Audition de M. André GACHET, président de la Fédération des associations pour la promotion de l'insertion par le logement (Fapil) - (12 février 2008)
Présidence de Mme Brigitte BOUT, vice-présidente.
M. André GACHET - La Fédération des associations pour la promotion de l'insertion par le logement (Fapil) est née en 1988. A son origine, elle était composée de quatre associations, lesquelles avaient le sentiment d'exercer de nouveaux métiers autour de l'accompagnement social et de la gestion locative adaptée. Certaines associations membres de la Fapil possèdent une double appartenance, en fonction de leurs affinités. Aujourd'hui, notre structure compte une centaine d'adhérents sur l'ensemble du territoire. Un début d'organisation régionale se met actuellement en place, suivant le modèle de régions telles que Rhône-Alpes et l'Ile de France, qui bénéficient déjà d'une telle organisation. Se met en place également une organisation régionale dans les régions PACA et Languedoc Roussillon, ainsi que dans le Nord.
Les associations membres de la Fapil exercent leurs activités dans quatre domaines :
Leur premier champ d'intervention consiste à proposer un accueil et à développer une meilleure connaissance du terrain, avec la mise en place de permanences d'accueil et la gestion de dispositifs tels que des observatoires locaux liés à la politique locale de l'habitat ou d'autres dispositifs en lien avec les collectivités ou l'Etat.
Leur second champ d'action réside dans l'accompagnement des personnes, dont l'accompagnement social lié au logement ou d'autres activités telles que les ateliers de recherche locaux, les actions collectives, les permanences à caractère juridique, etc.
Le troisième champ concerne la gestion locative adaptée, à laquelle participent les agences immobilières à vocation sociale. Cette activité regroupe également un système de sous-location associative et la gestion des aires d'accueil des gens du voyage, ainsi que d'autres dispositifs plus spécialisés.
Enfin, les associations membres de la Fapil interviennent dans la production de PST ou de PLAI. Elles proposent également des solutions « sur mesure » telles que des hôtelleries sociales familiales.
Ces associations possèdent la caractéristique commune de s'engager auprès des personnes, mais aussi auprès des collectivités. Ainsi, dans la charte de la Fapil, il est stipulé que chacune des associations pratique son activité en prenant place dans les dispositifs locaux.
La Fapil est une fédération généraliste qui travaille avec d'autres fédérations aux niveaux national et européen. Aujourd'hui, suite à la loi sur le droit au logement opposable, nous sommes en train de recenser les outils qui se sont constitués au fil des années.
M. Jean-François HUMBERT - Je souhaiterais obtenir quelques précisions sur la création de la Fapil en 1988. S'agit-il d'un regroupement d'associations ou d'une association créée « ex-nihilo » ?
M. André GACHET - Les associations de Paris, Grenoble et Lyon existaient déjà avant 1988 et se sont rencontrées autour de thématiques qu'elles envisageaient au travers de la même approche. A la fin des années quatre-vingt, se posait par exemple la question du logement des travailleurs immigrés isolés dans les hôtels meublés, dans le sens où aucun acteur n'oeuvrait sur ce terrain. Seules quelques associations commençaient à intervenir sur ce champ, pour récupérer des hôtels meublés, les transformer et créer de nouvelles formes de locations. Ensuite, a été créée la première agence immobilière à vocation sociale.
La fédération suit l'évolution de la demande et des besoins qui s'expriment de manière renouvelée au fil des décennies. Aujourd'hui, nous observons une modification importante de la demande qui n'est pas nécessairement visible ou prise en compte. Nous constatons ainsi, dans tous nos lieux d'accueil, une paupérisation des salariés dont les revenus sont faibles et qui connaissent des difficultés pour accéder au logement. De plus, la demande s'accroît du fait que les familles ne vivent pas aussi longtemps qu'autrefois dans le même logement. A cela s'ajoute le fait que l'allongement de la durée de la vie produit des mobilités auparavant inexistantes. Nous commençons également à détecter, dans nos lieux d'accueil, le phénomène de la mobilité de solidarité, qui implique que des personnes âgées se rapprochent de leurs enfants ou inversement.
S'agissant des personnes les plus en difficulté, nous constatons, depuis 1995, une augmentation importante de la demande d'urgence. A cet égard, ressort une féminisation de la demande et une demande familiale qui n'existait pas auparavant. Cette situation est liée en partie à une demande d'asile qui a évolué. Nous devons effectuer un travail plus approfondi dans le domaine de la connaissance de cette situation, en améliorant nos outils.
Parmi les autres fortes interrogations actuelles, nous pouvons citer celles liées à la santé mentale. Les manifestations du mal logement se sont dans le même temps modifiées. Aujourd'hui, une partie des ménages ne possèdent pas leur propre logement. Nous considérons en effet qu'un logement doit respecter ces trois conditions : il doit d'abord permettre à une famille d'y vivre, ensuite donner la possibilité de recevoir pour créer du lien social, et enfin, faire l'objet d'un contrat. Dès lors que l'une des trois conditions n'est pas présente, on parle d'exclusion par le logement ou de mal logement.
