Audition de M. Etienne PINTE, député des Yvelines, chargé d'une mission temporaire auprès du Premier ministre sur l'hébergement et le logement des personnes sans abri ou mal logées - (20 mai 2008)
M. Christian DEMUYNCK, Président - Mon cher collègue, merci d'avoir accepté notre invitation. Il nous a semblé important de vous entendre sur la mission que vous menez auprès du Premier ministre sur l'hébergement et le logement des personnes sans abri. Dans ce cadre, vous avez remis un pré-rapport au mois de janvier. Votre rapport définitif, lui, sera remis autour du 15 juin prochain.
Dès la fin de votre exposé, nous engagerons le débat sur ce sujet majeur. Il convient d'entendre toutes les personnes qui ont travaillé dans le domaine de l'insertion, de manière à nous permettre de faire des propositions. En effet, au-delà de l'évaluation des politiques menées, nous souhaitons, comme vous au travers de votre rapport, soumettre des suggestions concrètes. Nous vous écoutons.
M. Etienne PINTE - Chers collègues, merci de m'accueillir et de m'auditionner. En effet, j'ai débattu, il y a quelques semaines, avec M. Seillier, votre rapporteur, sur la mission qui m'a été confiée par le Premier ministre. Suite à ce dialogue, j'ai demandé à M. Seillier à être entendu au sein de votre commission.
C'est en raison de deux actions menées par les Enfants de Don Quichotte, l'une devant l'église de Notre-Dame le 21 décembre 2007, l'autre au bord du canal Saint-Martin, que le Premier ministre m'a confié cette mission. Par-là, François Fillon a voulu affirmer la priorité donnée par le gouvernement à l'hébergement d'urgence et au logement social, sujet dans lequel je suis impliqué depuis de nombreuses années dans ma ville de Versailles.
Nous souffrons d'un retard de 20 ans ou 30 ans dans le domaine du logement, imputable à toutes les majorités qui ont été au pouvoir. En effet, ce secteur n'a jamais été considéré comme une des grandes priorités nationales en France. Les cris d'alerte lancés par l'Abbé Pierre, puis par le monde associatif, ont ainsi porté au grand jour l'urgence et l'importance d'agir pour améliorer la situation du logement en France. A mes yeux, une société harmonieuse doit avoir quatre priorités : le toit, la formation, le travail et la santé. Si elle n'en a que trois, elle se trouve en déséquilibre.
Voici certains chiffres concernant le logement en France. Il y aurait entre 80 000 et 100 000 sans domicile fixe, entre 400 000 et 600 000 logements jugés indignes et 3 millions de personnes mal logées (ce nombre comprenant les personnes vivant en logements indignes). Ces chiffres sont officiels et ont été rendus crédibles, aux yeux de l'opinion, par la Fondation de l'Abbé Pierre.
Le Premier ministre, pour désamorcer la crise naissante, en particulier les initiatives prises par les Enfants de Don Quichotte, et plus généralement par le monde associatif, m'a demandé de lui remettre des propositions en urgence à la fin du mois de janvier 2008. Celles que je lui ai formulées ont été actées par lui devant les associations dans un premier temps, puis devant les médias.
Il souhaitait que l'Etat, premier responsable de la politique de l'hébergement et du logement social, se dote d'un plan de pilotage cohérent, en partenariat avec les associations, les bailleurs sociaux et les collectivités territoriales. Les parlementaires ont ainsi voté, dans le cadre du projet de loi 2008, des crédits de 900 millions d'euros pour l'hébergement et le logement social ; somme à laquelle s'est ajoutée, dans le cadre des mesures d'urgences, une enveloppe supplémentaire accordée par le Premier ministre.
Par ailleurs, il nous est apparu nécessaire de travailler avec un observatoire national et des observatoires locaux pour définir les réalités et recenser les besoins en matière de logement, qui restent fort mal connus dans les régions et départements. Or, ces besoins portent sur tous les domaines: les CHU, les hébergements d'urgence et de réinsertion sociale, les CHRS, les maisons relais, les CHU, la réhabilitation de logements très sociaux, les PLA-I. En effet, actuellement, du fait d'un revenu trop faible, les personnes qui bénéficient pourtant d'un contrat à durée indéterminée, ne peuvent pas accéder au logement privé, ni même au logement très social par manque de places.
