Audition de M. Jean-Pierre GUENANTEN, délégué national du MNCP (Mouvement national des chômeurs et précaires) et Melle Zalie MANSOIBOU, animatrice du pôle défense des droits du MNCP - (1er avril 2008)
M. Christian DEMUYNCK, Président - Je vous remercie d'avoir accepté d'intervenir devant cette Mission commune d'information sur les politiques de lutte contre la pauvreté et l'exclusion. Nous sommes très heureux que vous puissiez nous présenter les actions que vous menez et nous soumettre des propositions. Je vous suggère de nous exposer la manière dont le MNCP fonctionne et les moyens que vous estimez utiles pour lutter contre ce fléau de l'exclusion. M. Bernard Seillier, notre rapporteur, et nos collègues vous poseront ensuite des questions.
M. Jean-Pierre GUENANTEN - M. le Président, je vous remercie de votre accueil. Je vais brièvement vous présenter le MNCP. Ce mouvement a aujourd'hui vingt-deux ans. Il a donc une certaine expérience du suivi des chômeurs et de la pauvreté. Nous représentons quarante associations sur l'ensemble du territoire, dont une se trouve à l'île de la Réunion, pour un total de 6 000 adhérents. Le MNCP reçoit près de 15 000 chômeurs par an (environ 100 000 passages au cours de l'année).
Notre action repose avant tout sur trois axes de travail :
- l'accueil. Il nous semble primordial. Nous devons en effet établir un climat de confiance avec les personnes que nous accueillons dans nos associations, afin qu'elles s'y sentent à l'aise. Elles ont avant tout du mal à trouver un emploi, mais connaissent également d'autres difficultés, périphériques à leur statut de chômeur. Il nous semble essentiel de créer un climat de confiance entre elles et nous. Notre expérience nous a appris, en effet, que certaines personnes n'expriment pas forcément ce à quoi elles sont confrontées dès le premier contact, et qu'elles ne se dévoilent qu'au bout de deux ou trois rencontres.
Nos associations fonctionnent grâce à des bénévoles et 110 salariés sur tout le territoire de la France. Nous nous sommes rendu compte qu'elles sont plus efficaces quand elles emploient des salariés susceptibles d'établir un lien avec leurs conseils d'administration. La composition de ces derniers évolue fréquemment en effet. De même, nos adhérents changent souvent. Il nous paraît donc important de créer une relation durable avec les chômeurs au travers de points d'accueil tenus par au moins un ou deux salariés. L'accueil que nous offrons est soit individuel, soit collectif. Il nous semble souvent opportun de mettre en place une démarche collective pour résoudre les problèmes individuels.
- Notre deuxième axe de travail consiste à faciliter l'accès aux droits des personnes exclues, la plupart d'entre elles ne les connaissant pas et n'ayant aucune idée du fonctionnement des ASSEDIC. Nous essayons de leur rendre plus lisibles les procédures utiles pour elles.
- Enfin, notre troisième axe de travail porte sur l'économie solidaire. Nous souhaitons être une force de proposition et tester des projets ayant pour objectif de réduire le chômage au sein des différents territoires. Au cours des dix dernières années, nous avons créé 700 emplois directs en soutenant des chômeurs dans leurs projets de créations d'entreprises. Quatre villes (Clermont-Ferrand, Toulouse, Vannes et Lens) accompagnent, en particulier, les individus désireux de créer leur propre entreprise après avoir exercé plusieurs activités. D'autres types de projets existent, notamment des jardins solidaires et des crèches sociales.
Ces trois axes de travail résument notre activité. Faciliter l'accès aux droits des personnes est nécessaire. Les chômeurs doivent connaître leurs droits. C'est la raison pour laquelle nous assurons leur éducation dans ce domaine.
A notre siège national, nos trois salariés coordonnent le travail des quarante associations sur l'ensemble du territoire. Notre expertise nous permet de communiquer aux pouvoirs publics les différents dysfonctionnements auxquels nous sommes confrontés sur le terrain. Nous sommes ainsi régulièrement sollicités par des ministères et par les groupes parlementaires de l'Assemblée nationale. Nous travaillons également à la mise en place d'indicateurs pour bénéficier d'une vision large et objective du chômage et de la précarité et résoudre les problèmes rencontrés au niveau local. Nous estimons en particulier indispensable de mesurer l'ampleur du chômage invisible.
