternative. Nous devons en effet choisir entre une société qui crée un secteur de l'insertion cloisonnant, ou la mise en place d'une politique de l'insertion qui donne les moyens à chaque individu de construire un parcours répondant à ses besoins personnels, à ceux des territoires, ainsi qu'à ceux des entreprises.

Mme Brigitte BOUT, Présidente - La relation humaine s'avère en ce domaine déterminante. La personne en difficulté devra ainsi être suivie par un référent avec lequel elle devra entretenir un rapport de confiance.

M. René BAGORSKI - Nous devrons leur donner la possibilité de changer de référent si la première rencontre n'est pas satisfaisante. La notion de confiance est effectivement cruciale.

Par ailleurs, alors que nous considérons, pour notre part, que chaque personne doit être inscrite auprès du nouvel opérateur du service public de l'emploi, nous constatons que les pouvoirs publics mettent aujourd'hui l'accent sur le débat concernant l'offre valable d'emploi et la menace d'une réduction des allocations en cas de refus. Ne peut-on pas discerner une part d'absurdité dans une telle démarche? J'espère que vous serez vigilants dans ce domaine.

M. Guy FISCHER - Aujourd'hui, on stigmatise les titulaires de minima sociaux.

M. René BAGORSKI - Il est impossible de déterminer, dès le début, la durée du parcours d'insertion d'une personne.

Il serait, dès lors, tout à fait injuste de retirer les minima sociaux à une personne au bout de 6 mois parce qu'elle ne correspond pas à une offre d'emploi donnée, si elle n'a pas droit, par ailleurs, à des allocations chômage.

Je reconnais que notre ambition est généreuse et les moyens que nous souhaitons mobiliser significatifs (avec la sécurisation des parcours par un service public de l'emploi, et le système d'un référent unique entouré par une équipe pluridisciplinaire compétente). Mais nous adoptons ici une logique basée sur l'investissement qui doit donc permettre à terme une réduction importante de certains coûts.

Mme Anne JARRAUD-VERGNOLLE - Comment votre projet est-il perçu au sein du Grenelle de l'insertion ?

M. René BAGORSKI - Je crois que les usagers eux-mêmes ont compris qu'ils ne représentaient pas un coût pour la société mais pouvaient, au contraire, constituer, pour elle, une richesse comme le terme de capital humain le sous-entend. Le manque de formation ne doit pas être utilisé pour dévaloriser une personne, de même que la formation ne doit pas constituer, comme c'est le cas aujourd'hui, une punition, mais au contraire une solution, une forme d'investissement.

Mme Brigitte BOUT, Présidente - Il est tout à fait juste de considérer que, si une solution est trouvée pour une personne en difficulté, celle-ci peut devenir un capital pour la société.

M. René BAGORSKI - Dans le même temps, la personne redevient un acteur et acquiert une reconnaissance. J'ai ainsi assisté le 16 avril dernier, dans le cadre du collège des usagers, au témoignage de personnes qui avaient pour la première fois l'impression d'être écoutées et décrivaient le véritable parcours du combattant auquel elles devaient faire face, notamment en milieu rural, avec parfois pour seul résultat d'avoir à remplir une énième fois la même fiche administrative.

Mme Brigitte BOUT, Présidente - Je vous remercie pour l'ensemble de vos réflexions et la part d'espoir qu'elles ont pu nous redonner.

Audition de M. Franck RIBOUD, Président-Directeur général du groupe Danone - (28 mai 2008)

M. Christian DEMUYNCK, Président - Messieurs, nous vous remercions de votre présence ici pour cette audition organisée par notre mission d'information sur les politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion, sujets que vous connaissez très bien, votre entreprise étant largement impliquée dans des programmes de développement par l'insertion économique et de microcrédit.

Nous sommes à la recherche d'idées susceptibles de déboucher sur des actions positives. Voici la raison de votre présence aujourd'hui.

Nous vous invitons à faire un exposé de dix à quinze minutes. Ensuite, M. Bernard Seillier, rapporteur, vous posera quelques questions. Mes collègues pourront également vous demander quelques éclaircissements sur des thèmes que vous aurez abordés.

M. Franck RIBOUD - Je suis, avant toute chose, très flatté de participer à vos travaux. La pauvreté est-elle prise en compte chez Danone ? Pour répondre à cette question, je rappellerai que l'ancien président de cette entreprise, c'est-à-dire mon père, y a mis en place, dans les années soixante-dix, un système d'intéressement fort, à la suite d'un discours qu'il a prononcé à Marseille devant le CNPF, l'ancêtre du MEDEF. La teneur de son propos a été simple : une entreprise ne peut obtenir de bons résultats économiques si elle ne bénéficie pas de solides résultats sociaux, et vice-versa. Danone a traduit cette idée par la mise en place d'un double programme social et économique. Je ne fais pas référence ici, toutefois, à un programme social et humain et à un programme économique et financier. Concrètement, si demain j'y suis obligé, je fermerai une usine, même si cette décision risque d'entraîner des gens dans la pauvreté.

Au cours de ces années 70, nous étions des adeptes de la planification économique, mais pas de la planification sociale dont personne ne parlait. Pourtant, ces deux démarches vont de pair. Toute l'origine de la culture du groupe Danone réside dans ce double projet social et économique lancé dans les années 70 et faisant partie de l'ADN de notre entreprise. Tous mes propos porteront sur l'activité de notre groupe en France, même si celui-ci s'est beaucoup internationalisé depuis une dizaine d'années. Cette mondialisation l'a exposé, par frottements, à de nombreux pays émergents, qui, pour la plupart d'entre eux, progressent sur le plan économique et voient le pouvoir d'achat de leurs populations augmenter. C'est l'une des raisons pour laquelle Danone s'intéresse à ces Etats qui, malgré leur enrichissement, n'en connaissent pas moins de pauvreté. L'écart de revenus entre leurs populations riches et pauvres se creuse. Toutefois, globalement, le pouvoir d'achat des deux cents millions d'Indonésiens, par exemple, croît.

A chaque visite que j'effectue dans ces pays en développement, des acteurs locaux me présentent systématiquement la même pyramide du pouvoir d'achat, comprenant des populations A, B, C et D classées en fonction de leurs revenus. Pour reprendre l'exemple indonésien, Danone commercialise dans ce pays de l'eau en bouteille, laquelle apporte une réelle sécurité sanitaire aux habitants condamnés à attendre plusieurs dizaines d'années avant d'avoir accès à une eau du robinet potable. Or, discussions montrent que, pour l'heure, la vente d'eau en bouteille concerne uniquement des populations riches. Un acteur local m'a expliqué que mes produits pourront être lancés dans l'agglomération de Djakarta, soit dans un bassin de vingt millions d'habitants dont la moitié, située au sommet de la pyramide des revenus, possède le pouvoir d'achat des Belges et est concentrée dans un rayon de cent kilomètres. Aussi une telle opération de lancement, d'un point de vue logistique, ne coûtera pas très cher.

En même temps, en bas de la pyramide des revenus, aux échelons D et E, il se trouve cent millions d'individus dont 80% vivent avec deux dollars par jour.

Comment est-il possible de pallier ces déficiences ? Il y a quelques années, Danone a mis en place une stratégie business, intitulée Afford Ability, dont le but est de rendre ses produits accessibles au plus grand nombre de personnes, de manière à leur apporter la santé par l'alimentation, une des missions de l'entreprise. Ce projet, toutefois, est d'essence économique et n'implique pas de dimension caritative, même si je n'exprime aucun rejet de la charité. En la matière, Danone mène des initiatives très décentralisées. Des programmes de profit sharing, c'est-à-dire de partage de profits pour le compte d'associations, sont gérés dans différents pays par les filiales du groupe. Seulement, notre modèle économique vise à atteindre, dans l'idéal, un maximum de consommateurs, y compris ceux vivant avec deux euros par jour.

Pourquoi souhaitons-nous mettre en place un tel système ? Nous entendons tous parler de développement durable. Nous cherchons le développement. Mais rendre celui-ci durable ne passe pas par la charité qui repose sur la volonté d'un homme ou d'une femme, qu'il nous faudra remplacer le jour de son départ. Par ailleurs, nous observons une réelle compétition entre les programmes caritatifs dans leur recherche de financements. Ainsi le modèle caritatif n'échappe pas au modèle des affaires. Un modèle économique, gagnant de l'argent, est, lui, pérenne et viable durablement. Ma rencontre avec M. Muhammad Yunus, alors qu'il n'était pas encore prix Nobel de la paix, m'a permis de lui exposer ma conviction que la bonne nutrition peut faire reculer la pauvreté. Réduire cette dernière implique d'améliorer les conditions sanitaires des populations, tout simplement. Une diarrhée, en France, se soigne et s'oublie. En revanche, elle affaiblit un Indonésien et pèse sur son immunité naturelle pour le restant de ses jours.

Au Bangladesh, nous avons créé Grameen Danone pour vendre des yaourts à cinq centimes d'euros. Avec la hausse du prix des matières premières, mon groupe ne gagne pas d'argent avec ce produit, mais montre que le recul de la pauvreté dans ce pays consiste à trouver des solutions pour réduire le prix du lait et non à organiser une kermesse pour récolter de l'argent pour les plus pauvres. A l'heure actuelle, notre souci majeur réside dans l'augmentation du coût des matières premières. La climatologie est responsable en partie de ce renchérissement, en limitant la production de lait en Nouvelle-Zélande par exemple. La demande en forte croissance en produits alimentaires des pays asiatiques, qui consomment moins de végétaux et plus de viandes, en est une autre cause ; la montée des carburants verts une troisième.

Au-delà de ce projet Grameen Danone, notre désir d'aller plus avant demeure. Nous considérons cette initiative comme un véritable outil de management dans le groupe, un code génétique même. Danone possède la volonté d'impliquer l'ensemble de ses salariés dans ses programmes. La raison en est que les leaders d'opinion clefs du groupe constituent ses salariés et ses managers, mais aussi et surtout ses fournisseurs et ses actionnaires. Une entreprise a pour ambition de gagner de l'argent et de réaliser des profits. Si elle n'en fait pas, plus aucun investissement, y compris dans un programme comme celui mis en place au Bangladesh, n'est possible.

Si Grameen Danone se révèle payant, nous dupliquerons ce genre de modèle hybride, reposant sur un pan de charité et un pan économico-sociétal, dans d'autres pays. C'est ainsi qu'en lien avec une association dénommée Mille et une fontaines, nous avons créé une entreprise pour mettre en oeuvre un réseau de distribution d'eau saine au Cambodge. Toutefois, le bilan du compte d'exploitation de la société mise en place laisse apparaître un modèle économique pas viable. Dès l'origine, l'acquisition de l'appareil permettant de filtrer l'eau a obéré ses finances. Nous avons compensé ce déficit en montant des opérations autour de nos eaux dans le monde et pouvant prendre la forme suivante : à chaque achat de bouteille, une part du profit sur les ventes est réinvestie dans l'achat de machines de filtrage qui seront données aux opérateurs. Ainsi, nous mélangeons des activités de charité et de développement sociétal.