L'absence de logement entraîne, dans la majorité des cas, le recours au dépannage familial ou amical. Malheureusement, ce phénomène est peu visible. C'est pourquoi nous préférons au mot « héberger » le mot « dépanner », considérant que ce mode d'existence est extrêmement précaire. En effet, il est difficile pour deux familles de vivre ensemble dans un logement prévu pour n'en héberger qu'une seule. En outre, nous savons que la durée moyenne de l'hébergement aujourd'hui est de deux ans et que, dans certaines agglomérations, 25% des demandeurs de logements HLM sont dépannés par la famille ou des amis. Par conséquent, cette situation doit être considérée avec sérieux, mais pose encore un problème de légitimité pour le demandeur, eu égard à son inscription territoriale. La demande est ainsi parfois considérée comme abusive alors qu'elle ne l'est pas réellement.
Enfin, nous observons des manifestations extrêmes du mal logement comme la renaissance des bidonvilles depuis l'an 2000. Les bidonvilles sont, en particulier, associés à la population « rom » issue d'Europe de l'Est. A ce propos, une série d'outils a été créée que nous avons encore des difficultés à utiliser. Ce problème est très difficile à résoudre, dans le sens où il est particulièrement difficile de convaincre la communauté locale de proposer des endroits spécifiques pour accueillir ces populations. Les communes craignent également un effet d'appel d'air, idée contre laquelle nous essayons de lutter. En effet, nous considérons que les problèmes contre lesquels nous n'agissons pas ont beaucoup de chances de s'étendre, alors que l'inverse n'est pas certain. Je vous renvoie, à ce sujet, à l'ouvrage intitulé L'Histoire de la France sociale au 19 e siècle, qui comporte un passage traitant du phénomène de l'appel d'air. Le problème de l'appel d'air concerne toutes les actions de lutte contre la pauvreté depuis toujours.
Mme Brigitte BOUT, Présidente - Que pensez-vous du dispositif juridique mis en place à travers la loi Dalo ?
M. André GACHET - Je pense que la loi sur le droit au logement opposable représente une opportunité de faire évoluer la situation. Toutefois, il conviendra d'éviter deux écueils, dont celui de la stigmatisation des publics. Nous devrons ainsi veiller à ne pas utiliser d'expressions telles que « le public Dalo », dans le sens où le droit au logement est opposable pour tout le monde. La stigmatisation du logement social est certainement l'un des premiers problèmes que les collectivités locales et l'Etat doivent combattre. Ensuite, il ne faudra pas que les dispositifs d'application de la loi ne deviennent des dispositifs de sélection des ménages éligibles.
Par ailleurs, la loi soulève des enjeux importants, tels que la cohésion des dispositifs d'intervention et de l'ensemble des moyens préexistants, avec une obligation de résultat dont l'Etat et les collectivités sont garants.
Je citerai l'exemple du maintien au logement des ménages menacés d'expulsion locative, qui découle d'une des préconisations du comité de suivi. Elle permettrait en effet d'éviter l'augmentation du nombre de demandeurs. S'agissant des menaces d'expulsion des ménages, trois cas de figures se présentent :
Dans le premier cas, le coût du loyer est devenu trop élevé en raison d'une perte de revenu, et l'adéquation entre les ressources et le paiement du loyer ne peut plus se réaliser. Une seule solution peut alors être envisagée : le changement de logement. Il s'agira alors simplement d'assurer la transition entre le moment où l'impossibilité de payer le logement se présente et le moment où le ménage quitte le logement. Il faudra veiller à ne pas aggraver le coût social pouvant résulter de la situation.
Dans le second cas, le ménage pourrait payer le loyer, mais s'est trouvé, à un moment donné, aspiré dans la spirale de la dette.
Dans le troisième cas, l'expulsion interviendrait parce que le locataire est devenu invivable pour son voisinage.
Comment est-il possible d'agir dans ces trois cas ?
Dans les deux premiers cas, nous pouvons utiliser des outils déjà existants, tels que des dispositifs de logement temporaire comme la sous-location. Nous pouvons également avoir recours à la mise entre parenthèses du bail jusqu'à ce que la dette soit comblée. Ainsi, avec l'accord du propriétaire, l'association devient locataire du logement et fait en sorte, par un travail d'accompagnement social, de ramener la dette à zéro. Aujourd'hui, nous utilisons d'allocation de logement temporaire pour agir de cette façon. Cette allocation forfaitaire est versée aux associations. Or, pour qu'un tel dispositif puisse davantage fonctionner, il faudrait lui accorder plus de moyens financiers, en tenant compte de l'économie qui pourrait alors être réalisée.