En outre, nous participons au Grenelle de l'insertion en tant qu'usagers organisés. Le travail que nous effectuons au sein des associations permet à des usagers et à des ayant droits de collaborer en commun dans la résolution de problématiques. Il nous offre la possibilité de concevoir des revendications collectives et de les diffuser le plus largement possible, à l'échelon tant local que national. Notre contribution au Grenelle de l'insertion est très active, avec un représentant dans chacun des trois groupes de travail. Notre fonctionnement, relativement original, fait que notre approche est un peu différente de celle des autres structures. Notre expertise peut donc être très utile.
S'agissant du décret portant sur le train de vie des allocataires des minima sociaux, il ressort de nos enquêtes que ce texte revient à priver des personnes d'une source de revenu. Cette situation suscite l'inquiétude, notamment des associations créées par des chômeurs victimes de licenciements collectifs, comme les anciens salariés de Moulinex. Pour la plupart d'entre eux, âgés de plus de cinquante ans et souvent propriétaires de leur domicile, le RMI constitue la dernière source de revenu de leur ménage. Par la faute de ce décret, beaucoup de femmes, au chômage depuis deux ans et demi, n'auront plus aucune ressource et risquent de sombrer dans l'exclusion.
De même, la suppression de l'AER (allocation équivalent retraite), prévue pour le 1 er janvier 2009, nous inquiète énormément. Elle aura des conséquences très négatives pour des chômeurs âgés de près de soixante ans et ayant déjà cotisé pendant quarante ans. Pour ces personnes n'ayant aucune chance de retrouver un emploi, elle se traduira par la disparition de tout revenu.
Concernant le RSA, ce dispositif présente des points positifs, mais aussi négatifs. Nous craignons en effet que ce projet n'aboutisse à l'institutionnalisation de la précarité et à contraindre certaines catégories de la population à exercer des emplois très précaires et à s'enfoncer dans la pauvreté. Le RSA se traduira peut-être par une meilleure lisibilité des dispositifs d'aides. Mais il risque de réduire la responsabilité sociale des entreprises et de conduire à une institutionnalisation de la précarité financée par l'argent public. Cette mesure est donc très inquiétante. Elle constituera certainement un sujet de préoccupation majeur lors de notre prochaine assemblée générale.
Depuis longtemps, le MNCP souhaite que les chômeurs soient représentés par une institution au niveau national. Il s'agit de l'une des seules catégories de personnes dont la voix n'est pas portée par une quelconque structure. Nous n'avons jamais réussi, malheureusement, à faire en sorte que les chômeurs soient représentés au sein de l'UNEDIC. La fusion de cette dernière avec l'ANPE marque un tournant historique et nous nous sommes positionnés clairement pour être présents dans la nouvelle structure qui naîtra de cette fusion. Des associations familiales peuvent siéger dans des instances des Caisses d'allocations familiales. Il serait donc légitime que des associations de chômeurs puissent participer aux réunions d'institutions intervenant dans le domaine de l'emploi.
Souvent cette revendication a été rejetée au motif que les syndicats ont la possibilité de défendre les chômeurs. Mais cet argument n'est pas convaincant, comme l'illustre bien l'attitude des syndicats à l'égard des personnes licenciées par Moulinex et Metaleurop. S'ils se sont montrés très présents dans un premier temps, ils n'ont pas assuré l'accompagnement social quotidien, pourtant indispensable, par la suite. Les syndicats avouent d'ailleurs officieusement qu'ils ne maîtrisent pas ce champ aussi bien que le MNCP. Nous jouissons donc d'une véritable légitimité à siéger dans certaines instances. Les chômeurs doivent pouvoir être représentés, d'autant plus qu'ils sont de plus en plus nombreux à rester sans emploi pendant une longue durée.
La privatisation du Livret A provoque également des inquiétudes, celui-ci constituant le principal placement des ménages disposant de revenus modestes et permettant le financement des logements sociaux.
La fusion de l'UNEDIC et de l'ANPE entraînera la disparition de cette dernière. Or, la loi de lutte contre les exclusions de 1998 s'est accompagnée de la création de comités de liaison, où les deux parties peuvent s'exprimer. Ces comités doivent pouvoir continuer à se réunir.