Cette politique est prise en charge par Danone Communities, un véhicule de fonds d'investissement, une SICAV en somme, dont le fonctionnement nous impose de limiter, à 10% des encours, l'investissement dans ce type de projet à risque. Nous assurons aux investisseurs un taux de rendement pour ce genre de placement 3% à 3,5% Ce pourcentage, même s'il n'est pas le plus élevé du marché, sécurise les personnes qui investissent dans le fonds. Danone Communities repose sur la participation des individus. Il fait référence autant aux communautés visées par le programme qu'aux communautés en place dans l'entreprise. Ce dernier a été soumis au vote des actionnaires. Il a obtenu 99,8% de réponses favorables, sachant que les actionnaires de Danone représentent de grands fonds américains, des Hedge funds.

Un comité de responsabilité sociale, présidé par M. Jean Laurent, a été instauré. Il est chargé de suivre les projets éthiques et sociétaux. Les conseils d'administration d'entreprises fonctionnent avec des comités d'éthique, des comités stratégiques, des comités d'audit et de nomination. Toutes ces instances s'intéressent à la partie économique et financière des sociétés. Le comité de responsabilité sociale, lui, fait attention aux projets d'affaires que Danone vise à développer. Un point d'achoppement existe cependant. Certaines personnes me demandent quelles sont les actions menées par le groupe en France, en comparaison de celles qu'il met en oeuvre dans les pays en développement. Je ne découvre ni la pauvreté, ni l'exclusion dans l'hexagone.

Avec la baisse du pouvoir d'achat, les inquiétudes ne manquent pas et je suis inquiet d'entendre dire qu'il suffirait de baisser le prix du paquet de quatre yaourts nature pour y remédier. La solution au problème pourrait consister à offrir des produits avec des grammages plus faibles et donc moins chers, comme cela se pratique en Afrique du Sud et au Bangladesh. Mon souci est de faire en sorte que notre groupe conserve ses marges. S'il ne réalise plus de profit, je serais licencié. Mon activité implique d'être libre, de ne subir la contrainte de personne susceptible de m'amener à prendre une mauvaise décision.

En France, l'exclusion et la pauvreté frappent surtout des endroits dits de diversité. A HEC où je suis administrateur, certains nous demandent de créer une cellule diversité pour favoriser l'entrée dans cette école d'étudiants issus des quartiers. Pour l'heure, le profil des étudiants de HEC est symptomatique de la situation française. Tant que le contrôle continu n'existera pas et qu'il n'y aura aucun effort pour obtenir une palette d'étudiants plus large, la diversité n'existera pas. Tant que des activités comme le football, la musique et le théâtre ne seront pas reconnues comme aux Etats-Unis, celle-ci ne progressera pas. Outre-Atlantique, les enfants, en pratiquant un sport, peuvent, grâce au premier point acquis dans une discipline athlétique, bénéficier de bourses et de financements leur permettant d'intégrer des universités. Sans ces aides, ils n'auraient pas la possibilité de poursuivre leurs études. En France, un enfant originaire de banlieue ne peut être admis à HEC. La sélection à l'école démarre dès la maternelle. Elle représente une catastrophe. Favoriser la diversité oblige à augmenter la largeur de l'échantillon des individus auquel vous donnez une chance de réussir. Si la sélection s'effectue sur la base d'un Bac avec une mention bien, d'emblée le socle est biaisé.

C'est pourquoi notamment l'apprentissage doit être revalorisé. Certains parents vivent comme un drame que leurs enfants soient orientés en BTS ou en IUT. Pourtant, ces formations sont à remettre à l'honneur et l'entreprise peut agir dans ce domaine. Les individus ayant un Bac + 2 n'ont pas des têtes mal faites. Leur parcours indique juste qu'à un moment, les connexions dont ils auraient pu profiter ne se sont pas réalisées comme il aurait fallu. Danone compte, dans ses forces de vente, des jeunes issus d'IUT et de BTS.

Concernant la formation en entreprise, il me semble qu'il serait beaucoup utile de la rendre obligatoire par la loi plutôt que de multiplier des taxes en tous genres. Un directeur d'usine licencié et diplômé de HEC n'a pas lieu d'être inquiet pour son avenir. Au contraire, un ouvrier peut vivre la fermeture de son usine comme une catastrophe s'il n'a pas reçu de formation lui permettant de trouver un autre travail. Faire reculer la pauvreté et l'exclusion ne relève pas d'une seule recette miracle, mais d'une multitude d'initiatives qui impactent la vie des personnes. Lorsque Danone ferme une usine, elle crée de la pauvreté et de l'exclusion. Nos plans sociaux sont décriés dans un premier temps, moins par la suite lorsque leurs bénéficiaires en découvrent les conditions avantageuses. Un plan social, pour réussir, oblige à faire du traitement au cas par cas. Nous accomplissons un travail de fourmi colossal en nous intéressant à chacun, en demandant à chaque personne dont l'usine est condamnée si elle veut déménager pour travailler et, si non, pourquoi.

Les grandes messes et les assises portant sur la pauvreté ne résolvent en rien l'exclusion. Il me paraît plus efficace de mener une multitude d'actions dans les zones les plus nécessiteuses en nous servant d'un endroit, identifié comme victime de pauvreté, comme de laboratoire propice au développement de bonnes pratiques. Les grandes messes ayant pour but de communiquer sont inopérantes. Je me répète. Mais le sport, par exemple, peut constituer une clef d'entrée dans nos sociétés.

A Danone, le programme de formation interne mis en place, nommé Evoluance, ne s'adresse pas à des salariés exclus, mais à des collaborateurs ayant suivi peu d'études, entrés en usines à dix-neuf ans, ne possédant pas a priori un horizon de carrière très large et une grande motivation pour changer de statut social. Pourtant, un étudiant issu d'une petite école de commerce et engagé dans une équipe de force de vente peut très bien devenir président de Danone. Notre politique consiste à inciter les individus à explorer d'autres voies, susceptibles de leur donner plus de responsabilités professionnelles. N'étant pas formés, certains collaborateurs expriment des peurs, notamment face aux missions qui peuvent leur être proposées.

Vaincre ces craintes nécessite d'instaurer des programmes internes de formation, sanctionnés par des examens. Nos salariés ont la possibilité d'obtenir des diplômes grâce à un travail personnel et des équivalences, résultant des responsabilités assumées au sein de notre organisation. Ce programme Evoluance a permis de faire reculer la pauvreté, notamment pour les enfants du personnel. Pour un enfant, voir sa mère de cinquante ans obtenir un diplôme et des responsabilités accrues a un fort impact chez lui et peut l'inciter à suivre de longues études. En bref, pour résumer ma pensée, il est nécessaire de casser ce système scolaire élitiste français. Personnellement, je n'y parviens pas.

J'ai demandé à ce que le nom des écoles dont sont issus les chefs de produits recrutés dans les unités d'affaires du groupe n'apparaisse plus, de façon à éviter les phénomènes de cooptation. Mais là aussi, je n'arrive à mes fins. Les réseaux continuent à prévaloir malgré mon désir de les briser.

L'entreprise doit bénéficier d'un contexte idoine pour résoudre l'ensemble des problèmes dont je viens de faire mention. L'instauration d'une taxe sur l'exclusion et la pauvreté ne serait pas adéquate. Au Bangladesh, je suis devenu administrateur d'une ONG, Gain, travaillant sur la malnutrition dans le monde. Cet organisme a joué un double rôle : une fonction marketing en expliquant en quoi la nutrition se révèle importante et une autre consistant dans la mise en place de systèmes keeping eyes. Ces outils mesurent combien un enfant recevant les bons nutriments, les apports nécessaires en zinc, en fer et en vitamines ne tombe pas malade. Ils contribuent au recul de la pauvreté. Un enfant souffrant ne se rend pas à l'école. Il doit être soigné et souvent, dans les pays en développement, sa maladie représente pour sa famille un salaire en moins.

Pour en revenir à la situation française, la hausse du pouvoir d'achat passera par une augmentation des salaires. J'ai entendu M. Michel Edouard Leclerc nous expliquer comment l'inflation des produits alimentaires serait divisée par deux, grâce à lui. Or, un foyer français dépense, en moyenne, 5 000 à 6 000 euros par an pour l'achat de produits alimentaires. Si l'inflation est effectivement de 4%, son projet la ramènera à 2%. Le gain obtenu, sur un total de 6 000 euros, sera donc mince. Comptons-nous sauver le pays de la sorte ?

La fameuse loi LME que vous comptez voter bientôt entraînera l'asphyxie de 80 000 PME. Si j'étais cynique, je pourrais me réjouir d'une telle perspective. Notre produit Activia détient 11% de parts de marché, tout comme Yoplait. Notre entreprise se trouve donc en position de force. Le discours consistant à dénoncer le rôle dominant des multinationales n'est plus tenable. Les ventes de Nestlé, la plus grosse multinationale planétaire, dans un supermarché, représentent 1,5% du chiffre d'affaires de ce dernier. Si les produits sont moins chers en Allemagne par rapport à la France, la raison en est avant tout structurelle. Les systèmes de distribution sont différents dans ces deux pays. Les hard discounteurs possèdent la moitié du marché des grandes surfaces en Allemagne. Pour les produits alimentaires, la France reste le deuxième pays le moins cher d'Europe, avec les Pays-Bas. Nous ne vivons pas dans un pays où la vie est chère. Les dépenses en produits agroalimentaires, pour un foyer, représentent en moyenne 14% de son budget. L'augmentation du pouvoir d'achat passera par une baisse du prix des logements et des transports.

Il serait bien, à l'avenir, que les entreprises parrainent des universités par exemple et leur offrant des financements pour repeindre leurs locaux, acquérir du matériel, etc. Je préfère sponsoriser une université plutôt que l'Olympique Lyonnais, même si je suis originaire de Lyon. Nous avons eu la volonté de réaliser des projets en lien avec le monde universitaire, mais ils ont tous échoué. L'évolution semble toutefois aller dans ce sens.

J'ai prévu de me rendre à Villetaneuse, Université située au Nord de Paris. Je souhaite redonner aux jeunes étudiants l'envie de travailler dans de grandes entreprises. Je ne dénigre pas les PME, mais des dangers existent à faire croire que tout le monde est capable de devenir entrepreneur.

Lorsque Danone ferme une usine, nous recevons des demandes pour ouvrir un salon de coiffure par exemple. J'encourage ce genre d'initiatives, mais à certaines conditions, car nombre d'individus manquent de formation et d'éducation à l'économie. Aussi, faire miroiter à de nombreuses personnes qu'ils peuvent lancer leur propre entreprise risque de se traduire par des réveils douloureux. Tout le monde n'a pas les capacités intellectuelles et techniques, ainsi que la volonté, pour créer une société. Il s'avère utile, pour certaines personnes, de collaborer avec des comptables, d'être épaulées et de bénéficier d'un accompagnement, gratuit si nécessaire. Au travers des contacts qu'il entretient avec ses salariés, un entrepreneur aspirant tirera les enseignements dont il a besoin. Les banques, par ailleurs, ont un devoir de s'impliquer dans les projets d'entreprises. Or, même pour Danone, il est difficile d'obtenir des crédits. Des programmes tels que « créer votre entreprise pour réduire la pauvreté et l'exclusion » ne seront pas durables sans accompagnement. Une entreprise commence à rencontrer des soucis lorsqu'elle atteint un chiffre d'affaires de 5 millions d'euros, un taux de croissance de 20% et est obligée de recruter. C'est à ce moment charnière qu'il lui faut recevoir un accompagnement. Les salariés des grandes entreprises ont besoin de cette aide, pas nécessairement d'exonération d'impôts sur leurs activités.