Nous devons faire face également aux réticences de certaines populations et de certains élus à voir des logements sociaux être construits sur leurs territoires, selon l'article 55 de la loi sur la solidarité et le renouvellement urbain.
Quelle sont les propositions d'urgence que j'ai présentées au Premier ministre et qu'il a actées ?
En premier lieu, j'ai demandé que le logement et l'hébergement soient érigés en chantier national, prioritaire pour la fin de la législature 2008-2012 aux yeux de tous (population, bailleurs sociaux, collectivités, associations). J'ai obtenu, en plus des 900 millions d'euros déjà alloués (les associations nationales demandaient un milliard d'euros), une dotation supplémentaire de 250 millions d'euros. Il me semble prioritaire de dépenser l'ensemble de cet argent pour ne pas nous retrouver, comme dans le passé, avec des lignes budgétaires non utilisées. Pour autant, le Premier ministre s'est engagé à abonder certaines lignes budgétaires à la fin de l'année 2008, si nécessaire.
Ma deuxième proposition urgente a consisté en la nomination d'un super préfet, délégué général à l'hébergement d'urgence et à l'accès au logement. Il s'agit de M. Alain Régnier que vous auditionnerez après moi. Son nom nous a été proposé par Mme Christine Boutin. Il a pris ses fonctions depuis quelques semaines et pilotera le domaine qui est le sien sur le plan interministériel en coordonnant, aux niveaux national, départemental et régional, la mise en application des propositions d'urgence et de celles que j'émettrai dans le cadre de mon rapport.
La troisième mesure d'urgence consiste en la création, peu aisée, d'un Observatoire national. Cet établissement devra concentrer des moyens humains suffisants, permettant d'affecter l'argent public de manière pertinente en fonction de l'état des lieux qui sera fait de la situation et des besoins qui en découleront. J'ai demandé la réalisation d'un premier état des lieux pour la fin du mois et d'un autre, plus complet, pour la fin de l'année. Si certaines régions se caractérisent par des besoins limités, d'autres, comme la région parisienne, la région du Nord, la région PACA et la région lyonnaise rencontrent de grandes difficultés pour augmenter leur parc de logements, en raison notamment du coût élevé du foncier.
Sur la base de ces propositions, j'ai présenté à Mme Christine Boutin et M. Martin Hirsch une stratégie reposant sur trois axes.
En premier lieu, nous ne pouvons plus admettre que des personnes vivent dans la rue, notamment celles dépendant des institutions publiques et celles qui ont été expulsées de leur logement. J'ai réclamé, pour ces dernières, la mise en place d'une politique préventive visant à ce que, dès le premier mois d'impayé de loyer, le bailleur, qu'il soit privé ou public, avertisse les services sociaux pour leur permettre d'identifier les difficultés rencontrées par les locataires. Notre projet consiste à trouver des solutions de substitution. Nous ne prétendons pas mettre un terme aux procédures d'expulsion qui devraient rester des options ultimes, mais faire en sorte, si elles ont lieu, qu'elles soient l'oeuvre du préfet chargé alors de mettre à disposition un logement de substitution aux familles expulsées.
Les autres populations vivant dans la rue représentent les personnes sorties de prison et d'hôpitaux psychiatriques, ainsi que les jeunes majeurs privés de possibilités de relogement.
Nous avons la responsabilité d'éviter, à de nouvelles personnes en difficulté, de se retrouver à la rue. Pour cela, nous avons besoin, non seulement de logements sociaux, mais aussi de faire appel au parc privé social. C'est pourquoi j'ai proposé que 100 000 des logements dits indignes soient rénovés d'ici 2012 pour un budget d'environ 80 millions d'euros et que les préfets mènent une véritable chasse aux marchands de sommeil et aux propriétaires indélicats, lesquels profitent de la misère des hommes pour les loger de manière indigne.