L'adoption d'un texte législatif est nécessaire pour garantir une véritable représentation des chômeurs. Actuellement, la mise en place d'un comité de liaison nécessite, certes, la présence d'un syndicat et d'une association de chômeurs. Mais cette opportunité est trop rarement utilisée. Il n'existe en effet qu'entre trente et quarante comités de liaison, alors qu'ils devraient être beaucoup plus nombreux. Lors des discussions parlementaires sur la fusion entre l'ANPE et l'UNEDIC, nous avons demandé quel sera l'avenir de ces comités. Nous n'avons pas obtenu de réponse à cette question pour l'instant.
L'accès à la formation des demandeurs d'emploi est compliqué. Il est en effet très difficile pour les chômeurs de trouver une formation, a fortiori lorsqu'ils sont bénéficiaires du RMI.
Enfin, le manque de pérennité de financement de nos associations nous oblige à travailler à court terme, sans véritable assise. Pourtant, notre expertise est très intéressante.
Un véritable retour en arrière se produit actuellement, avec une baisse des moyens accordés à nos structures, rendant leurs situations très difficiles.
M. Christian DEMUYNCK, Président - Merci M. Guenanten de votre intervention. Je passe la parole à notre rapporteur, M. Bernard Seillier.
M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Vous avez dressé un très vaste tableau de la situation. Je souhaiterais vous poser un certain nombre de questions pour engager la conversation. Estimez-vous que certaines procédures peuvent être améliorées pour rendre plus faciles les relations juridiques et financières entre l'ANPE et l'UNEDIC ?
La précarité ne doit pas porter atteinte à la dignité des personnes qui en souffrent, celles-ci étant des citoyens à part entière. Y a-t-il, selon vous, des leviers sur lesquels il est possible d'agir pour leur permettre de sortir le plus rapidement possible de leurs difficultés ? Enfin, comment évaluez-vous votre action ? Avez-vous mis en place des indicateurs de résultats ? J'ai assisté à la manifestation que vous avez organisée à la Maison des associations. Celle-ci a été d'une très grande qualité.
M. Jean-Pierre GUENANTEN - Concernant les procédures, nous estimons que la fusion de l'ANPE et de l'UNEDIC n'a pas conduit à aborder les vrais problèmes et notamment le fait que, depuis le vote de la loi Borloo de 2005, le contrôle des chômeurs se déroule moins bien que par le passé, lorsqu'il relevait de la responsabilité de la direction du travail. Comme je l'ai expliqué précédemment, une relation de confiance doit s'instaurer avec les chômeurs. Or, certaines personnes sont angoissées à l'idée de se rendre à l'ANPE, craignant d'y être sanctionnées. Il s'agit d'un souci majeur. Car il n'est pas possible d'offrir un accueil de qualité quand les conseillers de l'ANPE sont à la fois juge et partie et qu'il n'existe plus de relation de confiance entre eux et les chômeurs.
C'est pourquoi de plus en plus de demandeurs d'emplois deviennent invisibles. Ils sont tellement angoissés à l'idée de se rendre à l'ANPE qu'ils préfèrent ne pas y aller, d'autant plus quand ils ne savent pas utiliser les outils informatiques présents partout dans les agences ; d'où la nécessité de mettre en place des accompagnements en leur direction. Des associations tiennent ainsi des permanences dans les ANPE où elles organisent des ateliers pour apprendre aux chômeurs à manier les outils informatiques et ainsi réduire la fracture numérique.
De manière générale, nous estimons que la présomption d'innocence n'est pas suffisamment respectée. Les chômeurs n'ont accès à une commission de recours qu'après avoir été sanctionnés. Ils perdent ainsi, dans tous les cas, au moins deux mois de revenus, un manque de ressources pouvant amener leurs familles à plonger dans le surendettement. Au cours des six derniers mois, nous avons accompagné 265 personnes dans leurs démarches de saisie de la commission de recours, dont 263 ont été réintégrées en raison de radiations abusives.
Enfin les chômeurs ne bénéficient pas des mêmes aides selon les régions où ils vivent, de fortes disparités existant en la matière.
Mlle Zalie MANSOIBOU - M. Guenanten a évoqué les sanctions prononcées contre les chômeurs. Or les radiations peuvent avoir des conséquences très graves et sont souvent signifiées pour des raisons abusives et sans être accompagnées d'une quelconque explication. Ainsi, des chômeurs se sont vus punis pour s'être présentés à un rendez-vous avec leurs conseillers avec dix minutes de retard. De fait, les associations en viennent à déposer des recours devant les tribunaux administratifs, qui leur donnent fréquemment gain de cause. Nous sommes régulièrement sollicités par des personnes victimes de radiations à l'ANPE.