A Danone, nous avons changé notre de système de bonus, du bas en haut de l'échelle. Par principe, je m'oppose à l'instauration d'un bonus individuel pour le salarié et l'ouvrier. Il est scandaleux de mettre en place un système dans lequel une personne est rémunérée au SMIC et bénéficie de bonus en fonction du résultat. Souvent, un salarié achète une maison sur la base d'un crédit indexé sur son salaire et son bonus. Si le bonus ne lui est pas accordé, faute de bons résultats, il ne comprendra pas pourquoi.

Quant à l'intéressement, il s'agit de la mesure la plus antisociale qui existe. Ce concept ne représente pas un partage, mais une formule mathématique fondée sur le résultat de votre entreprise et consistant à diviser le résultat financier acquis par le nombre de personnes présentes dans la société. Si le résultat obtenu est satisfaisant, le partage a lieu. Lorsqu'il est mauvais, les salariés connaissent une forte réduction de leur intéressement, sans recevoir aucune compensation parfois. Par ailleurs, si l'entreprise ferme une usine et engage une restructuration, un effet d'aubaine se crée pour les salariés restants qui bénéficient d'une martingale extraordinaire. En effet, après tout plan social, les salaires pèsent moins sur les coûts et le nombre de collaborateurs diminue, entraînant du même coup une hausse de l'intéressement unitaire.

Le principe de ce mécanisme n'est pas mauvais en soi, car il motive l'individu. Mais le gain obtenu au travers de l'intéressement a besoin d'être plafonné. Son déplafonnement a été décidé par M. Alain Juppé alors que je me trouvais à la tête d'Evian. Il m'avait conduit à prendre l'initiative de proposer un certain plafond pour l'intéressement alloué aux salariés et d'investir la part supérieur à ce plafond dans un fonds à la réinsertion. Cette suggestion avait été rejetée. Aujourd'hui, une loi destinée à mettre en oeuvre ce projet serait la bienvenue.

A Evian, l'intéressement et la participation représentent entre quatre et cinq points de salaire. Un banquier considère cette part variable du revenu comme un salaire. Or demain, si la qualité de nos produits baisse, mes collaborateurs ne toucheront plus d'intéressement. Les individus doivent comprendre que ces instruments ne constituent pas du salaire ou du pouvoir d'achat. Malheureusement, ils ne semblent pas s'orienter dans cette voie.

Nous avons, pour cette année, augmenté les salaires à un taux situé entre 3% et 4%. Néanmoins, étant donné la nature de notre activité, ceux-ci ne représentent pas la plus grande part de nos coûts d'exploitation (seulement 8%). Aucun smicard ne travaille à Danone. Toutefois, notre entreprise est loin d'être parfaite. Elle emploie des personnes comme intérimaires depuis 10 ou 15 ans. C'est pourquoi elle doit continuer à améliorer sa politique sociale.

Les entreprises ont un rôle à jouer pour permettre à des personnes de s'insérer, à condition qu'elles possèdent l'état d'esprit qu'il faut et évoluent dans un contexte adéquat.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Parvenez-vous à convaincre vos collègues chefs d'entreprise à agir comme vous le faites ? Comment serait-il possible de dupliquer les bonnes pratiques implantées à Danone ailleurs et par quelle méthode pouvons-nous aider les entreprises à les mettre en place ?

M. Franck RIBOUD - Je ne fais jamais de politique. Toutefois, je souligne que des idées sociales peuvent émerger chez un individu sans qu'il soit de gauche. Ma famille a été classée sur le champ politique. Mon père m'a, toutefois, fait comprendre qu'il fallait choisir entre diriger Danone et faire de la politique. Il est impossible de mener de front ces deux pratiques en même temps. Je me sens juste responsable et né au bon endroit, ce qui me permet de bénéficier d'une grande liberté. Je n'ai pas besoin de convaincre les autres chefs d'entreprises à suivre l'exemple de Danone. Le patronat actuel ne se ressemble plus au CNPF d'autrefois et des entreprises mènent des expériences très intéressantes pour résoudre l'exclusion. Une personnalité comme M. Carlos Ghosn, dépeint comme une véritable force de travail, n'est pas du tout insensible. Il présente un profil multiculturel également et constitue une personne sur laquelle il est possible de s'appuyer.

Par nature, l'activité d'un chef d'entreprise conduit ce dernier à prendre des décisions parfois différentes que celles souhaitées. En tant que manager, je reste convaincu qu'utiliser l'argent comme seul moteur de motivation de mes hauts dirigeants se retournera tôt ou tard contre mon entreprise. Les hommes politiques peuvent-ils m'aider dans mon action ? Je dois les voir en premier lieu. J'organise des dîners et déjeuners avec tous les maires où Danone possède des implantations industrielles. C'est notamment de la sorte que je parviens à travailler avec eux. Certains carcans restent à débloquer cependant. Il est réclamé en ce moment une augmentation des quotas laitiers. Or, en France, ces quotas ne sont pas atteints. Dans ce domaine, il est nécessaire de réguler le prix du lait au niveau européen. Celui-ci est beaucoup plus cher en Espagne qu'en France. Du coup, le fermier français installé au Pays basque vend son lait en Espagne, condamnant les distributeurs français à la faillite.

J'ai dû fermer une usine non rentable en Normandie. Pour éviter la mobilisation des syndicats et de faire la une des journaux, j'ai préféré négocier avec les représentants des salariés, en leur posant les questions suivantes : comment est-il possible de protéger l'emploi ? Vaut-il mieux avoir 200 personnes dans deux usines distantes de trente kilomètres l'une de l'autre ou fermer l'une d'entre elles pour regrouper dans l'autre les salariés ? Bien entendu, la deuxième solution est apparue comme la plus satisfaisante pour tous les salariés, mais pas pour tous les élus locaux. En effet, le système de taxe mis en place imposait de créer une communauté de communes, ce envers quoi les hommes politiques ont exprimé des réticences. Le temps de l'entreprise n'est pas celui des élus. En ce sens, les lois sociales ne sont pas négatives. Elles offrent du temps pour négocier et mieux comprendre les attentes de chacun.

Pour l'heure, la priorité va plutôt à la simplification des procédures. Je ne souhaite pas la suppression des contraintes et l'avènement d'un libéralisme total, mais des procédures plus cohérentes entre elles.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - J'ai entendu M. Bill Gates, à Paris, dire que le capitalisme doit devenir créatif. Six milliards d'individus peuplent la planète, dont un tiers vit très bien, un autre tiers essaie de s'en sortir et un dernier tiers est complètement exclu du développement. Selon lui, ce modèle n'est pas viable. Comment les chefs d'entreprise peuvent-ils promouvoir la responsabilité sociétale ? La création d'un club d'entrepreneurs à Davos pourraient-ils les y aider ?

M. Franck RIBOUD - Depuis dix ans, je refuse de me rendre à Davos. L'association Gain, dont je suis l'administrateur, m'a permis de croiser M. Bill Gates. Mme Melinda Gates, sa femme, soutient notre action en effet. Etant donné sa fortune colossale, M. Bill Gates, au travers de sa fondation, a la possibilité d'agir à sa guise, tout comme M. Warren Buffet. Leur cas sont très particuliers et ne sont pas représentatifs de ce qui se faire par ailleurs. Le fondateur de Microsoft possède une liberté totale d'action et peut investir 90 % de sa fortune dans sa fondation. Les 10% qui lui restent représentent des sommes colossales.

Mon ami Zinedine Zidane est riche et humaniste, deux qualités qui ne sont pas incompatibles. Lui, moi et M. François-Henri Pinault, nous nous occupons d'une association visant à la lutte contre la leucodystrophie, un combat capable de fédérer les individus. La création d'un club de patrons pour résoudre l'exclusion ne me semble pas utile. Le progrès implique de rentrer dans le factuel, de s'impliquer. De plus, les clubs de patrons existent déjà.

Si quelqu'un m'invite à m'engager dans une cause et un projet concret, lié à l'activité de Danone, alors je serais ouvert à sa proposition. Par exemple, nous avons lancé une activité mêlant baby-foot et nutrition clinique et sa traduisant par la mise en place de maisons pour enfants malades et leurs parents. En Afrique du Sud, des maisons pour les enfants cancéreux ont vu le jour.

A propos de la France, le fait de réunir des commissions pour résoudre des problèmes me semble inadapté et me laisse parfois pantois.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Concernant votre volonté de briser le système élitiste scolaire, vous devriez aller au bout de votre raisonnement. La véritable élite doit être celle qui a obtenu son statut social par son mérite personnel.

M. Franck RIBOUD - Je souhaite que HEC redevienne un ascenseur social comme peut l'être le club de football du Paris-Saint-Germain aujourd'hui. J'appartiens, par naissance, à cette élite. Mes enfants en sont parties prenantes également. Mais le système a besoin d'évolution à sa base. Les clefs d'entrée pour s'insérer socialement doivent être repensées. Le sport ou l'art peut-il en être une ? Une expérience ayant conduit à passer cinq années de sa vie dans une ONG peut-elle être valorisée ?

Pour résoudre les problèmes de la banlieue, il y a besoin de moyens financiers, et non pas d'occuper les jeunes des quartiers à faire autre chose que des délits ; des financements devant s'inscrire dans un projet et permettre à des jeunes, par exemple, qu'on aide à jouer au football et qui brille dans ce sport, de rejoindre ensuite une université à la recherche de leurs talents. Le sport doit constituer une clé d'entrée dans la société. Le but n'est pas de permettre à chacun de devenir Zidane, mais de valoriser son excellence. L'Espagne, la Suisse, l'Allemagne et les Pays-bas tendent vers ce modèle.

Tout devrait avoir valeur d'exemple et servir d'émulation. Nous devons mettre un terme à ce système scolaire français dans lequel certains lycées connaissent 100% de réussite au bac. Mathématiquement, cette statistique est impossible à obtenir sur la base d'un échantillon de population normal. Elle nécessite forcément d'exclure certaines personnes et d'en sélectionner d'autres, les meilleures, à l'entrée des lycées ? La fonction d'une école n'est pas d'augmenter son taux de réussite au baccalauréat. Cet examen demeure un jalon, commun à tous, une expérience de vie dont l'importance tient, non pas à son taux de réussite, mais au travail et à l'apprentissage qu'il aura permis de dispenser. Aujourd'hui, le seul critère médiatique pertinent représente le classement des lycées en fonction de leur taux de réussite au bac. Il s'agit d'un drame.

De la même façon, l'un des critères les plus suivis pour le classement des MBA consiste à savoir ce que gagne un individu avant qu'il n'entre en MBA et ce qu'il touche à sa sortie. Pour quelle raison dois-je payer plus cher un salarié ayant suivi deux ou trois ans de cours ? Ce genre de démarche est contre-productive.

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE - Beaucoup d'entreprises possèdent leur fondation. Comment avez-vous pu organiser un business social ?