Le deuxième axe prioritaire qui guide notre action revient à sortir de la rue ceux qui y vivent déjà. J'ai obtenu du Premier ministre des crédits supplémentaires pour réhabiliter les CHU dont le caractère indigne est parfois mis en avant par les personnes sans logis pour justifier leur refus d'y séjourner. Ces dortoirs doivent être rénovés de manière importante pour leur ôter leur caractère inhumain et offrir un accompagnement social, à ce jour inexistant, alors que les besoins dans ce domaine sont évidents. Les modes d'encadrements dans les CHU et les CHRS seront progressivement harmonisés. Il serait paradoxal que les personnes les plus fragiles, qui intègrent un CHU à leur sortie de la rue, ne bénéficient pas d'un accompagnement social au moins équivalent à celui dont profitent les individus dans le cadre des CHRS.
Par ailleurs, les préfets devraient être davantage sensibilisés à ces sujets et mener des opérations coups de poings dans le domaine de l'hébergement et du logement social, en particulier en nous aidant à mobiliser le parc foncier public. Le prix trop élevé des terrains sert souvent de prétexte pour justifier l'impossibilité de construire des hébergements ou des logements. Dans la circulaire transmise par le Premier ministre, concernant la mise en oeuvre des premières mesures retenues, figurent ainsi le recensement et la mobilisation du parc public foncier. En effet, dans le cadre de la restructuration des périmètres de responsabilités entre la police et la gendarmerie, des gendarmeries, et parfois des commissariats de police, ont été abandonnés sans que personne n'en prenne acte. J'ai donc invité les préfets à recenser les commissariats et gendarmeries vacants. Dans mon propre département, une gendarmerie, vide depuis deux ans, a ainsi été identifiée.
De la même manière, dans le cadre de la restructuration de nos armées, du foncier, bâti ou non, sera libéré dans des proportions gigantesques et donc mobilisable. Il sera nécessaire de l'identifier pour nous placer dans une logique de mobilisation intelligente du foncier de l'Etat.
J'ai obtenu la création d'un fonds d'expérimentation pour permettre aux collectivités, bailleurs et associations de faire preuve d'imagination. A titre d'exemple, l'Armée du Salut vient d'acquérir un bateau-hôtel à Strasbourg, qui comprend une cinquantaine de chambres disponibles et sera acheminé à Paris. Ce type d'initiative innovante justifie un soutien financier de l'Etat plutôt que privé. J'ai donc demandé, dans le cas présent, qu'une partie du coût du bateau soit prise en charge par l'Etat.
Le troisième grand axe qui nous guide consiste à nous donner les moyens d'appliquer réellement la loi DALO. Contrairement aux annonces effectuées, le nombre de dossiers déposés dans le cadre de ce dispositif se révèle très modeste pour l'instant. Il est difficile d'en connaître les raisons. Mais nous savons que les préfectures et les commissions de médiation sont en capacité de gérer ce genre de dossiers. D'ici la fin de l'année, nous aurons une idée du nombre de personnes éligibles au droit au logement opposable et les préfets devront alors pouvoir répondre aux exigences de la loi. C'est pourquoi j'ai proposé que chacun des acteurs dans le domaine du logement (le 1 % logement, les bailleurs, les collectivités territoriales) témoigne d'un effort en mettant une partie de leurs contingents à la disposition des préfets pour leur permettre de reloger les personnes ayant fait valoir leur droit au logement. Chacun aura intérêt à voir une telle mesure se mettre en place.
Entre 20 % et 30 % des personnes accueillies aujourd'hui en centres d'hébergement d'urgence ou en CHRS relèveraient de la loi DALO. Exerçant une activité professionnelle sous couvert d'un CDI, elles n'auraient rien à faire dans ces structures. Il s'agit de travailleurs pauvres, ayant besoin d'accompagnement social et prêts à intégrer des logements très sociaux tels que les PLA-I, dont je souhaite qu'il compte double pour le calcul du pourcentage de logement social, défini dans l'article 55 de la loi SRU ; cette proposition s'ajoutant à une autre consistant à inciter les collectivités territoriales à accepter de construire des maisons relais, lesquelles représentent des hébergements durables mais dédiés à des personnes fragiles nécessitant un accompagnement social permanent.