Les dispositifs d'accueil de cette structure constituent aujourd'hui une véritable usine à gaz. Chaque conseiller reçoit entre 150 et 200 personnes et ne peut accorder à chacune qu'à peine cinq minutes d'entretien. Il serait opportun de mettre en place un véritable service d'accueil public, permettant de renseigner et d'accompagner les chômeurs de manière satisfaisante.
M. Jean-Pierre GUENANTEN - Nous avons, malgré tout, des motifs de satisfaction. Nous bénéficions en effet d'une véritable reconnaissance au niveau territorial et pouvons ainsi travailler en étroite collaboration avec les villes, les communautés d'agglomération, les Conseils généraux et les Conseils régionaux. Ces institutions constituent, pour nous, de véritables partenaires. En outre, si, pendant certaines périodes, nos relations avec elle ont été difficiles, nous travaillons beaucoup aujourd'hui avec les directions des ANPE lesquelles, par le biais de courriers officiels, invitent les chômeurs à se diriger vers nos associations pour, par exemple, recevoir une aide informatique. Nos actions sont donc vraiment reconnues sur le plan local.
Mais cette reconnaissance a parfois du mal à se traduire en termes financiers, les aides des communes envers nos associations étant très disparates.
Mlle Zalie MANSOIBOU - A Paris, par exemple, nous sommes la seule association à informer les chômeurs de leurs droits à être financée. Notre coopération avec la Ville fonctionne d'ailleurs très bien et notre travail est reconnu. Nous soumettons des propositions pour améliorer le suivi des personnes et nous participons à diverses instances, notamment en siégeant dans les centres d'actions sociales de la Ville de Paris. Mais il est nécessaire de réfléchir, au plan national, sur la manière d'attribuer un véritable financement aux têtes de réseaux des associations pour leur permettre de continuer à travailler.
Leurs actions servent, en effet, à créer des emplois, en particulier dans les domaines de l'environnement et du social. Depuis plus de vingt ans, nous avons mis en place des systèmes de réparation de mobylettes et de vélos pour aider les personnes à se déplacer. A Lens, par exemple, une association a créé une fonderie et une entreprise de recyclage.
La plupart des associations risquent malheureusement de voir leurs ressources amputées. Il est indispensable de continuer à les financer par le biais des têtes de réseaux.
M. Jean-Pierre GUENANTEN - Pour nous, le chômage correspond avant tout à un gâchis de compétences. Nos associations se donnent pour objectif de créer du lien social et des dynamiques dans lesquelles les personnes pourraient exprimer leurs savoir-faire. Les chômeurs se retrouvent souvent isolés et il est important de mettre à leur disposition des lieux où ils peuvent se réunir pour discuter de leurs problèmes et de leurs projets. Des chefs d'entreprise et des retraités participent également à la vie de l'association. La participation des chômeurs à son fonctionnement est déterminante.
Mlle Zalie MANSOIBOU - Nous recevons également de nombreux jeunes de moins de vingt-cinq ans en situation de désoeuvrement, en proie à la solitude et sans ressources. Il nous faudra travailler avec les missions locales, et non pas seulement avec l'ANPE, concernant leur accueil et leur accompagnement dans leur recherche d'emploi et en matière de formation. Beaucoup de jeunes arrêtent leurs études parce que leurs parents sont au chômage. D'autres vivent dans la rue du fait de ruptures familiales. Depuis quatre ou cinq ans, nous recevons de plus en plus de jeunes sans domicile.
Il est très difficile de leur trouver un toit, les places d'hébergement n'étant pas suffisantes, tant dans les centres d'urgence que dans les centres de longue durée. De plus, nous ne disposons pas des moyens nécessaires pour les suivre de manière efficace. Nous aimerions traiter de ce problème avec les collectivités territoriales, qui financent les missions locales. Depuis vingt ans, nous militons pour que les jeunes de moins de vingt-cinq ans puissent bénéficier d'un revenu d'autonomie. Des remèdes aux difficultés rencontrées par ce public doivent absolument être trouvés. Nous avons des propositions à soumettre dans ce sens aux pouvoirs publics, avec lesquelles nous sommes prêts à collaborer.