M. Franck RIBOUD - Danone préfère lancer des projets, puis réfléchir par la suite à leur mise en oeuvre. Nous avons, spontanément, décidé de soutenir un club de football à Evian pour créer du lien social, sans tenir compte de l'avis des hommes politiques locaux. Mais pourquoi n'avons-nous pas mis sur pied de fondation ?

Une fondation repose sur les quelques personnes chargées de la gérer. Or, avec Danone Communities, nous impliquons l'ensemble de l'entreprise. 35% des salariés du siège social de l'entreprise ont investi tout ou partie de leur intéressement participatif dans ce projet. Les actionnaires ont voté en sa faveur à 99% et certains ont réinvesti dedans une partie de leurs dividendes. C'est ainsi que se forme un cercle vertueux. Je crée de la valeur, je vous en donne un part, puis vous me redonnez un peu de cette part pour l'investir ailleurs, dans Danone Communities en l'occurrence.

Ce projet demeure une entreprise à part entière, fondée sur le modèle d'une SICAV. Nous possédons par ailleurs une fondation, liée au sport, pour mettre en place des évènements. En bref, la notion de réinvestissement prime dans ce genre d'initiatives.

La mise en place d'une fiscalité avantageuse aiderait la création de fondations ou de projets comme Danone Communities et inciterait nos grandes fortunes à ne plus s'expatrier. L'une des raisons pour lesquelles M. Bill Gates et M. Warren Buffett investissent dans des fondations tient aux bénéfices qu'ils en retirent.

Les personnes très riches se connaissent aujourd'hui. Elles voyagent et se côtoient à Davos. Zinedine Zidane ne vivrait pas à Madrid mais en France et y fonderait sa fondation s'il pouvait jouir de conditions fiscales avantageuses dans notre pays. Des outils propices à la création de fondations doivent voir le jour en France. Elles offrent l'opportunité de créer un véhicule de redistribution de richesses. Si les choses restent en l'état, les dispositions prises par M. Bill Gates ne pourront se réaliser dans notre pays au travers de M. François-Henri Pinault ou de Mme Betancourt.

M. Guy FISCHER - Vous avez affirmé qu'il n'existe pas de recettes miracles pour résoudre la pauvreté et l'exclusion. De multiples lois ont été votées en la matière, mais ne risquent-elles pas de rester sans effet ?

J'ai été, pendant très longtemps, le conseiller général des Minguettes, sous l'étiquette du Parti communiste. Je suis en faveur de la réduction des inégalités, car celles-ci sont trop grandes. Mais la précarité s'institutionnalise dans tous les pays européens. En France, une part de plus en plus importante de la population vivre avec huit cents ou mille euros. Qu'en pensez-vous ?

M. Franck RIBOUD - Je ne suis pas communiste. J'ai vu ce que le communisme a pu faire comme ravages à travers mes voyages. Effectivement, il n'est pas possible de vivre avec huit cent euros par mois. Je lis souvent que les grandes entreprises réalisent d'énormes profits. Mais, concernant Danone, ses profits ont baissé de 30% et ses dépenses publicitaires ont chuté de 40%. Le cercle vertueux dont j'ai fait mention à cette occasion n'existe pas dans ce contexte.

Nos profits augmentent pour une raison, notre implantation dans les pays émergents qui commence à porter ses fruits, avec des entités qui atteignent des tailles critiques et deviennent efficaces. Avec la hausse du pouvoir d'achat des populations de ces Etats, les marges que nous y obtenons en viennent à peser de manière significative sur les marges globales du groupe. Nous n'améliorons pas notre résultat par nos activités en France où j'essaie néanmoins de solutionner, avec ma puissance économique, les problèmes qui peuvent exister. Mais je ne peux guère, par mon activité, améliorer le pouvoir d'achat des Français.

Nous avions décidé de donner deux actions gratuites aux 75 000 salariés de Danone. Ces actions valaient environ 55 euros à l'époque où nous les avons distribuées. Les sommes qu'il aurait fallu engager dans le cadre de ce projet représentaient un investissement conséquent pour l'entreprise. De fait, nous y avons renoncé. Par ailleurs, une telle initiative aurait été dénoncée. On nous aurait taxé de vendeurs de misère en France. En Indonésie, ces deux actions auraient constitué, en revanche, une somme importante. Je ne souhaitais pas à enrichir les salariés à travers cette action, mais plutôt à m'assurer de relais de communication. En effet, le dialogue social repose avant tout sur un dialogue économique. Avoir un comité central d'entreprise vous force à expliquer l'économie. Si vous n'êtes pas capables d'enseigner l'économie à un ouvrier de vingt-cinq ans au travers de ses représentants syndicaux, il ne sera pas possible de lui faire comprendre la nécessité de fermer une en raison d'une marge insuffisante.

Une personne, en Indonésie, qui aura reçu une action, se demandera ce qu'elle peut en faire, ce qui la conduira à amorcer un dialogue avec sa hiérarchie.

Réduire les inégalités demande de l'espoir et de mettre en place de réels projets de développement, en tirant les individus du bas vers le haut. Cependant, des années de discours économique sont à reprendre pour expliquer aux gens comment fonctionne le monde des entreprises, l'économie. Ceci ne nous empêche pas, toutefois, de prendre des mesures rapides et, en particulier, l'une d'entre elles, nécessaire, consistant à réduire les dépenses publiques, beaucoup trop élevées dans notre pays. Les caisses de l'Etat sont vides. Le gouvernement ne peut pas baisser les impôts, même s'il a réduit ceux des plus riches, une mesure pas nécessaire.

La loi Châtel a été votée au début du mois de janvier. Elle sera suivie d'une nouvelle loi annoncée pour le mois de juin. Cette juxtaposition de textes législatifs est gênante, y compris pour Danone. La priorité, selon moi, consiste à ouvrir de nouvelles perspectives en fluidifiant l'économie. Je ne connais pas un patron de PME qui ne souhaite pas augmenter ses salariés. Aujourd'hui, les conditions ne sont pas réunies pour cela. Des réformes sont à mener dans le domaine de la formation, car toute personne a besoin d'être formée pour avoir un avenir professionnel.

Seules des réactions en chaîne peuvent créer les conditions propices au développement. Augmenter le SMIC de 20% ne constitue pas une solution en soi. Les entreprises ne peuvent assumer ce genre de mesure. Elles seraient faillite. Une société se comporte comme une lionne. Rassasiée, elle n'est pas dangereuse. Si elle se porte mal, elle devient d'une agressivité inimaginable. Moulinex a fait faillite parce qu'elle ne s'est pas restructurée lorsqu'elle réalisait des profits. C'est par le biais des restructurations que le rôle social, sociétal des sociétés peut être valorisé. Le contexte actuel ne s'y prête guère. Les dirigeants d'entreprises doivent pouvoir restructurer leurs entreprises sur la base de négociations sans aboutir à une guerre des tranchées avec les syndicats et sans que ne s'éternisent les procédures. Le combat syndical doit s'effectuer ailleurs.

Les questions à se poser sont les suivantes : Que voulons-nous construire ? Qui reclassons-nous ? Comment ré-industrialiser une région ? Dans son usine de Calais qu'elle a dû fermer, Danone a opté pour une ré-industrialisation. Elle n'a pas créé d'emplois pour les salariés de l'usine de cette ville, mais étudié un par un leur dossier. A partir de cette méthode, 90% des individus ont pu être reclassés. En outre, nous avons mis en place un centre d'appel téléphonique employant 400 jeunes de la région. Cette initiative a suscité des critiques. Il nous a été reproché de mal payer ces emplois, de plus non durables. Mais notre engagement d'utiliser ce centre pendant cinq ans me permet d'affirmer que nous avons créé du travail dans une zone où aucun nouvel emploi n'avait vu le jour depuis des années.

Comment faire en sorte alors que les mondes politique et économique ne diabolisent pas tout et puissent tirer des leçons positives d'évènements même dramatiques ? Je n'ai pas de réponse immédiate à cette question. Mais tant que les élus voudront des résultats immédiats, rien ne pourra déboucher. La solution est de construire des projets pas à pas. Sinon, l'action se résume à une sorte de plâtrage.

Mme Béatrice DESCAMPS - J'habite à deux kilomètres d'une usine Danone. Je suis maire et nombre de mes administrés travaillent dans votre groupe où ils sont heureux d'être. Appliquez-vous, dans vos méthodes de recrutement, le principe de la diversité ?

M. Franck RIBOUD - Oui, mais avec certaines difficultés parfois. Certains salariés encouragent leurs enfants à bien travailler à l'école pour intégrer Danone plus tard. Or, un jour, le maire d'une ville proche d'une usine du groupe et comportant un quartier m'a interpellé pour me reprocher de ne pas recruter certains de ses habitants malgré leurs diplômes. Depuis lors, j'ai imposé un changement de politique de recrutement pour permettre à ces personnes de rejoindre le groupe. Face à cette mesure, un syndicat m'a adressé des lettres d'insultes. Dans cette zone rurale, les salariés perçoivent Danone comme une véritable promotion sociale. Ils souhaitent préserver des places pour leurs enfants.

Mais comment, à mon niveau, savoir qu'une planification des postes est programmée ? Je suis favorable à la diversité, mais je ne peux pas tout voir n'y tout contrôler.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Comment recrutez-vous vos proches collaborateurs ? Passez-vous par des bureaux de chasseurs de têtes ?

M. Franck RIBOUD - Vous êtes obligés d'en passer par-là. Mais si vous utilisez ces intermédiaires comme des sous-traitants, votre entreprise n'est plus viable. Si le cabinet de conseil Mc Kinsey dicte sa stratégie, elle n'existe plus. Car il ne connaît pas sa culture, ni sa manière de travailler. Lorsque je souhaite recruter un candidat, j'identifie les potentiels qui se trouvent en face de moi. Je creuse pour en connaître un peu plus sur leur personnalité.

Chaque année, je parraine une école de commerce. Dans celle de Marseille que j'ai soutenue, j'ai rencontré une cinquantaine d'étudiants. Parmi eux, une vingtaine ne bénéficiait d'aucun contact pour trouver un travail. Ils ont passé des entretiens à Danone et environ dix d'entre eux ont été embauchés. Il est important de pouvoir donner une chance à beaucoup d'individus.

Concernant mes collaborateurs directs, je les vois uniquement en bout de course. Je leur dépeins alors Danone comme une entreprise horrible. Ainsi, ils ne pourront prétexter ne pas avoir choisi de nous rejoindre en connaissance de cause. Nous mettons la capacité d'adaptation des candidats à l'épreuve également, notre entreprise reposant sur une culture très forte. Lorsqu'un poste de la direction générale est ouvert, nous cherchons en priorité à la confier à un salarié de l'entreprise et non une personne venant de l'extérieur. Cette méthode implique de renforcer la formation et les méthodes d'accompagnement des salariés aussi. Sinon la greffe ne peut se faire. Nous avons dû nous séparer de notre directeur des ressources humaines et de notre directeur financier car ils n'ont pas su s'adapter à la culture de notre entreprise. J'ai appelé d'anciens salariés de Danone pour les remplacer.