Je souhaite aborder maintenant un autre sujet. Il concerne l'intermédiation locative dans le parc privé. Comme je l'ai indiqué précédemment, nous avons besoin de solliciter le parc privé dont une partie des logements doit être réhabilitée, notamment grâce à l'ANAH, l'autre partie étant de très bonne qualité. Pourtant, certains bailleurs privés hésitent à louer ces derniers à des personnes de revenus modestes. La formule de l'intermédiation peut constituer une solution tout à fait sécurisante pour remédier à cette situation. Elle consiste, en effet, pour une association, à louer le logement au bailleur privé en lui garantissant les loyers et à le sous-louer à une personne avec des revenus modestes. Ce système est pratiqué par certaines associations de manière ponctuelle, parfois expérimentale. Depuis un certain temps, il est utilisé à Rennes de manière parfaite, dans la mesure où Rennes Métropole gère en permanence 500 logements intermédiaires. La Ville de Paris vient également d'y faire appel. Il constitue sans doute une solution d'avenir, ayant pour intérêt principal de rassurer le bailleur privé en lui garantissant le versement de son loyer grâce au rôle d'intermédiaire que jouera pour lui un tiers responsable et reconnu dans le cadre d'un contrat.
Qu'est-ce qui, selon vous, pourrait inciter, de manière plus efficace, les collectivités territoriales, qui y sont réticentes, à construire du logement social ? Le doublement de la quotité du PLA-I dans le calcul du pourcentage de logement social relatif à la loi SRU me paraît être une bonne mesure, tout comme la proposition du gouvernement de taxer les surloyers et de redéfinir les seuils d'entrée dans les logements sociaux, de manière à ce que des personnes gagnant entre 6 000 et 7 000 euros n'y soient éligibles. Malgré tout, il me semble nécessaire d'aller plus loin et pourquoi pas de créer une troisième catégorie de communes dans le cadre de la loi SRU. Celle-ci s'applique aujourd'hui à toutes les communes de plus 3 500 habitants pour celles situées en province et de plus de 1 500 habitants pour celles inscrites en Ile-de-France. Or, étant donné que de plus en plus de personnes vivent dans les périphéries, ne serait-il pas opportun de créer une troisième catégorie de communes dans le cadre de la loi SRU, les communes dont la population est comprise entre 2 500 et 3 000 habitants, 2 500 étant le seuil exigé pour la création d'une pharmacie et pouvant donc constituer un critère objectif ?
Je suis maintenant ouvert toutes vos suggestions susceptibles d'alimenter ma réflexion et d'inciter les élus à construire davantage de logement social.
M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Cette mission est tout à fait opportune dans la mesure où, depuis plusieurs années, nous multiplions les textes de loi et alertons, en hiver, les autorités publiques de situations inhumaines, avec le sentiment, pourtant, de buter sur des difficultés trop complexes à cerner.
Le mérite du rapport de M. Etienne Pinte est d'effectuer un bilan global de la situation en matière d'hébergement d'urgence, tout en essayant de dresser des perspectives sur le sujet.
Je souhaiterais préciser certains points avec vous concernant notamment le cadre territorial dans lequel doit s'inscrire l'action dans le domaine du logement. M. Julien Damon a estimé qu'agir efficacement dans ce secteur ne peut se faire qu'à un niveau européen. Une mobilisation des sans-abri de l'Europe entière s'est ainsi manifestée à l'occasion des évènements du canal Saint-Martin. Pensez-vous possible de traiter la problématique des sans abri, de manière coordonnée, à l'échelle européenne ?
Je salue votre projet de mettre en place un observatoire dans la mesure où nous manquons d'informations sur les occupants des logements et, en particulier, sur leurs parcours résidentiels.
Je souhaiterais également connaître votre avis sur la notion de contrainte appliquée aux sans abri. Il y a quelques années, l'action gouvernementale avait été critiquée pour avoir consisté à astreindre des personnes vivant dans la rue à se mettre à l'abri.