M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Avez-vous le sentiment que vos activités aboutissent à de véritables innovations économiques et sociales ?
M. Jean-Pierre GUENANTEN - Nos actions se concluent par de nombreuses innovations. Ainsi, nous accompagnons des porteurs de projets dont les initiatives connaissent un taux de réussite de 65% après deux ans d'activité. Nous avons contribué, par exemple, à la création de centrales d'achat, notamment sur l'île de la Réunion, pour acheter des produits à bon marché et les rendre ainsi accessibles à de nombreuses personnes.
Nous avons instauré également un programme éducatif où il s'agit d'enseigner, par exemple en montrant les produits à acheter sur un marché, la façon de bien se nourrir avec seulement 2 euros par jour. Ces types de projets sont à la fois très simples et innovants. Ils apportent la preuve qu'il est possible de progresser dans la prise en charge de l'exclusion et de la pauvreté en réfléchissant de manière collective. Notre société a souvent tendance à considérer que les chômeurs ne représentent pas de vrais citoyens. Nos actions leur permettent de gagner en citoyenneté.
M. Bernard SEILLIER, rapporteur - Quelle maison de l'emploi nous conseilleriez-vous de visiter ?
Mlle Zalie MANSOIBOU - Je vous conseille de visiter les maisons de l'emploi du Nord-Pas-de-Calais. Y sont présentes l'ensemble des associations.
M. Christian DEMUYNCK, Président - Je souhaiterais savoir combien de chômeurs vous rencontrez chaque année. Pensez-vous qu'il est préférable de mettre en place, à destination des exclus, une politique globale ou une politique ciblée, par groupe ? Enfin, vous avez parlé de créations d'entreprises ? Pouvez-vous nous en dire davantage sur le sujet ?
Mlle Zalie MANSOIBOU - Nous ne voulons pas que les chômeurs, confrontés aux mêmes difficultés, soient classés par catégories. Nous proposons donc la mise en place d'un système unifié et universel d'indemnisation du chômage au travers d'une caisse unique nommée Fonds national pour l'indemnisation. Dans notre schéma, les régimes ASS seraient ainsi supprimés. Si une personne a travaillé pendant six mois, elle doit pouvoir être indemnisée pendant une durée fixée par la loi et bénéficier d'un véritable accompagnement dans son retour à l'emploi ou d'une formation. Les personnes licenciées par Moulinex, par exemple, ne peuvent pas accéder à une formation.
Les reclassements posent un véritable problème. Les syndicats en sont d'ailleurs pleinement conscients. De vraies politiques de l'emploi doivent donc être mises en place. Il est beaucoup question de politiques d'insertion en ce moment. Mais l'insertion demeure provisoire, certaines entreprises refusant d'employer des personnes ayant touché le RMI pendant deux ou trois ans. Nous souhaiterions donc que les pouvoirs publics responsabilisent socialement les entreprises et que les chômeurs disposent d'une aide à la formation, comme le revendiquent les anciens salariés de Moulinex. En effet, il n'est pas normal que ces derniers doivent payer leur formation.
Une véritable politique de l'emploi est donc nécessaire. Nous ne pouvons pas nous contenter de la mise en place de parcours d'insertion. Lorsque des personnes ont travaillé pendant trois ou quatre mois, elles n'ont pas droit au chômage et ont à rembourser des prestations versées par la CAF avant qu'elles ne se retrouvent sans emploi ; une sortie d'argent susceptible de les mettre dans des situations très difficiles. Toutes ces données ne sont pas assez prises en compte dans les dispositifs de lutte contre l'exclusion. Nous recevons tous les jours des personnes confrontées à ce genre de problèmes. Nous sommes donc bien placés pour en parler et soumettre des propositions destinées à les solutionner.
M. Jean-Pierre GUENANTEN - Classer les individus en catégories provoque systématiquement des discriminations. Il s'agit donc d'une erreur.
Nous recevons environ 15 000 chômeurs par an, un nombre équivalent à 100 000 passages (22 millions depuis les vingt-deux ans qu'existe notre association).
Les activités que nous avons créées concernent la collecte et le tri des déchets, le tri postal, les jardins associatifs d'insertion, les épiceries solidaires, les crèches sociales, la mobilité, le bâtiment et les services à la personne. Elles représentent trente-sept types de structures où se mélangent des associations intermédiaires, des entreprises d'insertion et des entreprises classiques.