Pour parfaire cette adéquation entre le profil de nos salariés et la culture de notre entreprise nous mettons l'accent sur la formation, réservée, non plus seulement aux managers et cadres, mais aussi aux ouvriers. Des exonérations de taxes pourraient nous aider à agir dans ce domaine. Mais elles ne sont pas indispensables.

Je tiens à souligner une dernière chose. Vous ne devez jamais opposer les multinationales aux PME. Derrière une grande entreprise se cache une multitude de PME. La France doit redevenir fière de son tissu industriel. 80% des entreprises du CAC 40 sont championnes du monde dans leur domaine. Il s'agit d'un élément éminemment positif, nécessaire à valoriser à l'avenir.

Audition de M. Martin HIRSCH, haut commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté - (28 mai 2008)

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Nous accueillons M. Martin Hirsch, haut-commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté, que nous remercions d'avoir accepté d'intervenir dans le cadre de cette Mission commune d'information sur les politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion.

Je crois savoir que le Grenelle de l'insertion a rendu ses conclusions. Je n'ai pas eu encore l'occasion d'en prendre connaissance. Je souhaiterais que vous nous les exposiez et que nous discutions ensemble des complémentarités possibles entre le travail de notre mission et celui que vous avez fourni à l'occasion de ce Grenelle de l'insertion.

M. Martin HIRSCH - Merci Madame la Présidente, Mesdames et Messieurs les sénateurs, de m'auditionner à un moment où vous avez déjà accumulé beaucoup de données, d'informations et de points de vue sur ce qui concerne l'insertion. Mon intervention, ici, intervient au lendemain d'une étape que nous considérons comme majeure.

En préambule, je souhaiterais vous présenter la démarche que nous nous efforçons de poursuivre et qui repose sur trois actions principales.

En premier lieu, il s'agit de poursuivre des objectifs en matière de lutte contre la pauvreté et l'exclusion. Car, comme je l'ai indiqué depuis longtemps, en leur absence, nous ne pouvons disposer d'indicateurs et d'éléments techniques et politiques permettant de mesurer si des progrès ont été effectués dans les politiques menées, et il n'est possible que d'observer a posteriori des résultats parfois bons, mais le plus souvent mauvais. En ce sens, notre démarche vise un but politique et à construire un ensemble d'indicateurs faisant consensus auprès des différents acteurs avec lesquels nous avons dialogué durant six mois : les associations, les partenaires sociaux, l'Observatoire de la pauvreté et le Conseil national de lutte contre la pauvreté et l'exclusion sociale présidé par M. Bernard Seillier, rapporteur de la commission. Ces indicateurs nous permettront de vérifier si nous avons atteint nos ambitions ou de savoir ce qui nous en sépare.

Avoir des objectifs et des indicateurs est absolument fondamental, car ceux-ci, qu'ils soient de nature budgétaire ou autre, ne peuvent être tenus et suivis que parce qu'ils existent. Il n'y en avait pas, jusqu'à présent, dans le domaine de la pauvreté et de l'exclusion. C'est pourquoi nous nous efforçons de donner les moyens aux institutions qui assurent un rôle de surveillance ou de contre-pouvoir d'avoir des données objectives sur lesquelles elles peuvent s'appuyer. C'est sur la base des critères que nous avons retenus comme étant possible d'effectuer une analyse critique des progrès effectués en matière de lutte contre la pauvreté et d'en débattre de manière démocratique.

Avec nos partenaires, nous avons ainsi déterminé une grille d'une douzaine d'indicateurs généraux recouvrant l'ensemble des champs à analyser et faisant malheureusement apparaître parfois des résultats négatifs dans la lutte contre la pauvreté. Ainsi, nous avons constaté une augmentation du nombre des travailleurs pauvres (de plus de 20 % entre 2003 et 2005) et surendettés. La corrélation entre les données officielles de l'Insee et les perceptions des différents acteurs sur le terrain sur la situation de la pauvreté en France nous placent ainsi devant des réalités incontournables.

Cette démarche consistant à construire des indicateurs et à se fixer des objectifs sera reprise dans les secteurs de la santé et du logement, qui nécessitent la mise en place d'instruments de mesure complémentaires à ceux dont nous disposons déjà. Dans le cadre de mes fonctions de président d'Emmaüs, j'avais constaté que le seul indicateur dans le domaine du logement était le rapport de la Fondation Abbé Pierre. Or, je considère comme étant anormal qu'il n'existe pas de baromètre officiel, public et partagé en la matière. Les pouvoirs publics tardent trop souvent à élaborer de tels instruments pourtant indispensables.

De même, je déplore vivement l'absence d'indicateur satisfaisant sur la situation des personnes sans domicile fixe. Les seules données dont nous disposons sur elles datent de plus de 5 ans. Et alors que nous souhaiterions traiter le problème que leur présence pose dans toute sa complexité, en tenant compte de la pluralité des réalités qu'il recouvre, l'absence de données suffisamment précises sur elles nous condamne à ne pas avoir accès à des leviers d'action efficaces. Le mal logement touche des populations de manière très différenciée, nécessitant, pour les unes, la mise en place d'un accompagnement social, pour les autres, l'octroi d'un logement ou d'une place d'hébergement dans une structure d'urgence, voire d'une carte de séjour. Si nous ne savons pas à quelle problématique précise nous faisons face, nous serons incapables de solliciter les leviers de l'action publique utiles.

Le premier axe qui guide notre démarche consiste donc à déterminer des objectifs et des indicateurs, non pas pour des considérations d'ordre technocratique, mais, au contraire, afin de pouvoir mener des politiques réellement efficaces.

Le deuxième axe que nous suivons recouvre un double objectif : réformer les minima sociaux et mettre le système de protection sociale en cohérence avec la réalité du monde du travail. Il nous semble, à ce titre, que le revenu de solidarité active ouvre sur des perspectives d'une ampleur majeure. Ce dispositif constitue une réponse à une partie fondamentale de nos difficultés actuelles. En effet, nous ne pourrons pas lutter contre le phénomène des travailleurs pauvres si le travail gratuit continue à exister dans notre pays. Or la lutte contre celui-ci impose de revoir les mécanismes d'aides au logement, de couverture maladie universelle et d'autres aides connexes. Notre pays, à l'aune des réalités sociales actuelles, sensiblement différentes de celles que nous avons connu il y a vingt ou quarante ans, doit impérativement réformer l'ensemble de son système de prestations sociales, notamment parce que tous les Français ne se trouvent pas sur un même pied d'égalité devant lui. La fixation du niveau des prestations à l'échelle nationale ne garantit pas, en effet, du fait de l'existence de systèmes de tarification variables ou de gratuité locaux, qu'elles bénéficieront au final à tous de manière égale. Cette inégalité territoriale se double d'ailleurs d'une absence de moyens d'actions efficaces pour la corriger. C'est pourquoi les réformes que nous inaugurons avec le RSA sont réellement impératives et nous engagent pour plusieurs années.

Enfin, le troisième axe dans lequel doit s'inscrire notre action porte sur la manière dont nous devons revoir les outils utiles pour l'insertion. En tant que parlementaires, vous avez déjà effectué un travail important sur le sujet via les contrats aidés et la formation professionnelle.

Je considère que les outils dont nous disposons pour insérer les gens ne sont plus adaptés aux besoins réels. Durant les six derniers mois, nous avons fait en sorte que les politiques en matière d'insertion soient partagées par l'ensemble des acteurs concernés. Jusqu'à aujourd'hui, il existait une dualité entre les politiques relatives à l'insertion et considérées comme étant l'apanage de certaines administrations sociales de l'Etat, des conseils généraux et de certaines associations, et d'autres politiques sociales traitées par d'autres ministères, d'autres partenaires sociaux, et avec d'autres moyens de financement. Nous avons, pour notre part, décidé de réaliser la connexion entre ces deux dimensions distinctes. Le résultat a été positif, puisque nous sommes parvenus hier à l'élaboration d'une feuille de route sur laquelle nous avons obtenu l'accord des grandes centrales syndicales, de l'ensemble des organisations patronales, des trois grandes associations de collectivités territoriales (AMF, ADF et ARF), de l'ensemble du gouvernement, du collège des associations (représentant de grandes fédérations associatives), ainsi que des acteurs spécialisés dans l'insertion.

Tous partagent ainsi aujourd'hui une même feuille de route qui se décline en 13 principes, 12 chantiers et 31 propositions. Cette convergence des différents acteurs pourra permettre des évolutions majeures comme, par exemple, l'abandon d'une politique par statuts au profit d'une politique par besoins. Il n'existe, en effet, pas d'argument recevable justifiant qu'à niveau de formation et de revenu égal, et avec une motivation semblable, une personne ayant besoin d'un accompagnement professionnel puisse en bénéficier en tant que chômeur indemnisé et ne le puisse pas en qualité de titulaire de l'allocation spécifique de solidarité ou de parent isolé, et de érémiste.

Nous ne raisonnerons donc plus par statuts, mais par besoins et situations. La mise en place du RSA est cohérente par rapport à cette évolution dans la mesure où elle coïncidera justement avec l'abolition de certains statuts. A ce sujet, je réfute l'idée selon laquelle ce nouveau dispositif s'accompagnerait d'une forme de déclassement. Nous cherchons, au contraire, avec le RSA, à lutter contre la relégation d'un certain nombre de personnes exclues souvent de fait et de droit. Il est aisé de prévoir, par exemple, ce que penserait une entreprise d'un candidat érémiste non inscrit à l'ANPE et considéré par les pouvoirs publics comme n'étant pas en mesure de travailler. Les personnes qui répondent à ce profil doivent faire face à de nombreux obstacles dans leur recherche de travail.

Dans la même logique, nous considérons que les nouveaux opérateurs en charge de l'insertion et le service public de l'emploi devraient avoir une vocation universelle. Les conventions passées entre eux et les collectivités devront donc inclure la prise en charge des publics précités.

A un autre niveau, nous considérons que ce ne sont pas les personnes en difficulté qui doivent assumer les conséquences de la complexité de nos systèmes administratifs et institutionnels. Nous n'avons pas, sur le sujet, une vision naïve et irréaliste. Au contraire, si notre ambition est de lutter contre cette complexité administrative, nous savons bien qu'elle subsistera pour une part et nous nous efforcerons d'en faire supporter les conséquences aux acteurs institutionnels responsables. A titre d'exemple, nous sommes favorables à la création d'un référent unique pour l'ensemble des correspondants, chargé à la place de la personne en difficulté de coordonner les différents dispositifs à la charge de ce référent.

De même, nous souhaitons simplifier les dispositifs de contrats aidés, avec la création d'un contrat unique d'insertion, ouvert à l'ensemble des publics et modulable en fonction des besoins spécifiques du couple employeur-employé. Ce contrat unique permettrait, avec le soutien des conseils généraux et de l'Etat, une transition plus aisée vers un contrat de travail classique. Les engagements pris à cette occasion sont majeurs. L'Etat s'engage ainsi à être exemplaire, les employeurs privés à mobiliser des contrats de professionnalisation et les acteurs évoluant dans le domaine de l'insertion à accepter que leurs financements soient basés majoritairement sur une aide au poste. Un tel système permettra ainsi de rompre avec le contingentement administratif de l'emploi actuel.