Enfin, connaissant les qualités du super préfet qui vient d'être nommé, je ne doute pas qu'il saura déterminer son positionnement optimal par rapport à son ministre de tutelle. Cependant, ne pensez-vous pas qu'il y a un risque de voir lui et la ministre en charge du logement social et des sans abri se faire concurrence ?
M. Etienne PINTE - Je ne crois pas, personnellement, en l'harmonisation européenne de la gestion des sans abri, en particulier en raison des difficultés que nous connaissons déjà pour harmoniser nos politiques en matière d'immigration. Une démarche volontariste et la publication d'une directive européenne sur le sujet dans un avenir proche me semblent donc illusoires. La résolution des problèmes liés au logement nous oblige à conserver la maîtrise des politiques dans ce domaine.
Le parcours résidentiel, s'il a son importance, est difficile à mettre en oeuvre dans les grandes agglomérations. A Bourges, l'association Saint-François a concentré, sur le site d'un ancien couvent, ce qui participe de l'ensemble d'un parcours résidentiel, à savoir des hébergements d'urgence, un CHRS, une maison relais et des logements sociaux. Là-bas, lorsqu'une personne se retrouve à la rue, elle est immédiatement accueillie dans des dortoirs comprenant 4 places au maximum, et bénéficie d'un accompagnement social. Ainsi, si elle le souhaite, elle pourra se réinsérer très progressivement dans la société en suivant un parcours jalonné d'étapes. Il s'agit d'une expérience remarquable, d'une petite structure idéale à l'échelle d'une ville comme Bourges. La concentration en un même lieu de tous les maillons de la chaîne que représente un parcours résidentiel revêt un caractère pédagogique en permettant à chacun de découvrir les exemples à suivre pour la construction d'un parcours résidentiel. La dimension humaine et presque familiale est ainsi très présente dans la structure qu'a mise en place l'association Saint-François et le travail réalisé y est extraordinaire. Je vous incite à la visiter. Elle constitue pour moi l'exemple d'une offre de parcours résidentiel parfait.
Toutefois, ce type d'expérience peut être rendu plus compliqué, notamment dans le cas d'accueil de personnes étrangères. En tant que maire de Versailles, j'ai connu la difficulté de persuader des SDF, avec des états de santé parfois très dégradés, de rejoindre des hébergements d'urgence. La loi ne nous permet pas d'aller à l'encontre de leur individuelle. Nous ne pouvons les forcer à quitter la rue que lorsqu'un médecin appelle le 115 ou le SAMU médical.
Concernant, enfin, le positionnement du super préfet par rapport aux ministres, je considère que nous avons réellement besoin d'un acteur représentant un véritable coordinateur interministériel, pour dynamiser l'action des préfets. Le problème posé par les personnes sorties de prison et d'hôpitaux psychiatriques est à ce titre emblématique, dans la mesure il ne peut être réglé qu'au travers d'une coordination permanente entre le ministère du logement, les autres ministères et les Présidents de Conseils généraux. Mon souhait était que ce poste de super préfet soit occupé justement par un préfet, de manière à ce qu'il ait la possibilité de dialoguer aisément avec l'ensemble de ses pairs dans les 90 départements français. Sa fonction devrait, par ailleurs, soulager à plus d'un titre les ministres qui auraient affaire à un référent permanent, susceptible de les renseigner sur les obligations et dispositions en matière d'hébergement.
M. Christian DEMUYNCK, Président - Il y a quatre sujets d'étude prioritaires :
- Les logements sociaux qui entrent dans le cadre de la loi SRU mais en sont automatiquement retranchés lorsqu'ils sont vendus, ce qui n'incite pas à en construire.
- Les logements sociaux achetés ou préemptés par les mêmes villes et qui ne sont pas intégrés au logement social, ni pris en compte dans les quotas de logements sociaux exigés dans le cadre de la loi SRU.
- Les infrastructures (crèches, écoles et autres). Nous devons réfléchir à la manière dont l'Etat peut aider les Villes à disposer d'un budget de fonctionnement considérablement accru pour ces infrastructures.