M. Christian DEMUYNCK, Président - Mes chers collègues, avez-vous d'autres questions à poser ?
Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE - J'en ai plusieurs. Estimez-vous indispensable de structurer les champs de l'insertion ? Avez-vous des liens, au niveau national, avec les têtes de réseaux et, au niveau local, avec les autres intervenants dans le domaine de l'insertion ? Dans les lieux où vous êtes implantés, les collectivités territoriales participent-elles de votre financement ? Le cas échéant, comment interviennent-elles dans votre fonctionnement ? Vos associations bénéficient-elles encore de financements catégoriels ?
Que pensez-vous de la notion de parcours d'insertion, dont il a été beaucoup question au cours des dernières semaines ? Chaque intervenant représente un des maillons de la chaîne d'insertion, ces parcours nécessitent des partenariats locaux forts. Travaillez-vous à leur mise en place ? Enfin, les bénévoles de vos associations peuvent-ils avoir accès à une formation ?
M. Guy FISCHER - Je suis très préoccupé par l'institutionnalisation de la précarité, évoquée dans votre intervention. Le nombre de personnes subissant la précarité est en effet en très forte augmentation, alors même que le chômage diminue. Je crains d'ailleurs que la France ne compte prochainement 15 millions de personnes précaires si nous n'intervenons pas rapidement pour remédier à cette situation. J'aimerais connaître votre sentiment sur cette institutionnalisation de la précarité. Ce phénomène se manifeste dans l'ensemble des pays industrialisés, notamment européens.
M. Jean DESESSARD - Je vous remercie de votre intervention, qui a brillé par sa précision. J'aimerais avoir votre avis sur les conditions nécessaires pour bénéficier des minima sociaux. Je communiquerai, sur le sujet, au Président et au rapporteur de la mission, une lettre qui m'a été remise lors d'une réunion publique et dans laquelle une personne explique les difficultés qu'elle rencontre au quotidien : elle touche une allocation pour personne handicapée, privant par-là même sa conjointe du bénéfice du RMI.
Vous avez mentionné la possibilité, offerte par le RSA, de cumuler un revenu minimum d'insertion et une activité. Or l'application de ce dispositif pose des problèmes. Ainsi, un département a versé une aide à des personnes en activité pendant quelques mois, avant de leur en demander le remboursement. Je pense que votre association est bien placée pour faire remonter ce genre de cas auprès des pouvoirs publics. M. Pagat, créateur du MNCP en 1986, avait bien compris la nécessité de ne pas s'adresser uniquement aux chômeurs, mais à toutes les personnes victimes de la précarité. Or, ces dernières sont beaucoup plus nombreuses aujourd'hui qu'il y a vingt-deux ans.
Je souhaiterais vous poser deux questions. Pourquoi votre association n'est-elle pas rattachée à un syndicat ? Vous exercez en effet une fonction de représentation sans disposer des moyens qui y sont nécessaires. Or, de par leur passé, les syndicats disposent de davantage de moyens que vous. Rattacher votre association à l'un d'entre eux vous permettrait donc de remédier, au moins en partie, à vos difficultés de financement. En outre, les licenciements des anciens salariés de Moulinex et de Metaleurop, mentionnés dans votre intervention, ont été massifs. Pourtant, ces derniers ont préféré créer des associations et rejoindre le MNCP. Pourquoi n'ont-ils pas continué leur combat aux côtés des syndicats ? J'aimerais également savoir où en sont les procédures judiciaires engagées au moment de ces licenciements.
Mlle Zalie MANSOIBOU - Je répondrai d'abord à la dernière question. Les anciens salariés de Moulinex ont gagné en première instance. Mais un appel a été interjeté. La bataille judiciaire continue donc.
M. Jean DESESSARD - Quelle somme ont-ils obtenu ?
M. Jean-Pierre GUENANTEN - Ils ont obtenu entre 6 000 à 60 000 euros par personne. Mais deux procédures ont été engagées, l'une au civil et l'autre au pénal.