Dans le cas d'une expulsion pour trouble au voisinage, nous disposons déjà d'un outil. En effet, un article de la loi contre les exclusions donne la possibilité, pour un bailleur social, de déplacer la personne. Or, ce texte n'a jamais utilisé, hormis par les associations qui sont aussi des logeurs.
Pour parvenir à trouver une solution, nous devons toujours travailler en partenariat. Si nous souhaitons effectuer un réel travail de prévention locative aujourd'hui, un métier serait à inventer ou à réinventer : le métier d'agent de relogement. Il nous faut avoir une vision décomplexée du problème de l'expulsion locative, pour démentir l'idée selon laquelle l'association serait nécessairement du côté du locataire et non du propriétaire.
Prévenir l'expulsion locative, c'est procurer un avantage à chacune des parties concernées, au bailleur comme au locataire.
Mme Brigitte BOUT, Présidente - Vous insistez sur la nécessité d'avoir de la cohésion entre les différentes actions menées et de valoriser le travail en partenariat. Comment travaillez-vous avec vos partenaires ?
M. André GACHET - En matière de partenariat et de mise en cohérence des dispositifs, nous devons nous appuyer sur le socle que constituent le plan départemental d'action pour le logement des personnes défavorisées et le plan local d'urbanisme. En effet, des outils de connaissance et de mise en cohérence existent déjà. Il est certain que les dispositifs nécessitent des efforts humains, avec des hommes et des femmes ayant envie de les faire fonctionner.
Mme Brigitte BOUT, Présidente - Certes, le rôle des acteurs de terrain est primordial. Mais il faut aussi interpeller les services payeurs, tels que les Conseils généraux.
M. André GACHET - C'est pourquoi il est important que les décisions soient prises de manière conjointe par les différents acteurs et ce, en fonction des mêmes objectifs. Aujourd'hui, les instances locales possèdent les moyens de faciliter le fonctionnement des dispositifs. Lorsque l'un d'entre eux fonctionne, il faut parfois le revitaliser après quelques années, car les acteurs peuvent changer. Il faut également faire circuler une information lisible et compréhensible par tout le monde.
Depuis 1998, nous avons créé à Marseille et à Lyon, à l'intérieur des palais de justice, aux côtés des tribunaux d'instance et en lien avec les magistrats, des lieux d'accueils traitant de la question de l'expulsion locative. Ces permanences sont tenues par des travailleurs sociaux de la Caisse d'allocation familiale. En outre, une avocate du barreau local et des intervenants sur le logement qui appartiennent à notre association interviennent dans ces accueils. Notre objectif consiste à apporter trois compétences à des personnes en difficulté: le droit, l'accès aux droits sociaux et des informations sur le logement. Les acteurs de ces lieux ont d'abord découvert leurs compétences réciproques, régies par des règles. Par conséquent, de même que nous développons le service aux particuliers, nous accroissons notre connaissance du réseau professionnel existant. Cette démarche collective et cette addition de métiers possède donc davantage de chances d'intéresser d'autres partenaires.
Je suis aujourd'hui convaincu que les outils préexistants suffisent et qu'il n'est pas besoin d'en inventer de nouveaux.
Mme Brigitte BOUT, Présidente - Je remarque que n'existe pas de turn-over dans le domaine du logement. Ainsi, les personnes, lorsqu'elles s'installent, restent dans leur logement.
M. André GACHET - Cette situation est liée à la crise du logement que nous vivons aujourd'hui, crise, par ailleurs, paradoxale dans le sens où le nombre de constructions ne s'est jamais autant accru. Pour les ménages les moins riches, le logement accessible représente une très faible part de l'offre locative. De plus, dans le logement social, le turn-over a diminué de manière très importante. De ce fait, il faudrait qu'une production forte de logements sociaux soit proposée, avec un nombre de PLAI doublé, ou que les loyers soient réglementés. Sans cela, l'écart se creusera encore davantage.
Le logement privé représente aujourd'hui 70% des financements publics pour le logement. Une partie de ces financements ne s'accompagne pas de contreparties sociales. Or nous pensons que l'argent public doit contribuer à une évolution sociale. Nous mobilisons aujourd'hui des logements du parc privé, en signant des accords avec les propriétaires sur une base morale ou sur une base économique, avec l'apport d'une garantie complémentaire, d'une prime régionale ou départementale ou d'un système d'assurance fort.
Mme Brigitte BOUT, Présidente - Il faut aussi apporter un minimum de garanties aux propriétaires qui auraient l'intention d'avoir des locataires.
M. André GACHET - Je partage tout à fait votre point de vue. Il faut que les deux parties, le locataire comme le propriétaire, soient sécurisés. Néanmoins, l'ampleur des besoins est telle que, dans nos villes, le phénomène du dépannage, que j'ai évoqué précédemment, a des conséquences sur la vie quotidienne des gens. Or ce phénomène est invisible car il n'est pas considéré comme un problème lorsque sont prises en compte les demandes de logement.
Mme Brigitte BOUT, Présidente - Je vous remercie de cet échange.