De manière concertée, nous avons décidé de passer d'une logique administrative à une logique contractuelle. Les différents échelons des collectivités territoriales, l'Etat et les partenaires sociaux ne devront plus agir de manière dispersée, mais intervenir, au contraire, de manière coordonnée dans ce qui relève de l'insertion. Cette contractualisation devra porter tant sur les objectifs que sur les moyens, la stratégie ou l'évaluation. Nous déterminerons par la suite si tous les contrats doivent être mis en oeuvre en même temps ou si, au contraire, être déployés seulement dans un certain nombre de territoires tests. Les changements, ici en germes, sont en tous cas extrêmement profonds.

Tels sont les trois piliers qui fondent notre action. Comme le rapport du Grenelle de l'insertion l'évoque longuement dans son introduction, je crois que nous assistons enfin, aujourd'hui, à la convergence des différents acteurs autour d'une stratégie en matière de politique d'insertion qui permettra de configurer les dispositifs et les outils nécessaires pour agir et de vérifier la mise en oeuvre de la politique conduite de manière continue.

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Merci M. Hirsch. Avant de passer la parole à M. Bernard Seillier, rapporteur, je souhaiterais connaître la nature des mesures que vous envisagez de prendre pour améliorer l'insertion des jeunes en difficulté. Avez-vous effectué une estimation chiffrée du coût des propositions émises dans le cadre du Grenelle de l'insertion et quelle en est la part que l'Etat prendra à sa charge.

M. Martin HIRSCH - Concernant l'insertion des jeunes, nous envisageons de prendre plusieurs mesures.

En premier lieu, j'aborderai le problème des jeunes, au nombre de 140 000 à 150 000, qui sortent du système éducatif sans qualification et dont personne ne semble se considérer responsable. Nous proposons, dans le cadre du Grenelle de l'insertion, d'identifier, dans chaque bassin d'emploi, en liaison avec l'Education nationale et les conseils régionaux, un acteur responsable de la prise en charge des jeunes de 16 à 25 ans sortant sans qualification du système scolaire ou sans emploi. Nous devons agir envers ces jeunes de manière radicalement différente par rapport au passé, afin de n'en laisser aucun livré à lui-même à la sortie du système scolaire. Ce même principe de responsabilité a été à l'origine de la création du RMI.

Il est donc capital de déterminer à qui cette responsabilité (l'Education nationale, la mission locale ou un autre acteur) revient de faire le lien avec les jeunes en échecs scolaires.

Concernant les personnes rentrées dans des dispositifs d'apprentissage mais qui ont subi une rupture précoce de leur contrat, si l'apprentissage est souvent considéré, à juste titre, comme une solution pertinente permettant à la fois de fournir une formation qualifiante et une expérience professionnelle, très peu d'études ont été menées sur la manière de prévenir son abandon par les jeunes. Une action est menée actuellement sur le sujet, à Tulle, en lien avec la mission locale.

Enfin, nous proposons de continuer à développer les écoles de deuxième chance, lesquelles ont montré leur efficacité. Nous souhaitons à terme en ouvrir largement sur l'ensemble du territoire.

Par ailleurs, nous avons inauguré une démarche inédite en évaluant l'ensemble des dépenses des politiques actuelles en matière d'insertion. Dans ce domaine, la sanctuarisation des crédits est souvent réclamée, mais difficile à obtenir lorsque leur montant reste inconnu. Nos analyses ont abouti à un montant total de 18,724 milliards d'euros, auquel sera rajouté la somme de 1,5 milliard d'euros prévue pour la mise en oeuvre du RSA. Certains des crédits sont affectés aux allocations, d'autres aux différents opérateurs ou dispositifs de contrats aidés. Nous souhaitons, dans l'optique d'aboutir à une efficacité maximale de nos politiques, optimiser l'affectation de ces crédits. Comme l'a indiqué hier le Premier ministre, les différents arbitrages budgétaires s'effectueront au regard des différents besoins.

Dans ce contexte, nous sommes amenés à mobiliser plusieurs leviers d'actions. Nous souhaitons notamment que l'Etat s'engage financièrement dans les contrats de professionnalisation ouverts à des publics en insertion, dans la mesure où leur efficacité est unanimement reconnue et où ils réuniront les entreprises, les acteurs dans le domaine de l'insertion et les élus. Ces contrats, financés également par les OPCA, pourront même être améliorés pour devenir des contrats de « professionnalisation plus ». Ces derniers existent déjà dans certains départements. Ils mobilisent à la fois des crédits non encore épuisés et les crédits alloués au contrat unique d'insertion.

Nous n'avons donc pas produit une nouvelle liste de dépenses supplémentaires. Au contraire, notre souhait a été d'aller vers une meilleure allocation des crédits déjà existants en les transférant des dispositifs n'ayant pas fait la preuve de leur efficacité vers ceux considérés comme les plus utiles par l'ensemble des acteurs. Je me refuse à demander des crédits pour des dispositifs dont je sais, par avance, qu'ils ne parviendront pas à améliorer la situation de la personne qui en aurait bénéficié. Avec le Premier ministre, nous avons décidé d'agir dans le cadre de l'enveloppe budgétaire réservée au contrat unique d'insertion dans un souci d'efficacité.

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Je donne la parole à notre rapporteur, M. Bernard Seillier.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - J'ai été réellement impressionné, hier, par ce qui s'est dit lors de la dernière journée du Grenelle de l'insertion où j'ai perçu un consensus, un élan et même de l'espoir. Je souhaiterais savoir si la structure gouvernementale actuelle est, selon vous, la plus adaptée pour permettre à la politique que vous préconisez de voir le jour. Si ce n'est pas le cas, laquelle défendez-vous ? Je considère personnellement que des résultats ne pourront être obtenus que dans la mesure où le souci de lutter contre la pauvreté et l'exclusion se trouve au coeur de toutes les politiques.

J'ai le sentiment qu'apparaît chez certains une forme de refus de s'insérer, des personnes pouvant se sentir trop décalées par rapport à l'évolution du monde actuel, d'autant plus quand elles sont handicapées ou souffrent d'un faible niveau de formation. En même temps, nous avons rencontré, dans certaines communautés d'Emmaüs, des personnes heureuses de vivre. Quel est votre avis sur le sujet, en tant qu'ancien président d'Emmaüs ? Enfin, selon vous, quelles propositions législatives pourrions-nous formuler pour favoriser l'insertion des personnes en difficulté et existe-t-il un statut pour des entreprises du type d'Emmaüs ?

M. Martin HIRSCH - Les objectifs dans le domaine de l'insertion doivent être fixés au plus haut niveau de l'Etat. C'est pourquoi je considère que mon rattachement au Premier ministre est le mode de fonctionnement le plus adapté. Notre cadre de travail est cohérent, comme il a été démontré au mois d'octobre avec le débat sur les objectifs et les engagements sur la pauvreté, puis au travers du discours du Président de la République, et enfin de la communication en Conseil des ministres sur les dispositions prises. Cette cohérence s'est illustrée à nouveau à l'occasion du Grenelle de l'insertion, avec nos propositions et l'implication, à travers le Premier ministre, de l'ensemble du gouvernement sur le sujet. L'ensemble de notre action a ainsi eu lieu en concertation avec les différents pôles ministériels concernés par l'insertion.

Nous serions confrontés à une absence de délimitation du périmètre de compétences si nous choisissions l'option d'avoir un grand ministère responsable de l'insertion et de l'exclusion, réunissant les affaires sociales au sens classique, la santé, mais aussi le logement et l'emploi. Une autre option consistant à avoir un secrétaire d'Etat chargé de l'insertion ne serait pas pertinente non plus. L'alternative qui s'offrait à nous était d'avoir soit un Vice-premier ministre en charge de l'emploi, des affaires sociales, de l'insertion et du logement, soit une structure légère, appartenant à une structure gouvernementale classique et capable de donner des impulsions concernant les différentes politiques. Nous avons retenu cette seconde solution.

A un autre niveau, il est impératif de mener de profonds changements dans les structures administratives gouvernementales en charge des questions sociales. Les politiques sociales représentent, en effet, aujourd'hui des politiques partagées. Nous n'avons, dans ce contexte, pas besoin de pléthores de décrets et circulaires, mais plutôt d'une équipe capable de piloter les mesures adoptées, en lien avec les collectivités territoriales et les différents acteurs évoluant dans le domaine social. L'essentiel est de disposer de personnes, non pas guidées par l'ambition de faire carrière dans le secteur social, mais provenant du monde professionnel (social, entreprises et collectivités territoriales). Les administrations sociales ont l'obligation d'évoluer, elles-mêmes étant insatisfaites par leurs manières de fonctionner, forgées avant la construction de l'Europe et l'apparition de la décentralisation et de la nouvelle pauvreté, et donc inadaptées à la dynamique des politiques sociales du 21 e siècle. De ce point de vue, l'objectif recherché n'est pas de faire des économies, mais d'obtenir des gains en matière d'efficacité.

Je suis nécessairement favorable aux modèles alternatifs du type des Compagnons d'Emmaüs, lesquels ne sont pas contradictoires avec la ligne directrice du Grenelle de l'insertion qui privilégie le droit commun plutôt que les contrats spécifiques. Ces modes alternatifs peuvent s'avérer utiles pour traiter de deux types de cas :

- Les personnes ne souhaitant pas être enfermées dans une structure. Je me suis battu, lorsque je présidais Emmaüs et dans le cadre du gouvernement actuel, pour garantir l'accueil inconditionnel dans les centres Emmaüs et donc ne pas demander les papiers, noms et détails sur le passé des personnes qui se présentent dans les structures. Ce principe ne doit pas constituer la règle générale, mais doit pouvoir subsister.

- Les personnes qui ont trouvé pleinement leur équilibre au sein des centres d'accueil. Par exemple, dans les communautés Emmaüs, des compagnons ne sont pas salariés. Toutefois, nous nous sommes battus en 1998 pour leur permettre d'être rattachés au système classique. Ainsi, en pratique, leurs revenus sont déclarés sur la base de 40 % du SMIC, leur permettant de fait d'acquérir des droits à la retraite, de bénéficier de la CMU ainsi que d'une prime pour l'emploi de 557 euros par an. Je pourrais leur annoncer d'ailleurs prochainement qu'ils pourront bénéficier bientôt d'un RSA dont le montant sera bien supérieur à cette somme. Dans cette logique, je me suis engagé, avec M. Xavier Bertrand, devant le président d'Emmaüs, à donner, en cours d'année, une reconnaissance légale à ce type de statuts. A ce titre, il serait du plus grand intérêt, pour nous, de travailler avec vous sur le sujet, tout en veillant à respecter la demande paradoxale mais légitime de ces populations que leur modèle de prise en charge soit reconnu et qu'il ne soit pas porté atteinte à ses spécificités.

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Merci M. Martin Hirsch. Nous allons maintenant vous poser certaines questions.

M. Guy FISCHER - Vous avez indiqué qu'il est indispensable de réformer les minima sociaux et les prestations sociales. Or, les représentants de l'ADF ont affirmé leur souhait de s'opposer à la généralisation du RSA, pour l'instant expérimenté dans plusieurs départements, dès le premier janvier 2009. Pourriez-vous préciser votre position sur le sujet et nous indiquer le nombre de personnes susceptibles d'être éligibles au RSA ? Il m'a semblé comprendre que ce dispositif s'adresserait aux allocataires du RMI et de l'API, aux personnes sans emploi et aux bénéficiaires de la PPE, soit en tout 11 millions de Français.