Mlle Zalie MANSOIBOU - Concernant notre éventuel rattachement à une organisation syndicale, nous considérons que les syndicats ne sont pas convaincants lorsqu'ils prétendent défendre à la fois les salariés et les chômeurs. Il est préférable pour nous de garder notre indépendance. Nous souhaitons être financés en tant qu'association de chômeurs et représenter ces derniers dans différentes institutions, notamment au sein de l'UNEDIC, afin de pouvoir exposer nos nombreuses propositions. Malheureusement, ce sujet demeure encore très délicat, les syndicats restent opposés à notre présence à leurs côtés.
Le cumul du bénéfice du RMI et d'un emploi, prévu dans le RSA et dans la loi contre les exclusions de 1998, existait auparavant, mais de manière dégressive. Par le passé, lorsqu'une personne trouvait un emploi, elle ne touchait plus le RMI au terme d'un délai de trois mois. Ce système n'a jamais fonctionné et a conduit des personnes dans l'impasse.
Nous disposons de trois représentants au Grenelle de l'insertion, dont deux en tant qu'usagers organisés et un dans le cadre de l'évaluation. Nous sommes heureux de pouvoir y participer. Nous avons beaucoup discuté avec M. Martin Hirsch, notamment lors de nos universités d'été de l'an dernier, et avons pu attirer son attention sur les éventuelles conséquences négatives de la mise en place du RSA sur le territoire national.
Vous nous avez interrogés également pour savoir si nous coopérons avec les organisations d'insertion. En fonction des territoires, nous travaillons avec la Fnars (Fédération nationale des associations d'accueil et de réinsertion sociale), l'Uniopss (Union nationale interfédérale des oeuvres et organismes privés sanitaires et sociaux) et le groupe Alerte. Toutefois, nous ne nous inscrivons pas dans le champ de l'insertion tel qu'il est aujourd'hui défini. Notre principal objectif consiste à représenter et défendre les chômeurs.
Nous intervenons également dans le domaine de l'économie solidaire et de l'initiative économique. C'est la raison pour laquelle nous avions plaisir à travailler avec l'ancien Ministre de l'économie sociale et solidaire, qui constituait pour nous un véritable interlocuteur. Le dialogue avec le ministre actuel est malheureusement moins facile.
Nous perdons beaucoup de temps à solliciter des financements, parfois au détriment de notre activité. Nous risquons d'ailleurs de perdre prochainement une enveloppe de 300 000 euros qui nous avait été accordée. De surcroît, l'Etat nous demande encore de témoigner de projets expérimentaux, alors que notre association existe depuis vingt ans et a toujours été une force de proposition. Ainsi, pendant plusieurs années, nous avons travaillé, en lien avec M. Jean-Baptiste de Foucauld, concepteur du projet, à l'élaboration du chèque associatif. Je pense que les propositions du MNCP méritent d'être étudiées avec la plus grande attention.
En 2007, lors de notre assemblée générale, nous avons procédé à un vote sur la sécurisation du parcours professionnel, baptisé statut de vie sociale et professionnelle. Nous estimons que les droits fondamentaux des personnes doivent jouir d'une protection permanente et que celles-ci n'ont pas à être classées comme chômeurs, bénéficiaires du RMI ou comme sans domicile fixe. Chacun a un droit à l'éducation, à la formation, à la santé, aux droits sociaux et au logement.
Nous souhaitons donc que les individus ne soient pas protégés uniquement au travers de leur parcours professionnel. La perte d'un emploi a des conséquences sur l'ensemble de la vie sociale dont il faut tenir compte. Des chômeurs, par exemple, ne peuvent pas se soigner car ils n'ont pas accès à la CMU.
Enfin, s'agissant de l'indemnisation du chômage, M. Jacques Delors considère qu'elle est nécessaire dès le premier mois travaillé. Cette proposition a notre soutien.
M. Jean-Pierre GUENANTEN - Le MNCP représente une fédération dans laquelle chaque structure est autonome et n'a pas choisi de concentrer son action dans le domaine de l'insertion. En outre, leurs liens avec les collectivités territoriales et les financements qu'elles peuvent recevoir de leur part sont très disparates, même si elles entretiennent toujours d'excellentes relations avec elles. Malgré la présence de partenariats très développés, un tiers des associations rencontre des difficultés. Récemment, j'ai eu à comparer les cas de trois associations équivalentes en volume d'activité et en nombre d'adhérents. Des collectivités, la première reçoit 15 000 euros, la deuxième 62 000 euros et la troisième 110 000 euros. Les associations connaissent donc des situations très variées.