- Les villes ne sont pas associées au processus d'attribution des HLM aux familles ; d'où des manques de cohésions possibles dans l'affectation des logements sociaux. En ce sens, il paraît nécessaire que les maires puissent bénéficier de plus de pouvoir dans ces attributions.
M. Etienne PINTE - Si le seuil de 20 % ou même 25 % de logements sociaux n'est pas atteint, je trouve inapproprié que des bailleurs sociaux vendent tout ou partie de leurs résidences sociales. En effet, si dans un délai de 5 ans, pareils logements n'ont pas été reconstruits, ils seront retranchés du contingent des logements sociaux. Il est donc indispensable de les gérer de manière intelligente. Mais je crois que les maires et les bailleurs sociaux sont désormais conscients de la nécessité d'agir en ce domaine dans le respect de certaines limites.
La préemption de logements par les villes peut les amener à rencontrer des problèmes. Durant les 18 dernières années, les lois en matière de logement ont fortement évolué. Ainsi, en 1990, avec la loi d'orientation sur la Ville, ma ville, Versailles, présentait 20 % de logements sociaux. En 1996, avec la modification de la définition du logement social, ce pourcentage est descendu à 18,5 % ; puis à 15 % après l'adoption de la loi SRU. Grâce à des efforts importants, nous sommes parvenus aujourd'hui à faire remonter ce taux à 17 %. De tels changements législatifs, si rapprochés dans le temps, rendent compliquée la conduite de politiques à long terme.
En la matière, notre action peut servir d'exemple. Elle consiste à préempter des logements, puis à les revendre immédiatement à un bailleur social, nous permettant ainsi de les maintenir dans les contingents relevant de la loi SRU. De ce point de vue, je milite pour confier au bailleur social la gestion des logements sortis du contingent, comme ceux construits par l'Etat pour l'Armée ou par la ville pour les instituteurs, de façon à ce qu'ils intègrent le champ de la loi SRU. L'état actuel de la législation n'incite malheureusement pas les communes à construire ou gérer elles-mêmes le logement social, même si elles interviennent par le biais des garanties d'emprunt ou du surcoût du foncier notamment.
Il nous faut éviter de raisonner de manière trop générale, s'agissant des infrastructures, en raison notamment de la faible démographie. Lorsque j'étais maire de Versailles, j'ai été contraint de fermer certaines classes et groupes scolaires plus assez fréquentés.
Le logement social doit permettre aux villes de mélanger harmonieusement leurs populations et, dans le même temps, de satisfaire des besoins dans le domaine des services à la personne. Certains de nos concitoyens sont a priori opposés au logement social. Ils pourraient, cependant, comprendre la nécessité de loger, dans des conditions accessibles, l'ensemble des personnes aux revenus modestes qui gardent leurs enfants ou s'occupent de leurs parents âgés à domicile. Ainsi, dans certaines villes, le logement social permet de revivifier le tissu social. A Rennes, par exemple, au niveau de la communauté d'agglomération, 1 000 logements sociaux sont construits chaque année. Dans ce cas précis, la problématique sociale a été traitée très en amont, depuis 15 à 20 ans, sur la base d'une culture très axée sur la dimension sociale et la solidarité. Si cet exemple avait été suivi partout en France, le problème du logement n'existerait pas aujourd'hui dans notre pays. Dans la même veine, si la mobilisation au bord du Canal Saint-Martin n'avait pas eu lieu, la loi DALO n'aurait pas vu le jour.
Le relogement des familles en difficultés, lui, dépend du degré d'implication de chaque commune. En effet, au travers des mécanismes de surcharge foncière et de garanties d'emprunt, les Villes ont obtenu des contingents de logements. De ce fait il me semble possible pour elles d'imposer, dans le cadre des commissions d'attribution, le relogement de certaines familles. A défaut, la concertation entre elles et les préfets ou bailleurs sociaux doit permettre de gérer les problèmes les plus urgents.