M. Paul BLANC - Comme vous, je regrette l'absence d'indicateurs concernant les sans domicile fixe. Le Midi, quand la météo devient favorable, voit affluer un nombre significatif de SDF dont il est impossible de s'occuper, car nous ne disposons pas des outils nécessaires pour le faire. Qui devrait, selon vous, mettre en place ces indicateurs ?

Je souhaiterais savoir également ce qu'il en est du travail gratuit pour les Compagnons d'Emmaüs. Enfin, je considère que les contrats aidés devraient être réservés davantage aux entreprises qu'aux associations qui ne peuvent pas, la plupart du temps, les pérenniser, faute de moyens. Quel est votre avis sur le sujet et comment serait-il possible de mettre en oeuvre ma proposition ? Par ailleurs, pourquoi les contrats de professionnalisation, pourtant si utiles, ne sont-ils pas plus nombreux ?

Mme Gisèle PRINTZ - Le RSA ne risque-t-il pas de devenir une fin en soi pour ses bénéficiaires et, pour les entreprises, un instrument au service de la flexibilité, en créant deux catégories d'emplois ? Existera-t-il une durée limitée pour en bénéficier ?

Mme Brigitte BOUT - Lors d'une visite de terrain à Lyon, nous avons pu découvrir un exemple parfait de coordination entre les pouvoirs publics (le préfet) et la CCI concernant la mise en oeuvre des contrats d'apprentissage. Ne pensez-vous pas que les outils pour favoriser l'insertion existent, mais ne sont pas utilisés de manière optimale, en raison parfois d'un manque de professionnalisme ?

M. Martin HIRSCH - Avant de répondre à vos questions, je souhaiterais juste rappeler les principes généraux ayant conduit notre action. Tout d'abord, notre objectif final étant de répondre au malheur dont certains souffrent, le fait de rendre accessible le travail doit être pour nous la priorité des politiques en matière de lutte contre la pauvreté. A chaque fois qu'une personne quitte la pauvreté et que les revenus de son travail constituent la majorité de ses ressources, il s'agit d'une victoire. Ce principe se situe au coeur de l'ensemble de notre action et fait écho à notre volonté de rendre de la dignité aux gens à travers le travail.

Nous avons opté pour la mise en place d'une approche globale. Nous vivons, en effet, dans un pays où la segmentation par publics et domaines est telle que nous sommes souvent incapables d'apporter des solutions aux problèmes posés. Les personnes à qui nous avons affaire sont comme des patients confrontés à des spécialistes si cloisonnés que ceux-ci sont incapables de leur prescrire tout traitement.

Tels sont les principes, simples, qui guident notre action et avec lesquels le RSA, comme le Grenelle de l'insertion, entrent en cohérence.

Pour répondre aux questions posées par M. Blanc, Mme Printz et M. Fischer, le travail gratuit existe quand des personnes travaillent mais ne gagnent pas plus que si elles ne travaillaient pas. Une telle situation est choquante et je lutterai pour son abolition au plus vite. Lorsque je suis intervenu devant le Parlement l'an dernier, il m'a été demandé pourquoi seulement 25 millions d'euros sont affectés à l'expérimentation du RSA. Je trouve paradoxal qu'aujourd'hui, alors que nous nous apprêtons à mobiliser 1,5 milliard d'euros dans le cadre de ce projet, il me soit réclamé de diminuer notre effort.

M. Guy FISCHER - Nous comparions alors les 25 millions d'euros alloués à l'expérimentation du RSA aux 15 milliards d'euros affectés dans l'ensemble des dispositifs sociaux.

M. Martin HIRSCH - Je souhaiterais donc que, l'an prochain, vous établissiez votre comparaison sur la base de ces 1,5 milliard d'euros.

M. Guy FISCHER - Je souhaitais juste recueillir votre avis sur le bilan de l'expérimentation en cours et de la volonté des deux représentants de l'ADF de ne pas voir le dispositif du RSA être mis en place sur l'ensemble du territoire français dès le 1 er janvier 2009. Ma question ne cachait aucune mesquinerie.

M. Martin HIRSCH - Je ne vous accuse d'aucune mesquinerie. Mon objectif consiste seulement à vous faire part de ma conviction que si nous tardons trop à mettre en place le RSA, celui-ci risque d'en rester au stade de l'expérimentation, compte tenu de la difficulté que nous avons rencontrée pour obtenir les crédits nécessaires à son déploiement. A ce propos, j'ai évoqué une généralisation de ce dispositif dans le courant et non pas au premier janvier 2009. Toutefois, pour la raison que j'ai indiquée plus haut, nous avons intérêt à ce qu'elle ait lieu avant la fin du premier semestre 2009. Nous dialoguons avec les départements sur le sujet. Le RSA, en accélérant le retour au travail des personnes sans emploi, permettra d'alléger la pression financière qui pèse sur les conseils généraux.

Concernant les expérimentations qui sont menées, les résultats montrent que, là où elles ont lieu, le taux d'activité a augmenté de deux points au cours des premiers mois. Le nombre de personnes rentrées dans le dispositif est élevé, proche de 8 000 à la fin du mois de mars, et a vu ses revenus augmenter de 150 à 200 euros par mois. Enfin, parmi les 1 000 premiers bénéficiaires du RSA, 18 % occupent un CDI, 10% un CDD de plus de six mois, 28 % un emploi durable, 30 % un emploi aidé, 26 % un CDD de moins de six mois ou en intérim, 8 % exercent une activité indépendante et 6% sont en formation rémunérée tout en percevant le RMI. Ces données nous permettent ainsi de constater que le retour au travail des personnes en difficultés passe peu par des contrats aidés et beaucoup par des emplois durables.

Pour avoir des informations plus précises, nous sommes en train de mener une enquête nationale sur 3 000 bénéficiaires du RSA. Avec ce travail, nous disposerons d'une somme de données très importante dans le courant de l'année 2008, laquelle nous offrira la possibilité d'appréhender parfaitement le processus dans lequel nous nous engageons.

Par ailleurs, si je tiens à que cette expérimentation ne se prolonge pas de manière excessive, c'est aussi pour que le RMI ne subsiste pas en parallèle au RSA, leur juxtaposition étant source de complexité supplémentaire. Je souhaite que nous nous engagions au plus vite dans un processus de simplification où le RSA viendra se substituer aux différents dispositifs existants, dont le RMI.

Le dispositif concernera entre 4 et 5 millions de personnes, en tenant compte des 1,2 million d'allocataires du RMI, des 200 000 allocataires de l'allocation parent isolé, des travailleurs pauvres et des quelques 800 000 bénéficiaires de l'allocation spécifique de solidarité. Une partie d'entre eux seulement sont à la charge des Départements.

Nous proposons, par ailleurs, à l'ADF, avec laquelle nous avons des contacts réguliers, d'aboutir à un accord sur les termes financiers et juridiques, ainsi que sur le rythme de déploiement du RSA. Nous devons gérer à la fois l'impatience des départements et la crainte d'autres institutions au sujet de cette mise en oeuvre. Je suggère donc de tirer les enseignements du passé et de profiter au maximum de ce moment opportun où l'Etat propose d'élaborer en commun une réforme plutôt que de l'imposer.

S'agissant des statistiques sur les SDF, l'Observatoire national de la pauvreté mène un travail sur le sujet dans le cadre de la mission Pinte. Il devrait porter ses fruits dans les prochaines semaines.

Mme Bernadette DUPONT - Comment pouvons-nous vouloir à la fois offrir un accueil inconditionnel aux SDF et leur proposer un accompagnement efficace ?

M. Martin HIRSCH - Sur ce sujet, je n'ai fait que citer des cas exceptionnels. Quelques associations comme Emmaüs conservent cette pratique de l'accueil inconditionnel. Celle-ci, marginale, doit pouvoir perdurer et être reconnue. Il n'y a, par exemple, que 4 000 compagnons d'Emmaüs dans toute la France.

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - J'ai rencontré récemment deux personnes sans papier. Elles ont, en effet, la possibilité de valider leur demande de naturalisation. Les demandeurs d'asile ont besoin d'être accompagnés. D'autres compagnons pourraient les parrainer afin de faciliter leur intégration dans notre pays.

M. Martin HIRSCH - Je tiens à préciser, en tant qu'ancien président d'Emmaüs, que les communautés sont des lieux de reconstruction qui ne pratique pas de contrôle de papier.

Nous avons réalisé des progrès significatifs dans l'implication des entreprises dans la mise en oeuvre des politiques sociales. Le MEDEF et les entreprises évoluant dans le domaine de l'insertion sont ainsi parvenus à un accord pour l'instauration d'un protocole devant conduire les entreprises classiques à embaucher davantage de personnes issues des structures d'insertion. Après avoir surmonté de nombreuses difficultés, nous avons réussi à convaincre le mouvement patronal de faire de l'insertion un élément du dialogue social et des négociations collectives. Cette avancée est fondamentale et justifie l'énergie que j'ai dû dépenser envers la présidente du MEDEF pour obtenir ce résultat. La CFDT s'est d'ailleurs engagée, elle aussi, à faire de l'insertion un sujet de négociations à l'avenir.

M. Paul BLANC - Les grandes entreprises ne sont-elles pas seulement concernées par cet engagement ?

M. Martin HIRSCH - Non. En effet, la CGPME et l'UPA ont signé l'accord. De manière surprenante, c'est le MEDEF qui s'est montré le plus réticent à parapher le document.

Mme Annie DAVID - La raison en est que, dans les petites entreprises, il n'y a souvent pas de représentation syndicale et donc qu'il ne se produira pas de négociations.

M. Martin HIRSCH - L'insertion était, jusqu'alors, un sujet totalement négligé dans les négociations. Désormais, il sera possible de débattre et d'obtenir des engagements sur les contrats de professionnalisation et faire en sorte, par exemple, qu'ils puissent être ouverts aux adultes, aujourd'hui ignorés de ces dispositifs. Certains secteurs professionnels en tension en ont besoin.

Mme Bout a raison de souligner la nécessité d'utiliser les instruments existants pour favoriser le déploiement des contrats d'apprentissage. Aujourd'hui, d'après nos estimations, un quart de ces contrats donne lieu à une rupture précoce. C'est pourquoi une meilleure médiation entre le jeune et l'entreprise serait nécessaire, de même que la mise en place d'un calendrier plus pertinent concernant la signature de ces contrats. Nous regrettons également le manque, parfois cruel, de CFA dans un certain nombre de métiers qui attirent pourtant de nombreux jeunes. La mission Lachmann avait donné, l'an dernier, une impulsion significative pour mener un travail sur l'ensemble de ces sujets.

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Monsieur le haut-commissaire, je souhaite vous poser quelques questions complémentaires ayant trait à des aspects budgétaires. Vous avez indiqué que le coût total des différents dispositifs sociaux s'élève à 18 milliards d'euros et celui du RSA à 1,5 milliard d'euros. Ces derniers crédits seront-ils réellement des crédits supplémentaires ou ne feront-ils que se substituer à d'autres ?