Si le classement des individus en catégories est néfaste, en revanche il peut être utile de différencier les accompagnements pour les adapter à la situation des personnes, celles-ci n'éprouvant pas toutes les mêmes besoins. Ainsi, il ne sert à rien d'accompagner un chômeur capable de retrouver un emploi rapidement.
Répartir les individus par profils constitue une erreur. Actuellement, il existe neuf minima sociaux, huit catégories de chômeurs et de multiples contrats aidés. Le résultat de ce dispositif est que les personnes ne sont plus employées pour leurs compétences, mais selon la catégorie à laquelle elles appartiennent. Cette situation est pour le moins anormale.
Enfin, nous travaillons beaucoup avec des bénévoles et nous essayons de leur ouvrir la porte de la formation, malgré la faiblesse de nos moyens et la situation de précarité dans laquelle se trouvent la plupart de nos salariés.
Mme Annie JARRAUD-VERGNOLLE - Auriez-vous besoin d'enveloppes budgétaire pour assurer cette formation ?
M. Jean-Pierre GUENANTEN - Les besoins varient en fonction des associations. Certaines forment beaucoup leurs bénévoles. D'autres en sont incapables, faute de moyens suffisants. Nous consacrons beaucoup trop de temps à la recherche de financements.
Tout comme vous, l'institutionnalisation de la précarité nous inquiète énormément. En réalité, les chiffres du chômage baissent en raison d'une modification des modes de calcul des personnes sans emploi, ce que les journalistes ne précisent presque jamais, se contentant trop souvent de relayer les données qui leur sont communiquées. Aussi nous tentons actuellement de mettre en place un ensemble d'indicateurs permettant d'approcher le nombre réel de chômeurs et d'avoir un regard objectif sur leur situation.
La conditionnalité des minima sociaux est scandaleuse. Elle conduit, par exemple, des femmes en instance de divorce, ayant la charge d'enfants et un époux, ancien bénéficiaire du RMI, à n'avoir accès à aucune allocation et à se retrouver à la rue. Le RSA constitue, certes, une solution pour les personnes ayant retrouvé un emploi. Mais il ne règle pas les problèmes de celles et ceux qui demeurent au chômage. Sa mise en place amène certains à préconiser la disparition à terme du RMI. Mais il est impossible de trouver un emploi à 5 millions de personnes. Tous les chômeurs ne seront donc pas concernés par le RSA. Moi-même, titulaire d'un Bac +2, j'ai connu le RMI, à une époque où il représentait pour moi le seul moyen de me nourrir.
Quant au chèque associatif, il s'agit d'un projet en cours de discussion depuis 1992. Il consiste à attribuer à chaque chômeur un chèque de 150 à 200 euros pur lui permettre de demander à une association ou un syndicat de défendre ses droits. Ce dispositif constituerait un moyen de financement indirect de nos associations et permettrait de mettre en place des associations de défense des droits des chômeurs sur l'ensemble du territoire. Ce chèque associatif est l'un des projets que nous avons présentés dans le cadre du Grenelle de l'insertion et que nous espérons voir aboutir.
Mlle Zalie MANSOIBOU - Je souhaite ajouter quelques mots à propos du RSA. Ce dispositif, selon moi, appelle la plus grande prudence. En effet, le sentiment est assez répandu dans la population que les chômeurs sont des fainéants. Une personne qui travaillerait dans une entreprise quelques heures par mois pour toucher la même somme qu'un salarié employé à temps plein pourrait donc être très mal perçue. La valeur travail doit être défendue. Or, pour notre mouvement, elle ne consiste pas à demander à des individus de travailler seulement trois heures par semaine.
Le code du travail et la déclaration des droits de l'homme imposent de respecter les êtres humains et de leur donner un vrai travail, et non pas un emploi à temps partiel. La majorité des personnes qui se rendent dans nos associations représentent des femmes à qui on impose de travailler à temps partiel, notamment dans le secteur de la grande distribution. Si ces femmes manifestent, c'est parce qu'elles veulent bénéficier de vrais emplois et ne plus être exploitées. Pour l'ensemble de ces raisons, le RSA suscite quelques craintes. Ses conséquences doivent faire l'objet d'une profonde réflexion.
Le MNCP a été créé pour défendre le vrai travail et non pour entraîner les personnes dans le misérabilisme.
M. Christian DEMUYNCK, Président - Nous vous remercions pour toutes ces informations et suggestions.