M. Guy FISCHER - Le PARSA constitue, à mes yeux, le plan le plus difficile à mettre en oeuvre. Le PLA-I, lui, représente le produit le plus approprié aux personnes les plus défavorisées. Il s'agit en effet d'un logement présentant un loyer abordable. Au moment où la précarité explose, la construction de ce type de logements est devenue prioritaire. Par ailleurs, la crise du logement étant telle dans notre pays, le parcours résidentiel idéal à promouvoir devrait comporter plusieurs étapes, amenant au logement d'urgence, puis au logement de stabilisation et enfin à l'insertion. Ce dernier objectif est cependant très difficile à atteindre, comme je peux le constater à Vénissieux où, pourtant, les élus ne traitent pas des problèmes d'hébergement des personnes sans abris ou mal logées, cette responsabilité revenant aux associations.
Je partage votre avis selon lequel l'analyse des situations devrait reposer sur les trajectoires des personnes ainsi que sur leurs conditions de vie. Sinon, la création, insuffisante, de places en CHU et CHRS risque de buter sur des problèmes humains. En ce sens, nous devons mobiliser des moyens suffisants pour permettre un réel accompagnement humain, sous peine de courir à l'échec. Mon expérience personnelle m'a ainsi montré que de nombreux jeunes doivent parfois subir les conséquences d'une baisse des moyens de financement.
Il me semble, dans ce contexte, que nous devons agir davantage au niveau de la prévention. Pour reprendre une formule utilisée dans un rapport, il ne faut pas éponger l'inondation sans penser à fermer l'arrivée d'eau.
M. Etienne PINTE - Le manque d'accompagnement humain touche 90 % des centres d'hébergement et d'accueil. Notre expérience sur le terrain nous a montré le rôle indispensable des associations, sans lesquelles la situation du logement en France, sur les plans quantitatif et quantitatif, serait encore plus dramatique et porterait en elle un risque d'explosion sociale. J'ai visité hier, dans le 19e arrondissement de Paris, une association qui s'occupe des parents en grande fragilité. Ailleurs en France, il existe des centres d'accueil pour les mères avec leurs enfants, mais où leurs compagnons ne sont pas accueillis, ce qui a tendance à fragiliser les couples et donc les familles. Dans ce centre du 19e arrondissement, en revanche, c'est le couple qui est reçu. Il s'agit d'une bonne mesure et j'appelle à la création de centres parentaux, construits sur le modèle des centres maternels, afin de permettre aux pères de ne pas se sentir isolés de leurs familles et de ne pas les inciter à les abandonner. Il serait paradoxal qu'une politique se disant familiale ignore les pères. C'est l'ensemble de la cellule familiale qui doit être accueillie dans les centres. Cette initiative basée dans le 19e arrondissement de Paris est unique en France. Elle constitue pour nous une réelle découverte, une démarche aussi intelligente qu'intéressante.
De même, à Lyon, à Notre-Dame des sans abri, une structure d'accueil des personnes en grande fragilité psychique est en train d'être mise en place. Ces deux exemples démontrent clairement que c'est le milieu associatif qui, grâce à sa connaissance permanente du terrain, identifie, de la manière la plus précise, les besoins et permet ainsi de créer les structures adaptées pour y répondre, lorsqu'il reçoit le soutien des autorités locales (DASS, préfets ou DRASS). De telles solutions innovantes ont malheureusement des difficultés à être reconnues et accompagnées dans un pays comme le nôtre, où les directions en charge des affaires sociales répondent souvent à des règles trop formatées. En tout cas, l'accompagnement social demeure fondamental, quelles que soient les personnes en difficulté.
Mme Jacqueline PANIS - S'agissant du patrimoine de l'armée, bâti ou non, que vous avez évoqué, le plan Armée 2000 fonctionne déjà pleinement dans les zones urbaines, avec la mise en place d'une phase de restructuration profonde. Dans ce contexte, comment pensez-vous concilier l'offre de logements qui se situe surtout dans les petites communautés de communes ou dans le monde rural avec la demande de logements, émanant principalement des villes ? Des processus de mutations sont-ils envisagés ?