La gestion du RSA, qui sera assurée par les départements, risque de générer, pour eux, un coût supplémentaire. Celui-ci sera-t-il pris en compte, étant entendu que les dépenses liées au RMI ne sont pas complètement compensées par l'Etat, lequel a des dettes vis-à-vis des départements ?

Par ailleurs, il existe actuellement une clause d'insertion sociale dans les marchés publics. Avez-vous imaginé un moyen de la renforcer ?

Enfin, comme vous, je suis très attachée au rôle des structures d'insertion par l'activité économique. Je constate malheureusement que les manques de financement et de conventionnement limitent leurs créations et finissent même par décourager les professionnels à en ouvrir. Avez-vous imaginé des moyens de professionnaliser et de préparer des acteurs, de manière à favoriser le développement de ces structures ?

M. Jean DESESSARD - Vous souhaitez remplacer le RMI par le RSA. Il subsistera cependant des personnes qui ne dépendront pas du RSA après sa mise en place sur tout le territoire français. Pourriez-vous me rassurer en me confirmant que le RMI continuera bien d'exister dans le futur ?

M. Martin HIRSCH - Le RSA est appelé à se substituer au RMI et à l'API. Sa généralisation aura plusieurs conséquences. Aujourd'hui, une personne au RMI et qui ne travaille pas touche 447 euros. Elle recevra le même montant dans le cadre du RSA. En revanche, si elle travaille moins de 78 heures par mois, les 250 ou 300 euros qu'elle récolte de son activité sont actuellement déduits du montant de son RMI, alors qu'elle pourra gagner 650 euros avec le RSA.

La transformation du RMI en RSA ne remet pas en cause les principes fondamentaux qui avaient présidé à la création du RMI il y a 20 ans. Tout le monde doit dans notre pays pouvoir bénéficier d'un revenu minimum. Nous devons cependant faire en sorte que ce dernier ne se soit pas restrictif. On affirme depuis 20 ans que l'insertion accompagnant le dispositif du RMI n'existe pas. J'affirme pour ma part, depuis trois ans et demi que, le revenu minimum est devenu synonyme de maximum pour beaucoup de personnes. Nous avons pour objectif que le RSA serve de revenu de base pour les personnes sans travail et de revenu complémentaire pour les personnes ayant un travail leur procurant des revenus insuffisants.

M. Jean DESESSARD - Le RSA aurait dû s'appeler le RSP : revenu de solidarité progressif.

M. Martin HIRSCH - Un autre dispositif avait été imaginé. Il s'appelait l'allocation compensatrice de revenu. Les pères du RMI, M. Michel Rocard et M. Lionel Stoléru reconnaissent eux-mêmes que l'objectif final, au travers du RMI, était de mettre en place le RSA, ce qu'ils n'ont pas pu faire. Il était plus important, à l'époque, d'offrir un revenu minimum aux personnes en difficulté que de leur permettre de retrouver un travail. La suppression du RMI n'aura aucune conséquence négative pour ses allocataires actuels.

M. Jean DESESSARD - Pourriez-vous nous préciser quel sera le mécanisme mis en place ?

M. Bernard SEILLIER, rapporteur - L'appellation de revenu de solidarité progressif proposée par M. Jean Desessard renvoie à la notion de progressivité. Y a-t-il une réelle incitation pour les personnes en difficulté à avoir un travail à temps plein ?

M. Martin HIRSCH - Avec le RSA, nous souhaitons justement lutter contre la précarité et le temps partiel subi. Certaines personnes ont besoin aujourd'hui de faire appel au crédit à la consommation pour parvenir à équilibrer leur budget en fin de mois. Le RSA apporte une double réponse à leurs difficultés actuelles. Il permet de compléter le revenu des personnes qui ne peuvent pas augmenter leur quantité de travail et de réduire le temps partiel subi. Nous n'avons pas privilégié un levier d'action au détriment d'un autre. Nous nous sommes, au contraire, dotés d'un outil supplémentaire pour intervenir.

La mise en place du RSA n'aura pas d'effet d'aubaine direct pour les entreprises, puisqu'il revient à subventionner l'employé et non plus l'employeur. Il aidera les salariés sans réduire le coût du travail pour les employeurs, n'étant pas un contrat aidé. Il n'y aura donc pas d'incitation spécifique pour une entreprise à recruter un allocataire du RSA. Avec ce dispositif, nous n'aggraverons donc ni la précarité, ni la flexibilité.

Le Conseil d'orientation pour l'emploi a fourni un avis très complet sur le sujet, affirmant que la progression des revenus du RSA en fonction du nombre d'heures travaillées pourrait suivre une pente assez faible jusqu'à ce que la personne ait un contrat à mi-temps, puis plus raide par la suite. Les individus que nous rencontrons ont généralement la volonté de travailler à plein temps, sauf durant certaines périodes au cours desquelles elles souhaitent régler certains problèmes et je trouve juste que leurs revenus soient complétés. Il pourrait nous être utile d'interroger ensemble une centaine de bénéficiaires du RSA, choisis objectivement, pour savoir comment ils ressentent et vivent cette expérience. Nous avons élaboré le RSA avec des groupes d'usagers qui étaient précédemment au RMI. Les résultats montrent que le dispositif leur est très profitable et apporte des réponses à leurs besoins.

A un autre niveau, je tiens à préciser que l'Etat n'a pas, au sens juridique, de dette envers les départements. Le transfert de la charge du RMI aux conseils généraux a été compensé par l'Etat à l'euro près, celui-ci ayant mis en place à leur profit un fonds de 500 millions d'euros par an. Il ne sera donc pas possible d'utiliser cet argument de la dette pour justifier d'un quelconque retard dans la mise en place du RSA pour ses bénéficiaires.

Nous souhaitons construire le RSA sur des bases partenariales, en déterminant ensemble, dans le cadre de l'Assemblée des départements de France, si la contribution de l'Etat, dans le cadre du RSA, est suffisante. Nous ambitionnons également d'anticiper les évolutions, durant les 5 prochaines années, du taux de retour au travail et de comparer les économies qu'il peut engendrer par rapport au coût du RSA, de manière à déterminer ensemble qui aura à en supporter l'éventuel coût résiduel. Cette démarche est honnête et loyale. Les départements où se déroulent les expérimentations sont parfaitement conscients que le RSA permet d'alléger la pression financière qui pèse sur eux en favorisant le retour au travail. C'est la raison pour laquelle ils ont choisi de s'y engager.

Nous avons, dans le cadre du Grenelle de l'insertion, abordé l'intégration des clauses sociales dans les marchés publics et avons pris la décision, après une communication en Conseil des ministres, que, dans les marchés où la main-d'oeuvre représente au moins 50% du montant, entre 5% et 10% des heures soient réservées à des personnes en situation d'insertion. Cette mesure permettrait de créer entre 10 000 et 20 000 emplois.

Dans le même esprit, nous avons mis en place un site internet, www.socialement-responsable.org, sur lequel il est possible de trouver un aide-mémoire sur les clauses d'insertion. Toutes les structures évoluant dans le domaine de l'insertion ont la possibilité de s'y inscrire et d'y trouver les renseignements dont elles ont besoin pour répondre aux appels d'offres. Un tel outil n'existait pas jusqu'alors.

De même, dans le cadre du Grenelle de l'insertion, nous sommes parvenus à un accord avec les acteurs spécialisés dans l'insertion par l'activité économique, afin d'augmenter les possibilités de développement de projets en mobilisant les porteurs d'initiatives et les modes de financement alternatifs.

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Mme Carrère-Gée a affirmé hier que la mise en place du RSA risque de pénaliser certains bénéficiaires de la prime pour l'emploi, notamment les couples qui touchent le SMIC. Pouvez-vous nous apporter des précisions sur le sujet ?

M. Martin HIRSCH - Le 1,5 milliard d'euros affecté au RSA ne sera engagé au détriment ni de la PPE, ni des contrats aidés, ni des structures d'insertion. C'est la raison pour laquelle nous avons eu tant de mal à l'obtenir. Nous mobilisons ainsi, dans ce domaine, des crédits d'un niveau vraiment significatif. Le Président de la République a déclaré que nous obtiendrions 1,5 milliard d'euros pour la mise en oeuvre du projet et que seules les sommes supplémentaires à cette enveloppe proviendraient de la PPE.

Nous devons aujourd'hui effectuer un choix. Nous pouvons soit nous contenter de ce budget de 1,5 milliard d'euros sans mobiliser la PPE, soit décider qu'une partie de la PPE devrait bénéficier à des personnes plus pauvres.

Les couples biactifs, pour lesquels l'écart de revenu entre les deux membres est significatif, risque en effet, en l'état actuel, de perdre avec la mise en place du RSA. Des personnes peuvent ainsi aujourd'hui vivre sous le même toit, accomplir deux déclarations de revenus distinctes, se caractérisant par des écarts de revenus élevés, et toucher dans le même temps la prime pour l'emploi. Je préfère, pour ma part, très clairement que cet argent bénéficie à un travailleur pauvre. Si nous ne parvenons pas à un accord en la matière, le RSA en sera d'autant limité. Je ne désespère pas cependant de parvenir à convaincre sur le sujet, dans la mesure où il s'agit selon moi d'un acte de justice sociale. Les bénéficiaires du RMI ne doivent pas être pris en otage par les bénéficiaires les moins défavorisés de la PPE et certains couples biactifs.

M. Jean DESESSARD - Je n'aborderai pas ce sujet de la justice sociale et ne rappellerai donc pas le contexte dans lequel le RSA est apparu en juillet dernier. Il me semble que le dispositif, tel que vous le concevez, tienne compte des revenus du conjoint, ce à quoi nous nous étions opposés lors de la création du RMI. Pouvez-vous apporter des précisions sur le sujet ?

M. Martin HIRSCH - Le RSA a une dimension familiale. Nous avons considéré, avec les différents syndicats et partenaires associatifs, que la solution mise en place était la plus simple.

M. Jean DESESSARD - Je trouve juste que l'impôt sur le revenu soit plus élevé pour le membre du couple le plus riche. Mais la solidarité, notamment économique, qui était très forte dans le cadre familial, il y a 40 ou 50 ans, ne l'est plus aujourd'hui. Dans ce contexte, le RSA permettrait au membre du couple qui serait menacé d'une forme de dépendance de conserver son autonomie.

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Il s'agit là de discussions que nous poursuivrons peut-être par la suite.

M. Martin HIRSCH - Nous sommes en fait parvenus à un accord pour attribuer les aides au logement, les allocations familiales et donc le RSA dans un contexte familial. La logique est d'aller vers la construction du revenu d'un foyer, quelle que soit sa forme, ce qui nous permet de tenir compte d'un certain nombre de données comme le nombre d'enfants à charge ou le nombre de personnes au foyer pour le calcul des allocations. Je rappelle à cette occasion que le RSA aurait pu prendre la forme d'un impôt négatif.

Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE, Présidente - Nous sommes aujourd'hui à l'orée d'un grand débat. Nous aurons l'occasion d'analyser ensemble les résultats des premières expérimentations de mise en place du RSA.

M. Martin HIRSCH - Nous pourrons vous fournir les premiers bilans de ces expérimentations à la fin juin ou au début juillet de cette année. L'ensemble des résultats vous sera communiqué, lui, en automne.

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