M. Etienne PINTE - La fermeture de casernes ne posera pas de gros problèmes en milieu urbain. En revanche, dans des communes modestes où les militaires représentent parfois la moitié de la clientèle des commerces, elle créera de grandes difficultés. J'ai abordé le sujet avec M. Hervé Morin. Selon lui, la démarche retenue pour la restructuration des armées est la suivante. Tout d'abord, le Président de la République devra effectuer un arbitrage d'ici le mois de juin. Après quoi, une annonce officielle devrait intervenir sans doute au début du mois de septembre. L'application des décisions s'étalera ensuite sur une période de trois ans. Ce délai permettra ainsi à toutes les collectivités concernées de déterminer, en concertation avec le ministère de la Défense, les autres ministères et les préfets, après un recensement des locaux libérés par l'armée, la manière la plus efficace d'aborder le sujet. Le ministère de la Défense est d'ailleurs prêt à apporter son concours, en cédant certains de ses biens à des conditions avantageuses et en aidant à en reconvertir d'autres. Il est évident qu'une ville comme Tulle, par exemple, connaîtrait une situation dramatique si son dernier régiment venait à partir sans bénéficier d'aucune mesure d'accompagnement. C'est le rôle du gouvernement que de faciliter cet accompagnement, notamment en incitant les entreprises à venir s'installer sur les sites abandonnés ou en reconvertissant ces derniers.
Mme Jacqueline PANIS - Je vous remercie pour les précisions que vous venez d'apporter. Cependant, ma préoccupation concerne plus précisément la population des demandeurs d'emploi situés principalement en ville. Quelle serait la meilleure solution pour inciter ces personnes à se délocaliser ?
M. Etienne PINTE - Sur ce sujet comme sur d'autres, il est indispensable de raisonner au cas par cas. Les villes qui seront confrontées à des problèmes seront principalement les villes moyennes. Je ne pense pas que les personnes devront être expatriées, même si elles sont sans domicile fixe, dans le cas où elles ne pourraient pas bénéficier d'un accompagnement social pour retrouver un travail. Il serait absurde de déplacer des gens dans des casernements à la campagne sous prétexte que ceux-ci pourraient les loger. Un tel scénario nous exposerait au risque de créer de véritables ghettos ruraux.
Des mesures d'accompagnement social et de formation professionnelle sont indispensables pour avoir une réelle adéquation entre les besoins et les ressources en matière de logement. Ainsi, le projet de construire des logements sociaux sur la base de Satory à l'extérieur de Versailles constituait pour moi une absurdité, dans le sens où il aboutissait à maintenir des personnes à l'écart de la ville et à ne pas les intégrer à une réelle vie de quartier, indispensable pour qu'ils aient le sentiment d'appartenir à la ville.
Mme Bernadette DUPONT - Je fais partie de la mission consacrée aux personnes âgées et handicapées. Dans le prolongement de ce que vient de dire mon collègue, je souhaite suggérer une piste de travail. Récemment, j'ai visité, dans le Sud des Vosges, une zone quasiment désertée, mais où subsistent quelques villages composés de maisons forestières et de personnes âgées totalement abandonnées. Le nombre de candidats recrutés pour assurer les services d'aide à la personne étant loin d'avoir atteint l'objectif fixé, n'y aurait-il pas des opportunités de réinsertion dans ces régions et ce domaine d'activité ?
M. Etienne PINTE - Il s'agit d'une piste intéressante. Je souhaitais moi-même évoquer la possibilité d'insérer des gens en leur confiant la remise en état du logement indigne, insalubre ou indécent en milieu rural où il est très présent. Selon une association du Nord de la France, 48 % des logements du département du Nord représentaient des logements indécents ; la raison en étant que la plupart de ces habitations sont occupées par leurs propriétaires à qui il est difficile de demander la réhabilitation de leurs lieux de vie. Un recensement rigoureux des logements indignes doit donc être effectué dans le milieu rural.
M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Je vous remercie pour l'intérêt de cette dernière observation.
M. Christian DEMUYNCK, Président - Merci d'être venu.